Cependant, vers le coucher du soleil, lorsque je me préparais à passer la nuit de cette manière et que j’avais lâché mon cheval afin qu’il pût paître en liberté, une femme qui revenait de travailler aux champs s’arrêta pour me regarder. Remarquant que j’étais abattu et fatigué, elle s’informa de ma position, que je lui exposai en peu de mots ; sur quoi, avec un air de grande compassion, elle prit ma selle et ma bride et me dit de la suivre. M’ayant conduit dans sa hutte, elle alluma une lampe, étendit une natte sur le sol et me dit que je pouvais rester là pour la nuit. S’apercevant ensuite que j’avais faim, elle dit qu’elle allait me procurer quelque chose à manger. Elle sortit en conséquence, et revint bientôt avec un fort beau poisson qu’elle fit griller à moitié sur quelques charbons, et me le donna pour souper. Ayant ainsi rempli les devoirs de l’hospitalité envers un étranger malheureux, ma digne bienfaitrice me montra ma natte et me dit que je pouvais m’y reposer sans crainte ; puis elle dit aux femmes de sa maison, qui pendant tout ce temps n’avaient cessé de me contempler, qu’elles pouvaient reprendre leur travail, qui consistait à filer du coton. Elles continuèrent à s’en occuper pendant une grande partie de la nuit. Pour s’en charmer l’ennui, elles avaient recours à des chansons, dont une fut improvisée sur-le-champ, car j’en étais le sujet. Elle était chantée par une femme seule ; les autres se joignaient à elle par intervalles en forme de chœur. L’air en était doux et plaintif, et les paroles, traduites littéralement, répondaient à celles-ci.
« Les vents rugissaient et la pluie tombait.
Le pauvre homme blanc, faible et fatigué, vint et s’assit sous notre arbre.
Il n’a point de mère pour lui apporter du lait, point de femme pour moudre son grain.
Chœur : Ayons pitié de l’homme blanc. Il n’a point de mère, etc. »
Ces détails peuvent paraître de peu de conséquence au lecteur, mais dans la position où je me trouvais j’en fus extrêmement touché. Emu jusqu’aux larmes d’une bonté si peu espérée, le sommeil fuit de mes yeux. Le matin, je donnai à ma généreuse hôtesse deux des quatre boutons de cuivre qui restaient à ma veste. C’était le seul don que j’eusse à lui offrir en témoignage de ma reconnaissance.