Le lendemain matin, je traversai Koutaconda, dernière ville du royaume de Walli. Tout près de là, je fus détenu environ une heure dans un village, pour payer les droits de passe à un officier du roi de Woulli. Je marchai ensuite toute la journée, ainsi que mes compagnons de voyage, et le soir nous nous arrêtâmes dans le village de Tabajang. Le lendemain à midi, nous arrivâmes à Médina, capitale des Etats du roi de Woulli.
Le royaume de Woulli est borné à l’occident par celui de Walli ; au midi, par la rivière de Gambie ; au nord-ouest, par une petite rivière qui lui donne son nom ; au nord-est, par le pays de Bondou ; et à l’orient par le désert de Simbani.
Le royaume de Woulli offre de toutes parts de petites montagnes couvertes de bois, et les villes sont situées dans les vallées intermédiaires. Chacune de ces villes est environnée d’un assez grand espace de terrain cultivé, dont le produit suffit, je pense, pour nourrir les habitants. La terre paraît très fertile dans les vallées, et même sur les hauteurs, à l’exception des crêtes, où les pierres ferrugineuses et les arbustes rabougris annoncent un sol infécond. Les principales productions du royaume de Woulli sont le coton, le tabac et les légumes. On les recueille dans les vallées, car les collines sont réservées pour la culture de diverses sortes de grains.
Les habitants de ce pays sont mandingues ; et de même que dans la plupart des autres Etats qu’ont formés leur nation, ils se divisent en deux sectes, les mahométans, ou buschréens [de “bashar”], et les païens, qu’on désigne tantôt sous le nom de kafirs, tantôt sous celui de sonakies. Les païens sont beaucoup plus nombreux que les autres, et le gouvernement du pays est entre leurs mains. Quoique les plus respectables des mahométans soient souvent consultés dans les affaires importantes, ils n’ont point de part dans l’administration, qui dépend entièrement du mansa (“roi”) et des grands officiers de l’Etat. Le premier de ces officiers est l’héritier présomptif de la couronne, qui porte le titre de farbanna. Après lui viennent les alkaïds, ou gouverneurs provinciaux, qu’on appelle aussi, et même plus fréquemment, kimos.
Le peuple se divise en hommes libres et en esclaves. Les hommes libres s’appellent horée et les esclaves jong. Les slatées, dont j’ai déjà parlé plusieurs fois, sont considérés comme les principaux des hommes libres, mais dans toutes les classes les vieillards sont traités avec beaucoup de respect.
A la mort du roi, son fils lui succède dès qu’il a atteint l’âge de majorité. Si le roi mort n’a point laissé de fils, ou que celui qu’il laisse ne soit point majeur, les grands de l’Etat se rassemblent et défèrent le gouvernement au frère du monarque ou à son plus proche parent, qui ne devient pas seulement régent et tuteur du jeune prince, mais véritablement roi.
Les revenus du gouvernement consistent dans les contributions qu’on lève au besoin sur le peuple, et dans les droits qu’on perçoit sur tout ce qui traverse le pays. Les voyageurs qui vont des bords de la Gambie dans l’intérieur de l’Afrique paient les droits en marchandises d’Europe, et à leur retour ils les paient en fer natif et en schétoulou. Ces droits sont perçus dans chaque ville.
Médina, capitale du royaume de Woulli, est une ville dont l’enceinte est très considérable, et contient de 800 à 1000 maisons. En arabe, Médina signifie « ville ». Les Nègres emploient souvent ce mot, qu’ils ont sans doute emprunté des mahométans. Elle est fortifiée, comme les autres villes d’Afrique, par une haute muraille de terre, revêtue de pieux pointus et d’arbustes épineux. Mais l’entretien de la muraille est négligé, et la palissade souffre beaucoup de la rapacité des femmes du voisinage, qui vont en arracher les pieux pour allumer leur feu.
Je logeai chez l’un des parents du roi. Mon hôte me prévint que lorsque je serais présenté au monarque je ne devais pas me hasarder à lui prendre la main, parce que ce prince n’était pas dans l’usage d’accorder cette liberté aux étrangers. L’après-midi, j’allai faire ma visite au souverain, et lui demander la permission de traverser ses Etats pour me rendre à Bondou. Ce roi se nommait Jatta. C’était ce même vieillard dont le major Houghton a parlé d’une manière si avantageuse. Je le trouvai devant sa porte, assis sur une natte. Beaucoup d’hommes et de femmes, rangés de chaque côté de lui, chantaient en battant la mesure avec leurs mains.
Après avoir respectueusement salué le roi, je l’informai du sujet de ma visite. Il me répondit très obligeamment que non seulement il me permettait de passer dans ses Etats, mais qu’il prierait le ciel pour ma sûreté. Alors un des Nègres qui étaient à ma suite, voulant témoigner au roi combien nous étions sensibles à sa bienveillance, se mit à chanter ou plutôt à mugir un cantique arabe ; et à la fin de chaque verset le roi et tous les siens se frappaient le front avec la main, et criaient d’une voix haute et avec beaucoup de solennité amen, amen.
Il semble qu’on doit inférer de là que le roi était mahométan, mais je fus assuré du contraire. Ce n’était probablement que par bienveillance qu’il accompagna le cantique qu’on chanta en cette occasion ; et peut-être croyait-il que les prières qu’on faisait au Tout-Puissant avec sincérité, avec dévotion, étaient favorablement reçues, soit que celui qui les lui adressait fût mahométan, soit qu’il fût païen.