L’après-midi, un esclave de Tiggity Sego s’échappa. Aussitôt l’alarme fut donnée. Tous ceux qui avaient des chevaux les montèrent pour courir dans les bois à la recherche de l’esclave. Demba Sego, voulant y courir aussi, me pria de lui prêter mon cheval, ce que je fis avec empressement. Au bout d’une heure, on revint avec l’esclave, qui fut sévèrement fouetté et mis aux fers.
Le lendemain 31 décembre, Demba Sego eut ordre de se rendre, avec 20 cavaliers, dans une ville du Gedumah, pour apaiser une querelle qui s’était élevée entre les habitants de Tiesie et les Maures au sujet de trois chevaux que les premiers accusaient les autres de leur avoir volé. Demba Sego m’emprunta une seconde fois mon cheval, en disant que la vue de ma bride et de ma selle lui donnerait de la considération parmi les Maures. Je consentis encore à tout ce qu’il voulut, et il me promit d’être de retour dans trois jours. Pendant son absence, je m’amusai à me promener dans la ville et à converser avec les habitants qui me regardaient avec curiosité, m’accueillaient avec bienveillance et me fournissaient, à très bon marché, du lait, des œufs et toutes les autres provisions dont j’avais besoin.
Tiesie est une grande ville qui n’est point murée et n’a d’autre secours contre les attaques d’un ennemi qu’une espèce de citadelle, dans laquelle demeure Tiggity. Suivant ce que racontent les habitants de Tiesie, cette ville fut fondée par quelques pasteurs foulahs qui vivaient dans l’abondance parce qu’ils élevaient de grands troupeaux dans les excellents pâturages des environs. Leur prospérité excita l’envie des Mandingues, qui s’emparèrent du pays et en chassèrent les pasteurs.
Quoique les habitants actuels de Tiesie soient riches en bétail et en grains, ils ne sont pas difficiles sur les choses dont ils se nourrissent. Grands et petits, maîtres et esclaves, tous mangent, sans la moindre répugnance, les rats, les taupes, les écureuils, les serpents, les sauterelles. Un soir, mes gens furent invités à une fête où ils furent amplement régalés. Vers la fin du repas, un d’eux qui croyait avoir mangé d’excellent poisson et du kouskous trouva dans le plat un morceau de peau très dure, qu’il m’apporta pour me montrer de quelle espèce de poisson il provenait ; je l’examinai et je vis que c’était un morceau de peau de serpent.
Les habitants de Tiesie ont une autre coutume bien plus extraordinaire. Leurs femmes n’ont pas le droit de manger un œuf. Soit que cette coutume provienne d’une antique superstition, soit qu’elle ait été inventée par quelque vieux et rusé buschréen qui, aimant beaucoup les œufs, voulait les garder pour lui, elle est très rigoureusement observée, et la plus grande insulte qu’on puisse faire à une femme dans ce pays-là c’est de lui offrir un œuf. Ce qu’il y a encore de plus étrange, c’est que les hommes avalent les œufs en présence de leurs femmes, sans le moindre scrupule. J’ai voyagé dans plusieurs autres contrées habitées par les Mandingues, et je n’y ai jamais vu que les œufs fussent défendus aux femmes.