Les Nègres soupent ordinairement tard. Pour nous amuser en attendant l’heure du repas, nous priâmes un Mandingue de nous raconter quelque histoire amusante. Il y consentit, et nous passâmes trois heures à l’écouter et à fumer. Ces histoires ressemblent beaucoup aux contes arabes, mais elles sont en général plus gaies. Je vais en abréger une pour en donner quelque idée à mes lecteurs.
« Il y a plusieurs années que les habitants de Doumasansa, ville des rives de la Gambie, étaient inquiétés par un lion, qui chaque nuit leur enlevait quelque tête de bétail. Les dommages qu’il leur causait étaient si fréquents et si considérables que plusieurs de ces Nègres résolurent d’aller ensemble attaquer le monstre. Ils se mirent en effet en marche, et bientôt ils le découvrirent dans un bosquet où il s’était caché. Ayant fait feu sur lui, ils furent assez heureux pour le blesser de manière que, quand il voulut s’élancer sur eux, il tomba sur l’herbe et ne put pas se relever.
« Cependant l’animal montrait encore tant de rage et de vigueur que personne n’osait s’en approcher. Alors les Nègres tinrent conseil entre eux sur les meilleurs moyens de le prendre en vie. Ils considéraient que cette preuve certaine de leur courage leur serait très avantageuse, parce qu’ils pourraient transporter le lion sur la côte, et le vendre aux Européens. Tandis que les uns voulaient le prendre d’une façon, les autres d’une autre, et qu’ils ne pouvaient pas s’accorder, un vieillard proposa son plan : c’était de dépouiller la couverture d’une maison de son chaume [1], et, bien liée comme elle était dans toutes ses parties, de la transporter pour en couvrir le lion. Si, en approchant de l’animal, ajouta le vieillard, il fait mine de s’élancer, nous n’aurons qu’à laisser tomber la couverture sur nous, et lui tirer des coups de fusil à travers les chevrons.
« Ce projet fut adopté. On ôta le chaume de la couverture d’une maison ; puis les chasseurs prirent cette couverture, et marchèrent courageusement vers le champ de bataille. Chacun d’eux portait un fusil d’une main, tandis que l’épaule du côté opposé soutenait une partie de la couverture. Mais l’ennemi commun avait déjà recouvré ses forces, et il montrait tant de férocité que, dès que les chasseurs le virent, au lieu d’aller plus loin, ils crurent qu’il était prudent de s’occuper de leur sûreté, et de se mettre sous la couverture.
« Malheureusement pour eux, le lion était trop agile. Au moment où ils laissaient tomber la couverture, il s’élança vers eux, et l’animal et les chasseurs se trouvèrent renfermés dans la même cage. Là, le lion dévora les malheureux chasseurs tout à son aise, ce qui causa non moins d’étonnement que de regret aux gens de Doumasansa, où il est aujourd’hui très dangereux de rappeler cette histoire, car elle est devenue un sujet de moquerie pour tous ceux des pays voisins. Rien ne fait plus de peine à un habitant de Doumasansa que de lui proposer de prendre un lion en vie. »