Comme ce pays et le peuple qui l’habite diffèrent à beaucoup d’égards de ceux dont j’ai parlé, je vais, avant de continuer ma relation, donner quelques détails sur le royaume de Bondou et la nation des Foulahs, car ce que j’ai à en dire a été réservé pour le moment où je quitterais leur territoire.
Le royaume de Bondou est borné à l’est par le pays de Bambouk ; au sud-est et au sud, par le royaume de Tenda et le désert de Simbani ; au sud-ouest, par la contrée de Woulli ; à l’ouest, par le royaume de Fouta-Torra ; et au nord par celui de Kajaaga.
Le Bondou, se trouvant situé entre les rivières de Gambie et du Sénégal, est nécessairement très fréquenté et par les slatées qui le traversent en conduisant leurs caravanes d’esclaves de l’intérieur de l’Afrique sur la côte et par d’autres marchands qui y viennent aussi de l’intérieur pour acheter du sel.
Ces deux branches de commerce sont presque entièrement entre les mains des Mandingues et des Serawoullis qui se sont établis dans le pays. Les mêmes marchands font aussi un trafic considérable avec le royaume de Gedumah et les autres pays des Maures, où ils portent du grain et des toiles de coton bleues pour avoir du sel, qu’ils échangent ensuite, dans le Dentila et dans les contrées voisines, contre du fer, du beurre végétal et de la poudre d’or. Ils vendent, en outre, plusieurs sortes de gommes odorantes, renfermées dans de petits sacs qui en contiennent environ une livre chacun. Lorsqu’on jette un peu de ces gommes sur des cendres chaudes, elles répandent une odeur très agréable. Les Mandingues s’en servent pour parfumer leurs chaumières et leurs vêtements.
Les droits qu’on impose aux voyageurs dans le royaume de Bondou sont considérables. Dans presque chaque ville on paye, pour un âne chargé, une barre de marchandise d’Europe, et à Fatteconda, résidence du roi, une pièce de taffetas ou un fusil et six bouteilles de poudre sont exigés comme le tribut ordinaire. Par le moyen de ces taxes, le roi de Bondou ne manque ni d’armes ni de munitions, ce qui le rend redoutable à tous ses voisins.
Par leurs mœurs comme par leur couleur, les habitants du royaume de Bondou diffèrent des Mandingues et des Serawoullis, peuples avec lesquels ils sont souvent en guerre. Il y a quelques années que le roi de Bondou se mit en marche à la tête d’une nombreuse armée, traversa la rivière de Falemé, livra une sanglante bataille à Sambou, roi de Bambouk, le vainquit et l’obligea de lui céder toutes les villes qui sont sur la rive orientale du Falemé.
Les Foulahs sont, ainsi que je l’ai déjà observé, plutôt basanés que noirs, et ont de petits traits et des cheveux soyeux [1]. Après les Mandingues, c’est sans contredit la nation la plus considérable de cette partie de l’Afrique. Ils sont, dit-on, originaires de Fouladou, nom qui signifie le « pays des Foulahs », mais ils se sont étendus dans plusieurs contrées, et à présent ils possèdent divers royaumes fort éloignés les uns des autres. Malgré ce que j’ai dit de leur couleur, je dois avouer qu’elle n’est pas partout égale. Dans le royaume de Bondou et dans les autres Etats voisins du pays des Maures, ils ont le teint plus clair que dans les contrées méridionales.
Les Foulahs du Bondou sont naturellement d’un caractère doux et facile, mais les maximes peu charitables du Koran les ont rendus moins bienveillants pour les étrangers, et plus réservés dans leur conduite avec les Mandingues. Ils considèrent tous les autres Nègres comme leurs inférieurs, et quand ils parlent de différentes nations, ils se rangent toujours dans la classe des Blancs.
Leur gouvernement diffère de celui des Mandingues principalement en ce qu’il est davantage sous l’influence des lois mahométanes. A l’exception du roi, tous les plus grands personnages, et la plupart des habitants du Bondou, sont musulmans ; aussi les préceptes et l’autorité du prophète sont toujours regardés par eux comme sacrés et décisifs. Cependant, ces mêmes sectateurs de Mahomet ne se montrent nullement injustes envers ceux de leurs compatriotes qui restent attachés à leurs anciennes superstitions.
Ils ne connaissent point la persécution religieuse, et ils n’ont pas besoin de la connaître, car la secte de Mahomet s’étend dans leur pays par des moyens bien plus efficaces. Ils ont établi dans toutes les villes de petites écoles, où beaucoup d’enfants des païens, comme les enfants des mahométans, apprennent à lire le Koran et sont instruits des préceptes du prophète. Les prêtres mahométans façonnent à leur gré ces jeunes âmes, et les principes qu’elles ont reçus de si bonne heure ne peuvent plus guère ni se changer ni s’altérer. Je vis, pendant mon voyage, beaucoup de ces écoles ; j’y remarquai, avec plaisir, l’extrême docilité et l’air respectueux des enfants, et je désirai de bon cœur qu’ils eussent de meilleurs instituteurs, et qu’on leur enseignât une plus pure doctrine.
Avec la foi mahométane s’est introduite la langue arabe, dont la plupart des Foulahs ont une légère connaissance. Leur langue naturelle est remplie de syllabes mouillées, et il y a quelque chose de désagréable dans la manière de la prononcer. La première fois qu’un étranger entend la conversation de deux Foulahs, il est porté à croire qu’ils se querellent. Voici quels sont les noms de nombres dans la langue foulah :
un go
deux diddie
trois tettie
quatre nie
cinq jouie
six jego
sept jediddie
huit je-tettie
neuf je-nie
dix sappo
Les Foulahs sont pasteurs et agriculteurs, et l’habileté et le soin avec lesquels ils s’acquittent de ces deux emplois sont partout remarquables. Sur les bords mêmes de la Gambie, ce sont eux qui cultivent la plus grande partie du grain qui s’y recueille, et leurs troupeaux sont toujours plus nombreux et en meilleur état que ceux des Mandingues. Mais c’est surtout dans le royaume de Bondou que les Foulahs sont opulents et qu’ils jouissent avec profusion de tout ce qui est nécessaire à la vie. L’adresse qu’ils ont à élever leur bétail fait qu’ils le rendent extrêmement doux et familier. Aux approches de la nuit, ils le font sortir des bois où ils l’ont mis paître pendant le jour, et ils l’enferment dans des parcs, qu’ils appellent korries, et qui sont construits près des villages. Dans le milieu de chaque korrie, il y a une cabane, où un ou deux bergers veillent durant toute la nuit, afin d’empêcher qu’on vole du bétail et d’entretenir les feux qu’on allume à l’entour pour effrayer les bêtes féroces.
Les Foulahs traient leurs vaches matin et soir. Le lait de ces vaches est excellent, mais elles n’en donnent pas, à beaucoup près, autant que celles d’Europe. Les Foulahs regardent le lait comme un aliment de première nécessité, et ils n’en font usage que lorsqu’il est aigre. On tire de ce lait une crème très épaisse, dont on fait du beurre en la battant avec force dans une calebasse. Ensuite on fait fondre ce beurre sur un petit feu, on le nettoie bien, et on le met dans des pots de terre. Non seulement les Foulahs l’emploient pour la plupart des mets qu’ils préparent, mais ils s’en servent pour oindre leur tête, et ils en mettent beaucoup sur leur visage et sur leurs bras.
Quoique le lait abonde dans le pays des Foulahs, il est assez étrange que ni ce peuple ni les autres nations qui habitent cette partie de l’Afrique n’aient connu l’art de faire du fromage. Les Nègres ont un si grand attachement pour les coutumes de leurs pères qu’ils ne voient qu’avec répugnance tout ce qui semble avoir un air d’innovation. Mais ils donnent pour raison de ce qu’ils ne font point de fromage la chaleur du climat et la grande rareté du sel. D’ailleurs, les procédés qu’il faut employer pour cela leur paraissent trop longs et trop embarrassants, et l’avantage qu’on en retire leur semble trop peu considérable.
Indépendamment du bétail, qui fait leur principale richesse, les Foulahs ont d’excellents chevaux, qui semblent provenir d’un mélange de la race des chevaux arabes et de celle des chevaux africains.