As-Sa’di, TARIKH AS-SUDAN, v.1660

DOXOLOGIE

An nom de Dieu, le clément, le miséricordieux ! Qu’il

répande ses bénédictions sur son prophète, notre seigneur
Mahomet*, sur sa famille^ sur ses Compagnons et qu’à eux
tous il accorde le salut!

Louange à Dieu, à qui seul appartiennent l’empire,
l’éternité, la puissance et la gloire, et dont la science
embrasse toutes les choses. Il sait ce qui a été, ce qui sera
et aussi comment aurait été ce qui eût pu être. Rien ne lui
échappe, pas même ce qui n’a que le poids d’un atome,
que ce soit sur la terre ou dans les cieux.

Il donne le pouvoir à qui il lui plaît; il Tôte à qui il veut.
Gloire à ce souverain tout-puissant, glorieux et domina-
teur, qui a imposé à tous les êtres la décrépitude et la
mort. 11 est le premier, il n’a pas eu de commencement;
il sera le dernier, il n’aura pas de fin.

1. Si j’ai conservé celle orthographe française, c’esî qu’elle offre l’avantage de
permetlre de distinguer, sans le moindre effort, s’il est question du prophMedes
musulmans ou de l’un de ses nombreux homonymes.

{Histoire du Soudan.) i

 

2 IINTUODUCTION

Salut et bénédictions au prince des anciens et des mo-
dernes, à notre seigneur et maître Mahomet, le sceau des
Envoyés et des prophètes, ainsi qu’à sa famille, à ses purs
et admirables Compagnons animés de sentiments sincères
et dévoués! Que, sans trêve, ni merci, Dieu répande sur
eux tous ses bénédictions et qu’il leur accorde le salut!

 

IINÏRODUCTION

 

Nous savons que nos ancêtres, dans leurs réunions,
s’entretenaient le plus souvent de l’histoire des Compagnons
du Prophète et des saints de l’Islam (Dieu leur témoigne sa
satisfaction et leur fasse miséricorde!). Ils parlaient aussi
des chefs et des princes de leur pays, racontant la conduite
de ces personnages, leurs aventures, leurs prouesses, leurs
expéditions et la façon dont ils avaient péri. Rien pour eux
n’était plus doux que ces récits, et ces causeries passion-
naient leurs esprits. Ainsi firent-ils jusqu’au jour où la mort
vint mettre un terme à leur existence (Dieu très-haut leur
fasse miséricorde!).

La génération (t)’, qui vint ensuite, n’eut pas les mêmes
préoccupations; aucun do ses membres ne chercha à suivre
l’exemple donné par la génération disparue. 11 ne se trouva
plus personne ayant le noble souci de connaître les grands
de la terre, ou, s’il se rencontra quelques hommes hantés
de cette curiosité, ils furent en nombre très hmité. Dès lors,
il ne resta plus que des esprits grossiers portés à la haine,
à l’envie, à la discorde et ne prenant intérêt qu’à ce qui ne

1. Ces chiffres arabes placés entre parenllicses indiquent ia pagination do
l’édition du texte arabe.

 

INTRODUCTION 3

les regardait point, à des commérages, à des médisances ou
des calomnies envers le prochain, toutes choses qui sont la
source des pires de nos maux. Le Ciel nous préserve de
pareils fléaux !

J’assistais donc à la ruine de la science (historique) et à
son effondrement et en voyais disparaître à la fois les écus
d’or et la menue monnaie. Et alors, comme cette science
est riche en joyaux et fertile en enseignements puisqu’elle
fait connaître à l’homme sa patrie, ses ancêtres, ses annales,
les noms des héros et leur biographie, je sollicitai l’assis-
tance divine et entrepris d’écrire moi-même tout ce que
j’avais pu recueillir au sujet des princes de Soudan de la
race des Songhaï, de redire leurs aventures, leur histoire,
leurs exploits et leurs combats. Puis, à cela, j’ai ajouté l’his-
toire de Tombouctou, de la fondation de cette ville, des
princes qui y ont régné, des savants et des saints qui l’ont
habitée et d’autres choses encore, en poursuivant mon récit
jusqu’à l’époque où la dynastie ahmédienne, hachémite,
abbasside*, cessa de régner dans la rouge” cité de Merràkech.
Après avoir imploré l’aide de Dieu, dont l’appui me suffit
et qui est le meilleur des soutiens, j’ai commencé en ces
termes.

 

i . Il s’agit de la dynastie saadienne (cf. à ce sujet : 0. Houdas, Nozhet-el-hddi,
texte et traduction. Paris, 1889). L’auteur se sert de l’épithète « ahmédienne »
à cause du nom du plus illustre des princes de cette dynastie, Abou ‘l-‘Abbâs-
Ahmcd-El-Mansour, sous le règne duquel eut lieu la conquête du Soudan. 11 ap-
pelle cette dynastie «< hachémite », parce que ses princes étaient les descendants
de Mahomet qui appartenait à la famille de Hâchem. Quant à l’adjectif « abbas-
side », il se rapporte sans doute au surnom donné àEI-Mansour et ne fait point
allusion à la dynastie des Abbassides.

2. Ce qualificatif, ajouté au nom de la ville de Merràkech, vient de l’aspect
général des remparts et des monuments de cette ville. Au lieu de Merràkech,
les cartes écrivent Maroc qui est la forme française de ce nom.

 

HISTOIRE DU SOUDAN

 

CHAPITRE PREMIER

LISTE DES PRINCES DU SONGHAI»

Le premier prince qui régna au Songhaï fut Zà-Alayaman.
Après lui régnèrent successivement : Zâ-Zakoï (r); Zâ-
Takoï; Zâ-Akoï; Zâ-Kou; Zâ-‘Ali-Faï; Zâ-Biyaï-Komaï ; Zâ-

1. Dans son travail intitulé : Beilruge zurGeschichteund Géographie desSudan,
et qui a paru dans \siZeitschrift der deutschen morgenUindischen Gesellschafl (Band
IV, 1855), C. Ralfs donne ainsi la transcription des noms des princes du Son-
ghaï : ZaAlajaman; ZaZakaja(ou Za Zaki); Za Alkaju; Za Akaja; ZaAkiru ; Za
‘Ali Buy ^ou Buja); Za Bijaru; Za Abi; Za Akuji; Za Juma Karwaja; Za Juma
Dunku; Za Juma Kiba’a; Za Kukirja; Za Kinkii’ ; Za Kasi; Za Kusur Dari ; Za
Ahir Karunku Dum ; Za Bijuki Kaima ; Za Juma Da’u (ou Za Netasanaï) ; Za
Baija Kairi Kinba ; Za Kuji Sibib (ou Za Chanbuyub) ; Za Aliba ; Za Tinba Si-
nay; Za Juma Da’u; Za Tadazu ; Za ‘Ali Kiru ; Za Bijaru Falk; Za Jasabi; Za
Darar ; Za Zank Bara ; Za Basa Fara ; Za Fada.

Cette liste a été reproduite avec de très légères modifications par M. Binger
dans son bel ouvrage intitulé : Du Niger au golfe de Guinée, t. II, p. 366.

Une autre transcription, représentant la prononciation actuelle de tous ces
noms, a été donnée par M. Félix Dubois dans son intéressant volume : Tombouc-
iou la Mystérieuse, Paris, 1897, p. 117. La voici : Dialliaman; Dia Arkaï; Dia
Atkaï ; Dia Akkaï ; Dia Akkou ; Dia Alfaï ; Dia Biégoumai ; Dia Bi ; Dia Kiré ; Dia
Aùm Karaouaï ; Dia Aiim Sumaïam ; Dia Aum Danka; Dia Kiobogo ; Dia Kou-
kouraï ; DiaKonken ; Dia Koussaï; Dia KoussaïDaria ; DiaHinKoronon Goudam;
Dia Bié Konikimi; Dia BintaSay; Dia Bié Kaina Kamba; Dia Kaina Siniobo; Dia
Tip ; Dialliaman Diago ; Dia Ali Korr; Dia Berr Faloco; Dia Siboy ; Dia Dourou ;
Dia Kabaro; Dia Bissi Baro ; Dia Bada.

La liste établie par Ralfs renferme 32 noms, tandis que celle fournie par les
trois mss. A, B et C n’en contient que 31. Il convient do remarquer que M.Du-
bois nomme 15 rois avant Dia Koussaï et que le texte dit en toutes lettres qu’il
n’y en eut que 14. Ce qui a donné lieu à celle erreur, c’est que M. Dubois a
fait de Kiobogo un nom à pari, alors qu’il fait partie du nom précédent. Pour
éviter, autant que possible, ce genre d’erreur j’unis par un irait d’union tous
les termes qui forment le nom d’une seule et même personne.

L’écriture arabe n’ayant que trois signes pour représenter toute la gamme des
voyelles, on comprend que l’on ne puisse tHre certain de la prononciation réelle
de tous ces noms d’autant plus que les signes-voyelles, dans les mss., ne sont
pas toujours exactement placés sur la consonne (ju’ils doivent accompagner.

 

CHAPITRE PREMIER 5

Biyaï; Zâ-Karaï;Zâ-Yama-Karaoiiaï; Zâ-Yama; Zâ*-Yama-
Danka-Kiba’o; Zâ-Koukoraï; Zâ-Kenken. Cela fait en
tout quatorze princes qui moururent sans avoir embrassé
la foi musulmane. Aucun d’eux donc ne crut en Dieu, ni en
son Prophète (Dieu répande sur lui ses bénédictions et lui
accorde le salut!).

Zâ-Kosoï (Dieu lui fasse miséricorde!), qui vint ensuite,
se convertit à l’islamisme. A cette occasion on l’appela
Moslein-dam, expression signifiant dans la langue du pays
qui a embrassé V islamisme volontairement sans y être con-
traint. Cet événement se produisit en l’an 400 de l’hégire
(1009-1010 de notre ère). Après lui, le trône fut occupé
successivement par : Zâ-Kosoï”-Dàriya’; Zà-Hen-Kon’-
Ouanko-Dam ; Zà-Biyaï-Koï-Kîmi ; Za-Nintâsanaï ; Zâ-Biyaï-
Kaïna-Kimba ; Zâ-Kaïna-Chinyounbo ; Zâ-Tib; Zà-Yama-
Da’o’; Zâ-Fadazou; Zà-‘Ali-Koro; Zâ-Bir-Foloko; Zâ-Ya-
siboï; Zâ-Douro; Zà-Zenko-Bâro; Zâ-Bisi-Bâro ; Zâ-Bada.

A ces princes succédèrent les Sonni^ dont le premier,

 

1. Le mot 7A manque dan? le texte arabe des mss.

2. Au lieu de Kosoi, le ms. C donne la leçon Kosor ou Kousour.

3. C’est par erreur que le texte imprimé porte Darbiya.

4. C’est la leçon donnée par le ms. C ; le texte imprimé a Koz, par suile de la
confusion qui a été faite du j final et du j qui ne se distinguent pas toujours
nettement l’un de l’autre dans l’écriture arabe du Soudan.

5. On a adopté ici encore la leçon du ms. C, au lieu de la forme Dad fournie
par les mss. A et R et imprimée dans FédiLion du texte arabe.

6. Ainsi qu’on le verra plus loin, au chapitre xir, l’orthographe exacte de ce
mot est ainsi fixée. M. Ringer a fait remarquer que la plupart des noms de ces
princes appartiennent à la langue mandé.

D’après Ralfs voici les noms des Sonni : Sunni ‘Ali Kilnu-, — Silman Nar ; —
Ibrahim Kibja; — Utman Kanwa; — Razkin Ankabaja ; — Musa; — Rukar
Zank ; — Bukar Dal Rinba; — Rara Kiija; — Muhammad Da’u; ~ Muhammad
Kukia; — Mu’nammad Rara; — Mari Kul Hum ; — Mari Rakr ; — Mari Aran-
dan; — Sulaïman Dam ;— ‘Ali ; — Rara (ou Abu Rakr Da’u).

M. Félix Dubois (op. /., p. 119) transcrit les mêmes noms de la façon suivante :
Sunni Aiikolon ; — Suliman Naré ; — Ibrahim Kobia ; — Osman Kanava ; —
Rarkaïna Ankabi ; — Moussa; — Roukari Dianka ; — Roukar Dalla Rougoumba;
— Marikiri ; — Mohammed Dàou ; — Mohammed Kokia , — Mohammed Rarro;

 

6 HISTOIRE DU SOUDAN

‘Ali-Kolon,avec l’aide du Dieu très-haut, délivra les gens du
Songhaï du joug du peuple de Melli*. Après lui, le pouvoir
passa à son frère Selmân-Nâri; ces deux princes étaient les
fils de Zà-Yasiboï. Ils eurent pour successeurs : Sonni-
Ibrahim-Kabaï ; Sonni-Otsmân-Kanafa ; Sonni-Bar-Kaïna-
Ankabi; Sonni-Mousa; Sonni-Bokar-Zonko ; Sonni-Bokar-
Dalla-Boyonbo ; Sonni-Mâr-Kiraï ; Sonni-Mohammed Dâo;
Sonni-Mohammed-Koukiya ; Sonni-Mohammed-Fâr; Sonni-
Karbîfo; Sonni-Màr-Faï-Kolli-Djimo” ; Sonni-Mâr-Arkona;
Sonni (t) Mâr-Arandan; Sonni-Selimân-Dam ; Sonni-‘Ali;
Sonni-Bar, dont le nom était Bokar-Dâ’o. Enfin régna après
eux Askïa-El-Hâdj-Mohammed.

Quant au nom du premier de ces princes, Zà-Al-Ayaman,
il avait pour origine la phrase : dja men el-Yemen (il est
venu du Yémen). On raconte, en effet, que ce personnage,
accompagné de son frère, avait quitté le Yémen pour par-
courir le monde et que le destin avait conduit les deux
voyageurs dans la ville de Koukiya\ cité très ancienne,
élevée au bord du Fleuve, sur le territoire du Songhaï. Cette
ville existait déjà au temps de Pharaon, et c’est d’elle,
dit-on, qu’il fit venir la troupe de magiciens qu’il employa

— MaréKilIigliimou ; — Mare Arkouna; —Mare Ardhan; — Suliman Damij

— ‘Ali ; — Barro (ou Boukari Dâo).

On remarquera que cos lislos ne comptent que 18 princes, tandis que le ms.
B en donne 19 en y ajoutant Sonni Karbifo, qui a été maintenu dans le texte
imprimé.

1. On trouve pour ce nom les orthographes Melli, Malli et Mali.

2. Ou Himo, le point diacritique qui accompagnerait le caractère ^ n’étant
pas absolument certain. ^

3. Koukiya, d’après les indications de l’auteur, était une ville située sur le
territoire du Songhaï et au bord du Niger. Le mot ^ (fleuve) n’est suivi
d’aucun nom propre ; cependant il ne peut s’entendre que’ du Niger, le fleuve
par excellence aux yeux des Soudanais et le seul d’ailleurs qui coule dans le pavs
habité par les Songhaï. L’emplacement de cette ville de Koukiya est, selon
toute vraisemblance, le même que celui de Gâo, autrement dit Kâgho, Koukou,
Kaokao. Ces deux dernières formes pourraient être les altérations de Kokoy
Koryn «« la ville du roi y. (la capitale), le premier de ces mots ayant été pris
pour un nom de localité.

 

CHAPITRE PREMIER 7

dans la controverse qu’il eut avec Moïse* (que sur lui soit
le salut!).

Les deux frères arrivèrent à Koukiya dans le plus piteux
état. Ils avaient, pour ainsi dire, perdutoute forme humaine,
tant ils étaient sales et épuisés, et leur nudité n’était cachée
que par des lambeaux de peaux de bêtes jetées sur leurs
corps. Comme on leur demandait d’où ils sortaient, l’aîné
répondit : « 11 vient du Yémen- » (dja men el-Yemen). Dès
lors on ne dit plus autrement que Zd-Al-Ayaman^ en alté-
rant la prononciation de la phrase qui avait été dite, car les
gens du pays éprouvaient de la difficulté à en reproduire les
sons, tant leur dialecte barbare a alourdi leur langue.

Zâ-Al-Ayaman demeura à Koukiya. Il s’aperçut que les
populations au milieu desquelles il vivait étaient païennes
et n’adoraient que des idoles. Le démon se manifestait à
eux sous la forme d’un poisson’ qui, un anneau dans le nez,

i . Le Coran, sourate xx, versets 59, 75, rapporte le récit de cette aventure
de Moïse avec le pharaon d’Egypte. La légende, qui fait venir les magiciens de
Koukiya, ne saurait èlre admise sans la plus extrême réserve; elle rentre dans
la catégorie de celle qui fait de Tlemcen le théâtre d’un des incidents de l’his-
toire de Moïse etd’El-Khidr {Coran, sourate xviii, v. 76). Ces légendes paraissent
avoir été imaginées dans le seul but de prouver, sous une forme sensible, la
haute antiquité d’une ville.

2. On s’explique difficilement que cette réponse n’ait pas été faite à la pre-
mière personne du pluriel, puisque les deux frères avaient accompli le même
trajet. Dans tous les cas, elle ne saurait servir de preuve à leur venue directe
du Yémen ; elle tendrait seulement à démontrer qu’ils étaient berbères ; car on
sait que les )}erbcrs se croient, pour la plupart, être originaires du Yémen, ainsi
que le dit notre auteur au chap. viii, en parlant des Touareg.

Le seul point que pourrait fixer cette légende, c’est que les deux frères par-
laient arabe. Elle rendrait alors compte de l’orthographe du mot « Zâ » dont la
prononciation est « Diâ » d’après M. Félix Dubois. La consonne arabe ^ djim sonne
ordinairement, comme on sait, de quatre manières différentes : gue, dje, ze et
je; on comprend dès lors qu’on ait pu écrire \jza, au lieu U. dja. Au Soudan, en
outre, le djim se prononce toujours die. Enfin il convient d’ajouter que l’ortho-
graphe donnée au nom du Yémen, d’après cette étymologie, serait fautive; on
écrit •j.c et non «y:! qui signifierait « côté droit ».

3, Ce poisson serait sans doute le lamantin, idole ou tenné des Mandé selon.
M. Ringer {op. l.,i. II, p. 375). On a cru voir dans cette légende la marque d’une

 

s HISTOIRE DU SOUDAN

apparaissait au-dessus des eaux du Fleuve à certaines épo-
ques déterminées. A ce moment tout le peuple se rendait en
foule près de l’animal pour l’adorer; celui-ci formulait ses
ordres et ses prohibitions, puis on se dispersait; tous exé-
cutaient ce qui leur avait été enjoint de faire et s’abstenaient
de ce qui leur avait été interdit.

Ayant assisté à cette cérémonie et s’étant aperçu que ces
gens étaient manifestement dans une fausse voie, Zâ-Al-
Ayaman conçut le projet de tuer ce poisson et mit son dessein
à exécution. Un jour que l’animal faisait son apparition il lui
lança un harpon et le tua grâce à l’aide de Dieu. Aussitôt le
peuple prêta serment d’obéissance à Zâ-Al-Ayaman et en fit
son roi. On prétend que ce prince était musulman et l’on en
donne pour raison l’acte qui vient d’être rapporté; on a dit
également que ses successeurs abjurèrent leur foi ‘o); mais
nous ne savons pas quel est celui qui, le premier d’entre
eux, donna l’exemple de l’apostasie; nous ignorons égale-
ment à quelle époque Zà-Al-Ayaman quitta le Yémen, à
quel moment il arrive à Koukiya et quel était son véritable
nom. On continua de l’appeler au moyen de la phrase indi-
quée ci-dessus qui lui servit de nom propre, et le premier
mot de cette phrase devint un titre * pour les princes qui
régnèrent après lui.

ligion apportée au Soudan par des étrangers. Il serait plus naturel, je crois, d’y
voirie souvenir d’actes de piraterie qui se reproduisai^-mt chaque année à une
époque déterminée. On comprendrait alors que les habitants de Koukiya, déli-
vrés de ce fléau, par Zà-Al-Ayaman, l’aient proclamé roi, tandis qu’on ne voit
pas hien pourquoi ils auraient témoigné une si grande reconnaissance à un
étranger qui aurait tué leur idole vénérée.

1. C’est-à-dire le verbe dja, orthographié Zd et prononcé Dia. Ce titre, pré-
cède, en effet, le nom de tous les successeurs de Zà-Al-Ayaman, jusqu’au mo-
ment où il fut remplacé par celui de Sonni. Cette dernière qualification fut
donnée, pour la première fois, à ‘Ali-Kolon, fils de Zâ-Yasiboï, qui cependant
était, lui aussi, un descendant de Zà-Al-Ayaman. Ce changement de titre pour-
rait s’expliquer de la façon suivante : I.e Songhaï aurait subi la domination du
roi de Melli sous le règne de Zâ-Yasiboï, ce que confirme l’envoi de ses fils
comme otages à la cour du vainqueur; mais Zà-Douro, Zâ-Zenko-Bâro, Zâ-Bisi-

 

CHAPITRE DEUXIEME 9

La prospérité de Zâ-Al-Ayaman devint si nombreuse que
Dieu seul sait combien il eut de descendants. Ce furent tous
des hommes énergiques, audacieux et braves. Ils étaient
en outre de forte corpulence et de haute taille V Tout cela
d’ailleurs est bien connu de ceux qui sont au courant de leur
histoire et de leurs aventures.

 

CHAPITRE II

 

ORIGINE DES SONNI

 

Pour ce qui est du premier Sonni, ‘Ali-Kolon, son his-
toire est la suivante : Employé au service du roi de Melli,
il résidait auprès de ce prince ainsi que son frère Selmân-
Nâr. Tous deux étaient fils de Zâ-Yasiboï, et le nom de
Selmân, qui, à l’origine, était Sehmân^, avait été ainsi al-
téré par suite de la barbarie du langage de ces populations.

La mère de ‘Ali et celle de Selmân étaient deux sœurs

 

Bàro et Zâ-Bada auraient continué à exercer le pouvoir au nom du roi de Melli.
Ces quatre princes auraient régné fort peu de temps, puisqu”Ali-Kolon, né
avant leur avènement, leur aurait succédé. Le titre de Sonni aurait été alors
donné à ‘Ali-Kolon parce qu’il avait délivré son pays du joug” de l’étranger.

1. L’auteur, en parlant des qualités physiques des descendants de Zà-Al-
Ayaman, oublie de dire si le chef de celte famille appartenait à la race blanche
ou s’il était nègre. De son silence à cet égard, il semble qu’il faille plutôt con-
clure que ce prince était de race noire, sinon il n’eût sans doute pas né-
gligé d’en faire la remar([ue. Cela n’infirmerait pas nécessairement la légende
qui le fait venir du Yémen, les nègres, esclaves ou affranchis, ayant existé dès
la plus haute époque en Arabie et chez les Berbers. Toutefois il est singulier
que, dans la longue liste des Dia, on ne trouve que deux princes portant un nom
arabe et encore n’est-il pas sûr que le nom d”Ali qui leur est donné à tous
deux ne soit pas un mot songhaï sonnant à peu près comme ce mot arabe.

2. Cette explication est parfaitement plausible; ainsi qu’on le remarquera,
quelques noms de Sonni sont arabes.

 

10 HISTOIRE DU SOUDAN

germaines. Oinmâ était le nom delà mère de ‘Ali-Kolou;
Fati, celui de la mère de Selmân-Nâr. Cette dernière était la
femme préférée du père des deux princes. Malgré de nom-
breuses grossesses, elle n’avait pas eu d’enfants, et, comme
elle désespérait d’en avoir, elle dit à son mari : « Épouse
ma sœur Ommâ, peut-être te donnera-t-elle une postérité
que je n’ai pu te procurer. »

Zâ-Yasiboï suivit le conseil de sa femme. Il ignorait alors
la loi ‘ qui ne permet pas de réunir à la fois deux sœurs
sous la puissance maritale d’un même époux. Dieu voulut
que ces deux femmes devinssent enceintes durant une
même nuit et qu’une même nuit également elles accou-
chassent d’un garçon. Les deux nouveaux-nés furent placés
sur le sol dans une pièce obscure. Le lendemain seulement
on les lava, car la coutume voulait qu’on attendît le lende-
main pour cette opération quand un enfant naissait la nuit^.

Le premier nouveau-né lavé fut ‘Ali-Kolon et, de ce fait,
il fut considéré comme l’aîné \ Quant à Selmân-Nàr, dont
l’ablution eut lieu ensuite, il fut, pour cette raison, déclaré
le cadet (•;).

Quand les deux enfants atteignirent l’âge d’entrer au ser-
vice, le sultan de Melli les prit avec lui. A cette époque, en
effet, ces princes étaient ses vassaux et il était d’usage que
les fils des rois fussent astreints au service de leur suzerain*.

 

1. C’csl-à-dirc la loi musulmane qui ne permet pas au fidèle d être à la fois le
mari de deux sœurs.

2. Celle coutume est assez bizarre. On ne peut guère l’expliquer que par un
moUr religieux ou, pour mieux dire, superstitieux .

3. L’auteur ne dit pas si le fait d’avoir mis ces deux enfants dans une pièce
obscure avait été fait à dessein. Il est vraisemblable qu’il fut prémédité de fa-
çon à empt-cher, dans l’avenir, les conflits qu’aurait fait naître l’amour mater-
nel. Chacune des mères se trouva ainsi dans l’impossibilité de savoir quel était
son véritable enfant et ne put songer à favoriser l’un plutôt que l’autre.

4. On a remar<iué, avec juste raison, que cette coutume était un moyen dé-
tourné d’avoir des otages.

 

CHAPITIŒ DEUXIEME H

Cette coutume d’ailleurs s’est perpétuée jusqu’à nos jours
chez tous les sultans du Soudan. Parmi ces jeunes gens, les
uns rentraient dans leur pays après avoir servi un certain
temps ; d’autres, au contraire, continuaient jusqu’à leur
mort à demeurer auprès de leur suzerain.

Pendant que les deux princes étaient à la cour du roi de
Melli, ‘Ali-Kolon, de temps à autre, s’éloignait de sa rési-
dence pour faire quelque expédition fructueuse*, selon l’u-
sage établi, puis il rentrait à son poste. Ali-Kolon, qui
était un homme très sensé, très intelHgent, plein de sagacité
et de ruse, élargissait chaque jour davantage le cercle de ses
courses, de façon à se rapprocher du Songhaï et à bien
connaître tous les chemins qui y conduisaient. Alors il con-
çut le projet de s’enfuir dans son pays et de s’y rendre in-
dépendant. Dans ce but, il prépara en cachette ce dont il
avait besoin, armes et provisions, et cacha le tout dans des
endroits, connus de lui, sur la route de Songhaï.

Ces préparatifs terminés, Ali-Kolon avertit son frère et
lui fit part de ses desseins secrets. Après avoir donné à leurs
chevaux une nourriture de choix très fortifiante, afin de
n’avoir pas à craindre qu’ils leur fissent défaut par suite des
fatigues de la route, les deux frères partirent en se diri-
geant vers le Songhaï. Avisé de leur fuite, le sultan de
Melli envoya à leur poursuite quelques hommes avec mis-
sion de tuer les fugitifs. Chaque fois qu’ils étaient serrés de
trop près, les deux frères faisaient volte-face et combattaient
leurs poursuivants. Dans ces combats, qui se renouvelèrent à
plusieurs reprises, les fugitifs eurent toujours l’avantage, et,
sans subir aucun échec, ils réussirent à gagner leur pays.

 

1. Ces expéditions ou razzias étaient autorisées à un double litre : elles for-
maient les jeunes princes à l’art de la guerre et elles leur permettaient en même
temps de se procurer des ressources suffisantes pour tenir leur rang sans que le
budget du suzerain eût à en souffrir.

 

12 HISTOIRE DU SOUDAN

‘Ali-Kolon, devenu roi du pays de Songhaï, se fit appeler
Sonni* et délivra ses sujets du joug du sultan de Melli.
Après sa mort, son frère Selmân-Nàr lui succéda. Les li-
mites du royaume de Songhaï ne dépassèrent les environs
de sa capitale que sous le règne de Sonni ‘Ali, le grand
tyran kharédjite^ Ce prince réunit plus de troupes et dé-
ploya plus d’énergie que tous ceux de sa dynastie qui l’a-
vaient précédé. Il fit des expéditions, conquit des provinces
et sa renommée s’étendit à l’orient comme à l’occident,
ainsi que nous le raconterons plus loin, s’il plaît à Dieu. Il
fut pour ainsi dire le dernier roi de sa dynastie, car son
fils, Abou Bakr^ Dâ’o, qui monta sur le trône après sa mort,
ne tarda pas à se voir arracher le pouvoir par Askia-Bl-
Hàdj -Mohammed (v).

 

CHAPITRE III

LE ROI DE MELLI KANKAN-MOUSA

Le sultan Kankan*-Mousa fut le premier des rois de

i. L’auteur ne s’explique pas sur la valeur de ce titre ou son origine, comme
il l’a fait pour celui de Zâ. et comme il le fera plus loin pour celui de Askia.

2. C’est-à-dire appartenant à la secte des Kharédjilcs qui» à cette époque
dijà, comptait de nombreux représentants dans tout le nord de l’Afrique. Les
Kharédjites, on le sait, ne croient pas à la nécessité d’avoir un chef suprême de
l’islamisme; ils estiment en oulre que tout fidèle, strict observateur dROISIÈME it

et s’être emparé de toutes les richesses qu’il trouva, il re-
tourna dans son pays. Les gens de MelJi rentrèrent ensuite à
Tombouctou et y demeurèrent encore en maîtres (n) durant
cent ans.

« Tombouctou, a dit le très docte jurisconsulte Ahmed-Baba \ a été saccagée trois fois : la première fois, par le sultan du Mossi ; la deuxième, par Sonni-‘Ali, et la troisième, par le pacha Mahmoud-ben-Zergoun. Cette dernière dévastation fut moins terrible que les deux premières. » On assure que, dans la mise à sac accomplie par Sonni-‘Ali, il y eut plus de sang répandu que dans celle que lui fit subir le sultan du Mossi.

Vers la fin de la domination des princes de Melli, les Touareg Maghcharen commencèrent leurs incursions contre la ville de Tombouctou; ils avaient à leur tête leur sultan Akil-AkameloueP et ravageaient le pays de tous côtés et dans tous les sens. Les habitants éprouvaient de graves préjudices de toutes ces déprédations ; cependant ils ne prenaient point les armes pour combattre l’ennemi. On dit qu’un prince qui n’est pas en état de défendre ses Etats ne mérite pas d’y régner; aussi les gens de Melli durent-ils abandonner la contrée et retourner dans leur pays. Akil s’empara alors de Tombouctou et en demeura le maître durant quarante ans.

CHAPITRE IV

LE ROYAUME DE MELLI

Melli’ est le nom d’une grande contrée, très vaste, qui se trouve à l’extrême occident du côté de l’océan Atlantique. Qaïamagha- fut le premier prince qui régna dans cette région. La capitale était Ghana % grande cité sise dans le pays de Bâghena.

On assure que ce royaume existait avant l’hégire, que
vingt-deux princes y régnèrent avant cette époque et qu’il y
en eut également vingt-deux qui régnèrent ensuite. Cela
fait en tout quarante-quatre rois. Ils étaient de race blanche,
mais nous ignorons d’où ils tiraient leur origine. Quant à
leurs sujets, c’étaient des Oua’kori’^.

Lorsque cette première dynastie disparut, elle fut rem-
placée par celle de Melli dont les princes étaient de race

1. A l’origine le pays de Melli n’occupait qu’une région de grandeur moyenne
au nord de Ségou cl au nord-ouest de Tombouclou. Plus tard ce royaume s’é-
tendit considérablement, à l’est et à l’ouest surtout, atteignant d’un cAté le
coude du Niger, de l’autre l’océan Atlantique. En même temps il s’étendait vers
le sud, mais dans de moindres proportions.

2. Ou « Qaïa-magha; le mot m«y/ia signifiant « grand » en foulbé.

3. Tandis que Kl-Bekri (édition de Slane, texte arabe, p. 174) et Yaqout (édi-
tion Wiistenfeld, t. HI, p. 770) disent formellement que Ghana n’était pas dans
le voisinage immédiat d’un fleuve, Ibn-Khaldoun {Histoire des Berbères, trad.
de Slane, l. II, p. 110) assure que la ville était formée de deux parties séparées par
le Niger. Sans en avoir encore la certitude complète, on suppose actuellement
que l’emplacement de Ghana correspond à celui de Oualâta. Suivant M. Binger,
le Bâghena serait le Bakounou actuel dont la capitale est Bakouinit.

4. Les mots çfj^^ et (sj^^ désignent les Ouakoré ou Wangara, c’est-à-dire
les Mandé ou Maudingues. La différence d’orthographe du texte arabe provient
soit de ce que la prononciation du mol variait suivant les dialectes, soit de ce
que les caraclf-res arabes ne pouvaient pas les représenter exactement.

 

b

 

CHAPITRE QUATRIÈME 19

noire. Ce royaume prit une très grande extension et arriva
à confiner le territoire de Dienné (> •). On y trouvait’ trois
principautés : Kala’-, Bindougou et Sibridougou. Chacune
de ces principautés avait douze sultans*.

Parmi les sultans de Kala, huit d’entre eux résidaient dans
son île’^; le territoire du premier confinait au pays de Dienné
dont il était le voisin. Ces sultans étaient: le Ouaron-Koï, le
Ouanzo-Koï, le Kama-Koï^ le Fadko-Koï ou Farko-Koï, le
Kirko-Koi, le Kao-Koï, le Farma-Koï et le Zorra-Koï. Quant
aux quatre sultans qui faisaient suite à ces huit premiers, ils
étaient établis de l’autre côté du Fleuve (le Niger) dans la di-
rection du nord. Le premier, le Koukiri-Koï, était fixé dans le
voisinage du pays de Zâgha, du côté de l’ouest; après lui
venaient : le Yâra-Koï, le Sana-Koïetle Sâma-Koï, appelé
aussi le Sanbanba”. Le Fala-Faran’ avait le pas sur ces
sultans et occupait le premier rang lorsqu’on se réunissait

 

1. Mol à mol : « dans ellf était». Le sens de celle phrase n’est pas très précis.
Cependant il semble bien qu’il faille entendre que les trois principautés dont il
est parlé étaient parties intégrantes du royaume de Melli, sans toutefois le cons-
tituer à elles seules: sinon on ne comprendrait guère qu’on parlât de leurs
rapports avec le sultan de Melli, ainsi qu’on le fait plus loin.

2. La ville actuelle de Sokolo occupe la place de l’ancienne capitale du
royaume de Kala. Le Bindougou est le Bandouk actuel.

3. Le mol sultan signifie ici chef de district. Tous les titres de ces chefs étaient
formés du nom du chef-lieu du district suivi du mol Koî ou chef.

4. L’île dont il esl question était sans doute formée par le Niger et le Bani.

5. Ms. G : Kamya-Koï.

6. Ralfs transcrit les titres de ces douze sultans de la manière suivante : Wa-
rabakuji; Walarkuji; Kumaykuji ; Fadkakuji ou Farkakuji; Kurkakuji; Kawa-
kuji ; Faramakuji ; Zarakuji; Kukirikuji; Zarakuji; Sarakuji; Samakuji ou Sam-
bamba.

7. Le début de cette phrase est un peu obscur. Toutefois, il semble impossi-
ble de lire Wafala-Faran comme l’a fait Ralfs, à moins de faire de ces mots une
épithète de Sanbanba. Je crois plutôt que lua est la conjonction, et que Fala-
Faran, ou Qala-Faran, d’après le mss. G, était le titre d’un haut fonctionnaire
de la cour du roi de Melli, sorte de chambellan qui avait le pas sur les gouver-
neurs de provinces et leur servait d’intermédiaire auprès de son maître. Gela
confirmerait la traduction donnée plus haut qui indique Kala, Bindougou et Si-
bridougou comme des principautés vassales du roi de Melli.

 

20 HISTOIRE nu SOUDAN

auprès du souverain de Melli ; c’est lui qui prenait la parole
pour demander conseil au roi.

Les sultans du Bindougou habitaient tous en arrière du
Fleuve (le Niger) du côté du sud’. Le premier d’entre eux
était établi dans le voisinage de la frontière du pays de
Dienné ; il s’appelait le Kao-Koï ; ensuite venaient : le
Kighni-Koï, le Sama-Koï, le Tara-Koï, le Dâ’a-Koi, le Ama-
Koï et le Ta’ba-Koï’-. J’ai oublié le nom des cinq autres.

Les sultans du Sibridougou étaient établis en arrière des
deux premiers et avoisinaient le territoire de Melli.

Le roi de Melli conquit le Songhaï, Tombouctou, Zâgha,
Mima, Bâghena et les environs de cette contrée jusqu’à
l’Océan. Les habitants de cet empire disposaient de forces
nombreuses et leur grande audace ne connut ni bornes ni
limites. Le prince avait sous ses ordres deux généraux^ : un,
pour la partie méridionale ; l’autre, pour la partie septen-
trionale; le premier s’appelait leSanqar-Zouma’*; le second,
le Faran-Sourâ. Chacun d’eux avait sous ses ordres un cer-
tain nombre de caïds et des troupes.

L’arrogance de ces gens, leur turbulence et leurs exac-
tions devinrent telles dans les dernières années de leur dy-
nastie que Dieu les fit périr en les châtiant de sa main. Un
matioç, alors qu’ils se trouvaient ce jour-là réunis au palais
du roi, ils virent apparaître la milice de Dieu sous la forme
de jeunes hommes encore adolescents. Après avoir frappé

 

1. Mot à mot: delà droite. Comme le mot arabe qui désigne le nord signifie éga-
lement la gauche, on comprend qu’au Soudan on ait employé le mol la droite
pour désigner le sud.

2. Selon Halfs, ces litres étaient : Kukuji; Ka’rkuji ; Samarkuji ; Tarakuji;
Da’ukuji ; Amarakuji et Ta’bakuji. Les mss. A et B ont Ka’an-Koi au lien de
Kighni-Koï donné par le ms. C.

3. Le mot caïd qui est dans le texte est pris ici surtout comme titre de chef
militaire.

4. Ou : « portail le titre de Sanqar-Zouma’, tandis que l’autre portait celui de
Faran-Sourâ.

 

CHAPITRE QUATRIEME 21

de leurs glaives et exterminé presque toute la population {\\),
ces messagers célestes disparurent tout d’un coup, par la
vertu du Tout-Puissant, sans que personne ait jamais su
d’où ils étaient venus, ni par où ils s’en étaient allés.

De ce jour commencèrent la faiblesse et l’avilissement de ces
populations ; cela dura jusqu’au règne du prince des Croyants,
Askia-El-Hâdj-Mohammed, qui, ainsi que le firent après lui
ses enfants, guerroya sans cesse contre elles, en sorte qu’il
ne se trouva plus personne parmi elles, qui osât relever la
tête.

La population de l’empire de Melli se divisa en trois
groupes; chacun d’eux eut à sa tête un prétendu sultan; mais
les deux caïds méconnurent l’autorité de ces souverains et
se déclarèrent également indépendants chacun dans son
domaine respectif.

Au temps où la puissance de la dynastie de Melli était
prépondérante, elle avait cherché à soumettre les gens de
Dienné, mais ceux-ci avaient toujours résisté. Dans les nom-
breuses expéditions dirigées par les gens de MeUi, dans les
combats terribles et fréquents qui se renouvelèrent jusqu’à
quatre-vingt-dix-neuf fois contre les gens de Dienné, la vic-
toire resta toujours à ces derniers. On raconte que le nombre
des combats entre les deux peuples devra nécessairement,
dans l’avenir, atteindre le chiffre de cent, et que, cette fois
encore, ce seront les gens de Dienné qui seront les vain-
queurs.

 

22 HISTOIRE DU SOUDAN

CHAPITRE V

DESCRIPTION DE DIENNÉ’ ; NOTICE HISTORIQUE A SON SUJET

Cette ville est grande, florissante et prospère; elle est riche, bénie du Ciel et favorisée par lui. Dieu a accordé à ce pays toutes ces faveurs comme une chose naturelle et innée. Les habitants de Dienné sont bienveillants, aimables et hospitaliers. Toutefois ils sont par nature très enclins à jalouser les heureux de ce monde. Si l’un d’entre eux obtient quelque faveur ou avantage, les autres s’unissent contre lui dans un même sentiment de haine, sans en rien laisser paraître sinon au moment où cette personne est éprouvée par la mauvaise fortune (Dieu nous préserve d’un tel sort!). Alors chacun manifeste en paroles ou en actions toute la haine qu’il avait par-devers lui.

Dienné est un des grands marchés du monde musulman.
Là se rencontrent les marchands du sel provenant des mines de Teghâzza* et ceux qui apportent Tor des mines de Bitou^ Ces deux mines merveilleuses (nt) n’ont pas leurs pareilles dans l’univers entier. Tout le monde trouve grand profit à s’y rendre pour y faire du commerce et on acquiert ainsi des fortunes dont Dieu seul (qu’il soit loué!) peut connaître le chiffre.

C’est à cause de cette ville bénie que les caravanes affluent à Tombouctou de tous les points de l’horizon, de l’est, de l’ouest, du sud et du nord. Elle est située au sud-ouest de Tombouctou, en arrière des deux fleuves, dans une île formée par le Fleuve*. Tantôt les eaux du Fleuve débordent (et se rapprochent), tantôt elles se retirent et s’éloignent peu à peu. Le moment de la grande crue a lieu au mois d’août et c’est en février que les eaux baissent.

A l’origine, la ville avait été bâtie dans un endroit appelé Zoboro” ; plus tard on la déplaça pour la transporter au lieu où elle se trouve actuellement. L’ancienne ville était située près de la ville moderne dans la direction du sud.

Dienné est entourée d’un rempart qui était percé de onze portes. Trois d’entre elles ont été bouchées par la suite, en sorte qu’il n’en reste plus aujourd’hui que huit. Quand, du dehors et à une certaine distance, on regarde la ville, il semble que l’on a devant soi une simple forêt, tant les arbres sont nombreux. Mais, une fois à l’intérieur, on ne se doute-
rait pas qu’il existât un seul arbre dans la région.

La ville a été fondée par des païens au milieu du deuxième siècle de l’hégire du Prophète (sur lui soient les meilleurs saints et bénédictions !) : les habitants ne se convertirent à l’islamisme que vers la fin du VI/XIIè siècle. Le sultan Konboro ^ adopta le premier l’islam et les habitants de la ville suivirent son exemple. Quand Konboro fut décidé à entrer dans le giron de l’islamisme, il donna l’ordre de rassembler tous les ulémas qui étaient alors sur le territoire de la ville ; leur nombre s’éleva à quatre mille deux cents. Il abjura le paganisme en leur présence et leur enjoignit de prier Dieu d’accorder trois choses à Dienné : « 1** que, celui qui, chassé de son pays par l’indigence et la misère, tiendrait habiter cette ville, y trouvât en échange, grâce à Dieu, abondance et richesse, de façon qu’il oubliât son ancienne patrie ; 2″ que la ville fiit peuplée d’un nombre d’étrangers supérieur à celui de ses nationaux (>t); 3° que Dieu privât de patience tous ceux qui viendraient y trafiquer de leurs marchandises, en sorte que, ennuyés de séjourner en cet endroit, ils vendissent à vil prix leurs pacotilles, ce dont bénéficieraient les habitants. » A la suite de ces trois prières on lut le premier chapitre du Coran*, aussi ces prières furent-elles exaucées, ainsi que chacun peut le constater de visu encore aujourd’hui.

Aussitôt converti à l’islamisme, le sultan démolit son palais et le remplaça par un temple destiné au culte du Dieu très-haut ; c’est la grande mosquée actuelle. Il construisit un autre palais pour y installer sa cour, et ce palais avoisine la mosquée du côté est. Le territoire de Dienné est fertile et peuplé ; des marchés nombreux s’y tiennent tous les jours de la semaine. On assure qu’il contient 7.077 villages très rapprochés les uns des autres.

Le fait suivant suffira à donner une idée de la proximité de ces villages les uns par rapport aux autres. Si le sultan, par exemple,a besoin de faire venir un habitant d’un village situé dans le voisinage du lac – Debo, le messager qu’il envoie se rend à une des portes des remparts et, de là, il crie le message qu’il est chargé de transmettre. Les gens, de village à village, répètent cet appel, et le message se trouve parvenir immédiatement à l’intéressé qui se rend à la convocation à lui adressée. Point n’est besoin d’en dire davantage pour montrer combien ce territoire est peuplé.

Le territoire de Dienné s’étend en largeur depuis Kikaï, village voisin du lac Debo au sud de ce lac jusqu’à Bao, ville située dans le voisinage du pays du Ouaron-Koï*. Dans le sens de la longueur il va de Tiuaï, ville à proximité du pays du sultan de Kabara^ jusqu’en arrière des montagnes des Tonbolâ, nom d’une très nombreuse tribu professant le culte des mages ^

Le sultan de Dienné a douze commandants de corps d’armée installés du côté de l’ouest sur le pays de Sana. (^es commandants sont uniquement destinés à guetter l’occasion d’attaquer le Melli-Koï* ou de repousser ses troupes lorsqu’elles viennent sans y être autorisées par le sultan. Parmi ces officiers on peut citer Yausoro, Soasoro, Mâtigho^et Karimou, etc. Le Sana-Faran*^ est leur chef. H y a également douze commandants de corps d’armée installés du côté de l’est, en arrière du Niger, du côté de Titili \

A la mort du sultan Konboro (Dieu lui fasse miséricorde !) ce fut son successeur au trône qui installa les tours (m) qui sont à la mosquée. Le successeur de ce dernier prince bâtit le rempart qui entoure la mosquée. Quant au sultan Adam ce fut le plus remarquable de tous les monarques de Dienué.

Depuis la fondation de la ville, les habitants de Dienné ne furent vaincus par aucun roi jusqu’au jour où Sonni-‘Ali vint les soumettre à son autorité et régner sur eux. Il dut pour cela assiéger la ville durant sept ans, sept mois et sept jours, à ce que racontent les gens du pays. Son camp était installé à Zoboro et c’est de là qu’il venait chaque jour combattre jusqu’au moment où l’inondation du Fleuve entourait Dienné. Alors il s’éloignait avec ses troupes et se reti- rait dans un endroit qui, à raison du séjour qu’il y faisait, fut appelé Nibkatou-Sonni’. Installées là, les troupes culti- vaient le sol en attendant la baisse des eaux ; elles retour- naient alors à Zoboro pour combattre de nouveau. Ainsi se passèrent les choses durant le cours des sept années dont il vient d’être parlé.

Le sultan Abdallah, fils du sultan Abou-Bekr, m’a raconté que les vivres ayant diminué, la population fut réduite à la famine. Malgré cela, elle résistait vigoureusement. Sonni- Ali ignorait ces circonstances ; aussi rebuté de la longueur du siège, il avait décidé de retourner au Songhaï quand un des principaux chefs de l’armée du sultan de Dienné, le grand-père de Ansa-Mani-Sourya-Mohammed, dit-on, lui fit connaître cette situation qu’il ignorait. Cet événement l’aiTeta dans ses projets de départ ; il voulut attendre pour voir comment les choses tourneraient et il redoubla d’efforts.

Le sultan de Dienné consulta alors ses généraux et les principaux officiers de son armée sur la reddition de la place à Sonni-‘AH. Tous furent unanimes à se ranger à cet avis, et l’on députa, à cet effet, un parlementaire au Sonni qui raccueillit avec bienveillance et accepta ses propositions.

A la tête des principaux chefs de son armée, le sultan de Dienné se rendit auprès du Sonni. Arrivé près de lui, il descendit de sa monture et s’avança (\o) à pied jusqu’à son vainqueur qui le reçut cordialement et avec de grands éj^^ards. En voyant un tout jeune homme, le Sonni, qui l’avait pi’is par la main et fait asseoir auprès de lui sur son tapis, s’écria : « (Comment ! c’est contre un enfant que cette lutte a duré si longtemps ! » Mais un des courtisans du prince lui fit remarquer que le père du jeune homme était mort durant le siège en laissant le trône à son fils.

Telles sont les circonstances qui ont amené le sultan de Songhaï et celui de Dienné à prendre place sur le même tapis comme ils le font encore aujourd’hui ‘. Le Sonni demanda la main de la mère du jeune homme et Tépousa. Le sultan Abdallah m’a dit que c’était ce mariage qui avait allongé de sept jours le temps dont nous avons parlé pour la durée du siège.

Le Sonni-‘ Ali envoya un de ses chevaux de selle pour aller chercher sa femme et la ramener à son camp. Dès qu’elle fut arrivée, il renvoya au sultan de Dienné, à titre de cadeau, le cheval qui l’avait portée ainsi que tout le harnachement qui, aujourd’hui encore, est conservé par les habitants de Dienné. Cela fait, le Sonni se mit en route avec sa femme et retourna au Songhaï.

Un de mes confrères m’a raconté avoir entendu le saint personnage en Dieu, Mohammed ‘Oriân-er-râs {?iu de la tête) (que Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse profiter de ses bénédictions !) faire le récit suivant : Sonni-‘Ah assiégea durant quatre ans la ville de Dienné sans obtenir le moindre avantage sur ses habitants . La raison de cet insuccès était uniquemeiit due à ce que les quatre califes, Abou-Bekr, Omar, ‘Otsmâu et ‘AU (Dieu leur témoigne à tous sa satisfaction !) veillaient sur la ville, chacun d’eux en gardant un des quatre coins. Mais une certaine nuit, un des grands personnages de l’armée ayant commis une grave injustice à l’égard d’un pauvre diable, les quatre califes abandonnèrent la ville. Dès le lendemain elle fut conquise par Sonni-‘Ali qui s’en empara et en fit ce qu’il voulut’. Le cheikh, cité ci-dessus, ajoute que, à cette époque, des gens de cœur, qui voient les choses avec la lumière divine, existaient dans ce pays”.

Un autre de mes confrères m’a dit que l’injustice dont le militaire s’était rendu coupable était la suivante : il avait pris de force la femme d’un pauvre diable et, après se l’être appropriée, il avait usé de violence pour la posséder (Dieu nous préserve de telles infamies !). C’est pour ce fait que Dieu punit toute la population et la priva de son indépendance.

J’ai vu aussi, consigné par écrit, le récit d’un lettré^ distingué (>i) qui rapportait que Sonni-‘Ali avait demeuré un an et mi mois à Dienné. Mais il ne spécifiait pas si c’était à ce moment ou une autre fois.

Dieu, le Très-haut, a attiré dans cette ville bénie un cer
1. D’après ce récit le siège n’aurait donc duré que quatre ans.

2. Expression un peu alambiquée pour dire « des saints et des voyants ».

3. Le mol ^U,, « étudiant », s’applique aussi à ceux qui ont achevé leurs étu-
des sans avoir conquis les grades les plus élevés et correspond alors à notre
mol « leltré ».
tain nombre de docteurs et gens pieux, étrangers au pays,
qui y sont venus demeurer ; ces personnages étaient ori-
ginaires de tribus différentes et de contrées diverses. Voici
la biographie de quelques-uns d’entre eux.

Mourimagha-Kankoï^ — Il était originaire de Tâïo,
village situé entre Bigho et Koukir. Il se rendit à Kabara
pour y faire ses études; puis, de là, il se mit en route vers
Dienné au milieu du ix*” siècle de l’hégire, si je ne me
trompe. Jurisconsulte, théologien, saint homme et dévot, il
jouissait d’un grand renom; aussi, les élèves s’empressè-
rent-ils d’accourir à ses leçons, désireux de profiter de son
brillant enseignement.

A minuit, le maître sortait de chez lui et se rendait à la
mosquée pour y répandre sa science. Les étudiants s’as-
seyaient alors autour de lui et suivaient ses cours jusqu’au
moment de faire la prière du matin. La prière terminée, ils
reprenaient leurs places et y restaient jusqu’à midi^ heure
à laquelle le professeur rentrait chez lui. On reprenait les
cours après la prière du dohor et ils se terminaient après la
prière de l’asr.

Telles étaient les habitudes de ce professeur lorsque, un cer-
tain jour qu’il faisait la prière du matin avec l’imam, il
entendit un homme placé à côté de lui faire l’invocation sui-
vante au moment de la prosternation : a mon Dieu ! Mou-
rimagha-Kankoï attriste notre ville, débarrasse-nous dehii! »

Aussitôt qu’il eut fait la salutation finale^, Mourimagha
s’écria : « Seigneur! j’ignore quels torts j’ai eus envers la

 

1. Ou « Mouri-Magha » eu deux mois. Les voyelles ne sont pas indiquées ici dans
le ms. C;mais elles le sont plus loin. Pour tous les noms propres l’orthographe
donnée est presque toujours celle du ms. C,

2. Le mot jlj^l désigne l’heure de midi; la prière du dohor n’a lieu qu’une
Jieure après. Quant à celle de l’asr, on sait qu’elle a lieu au moment intermé-
diaire entre midi et le coucher du soleil.

3. « De la prière ». C’est-à-dire qu’il eut complètement achevé sa prière.

population de cette ville pour qu’on me maudisse ainsi. » Le
même jour il quitta Dienné pour aller à Kouna où il de-
meura. Les gens de Djindjo, ayant appris ce qui s’était passé,
lui envoyèrent une embarcation qui le ramena chez eux où
il resta jusqu’à sa mort (Dieu lui fasse miséricorde et nous
fasse profiter de ses mérites!). Le tombeau de Mourimagha
est bien connu à Djindjo et l’on s’y rend en pèlerinage.

Le jurisconsulte Foudiya-Mohammed-Foudiki’-Sa-
nou-El-Ouankori. — Ce jurisconsulte, théologien, saint
personnage dévot et vertueux, s’établit à Dienné à la fin du
ix^ siècle de l’hégire (>v). Il avait quitté sa patrie, située
sur le territoire de Bito, à la suite de troubles qui y avaient
éclaté et se rendait à Dienné, lorsqu’il lui arriva l’aventure
suivante :

Un jour qu’il avait marché jusqu’au coucher du soleil,
il s’attarda dans un certain endroit pour y faire la prière
du maghreb. Il étendit à terre son burnous, s’installa des-
sus et lit la prière obligatoire. Celle-ci terminée, il se
mit en devoir d’en faire d’autres surérogatoires lorsqu’un
voleur vint par derrière lui et tira tout doucement la partie
du burnous qu’il avait sous un de ses pieds ; le saint
ayant retiré son pied, le voleur tira alors la partie du bur-
nous qui était sous l’autre pied. Même manège du dévot qui
retira son autre pied et resta debout, immobile sans inter-
rompre sa prière. Voyant cela, le voleur, eilrayé, remit le
i>urnous comme il était avant qu’il l’eût tiré et fit acte de
repentir entre les mains de sa victime. Dieu sait mieux que
personne si cela est vrai .

Dans le cours de ce voyage, Foudiya-Mohammed atteignit
Tourà, bourgade située entre Dienné (;t Chini^ où il de-

1. Ce nom Foudiki manque dans les mss. A et B, et celui de Sanou, qui vient
ensuite, remplace celui du ms. A, Sagou, qui a été reproduit dans le texte ini»
primé.

2. China, Kuivanl Jcs mss. A et l{.

meiira. De là, tous les vendredis, ilserendait àDienné pour
y accomplir ses dévotions et personne ne savait qui il était.

Un jour, un des grands personnages de l’entourage du
sultan vit en songe quelqu’un qui lui dit : « Cet homme,
qui vient de Tourâ faire chez vous la prière du vendredi,
assurera contre tout trouble la ville dans laquelle lui et ses
enfants établiront leur résidence ; et, son tombeau, dans
quelque ville qu’il soit, jettera, chez ceux qui voudraient
effrayer les habitants de cette ville, une panique plus grande
que celle que les assaillants chercheraient h produire. » Ce
songe se répéta trois fois. A la troisième fois, le grand per-
sonnage obtint une description du saint homme.

Aussitôt il alla raconter dans tous ses détails son songe
au sultan, qui lui donna l’ordre de guetter l’homme et, dès
qu’il l’aurait vu, de le lui amener. Quand le courtisan vit
celui qui lui avait été décrit en songe, il l’amena au sultan
en lui disant : « C’est bien le personnage qui répond au
signalement que j’ai vu dans mes rêves. »

Le sultan enjoignit à Foudiya de demeurer dans la ville
de Dienné. Foudiya se mit aussitôt à faire démolir le temple
de Tidole que les païens avaient adorée et à faire abattre en
même temps les maisons qui se trouvaient dans son en-
ceinte ; comme (> v) depuis la conversion des habitants à l’isla-
misme elles étaient restées désertes, il les fit restaurer pour
servir de maisons d’habitation. Le sultan en fit don au saint
qu’il traita avec les plus grands honneurs et qu’il entoura de
la plus haute considération. Malgré tout cela, le saint homme
ne voulait fréquenter personne, ni accepter aucune invitation
à dîner. Le sultan insista à diverses reprises sans pouvoir
vaincre sa résistance.

Un jour, cependant, un des vassaux* du sultan, qui avait

1. Mot à mot : « des gens obéissant au sultan ». On pourrait donc aussi traduire
par « serf».

déserté et qui était menacé de mort pour ce fait, vint
trouver le saint et le pria de l’accompagner jusque chez le
prince et de lui sauver la vie. « Ce n’est point mon habi-
tude d’aller chez lui, répondit Foudiya. — Alors, répliqua
l’homme, vous serez responsable de ma mort, car dès demain
mon âme vous accusera quand elle sera devant Dieu, si
vous ne venez pas avec moi. » En entendant ces paroles, le
saint, qui en saisit toute la gravité, surmonta sa répugnance
et partit immédiatement et en toute hâte pour accompagner
son interlocuteur auprès du sultan. Celui-ci fut tout surpris
de cette démarche quand on l’en avisa : il donna l’ordre de
faire entrer le saint et dès qu’il fut informé du but de sa
visite il lui dit : « Je fais grâce à ton protégé et à tous ses pa-
rents de tout crime et de tout délit et je les exonère pour le
reste de leursjours de toute redevance royale. Toutefois c’est
à la condition que tu mangeras avec moi de ma cuisine *. »
Foudiya accepta. On servit le repas et le cheikh tendit la
main pour se servir; mais, avant même d’avoir touché aux
mets, sa main enfla horriblement. « Vous voyez ce qui
m’arrive, dit le cheikh, qui se leva et partit entouré d’es-
time et d’égards. » Le sultan néanmoins laissa en paix le
vassal et ses parents comme il l’avait promis. Telle est la
puissance que Dieu accorde aux saints et aux hommes ver-
tueux.

Lorsque le saint homme en Dieu, le jurisconsulte Sidi
Mohammed-ben-‘Omar-ben-Mohammed-Aqit vint à Dienné,
il vit Foudiya et admira beaucoup sa conduite. De retour à
Tombouctou il en fit grand éloge. Ce fut à la suite de cela
que lors de son retour du pèlerinage,le prince des Croyants
Askia-El-IIâdj-Mohammed, investit Foudiya des fonctions de

i . C’est une croyance assez répandue que de se croire à l’abri de toute tra-
hison de la part de celui qui a mangé avec vous. Le prince craignait sans doute
que le saint ne voulût à un moment donné agir contre lui.

cadi de Dienné. Il fut dans cette ville le premier cadi chargé
de régler les contestations des habitants selon la loi musul-
mane. Auparavant les différends étaient portés devant le
khatib* qui les tranchait en conciliant les parties. Telle est
encore la coutume des nègres, mais les blancs prennent pour
juges les cadis. C’est ainsi que les choses se pratiquent de
nos jours.

Tout ce qui vient d’être rapporté au sujet des vertus du
cheikh a été vu et constaté par bien des gens. Quant aux
prières faites sur son tombeau, elles sont toutes exaucées
d’une façon complète. Ce tombeau est situé dans une cour
(\\) de la mosquée, près du mihrab qui est situé dans le
mur qui ferme la mosquée au nord. Dieu fasse miséricorde
à ce cheikh, lui témoigne sa satisfaction et attire sur nous
une partie de ses bénédictions. Amen!

Le cadi El-‘Abbas-Kibi. — Habitant de Dienné, Oua’-
kri d’origine, ce personnage était en même temps que juris-
consulte et théologien remarquable, un homme éminent,
bon et généreux. 11 avait un grand fonds de générosité. Son
tombeau est situé à l’intérieur de la mosquée près de Tex-
trémité du côté du sud. Dieu lui fasse miséricorde!

Le cadi Mahmoud-ben-Abou-Bekr-Baghyo o, père
des deux savants éminents : le jurisconsulte Mohammed-
Baghyo o et le jurisconsulte Ahmed-Baghyo’o. — Habi-
tant de Dienné, Ouankori d’origine, c’était un jurisconsulte
et un théologien remarquable. Après la mort du cadi El-
Abbas-Kibi, en l’année 959 (1552), il fut investi des fonc-
tions de cadi par l’ordre du fils de l’émir Askia-El-Hâdj-
Mohammed, Askia-lshâq, après le retour de celui-ci de l’ex-
pédition de Ta’ba.

Le cadi Ahmed-Torfo, fils du cadi ‘Omar-Torfo. —
Originaire de Dienné et habitant cette ville, il y exerça les

1. « Le prédicateur de la mosquée » qui faisait fonction d’arbitre.

{Histoire du Soudan.) ‘S

fonctions de prédicateur, puis d’imam de la mosquée et
enfin celles de cadi. Il cumula ces trois charges ; au moment
de son départ pour le pèlerinage il se fit suppléer en qualité
de prédicateur par le khatib Mama, comme imam de la
mosquée par l’imam Yahya et enfin comme cadi par le cadi
Mouaddib’-Bokar-Terouari. 11 mourut à La Mecque (Dieu lui
fasse miséricorde!) et chacun des trois suppléants devint titu-
laire de sa fonction. Quant au cadi Bokar, dont il vient d’être
parlé, il était originaire de Kala et appartenait à la famille
royale de ce pays. Il se voua à la piété tout en étant au
pouvoir, et, esclave de la science, il dut à ces vertus les fa-
veurs divines.

Le cadi Mohammed-Benba-Kenâti. — D’origine
ouankori, il fut un jurisconsulte et un savant illustre. Il fut
nommé cadi après la mort du cadi Bokar-Terouari. Il fut le
dernier cadi sous la dynastie des Soudaniens’-.

Tels sont les savants célèbres de la ville de Dienné. Nous
n’avons donné leurs noms dans ce livre qu’à cause de la
renommée qu’ils acquirent par leur science. Que leur men
tion attire sur nous les bénédictions du Ciel !

Voici la liste des cadis dans l’ordre où ils se succédèrent.
Le cadi Mohammed-Foudiya-Sânou ; le cadi Fouko; le cadi
Kanâdji ; le cadi (r») Tanatâ’o^ ; le cadi Sonqomo; le cadi
El- Abbâs-Kibi ; lecadi Mahmoud-Baghyo’o ; le cadi Omar-
Torfo ; le cadi Tolmà-KiHsi^; le cadi Ahmed-Torfo, fils du
cadi Omar-Torfo ^; le cadi Mouaddib-Bokar^-ïerouari ; le
cadi Mohammed-Benba-Kanàti. Tels furent les cadis depuis

1. Ce mot, au lieu dNHre un nom propre, pourrait être traduit par « profes-
seur », mais il faudrait alors qu’il eût l’article défini.

2. C’est-à-dire avant la conquête du Soudan par le sultan du Maroc.

3. Ou Tinitâ’o.

4. Ce nom manque dans la liste des mss. A et R.

5. Les mss. A ot H donnent simplement EI-‘Abbas-Torfo. El-‘Abbâsest ici pour
Abou l-‘Abbâsqui précède souvent le nom de Ahmed.

6. Rokar est l’abréviation de Abou-Rekr, prononcé vulgairement liou-Rakar.

 

CHAPITRE SEPTIÈME 35

le commencement de la dynastie du prince des Croyants
Askia-El-Hàdj-Mohammed jusqu’à sa fin.

On trouvera plus loin, s’il plaît à Dieu, la liste des cadis de
cette ville qui leur ont succédé, lorsqu’il sera question de la
dynastie ahmédienne, hachémite, abbaside, molouïenne du
souverain de Merrâkech (Dieu lui fasse misécorde!). Quant
aux savants de race blanche’, il y eut un grand nombre qui
se fixèrent h Dienné et qui venaient de Tombouctou. Nous en
citerons quelques-uns, si Dieu veut, quand nous ferons l’obi-
tuaire des personnages de la dynastie ahmédienne susdite.

 

CHAPITRE VII

 

TOMBOUCTOU ET SA FONDATION

Cette ville fut fondée par les Touareg Maghcharen à la fin du V* siècle de l’hégire. Ils venaient dans ces contrées pour faire paître leurs troupeaux : durant la saison d’été, ils campaient sur les bords du Niger dans le village de Amadagha; à l’automne, ils se mettaient en route et gagnaient Araouan* où ils demeuraient. C’était leur limite extrême dans la région des hautes terres. Enfin, ils choisirent l’emplacement qu’occupe actuellement cette ville exquise, pure, délicieuse, illustre (y>), cité bénie, plantureuse et animée qui est ma patrie et ce que j’ai de plus cher au monde.

Jamais Tombouctou n’a été souillée par le culte des idoles ; sur son sol personne ne s’est jamais agenouillé que devant le Clément. Elle est la retraite des savants et des dévots, le séjour habituel des saints et des hommes pieux.

Au début c’est là que se rencontraient les voyageurs venus par terre et par eau; ils en avaient fait un entrepôt pour leurs ustensiles et leurs grains. Bientôt cet endroit devint le carrefour des voyageurs qui y passaient à l’aller et au retour. Ils confiaient la garde de leurs objets à une esclave appelée Tombouctou ^ mot qui, dans la langue du pays, signifie « la vieille » et c’est d’elle que ce lieu béni a pris son nom.

Plus tard on commença à s’étabUr à demeure en cet endroit où, par la volonté de Dieu, la population alla en croissant. On y venait de toutes parts et de tous fieux et bientôt ce fut une place de commerce. Tout d abord, les gens de Ouaghdou étaient ceux qui s’y rendaient en plus grand nombre pour trafiquer, puis il vint des négociants de toutes les régions voisines.
Auparavant le centre commercial était à Biro ; on y Voyait affluer les caravanes de tous les pays, et de grands savants, de pieux personnages, des gens riches de toute race et de tout pays s’y fixèrent : il y en avait de l’Egypte, de Audjela, du Fezzân, de Ghadamès, du Touât, du Draa, du Tafilalet, de Fez, du Sous, de Bitou, etc..

Tout cela se transporta à Tombouctou peu à peu et finit par s’y concentrer entièrement ; en outre, toutes les tribus des Senhâdja se joignirent à ces éléments de la population. La prospérité de Tombouctou fut la ruine de Biro.

Sa civilisation lui vint uniquement du Maghreb, aussi bien sous le rapport de la religion que sous le rapport des transactions. Au début, les demeures des habitants consistaient en enclos d’épines, enpaillottes; puis elles se transformèrent en huttes d’argile. Enfin la ville fut entourée de murs très bas, en sorte que du dehors on voyait ce qui se passait au dedans. On bâtit ensuite une grande mosquée suffisante pour les besoins, puis la mosquée de Sankoré* ; celui qui (tv) alors se tenait à la porte de la ville ^ voyait ceux qui entraient dans la grande mosquée, tant à cette époque la ville avait peu de murs et de constructions . Ce fut seulement à la fin du Ixè siècle que la prospérité de la ville prit définitivement son essor; l’enchevêtrement des maisons et la continuité des constructions ne s’acheva que dans le milieu du x^ siècle, sous le règne de Askia-Daoud, fils de l’émir Askia-El-Hâdj-Mohammed.

Ainsi qu’il a été dit précédemment, la première dynastie qui régna à Tombouctou fut celle des gens de Melli ; elle dura cent ans^ à partir de l’armée 737 (1336-1337). Les Touareg Maghcharen dominèrent ensuite durant quarante ans à partir de l’année 837 (1433-1434); après eux, vint Sonni-‘Ali dont le règne, commencé en 873 (1468-1469)\. dura vingt-quatre ans. Il fut remplacé par le prince des Croyants, Askia-El-Hâdj-Mohammed, dont le règne, ainsi que celui de ses successeurs, dura cent un ans du 14 de Djomada II de l’année 898 au 17 de Djomada II de l’année 999 (2 avril 1493-12 avril 1591). Enfin le pouvoir échut au chérif hachémite, le sultan Moulay Ahmed Eddehebi dont la domination commença avec la chute de la dynastie des gens du Songhaï, c’est-à-dire le 17 de Djomada II de l’année 999 (12 avril 1591). Voici aujourd’hui soixante-cinq ans que le règne de ce prince et de ses successeurs a commencé.

Au cours du règne du sultan Akil, les Touareg continuèrent, comme par le passé, d’habiter sous des tentes dans la campagne et de nomadiser à la recherche des pâturages. Le gouvernement de la ville était confié, pendant ce temps, au Tombouctou-Koy-, Mohammed-Naddi, homme de la race des Senhâdja, de la tribu de Adjor et originaire de Chenguit^ patrie d’origine de cette tribu, comme Tichît est la patrie d’origine des gens du Masina et des gens de Tafarast-Biro qui sont également venus de l’ouest*. La mère de Mohammed-Naddi était la fille de Souma-‘Otsmân. Déjà, sous la dynastie des gens de Melli, il avait occupé cette haute situation et son titre seul fut modifié avec le changement de dynastie. Il avait tous les pouvoirs entre les mains, pou- voirs administratifs, financiers et autres; enfin, il était le chef de la cité.

1. Tout le commencement de ce paragraphe manque dans le ms. C.

2. En langue songhaï : « le chef de Tombouctou ». La nature exacte de ses
fonctions se trouve indiquée à la fin du paragraphe.

3. Le ras. C. porte l’orthographe JojUi, « Chenyyit ». Sur cette transfor-
mation du g en dioa yi, cf. Hacquard et Dupuis, Manuel de la langue snngay.
Paris, 1897, p. 3, note . Chinguit est la principale ville de l’Adrar, contrée au
sud du .Maroc et Ticliit est le chef-lieu du Tagant, province au sud-est de l’A-
drar.

4. Il serait plus exact de dire nord-ouest.

Mohammed-Naddi fit (yv) coastruire la mosquée bien
connue et désigna, pour y remplir le poste d’imam, son
compagnon et ami, le saint éminent, le pôle parfait, Sidi
Yahya-Et-Tâdelsi. Les deux amis moururent à la même
époque vers la fin du règne des Touareg.

Arrivé au terme de sa vie, le cheikh Mohammed-Naddi fit
un rêve. Durant une certaine nuit, il lui sembla voir le soleil
se coucher et la lune disparaître immédiatement après. Il
raconta son rêve à Sidi Yahya qui lui dit : « Si tu ne dois
pas t’efïrayer, je vais te l’expliquer. — Je ne m’effraierai
point, répliqua Mohammed. — Eh! bien, reprit son compa-
gnon, je vais mourir et tu mourras peu après moi. » Puis,
comme Mohammed manifestait alors une vive angoisse, il
ajouta : « Ne m’as-tu donc pas dit que tu ne serais pas ef-
frayé. — Mon angoisse, répartit Mohammed, ne vient pas
de la crainte de la mort : elle est uniquement motivée
par ma soUicitude pour mes jeunes enfants. — Confie alors
à Dieu le soin de veiller sur eux, » répHqua le saint homme.

Puis, Sidi Yahya mourut et peu après Mohammed le sui-
vit dans la tombe (Dieu leur fasse miséricorde !). On enterra
les deux amis l’un près de l’autre dans la même mosquée.

Ou assure que, vers la tin de sa vie, Mohammed avait
perdu la vue. Il ne malmena jamais personne, sauf la nuit
de la mort de Sidi Yabya. Quand la foule se précipita* au
convoi funèbre, il se mit à frapper tout le monde avec un
fouet, ce qu’il n’aurait pas fait s’il avait joui encore de sa
vue.

Après la mortde Mohammed-Naddi, le sultan Akil nomma
Ammâr, le fils aîné du défunt, pour remplir les fonctions
qu’avait exercées le père.

1. Quand le défunt est un grand personnage ou un saint, on se bouscule lit-
téralement pour porter la civière ne fût-ce qu’une seconde, car c’est un des
moyens d’attirer sur soi les bénédictions du Ciel.

La fin de la domination des Touareg fut marquée par
d’odieuses exactions sans nombre et des actes d’une violente
tyrannie. Les Touareg semaient partout la désolation; ils
entraient de force dans les maisons et y violaient les femmes.
Akil défendit aux habitants de Tombouctou de payer la re-
devance habituelle au Tombouctou-Koï. Sur le montant
total des impôts il était d’usage que le gouverneur prélevât
le tiers ; mais quand le sultan venait de ses campements et
entrait dans la ville, il se servait de cet argent pour vêtir ses
gens, leur donner des repas et faire toutes ses largesses.
Quant aux deux autres tiers, il les distribuait à ses serviteurs
dévoués.

Un jour qu’il avait reçu 3.000 mitsqâls d’or, il les répartit
en trois parts à l’aide d’une baguette qu’il tenait à la main,
car la coutume veut que ces princes ne touchent jamais l’or
avec leurs doigts. « Cette première part, dit-il, est pour vous
acheter des vêtements; cette seconde pour vos fouets* et la
troisième je vous en fais cadeau. — Mais, répliquèrent les
serviteurs, il est d’usage que cette part revienne au Tom-
bouctou-Koï. — Qui est donc le Tombouctou-Koï? qu’est-ce
que cela signifie? à quoi sert-il? Emportez tout cela, c’est à
vous. »

Très irrité de ces paroles, le gouverneur employa toute
son astuce (ti) pour se venger du sultan. 11 dépêcha en se-
cret un messager au Sonni-‘Ali pour l’engager à venir à
Tombouctou, en hn promettant de lui livrer cette ville dont
il deviendrait ainsi le souverain. Il lui dépeignit la situation
de Akil en toutes choses, lui montrant la faiblesse de l’auto-
rité de ce prince et son manque de vigueur physique. Le
messager remit comme preuves de la sincérité de ses dires
une des chaussures du gouverneur. Ce messager, qui était

i. Pcut-élre eM-r.o. uno expression métaphorique dans le genre du mot
« fîuides » en l’ranrais.

maigre ottrès petit*, fut richement récompensé par Sonni-
‘Ali.

Un jour que Akil et le Tombouctou-Koï ‘Ammâr étaient
assis tous deux sur la colline de Amadagha, ils virent tout à
coup des cavaliers du Sonni-‘Ali arrêtés sur les bords du
Niger du côté de Gourma. Akil résolut aussitôt de fuir et il
partit avec les jurisconsultes de Sankoré pour gagner Biro.

L’autorité des Touareg ne s’était jamais étendue au-delà
du Fleuve. Le Tombouctou-Koï se mit aussitôt à expédier des
embarcations pour permettre aux cavaliers de traverser le
Fleuve. Puis, quand Sonni-‘Ali arriva venant de la direction
de Haoussa, ‘Ammâr prit à son tour la fuite vers Biro, crai-
gnant que Sonni-‘Ali ne voulût le punir de la résistance
qu’il lui avait faite auparavant. S’adressant à son frère El-
Mokhtâr-ben-Mohammed-Naddi, il lui dit au moment de
partir : « Cet homme voudra sûrement se venger de moi.
Reste donc ici en arrière et demain va le trouver toi-même
en personne comme pour lui donner des nouvelles et tlis-lui :
Depuis hier nous n’avons pas vu mon frère ; je tiens pour
certain qu’il a pris la fuite. Si tu es le premier à lui annon-
cer cette nouvelle, il est probable, si Dieu veut, qu’il te
nommera Tombouctou-Koï et alors notre maison sera pro-
tégée par Dieu. Si tu ne suis pas ce conseil, il me tuera et
te tuera également ; il démolira notre maison et dispersera
les membres de notre famille. »

Par la volonté et la puissance de Dieu, les choses se pas-
sèrent comme l’avait prévu Ammâr qui était un homme in-
teUigent, fin et rusé. Sonni-‘Ali entra dans Tombouctou et

 

1. La phrase est assez mal construite pour qu’on puisse aussi bien attribuer
ces épllhètes au gouverneur qu’au messager. Il semble que celte indication a
simplement pour objet de montrer que, grâce à sa maigreur et à sa petite taille,
qui lui permettaient de mieux dissimuler sa présence, le messager avait pu fa-
cilement échapper à la vigilance des Touareg.

 

42 HISTOIRE DU SOUDAN

mina la ville, comme cela sera raconté plus loin, s’il plaît
à Dieu, à la suite de l’énumération des savants et saints
personnages qui ont habité Tombouctou. Dieu nous fasse
participer à leurs bénédictions dans ce monde et dans
l’autre !

 

CHAPITRE VIII (to)

NOTICE SUR LES TOUAREG

Les Touareg sont les Messoufa qui rattachent leur généalogie aux Senhâdja, qui, eux-mêmes, font remonter leur origine à Ilimyar, ainsi qu’il est dit dans l’ouvrage intitulé : E l-holel el-mououachiya p dikr el-akhhdr El-Merrdkochiya. Voici le texte de ce passage : Ces Lemtoun remontent jusqu’aux Lemtouna qui sont les enfants de Lemt. Lemt, DjedâP, Lamth, Mestouf se rattachent aux Senhâdja. Lemt est l’ancêtre des Lemtouna; Djedâl, celui des Djedâla; Lamth, celui des Lamtha et Mestouf celui des Messoufa^ Ce sont des nomades qui s’enfoncent dans le Sahara (ou les déserts) ; ils ne peuvent jamais demeurer en place et n’ont aucune ville dans laquelle ils se réfugient. Leurs parcours dans le Sahara s’étendent jusqu’à deux mois de marche’^ entre le pays des Noirs et le pays de l’Islam.

1. L’aulenr dit lui-même qu’il n’a pas transcrit intégralement le passage de l’ouvrage qu’il cite. Le seul point intéressant à relever et qu’il n’ait point cité c’est que, d’après Abou-Abdallah-Ez-Zohri, les habitants du Soudan, dont Ghana était la capitale, ont professé la religion chrétienne jusqu’en l’année 469 de rhégire (1076-1077), époque à laquelle ils se convertirent à l’islamisme (cf. ms. arabe de la Bibliothèque nationale, n” 1873, f» 5 r”, ligne 13).

Ils sont musulmans, suivent la Sonna et font la guerre
sainte aux nègres. Les Senhâdja font remonter leur origine
jusqu’à Himyar. Ils n’ont de liens de parenté avec les
Berbers que parles femmes. Ils sont venus du Yémen et se
sont rendus dans le Sahara, leur patrie actuelle dans le
Maghreb. La cause de leur venue dans ce pays est la sui-
vante : Il y avait un roi Tobba’\ qui n’avait pas eu son pa-
reil parmi les princes de son pays, et qui avait dépassé tous
ses prédécesseurs par sa supériorité, sa puissance royale,
et par les expéditions lointaines qu’il avait dirigées contre
ses ennemis, soumettant à la fois les peuples arabes et étran-
gers, en sorte qu’il avait fait oublier la gloire de tous les
peuples qui l’avaient précédé. Ce prince avait appris par
les récits d’un certain rabbin l’histoire des événements et
l’existence des livres révélés par Dieu à son Prophète (ri)
(que sur lui soit le salut!), livres annonçant que Dieu enver-
rait un nouvel envoyé qui clorait la série des prophètes et
qui irait parmi toutes les nations. Le prince crut à ce récit;
il ajouta foi à ce qui lui fut rapporté et il récita à ce sujet
des vers dans lesquels il disait :

Je témoigne en faveur de Ahmed qu’il est l’envoyé de Dieu, le créa-
teur des hommes.

Si ma vie était ajoutée à la sienne je deviendrais son vizir et son
cousin.

Cette pièce de vers est longue et son histoire est connue.
Le prince se rendit dans le Yémen et invita les habitants de
son royaume à adopter ses croyances. Mais personne n’y
consentit sauf un groupe des gens de Himyar. Après la
mort de ce prince les païens eurent le dessus sur les croyants.
Tous ceux qui avaient cru comme le Tobbâ furent tués,

i. Il s’agit probablement du premier Tobba Harits-Errâïch, puisque la tradi-
tion arabe veut que les Sanhâdja soient venus en Afrique sous le règne du
Tobba Africous (cf. Caussin de Perceval, Essai sur l’histoire des Arabes, t. I*””,
pp. 59 et 67).

lèrent le visage à rimitation de ce que faisaient leurs femmes
à cette époque, puis ils s’enfuirent et se dispersèrent dans
toutes les contrées comme les tribus de Saba. Telle fut la
raison qui fît partir les ancêtres des hommes voilés du Yé-
men, et ce furent les premiers peuples qui fîrent usage du
voile. Marchant de contrée en contrée, d’endroit en endroit
pendant une série de jours et de temps, ils arrivèrent au
Maghreb extrême, le pays des Berbers. Là ils s’installèrent
comme dans une nouvelle patrie. Le voile qu’ils avaient
adopté par une faveur divine les avait sauvés de leurs ennemis,
aussi dans leur enthousiasme le gardèrent-ils définitivement.
11 fit dorénavant partie de leur costume, de celui de leurs des-
cendants et encore aujourd’hui personne d’entre eux ne l’a
quitté. Leur langue prit de l’analogie avec le berber par
suite du contact qu’ils eurent avec les Berbers au milieu des-
quels ils vécurent et avec lesquels ils s’allièrent par des ma-
riages.

Cefut l’émir Abou-Bekr-ben-‘Omar-ben-lbrahim-ben-Toua-
riqit’ le Lemtounien, le fondateur de la cité rouge de Merrâ-
kech, qui chassa ces populations du Maghreb dans le Sahara
à l’époque où, les Djedâla ayant razzié les Lemtouna, il dési-
gna pour son lieutenant au Maghreb son cousin Yousof-ben-
Tàchefin.

Ici se termine la citation dutexte que nous avons résumé.

i. Ibn-Khaldoiin dit que Abou-Hekr élait le frère de Yahya-Ibn-‘Omar-Ibn-
Telagaguin (De Slane, Histoire des Jierbéres, t. II, p. 68) et que ce fui Yoiiçof-
Ibn-Tàchefln qui fonda la ville de Maroc (Morrâkech) en l’année 454 (1062).
D’après l’auteur du El-Holel ce fut Abou-Bekr qui fit bâiir Merrâkecli en l’an-
n<‘!e 502 (1069-1070) (f» 4 v). Dans le ms. C le dernier paragraphe de cette ci-
tation se trouve placé avant la notice sur les Touareg.

 

CHAPITRE NEUVIÈME 45

 

CHAPITRE ÏX(tv) BIOGRAPHIE DES PRINCIPAUX SAVANTS ET SAINTS PERSONNAGES QUI
ONT HABITÉ TOMBOUCTOU A DIVERSES ÉPOQUES (Dieu leur fasse miséricorde, leur témoigne sa satisfaction et nous fasse proflter de leur influence dans ce monde et dans l’autre!). MENTION DE LEURS MÉRITES ET DE LEURS ŒUVRES.

A ce sujet il suffira de reproduire ce qui a été rapporté
par des personnes dignes de foi d’après le maître, le docte,
l’éminent, le saint personnage, auteur de prodiges et de mi-
racles, le jurisconsulte, le cadi Mohammed-El-Kabari (Dieu
lui fasse miséricorde!). Voici, en effet, ce qu’il a dit : « J’ai
connu des saints de Sankoré dont les vertus n’ont jamais
été dépassées par personne, sinon par les Compagnons de
l’Envoyé de Dieu (Dieu répande sur lui le salut et les bé-
nédictions et qu’il leur témoigne à tous sa satisfaction!).
Parmi ces personnages, nous citerons :

Le jurisconsulte El-Hâdj , grand-père du cadi Abderrahman-ben-Abou-Bekr-ben-El-Hâdj. — Il fut investi des fonctions de cadi de Tombouctou dans les dernières années delà dynastie des gens de Melli. Le premier il ordonna de lire la moitié d’un hizb du Coran comme enseignement’. Cette lec-ture avait lieu dans la mosquée de Sankoré après la prière de l’asr et après la prière du soir. Ainsi que son frère, le jurisconsulte Ibrahim, il était venu de Biro, et il s’établit à

1 . Le hizh est une des divisions du Coran qui a été partagé en soixante S3C-
tions portant ce nom. Je pense que la lecture ou récitation de ces hizb avait
pour objet d’apprendre le Coran aux fidèles; le texte à cet égard n’est pas très
précis.

 

46 HISTOIRE DU SOUDAN

Benka*, où se trouve son tombeau qui est bien connu et
auquel on se rend en pèlerinage.

On assure que c’était un thaumaturge, et notre maître,
l’éminent, l’ascète, le jurisconsulte, El-Amîn-ben-Ahmed, a
rapporté le fait suivant : Ce fut de son temps que le sultan
du Mossi fit son expédition contre Benka. La population de
cette localité sortit pour combattre l’ennemi, et à ce moment
un certain nombre de personnes étaient assises auprès de
El-Hàdj. Celui-ci prononça certaines paroles sur du millet
et invita les assistants à en manger. Tous en mangèrent sauf
une seule personne, le gendre de El-Hâdj, qui n’osa pas le
faire à cause des liens de parenté qui l’unissaient à lui.
« Allez maintenant au combat, dit alors le saint, et vous
n’aurez rien à redouter des traits de l’ennemi. » Tous, en
effet, revinrent sains et saufs, et il n’y eut que la personne
qui n’avait pas mangé de millet qui mourût dans ce combat.
Le sultan du Mossi, mis en déroute, fut chassé ainsi que ses
troupes sans avoir obtenu le moindre avantage sur les gens
de Benka et cela grâce à la protection de ce saint personnage
béni.

C’est de cet El-Hâdj que descendait le saint personnage
en Dieu (ta), le jurisconsulte Ibrahim, fils du saint juriscon-
sulte, le cadi Omar demeurant à Yendibo o^ Le père et le
fils furent tous deux de fervents adorateurs de Dieu.

Ce fut Askia-El-Hâdj-Mohammed qui nomma Omar aux
fonctions de cadi dans cette contrée. Ce dernier avait un
neveu (fils de sa sœur) qui, de temps à autre, allait en pèle-
rinage^ à Tombouctou. Le cadi de cette ville, le juriscon-

 

i. Ou : « Binga >».

2. Ou encore <‘ Yendiboglio ». Le ms. C orthographie Yendobo’o. On trouve
très souvent le c à la place du ê et réciproquement.

3. Ou : « visiter ». Le verbe jlj s’emploie le plus souvent pour indiquer des
visites pieuses.

 

CHAPITKE iNEUVIÉMb: 47

suite Mahmoud, vint se plaindre à l’émir Askia-El-Hâdj-
Mohammed de ce que ce neveu épiait ce qu’il disait et le
rapportait ensuite aux gens de Yendibo’o. Quand le prince
campa à Tila, le cadi ‘Omar entouré des notables de la ville
de Yendibo’o vint le saluer. « Où est ce neveu ? de-
manda le prince. — Le voici, lui répondit-on. — Alors,
ajouta-t-il, c’est toi qui rapportes à ton oncle maternel les
propos tenus par le jurisconsulte Mahmoud. » En enten-
dant ce discours, le cadi Omar s’écria plein de colère:
« C’est toi qui es cause de toutes ces intrigues, puisque tu
as nommé un cadi à Tombouctou et un autre à Yendibo’o ! »
Là-dessus le cadi fort irrité se dirigea vers le port en disant
à ses compagnons : « Partons, traversons le Fleuve et allons-
nous-en! » Arrivé sur le bord du Fleuve, le cadi allait y
entrer quand on lui dit : « La barque n’est pas encore arri-
vée, attends qu’elle vienne. — Et s’il n’y en avait pas? »
répondit-il. Ses compagnons, comprenant qu’il voulait tra-
verser le Fleuve sans attendre l’embarcation, le retinrent et
le firent asseoir jusqu’au moment où la barque étant arri-
vée tous ensemble passèrent le Fleuve (Dieu leur fasse
miséricorde et nous fasse profiter d’eux ! Amen !).

Le jurisconsulte Abou- Abdallah-Anda-Ag-Moham-
med ‘-ben-Mohammed-ben- Otsmân-ben-Moham-
med-ben-Nouh, trésor de science, de mérites et de ver-
tus. De lui sont issus de nombreux maîtres de la science et
saints personnages : les uns du côté paternel, d’autres du
côté maternel et d’autres enfin des deux côtés à la fois. Cet
illustre savant fut cadi des musulmans.

Le très docte jurisconsulte Ahmed-Baba (Dieu lui fasse
miséricorde !) a dit: « Ce fut le premier de mes ancêtres

 

1. Il serait plus conforme à la transcription littérale du mot de dire « Gha-
mohammed »; mais, ici encore, la voyelle initiale du mot a disparu et Gha est
mis pour Ag qui signifie : « fils »«

 

48 HISTOIRE DU SOUDAN

qui s’adonna à la science, autant que je puis le savoir ; il
était mon trisaïeul paternel, le père de la mère de mon grand –
père. Il fut nommé aux fonctions de cadi de Tombouctou
au milieu du ix^ siècle. — « J’ajoute qu’à ce moment les
Touareg régnaient dans cette ville ». — Après lui, continue
Ahmed-Baba, ce fut Omar, le père de mon grand-père ; il
fut également un jurisconsulte, un théologien, un pieux
personnage ; il avait suivi les cours du jurisconsulte, le ver-
tueux cadi Mouaddib-Mohammed-El-Kabari. » Ici se ter-
mine la citation en résumé des paroles du jurisconsulte
Ahmed-Baba.

Le fils du précédent, le jurisconsulte El-Mokhtâr,
grammairien et érudit dans toutes les branches de la science
(t^). il fut, ainsi que son père, le contemporain du juris-
consulte du savant, du pôle, du saint personnage en Dieu,
Sidi Yahya-Et-Tàdelsi (Dieu leur fasse à tous miséricorde et
leur témoigne sa satisfaction!). Il mourut vers la fin de l’an-
née 922 (1516).

Le frère du précédent, le jurisconsulte Abderrahmân.
— 11 possédait à fond le Tehdib^ de El-Beràdi’i. Homme
pieux et doux, il mourut sans laisser d’autre postérité qu’une
fille unique.

Le petit-fils d’Abou-Abdallah,, Abou- l-‘Abbâs-Ahmed-
Boryo-ben-Ahmed-ben-Anda-Ag-Mohammed. —
Ce pieux savant se détacha des biens de ce monde et vécut
dans la plus grande humilité. Il fut le professeur d’un grand
nombre de maîtres de la science parmi les modernes habi-
tants de Sankoré (Dieu lui fasse miséricorde!).

Un autre petit-fils d’Abou-Abdallah, nommé Abou-Abd-
allah-Anda-Ag-Mohammed, fils du jurisconsulte El-

1. Le titre complet de cet ouvrage de droit malékile est : Âîjjdl JîL«* ^ij^

Aia^\i composé en 372 (982) par Abou-Sa’îd-Khaiaf-ben-Aboul-Qâsim-EI-
HecÀdi’i.

 

CHAPITIIE NEUVIÈME 49

Mokhtâr, le grammairien, le fils de Anda-Ag-Mohammed,
fut imam de la mosquée de Sankoré; il fut nommé à ce
poste par le cheikh-el-islam, le père des bénédictions, le
jurisconsulte et cadi Mahmoud, lorsque celui-ci, à cause de
son grand âge, résigna ses fonctions. C’était un savant ti-
mide, modeste, humble, plein de confiance en Dieu et connu
par sa connaissance de la langue arabe : il célébra la gloire
du Prophète (que Dieu répande sur lui ses bénédictions et
lui accorde le salut!) et durant le ramadan, dans la mos-
quée de Sankoré il faisait une lecture complète du livre du
cadi ‘lyâd, intitules qui vont suivre.

3. On écrit tantôt ‘4\ji^, tantôt ;i!ljir.

 

CHAPITRE DIXIÈME 61

il était bien élevé, chaste, distingué, plein d’amour pour le
Prophète et s’astreignant sans cesse à la lecture des poèmes
en l’honneur de Mahomet et à celle de la Chifa de
‘lyâd. Jurisconsulte, lexicographe, grammairien, prosodiste
et érudit, il s’occupa de science toute sa vie. Ses livres furent
nombreux, écrits de sa main avec de copieuses annotations.
A sa mort il laissa environ 700 volumes. Il avait étudié sous
son grand-père maternel, le jurisconsulte Anda-Ag-Moham-
med et sous son oncle maternel, le jurisconsulte El-Mokhtàr,
le grammairien, et sons d’autres maîtres encore.

Il voyagea en Orient en l’année 890 (1485) et fit le pèle-
rinage de La Mecque. Là il rencontra El-Djelàl-Es-Soyouti et
le cheikh Khàled-El-Ouaqqâd-El-Azhari, le prince des gram-
mairiens, et d’autres personnages. Il revint à l’époque de la
révolte du Kharédjite Soimi-‘Ali, visita Kano et d’autres
^illes du Soudan. Il enseigna la théologie et réussit dans son
enseignement, dont profitèrent de nombreuses personnes,
parmi lesquelles la plus illustre fut le jurisconsulte Mahmoud
à qui il enseigna entre autres choses la Modaououana\ Ce
fut un savant de premier ordre comme professeur et érudit.
Il travailla jusqu’à sa mort qui eut heu un jeudi soir du mois
de rebi’ II de l’année 943 (septembre-octobre 1536) ; il avait
alors environ 80 ans. On lui offrit les fonctions d’imam,
mais il les refusa, ainsi que d’autres emplois de moindre im-
portance.

Un de ses plus célèbres miracles est le suivant : Lorsqu’il
visita le noble tombeau (du Prophète), il demanda (t/\) à
pénétrer à l’intérieur du monument. Le gardien l’en empê-
cha. Il s’assit alors au dehors et se mita célébrer les louanges
du Prophète. Aussitôt la porte s’ouvrit d’elle-même sans
cause apparente. On s’empressa à l’instant autour de lui

1. Traité de droit malékite de Sahnoun, cadi de Qaïrouân-

 

62 HISTOIRE DU SOUDAN

pour lui baiser la main. C’est ainsi quej ‘ai entendu raconter
cette histoire par plusieurs personnes*.

Abdallah-ben-‘ Omar-ben-Mohammed-Aqît ben-
‘Omar-ben- ‘ Ali-ben- Yahya, le Senhadjien, le Messoufite.
— 11 était le frère germain de mon grand-père dont il vient
d’être parlé. Jurisconsulte,. érudit, ascète, homme modeste,
vertueux, saint, de la plus grande réserve, de la plus grande
piété et doué d’une excellente mémoire, il enseigna à
Oualâten. Il mourut dans cette ville en l’année 929 (1522-
1523) ; il était né en 866 (1461-1462). Il a fait quelques mi-
racles ^ •

Mahmoud-ben – Omar-ben- Mohammed- Aqît-
ben-‘Omiar-ben- Ali-ben- Yahya-ben- Godàla, le
Senhadjien, le Tombouctien; cadi de Tombouctou, ce père
de l’éloge et des belles actions fut par excellence et sans
conteste le savant, le saint, le professeur, le jurisconsulte et
l’imam du pays de Tekrourl II fut une des meilleures créa-
tures de Dieu parmi les saints et les savants en Dieu. Il avait
une fermeté énergique en toutes choses, une orthodoxie
parfaite, du calme, de la dignité et de la majesté.

Sa science et ses vertus étaient célèbres dans le pays et
sa renommée s’était étendue dans toutes les contrées, à l’esl,
à l’ouest, au sud et au nord. Les dons du ciel se manifes-
taient chez lui dans sa piété, ses vertus, son ascétisme et son
humeur enjouée. Il ne redoutait aucune critique, d’où qu’elle
vînt, quand il s’agissait des prescriptions de Dieu. Tout le
monde le respectait; le sultan comme les personnages de
moindre importance étaient à ses ordres; ils le visitaient
dans sa maison, lui demandaient sa bénédiction sans qu’il

1. Celle biographie se trouve à la page 8 de VEssai sur la liltéralure arabe au
Soudan.

2. Voir Vhssai, p. 9.

3. !>c nom de ïciiroiir csl celui d’une province du Soudan; mais il s’emploie
souvenl pour dcîsiguer le Soudan enlier.

 

CHAPITRE DIXIÈME 63

se dérangeât pour eux. On’ lui apportait de l’argent et les
cadeaux affluaient chez lui. Il était libéral et généreux.

11 fut nommé cadi en l’année 904 (1498-1499). Il rendit
bonne justice en toutes choses, se montrant énergique en
faveur du droit et menaçant envers ceux qui avaient tort. Sa
justice était célèbre au point qu’on ne lui connut point de rival
sous ce rapport à cette époque. Il s’occupait aussi d’ensei-
gner. Le droit dans sa bouche était chose douce et aisée, facile
à comprendre, prompte à s’assimiler, et n’imposant aucune
fatigue *. Nombre de gens profitèrent de ses leçons. La science ,
grâce à lui, vécut dans son pays ; les étudiants en droit de-
vinrent plus nombreux ; beaucoup d’entre eux se distinguè-
rent dans cette étude et devinrent de vrais savants. Les ou-
vrages qu’il faisait surtout étudier étaient : la Modaouoiiana^
la Risdla\ le Mokhtasar de KheUI, YAlfiya^^ la Seldldjiya,
Il fut le propagateur de l’ouvrage de Khelil au Soudan et
couvrit son exemplaire d’annotations qu’un de ses élèves fit
paraître, sous forme de commentaire, en deux volumes.

Il fit le pèlerinage de La Mecque en l’année 915 (1510),
et fut en relations, au cours de ce voyage, avec des maîtres,
tels que : Ibrahim-Kl-Moqadessi, le cheikh Zakariya, El-
Qalqachandi (disciples de Ibn-Hadjar), les deux El-Laqqàni
et autres. Là il fit apprécier ses mérites, puis il revint dans
son pays où il s’appliqua à se rendre utile (^r^) et à faire
triompher le droit. Sa vie fut longue et il connut à la fois les
pères et les fils.

Il enseigna durant environ cinquante ans et ne s’arrêta
qu’à sa mort survenue en 955 le jeudi soir, 16 du mois de
ramadan (19 octobre 1548). H atteignit à un haut degré
de gloire et jouit d’une très grande réputation. La renommée

1. La langue du droit musulman eslsouvent obscure pour les profanes.

2. La Risâla d’Abou-Zeïd-El-Qaïrouâni est un ouvrage de droit malékite très
répandu.

3. Grammaire arabe en vers d’Ibn-Malek,

 

64 HISTOIRE DU SOUDAN

de ses vertus parvint à un point que nul autre que lui n’attei-
gnit. Il était né en l’année 868 (1463-1464). Il fut le pro-
fesseur de mon père (Dieu lui fasse miséricorde!), de trois
de ses enfants, les cadis Mohammed, El-‘Aqib et Omar et
de bien d’autres.

Makhiouf-ben- Ali-ben-Sâlih-El-Belbâli. — Juris-
consulte, géographe*, il ne s’adonna à l’étude que dans un
âge avancé, à ce que l’on assure. Le premier de ses maîtres
fut le vertueux personnage, Sidi Abdallah-ben-‘Omar-ben
Mohammed-Aqît, le frère germain de mon grand-père qui
était alors à Oualàten. Il étudia d’abord la Risdla, puis son
maître voyant qu’il avait de grandes dispositions l’engagea
à poursuivre ses études. Plein d’ardeur, il partit pour le
Maroc où il étudia sous la direction de Ibn-Ohâzi et d’autres.
Il fut célèbre parla puissance de sa mémoire et, à ce sujet,
on raconte des choses étonnantes.

Il parcourut le pays du Soudan, alla entre autres à Kano,
à Kachena, etc. Il enseigna dans ces diverses localités et
eut des discussions au sujet de procès connus avec le juris-
consulte El-‘Aqib-El-Ansamanni. Ensuite il se rendit à Tom-
bouctou 011 il enseigna également, puis il retourna au Maroc
et fit un cours dans la ville de Merrâkech. Empoisonné dans
cette ville, il tomba malade et rentra dans sa patrie où il
mourut îiprès Tannée 940 (1533-1534)'”.

Mohammed-ben-Ahmed-ben-Abou-Mohamined-
Et-Tazakhti, connu sous le nom de Aida-Ahmed. — Aida,
qui s écrit avec un hamza accom})agné d’un «, un ya sans
voyelles,, unr/r//avec voyelle a, est en rapport d’annexion avec
le nom de Ahmed et signifie fis. Jurisconsulte, théologien,
traditionni.ste, homme très sagace et très érudit, excellent
calligraphe, Ij-ès porté à la discussion avec sa vive intelli-

1. Mol à mol : « sachant par cœur des relations de voyages ».

2. Cf. \’Es$ai, p. 7.

 

CHAPITRE DIXIÈME 65

gence, il étudia dans son pays sous la direction de mon
grand-père, le jurisconsulte El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar et
sous celle de son oncle maternel, le jurisconsulte ‘Ali et de-
vint un érudit.

A Takeda, il rencontra l’imam El-Moghili* et assista à ses
cours, puis il partit pour l’Orient en compagnie du juriscon-
sulte Sidi Mahmoud et eut occasion d’entrer en relations
avec d’illustres savants, tels que : le cheikh-el-islam Zaka-
riya, le dialecticien El-Qalqachandi, Ibn-Abou-Chérif, Abd-
elhaqq-Es-Soubâti et quantité d’autres. Il prit d’eux des
leçons de hadits, écouta leur enseignement oral (i • ) et leurs
discussions; il en tira si grand profit qu’il fut un maître dis-
tingué en toutes matièj-es et qu’il mérita le titre de tradi-
tionniste.

Il assista au cours des deux frères El-Laqqâni et se lia
d’amitié avec Ahmed-ben-Mohammed et Abdelhaqq-Es-Sou-
bâti. A La Mecque il reçut des diplômes du père des béné-
dictions En-Nouaïri, du cousin paternel de celui-ci Abdelqâdcr,
d”Ali-ben-Naser-El-Hidjâzi, d’Abou-‘t-Tayyeb-El-Bosti et
d’autres. Il revint ensuite au Soudan et se fixa à Kachena
dont le sultan le traita avec égards et lui confia les fonctions
de cadi. Il mourut aux environs de l’année 936 (1529-1530),
Agé de soixante et quelques années. Il est l’auteur d’annota-
tions et de notes marginales sur le texte du Mokhtasar du
cheikh KheliP.

Mohammed-ben-Mahmoud-ben-‘Omar-ben-Mo-
hammed- Aqît-ben- Omar-ben- ‘Ali-ben-Yahya, le
Senhadjien, cadi de Tombouctou. — Ce jurisconsulte était
très inteUigent, très sagace ; son esprit perçant en faisait
un des hommes les plus sensés et les plus avisés. Il succéda

 

1. Célèbre savant originaire de Tiemcen. Sa biographie est donnée dans !’£*.-
saX, p. 10.

2. Cf. \Esmi, p. 18.

[Histoire du Soudan.) ‘ S

 

66 HISTOIRE DU SOUDAN

à son père dans les fonctions de cadi. La fortune lui fut
favorable; il obtint tous les honneurs quil désira et amassa
des biens considérables. Il a fait un commentaire du poème
en redjez deEl-Moghili sur la logique. Mon père avait étudié
sous lui la rhétorique et la logique. Il mourut au mois de
safar de l’an 973 (septembre 1565) ; il était né en 909 (1503-

1504).

El- Aqîb-ben-Mahmoud-ben-‘Omar-ben-Mohani-
med-Aqît-ben- Omar-ben-‘Ali-ben-Yahya, le Sen-
hadjien, cadi de Tombouctou. — D’une famille de savants et
de membres du clergé, il rendait des jugements justement
motivés. Ferme dans la voie du droit, il ne redoutait au-
cune critique quand il s’agissait des prescriptions de Dieu.
Très énergique et très entreprenant dans les affaires dont il
s’occupait, il résistait au sidtan comme aux autres et ne
tenait aucun compte de leurs observations. Il eut, à ce pro-
pos, un certain nombre d’aventures. Tout le monde se fai-
sait humble devant lui, le redoutait et obéissait à tout ce
qu’il voulait. Quand il voyait quelque chose qui lui déplai-
sait, il se retirait à l’écart, fermait sa porte et il fallait user
de grands ménagements pour qu’il revînt. Cela lui arriva
fréquemment.

Doué d’une grande clairvoyance en affaires, sa perspica-
cité n’était jamais mise en défaut ; on eût dit qu’il voyait
dans l’avenir. Très à son aise comme fortune, heureux dans
toutes ses entreprises, il était considéré, craint et très res-
pecté. Il prit des leçons de (i>) son père et de son oncle pa-
ternel. Il lit le pèlerinage de La Mecque et vit alors En-
Nàsir-El-Laqqani, Abou’-l-Hasen-El-Bekri, le cheikh El-Bai-
kouri’ et leurs collègues. El-Laqqâni lui délivra des diplômes
sur toutes les matières qu’il enseignait soit d’après ses

1. Ou liechkouri.

 

CHAPITRE DIXIEME 67

propres sources, soit d’après celles de ses maîtres. Il me*
délivra les mêmes diplômes écrits de sa main. Mohammed
était né en 913 (1507); il mourut au mois de redjeb de
l’année 991 (août 1583)-.

El-‘Aqît-ben-Abdallah-El-Ansaininani, le Messou-
fite, originaire de Takeda, village peuplé de Senhadjiens à
proximité du Soudan. Jurisconsulte avisé, intelligence fine,
esprit vif, il s’adonna à la science. Il avait la langue affilée.
Il est l’auteur d’annotations dont la plus remarquable est
celle qu’il fit sur ces paroles de Khelil : « L’intention de
celui qui jure doit être spécifiée. » J’ai abrégé cet ouvrage
en y ajoutant des citations prises à d’autres auteurs et en ai
fait un volume auquel j’ai donné le titre de : Tenbih el-oud-
qif’ala tahrir khomHt niyatou H-hâlif. Il avait publié aussi
un traité sur l’obligation de la prière du vendredi en com-
mun dans le village d’Ansammani, contrairement à l’opinion
d’autres auteurs : c’est lui qui avait raison. Il est également
l’auteur des livres : El-djaoudb el-medjdoud ‘an as’ilat el-
qddi Mohammed-ben- Mahmoud ei Adfouibat el-faqîr ‘an asH-
lat el-émir^ ce dernier en réponse à l’émir Askia-El-Hâdj-Mo-
hammed, et d’autres ouvrages. Il reçut les leçons de El-
Moghili, de El-Djelàl-Es-Soyouti et d’autres maîtres. Il eut
une discussion avec le hafid El-Belbàli sur certaines ques-
tions. Il vivait encore aux environs de l’année 950 (1543).

Abou-Bekr-ben-Ahmed-Bir-ben-‘Omar ben-Mo-
hammed-Aqît, Tombouctien de naissance, il fixa sa rési-
dence dans la noble ville de Médine. C’était mon oncle pa-
ternel. Il était bon, doué d’une belle voix, réservé, ascète,
pieux, craignant Dieu. C’était un saint béni connu par ses
vertus, et d’une piété, d’une réserve, d’une bonté évidentes.
D’une foi solide, il pratiquait beaucoup l’aumône et la bien-

1. C’est Ahmed-Baba, dont on reproduit le texte, qui parle.

2. Cf. l’Essai, p. 20.

 

68 HISTOIRE DU SOUDAN

faisaiice, gardant rarement quelque chose par-devers lui
malgré ses faibles ressources. Il était d’une ardeur incom-
parable pour le bien et fut ainsi dès son jeune âge. Il fit le
pèlerinage de La Mecque et fréqnenta les lieux saints, puis
il retourna dans son pays à cause de ses enfants qu’il ra-
mena avec lui. Après avoir fait de nouveau le pèlerinage, il
se fixa à Médine où il demeura jusqu’à sa mort survenue au
commencement de l’année 991 (fin janvier ou février 1583);
il était né en 932 (1526-1527). Il fut mon premier profes-
seur de syntaxe ; grâce à la protection divine dont il jouis-
sait je fis de grands progrès et, en peu de temps, sans efforts,
j’arrivai à être maître de cette branche de la science. Il eut
de glorieux moments. Toujours craintif envers Dieu et at-
tentif à lui plaire, il donnait de sages conseils aux hommes.
Il sanglotait sans cesse (iv) et sa langue s’humectait pour
louer Dieu et mentionner souvent son nom. Très ouvert
avec tout le monde, il était un des meilleurs saints de la
terre. Il repoussa la fortune et se priva de ses éclats, bien
qu’il appartînt à une famille jouissant d’une haute considé-
ration. Je n’aijamaisvuson pareil, ni même quelqu’un qui en
approchât par ses mérites. Il a laissé quelques petits traités
sur le soufisme et sur d’autres sujets ^

Ahmed-ben-Ahmed-ben- Omar-ben-Mohammed-
Aqît-ben-‘Omar-ben-Ali-ben-Yahya, mon père. — Ju-
risconsulte, théologien, fils de jurisconsulte et théologien,
c’était un esprit fin et sagace. Érudit, traditionniste, il avait
tout étudié, la théorie du droit, la rhétorique, la logique. De
cœur sensible, il jouissait d’une grande estime et d’une haute
considération auprès des princes et auprès de tout le monde.
Il se plaisait à user de son influence et jamais son interven-
tion n’était repoussée. 11 était ferme à l’égard des rois comme

1. Cf. VEssai, p. 24,

 

CHAPITRE DIXIÈMK 69

à l’égard des autres, aussi tous avaient-ils pour lui le plus
profond respect. On allait lui rendre visite chez lui et, quand,
dans un de ses voyages, il tomba malade à Kàglio, le grand
sultan Askia-Daoud, pour lui rendre honneur, venait le voir
chaque nuit pour veiller et causer avec lui jusqu’à ce qu’il
fut guéri. Son pouvoir et sa gloire étaient célèbres ; personne
n’osait lui résister tant était grande son autorité. Il aimait
les gens de bien et se montrait humble avec eux, n’ayant
jamais de haine contre personne et rendant justice à tous. 11
était amateur de livres ; sa bibliothèque bien garnie conte-
nait tous les ouvrages rares et précieux ; il les prétait volon-
tiers.

11 avait pris des leçons de son oncle paternel, la bénédic-
tion de cette époque, Mahmoud-ben-‘Omar et d’autres maîtres.
Il voyagea en Orient en l’année 956 (1549); il fit le pèleri-
nage de La Mecque et visita le tombeau du Prophète. Dans
ce voyage, il entra en relations avec de nombreux savants
tels que En-Nàsir-El-Laqqani, le chérif Youcef, disciple de
Es-Soyouti, El-Djemal, fils du cheikh Zakariya, El-Adjhouri,
Et-Tadjouri. A La Mecque et à Médine il rencontra Amîn-ed-
dîn-El-Meïmouni, El-Mellaï, Ibn-Hadjar, Abdelaziz-El-Lamti,
Abdelmo’ti-Es-Sekhaouï, Abdelqader-El-Fakihi, etc. Il pro-
fita de l’entretien de ces savants, mais il fréquenta surtout
assidûment Aboul-Makârim-Mohammed-El-Bekri et jouit de
sa protection divine. Il nota un certain nombre de proposi-
tions de ce maître et rentra ensuite dans son pays, où il fit
quelques cours.

Il a commenté le tekhmis ‘ des ‘Achriniydt el-fazdziya.,
poème [ix) en Thonneur du Prophète; il fit également un
excellent commentaire du poème de El-Moghili sur la lo-

l. Cette sorte de développement d’une pièce de poésie consiste à ajouter qua-
tre vers à chacun des vers d’un poème de façon à former des strophes de cinq
vers.

 

70 HISTOIRE DU SOUDAN

giqiie et des gloses sur un passage de Khelil; puis il com-
posa sur le commentaire de Et-Tataï, des gloses marginales
pour montrer les passages inexacts de cet ouvrage; il com-
menta encore la Sog/wa^ de Es-Senousi, la Qortobiya\ les
Zj/*ome?/M’El-Khoundji sur les osoid^, mais il n’acheva pas la
plupart de ces travaux. Pendant vingt et quelques années,
durant le mois de redjeb et les deux mois suivants il expli-
qua les deux Sahih, Il mourut le dimanche soir, 17 du mois
de cha’ban de l’année 991 (6 septembre 1583).

Comme sa parole était devenue embarrassée, un jour que,
dans la mosquée, il lisait le Sahih de Moslem, notre
maître le très docte Mohammed-Baghyo o, qui était assis en
face de lui, lui fit signe d’interrompre sa lecture. Le lundi
suivant il mourut. Parmi ses nombreux disciples il faut ci-
ter : les deux jurisconsultes vertueux, notre maître Moham-
med et son frère Ahmed, tous deux fils du jurisconsulte
Mahmoud-Baghyo’o; ils étudièrent sous lui les osoul^ la
rhétorique et la logique; les deux jurisconsultes et frères
Abdallah et Abderrahman, fils tous deux du jurisconsulte
Mahmoud, et d’autres encore. Moi-même j’ai suivi ses cours
sur de nombreuses matières et il m’a délivré des diplômes
de licence sur tout ce qu’il enseignait selon son système ou
selon un système d’emprunt, .l’ai étudié avec lui les deux
Sahih, la Mouatta^ et la Chifa. Il était né au commencement
de moharrem de l’année 929 (novembre-décembre 1522).
Après sa mort (Dieu lui fasse miséricorde !) je l’ai vu dans
un beau songe ^

1. Titre abrégé d’un ouvrage sur les dogmes do la fol composé par Moham-
med-bcn-Youccf-Es-Senousi; le titre complet est : ^^^^l lxJuù\.

2. Poème qui traite des devoirs du musulman.

3. Traité de logique par Ibn-Nâmâwar-El-Khoundji.

4. C’est le nom que l’on donne à la science qui s’occupe de la théorie du droit
ou aux principes dont il dérive.

5. Titre d’un recueil de traditions publiée d’après Malik-ben-Anas, le fonda-
teur de la doctrine malékite.

G. Cf. VEssai,^. 21.

 

CHAPITRE DIXIÈME 71

Ahmed-ben-Mohammed-ben-Said, fils de la fille
du jurisconsulte Mahmoud-ben-‘Omar. — Jurisconsulte, théo-
logien, érudit et professeur, il assista une fois aux leçons de
son grand-père sur la Risala et le Mokhtasar de Khelil. Il
étudia sous d’autres maîtres le Mokhtasar et la Modaououana.
La population profita de ses talents de l’année 960 (1553) jus-
qu’au moment de sa mort, survenue en moharrem, le pre-
mier mois de l’année 976 (juillet 1568).

Le jurisconsulte, notre maître Mohammed et son frère
Ahmed également jurisconsulte. — Celui ci étudia sous la
direction du précédent* la Mouatta^ la Modaououana^ le
Mokhtasar de Khelil et d’autres ouvrages. Il est l’auteur
d’une glose marginale sur Khelil où il s’occupe à la fois et
de la forme et du fonds. Il naquit en 931 (1524-1525). Jel’ai
connu étant tout jeune et ai assisté à son cours.

Mohammed-ben-Mahmoud-ben-Abou-Bekr, le
Ouankori, le ïombouctien . — Il est plus connu sous le nom de
Baghyo o [ba avec la voyelle «, ghàin avec le djezm^ y a avec
la voyelle o et ‘aiUi avec la voyelle o). Il fut notre maître et
notre protecteur. Jurisconsulte, théologien, érudit, vertueux,
pieux, dévot (li), il était une des meilleures créatures ver-
tueuses de Dieu, un savant pratiquant, un homme empreint
de bonté ; il était d’une loyauté parfaite, d’une nature pure.
Il était tellement porté au bien et à croire que tout le monde
était comme lui qu’il avait une excellente opinion des autres
et qu’il les considérait, pour ainsi dire, comme étant ses
égaux en bons sentiments et n’ayant aucune connaissance
du mal.

Il s’occupait des affaires des autres, se nuisant au besoin
pour leur rendre service. Il était indulgent pour leurs fai-

1. Cette notice est fort mal rédigée. Après avoir parlé des deux frères au dé-
but, on ne parle plus que d’un seul et le nom du personnage sous lequel l’auteur
étudia n’est indiqué que par un pronom qui semble se rapporter au savant
Ahmed dont la biographie seule est donnée.

 

72 HISTOIRE DU SOUDAN

blesses, cherchait à les mettre d’accord et les engageait à
aimer la science, à suivre ses enseignements, à y employer
tous leurs instants, à fréquenter les savants et à être d’uue
docilité parfaite. Il prodiguait à tous ses livres les plus pré-
cieux, les plus rares et auxquels il tenait le plus; jamais il
ne les réclamait ensuite, quelle que fût la science dont ils
traitaient. Il perdit ainsi une grande quantité de ses livres
(Dieu lui en sache gré !). Parfois un étudiant se présentait
à sa porte et demandait un livre ; il le donnait sans même
savoir à qui il avait affaire. C’était vraiment étonnant qu’il
agît ainsi ; il le faisait pour être agréable à Dieu, malgré la
passion qu’il avait pour les livres qu’il collectionnait avec
ardeur soit en en achetant, soit en en faisant copier.

Un jour j’allai le trouver pour lui demander des ouvrages
de grammaire. Il chercha dans sa bibliothèque et me donna
tous ceux qu’il y put trouver. Il avait une grande patience
pour enseigner ; il y consacrait tous les instants du jour et
et quand il s’agissait de faire apprendre quelque chose d’u-
tile à un bélitre, il ne se décourageait pas et ne se rebutait
jamais. Les personnes présentes en étaient obsédées, mais
lui n’y prenait point garde. C’était au point qu’un jour j’en-
tendis un de nos condisciples, étonné de sa patience, dire :
« Je crois que ce jurisconsulte a bu de l’eau de Zemzem ‘ pour
n’être point rebuté de l’enseignement. » Cela ne l’empêchait
pas de se consacrer aux actes de piété.

Il ne croyait pas à la mauvaise foi des gens et avait tou-
jours bonne opinion des autres tant qu’ils n’avaient commis
aucune faute et même s’ils avaient commis quelque faute.
Il ne s’occupait que de ce qui le regardait et s’abstenait de
prendre part aux bavardages ; il s’était drapé dans le plus

 

1. Les eaux du puits de Zemzem, puits situé dans l’enceinte du temple de La
Mecque, passent pour avoir la puissance de guérir bien des maux et de donner
nombre de vertus.

 

CHAPITRE DIXIEME 73

magnifique manteau de la discrétion et de la réserve. Il te-
nait ferme en sa main le solide étendard de la continence.
Calme et digne, d’une nature d’élite et d’une modestie qui
rendait faciles les rapports avec lui, il avait séduit tous les
cœurs. Tout le monde était unanime à faire de lui le plus
grand cas. On ne voyait que gens épris de lui, le glorifiant
et faisant sincèrement son éloge.

Sa longanimité était telle qu’il ne refusait jamais d’ensei-
gner à un débutant ou à un esprit borné. Il passa toute sa
vie à enseigner tout en s’occupant activement des affaires du
peuple et des affaires des cadis. On n’aurait pu lui trouver
un remplaçant ni rencontrer son pareil.

Le sultan lui offrit le gouvernement de son palais ‘ ; il re-
fusa d’accepter l’offre qui lui était faite et la rejeta après
avoir insisté auprès du prince (lo); il fut ainsi délivré par
Dieu de ce souci.

Il s’adonna à renseignement surtout après la mort de Sidi
Ahmed-ben-Mohammed-ben-Saï’d. Quand je le connus, il
commençait ses cours aussitôt après la prière du matin et les
continuait jusqu’au grand doha’^ en variant les sujets qu’il
traitait. Alors il rentrait chez lui et y faisait la prière du doha\
puis, parfois, il allait alors chez le cadi s’occuper des affaires
des gens ou les concilier entre eux . Après cela il continuait
d’enseigner chez lui jusqu’à midi; il faisait la prière du dohor
avec tous les fidèles et reprenait ses cours jusqu’à V’asr. Cette
dernière prière faite, il se rendait dans un autre endroit pour
enseigner de nouveau jusqu’au crépuscule ou à peu de
chose près jusqu’à ce moment. Après le maghreb^ il ensei-

1. Lesmss. A et B donnent H^ qui signifie « armée ». Il ne serait pas im-
possible d’ailleurs que le prince eût songé à lui confier le commandement de ses
troupes; on sait que le cadi Asad dirigea une expédition en Sicile. Le ms. G
écrit Jaï» et le sens serait alors de « palais » ; celte dernière leçon est plus
probable que la première.

2. Le doha a lieu vers neuf heures et demie du matin,

3. La prière du coucher du soleil.

 

74 HISTOIRE DU SOUDAN

gnait à la mosquée jusqu’à V^acha^ et alors il rentrait chez
lui. J’ai même entendu dire qu’il venait toujours à la mos-
quée à la fin de la nuit.

Esprit subtil, sagace, fin, éveillé, méticuleux, prompt à
la risposte, rapide à comprendre, d’une intelligence lumi-
neuse, il était taciturne, silencieux, grave. Parfois cepen-
dant il se déridait ou encore il lançait à ses auditeurs quel-
que trait qui témoignait de sa supériorité intellectuelle bien
connue et de la promptitude de son entendement. Il avait
appris l’arabe, et le droit avec deux vertueux jurisconsultes,
son père et son oncle maternel.

En même temps que son frère, le vertueux jurisconsulte
Ahmed, il se fixa à Tombouctou. Tous deux suivirent assi-
dûment les leçons des jurisconsultes Atimed-ben-Mohammed-
ben-Sa’ïd sur le Mokhtasar de Khelil ; puis ils partirent en
pèlerinage à La Mecque avec leur oncle maternel. Dans ce
voyage ils rencontrèrent En-Nâsir-El-Laqqâni, Et-Tadjouri,
le chérif Youcef-El-Aumayouni, El-Barahamouchi^ lehana
fite, l’imam Mohammed-El-Bekri et d’autres savants et pro-
fitèrent de leurs entretiens. Ils rentrèrent dans leur pays
lors de la mort de leur oncle maternel et, après avoir accompli
le pèlerinage, ils s’établirent à Tombouctou, où ils étudièrent,
sous la direction de Ibn-Sa’ïd, le droit et la tradition. Ils
expliquèrent avec lui la Mouatta^ la Modaououana^ le Mokh-
tasar^ etc. Avec mon père, ils étudièrent les osoul, la rhéto-
rique et la logique en expliquant les Osoul d’Es-Sebki et le
Telkhis el-miftah^. Puis, après la mort de son frère, Mo-
hammed seul étudia également avec mon père les Djomel
d’El-Khoundji. En même temps il se livrait à l’enscigne-

1. La prière qui a lieu à la nuit tombante.

2. Ou : « El-Barahamnouch », suivant le ms. C.

3. Le ^UAll j4.^ est un traité de rhétorique de Djelâl-ed-Dîn-Moliammed-Kl-
Qazoulni.

 

CHAPITRE DIXIÈME 75

ment et devint pins tard le plus grand maître de son époqne
sans qne personne pût lui être comparé.

J’ai suivi assidûment ses cours pendant plus de dix ans ;
j’ai vu avec lui huit fois environ le Mokhtasar de Khelil en
entier avec les interprétations qu’il en donnait (l’y) et celles
qu’il tenait des autres. J’ai étudié avec lui, de façon à en
avoir l’intelligence complète, la Mouatta ; le Teshil^ d’Ibn-
Mâlek que j’ai examiné à fond et sous toutes ses faces du-
rant trois ans ; les Osoul d’Es-Sebki avec le commentaire
d’El-Mahalli, vu à fond trois fois ; XAlfiya ^ de El-Irâqi avec
commentaire de l’auteur ; le Telkhis el-miftah avec l’abrégé
de Es-Saad, deux fois, au moins ; la Soghra d’Es-Senousi ;
le commentaire de El-Djezairiya ^ ; les Hikem*’ d’Ibn-‘Ata-
AUah, avec commentaire de Zerrouq ;le Nad/n^ d’Abou-Mo-
qra’a et la Hachemiya sur l’astrologie avec leurs commen-
taires ; la Moqaddima ® d’Et-Tadjouri à ce sujet ; le Redjez ‘
d’El-Moghili sur la logique ; la Khazeredjia^ sur la métrique,
avec le commentaire du chérif Es-Sibti ; une grande partie de
la Tohfat el-hokkdm’^ d’Ibn-‘Acem avec le commentaire du
fils de l’auteur; tout cela d’après ses interprétations. J’ai

1. Le titre complet est : jusUll J;«5^j jS\yà\ J-^^’, C’est un traité de
grammaire en prose composé par l’auteur de VAlfiya, Djemâl-el-Dtn-Mohammed-
ibn-Malek.

2. Traité en vers sur les traditions, par Abd-er-Rahim-ben-El-Hosaïn-El-Atsiri
El-Irâqi.

3. Poème sur l’unité de Dieu de (/jTi^^A-l 4)j| jui- ^ j^l.

4. Traité de morale et de mysticisme par ‘Ata-Allah-Tâdj-ed-Dîn-Ahmed-El-
Iskenderâni-Ech-Chadzili. Le titre en est : iJLt*JI SX-\.

5. Probablement le poème de pJu •! sur le calcul des nativités.

6. Peut-être l’ouvrage intitulé ; vJ’ÂlI Ac j AmJÂm de Mohammed-ben-Idris.
C’est un traité pour déterminer l’heure des prières.

7. C’est sans doute le poème indiqué sous le numéro 11 dans la liste donnée
par Cherbonneau (cf. VEssai, p. 13).

8. Poème didactique sur la prosodie par Diya-ed-Dîn-Abdallah-ben-Moham-
med-El-Khazradji.

9. Traité de droit malékite en vers (cf. G. Houdas et F. Martel, La Tohfat
d’Ebn-Acem, texte et traduction, Alger, 1882).

 

76 HISTOIRE DU SOUDAN

également étudié avec lui les Ferai * d’ibn FI Hâdjob, étude
complète et critique. J’ai assisté à ses cours sur le Taudih ^,
mais il ne m’en expliqua qu’une partie depuis le chapitre du
dépôt jusqu’au chapitre des jugements. J’ai encore étudié
avec lui une grande partie du Ei-Monteq a d’El-Bâdji ; la Mo-
daououana avec commentaire d’Abou-‘l-Hasen-Ez-Zerouaïli,
la Chifa d”Iyâd ; la moitié du Sahih d’El-Bokhari avec son
interprétation et la totalité du Sahih de Moslim à plusieurs
reprises; le Modkhel d’Ibn El-Hâdjeb ^ ; enfin j’ai assisté à
quelques-unes de ses leçons sur la Risala, VAlpya, etc. J’ai
commenté avec lui le Coran subhme jusqu’au milieu de la
sourate de l’A’raf*; je lui ai entendu lire en entier le Djaini
el-miydr^ de El-Ouancherisi, ouvrage qui forme un gros vo-
lume, et d’autres matières encore. J’ai discuté souvent avec
lui sur des points douteux et ai eu recours à sa science sur
des questions importantes. Pour tout dire il fut mon profes-
seur, mon maître et personne ne m’a été aussi utile que lui,
soit par lui-même, soit par ses livres (Dieu lui fasse miséri
corde et lui accorde le paradis en récompense !). Il m’a dé-
livré des diplômes de licence écrits de sa main sur les ma-
tières qu’il enseignait suivant sa méthode ou suivant celle
d’autrui. Je lui ai communiqué un certain nombre de mes
ouvrages ; il y a mis de sa main des annotations flatteuses
pour moi ; il a même reproduit les résultats de certaines de
mes recherches et je l’ai entendu en citer quelques-unes dans
ses leçons, ce qui prouve son impartialité, sa modestie et
son respect pour la vérité en toute circonstance. 11 était avec

1, Sans doute le ^^^1 ^„^,i«» d’Ibn-El-Hadjeb.

2, C’est le ^r^y de Sidi Klielil.

3, Le ms. C a El-Hadjeb, au lieu de El-Hâdj qui se trouve également dans
Cherbonneau.

k. C’est le litre de la vu” sourate du Coran.

5. Ouvrage de jurisprudence de Ahmed-ben-Yahya-ben-Mohammcd ben-Abd-
elouahid-ben-Ali-El-Ouancherisi.

 

CHAPITRE DIXIÈME 77

nous le jour de notre malheur *. Ce fut la dernière fois que
je le vis. Plus tard j’appris qu’il était mort un vendredi de
chaououal de l’année 1002 (juin-juillet 1593); il était né,
m’avait-il dit, en 930 (lo24). Il est l’auteur de notes et de
gloses marginales dans lesquelles il a appelé l’attention sur
(£ V’) les erreurs commises par les commentateurs de Khelil et
autres ; il avait relevé une à une toutes les erreurs contenues
dans le grand commentaire de Et-Tataï, et provenant soit de
la rédaction de l’auteur, soit de ses citations. Ce travail ex-
trêmement utile je l’ai condensé dans un de mes opuscules
(Dieu fasse miséricorde à ce maître !). Ici finit l’extrait que je
donne du Edz-Dzil-,

Un des seigneurs des gens de Sankoré, — le fait a été
transmis de source sûre, — avait versé une aumône de
1000 mitsqals d’or entre les mains du cheikh, du juriscon-
sulte, le vertueux Abou-Abdallah. c’est-à-dire le cadi Moad-
dib-Mohammed-El-Kâbari ; celui-ci la distribua aux pauvres
à la porte de la mosquée de Sankoré. Voici ce qui s’était
passé : La famine avait éclaté à ce moment-là. Le cheikh
parlant un jour dans sa medrasa dit : « Quiconque fera
l’aumône de 1000 mitsqals, je me charge de lui procurer le
paradis. » Ce fut alors que le généreux personnage en ques-
tion donna cette somme qui fut répartie entre les pauvres.
On assure que plus tard le cheikh vit en songe quelqu’un qui
lui dit : « A l’avenir ne prends plus d’engagements en notre
nom. »

Comme le saint, l’ascète, le jurisconsulte Abderrahman,
fils du jurisconsulte Mahmoud, racontait l’aventure précé-
dente pendant son cours qui se faisait à la mosquée, on ra-
conte qu’un homme lui dit : « monseigneur, croyez-vous

 

1. Le jour de la prise de Tombouclou parles troupes marocaines sous la con-
duite de Djouder.

2. Cf. V Essai, p. 25.

 

78 HISTOIRE DU SOUDAN

qu’à cette heure si vous promettiez le paradis à cjpielqu’un il
vous doinierait mille mitsqals d’or?» Abderrahman répondit
en ces termes : « El-Kâbari et ses semblables, voilà les
hommes qui étaient capables de suivre une pareille voie. »
Le cheikh dont il vient d’être parlé, c’est-à-dire le juris-
consulte, le cadi Moaddib-Mohammed-El-Kâbari, le
maître des maîtres (Dieu lui fasse miséricorde, lui témoigne
sa satisfaction et nous fasse profiter de ses bénédictions dans
ce monde et dans l’autre !) se fixa à Tombouctou, au ix’ siè-
cle. Il fut le contemporain d’un grand nombre de cheikhs,
entre autres des personnages suivants : le jurisconsulte Sidi
Abderrahman-Et-Temîmi, grand-père du cadi Habib ; le
jurisconsulte Anda-Ag-Mohammed le grand, grand-père par
sa mère du jurisconsulte le cadi Mahmoud ; le jurisconsulte
Omar-ben-Mohammed-Aqit, père du jurisconsulte Mah-
moud susdit ; le très docte, le pôle, Sidi Yahya-Et-Tadelsi, etc.
Il atteignit au plus haut degré de la science et de la vertu.
Il eut pour disciples le jurisconsulte ‘Omar-Anda-Ag-Moham-
med-Aqit et Sidi Yahya. On dit qu’il ne laissa pas s’écouler
un seul mois sans avoir fait lire en entier le Tehdih ^ de El-
Beradaï, tant il avait de lecteurs. A cette époque, la ville
était remplie d’étudiants soudanais, gens de l’ouest ( t a), pleins
d’ardeur pour la science et pour la vertu. C’était à ce point
qu’on assure qu’il y a, enterrés dans le même enclos que
lui, trente personnages de Kàbara, tous savants et saints.
Son champ de repos se trouve entre celui du saint juriscon-
sulte El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar-ben-Mohammed-Aqit et
l’endroit où se fait la prière pour demander la pluie. Tel est
le renseignement qui nous a été fourni par notre maître,
l’ascète, le jurisconsulte, El-Amin-ben-Ahmed, frère du juris-
consulte Abderrahman (que la terre leur soit légère!).

\. 11 s’agit du ^iniUil^ ^jjjai J?L- ^x^ de Abou-Sa’ïd-Khelef-ben-Abou-‘l-
Qâsem-El-Berâdi’i, traité de droit malekile.

 

CHAPLTRE DIXIÈMH: 79

Ce cheikh béni fut l’auteur de miracles nombreux et re-
marquables. En voici un entre autres : Un thaleb de Mer-
râkech donnait libre carrière à sa langue contre le cheikh
et en disait des choses peu convenables, l’appelant, par exem-
ple, El-Kâfîri *. Ce thaleb possédait une haute considéra-
tion et jouissait d’un grand crédit auprès des princes chéri-
fiens auxquels il faisait la lecture d’El-Bokhari pendant le
ramadan. Dieu le punit en lui infligeant l’éléphantiasis. On
fit venir des médecins de tous les pays : l’un d’eux alla jus-
qu’à dire que le thaleb ne guérirait qu’autant qu’il aurait
mangé le cœur d’un enfant. Le prince d’alors fit égorger on
ne sait combien d’enfants ; mais cela ne servit à rien et le
malade mourut dans de tristes conditions (Dieu nous pré-
serve d’un pareil sort !). Ce fait a été rapporté par le très
docte, le jurisconsulte Ahmed-Baba (Dieu lui fasse miséri-
corde!).

Un autre miracle est celui-ci que j’ai entendu raconter par
mon père qui le tenait de ses maîtres : Un certain jour des
dix premiers de dzou-‘l-hiddja ^ le cheikh sortit pour aller
acheter des animaux vivants destinés à la fête des sacrifices.
Ces animaux se trouvaient de l’autre côté du Fleuve. Le cheikh
qui avait avec lui un de ses disciples se mit à marcher sur le
Fleuve. Le disciple, entraîné par quelque circonstance dont
Dieu eut le secret, suivit l’exemple qui lui était donné et dis-
parut en plein fleuve au moment où son maître gagnait
l’autre rive. Celui-ci appela alors son disciple, lui tendit la
main et le retira de l’eau ; puis il lui dit : « Qu’est-ce qui t’a

1. Jeu de mots sur l’ethnique du personnage qui était El-Kâbari et que le tha-
leb transformait en Kâfîri, c’est-à-dire « appartenant aux infidèles «.C’est seu-
lement en prononçant les mots à la Taçon du langage vulgaire que le jeu de
mots est véritablement possible.

2. C’est le 10 de ce dernier mois de l’année musulmane qu’a lieu la grande
fête, dite des sacrifices, parce que ce jour-là les pèlerins doivent égorger une
victime. Ce jour-là tous les fidèles, en quelque lieu qu’ils se trouvent, immolent
également un animal.

 

80 HISTOIRE DU SOUDAN

donc porté à agir ainsi ? — Comme je vous ai vu faire,
j*ai voulu faire aussi moi-même, répondit l’autre. —
Comment pouvais-tu comparer ton pied à celui d’un homme
qui n’a jamais marché dans la voie de la désobéissance di-
vine! » s’écria le cheikh.

Le jour où mourut ce cheikh (Dieu lui fasse miséricorde!),
le cheikh, Timam, le saint, l’illuminé, le modèle, le voyant,
le pôle, le secours, Térudit, le bien dirigé, le noble seigneur,
le divin Sidi Yahya-Et-Tadelsi fit son élégie dans les vers
suivants (l^):

Souviens-toi! le souvenir est plein d’enseignements utiles; dans
ses replis il y a de quoi désaltérer Télite de ceux qui viennent boire;

N’as-tu pas vu que si la trace de ceux qui mettent de l’ardeur à être
généreux mérite d’être citée, la trace laissée par les penseurs est plus
digne d’être estimée encore.

Les parfums du vent d’est rendent à l’homme la vigueur de l’esprit ;
il va alors rejoindre ses compagnons et les aider de son bras’;

I^i disparition d’une intelligence de ce monde est un deuil qui se
manifeste en tous pays et chez tous les hommes de valeur.

Les maîtres de la science ont été atteints par la mort du cheikh, et
il y a dans cet événement la menace de prochains malheurs;

étudiants de la science du droit, vous savez ce qu’était parmi les
hommes celui qui imprègne vos cœurs de tristesse,

La tristesse qui envahit vos cœurs vient de la perte de ce maître, ce
jurisconsulte bienveillant, porteur des joyaux de la science,

A l’enseignement parfait, dont l’intelligence rapprochait tout et qui
découvrait dans le Tehdlb les plus heureuses indications;

Ce maître c’était Mohammed-Moaddib, l’homme prudent, dont la per-
sévérance et la patience élevaient sans cesse le rang.

Est-il possible qu’après lui on trouve quelqu’un qui explique tout?
Arabes, trouverons-nous après lui quelqu’un pour nous faire marcher?
(nous fouetter).

Si nous n’avions pour nous consoler le Prophète, ses compagnons,
les grands-maîtres de la religion et les guides spirituels,

Les larmes devraient couler de nos yeux comme une pluie ininter-
rompue en voyant disparaître ces corps et s’éteindre ces flambeaux.

Le monde s’est obscurci et ses tristesses se sont fait jour dans cette
matinée oîi la nouvelle de sa mort s’est répandue parmi les maîtres.

1, Le texte de ces vers étant souvent altéré par les copistes, la traduction en
est parfois douteuse.

 

CHAPITRE DIXIÈME 81

Quel homme intelligent refuserait de venir le porter en terre avec
la foule? Les anciens, eux aussi, ont eu la tristesse de ces rudes épreuves,

Lorsque les deux civières se sont rompues sous un homme vertueux
qui nous avait conduit à Médine plus d’une fois*.

En faisant cela nous rendrons honneur et nous ferons un acte de
bonne éducation à l’égard de l’homme vertueux qui a été fidèle au
pacte des maîtres*.

mes frères, priez pour lui ; que Dieu lui fasse bon accueil en lui
accordant le repos et le calme d’un glorieux tombeau!

Qu’il jouisse d’une large demeure dans le paradis en témoignage de
sa maîtrise et pour prix de sa soumission à la foi!

Qu’il reçoive du Clément, à qui appartiennent la gloire et la subli-
mité, un salut plein de bienveillance et d’un heureux profit;

Que le Seigneur, le Dieu du trône, daigne répandre ses bénédictions
sur le meilleur de ses envoyés, son plus éminent représentant,

Mahomet, qui a été choisi pour achever l’œuvre de miséricorde et
parachever la tâche de ses nobles devanciers ;

Qu’il en soit ainsi également pour sa famille^ ses compagnons, et
leurs successeurs, tous ceux pour l’amour desquels s’élève la prière du
fidèle! (0.).

Telle est cette pièce de vers que j’ai copiée sur un texte
écrit de la main de mon père (Dieu, par sa grâce, lui fasse
miséricorde et lui pardonne !).

Généalogie du cheikh Sidi Yahya (Dieu lui fasse miséri-
corde, nous fasse profiter de ses bénédictions et les renvoie
sur nous dans ce monde et dans Tautre!) Il s’appelait
Yahia – ben – Abderrahim-ben-Abderrahman-Ets-
Tsa alebi-ben-Yahia-El-Bekkaï-ben-Abou’1-Hasan
‘Ali-ben-Abdallah-ben-Abdeldjebbâr-ben-Temim-
ben- Hormoz -ben-Hâtem-ben- GLosaï-ben – Youcef-
ben-Youch’a-ben-Ouard-ben-Battâl-ben-Ahmed-
ben-Mohammed-ben-Aïssa-ben-Mohammed-ben-
El-Hasan-ben- Ali-ben-Abou-Tâleb (Dieu blanchisse
la face de ce dernier et témoigne sa satisfaction et sa misé-
ricorde à tous!). Il vint à Tombouctou au début du gouver-
nement desïouareg;ily fut bien accueilli par leTombouctou-

L Traduction incertaine.

2. Ce dernier mot est loin d’être sùv.

{Histoire du Soudan.) 6

 

82 HISTOIRE DU SOUDAN

Koï, Mohammed-Naddi, qui le prit en affection, le traita avec
la plus grande distinction et lui fit bâtir une mosquée dont
il lui confia les fonctions d’imam.

Yahya atteignit au plus haut degré de la science, de la
vertu et de la sainteté ; sa renommée se répandit par tous
pays et dans tout l’univers. Ses bénédictions se firent sentir
à tous grands et petits. Il fit plusieurs miracles et eut sou-
vent la double vue. Le jurisconsulte, le cadi, le père des
bénédictions, Mahmoud a dit : De tous ceux qui mirent le
pied à Tombouctou, personne ne fut aussi éminent que
Sidi Yahya. Le saint, l’ascète, le jurisconsulte, le prédicateur
Abou-Zeïd-Abderrahman, fils du jurisconsulte Mahmoud,
qui vient d’être nommé, a dit à son tour : « Il est du devoir
des gens de Tombouctou de visiter chaque jour le mausolée
de Sidi Yahya pour en obtenir les bénédictions et ils de-
vraient le faire même s’ils demeuraient à trois jours de
marche de cette ville \ »

Tout à ses débuts (Dieu lui fasse miséricorde !) Sidi
Yahya s’abstenait de faire du négoce ; mais à la fin de sa
carrière, il s’en occupa activement. Il racontait à ce sujet que
jusqu’au moment de se livrer au négoce il voyait chaque
nuit le Prophète en songe ; ensuite il ne le vit plus qu’une
fois par semaine, puis une fois par mois et enfin une fois par
an. Et comme on lui demandait la cause de cela, il répon-
dit : « J’imagine que ce n’est qu’à cause de mon négoce.
— Et pourquoi n’y renoncez-vous pas ? lui dit-on. — Je ne
veux, dit-il, être à la charge de personne. » Voyez (Dieu nous
fasse à vous et à nous miséricorde!) combien le négoce est
chose funeste, bien que ce cheikh béni apportât le plus grand
soin et qu’il mît le plus grand scrupule à se garder de tout

 

1. La distance de trois jours de marche est considérée, chez les musulmans,
comme im éloigncracnt suffisant pour dispenser de certaines obligations d’ordre
religieux ou d’un caractère juridique.

 

CHAPITRE DIXIEME 83

ce qui est illicite. Voyez aussi combien est dure la nécessité
d’être à la charge des autres, puisque, à cause de cela (on),
ce maître béni renonçait à une haute faveur divine. Nous
demandons à Dieu qu’il nous fasse la grâce de nous être in-
dulgent et de nous pardonner dans ce monde et dans l’au-
tre!

On raconte qu’un jour, entouré d’un groupe d’étudiants,
et assis hors de la mosquée au pied du minaret, il faisait
son cours, quand les nuages s’élevant dans le ciel mena-
cèrent d’une pluie si prochaine, que les étudiants se prépa-
raient à se lever. Le tonnerre ayant grondé ensuite, le cheikh
dit : « Ne vous pressez pas, restez en place, car la pluie ne
tombera pas ici, l’ange lui ordonne d’aller tomber dans tel
pays. » Et en effet les nuages passèrent et disparurent.

Notre maître, l’ascète, le jurisconsulte, El-Amin-ben-Ahmed (Dieu lui fasse miséricorde !) nous a raconté qu’un jour les servantes du cheikh avaient mis à cuire un poisson frais et l’avaient laissé depuis le matin jusqu’au soir sans que le feu produisît le moindre effet. Comme il les entendait s’étonner de cela, il leur dit : « Mon pied a touché quelque chose d’humide en passant dans le vestibule pour aller à la prière ce matin, peut-être est-ce le poisson qu’il a frôlé : or le feu ne peut rien brûler de ce que mon corps a touché. »

On raconte encore que, lorsque les étudiants de Sankoré venaient le trouver pour recevoir ses leçons, il leur disait : « gens de Sankoré, vous devriez vous contenter de Sidi Abderrahman-Et-Temimi. » Ce personnage était venu du Hedjaz en compagnie du sultan Mousa, roi de Melli, lorsque celui-ci revint de son pèlerinage à La Mecque. Il se fixa à Tombouctou et trouva cette ville remplie d’une foule de jurisconsultes soudanais. Aussitôt qu’il s’aperçut que ceux-ci en savaient plus que lui en matière de droit, il partit pour Fez, s’y adonna à l’étude du droit, puis il revint se fixer de nouveau à Tombouctou. Il était le grand-père du cadi Habib (Dieu leur fasse miséricorde à tous !).

En l’année 868 (1463-1464) Sidi Yahya mourut et peu de temps après lui mourut son ami le cheikh Mohammed-Naddi, ainsi qu’il a été dit précédemment (Dieu leur fasse miséricorde à tous deux !).

Le cheikh Masira-Bobo-Ez-Zoghrâni, ami du juris-
consulte Mahmoud-ben-‘Omar. — C’était un théologien émi-
nent, un homme bon, vertueux, pieux. On aurait trouvé
difficilement son pareil dans sa tribu, car elle n’est guère
renommée pour sa vertu, ni pour la pureté de son isla-
misme. A ses débuts, le prédicateur, l’ascète, le juriscon-
sulte Abderrahman, fils du jurisconsulte Mahmoud, fut assidu
auprès de lui (ot) ; il se laissa diriger par lui et recueillit
un certain nombre de ses sermons. On dit qu’un jour qu’il
était dans sa medrasa on lui annonça un enterrement.
« Qui est-ce ? demanda-t-il — Un Zoghrâni, lui ré-
pondit-on. — Alors, reprit-il, je veux aller prier sur lui
en considération du cheikh Masira-Bobo. » Il se rendit en
effet à l’enterrement et y pria sur le défunt.

Le cheikh, le savant en Dieu, le saint, l’homme doué de
la double vue, l’auteur des miracles, le jurisconsulte Abou-
Abdallah – Mohammed -ben- Mohammed -ben-Ali-
ben-Mousa, ‘Oriân-er-râs (Tête nue). C’était un des
vertueux serviteurs de Dieu, un ascète généreux qui dépen-
sait tout son bien en aumônes pour l’amour de Dieu. Quand
il recevait des offrandes ou des étrennes,il n’en gardait rien
pour lui et en faisait aumônes aux pauvres et aux malheureux .
Il acheta un grand nombre d’esclaves et leur donna ensuite la
liberté pour l’amour de Dieu et en vue de la vie future. Il n’a-
vait pas de portier ; tout le monde entrait chez lui sans deman-
der la permission. On venait le visiter de tous les pays et à
toute heure, surtout le vendredi, après la prière de T’asr.

 

I

 

CHAPITRE DIXIEME 85

Les personnes qui le visitaient le plus souvent étaient les gens
du Makhzen^les pachas, des personnages de moindre impor-
tance et des voyageurs de passage ; ils lui faisaient ces visites
à cause de ses nombreuses bénédictions.

Tantôt il était expansif, tantôt, au contraire, il était con-
centré. Dans ses moments d’expansion il racontait à ceux
qui l’entouraient des histoires singulières ou merveilleuses ;
il riait tout le premier de ses récits. Parfois, au moment où
il riait, il frappait de sa main bénie la main de son interlo-
cuteur et mettait sa main gauche sur sa bouche. Il me
frappa ainsi souvent sur la main. Lorsque, au contraire, il
était concentré il ne racontait rien et se contentait de ré-
pondre à celui qui lui parlait. Dans ces moments ce que je
lui ai entendu dire le plus souvent, c’étaient ces phrases :
« Ce que Dieu veut sera ; ce qu’il ne veut pas ne sera pas. »
Ou encore : « Dieu est mon appui et il me suffît » ^ que
Dieu exauce qui l’implore », « il n’y a rien au-delà de Dieu » .
Si quelqu’un, ayant éprouvé quelque malheur, lui demandait
de réciter la Fatiha”, il étendait ses deux mains bénies et
après avoirdit la formule d’exorcisme’ et le bismillah^il disait :
Ya sin, etc.^ ; ô le plus clément des cléments, ô le plus clé-
ment des cléments, ô le plus clément des cléments. Ensuite
il récitait la Fatiha trois fois et faisait trois fois l’invocation
suivante : Que Dieu nous améliore ainsi que vous, qu’il ré-
tabUsse nos affaires et les vôtres (ot), qu’il nous assure à
vous et à nous une fin calme et heureuse.

Ce ne fut que vers la fin de sa vie, lorsque le moment

 

1. Le mol « Makhzen « s’emploie au Maroc et au Soudan pour désigner le
gouvernement ou la cour du souverain. ^

2. Le premier chapitre du Coran.

3. La dernière sourate du Coran.

4. Formule qui consiste à dire : « Au nom de Dieu le clément, le miséricor-
dieux », et que l’on doit prononcer chaque fois qu’on entreprend quelque chose.

5. C’est le titre et le commencement de la trente-sixième sourate du Coran.

 

86 HISTOIRE DU SOUDAN

du voyage suprême s’approcha, qu’il eut un portier et
qu’il ne permit plus de pénétrer chez lui comme aux pre-
miers temps. 11 lui arrivait même de refuser de recevoir à
certains moments. A partir de cette époque il se borna à
réciter la Fatiha une seule fois, puis même il cessa de la
réciter. Un jour que j ‘étais assis devant lui, il me dit :
« A tous ceux qui viendront ici dis-leur que je ne puis plus
réciter cette Fatiha. » Il fit alors pour moi sa prière accou-
tumée une seule fois et ce fut la dernière (Dieu lui fasse misé-
ricorde, lui témoigne sa satisfaction et le place au plus haut
degré de la demeure dernière !).

Au début de sa carrière, il fit la rencontre du père des
œuvres généreuses, le saint, le pôle, l’érudit, Sidi Moham-
med-El-Bekri, un tout jeune homme à cette époque.
Comme il venait de quitter son ami en Dieu, le jurisconsulte
Ahmed-ben-El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar-ben-Mohammed-
Aqit, à la suite d’une des visites accoutumées qu’ils se faisaient
entre eux, il trouva le jeune homme assis à midi près de la
porte de la mosquée de Sankoré, dont la porte n’était pas
encore ouverte ; El-Bekri tenait à la main le livre de la
Bisala d’Abou-Zeïd-El-Qaïrouâni qu’il étudiait sous la direc-
tion de son maître le jurisconsulte Abderrahman, fils du ju-
risconsulte Mahmoud. En le voyant ainsi, le cheikh béni
s’arrêta et lui demanda quel était le livre qu’il tenait à la
main : « C’est la Risala^ » répondit El-Bekri. Le cheikh ten-
dit sa main bénie en disant : « Montre-le-moi. » Puis
le prenant dans ses mains, il l’examina un instant et
le rendit en disant : « Dieu te bénisse au sujet de ce
livre *. » Puis il passa son chemin, sans savoir à qui il avait
eu affaire, car il ne l’avait jamais vu. Quand son maître
revint à la mosquée, il lui raconta cette aventure et le maître
soupçonna que c’était El-Bckri. En sortant de la mosquée

1. C’est-à-dire : « Puisses-tu tirer profit de ce travail >).

 

CHAPITRE DIXIÈME 87

il se rendit chez son frère, le jurisconsulte Ahmed, dont il
vient d’être question et lui dit : « Sidi Mohammcd-El-Bekri
est-il venu te voir aujourd’hui ? — Oui, répondit Ahmed;
il est même resté plus tard que d’habitude. » Alors le
maître lui raconta ce qui s’était passé entre El-Bekri et
Mohammed-Ad*-‘Ali-Mousa, comme l’appelaient les gens de
Sankoré.

Plus tard le cheikh eut l’esprit troublé au point qu’on crut
qu’il était devenu fou. Il ne couchait plus que dans les mos-
quées (ou la mosquée). Mohammed- El-Bekri a entendu dire
que le cheikh avait annoncé qu’il avait vu Celui qu’on ne
peut voir ^ et qu’en conséquence sa fm serait heureuse. Or,
un de ses étudiants dignes de foi m’a raconté avoir demandé
au cheikh si quelqu’un en ce monde avait vu Dieu. « Oui,
lui aurait-il répondu ; il y a dans cette ville en même temps que
toi une personne qui a vu Dieu le Très-Haut ». Comme (ot)
je parlais de ce fait à mon maître, le très docte, le juriscon-
sulte Mohammed-Baba, le fils du jurisconsulte Kl-Amin, sans
lui dire qui avait prononcé ces mots, mon maître me dit :
« Celui qui a dit cela est celui-là même qui a vu le Seigneur
(qu’il soit béni et exalté !). »

Un certain vendredi, après la prière de l’asr, nous étions
au nombre de trois auprès du cheikh, moi et deux autres per-
sonnes. Le cheikh était dans un de ses moments d’expansion
et il causait avec nous. Tout à coup les nuages s’élevèrent
dans le ciel. Changeant aussitôt de visage, le cheikh devint
maussade, interrompit sa conversation et demeura extrême-
ment agité dans sa salle de cours. A peine les premières

1. Équivalent sans doute ou abréviation de Aida « fils ».

2. La partie de la phrase qui précède manquait dans les mss. A et B. Elle ne
figure pas non plus dans le texte imprimé; le ms. G n’était pas encore en ma
possession au moment où l’impression de cette partie du texte avait lieu. Celui
qu’on ne peut voir c’est Dieu. Suivant les musulmans, aucun homme ne peut
voir Dieu sans mourir aussitôt après; il n’y a eu d’exception que pour Moise.

 

88 HISTOIRE DU SOUDAN

gouttes de pluie tombèrent-elles qu’il devint dur et violent
dans ses discours. « Je ne veux recevoir personne, dit-il,
lorsque la pluie tombe. » Nous sortîmes tous aussitôt. Je
racontai Taventure à mon maître, le jurisconsulte El-Amin
et il en fut tout surpris.

Un de mes confrères m’a raconté le fait suivant : «J’avais
un voisin avec qui, matin et soir, nous nous réunissions dans
l’intimité. Un jour il manqua au rendez-vous et, comme sa
maison était voisine de la mienne, j’allai chez lui demander
de ses nouvelles. Quand je fus à la porte de sa demeure, le
portier alla l’avertir, puis il revint et me dit : « Mon maître
vous fait savoir qu’il ne peut vous voir en cet instant. » En
entendant ce discours, je faillis éclater de colère et, me frap-
pant la poitrine avec la main, je m’écriai : Un homme tel
que moi va visiter un tel chez lui et celui-ci le renvoie sans
même l’avoir vu ! Je décidai dès lors de ne plus jamais
lui adresser la parole.

Peu de temps après cela, je rendis visite au cheikh bén.
Sidi Mohammed- ‘Oriân-er-râs. A peine étais-je introduit en
sa présence qu’après m’avoir salué il me parla en ces termes :
« Un des saints de Dieu avait perdu une des situations qu’il
occupait. Il en éprouva un si vif chagrin qu’il formula le sou-
hait de rencontrer El-Khidr^ (sur lui soit le salut !) afin qu’il lui
servit d’intermédiaire auprès de Dieu pour lui faire rendre la
situation qu’il avait perdue. Dieu, dans sa bonté et sa grâce,
la lui rendit sans l’intercession de personne. Peu après El-
Khidr vint trouver le saint et le salua à la porte de sa mai-
son : « Qui es-tu, dit le saint? — La personne que vous
demandiez, répondit El-Khidr. — Dieu a fait que je puis me
passer de toi, » reprit le saint. El-Khidr s’en alla, sans se frap-
per la poitrine avec la main et sans dire : « un tel, on ne

i. EI-Khidrest le personnage dont il est question dan§ le Coran, sourate xviii
versets 62 et suiv.

 

CHAPITRE DIXIEME 89

‘< renvoie pas un homme tel que moi ». L’homme était excu-
sable, car il était sans doute dans une situation qui ne lui
permettait pas d’être vu par personne. » Je compris alors
ce qu’il voulait dire; je me repentis de ce que j’avais fait;
j’en demandai pardon à Dieu et allai retrouver mon voisin
et confrère. Je me présentai et il me fit immédiatement ouvrir
sa porte. J’entrai et il me dit : « Excusez-moi de ne pas m’être
laissé voir le jour où vous êtes venu, mais j’étais étendu (o o)
à ce moment sur le sol et j’avais des coliques. Je ne pouvais
admettre que quelqu’un me vît dans cet état. — Dieu
nous excuse vous et moi », lui répliquai-je.

Un de ses voisins a raconté le fait suivant : J’étais allé
un jour chez le cadi Mahmoud-ben-Ahmed-ben-Abder-
rahman : « Tu as un saint pour voisin, me dit-il. —
Oui, répondis-je. — Le saint qui ne vient pas à l’office
du vendredi », ajouta-t-il. Je gardai le silence, puis après
cela j’allai voir mon voisin Sidi Mohammed-‘Oriân-er-râs.
« un tel, me dit-il, faut-il oui ou non pardonner? —
Pardonner est mieux, répondis-je. — En effet, répli-
qua-t-il, si je ne pardonnai pas, il arriverait des choses qui
ne conviendraient pas. Eh! bien, dis donc à celui qui pré-
tend que je ne vais pas à la prière du vendredi que, bien
avant qu’il vînt lui-même à l’office, il y avait été précédé par
celui qu’il prétend n’y avoir jamais assisté. » Les anecdotes
de ce genre sur son compte sont extrêmement nombreuses
(Dieu lui fasse miséricorde, lui témoigne sa satisfaction et
nous fasse profiter de son influence! Amen!).

Le jurisconsulte, le théologien, l’ascète, le vertueux, le
pieux, le réservé, notre maître El- Amin-ben- Ahmed,
frère utérin du jurisconsulte Abderrahman-ben-Ahmed, le
chef d’école. Sa langue sans cesse s’humectait pour pro-
clamer les louanges de Dieu, aussi Sidi Mohammed-‘Oriân-
er-râs ne l’appelait pas autrement que El-Amin le litaniste.

 

90 HISTOIRE DU SOUDAN

Un de mes confrères des gens de Sankoré m’a raconté que
son père, vieillard très âgé, lui avait dit : « J’ai connu San-
koré à l’époque ancienne où les vertueux personnages y
étaient très nombreux, eh! bien, je n’ai vu aucun d’eux
pratiquer l’islam avec autant de ferveur que le jurisconsulte
El-Amin. »

Il nous a raconté, lui-même (que Dieu lui fasse miséri-
corde !) dans sa medrasa, que le jurisconsulte ‘Omar-ben-
Mohammed-ben-‘Omar, frère du jurisconsulte Ahmed-Mo-
ghya, étudiait la Chifa du cadi ‘Jyâd sous la direction du
très docte, de l’érudit, le jurisconsulte Ahmed-ben-El-Hâdj-
Ahmed-ben-‘Omar-ben-Mohammed-Aqît et que lui et son fils
le jurisconsulte Ahmed-Baba assistaient à ses leçons, ainsi
que le jurisconsulte, le cadi Ahmed (on). Le maître n’admet-
tait pas que quelqu’un pût lui adresser une question ; il ne
faisait d’exception que pour l’étudiant interrogé et, à cer-
tains moments, pour Sidi Ahmed. Quant à son fils Ahmed-
Baba, chaque fois qu’il posait une question, son père lui
disait : « Tais-toi ! » Un jour cependant que le maître avait
demandé à l’étudiant Omar si le verbe qahouha est transi-
tif ou intransitif, celui-ci n’ayant pu répondre, il s’adressa à
Sidi Ahmed qui, lui aussi, se tut. « Cependant, dit-il, je vous
ai lu ce verset : et ils seront honnis’ (s. xxviii, v. 42) ». Ce
disant, il tourna ses yeux vers moi et se mit à sourire.

Nous étions un certain nombre de condisciples qui mon-
trâmes un jour à notre cheikh, le jurisconsulte El-Amin, le
livre intitulé : Deldil el-kheirdt^^ dont les copies présentent
des variantes, et nous lui demandâmes de nous indiquer s’il
fallait conserver le moi seijyidna ou s’il fallait le rejeter. Il
nous répondit: Nous avons adressé la même question à notre

1. Le mot traduit par « honnis » est le participe passé du verbe sur lequel
il questionnait. Il y a un jeu de mots intraduisible.

2. Titre d’un livre de prières et litanies on l’honneur du Prophète. Il a pour
auteur : Mohammcd-ben-Soliman-EI-Djezouli.

 

CHAPITRE ONZIEME 9i

cheikh, le très docte, le jurisconsulte Mahmoud-Baghyo’o,
et il nous a répondu qu’il n’y avait aucun inconvénient dans
ces divergences et qu’elles ne causaient aucun dommage.

Comme nous l’interrogions aussi sur les paroles de l’au-
teur : « et que tu pardonnes à un tel fils d’un tel » . Nous
avons adressé, nous répondit-il, la même question au juris-
consulte Abderrahman, fds du jurisconsulte Mahmoud, et
voici la réponse qu’il nous fit : « et que tu pardonnes à Ab-
derrahman, mais sans ajouter le nom du père. »

Quant à la date de la mort d’El-Amîn, elle sera donnée
plus loin, si Dieu veut^ en parlant de l’année 1041 (1637).
Celle de la mort de Sidi Mohammed-‘Orian-er-râs viendra,
s’il plaît à Dieu, h l’occasion de l’année 1027 (1618).

 

CHAPITRE XI

MENTION PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE DES IMAMS DE LA GRANDE
MOSQUÉE ET DE LA MOSQUÉE DE SANKORÉ

La grande mosquée fut bâtie par le sultan El-Hâdj-Mousa, roi de Melli. Son minaret est formé de cinq assises. Le cimetière touche à la mosquée extérieurement du côté du sud et du côté de l’ouest. C’est une coutume chez les gens du Soudan occidental de n’enterrer leurs morts que dans les emplacements qui touchent aux mosquées et les entourent (ov) extérieurement. Ce fut à son retour du pèlerinage de La Mecque, lorsqu’il s’empara de Tombouctou, que El-Hâdj-Mousa fît édifier la grande mosquée. Plus tard, le jurisconsulte, le juste cadi El-‘Aqib, fds dujcadi Mahmoud, rebâtit
la mosquée après l’avoir démolie ; il fit alors entrer dans la mosquée tout l’emplacement occupé par les tombes, en sorte que la superficie en fut considérablement augmentée.

Les premiers personnages qui occupèrent les fonctions d’imam dans cette mosquée furent des savants nègres; ils exercèrent ce sacerdoce sous le règne des gens de Melli et en partie sous celui des Touareg. Le dernier imam nègre fut le jurisconsulte, le cadi Kâteb-Mousa; il fut imam pendant quarante ans et durant ce temps il ne se fit suppléer à aucune prière, tant Dieu lui avait donné une santé vigoureuse.

Comme on le questionnait sur les causes de cette santé, il répondit : « J’estime qu’elle est due aux trois choses suivantes : 1″ en aucune des quatre saisons, je n’ai couché une seule nuit en plein air; 2° je n’ai jamais passé une nuit sans avoir au préalable oint mon corps de graisse, et aussitôt après l’aurore, je prenais un bain d’eau chaude; 3″ enfin, je ne suis jamais sorti pour aller à la prière du matin sans avoir déjeuné auparavant. » Telles furent ses paroles qui m’ont été rapportées par mon père et par le jurisconsulte Sidi Ahmed (Dieu leur fasse miséricorde!).

Kâteb-Mousa ne rendait la justice que sur la place de Sousou-Dabaï, derrière sa maison de côté de l’est. On lui dressait là une estrade sous un grand arbre qui se trouvait en cet endroit, à l’époque. Il fut un des savants du Soudan qui allèrent étudier dans la ville de Fez. Il s’y rendit sous le règne des gens de Melli, sur l’ordre du sultan juste El-Hâdj-Mousa.

Il eut pour successeur comme imam, si je ne me trompe, le grand-père de ma grand’mère, la mère de mon père, le jurisconsulte, l’éminent, le bienfaisant, le pieux sidi Abd-Allah-El-Balbâli, qui fut, à ce qu’on croit, le premier blanc qui dirigea la prière dans cette mosquée vers la fin de la dynastie des Touareg. 1 1 vint à Tombouctou au commencement du règne de Sonni-‘Ali, en même temps que le jurisconsulte, l’imam, le cadi Kâteb-Mousa, lorsque celui-ci revint de Fez, accompagné de ses deux frères, l’un le père d’Abderrahman, qui se nommait El-Fa’o-Tonka, l’autre le père de Mousaosaï et de Nana, qui s’appelait Bir-Touri. L’hérétique Sonni-‘Ali eut pour lui les plus grands égards, car Sidi AbdAilah était un homme vertueux, un ascète d’une grande réserve. Il ne mangeait rien qu’il ne l’eût acheté du produit du travail de ses mains. Il est l’auteur de prodiges et de miracles.

Une nuit un voleur entra chez lui et grimpa (ûv) à un pal-
mier qui se trouvait dans le jardin de la maison, pour en
voler les fruits. Il demeura collé à ce palmier jusqu’au len-
demain matin. Mais le cheikh eut pitié de lui, le fit descen-
dre et le laissa partir.

Autre fait qui montre sa sainteté : A une certaine époque,
il éclata à Tombouctou une maladie dont bien peu guéris-
saient. Un jour, le cheikh, étant allé faire du bois, le rapporta
sur sa tête et le vendit. Tous ceux qui se servirent de ce bois
et s’en chauffèrent furent rétabhs et guéris sur-le-champ. Le
cheikh recommença la même opération . Tout le monde s’étant
aperçu de la chose et s’en étant fait part les uns aux autres,
on afflua de tous côtés pour acheter ce bois. Ce fut ainsi que
Dieu, grâce à sa bienveillance pour le cheikh, délivra la po-
pulation de ce fléau.

Le successeur de Sidi Abdallah ne fut autre, si je ne me trompe, que le cheikh, l’éminent, le vertueux, le bienfaisant, l’ascète, le dévot, le savant en Dieu, le saint, Sidi AboulQâsem-El-Touâti. Il habitait dansle voisinage de la grande mosquée. Sa maison, qui était située au sud^ du temple, n’en était séparée que par l’étroit chemin aboutissant à la salle, construite plus tard auprès de la mosquée et y attenant, salle dans laquelle les enfants apprenaient à lire.

A la mort d’Aboul-Qâsem, son disciple, le seyyid* Man-
sour-El-Fezzâni, lui succéda; il eut lui-même pour suc-
cesseur le seyyid, l’éminent, le vertueux, le bienfaisant,
l’ascète, le savant lecteur du Coran, le jurisconsulte Ibra-
him-Ez-Zelfî, qui fut le maître de mon père.

Ce fut le seyyid Aboul-Qâsem qui créa autour de la mos-
quée le cimetière actuel qui a remplacé^’ancien où l’espace
faisait défaut. Il le fit entourer d un mur, mais plus tard ce
mur fut démoli et il n’en resta plus de traces. Il eut le premier
l’idée de faire faire une lecture complète du livre saint après
la prière du vendredi; on y ajoutait la lecture d’un mot^ des
Achriniyât. Le prince des Croyants Askia-El-Hâdj-Mohammed
fit don, à titre de bien de main-morte, d’un coffret pour ren-
fermer les 60 parties du livre saint ^ Ce cofî’ret, qui apparte-
nait à cette mosquée, avait été offert en vue de cette lecture
complète du Coran; on en fit usage jusqu’à l’année 1020
(161 1), époque à laquelle il fut remplacé par un autre coffret,
donné également à titre de main-morte par El-Hâdj-Ali-
ben-Salem-ben-‘Onaïba*-El-Mesrâti ; ce coffret est encore au-
jourd’hui dans la mosquée.

Un jour que le prince était venu faire la prière du ven-

1. Le mot seyyid est souvent en Orient l’équivalent de chénf<.<. noble », c’est-à-
dire descendant de la famille de Mahomet. Ici il semble être mis pour Sidi, titre
donné à tous les saints personnages.

2. Peut-être « un fragment », quoique le mot j^^ ne soit guère pris d’ordi-
naire dans ce dernier sens.

3. Pour les offices on divise le Coran en soixante parties] ou hixh ; celui qui
récite ou lit un de ces cahiers se nomme hazzdb. Toutefois, quand on veut faire
une récitation ou lecture complète du Coran, chaque hazzâb peut débiter deux,
trois ou quatre hizb, en sorte qu’au besoin, on peut en fort peu de temps réci’-
ter 1(5 Coran (^n «Milier.

4. Le texte arabe imprimé porto ‘Obaïda, mais le ms. C confirme la lecture
‘Onaïba.

 

CHAPITRE ONZIEME 95

dredi, il attendit, un instant après la fin de la prière, voulant aller saluer le cheikh éminent, l’imam Sidi Aboul-Qâsem-Et- Touâti. Il lui envoya son frère Faran-Amar pour lui annon- cer sa venue dans ce but. Faran trouva l’imam en train de réciter les louanges du Prophète; il s’arrêta auprès de lui,
attendant la fin de cette récitation. Mais le sultan voyant
qu’il tardait à venir dépêcha un autre messager («n) qui
interpella Faran à haute voix en lui disant : « Askia voudrait
partir. — Ils sont encore en train de réciter l’office, » répon-
dit Faran également à haute voix. Le cheikh lui adressa aus-
sitôt une verte réprimande en lui disant : « Baisse le ton de
ta voix. Ne sais-tu donc pas que le Prophète est présent par-
tout où on récite ses louanges. J’ai déjà récité un hémistiche
des vers composés en son honneur et le fait d’avoir pro-
noncé son nom a eu pour résultat de le rapprocher de moi ;
maintenant il est ici avec moi. » Quand la récitation fut finie,
le prince vint saluer cheikh qui lui dit la fatiha.

Aboul-Qâsem conserva très longtemps ses fonctions d’imam.
Il fut l’auteur de prodiges et de miracles. Il donnait souvent
des repas auxquels il invitait surtout des medddh\ tant il
avait de passion pour les panégyriques du Prophète. L’en-
droit où se déclamaient ces panégyriques était tout près de sa
maison; aussitôt qu’il en entendait réciter un, il s’empressait
d’aller porter aux meddâh des pains tout chauds qu’on eût
dit sortir à l’instant même du four, et cela se produisait
même au milieu de la nuit, en sorte que tout le monde voyait
bien que c’était un miracle.

On raconte qu’un jour, pendant qu’il faisait la prière du
matin, et il la faisait bien avant le jour, les fidèles virent
ses vêtements dégoutter d’eau. Comme on le questionnait à
ce sujet, il répondit : « Un homme qui se noyait à l’instant

1. Nom donné à celui qui récite un panégyrique et en particulier celui de Ma-
homet. Il s’applique également à tous les bardes.

 

96 HISTOIRE DU SOUDAN

dans le lac Debo m’a appelé à son secours, je suis allé le
sauver et c’est de là que provient cette eau. »

On rapporte que la nuit étant obscure au moment où la foule
entourait sa civière, les porteurs, en se bousculant, tombèrent
tous par terre; mais, grâce à la puissance du Créateur, la
civière resta suspendue en l’air, jusqu’à ce qu’ils se fussent
relevés et qu’ils eussent pu la reprendre. On vit également
ce jour-là un grand nombre de gens inconnus assistant à ce
convoi funèbre; c’était le fait d’un miracle de sa part. Il
mourut (Dieu lui fasse miséricorde) au commencement de
l’année 922 (1516). Le jurisconsulte El-Mokhtar, le gram-
mairien, mourut à la fin de cette même année comme je l’ai
constaté par la lecture de certaine chronique.

Un jurisconsulte, doué de mémoire et s’occupant de choses historiques, m’a dit que Sidi Aboul-Qâsem était mort en 935 (1528-1529) et que le père des bénédictions, le jurisconsulte Mahmoud-ben-‘Omar n’avait pas tardé plus de vingt ans à le suivre dans la tombe ; puis il a ajouté qu’il ne présida à la prière publique que lorsque son cousin maternel, l’imâm Anda-Ag-Mohammed, dût cesser ses fonctions d’imâm à cause de l’extrême faiblesse de ses membres bénis, faiblesse provenant de son grand âge. Toutefois, il présida la prière à l’enterrement de Sidi Aboul-Qâsem-El-Touâti et à celui de son assesseur Fayyâd-El-Ghadâmsi. Aboul-Qâsem fut enterré dans le nouveau cimetière où reposent un grand nombre (^^) d’hommes vertueux. On dit que cinquante Touatiens, ses émules en vertu et en piété, sont enterrés auprès de lui en cet endroit. De même, dans le vieux cimetière autour de la mosquée, il y un a grand nombre de gens vertueux qui y sont enterrés.

On raconte qu’un certain chérif, descendant de la famille
du Prophète, était venu faire une retraite pieuse dans Tan-
cienne mosquée durant le cours du ramadan. Une fois,

 

CHAPITRE ONZIÈME 97

pressé par un besoin naturel, il sortit vers minuit de la mos-
quée par la porte de derrière. Quand il revint, il trouva tout
le cimetière rempli de gens assis^ ayant pour costume des
chemises et des turbans blancs. Il voulut traverser cette
foule pour rentrer à la mosquée, mais arrivé au milieu de sa
course, l’un de ces hommes lui dit : « Comment se fait-il que
tu nous foules aux pieds avec tes chaussures? » Le chérif
retira aussitôt ses chaussures et rentra à la mosquée (Dieu
leur fasse miséricorde, leur témoigne sa satisfaction et nous
soit utile par leurs bénédictions en ce monde et dans l’autre!
Amen!).

Quand son disciple Sidi Mansour mourut, il fut enterré à
côté et en avant de la tombe de son maître. Le cheikh Ibra-
him-Ez-Zelfi avait fait préparer l’emplacement de sa tombe
dans le voisinage immédiat de celle de Mansour, ce à quoi
la population ayant consenti, tous trois reposèrent dans le
même mausolée*. Notre maître le cheikh Ibrahim-Ez-Zelfi,
dit mon père, jouissait d’une grande considération chez les
gens de Tombouctou à son époque, et ils avaient une grande
foi en lui ; sans cela ils n’auraient pas admis qu’il fût enterré
en cet endroit.

Après la mort de l’imam Sidi Aboul-Qâsem, les gens de la grande mosquée furent unanimes pour lui désigner- comme successeur le jurisconsulte Ahmed, le père de Nàna-Sorko; ils exposèrent leur désir au père des bénédictions, le jurisconsulte, le cadi Mahmoud et celui-ci ayant approuvé leur choix, Ahmed devint imam de la grande mosquée. Deux mois^ après cette nomination, arriva du Touât le fds de Sidi Aboul-Qàsem. Alors les notables de la mosquée allèrent trou-

1. La traduction de cette phrase est faite d’après le texte du ms. C; la phrase
, qui a (ité reproduite dans le texte imprimé est celle des mss, ActB.

2. C’était le personnel de la mosquée qui faisait la présentation du candidat
imam, mais c’était le cadi qui le nommait à ces fonctions.

3. Le ms. G dit : un mois,

{Histoire du Soudan.) ^

 

98 HISTOIRE DU SOUDAN

ver Mahmoud et lui dirent : « Nous voudrions que vous
nous donnassiez le fils du cheikh comme imam . —
Maintenant que Ahmed est nommé imam, leur répondit-il
si vous ne me laissez pas tranquille, je vous fais tous empri-
sonner ». Le jeune homme retourna au Touât et sept mois
après l’imam Ahmed mourait (Dieu lui fasse miséricorde !)-

On décida alors de nommer le jurisconsulte Sidi Ali- El-Djezouli qui était un nouveau-venu ; le jurisconsulte, le cadi Mahmoud lui conféra la dignité d’imam. Ah se fit suppléer dans ses fonctions par le jurisconsulte éminent Otsman- ben-El~Hasen-ben-El-Hâdj-Tichti chaque fois qu’il fut empêché de les remphr lui-même. C’était un homme vertueux ; lorsqu’il fut sur le point de mourir il donna à son suppléant son costume du vendredi \

L’usage était que les fidèles qui venaient prier (^\) à la
mosquée donnassent à titre de subvention 500 mitsqals d’un
ramadan à l’autre l Un certain ramadan, cet imam n’ayant
reçu que 200 mitsqals, il fit constater le fait au jurisconsulte
Mahmoud. Quand vint l’heure de la prière du vendredi et
qu’on eut terminé les rites de la prière, Mahmoud appela le
muezzin et le chargea de dire aux fidèles : « Puisque vous
avez un imam de cette valeur, si vous n’augmentez pas sa
subvention, au moins ne la diminuez pas. Donnez-lui donc
à l’instant les 500 mitsqals habituels en plus des deux cents
qu’il a. » De la sorte il eut cette année 700 mits<{âls. Il mou-
rut (Dieu lui fasse miséricorde!) après avoir conservé l’ima-
mat pendant dix-huit ans.

Le jurisconsulte Mahmoud déclara que cet imam méritait
d’avoir une sépulture isolée, aussi fut-il enterré en dehors des

 

1, Il semble d’après cela que l’imam avait une sorte de costume spécial pour
présider à la cérémouie de la prière du vendredi.

2. Eu d’aulrtis termes : par an. nOO milsqâl.s ru pressentaient environ 7.500 francs
de notre monnaie, si I on admet que le mitsqâl valait à cette époque 15 francs.

 

CHAPITRE ONZIÈME 99

remparts du côté du Dord. Puis, Mahmoud donna l’ordre que le
suppléant du défunt, le jurisconsulte ‘Otsman, fût nommé ti-
tulaire des fonctions d’imam, mais celui-ci refusa. Mahmoud
lui dit alors : « Je ne te laisserai pas sortir d’ici tant que tu
ne m’auras pas indiqué qui mérite d’occuper cette place. »
Otsman lui désigna alors le jurisconsulte Seddiq-ben-Mo-
hammed-Taghli. Ce dernier accepta et devint imam de
la grande mosquée. Il était originaire de Kabara, mais né à
Djondjo; c’était un jurisconsulte, un théologien, un homme
supérieur, bon et vertueux. Il avait quitté Djondjo pour
aller se fixer à Tombouctou, où il demeura jusqu’à sa mort.

Voici les motifs qui l’avaient poussé à s’expatrier : Un jour
il avait formulé une opinion sur un point de droit aux élèves
de sa medrasa; un des étudiants qui se trouvait là ayant été
ensuite à Tombouctou pour y faire certaines études revint
plus tard à Djondjo et déclara que l’opinion formulée n’était
pas conforme à celle des jurisconsultes de Tombouctou. « Et
quelle est cette opinion? demanda Seddiq. — Elle est for-
mulée de telle et telle façon, répliqua l’étudiant. — Alors,
s’écria Seddiq, j ‘ai donc perdu mon temps inutilement (ici) * . a
Ce fut alors qu’il s ‘expatria (Dieu lui témoigne sa satisfaction !) .
Une étroite amitié l’unit au suppléant Otsman ; ils s’ai-
mèrent en Dieu et devinrent si intimes que chacun d’eux
lorsqu’il déjeunait envoyait une partie de son repas dans la
maison de son ami. Il en était de même pour le souper.
Seddiq avait tant d’affection pour son suppléant que c’était
toujours dans la maison de ce dernier qu’il se préparait à
la cérémonie du vendredi.

Plus tard l’imam Seddiq alla en Orient pour y faire le pè-
lerinage de La Mecque et visiter les lieux saints. Dans ce
voyage il se trouva avec un grand nombre de jurisconsultes

1. C’est-à-dire en faisant ses études à Djondjo.

 

100 HISTOIRE DU SOUDAN

et de vertueux personnages, entre autres avec le savant en
DieuSidiMohammed-El-Bekri-Es-Seddiqi qui aimait beau-
coup les jurisconsultes de Tombouctou. El-Bekri, après
avoir questionné Seddiq sur ces jurisconsultes, ajouta: «Ton
suppléant, qui dirige la prière derrière toi , est un homme
vertueux. » Au retour de ce voyage, à peine rentré chez lui,
Seddiq vit arriver son confrère et ami, le suppléant ‘Otsman,
qui le salua, le félicita (iv) de son heureux retour et lui dit :
« Prie Dieu pour nous, puisque tu viens de faire un séjour
aux stations vénérées. — Pas du tout, répondit l’imam
Seddiq, c’est à toi de prier pour nous, car tu es celui dont
le savant en Dieu, Sidi Mohammed-El-Bekri, a dit : « Cet
« homme est un homme vertueux. »

Certain cheikh âgé, parmi les gens de Tombouctou, m’a
raconté avoir entendu dire au jurisconsulte, l’ascète, le lit-
térateur, l’oncle maternel de mon père, Sidi Abderrahman-
El-Ansâri, que l’imam Seddiq lui avait tenu le propos sui-
vant : « Le savant en Dieu, le pôle, Sidi-Mohammed-El-
Bekri-Es-Seddiqi, m’a annoncé que la prospérité de Tombouc-
tou était attachée à la prospérité du minaret de la grande
mosquée et que les habitants ne devaient point négliger de
l’entretenir. » Il occupa les fonctions d’imam durant environ
vingt-quatre ans. 11 mourut (Dieu lui fasse miséricorde!) peu
de temps après la nomination du cadi El-‘Aqib.

Le cadi, El-‘Aqib, titularisa le suppléant, le jurisconsulte
‘Otsman, qui avait une première fois refusé les fonctions
d’imam; il réussit à les lui faire accepter en jurant que s’il
les refusait il le ferait mettre en prison.

En l’année 97b (1567-1568) mourut son voisin, mon aïeul
‘Iinran; ce fut Otsman qui présida à son service funèbre.
Mon aïeul fut enterré dans le nouveau cimetière tout près de
Sidi Aboul-Qrisem-Et-Touàti. Quant à l’imam, il mourut à
la fin de l’année 977 (1570) et on l’enterra dans le vieux

 

CHAPITRE ONZIÈME 101

cimetière (Dieu leur fasse miséricorde et leur témoigne sa
satisfaction!).

Les suffrages des gens de la grande mosquée se partagè-
rent entre le jurisconsulte Godâd-El-FouUani et le juriscon-
sulte Ahmed, fils de l’imam Seddiq. Le cadi El-‘Aqib fit choix
de Godâdet le nomma imam. C’était un homme excellent et
vertueux. Il conserva ses fonctions d’imam durant douze ans.

A sa mort il fut remplacé par l’imam Ahmed, fils de
l’imam Seddiq, et cela sur l’ordre du cadi El-‘Aqib. Ahmed
conserva ses fonctions quinze ans, neuf mois et huit jours
sous la dynastie des Songhaï, dont il fut le dernier imam
à la grande mosquée, et cinq ans sous le règne du sultan
hachémite Aboul-‘Abbas, Maulay-Ahmed. On trouvera plus
loin la date de Tavènement et de la mort de ces deux person-
nages à la mention des décès et des événements de l’an-
née 1021 (1612).

Quant à la mosquée de Sankoré, elle fut bâtie par une
femme, une grande dame, très riche, très désireuse de faire
de bonnes œuvres, à ce que l’on raconte ; mais nous ne savons
pas à quelle date cette mosquée fut bâtie. Un grand nombre
de cheikhs furent appelés successivement à en être l’irnam
(Dieu leur fasse miséricorde et leur pardonne!). Voici ceux
que nous avons connus (^r) dans l’ordre où ils ont été
nommés :

Le saint, le vertueux, le père des bénédictions, le juriscon-
sulte Mahmoud ben-‘Omar-ben-Mohamined-Aqît ;
il fut nommé imam sur l’autorisation du jurisconsulte, le
cadi Habib ; son successeur fut son cousin maternel l’imam
Anda-Ag-Mohammed, fils du jurisconsulte El-Mokhtar,
le grammairien. Il dut résigner ses fonctions quand l’âge eut
affaibU ses membres bénis. Quand l’imam Anda-Ag-Mo-
hammed mourut, le jurisconsulte, le cadi Mohammed, fils
du jurisconsulte Mahmoud, désigna pour occuper cette place

 

102 HISTOIRE DU SOUDAN

Mohammed, le fils du défunt. Celui-ci s’étant excusé à cause
de son incontinence d’urine, le cadi le contraignit à faire la
preuvede cette maladie et le jurisconsulte El-‘Aqib, fdsdii
jurisconsulte El-‘Aqib, fils du jurisconsulte Mahmoud, vint
apporter son témoignage sur ce point; alors le cadi Moham-
med revint sur sa décision et nomma imam le témoin lui-
même.

Après la mort du cadi Mohammed, frère d’El-‘Aqib,
le prince Askia-Daoud obligea El-‘Aqib d’accepter les fonc-
tions de cadi; il fut donc investi des deux charges et les
conserva jusqu’à sa mort, sans s’être jamais fait suppléer
pour la prière sinon durant la maladie à la suite de laquelle il
succomba. A ce moment il donna alors l’ordre au fils de son
frère, au jurisconsulte, à l’ascète Mohammed-El-Amin, fils
du cadi Mohammed, de diriger la prière des fidèles, mais sa
mère Nana’-Hafsa-bent-El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar s’y op-
posa. La prière en commun fut ainsi interrompue pendant
quelque temps à la mosquée. Alors le très docte, le juriscon-
sulte Mohammed-Baghyo’o, invita l’imam à désigner un
suppléant pour diriger la prière, mais celui-ci lui répondit :

« Oui, mais à la condition expresse que ce sera toi. — Cela
n’est pas possible, répondit Mohammed, à cause des devoirs
qui me retiennent à l’autre mosquée. »

Les notables s’accordèrent ensuite pour désigner son cou- sin, le jurisconsulte Abou-Bekr-ben-Ahmed-Bîr. On le désigna malgré lui : aussi après avoir dirigé les prières du dohor, de l’asr, de maghreb et de T’acha, il quitta la ville le soir môme et s’enfuit au village de Tenbahouri; il mourut peu de temps après cela. Les notables mirent alors en avant son frère, le saint de Dieu, le jurisconsulte Abderrahman, fils du jurisconsulte Mahmoud, qui fut nommé titulaire de la fonction et l’accepta; malgré qu’il fût très malade, il ne se

1. « Nana » est le féminin de San « maître, chef ».

fit jamais suppléer une seule fois jusqu’à la prise de la ville par Mahmoud-ben-Zergoun. Après lui on nomma le jurisconsulte Mohammed-ben-Mohammed-Koraï qui reste en fonctions jusqu’à sa mort. Pendant très peu de temps, le cadi, Sidi Ahmed, dirigea la prière; après lui ce fut son fils, le jurisconsulte Mohammed, qui occupa cet emploi et, quand il mourut, ce fut le jurisconsulte San- ta ou-ben-El-Hâdi-El-Oueddâni qui fut désigné par le cadi ‘Abderrahman-ben-A.hmed-Moghya et actuellement encore il est l’imam de Sankoré (“it).

 

CHAPITRE XII

SONNI-‘ALI

Quant à ce maître tyran, ce scélérat célèbre, Sonni-‘Ali,
dont le nom s’écrit avec un o placé après Vs et un i après
Vn redoublé, suivant l’orthographe que j’ai trouvée fixée
dans le Dzeil ed-dihndj du très docte jurisconsulte Ahmed-
Baba (le Dieu très-haut lui fasse miséricorde!), c’était un
homme doué d’une grande force et d’une puissante énergie.
Méchant, libertin, injuste, oppresseur, sanguinaire, il fit
périr telle quantité d’hommes que Dieu seul eu sait le nom-
bre. Il persécuta les savants et les pieux personnages en
attentant à leur vie, à leur honneur ou à leur considération.

Parlant des événements principaux du ix” siècle, le très
docte, l’érudit, El-‘Alqami (Dieu lui fasse miséricorde!)
s’exprime ainsi dans le commentaire de Touvrage de El-
Djelàl-Es-Soyouti, intitulé El-Djami-es-ser’ir^ : « Nous

1. Le titre complet de cet ouvrage relatif aux traditions musulmanes est :
j-iJI jÇU3l iloju. ^ jy^l A»l^’. Le commentaire dont il est question est
celui de Gheras-ed-Dîn-Mohammed-Ei-‘Alqami.

 

104 HISTOIRE DU SOUDAN

avons appris qu’il a paru au pays de Tekrour, sous le nom
de Sonni-‘Ali, un personnage qui fait périr les hommes et
ravage la contrée. Ce personnage a commencé de régner
en l’année 869^ (1464-1465). »

On rapporte que le père des bénédictions, le saint de
Dieu, le jurisconsulte, le cadi Mahmoud-ben-‘Omar-ben-
Mohammed-Aqît, naquit un an avant l’avènement de Sonui-
‘Ali. Cela est exact. En effet, j’ai vu dans le Dzeil’ que Mah-
moud (Dieu lui fasse miséricorde!) naquit en l’année 868 et
qu’il mourut en l’année 955 le jeudi soir, 16 dumois de ra-
madan (19 octobre 1548).

Sonni-‘Ali occupa le trône vingt-sept ou vingt-huit ans.
Son règne fut employé en expéditions guerrières et en con-
quêtes de pays. Il s’empara de Dienné où il séjourna un an
et un mois. Il conquit Djondjo et permit au Dirma-koï^ d’y
pénétrer à cheval et cela à diverses reprises. Eux deux
seuls jouirent de cette faveur qui appartenait exclusivement
au prince du Songhaï^

11 fit également la conquête de Bara et du territoire des
Senhâdja-Nounou qui, à cette époque, était gouverné par la
reine Bikoun-Kâbi. 11 s’empara de Tombouctou et de toutes
les montagnes, sauf Dom^ qui lui résista. Il conquit le pays
des Kounta*^ et eut le dessein d’infliger le même sort au pays

 

1. 866, d’après le ms. C, ce qui, d’après ce qui suit, est sûrement une erreur
de copiste.

2. Le Dzeil-ed-Dibddj de Ahmed-Baba, déjà cité précédemment.

3. C’est sans doute un titre de fonction : le chef du Dirma,

A. Le texte nu précise pas la ville dans laquelle le Dirmakoï avait le droit de
pénétrer à cheval, mais il semble bien que cela s’applique à la ville de Djondjo.

5. L’auteur écrit : « les montagnes >>, sans doute pour dire les pays monta-
gneux dont faisait partie celui de Dom ou Doum.

6. La tribu des Kounla est une grande tribu maure de la région dite Sahel;
son territoire irés vaste s’élencl au nord-ouest de Tombouctou et confino. au
pays d(î l’Adrar (cf. la Notice sur les Maures du Sénégal et du Soudan, par le
commandant M. de Lartigue, dans le liullelin du Comité de l’Afrique française,
supplément de juillet 1897).

 

CHAPITRE DOUZIEME 105

de Bergou’, mais il ne put y parvenir. Sa dernière expédi-
tion fut dirigée contre le pays de Gourma^

Aussitôt que Sonni-‘Ali fut investi de l’autorité souve-
raine, le Tombouctou-Koï, le cheikh Mohammed-Naddi, lui
adressa une lettre de vœux et de salutations. Dans cette
lettre il demandait au prince de ne pas lui enlever son ar-
gent, car il se considérait lui-même comme un des mem-
bres de la famille du prince \

A sa mort, le cheikh fut remplacé dans ses fonctions par
son fils Omar. Celui-ci écrivit à son tour une lettre qui était
tout l’opposé de celle que son père avait adressée au prince.
Dans cette lettre, en effet, il disait que son père avait quitté
ce monde sans posséder autre chose que deux pièces
d’étoffe de lin. Quant à lui, ajoutait-il, il avait de nom-
breuses forces à sa disposition (lo) et tous ceux qui vou-
draient lui faire obstacle verraient quelles étaient ces forces.
En recevant cette lettre, Sonui-‘Ali dit à ses compagnons :
« Quelle difTérence entre l’esprit de ce jeune homme et
celui de son père! L’écart qui se manifeste entre leurs dis-
cours est égal à celui qui existe entre leurs esprits. »

Sonni-‘Ali entra à Tombouctou le 4 ou le 5 du mois
de redjeb de Tannée 873 (29 ou 30 janvier 1468), la qua-
trième ou la cinquième année de son avènement au trône.
Il exerça dans cette ville de grands, d’immenses et terribles
ravages; il l’incendia, la ruina et fît périr un grand nombre
de personnes.

Dès que Akil avait entendu parler de la venue de Sonni-

 

1. Ou Berkou.

2. Ou « Korma ». Il s’agit ici sans doute du pays de Gourraa qui se trouve
dans la boucle du Niger.

3. J’ai adopté la leçon du ms. G qui remplace ^Ilj par 4IU. Il est impos-
sible de conserver la leçon du texte imprimé, même en supposant que le cheikh
demandait à ne pas envoyer ses enfants comme otages à la cour parce qu’il se
considérait comme appartenant à la famille du prince.

 

106 HISTOIRE DU SOUDAN

‘Ali, il avait fait venir mille chameaux et, emmenant avec
lui les jurisconsultes de Sankoré, car leur sort était ce qui
le préoccupait le plus, il était parti pour Biro. De cet exode
faisaient partie le jurisconsulte ‘Omar-ben-Mohammed-Aqît,
et ses trois enfants bénis : le jurisconsulte Abdallah, le juris-
consulte Ahmed qui était Taîné des trois, et le jurisconsulte
Mahmoud qui était le moins âgé. Ce dernier, à cette épo-
que, était un enfant de cinq ans, incapable aussi bien de
se tenir sur une monture que de marcher à pied. Il fallut le
porter sur les épaules et ce fut le grand-père de Makkanki,
un de leurs esclaves, qui eut la charge de ce fardeau jus-
qu’à l’arrivée à Biro. Dans le groupe de ceux qui firent ce
voyage se trouvait l’oncle maternel de ces jeunes gens, le
jurisconsulte El-Mokhtâr, le grammairien, fds du juriscon-
sulte Anda-Ag-Mohammed qui connu! l’imam Ez-Zemmouri
(Dieu lui fasse miséricorde!) à Biro et obtint de lui le di-
plôme pour l’enseignement du livre de Ech-Chifa du cadi
lyâd (Dieu lui fasse miséricorde!).

Le jour du départ, on vit des hommes d âge mûr, tout
barbus, trembler de frayeur quand il s’agissait d’enfourcher
un chameau, et tomber ensuite à terre aussitôt que l’animal
se relevait. C’est que nos vertueux ancêtres gardaient leurs
enfants dans leur giron, en sorte que ces enfants grandis-
saient sans rien savoir des choses de la vie, parce que, étant
jeunes, ils n’avaient jamais joué. Or, le jeu à ce moment,
forme l’homme et lui apprend un très grand nombre de
choses. Les parents regrettèrent alors d’avoir agi ainsi et
lorsqu’ils furent de retour à Tombouctou, ils laissèrent à leurs
enfants le temps de jouer et se relâchèrent de la contrainte
qu’ils leur avaient imposée.

Le tyran, le libertin \ s’empressa de faire périr ou d’hn-

\. L’auteur emploie souvent ces deux épithètes pour désigner Sonni-‘Ali.

 

CHAPITRE DOUZIÈME 107

milier tous les savants qui étaient restés à Tombouctou.
Il donna pour prétexte qu’ils étaient les amis des Touareg,
leurs courtisans, et que c’était pour cela qu’il était irrité
contre eux. Il fit emprisonner la mère du jurisconsulte Mo-
hammed qui était Sata\ la fille de Anda-Ag-Mohammed (‘^’v),
et il fit mettre à mort les deux frères de cette dame, le ju-
risconsulte Mahmoud et le jurisconsulte Ahmed, tous deux
fils du jurisconsulte Anda-Ag-Mohammed. Bref, il ne cessa
d’infliger misères sur misères, humiliations sur humiliations
à tous les savants (Dieu nous préserve d’un pareil sort!).

Un jour il donna l’ordre de lui amener, pour en faire ses
concubines, trente vierges, filles de savants. Il se trouvait
alors au port de Kabara et voulut que ces jeunes filles fis-
sent la route à pied. Elles partirent donc, sortant pour la
première fois du gynécée ^ Un serviteur du prince les accom-
pagnait; il les fit marcher jusqu’à ce que, arrivées à un cer-
tain endroit, elles furent absolument incapables d’aller plus
loin. Le serviteur en avisa le prince qui ordonna de les
mettre à mort toutes, ce qui fut fait fie Ciel nous préserve!).
L’endroit où elles s’étaient arrêtées est situé à l’ouest et tout
près d’Amadagha et s’appelle : Fina qadar el-ahkdr^ .

Après le départ des savants pour Biro, Sonni-Wli investit”
des fonctions de cadi le jurisconsulte, le cadi Habib, petit-
fils du seyyid ‘Abderrahmàn-Et-Temîrai, et il eut les phis
grands égards pour le cousin paternel de ce cadi, El-Ma-
moun, père de ‘Ammâr-Ida-El-Mamoun. C’était au point
qu’il ne l’appelait que « mon père »*. Aussi, quand le prince

1. Ou « Sita ».

2. Les jeunes filles sortent très rarement chez les musulmans des villes, aussi
sont-elles peu habituées à la marche.

3. C’est-à-dire : « le seuil du destin des vierges », ou, peut-être, avec une
vocalisation différente, « la limite du pouvoir des vierges ».

4. Dans la conversation les Arabes s’interpellent souvent par des expressions
telles que : « mon cousin », « mon frère », « mon oncle », « mon fils », « mon
père ». Cette dernière formule marque toujours une grande déférence.

 

108 HISTOIRE DU SOUDAN

fut mort] et que tout le monde commença à raconter ses
méfaits, El-Mamoun répétait toujours : « Je ne dirai aucun
mal de Sonni-‘Ali; il a toujours été bon pour moi; jamais il
n’a mal agi vis-à-vis de moi, comme il l’a fait à l’égard des
autres. » Il n’en disait donc ni bien, ni mal, et cette juste
attitude lui vabit la considération du père des bénédictions, le
jurisconsulte Mahmoud.

Jusqu’en l’année 875 (1470-1471), Sonni-‘Ali continua à
faire mettre à mort des savants ou à les humiUer. Aussi tous
ceux des gens de Sankoré qui étaient demeurés dans la ville
s’enfuirent-ils également à Biro. Le prince envoya le Tom-
bouctou-Koï, El-Mokhtâr-Mohammed-ben-Naddi, à la pour-
suite des fuyards. Celui-ci les rattrapa à Ta’djit ^ où eut
lieu un combat dans lequel les plus éminents d’entre eux
trouvèrent la mort. Cette affaire de Ta’djit est bien connue.

Se tournant ensuite contre les enfants du cadi El-Hay^ qui
se trouvaient à Alfa’a^-Konko, le prince leur infligea toutes
sortes d’avanies et d’humiliations. Bon nombre d’entre
eux se réfugièrent alorsàïikda. Sonni-‘Ah déclara alors que
ces personnes s’étaient rendues dans cette région pour faire
appel aux Touareg et leur demander de venir les venger de
lui. Il donna aussitôt l’ordre de massacrer tous ceux qui
étaient restés à Alfa a-Kouko et, après en avoir fait périr un
grand nombre, il fit emprisonner le reste, hommes et femmes
(Dieu nous préserve!). Ce fut à cause de cela, dit-on, que,
depuis cette époque jusqu’à ce jour, la pluie ne tomba plus
en cet endroit en quantité suffisante pour être utile.

Trente hommes, d’entre les plus éminents, s’enfuirent
de cette ville et se dirigèrent vers l’ouest (nv). Un cer-

 

1. Ou Ta’djiti.

2. Ou Ël-Hayy.

3. Le ms. C dit : Alfagha. Il semble que c’est plutôt le mot Alfa’a qui signifie
« lettré », « savant », « marabout ».

 

CHAPITRE DOUZIÈME 109

tain jour, qu’au cours de leur fuite ils étaient arrivés à la
ville de Chîbi, ils s’installèrent sous un arbre pour y faire la
sieste ; ils n’avaient rien mangé depuis la veille et s’endor-
mirent. L’un d’eux s’éveilla bientôt et dit à ses compagnons :
« Je viens de nous voir tous en songe rompant notre jeune
cette nuit même dans le paradis. » A peine avait-il achevé
ces paroles que des cavaliers envoyés par le perfide, le scé-
lérat, arrivèrent et les mirent tous à mort (Dieu nous pré-
serve! qu’il fasse miséricorde à tous ces personnages et leur
témoigne sa satisfaction!).

Un certain jour, pour lui faire affront et lui infliger une
torture, le prince obligea le jurisconsulte Ibrahim, chef de
Alfa’a-Konko,.et fils d’Abou-Bekr, fils du cadi El-Hay, de
demeurer en plein soleil dans cet endroit. Le prince vit alors
en songe le père d’Ibrahim, Abou-Bekr, qui, de son bâton,
lui donnait des coups vigoureux en disant : « Que Dieu dis-
perse tes enfants comme tu as dispersé les miens ! » Ce vœu
fut exaucé.

Quant aux personnes de Alfa’a-Konko qui s’étaient réfu-
giées à Tikda, elles y demeurèrent et firent de cette ville leur
nouvelle patrie.

Malgré toutes ces persécutions qu’il faisait endurer aux
savants, Sonni-‘Ali reconnaissait cependant leurs mérites.
« Sans les savants, dit-il, il n’y aurait en ce monde ni agré-
ment, ni plaisir. » Et de fait, il faisait du bien à certain nom-
bre d’entre eux et les comblait d’égards. Ainsi, lorsqu’il fit
une expédition contre les Foulan’ et qu’il razzia la tribu de
Sonfotir, il envoya un grand nombre de femmes captives aux
notables de Tombouctou, quelques-unes aux savants et aux
saints en guise de cadeau, et il enjoignit à tous d’en faire
leurs concubines. Ceux qui n’observent point les devoirs
de la rehgion en firent en effet leurs concubines, mais les

1. Les Peuls ou Foulbés.

 

UO HISTOIRE DU SOUDAN

hommes qui en suivent fidèlement les préceptes les épou-
sèrent.

Parmi ces derniers, figura le grand-père de ma grand’-
mère paternelle, l’éminent seyyid, l’homme de bien, l’as-
cète, l’imam Abdallah-El-Belbàli; il épousa la femme qui
lui avait été envoyée et qui s’appelait ‘Aïcha-El-Foulâniya*.
C’est de ce mariage qu’est née Nâna-Bir-Touri, la mère de
la mère de mon père. Mon père a encore pu connaître cette
Aïcha ; elle était extrêmement vieille et devenue aveugle.

Au nombre des traits de caractère de ce tyran libertin,
il faut citer la façon dont il se jouait de la religion. 11 remet-
tait à la nuit ou au lendemain ses cinq prières quotidiennes ;
alors il faisait les gestes à plusieurs reprises tout en restant
assis et en désignant successivement chaque prière par son
nom*. Après quoi il faisait une seule salutation finale et di-
sait : « Maintenant répartissez-vous tout cela entre vous,
puisque vous vous connaissez bien les unes les autres. »

Un autre trait de son caractère, c’est qu’il donnait l’ordre
de tuer quelqu’un, fût-ce une des personnes qu’il estimait
le plus, sans le moindre motif, ni (“va) la moindre nécessité.
Parfois il se repentait de ce qu’il avait fait. Aussi, connais-
sant bien cette particularité, ses serviteurs faisaient cacher
et mettre à l’abri tous ceux dont le meurtre ordonné pou-
vait donner lieu à un repentir de sa part. Aussitôt que ce
repentir se manifestait ils lui disaient : « Nous l’avons épar-
gné, il n’est pas mort. » Il était alors très heureux de cette
circonstance.

Un de ses serviteurs Askia-Mohammed agit souvent de cette

i. ‘Aïcha, la Foui bée.

2. Au lieu de faire, par exemple, la prière du malin à l’heure canonique, il
la faisait le soir en même temps que d’autres, se contentant de dire : « Ceci est
la prière du malin, ceci est la prière du midi, titc. ». De même pour gagner du
temps il faisait la salutation finale qui termine chaque prière une seule fois
pour les cinq prières.

façon. Que de fois ayant reçu l’ordre de mettre quelqu’un à mort ou de l’emprisonner, il fit le contraire de ce qui lui avait été dit. Cet Askia-Mohammed agissait ainsi parce qu’il était très énergique et très courageux; Dieu avait mis cette énergie dans son tempérament. Quand il lui arrivaitbd’être en butte aux violences du prince, sa mère Kasaï allait à Tombouctou trouver Nâna-Tinti, la fille du jurisconsulte Abou-Bekr, fils du cadi El-Hay; elle lui demandait de faire des prières pour que Dieu secourût son fils contre Sonni-‘Ali. « Si Dieu, disait-elle, exauce votre prière, il vous accordera, s’il lui plaît, toutes les joies dans vos enfants et dans vos proches. » Cette promesse s’accomplit quand il arriva au pouvoir.

Quant au frère d’Askia, ‘Omar-Komzâgho, il se montra très docile aux ordres du prince, car c’était un homme intelligent et fin ; aussi le tyran ne lui causa-t-il jamais le moindre ennui, contrairement à ce qu’il fit à son secrétaire Ibrahim-El-Khidr. Ce secrétaire, originaire de Fez, était venu se fixer à Tombouctou et habitait dans le quartier de la grande mosquée du côté du sud en tirant un peu vers l’ouest. Sonni- Ah, qui lui avait conféré les fonctions de secrétaire, donna un jour l’ordre de le mettre à mort et de confisquer tous ses biens. L’ordre ne fut exécuté qu’eu partie’, car les serviteurs du prince cachèrent Ibrahim. Les choses demeurèrent ainsi jusqu’au jour où le prince reçut le livre de la Risdla^. N’ayant auprès de lui personne en état de le lire, il s’écria : Ah! si Ibrahim, le ventripotent, était là, nous ne serions point dans l’embarras où nous sommes à cause de ce livre ! — Ibrahim est vivant, lui dit-on

1. Le texte dit : « l’ordre fut exécuté », sans dire en partie ce que la suite
indique.

2. Cette anecdote semble avoir pour but de montrer qu’il n’existait plus de
savants à Tombouctou, puisque personne n’était capable de lire cet ouvrage de
droit appelé la Risdla.

 

112 HISTOIRE DU SOUDAN

alors , nous l’avons caché, w Le prince donna l’ordre de faire
venir Ibrahim. Celui-ci lut le livre et fut réintégré dans ses
fonctions. En outre il reçut le double de l’argent qu’il avait
perdu. Malgré cela il ne trouva le calme et le repos que sous
le règne de Askia-Mohammed qui le confirma dans ses fonc-
tions, l’honora et le traita généreusement jusqu’au jour où
il mourut. Hauïa\ le fils d’Ibrahim, succéda à son père dans
ses fonctions de secrétaire, mais il fut attaché en cette qua-
lité à la personne de l’inspecteur^ nommé par Askia à Tom-
bouctou. Ce nouveau poste était honorable et d’une grande
importance.

Sonni-‘Ah entra à Kabara en l’année 882 (1477) ; c’était
au cours de cette même année que le roi de Mossi^ entra à
Sâma. En 884 (1479) Sonni-‘Ali était à Tosoko. Cette même
année naquit Aïda-Hamed, fils de la sœur de Alfa ^-‘Mah-
moud. Quant à Mahmoud (Dieu lui fasse miséricorde!) il jeûna
pour la première fois ^ cette année-là également (n*i). Il a ra-
conté qu’il avait alors, si je me trompe, dix-sept ans, et
qu’il quitta Kabara en l’année 885 ^ (1480).

En cette année-là au mois de djomâda ï” (9 juillet-8 août
1480) le roi de Mossi entra à Biro qu’il quitta en djomada II
(8août-7 septembre 1480); le siège avait duré un mois. Il
exigea des habitants qu’on lui donnât une femme et il
épousa la fille de l’éminent seyyid Anda-Naddi-‘Ali-ben-
Abou-Bekr^ Il la garda jusqu’à l’avènement du prince des
Croyants Askia El-Hâdj-Mohammed. Ce fut ce prince qui dé-

1. Ou Houïa.

2. C’était une manière de contrôleur de l’administration locale.

3. Le texte porte simplement Mouclii, qui est pour Mossi; mais on trouve
Mouclii-Koï un peu plus loin.

4. Le mot Alfa’ ici à la valeur de « savant ».

5. C’est souvent par l’époque à laquelle il a jefiné pour la première fois qu’un
musulman connaît approximativement la date de sa naissance.

6. Ms. C dit : 805.

7. Ce passage du texte imprimé renferme le déplacement d’un membre de
phrase qui le rend inintelligible.

 

CHAPITRE DOUZIEME 113

livra cette femme des mains du roi de Mossi après lui avoir
fait la guerre et saccaj^^é la ville; alors il épousa cette femme
à son tour. Après le siège, le roi du Mossi livra combat aux
habitants de Biro, les vainquit et emmena leurs familles en
captivité. Mais, comme il s’en retournait avec son butin, les
habitants de Biro le poursuivirent, lui livrèrent bataille et
délivrèrent leurs familles captives. Omar-ben-Mohammed-
Naddi, qui à cette époque était à Biro, se fit remarquer par
sa vaillance et son ardeur au combat. Il fut le premier à at-
teindre le roi du Mossi* et sut le forcer à livrer les familles
qu’il emmenait en captivité.

Au mois de cha’aban de cette année (8 octobre-7 no-
vembre 1480) Alfa -Mahmoud quitta Biro et revint à Tom-
bouctou. Il a raconté (Dieu lui fasse miséricorde!) qu’il étu-
dia alors la Risdla d’Ibn-Abou-Zeïd sous la direction de
Aïda-Hamed^ On en était au passage relatif aux deux gé-
nuflexions de la pièce de l’aurore quand le roi du Mossi arriva.
Mahmoud étudia aussi une partie de ce livre sous la direc-
tion de Ahmed-ben-‘Otsmân, mais je ne me souviens plus
avec qui il en acheva l’étude. Il commença ensuite à étudier
le Telidih sous la direction de son frère.

Le jurisconsulte El-Mokhtàr, le grammairien, oncle ma-
ternel de Mahmoud, revint aussi à Tombouctou. Quant au
père de Mahmoud, le jurisconsulte, ‘Omar-ben-Mohammed-
‘Aqît, il mourut là-=bas (à Biro).

Quand le tyran eut cessé de régner, Mahmoud, qui habi-
tait Tombouctou, écrivit à son frère, le jurisconsulte Abdallah
qui était alors à Tâzekhta, bourg situé dans le voisinage de
Biro. Dans cette lettre il ordonnait à son frère de venir à
Tombouctou, mais celui-ci lui répondit qu’il ne viendrait
jamais dans cette ville, parce que les gens de Sankoré ne te-

1. Ce prince portait le titre de Mossi-Koï.

2. Le texte imprimé a oj,, au lieu dea,l,la véritable leçon donnée par le ms. C.

{Histoire du Soudan.) 8

 

114 HISTOIRE DU SOUDAN

liaient aucun compte des liens de parenté, ni des devoirs fi-
liaux et se répandaient en calomnies les uns contre les autres.
Il ajoutait qu’en outre il ne voulait pas habiter là où se trou-
vait la postérité de Sonni-‘Ali. Enfin, s’il fallait absolument
qu’il habitât Tombouctou, il voulait que ce ne fût pas ailleurs
que dans le quartier de la grande mosquée dans le voisinage
du sultan El-Oudjli, le père de ‘Omar-Biro, parce qu’il con-
naissait les excellents sentiments de ce personnage à cause
des bous rapports qu’ils avaient eus ensemble lorsqu’ils
étaient voisins à Tâzekhta. 11 resta donc à Biro jusqu’à sa
mort (Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse participer à
ses bénédictions!).

Dès qu’il fut installé à Tombouctou, le père des bénédic-
tions, le jurisconsulte Mahmoud, fréquenta assidûment le
cadi Habib afin d’apprendre de lui la théologie ^ Cela dura
jusqu’au jour où Habib son maître mourut en lui léguant
(v •) ses fonctions de cadi et en lui recommandant de ne pas
fréquenter les gens riches dans leurs demeures aussitôt qu’il
serait nommé cadi. H ne lui faisait cette recommandation
que pour éviter les dommages qui résulteraient de cette
fréquentation pour les faibles et les malheureux, car il avait
pu jugerpar lui-même des inconvénients que cela présentait.

Mahmoud se conforma aux instructions du défunt (Dieu
leur fasse miséricorde à tous deux et nous soit favorable à
cause d’eux dans ce monde et dans l’autre!).

Puis le prince Sonni-‘Ali entreprit de creuser im canal
à partir de Ras-el-ma pour arriver par eau jusqu’à Biro’.
H déploya pour cette œuvre tous ses efforts et il y dépen-
sait la plus grande activité, lorsque la nouvelle lui vint

1. Ou « la science » d’une manière générale. Cependant il est plus probable
que le mol ^ ici est employé pour désigner la théologie

2. Ce canal n’était point destiné à favoriseF le commerce de cette ville, mais
à permcllre de l’attaquer plus facilement.

 

CHAPITRE DOUZIÈME H5

qu(3 le roi du Mossi avait décidé de marcher contre lui à
la tête de ses troupes et de l’attaquer. L’endroit où se trou-
vait Sonni-‘Ali quand il reçut cette nouvelle s’appelle Chan-
Fenech* et c’est là que s’arrêta le canal. Dieu épargna ainsi
aux habitants de Biro le malheur qui les menaçait ^

Se portant ensuite à la rencontre du roi du Mossi, Sonni-
Ali prit contact avec lui à Djiniki-To’oï, bourg situé près
de la ville de Kobi en arrière du Fleuve, La bataille s’engagea
en cet endroit et Sonni-‘Ali vainqueur mit en fuite le roi du
Mossi et le poursuivit jusqu’à la limite de ses États sur le ter-
ritoire desquels il pénétra. Cette bataille eut lieu en l’an-
née 888 (1483).

Sonni-‘Ali revint alors sur ses pas; il campa à Dira, puis
il se mit en marche pour faire la conquête des montagnes,
ainsi qu’il a étédit précédemment. Après quoi il fit une expé-
dition contre le Gourma, fut vainqueur et saccagea le pays.
Ce fut sa dernière expédition. En quittant Bâtira, il fit res-
taurer le rempart de Kabara appelé Tila, en l’année 890
(1485).’

Cette année-là, El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar-ben-Moham-
mcd-Aqît partit en Orient pour faire le pèlerinage de La
Mecque et il en revint à l’époque des violences du Kharedjite
Sonni-‘Ali, selon ce que rapporte Ahmed-Baba, dans le DzeiL

En891(i4S6),leTombouctou-Koï,El-Mokhtar-ben-Moham-
med-Naddi, fut arrêté et mis en prison par ordre de Sonni-
‘Ali. L’année suivante, en 892 (1487), en présence du ju-
risconsulte Abd-el Djebbâr-Koko, on prononça le nom de
Sonni-‘Ali à Arafa^ et Abd-el-Djebbâr fit des imprécations
contre lui. A partir de ce moment la puissance du prince
décrût et bientôt prit fin.

1. Ou : Ghan-Fenes.

2. C’est-à-dire l’exécution du canal.

3. Colline de La Mecque où s’accomplissent certaines cérémonies du pèleri-
nage.

 

116 HISTOIRE DU SOUDAN

L’affaire de Tosoko* eut lieu en 893 (1488). Ce fut au cours de cette année que les gens de Tombouctou entrèrent à Hauki où ils demeurèrent cinq ans. Parmi les personnages qui émigrèrent alors on peut citer : le saint de Dieu, Sidi Aboul-Qâsem-Et-Touâti; le père des bénédictions, le jurisconsulte Mahmoud, son frère El-Hâdj -Ahmed, etc. (Dieu leur
fasse miséricorde !).

Moaddib-Zonkâsi mourut en 894 (1489) (v>) et, en 898
(1492-93) mourut Sonni-‘Ali, filsdeSonni-Mahmoud-Da’ou,
au moment où il revenait de son expédition du Gourmadans
laquelle il avait guerroyé contre les Zeghrâni et les Foulâni
et les avait combattus. En arrivant dans le pays de Gourma,
au moment du retour, il fut emporté en route par un tor-
rent appelé Koui et périt par la volonté du Puissant, du
Tout-Puissant, le 15 du mois de moharrem, le premier des
mois de l’année 898 (6 novembre 1492) de l’hégire. Ses
enfants lui firent ouvrir le ventre, en retirèrent les entrailles
et remplirent la cavité de miel afin que le corps ne se cor-
rompît pas. Mais on prétend que Dieu lui a infligé cela’- en
punition de la tyrannie qu’il avait déployée sa vie durant en-
vers les populations. L’armée de Sonni-‘Ali campa à Ba’a-
nayiya.

 

CHAPITRE XIII

ASKIA-EL-HADJ-MOHAMMED

 

Le fils de Sonni- Ali, Abou-Bekr-Dâ’ou, fut proclamé sou-

 

1, Le texte porte simplement : Tosoko.

2. « Cela », c’est à-dire d’avoir le ventre ouvert.

 

CHAPITRE TREIZIÈME 117

verain dans la ville de DonoghaV Dès que le très fortuné,
le très orthodoxe Mohammed-ben-Abou-Bekr-Et-Touri, ou,
suivant d’autres auteurs, Es-Sellenki^,un des principaux gé-
néraux de Sonni-‘Ali, eut appris cette nouvelle ^ il conçut le
dessein de s’emparer du pouvoir souverain et, dans ce but,
il combina de nombreux moyens d’action. Aussitôt qu’il eut
achevé d’agencer le réseau de ses machinations, il se mit
en marche à la tête de tous ses partisans et alla attaquer la
ville dont il vient d’être parlé, dans la nuit* du l'”” du mois
de djomada P”” de cette année (18 février 1493). Mais,
ses troupes mises en déroute, Mohammed prit la fuite
et ne s’arrêta que lorsqu’il eut gagné le bourg de Ankogho^
qui est voisin de Kâgho. Il demeura dans ce bourg pour y
rassembler ses troupes et eut une nouvelle rencontre avec
son adversaire en cet endroit, le lundi, 14 du mois de djo-
mada 1″ (3 mars 1493). Le combat s’engagea avec une
grande violence; la lutte fut si terrible et l’action si meur-
trière que tous faillirent y succomber (vi). Enfin, Dieu
donna la victoire au très fortuné, au très orthodoxe Moham-
med-ben-Abou-Bekr et Sonni-Abou-Bekr-Dâ’ou s’enfuit à
Abar^ où il demeura jusqu’à sa mort.

A la suite de cette victoire, le très fortuné, le très ortho-
doxe^ Mohammed devint maître du pouvoir suprême, prince
des Croyants, khalife des musulmans. En apprenant cette

1. Ou « Dono’a », suivant le ms. G.

2. Ou « Selenki »,

3. Le texte est ainsi conçu, mais il s’agit évidemment de la nouvelle do la
mort de Sonni-‘Aii.

4. Mot à mot : « la deuxième nuit » . Mais on sait que, dans le compte du temps,
les Arabes placent la nuit avant le jour : la deuxième nuit du mois pour eux est
donc, suivant notre supputation, la première du mois.

5. Ou : « Anko’o ».

6. La leçon de l’imprimé est « Ayan ».

7. Les deux épithètcs appliquées à Mohammed sont employées sans la mcn-
ion de son nom ; elles ont pour objet de permettre de distinguer ce person-
nage d’avec les autres dont il est question, sans être obligé de répéter chaque
fois son nom.

 

118 HISTOIRE DU SOUDAN

nouvelle, les filles de Soiuii-‘Ali s’étaient écriées : « Askia,
expression qui, dans leur langue, signifie : « il ne l’est pas’! »
Quand on rapporta ce propos à Mohammed, il enjoignit
qu’on ne lui donnât pas d’autre surnom que cette expression,
et qu’on l’appelât Askia-Mohammed.

Dieu délivra ainsi les musulmans de leurs angoisses ; il se
servit du nouveau prince pour faire cesser les malheurs et
les agitations dont ils souffraient. Askia-Mohammed déploya,
en effet, le plus grand zèle pour fortifier la communauté
musulmane et améliorer le sort de ses membres. Il fré-
quenta les docteurs et leur demanda des avis sur ce qu’il
était de son devoir de faire dans les affaires du gouverne-
ment.

La population qui, sous le règne du Kharédjite Sonni-
‘Ali, était tout entière appelée au service des armes, fut
dorénavant divisée en deux catégories : l’armée et le peuple.
Le prince envoya tout d’abord au prédicateur ‘Omar l’ordre
de faire sortir de prison El-Mokhtâr-ben-Mohamm(»d-Naddi
et de le lui amener afin qu’il le rétablît dans ses fonctions.
Le prédicateur répondit que El-Mokhtâr était mort; mais,
d’après certains récits, ce serait lui qui se serait hâté de
faire périr le prisonnier à ce moment-là. Alors, le prince
manda de Biro Omar, le frère de El-Mokhtâr, et l’investit
à la place de son frère des fonctions de Tombouctou-Koï.

A la fin de l’année 899^ (1494), Askia-Mohammed s’em-
para de Zâgha par l’intermédiaire de son frère le Kourmina-
Fàri\ Amar-Komzâgho ; cette même année, il livra combat

 

1. Ou : « il ne le sera pas »!

2. On remarquera que ce diangcment de dynastie coïncide presque cxacle-
-nent avec le commencement du x” siècle. C’est que le commoncomcnt de cha-
que siècle étant considéré comme une sorte d’époque fatidique, où peut appa-
raître un malidi, les révolutions ont à ce momunl plus d(! chances de succès
qu’à tout autre date.

y. Titre d’une fonction.

 

CHAPITRE TRKIZIÈME 119

à Bakar-Magha. Au cours de la deuxième année du dixième
siècle, au mois de safar (21 octobre- 19 novembre 1495),
si je ne me trompe, il partit pour accomplir le pèlerinage
de La Mecque. 11 visita le temple sacré entouré d’un groupe
de notables pris dans chacune des tribus.

Parmi les notables qui accompagnaient le prince figurait
le saint de Dieu, Mour-Sâlih-Djaura (Dieu lui fasse miséri-
corde et nous fasse profiter de son influence dans ce monde
et dans l’autre!). D’origine ou akori, il était né à Tauta-allah,
ville située sur le territoire du Tendirma. Durant le trajet du
voyage, le prince put juger de l’influence du cheikh auprès
de Dieu. Entre La Mecque et Le Caire, le simoun souffla
avec une telle violence que la provision d’eau s’évapora
complètement. On était sur le point de mourir de chaleur et
de soif. Le prince envoya alors demander à Mour d’implorer
Dieu pour qu’il les abreuvât d’eau et d’invoquer aussi dans
sa prière le patronage du Prophète (que Dieu répande sur lui
ses bénédictions et lui accorde le salut!). Le saint per-
sonnage bouscula vivement le messager en lui disant :
« Le patronage du Prophète est trop élevé pour qu’on le
fasse intervenir à propos de choses terrestres. » Puis il
adressa une prière à Dieu et aussitôt une large ondée leur
permit de s’abreuver au gré de leur désir.

Le prince avait emmené avec lui un corps de troupes de
1.500 hommes : 500 cavaliers et 1.000 fantassins. Au nom-
bre de ses compagnons se trouvaient : son fils Askia-Mousa,
le Hoco-Koraï-Koï* ‘Ali-Folen, etc. Les fonds qu’il avait em-
portés s’élevaient à 300.000 pièces d’or. Cette somme avait
été prise chez le prédicateur ‘Amar et faisait partie du trésor
à lui confié par Sonni-‘Ali. Quant à l’argent que Sonni-‘Ali
avait dans son palais, il avait disparu sans qu’on en eût ja-
mais rien retrouvé.

1. C’était le titre do ia fonction de ce personnage.

 

120 HISTOIRE DU SOUDAN

Askia-Mohammed accomplit les rites du pèlerinage de
La Mecque et visita les lieux saints. Tous ceux que Dieu
avait désignés pour l’accompagner firent également le pèle-
rinage à la fin de cette même année*. Le seyyid béni, Mour-
Sâlili-Djaura, adressa les prières les plus ferventes en faveur
de Amar-Komzâgho, le frère du prince. ‘Amar, qui était
resté au Soudan pour diriger les affaires de l’empire, avait
pour Mour la plus vive affection ; il lui rendait bien des ser-
vices et le traitait avec la plus grande déférence.

Sur les fonds qu’il avait emportés, le prince préleva une
somme de 100.000 pièces d’or qu’il remit comme aumône
aux deux villes saintes, puis il acheta à Médine un jardin
qu’il constitua ouaqf en faveur des gens du Soudan ; ce jardin
est bien connu là-bas. Les dépenses d’entretien se montèrent
à 100.000 pièces d’or et 100.000 pièces d’or furent em-
ployées en achat de marchandises et autres choses dont le
prince eut besoin.

Dans ces régions bénies, Askia-Mohammed rencontra le
noble khalife abbasside^ et lui demanda de le désigner
comme son lieutenant pour le pays du Songhaï. Le khalife
acquiesça à son désir, en l’invitant à se dessaisir de son au-
torité pendant trois jours et à venir ensuite le trouver le
quatrième jour. Les choses s’étant ainsi passées, le khalife
déclara Askia-Mohammed son lieutenant en lui plaçant sur
la tête un bonnet et un turban et fit ainsi de lui un véritable
heutenant de l’Islam.

Askia-Mohammed eut occasion de voir, en ces contrées,
un grand nombre de docteurs musulmans et de saints per-

 

1. Les céK-monies du pèlerinage ont lieu dans le dernier mois de l’année mu-
sulmane.

2. EI-Molaouokkel-‘ala-Allah-Abou’l-‘Izz-Al)dclaziz-bcn-Ya’qoub-lien-Moham-
med-ben-El-Mo’aladhed-billali,etc., le li” khalife abbassidc d’Egypte; (avril l/ùî)-
seplembre 1497), Ces khalifes n’exerçaient plus depuis longtemps que l’autorité
spirituelle et c’est en celte qualité qu’ils désignaient les souverains temporels.

 

CHAPITRE TREIZIÈME 121

sonnages^ entre autres Kl-Djelâl-Es-Soyouti (Dieu lui fasse
miséricorde !) ; il les questionna sur divers points relatifs à ses
Etats et obtint d’eux des réponses motivées. Il leur de-
manda également de prier pour lui et il ressentit les effets
de leurs bénédictions.

La troisième année du siècle, il était de retour de son
pèlerinage et entrait à Kâgho au mois de dzoul-hiddja, le
dernier mois de cette année (31 juillet-30 août 1497).

Dieu favorisa le règne de A skia-Mohammed, il hii assura
de grandes conquêtes et le couvrit de son éclatante protec-
tion. Ce prince s’empara de tout le pays des Kounta jusqu’à
l’océan Atlantique du côté de l’occident et son autorité
s’étendit de la frontière du pays de Bindoko jusqu’à Teghazzé
et ses dépendances. Tous ces peuples il les soumit par le
glaive et par la force, ainsi qu’on le verra dans le récit de
ces expéditions. Dieu accomplit (vt) partout ce que ce prince
désirait, en sorte que Askia-Mohammed fut aussi docile-
ment obéi dans tous ses Etats que dans son propre palais.
Partout régnèrent une large abondance et la paix absolue.
Louanges soient rendues à Celui qui favorise qui il veut de
la façon qui lui plaît ; Il possède la suprême bonté.

Durant l’année 903 (août 1 497-aoùt 1498) il entreprit une
expédition contre Na’asira, le sultan* du Mossi. Il emmena
avec lui le seyyid béni, Mour-Sâlih-Djaura, en l’invitant à lui
donner les indications nécessaires pour que cette expédition
fût une véritable guerre sainte^ faite dans la voie de Dieu.
Mour ne refusa pas de se conformer à cet ordre et expliqua

 

1 . Le mot a sultan » est employé ici pour désigner tous les chefs indépen-
dants, si petits que fussent leurs États.

2. La guerre sainte ou djihdd est surtout celle qui a pour objet de contraindre
des païens à embrasser l’islamisme. Tous les traités de droit musulman contien-
nent un chapitre spécial où sont expliquées les règles à suivre dans ce genre
d’expéditions. Il y a tout d’abord à faire une sommation avant de commencer les
hostilités.

 

122 HISTOIRE DU SOUDAN

au prince toutes les règles relatives à la guerre sainte. Le
prince des Croyants, Askia-Mohammed, demanda alors an
seyyid d’être son messager auprès du sultan du Mossi. Le
seyyid accepta cette mission ; il se rendit au pays de Mossi
et remit la lettre de son maître qui sommait le sultan d’em-
brasser l’islamisme.

Avant de répondre, le sultan du Mossi déclara qu’il vou-
lait tout d’abord consulter ses ancêtres qui étaient dans
l’autre monde. En conséquence, accompagné de ses minis-
tres, il se rendit au temple de l’idole du pays. De son côté
le seyyid s’y transporta également afin de voir comment on
s’y prenait pour consulter les morts. On commença par
faire les offrandes accoutumées; puis on vit apparaître un
vieillard âgé. A sa vue tout le monde se prosterna ; ensuite
le sultan annonça l’objet de sa démarche. S’exprimant alors
au nom des ancêtres, le vieillard dit : « Jamais je n’accep-
terai pour vous pareille chose. Vous devez, au contraire,
lutter jusqu’à ce que vous ou eux ayez succombé jusqu’au
dernier. »

Alors Na asira répondit au seyyid béni : « Retourne vers
ton maître et annonce-lui que entre lui et nous il ne saurait
y avoir que luttes et combats. » Demeuré seul dans le tem-
ple avec le personnage qui s’était montré sous la forme
d’un vieillard, le seyyid l’interpella en ces termes : « Au
nom du Dieu puissant, je te demande de dire qui tu es? —
Je suis Iblis, répondit le pseudo-vieillard, je les égare afin
qu’ils meurent tous en état d’infidélité. »

Mour retourna auprès du prince Askia-Kl-lIàdj-Moham-
med et lui rendit compte de tout ce qui s’était passé. « Main-
tenant, ajouta-t-il, votre devoir est de les combattre. » Aus-
sitôt le prince entama la lutte avec eux; il leur tua nombre
d’hommes, dévasta leurs champs, saccagea leurs demeures
et emmena leurs enfants en captivité. Tous ceux, hommes

 

CHAPITRE TREIZIÈME 123

OU femmes, qu’on ramena comme captifs, furent l’objet de
la bénédiction divine*. Dans toute la contrée, aucune autre
expédition, en dehors de celle-ci, n’eut le caractère d’une
guerre sainte faite dans la voie de Dieu.

Cette année-là le cadi Habib mourut (Dieu lui fasse mi-
séricorde !). Le prince confia alors les fonctions de cadi au
cheikh- el-islâm (vo), le père des bénédictions, Mahmoud”,
qui devint ainsi cadi de Tombouctou et du territoire de
cette ville.

Un de mes confrères, en qui j’ai entière confiance, m’a
raconté tenir du chef des musulmans, le jurisconsulte
Mohammed-ben-Ahmed-Baghyo’o (Dieu le protège!), que
ce fut le jurisconsulte Abou-Bekr, fils du cadi El-Hay, qui
engagea Askia-El-Hàdj-Mohammed à choisir, pour le poste
de cadi, le jurisconsulte Mahmoud. « Ce jeune homme, lui
avait-il dit, est un personnage pieux et béni. » La nomina-
tion fut aussitôt faite. Ici se termine ce que m’a rapporté le
cheikh ou’akoril

Le jurisconsulte El-Mokhtàr, le grammairien, l’oncle ma-
ternel de Mahmoud, était, k ce moment, absent de Tom-
bouctou. A son retour, il reprocha très vivement au juris-
consulte Abou-Bekr la désignation qu’il avait faite. « Pour-
quoi, lui dit-il, avoir indiqué mon neveu*? n’aviez-vous donc
pas un fils digne de remplir les fonctions de cadi? pourquoi
ne pas l’avoir désigné^? » A cette époque, le père des béné-

 

1. C’est-à-dire se convertiront à l’islamisme.

2. Selon son habitude, l’auteur se sert de l’épithète « père des bénédictions »
pour désigner Mahmoud qu’il ne nomme pas ici.

3. Ou : « le cheikh El-Ou’akori •>, cet ethnique pouvant ôtre son nom.

4. Le texte imprimé porte « mon père »; le ms. C « mon fils ». Ces deux le-
çons sont sûrement fautives.

5. Pour bien comprendre la portée de ce reproche, il faut se souvenir que,
suivant un dicton bien connu, sur trois cadis,. deux iront sûrement en enfer et
que le troisième a lui-même quelque chance d’y aller. De là cette répulsion
qu’éprouvent bien des musulmans pour les fonctions de la magistrature.

 

124 HISTOIRE DU SOUDAN

dictions, Mahmoud, était âgé de trente-cinq ans; il exerça
ses fonctions de cadi durant cinquante-cinq ans et mourut à
l’âge de quatre-vingt-dix ans (Dieu lui fasse miséricorde!).

Lorsqu’il fut nommé cadi, Mahmoud était imam de Sankoré. Il résigna cette dernière fonction vers la fin de sa vie et en investit son cousin maternel, le jurisconsulte, l’imam Anda-Ag-Mohammed, fds de El-Mokhtâr, le grammairien. Depuis ce moment il cessa pour toujours de présider la prière ; il ne fit d’exception que le jour de la mort du saint de Dieu, Sidi Aboul-Qasem-Et-Touâti et lors de celle de Fayyâd-El-Ghedâmsi (Dieu leur fasse miséricorde!). Dans ces deux circonstances il présida la prière.

Au retour de cette expédition contre Na’asira, le prince Askia-Mohammed campa à Touya pendant le mois de ramadan (12 avril-12 mai 1498).

Pendant la cinquième année du x” siècle (19 août 1498-
8 août 1499), Askia-El-Hâdj-Mohammed se rendit dans le
Tendirma où il s’empara du Bâghena-Fâri , Ostman et tua
Dinba-Donbi , le Peul . Au cours de la sixième année
(8 août 1499-28 juillet 1 500) il entreprit une expédition contre
Ayar’ et obligea Tildza^ à entrer sous son autorité.

Pendant la septième année (28 juillet 1 500 1 7 j uillet 1 50 1 )
il envoya son frère ‘Amar-Komzâgho à Zalen pour com-
battre Qâma-Fiti-Qalli, caïd du sultan de Melli, qui comman-
dait dans cette ville. Le caïd se défendit avec succès. ‘Amar,
n’ayant pu aboutir à aucun résultat, informa le prince de
la situation et alla camper avec son armée à Tenfiren\ ville
proche de Zalen du côté de l’orient. Ce fut là que naquit un
des fils de ‘Amar, Otsmân. qui fut surnommé Tenfiren.

1 . Ou « Abar ».

2. Ce nom est-il celui d’une ville ou d’un personnage? Le texte ne permet
pas de se prononcer à cet égard. La phrase est d’ailleurs obscure à cause de la
préposition qui suit le verbe.

3. Ou « Tinferin ».

 

CHAPITRE TREIZIÈME 125

Le prince alla en personne attaquer Qâma-Fiti-Qalli; il le
vainquit, saccagea la ville, pilla le palais du sultan de Melli
et emmena sa famille en captivité. Parmi les captives se
trouvait Meryem-Dâbo qui fut mère de Ismail, fils de Askia-
El~Hàdj Mohammed. Après être resté quelque temps dans
cette contrée afin d’améliorer la situation du pays et de l’or-
ganiser sur des bases nouvelles, le prince revint sur ses pas.
En ce qui concerne les gens de Dienné ils s’étaient soumis
volontairement aussitôt que le prince était monté sur le
trône.

Durant les huitième, neuvième (v”v)etdixième année (17 juil-
let 1501 -14 juin 1504), il n’y eut pas d’expéditions. Au com-
mencement de la onzième ( 1 4 juin 1 504-4 juin 1 505) le prince
entreprit l’expédition de Berko que l’on appelle également
Berbou. Ce fut au cours de cette campagne que fut prise
comme captive Zârakor’-Banki, qui devint mère de Askia-
Mousa, un des fils du prince.

Dans la bataille qui eut lieu à ce moment, il périt un grand
nombre des meilleurs Zâ-Bir-Benda^ et des plus vaillants
d’entre eux. En voyant, cela Amar-Komzâgho, le frère du
prince, ne put retenir ses larmes et s’écria : « Tu veux donc
la ruine de Songhaï. — Non, répondit Askia-el-Hâdj-
Mohammed; je veux au contraire sa prospérité, fous ces
gens que tu viens de voir succomber nous auraient rendu
la vie difficile au Songhaï s’ils étaient restés avec nous.
Il ne nous était pas possible de les traiter nous-mêmes
comme ils viennent de Têtre, c’est pourquoi je les ai ame-
nés ici afin qu’ils fussent décimés et que nous fussions débar-
rassés d’eux. Je savais bien qu’ici ils ne pourraient échapper
à la mort. » Ces paroles dissipèrent le chagrin de ‘Amar et
calmèrent son désespoir.

1. Ou « Zârakon ».

2. Ou « Aïber-Beuda ». C’était peut-être les descendants d’un des princes Zâ.

 

126 UISTOIRfc; DU SOUDAN

A cette époque naquit le jurisconsulte Mohammed, fils du
père des bénédictions, le cadi, le jurisconsulte Mahmoud
(Dieuleur fasse miséricorde 1 ) . La douzième année (4 juin 1 503-
24 mai 1506) se passa sans qu’il y eût d’expéditions. Durant
la treizième année (24 mai 1506-13 mai 1507) le prince en-
treprit la campagne contre Kilanbout* qui est Melli.

Au cours de la quinzième année (2 mai 1 508-2 1 avril 1 509),
le cheikh-el-islam, le cadi Mahmoud-ben-‘Omar, se rendit en
pèlerinage à La Mecque. Pendant son absence il se fit sup-
pléer : dans ses fonctions d’imam, par son oncle maternel,
le jurisconsulte El-Mokhtâr, le grammairien; dans ses fonc-
tions de cadi, par le cadi ‘Abderrahman-ben-Abou-Bekr. Il
suivit en cela les ordres de Askia-El-Hàdj-Mohammed. Il
revint du pèlerinage le 27 du mois de cha’bandela seizième
année du x” siècle (10 décembre 1509). Comme il arrivait à
Kâgho, le prince, qui à ce moment-là se trouvait au port
bien connu de Kabara, ayant appris cette nouvelle, s’embarqua
sur un navire et se porta à la rencontre de Mahmoud jusqu’à
Kâgho où il le rejoignit.

Le père des bénédictions, Mahmoud, reprit ensuite sa
marche vers ïombouctou ; il rentra dans cette ville et rega-
gna sa demeure en parfaite santé. Bien des gens de Tom-
houctou crurent qu’il allait abandonner ses fonctions d’imam
à son oncle maternel, El-Mokhtâr; mais il n’en fut rien et à
l’heure du dohor, le jour même de son arrivée, il allait à la
mosquée et y présidait la prière.

Quant au cadi ‘Abderrahman il continua à exercer ses
fonctions de cadi, sans que, durant dix ans, le jurisconsulte
Mahmoud lui parlât de rien. Après ce laps de temps le cheikh

 

1. Mol à mot : « Kilaabout et elle Mclli … Cette localité était-elle la capitale
de Melli ou se trouvait-elle simplement dans ce pays? A défaut de plus am-
ples renseignements la première hypothèse semble préférable.

 

CHAPITRE TREIZIÈME 127

Ahmed Bibokor’ fit part de la situation au prince. Celui-ci
dépêcha sur l’heure un messager à Tombouctou pour intimer
au cadi ‘Abderrahman l’ordre de quitter cette ville et de
remettre son service au jurisconsulte, le cadi Mahmoud. Ah-
derrahman partit aussitôt et Mahmoud reprit son siège de
magistrat.

Cet événement eut un épilogue : Une discussion se pro-
duisit plus tard à la suite d’un échange de paroles entre le
cadi Mohammed- ben-Ahmed, fds du cadi Abderrahman, et
Nefa’a, fds du Tombouctou-Koï, El-Moustafa-Koraï et petit-
fils du cheikh Ahmed-Bibokor. Comme le cadi Mohammed
se montrait très agressif, Nefa’a lui dit : « Tout ceci vient
de l’ancienne inimitié qui a existé entre nos aïeux, parce que
mon grand-père, le cheikh Ahmed, a dénoncé au prince
la conduite de ton grand-père, le cadi Abderrahman, ce qui
a provoqué sa destitution. Voilà pourquoi tu nous en veux. »

La dix-septième année (10 avril 1510-31 mars 1511), le
prince envoya le Hoco-Koraï-Koï, Ali-Folen et le Belma’a,
Moliammed-Karaï, auprès du Baghena^-Faran, Ma’-Qoto-
Kotya.

Pendant la dix-huitième année ( 3 1 mars 1311-19 mars 1512)
Askia-El-IIàdj-Mohammed entreprit son expédition contre
le maudit, le faux prophète, Tayenda et le tua à Zâra. Les
circonstances voulurent que, à ce moment, Kalo% le fils
aîné de Tayenda, fut en expédition et absent de Tarmée de
son père. Quand il apprit ce qui venait d’arriver à son
père, le maudit, il s’enfuit avec les troupes qu’il avait
avec lui et se réfugia dans le Fouta, nom d’un pays voisin
de l’océan Atlantique et appartenant au sultan du Djolf*.

1. Ou « Biyokon ». Il semble que Bibokor soit une orthographe fautive de
Abou-Beker.

2. Le ms. C. écrit « Baghon » et « Qota » au lieu de « Qoto » qui vient en-
suite.

3. Ou « Kolo » ou même « Kollo ».

4. C’est-à-dire du Diolof ou Yolof.

 

128 HISTOIRE DU SOUDAN

Il demeura en cet endroit et, après avoir machiné une
trahison contre le sultan, il réussit à s’emparer de sa per-
sonne et le mit à mort. Depuis lors, le pays de Djolf fut
divisé en deux parties : une moitié, sur laquelle régna Kalo,
fils de Salta-Tayenda, et l’autre moitié eut pour souverain
Domel, le principal caïd du sultan de Djolf.

Kalo devint un sultan puissant, disposant de forces consi-
dérables etle royaume qu’il fonda existe encore aujourd’hui.
Les populations du Djolf sont soudanaises*. A sa mort, Kalo
eut pour successeur son fils Yoroyim. Quand ce dernier
mourut, il fut remplacé par Kalâya-Tabâra, homme émi-
iicnt, bon, juste et dont l’équité atteignit un degré tel que,
dans tout l’Occident^ il n’eut pas son pareil, si l’on en
excepte toutefois le sultan de MeUi, Kankan^-Mousa (Dieu
leur fasse à tbus miséricorde!). Après la mort de Kalâya,
son neveu Kota, fils de Yoroyim, lui succéda et quand il
mourut, il eut lui-même pour successeur son frère Sanba-
Lâm. Ce dernier s’appliqua à faire régner la justice ; il inter-
dit toute iniquité et n’en toléra aucune. Il régna trente-sept
ans. A sa mort, son fils Abou-Bekr prit le pouvoir et c’est
lui qui l’exerce encore aujourd’hui.

Observation. — Tayenda-Salta-Yâlelba, Nima-Salta-Ou-
rarbi, Doko-Salta-Firouhi et Kada-Salta-Oularbi, originaires
de la tribu des Djolf, située sur le territoire de Melh, quittè-
rent leur pays et allèrent s’établir sur le territoire de Qayàka.
Lorsque (va) Askia-El-Hâdj-Mohammed eut tué le maudit,
ils émigrèrent tous dans le Fouta et s’y fixèrent. Ils y sont
encore aujourd’hui.

Quant aux Djolf, ce sont les meilleurs des hommes : par
leurs actes et par leur caractère ils diffèrent essentielle-

1. C’est-à-dire de race noire.

2. Par ce mot il faut entendre le Soudan occidental.

3. Le ms. G porte ici l’orthographe « Konkon ».

 

CHAPITRE TREIZIÈME 129

ment de tous les autres Foulani. Dieu, par grâce spéciale,
les a dotés d’un tempérament généreux et il leur inspire de
belles actions et une conduite digne d’éloges. Dans la con-
trée où ils sont établis aujourd’hui, ils disposent d’une puis-
sance considérable et d’une solide autorité. Pour la valeur
et la bravoure ils n’ont pas leurs pareils. Enfin, d’après ce
que nous avons entendu rapporter, la loyauté et la fidélité
aux engagements sont, pour ainsi dire, innées chez eux et y
atteignent leur apogée.

A la fin de la dix-neuvième année (19 mars 1512-9 mars
1513), le priace fit une expédition au Kachena ; il en revint
au moisderebi’ I*”” de la vingtième année(7mai-6 juin 1513).
Vers la fin de la vingt et unième année (26 février 1514-
15 février 1515) il entreprit une campagne contre El-‘Odâla,
sultan de Agadez*, et la termina au cours de la vingt-
deuxième année (15 février 151 5-5 février 15 16); au moment
de son retour, KotaP, chef de Liki et surnommé Konta, se
révolta contre lui.

Voici quelle fut la cause de cette révolte : Konta, en reve-
nant avec le prince de son expédition contre Agadez, avait
espéré recevoir dès son arrivée dans son pays sa part du
butin qui avait été fait. Cette espérance ayant été déçue, il
parla de cette affaire au Dendi-Fâri* et celui-ci lui répondit:
« Si tu adresses une réclamation de ce genre au prince, tu
te feras traiter en rebelle. » Konta ne répliqua rien ; puis ses
compagnons étant venus les trouver et lui ayant dit : « Où
donc est notre part du butin? Nous ne l’avons pas encore
vue; pourquoi ne la réclames-tu pas? » il leur répondit :
a Je l’ai demandée et le Dendi-Fâri m’a assuré que si je
persistais à la réclamer, je serais traité en rebelle. Or, je

 

1. La vocalisation donnée est « Akdez ».

2. Ms. G donne : « Kounta ».

3. Ce n’est pas un nom de personne, mais un titre de fonction.

{Histoire du Soudan.)

 

130 HISTOIRE DU SOUDAN

ne veux pas être seul traité en rebelle ; associez-vous à moi
et alors je réclamerai. — Eh ! bien, s’écrièrent- ils, nous
serons traités en rebelles ainsi que toi. — Merci, répliqua-
t-il, c’est tout ce que je désirais de vous. »

Là-dessus Konta se rendit auprès du Dendi-Fâri ; il renou-
vela sa demande et essuya un refus. La révolte éclata aus-
sitôt; dans im grand combat que les rebelles livrèrent aux
troupes du prince, ils tinrent tête à leurs adversaires et ces-
sèrent dès lors de reconnaître l’autorité de Askia-El-Hàdj-
Mohammed. Cette situation dura jusqu’à la fin de la dynas-
tie des gens du Songhaï et Konta conserva son indépendance.
Une expédition dirigée contre lui pendant la vingt-troisième
année (5 février 1516-24 janvier 1517) ne produisit pas le
moindre résultat.

Au cours de la vingt-quatrième année (24 janvier 1517-
13 janvier 1518), le prince envoya son frère le Kormina-
Fàri, ‘Omar, contre Qâma-Fatiya; ‘Omar tua Qâma. Durant
la vingt-cinquième année, le 1 5 du mois de ramadan (20 sep-
tembre 1518) Askia-El-Hâdj-Mohammed campa à Kabara.
Son frère Omar-Komzâgho mourut la vingt-sixième année,
le 3 du mois de rebi’ I” (5 mars 1519). A raison de cet évé-
nement Mour-Sâlih-Djaura resta trois jours enfermé sans
se montrer en public. Il sortit ensuite de chez lui et, aussitôt
arrivé à la medrasa, il dit aux étudiants : « En ce jour, le
Seigneur a laissé (en paix) ‘Omar et lui a pardonné*. » ‘Omar
avait pour le seyyid une affection des plus vives; il lui ren-
dait souvent service et le traitait avec les plus grands égards.

Le prince, qui, à ce moment, se trouvait à Sankiya^
bourg situé en arrière de Koukiya du côté de Dendi, confia
à Yahya, son frère, les fonctions de Kormina-Fâri. Celui-ci

1. Celle phrase donne à entendre que, sur les prières du saint, Dieu s’est dé-
cidé après trois jours à épargner ‘Omar et à lui pardonner ses fautes.

2. Il y a dans le texte imprimé « Sankariya » ; les copistes auront sans doute
confondu Sankiya et Sankoré,

 

CHAPITRE TREIZIÈME 131

conserva ses fonctions neuf ans ^ et mourut pendant la révolte
du Fâr-Moudzo, Mousa, à l’époque où celui-ci se révolta
contre son père, le prince Askia-El-Hadj-Mohammed.

Dans la vingt-huitième année (12 décembre 1520-i'”” dé-
cembre 1521), mourut ‘Omar-ben-Abou-Bekr, le sultan de
Tombouctou. Au cours de la trente et unième année (10 no-
vembre 1523-29 octobre 1524), le prince envoya son frère
Faran-Yahya à Kozara où mourut le Binka-Farma, ‘Ali-
Yamra. Quand Faran-Yahya fut de retour, il envoya Ali-
Folen à Binka pour en rapporter la succession du défunt
Binka-Farma, ‘Ali-Yarma, et il demanda au prince de nom-
mer Binka-Farma son fils Bella, alors Adiki-Farma. Le
prince y consentit.

Bella, quoique un des plus jeunes enfants de Faran-
Yahya, se distinguait d’entre ses frères par son courage et sa
vaillance. Aussitôt que ses frères aînés connurent sa nomi-
nation, ils furent très irrités et jurèrent de crever son tam-
bour le jour où il viendrait à Kâgho. La dignité conférée à
Bella était élevée dans la hiérarchie gouvernementale et
celui qui l’exerçait était un des personnages ayant droit au
tambour.

Tous les frères de Bella, sauf le Fâri-Mondzo Mousa, qui
était l’aîné de tous, ne cessèrent de manifester leur jalousie
par des paroles injurieuses à son encontre. Quand Bella eut
connaissance de tous ces propos, il jura à son tour de crever
le derrière’ de quiconque voudrait crever son tambour. Puis
il se rendit à Kâgho faisant battre le tambour devant lui.
Arrivé à un certain endroit bien connu près de la ville, qui
marquait la limite à laquelle tous les tambours devaient cesser
débattre, sauf seulement celui du prince, Bella donna l’ordre
à ses hommes de ne point interrompre leur batterie tant

1. Ms. G : « neuf jours ».

2. Le texte imprimé ajoute : « de la mère ».

 

132 HISTOIRE DU SOUDAN

qu’ils ne seraient pas arrivés à la porte du palais du prince.

Tous les personnages de l’armée qui, selon l’étiquette,
devaient se porter à la rencontre d’un dignitaire du rang
de Bella, montèrent à cheval pour aller le recevoir, et,
parmi eux, figuraient les frères qui avaient juré de crever le
tambour. Quand les deux groupes furent en présence, ceux
qui, d’après le cérémonial, devaient mettre pied à terre pour
saluer, le firent, sauf le Fâri-Mondzo Mousa; il salua, mais
en restant à cheval et en faisant seulement un léger signe de
tête, puis il dit : « Moi je n’ai rien dit, car tu sais que si
j’avais promis défaire quelque chose, j’aurais sûrement tenu
ma parole! » Personne ne put cependant manifester son
hostilité contre Bella. L’inimitié que conçurent ses frères
contre lui n’eut d’autre origine que son élévation à une
haute dignité et aussi la supériorité qu’il montra sur eux
dans les combats et sur les champs de bataille où il se fit
remarquer par son audace.

La situation devint telle que Mousa se détourna de ses
devoirs envers son père. Il était irrité contre lui et ressen-
tait de la haine à la fois contre le prince et son fidèle servi-
teur et conseiller ‘Ali-Folen, l’entente et l’assistance mutuelle
étant parfaite entre ces deux personnages. Il prétendait que
le prince ne faisait rien sans obéir aux prescriptions de son
conseiller.

A la fin de son règne, Askia-El-Hâdj-Mohammed de-
vint aveugle, mais personne ne le sut, car AU-Folen était
sans cesse près de lui et ne le quittait jamais. Cependant, à
la suite des menaces de Mousa, qui avait juré de le tuer,
‘Ali-Folen, saisi de crainte, s’enfuit dans le Tendirma et se
réfugia auprès du Kormina-Fâri, Yahya, en l’année trente-
quatrième (8 octobre 1526-27 septembre 4527).

Ce fut en la trente-cinquième année (27 septembre 1 527-
15 septembre 1528) que le Fâri-Mondzo, Mousa, se révolta.

 

CHAPITRE TREIZIÈME 133

Il partit avec quelques-uns de ses frères pour se rendre à
Koukiya. Le prince manda alors à son frère Faran-Yahya,
qui était dans le Tendirma, de venir mettre fin aux menées
de tous ces jeunes gens. Yahya se rendit auprès du prince,
qui lui enjoignit d’aller à Koukiya trouver les rebelles et lui
recommanda instamment de ne point se montrer trop cruel
à leur égard.

Aussitôt arrivé à Koukiya, Yahya eut à lutter contre les
rebelles qui le reçurent les armes à la main. Blessé dans
cette rencontre, il tomba au pouvoir de ses adversaires ; il
fut jeté sur le sol la face contre terre et dépouillé de ses vê-
tements. Ce fut dans cette position qu’il parla aux rebelles
du sort qui les menaçait. Pendant ce temps, Daoud, le fils
du prince, était debout à la tête du blessé, ayant à côté de
lui son frère Ismaïl et Mohammed-Benkan-Kirya, fils de
Omar-Komzâgho. Ce dernier ayant dit à ses deux compa-
gnons que tout* cela n’était que verbiage et mensonge,
Yahya s’écria : « Comment Mârou-Benkan-Kirya, — c’était
le diminutif de son nom dans leur langue — c’est toi qui
oses m’accuser de mensonge ! Et crois-tu donc qu’ici tu n’en
entendras plus jamais, ô toi qui jettes la division parmi les
parents?» Puis, comme Ismaïl l’avait recouvert d’une pièce
d’étoffe, il lui dit : « Ismaïl, je savais bien que tu étais le
seul capable de faire pareille chose, car tu es un de ceux qui
favorisent les rapprochements des familles. » Ensuite Yahya
rendit le dernier soupir et le prince éleva à la dignité de
Kormina-Fâri, son fils^ ‘Otsmân-Youbabo.

Mousa retourna avec ses frères à Kâgho, puis à la fin de
l’année, un dimanche, jour de la fête des sacrifices (26 août
1528), un peu avant la prière il détrôna son père (an). Askia-
El-Hâdj-Mohammed était à ce moment au mosalla^ . Mousa

1 . Les paroles de Yahya.

2. L’ambiguïté de la traduction existe dans le texte.

3. Les jours de grande fête les prières publiques se font en plein air dans un

 

134 HISTOIRE DU SOUDAN

jura alors que personne ne ferait la prière avant qu’il n’eût
été lui-même proclamé souverain. Le prince résigna ses
fonctions en faveur de Mousa, qui, investi du pouvoir royal,
fit accomplir la prière de la fête. Il continua d’habiter sa
maison, tandis que son père restait dans le palais d’où il ne
sortit plus durant le reste de sa vie. Askia-Emâdj-Moham-
med régna trente-six ans et six mois.

 

CHAPITRE XIV

ASKIA-MOUSA ET ASKIA-MOHAMMED-BENKAN

Askia-Mousa entreprit ensuite de faire mettre à mort ses
frères, mais nombre d’entre eux s’enfuirent dans le Tcn-
dirma, auprès du Kormina-Fâri, ‘Otsmân-Youbâbo. Parmi
eux se trouvaient: ‘Otsmân-Sidi, Bokar-Kirin ^-Kirin, Ismaïl,
etc. Très contrarié de cette circonstance, le prince dit alors
à ses courtisans : « Je connais bien mon frère Otsmân : il
est incapable de prendre une résolution de lui-même; il n’a-
git qu’à l’instigation de son entourage et, comme il ne fré-
quente que des gens abjects ou des écervelés, je crains qu’un
conflit éclate entre lui et moi. »

Puis il envoya à ‘Otsmân un messager porteur d’une let-
tre par laquelle il annonçait son élévation au trône ; en ou-
tre il remit au messager une seconde lettre destinée à sa mère
Kamsa en lui disant : « Si mon frère ne veut pas recevoir

 

endroit spécialement réservé à cet effet et appelé mosalla (l’endroil où l’on prie).
Le souverain doit assister à la prière publique chaque vendredi et aussi cha-
que jour de grande fôte.
i . Variante : Kin,

 

CHAPITRE QUATORZIÈME 135

la lettre qui lui est adressée, faites parvenir la seconde let-
tre à ma mère. » Dans cette dernière missive, le prince sup-
pliait sa mère d’user de son ascendant et de celui de son
mari, d’intervenir auprès d’Otsmân afin d’éviter qu’il fût la
cause d*un conflit entre eux deux.

Le messager se rendit auprès d”Otsmân ; mais celui-ci ne
lui prêta aucune attention, ne daigna pas même le regarder
et refusa de recevoir la lettre. La seconde lettre fut alors
remise à la mère du prince. Elle en prit connaissance et
quand elle en eut bien compris l’objet, elle alla trouver
‘Otsmân et lui adressa la parole en ces termes : « Je te re-
nie * si tu refuses de reconnaître l’autorité de ton frère ; car
il n’a pas été seulement un frère pour toi, mais en quelque
sorte un père. Sais-tu pourquoi on t’a donné le surnom’
que tu portes le jour où je t’ai enfanté ? Eh ! bien il n’y
avait pas à la maison, en ce moment, de quoi chauffer (av)
la boisson qui m’était destinée, et ton frère qui était sorti tar-
dait à rentrer. Quand il est revenu, ton père lui a dit : « Où
« donc es-tu allé aujourd’hui? Il y avait ici un hôte^ qui t’at-
« tendait depuis le commencement de la journée. » A peine
eut-il entendu ces mots que ton frère prit sa cognée, s’en alla
dans la forêt et en rapporta de quoi chauffer ma boisson.
C’est pour cela que je te dis qu’il est ton père. Maintenant il
s’adresse à moi et me demande d user de mon crédit pour
que tu ne sois pas le promoteur d’un conflit entre lui et toi. »

Aussitôt qu’il eut entendu ces paroles, ‘Otsmân se sou-
mit; il donna l’ordre de faire venir le messager, et dès que
celui-ci fut arrivé, il se leva et demanda des nouvelles de la
santé de l’Askia. L’usage voulait que l’on agît ainsi ‘^ quand
on reconnaissait l’autorité du souverain. Ensuite ‘Otsmân setit

1. Mot à mot : «< je retire mon sein ».

2. Le surnom de Youbabo.

3. L’hôte auquel on fait allusion est le nouveau-né.

4. C’est-à-dire que l’pnse tînt debout pour recevoir un message du souverain.

 

136 HISTOIRE DU SOUDAN

lire la lettre qui lui était adressée et prit la résolution de se
rendre auprès du prince. En conséquence, il ordonna d’ar-
mer des embarcations, de les équiper complètement, puis il
sortit de son palais pour se mettre en route avec ses trou-
pes ; mais, presque aussitôt, son chanteur s’étant mis à
chanter, il entra dans une telle colère qu’il faillit éclater de
rage et s*adressantà son entourage : « Qu’on décharge, s’é-
cria-t-il, tout ce qui est dans les embarcations. Par ma tête !
celui qui vous parle ne mettra plus de poussière sur sa tête
pour personne * ! »

Rentré chez lui, ‘Otsmân manifesta sa rébellion de telle
façon qu’on n’en pût plus douter. Le messager du prince
retourna donc à Kâgho ; il instruisit son maître de ce qui
venait de se passer, et celui-ci se prépara à marcher sur le
Tendirma.

La lutte éclata alors et les hostilités commencèrent. Les
troupes, ayant le prince à leur tête, se mirent en marche et
arrivèrent près de Tombouctou. Le cheikh-el-islàm, le père
des bénédictions, le jurisconsulte, le cadi Mahmoud-ben-
‘Omar (Dieu lui fasse miséricorde !) se porta à leur rencon-
tre jusqu’à la ville de Tiryi afin de tenter une réconciliation
entre le prince et ses frères. Mais introduit auprès de Askia-
Mousa, le cadi s’assit en lui tournant le dos au lieu de lui
faire face. « Pourquoi me tournes-tu le dos? — Parce que,
répondit Mahmoud, je ne veux point me trouver face à face
avec quelqu’un qui a dépouillé le prince des Croyants de son
pouvoir. — Je n’ai agi ainsi, répliqua Askia-Mousa, que parce
que je craignais pour mes jours. Il y avait des années que
Askia-El-Hàdj-Mohammed n’agissait plus que sous l’inspira-
tion de ‘Ah-Folen, et je redoutais qu’un jour celui-ci l’enga-
geât à me perdre. Voilà pourquoi j’ai déposé le prince. »

i. L’étiquette voulait que le sujet fidèle ou le vassal prit un peu dépoussière
et la portât sur sa tôle quand il se présentait devant le souverain. Refuser de
mettre de la poussière sur sa tète équivalait donc à un acte de rébellion.

 

CHAPITRE QUATORZIÈME 137

Le cadi demanda à Askia-Mousa de pardonner à ses frè-
res ; il l’engagea à s’abstenir d’entrer en lutte avec eux, de
rompre ainsi les liens de famille qui les unissaient et de cau-
ser des troubles dans le pays. « Ayez quelque patience,
répondit le prince, attendez qu’ils aient été brûlés par le
soleil et alors ils se hâteront de rechercher l’ombre. » Ce di-
sant, il souleva une portière qui dissimulait de grands jave-
lots empoisonnés, puis il ajouta : « Voici le soleil ; l’ombre
c’est toi. Quand ils auront souffert, ils se réfugieront auprès
de toi, et alors je leur pardonnerai. » Voyant le prince bien
décidé à user de la violence, le cadi rentra à Tombouctou.
Askia-Mousa quitta la localité où il était et, se portant à
la rencontre de l’ennemi, il vint camper à Touya. Là, il ap-
prit que le Kormina-Fâri, Otsmân, avait dessein de venir
lui offrir le combat. A cette annonce, on vit paraître (av) sur
son visage des signes d’effroi et de regret. « Ton frère ‘Ots-
mân, lui dit alors le Balama’, Mohammed-Kiraï, a avec lui
deux hommes : Bokar-Kirin-Kirin et.. . (j’ai oublié le nom de
l’autre) . Eh ! bien, n’eût-il que mille hommes sous ses or-
dres, s’il avait avec lui ces deux braves ou seulement l’un
d’eux, il te vaincrait quand même tu serais toi à la tête de
dix mille hommes. Dans les conditions inverses * c’est toi qui
serais le vainqueur. »

Pendant que le prince et ses courtisans étaient encore
réunis, ils aperçurent, dans le vestibule ^ un individu qui
tantôt se laissait voir et tantôt se dissimulait. Arrivé auprès
d’eux, ce personnage, qui n’était autre que Bokar-Kirin-Ki-
rin dont il vient d’être parlé, se baissa et souleva un peu de
terre devant le prince. « Pourquoi viens-tu ici? demanda

1 . C’est-à-dire : moins d’hommes, mais ayant avec loi l’un de ces deux per-
sonnages.

2. Les trois manuscrits ont le mot i-»lyw, « mirage », mais je pense qu’il faut
lire «-»ljyN- et c’est ainsi que je traduis.

 

138 HISTOIRE DU SOUDAN

Askia-Mousa. — Ce n’est, répondit-il, ni par affection
pour toi, ni par aversion pour ‘Otsmân. Je tiens seulement
à éviter la perdition et ne veux pas être au nombre des
maudits ^ — Et comment cela? reprit le prince. — C’est
que,ajouta-t-il, tous les nôtres sont des gens raisonnables \ »

Un instant après, l’autre personnage^ vint à son tour et
répéta exactement ce qu’avait dit le premier, ce qui causa à
Askia-Mousa la joie lapins vive.

Otsmân arriva ensuite et le combat s’engagea entre Aka-
kal* et Kabara. On était alors en la trente-sixième année du
siècle (15 septembre 1528-5 septembre 1529). Au cours de
cette bataille un grand nombre de personnes périrent des
deux côtés et parmi elles Otsmân-Sidi.

Isma’ïl s’enfuit à Biro entraîné par le Maghcharen-Koï ^ ;
celui-ci avait épousé Kibira^ sœur d’ismaïl ; il s’appelait Ak-
biren-Kasa^, et était fils de la sœur de Akil. Ismall demeura
à Biro jusqu’à l’avènement de Askia-Mohammed-Benkan.

Quant à Otsmân, le Kormina-Fâri, il avait pris la fuite en
même temps que ‘Ali-Folen, le Binka-Farma, Bella* et d’au-
tres personnages. ‘Otsmân gagna la ville de Tomni où il ha-
bita jusqu’à sa mort qui eut lieu en l’année 964 (4 novembre
1556-24 octobre 1557).

‘Ali-Folen se rendit à Kano. De là il avait l’intention de
se rendre en pèlerinage à La Mecque et de s’établir près de
la noble ville de Médine, mais le destin ne lui permit pas de
réaliser son dessein et il mourut à Kano.

1. Allusion au verset 44 de la sourate xi du Coran.

2. C’est-à-dire que, malgré la valeur de leurs chefs qui leur auraient proba-
blement assuré la victoire, ils croyaient agir plus sagement en renonçant au
combat.

3. Celui dont l’auteur a oublié le nom et qui était l’émule de Bokar-Kirin-Kirin.

4. Ou : « Akakan ».

5. « Le chef des Touareg ».

6. Ou : « Kibina ».

7. C’est la leçon donnée par le ms, C. Le texte imprimé a Kibinenkasi.

8. Le texte imprimé porte Kala, ce qui est une erreur évidente.

 

CHAPITRE QUATORZIÈME 139

Le Binka-Farma, Bella, retourna à Tombouctou et vint
demander protection an père des bénédictions, le cadi, le juris-
consulte, Mahmoud. Celui-ci envoya intercéder en faveur
de Bella auprès du prince en ce moment à Tila. Askia-Mousa
répondit que tous ceux qui chercheraient asile dans la mai-
son du cadi y seraient en sûreté, mais que Bella, seul, ne
jouirait pas de cette immunité. Alors, prenant tous les livres
qu’il avait auprès de lui, Bella les mit sur sa tête en s’écriant :
« Je me place sous la sauvegarde de ces livres*. » Cette ré-
solution fut portée à la connaissance du prince qui refusa
d’admettre cette sauvegarde. Alors s adressant au père des
bénédictions (ai), Bella lui dit : « Je te prends à témoin de
tout ce que tu m’as vu faire; je n’ai agi ainsi que pour ne
pas être mon propre meurtrier ^ Eh! bien, maintenant qu’il
fasse ce qu’il voudra ! »

Aussitôt Bella se rendit chez le prince auprès duquel il
fut introduit après délibération. En entrant il trouva Mo-
hammed ^-ben-Askia-Mousa debout au chevet de celui-ci et
lui disant : « Mon cher père, épargnez la vie de mon véné-
rable ami le Binka-Farma. » Le fils du prince, Mohammed,
accueillit le Binka-Farma en lui souhaitant de vivre ^ «
mon cher enfant, répondit celui-ci, il faut absolument que
je meure, car il est trois choses que je ne ferai jamais : 1″ je
ne lui donnerai jamais le titre de Askia; 2″ pour lui je ne
mettrai jamais de poussière sur ma tête ; 3″ jamais je ne
chevaucherai derrière lui. »

1. Les livres religieux tels que le Coran, le Sahih d’El-Boukhari, etc., peuvent
dans bien des cas, rendre inviolable celui qui les porte sur sa tête.

2. Non seulement les musulmans réprouvent le suicide, mais ils n’admettent
même pas que l’on s’expose à la mort sans nécessité.

3. Les trois mss. font suivre le nom de Mohammed de : « fils de Askia-Mousa »,
ce qui indique bien qu’il ne s’agit pas du tils de Bella, comme on pourrait le
croire en voyant Mohammed désigner Bella par ces mots : « mon père ». Cette
expression est une formule de politesse que je rends par : « mon vénérable ami »,
faute de mieux.

4. Ou : en le saluant.

 

140 HISTOIRK DU SOUDAN

Sur ce, le prince ordonna de saisir le Binka-Farma qui fut
aussitôt mis à mort. Selon une autre version, le Binka-Farma
aurait été tué en même temps qu’Alfa ‘*-Konko et Alfa’-Donko-
‘Omar-Komzâgho. Ces deux personnages étaient à la fois
cousins paternels et cousins maternels et leurs mères étaient
toutes deux de race peule. Le supplice qui leur fut infligé
fut le suivant : on creusa un trou très profond ; on les y jeta
vivants et on recouvrit ensuite de terre (Dieu nous préserve
d’un tel sort!).

Askia-Mousa fit également mettre à mort le Dirmâ-Koï,
Dankara, le Bara-Koï, Soleïmân. Il confia les fonctions de
Kormina-Fâri à Mohammed-Benkan-Kiraï, puis il retourna
au Songhaï en passant par le territoire de Dienné. Quand il
était arrivé à Tirfaï, il avait reçu la visite du saint de Dieu,
le jurisconsulte, Mour-Ma’a–Kenkoï, venu à sa rencontre de
Djindjo et accompagné de ses étudiants. Après avoir salué le
prince et avoir prié pour lui selon la coutume, le saint lui
avait dit : « Au nom du Très-Haut et au nom de son Pro-
phète (Dieu répande sur lui ses bénédictions et lui accorde
le salut!), je vous demande la grâce du Dirma-Koï et du
Bara-Koï ; ils ont tous deux été bons pour les habitants de
leur pays qui sont extrêmement satisfaits d’eux. Ils n’ont pas
pris part à la révolte de plein gré ; ils l’ont fait malgré eux,
dans la crainte de perdre la vie, et contraints et forcés, car
ils ne pouvaient pas résister au Faran, ‘Otsmân. — Mais,
répondit le prince, ils ont méconnu mon autorité d’une façon
absolue. — Ne faites point cela, répliqua le cheikh, ne
repoussez pas mon intercession. — II faut qu’ils meurent »,
répartit le prince.

Voyant qu’il ne lui restait aucim espoir de réussir dans sa
démarche, le cheikh dit alors : « J’habite Djindjo depuis

1. Le ms. C écrit «iJI.

2. Ou : « Magha ».

 

CHAPITRE QUATORZIÈME 141

l’époque où régnait Sonni-‘Ali. Dans cette ville nous n’avons
trouvé paix et repos que sous le règne de ton père, le très
fortuné, le béni prince des Croyants, Askia-El-Hâdj-Moham-
med. Nous avons prié le Ciel qu’il lui accordât un règne
prospère et de longs jours ; nous avons demandé au Très-
Haut de lui donner un fils béni qui fût l’espoir des musul-
mans. Nos prières ont été exaucées. Dieu nous a dit ton
nom*. Chaque fois que nous avons prié (a o), nous l’avons fait
pour que tu occupes le trône et nos vœux se sont réalisés.
Or maintenantjtu méconnais nos efforts, tu nous refuses toute
influence. Eh! bien, puisque nos mains sont encore levées
au Ciel pour l’implorer en ta faveur, nous les y maintien-
drons ; mais ce sera pour te maudire. » Cela dit, le cheikh
et ses étudiants se levèrent et retournèrent chez eux.

Dans la soirée de ce jour, Askia-Mousa continua son
voyage. Le Bena-Farma, Ishâq-ben-Askia-El-Hàdj -Moham-
med, quitta alors sa place et, rejoignant le Kormina-Fàri,
Mohammed-Benkan, il le tira par derrière. Celui-ci se re-
tourna et dit : « Qu’as-tu qui te pousse à agir ainsi? Pourquoi
avoir quitté ton rang pour venir ici me tirer par derrière?
— C’est à cause de ce que le cheikh vient de faire à
l’égard de Askia-Mousa ; il l’a importuné, et sans la crainte
qu’il inspire au prince, celui-ci eût perdu patience. Par
Dieu! si c’eût été moi, j’aurais tué le clieikh sur l’heure,
eussé-je dû pour cela demeurer éternellement en enfer. »

Le soir, quand on arriva au gîte, les personnes qui, selon
l’habitude, passaient la soirée à causer avec le prince se
rendirent auprès de lui. Le Kormina-Fâri raconta alors, tel
qu’il s’était passé, l’incident qui s’était produit entre lui et le
Bena-Farma, Ishâq. « Par Dieu I s’écria Askia-Mousa, pas
un poil de mon corps n’a éprouvé la moindre crainte;

1 . C’est-à-dire que le nom de l’enfaat qui succéderait à Askia-El-Hâdj-Mo-
hamraed serait Mousa.

 

142 HISTOIRE DU SOUDAN

mais si le cheikh avait vu à ce moment ce que j’ai vu moi-
même, il serait mort à l’instant de fraveur et crainte. » Puis
il ajouta, en s’adressant au Kormina-Fâri : a N’avez-vous
donc pas vu que le cheikh levait les paumes de ses deux
mains jusqu’à la hauteur de ses épaules ? — Certes, je l’ai
vu, répondit le Kormina-Fàri. — Eh! bien, poursuivit le
prince, c’était pour repousser deux lions qui, placés sur ses
épaules, tendaient leurs pattes vers moi, la gueule épanouie.
Jamais je n’ai vu lions de pareille taille et ayant telles dents
et telles griffes. C’est alors que j’ai donne au cheikh l’ordre
de retourner chez lui et que lui et ses compagnons sont
partis furieux pour regagner Djindjo. »

Aussitôt arrivé à Kàgho, le prince commença par mettre à
mort les frères qui lui restaient. Ceux-ci, saisis d’effroi en le
voyant agir, s’ingénièrent d’abord à se mettre à l’abri. Puis,
le jour où le prince fit arrêter le Faran, Abdallah-ben-Askia-
El~Hâdj-Mohammed, frère germain de Ishâq, tous ses frères
survivants s’entendirent pour se soulever contre hii et le
tuer s’il mettait à mort Abdallah (ai). Quelques jours après,
Askia-Mousafit appeler Ishâq et plaçant devant lui un turban
et une tunique à doubles pans*, il lui dit : « Ton frère, le
Faran Abdallah, est un lâche; je l’avais fait interner- dans un
endroit et il y est mort de peur. »

Ishâq alla trouver le Châ’a-Farma, Alou-Saï^, lîls du roi
Askia-El-Hâdj -Mohammed et lui raconta la nouvelle en pleu-
rant : « Tais-toi, lui dit ‘Alou; es-tu donc une femme? Abd-
allah est le dernier de nous qu’il aura tué, car dorénavant
il ne tuera plus jamais. » A{>rès s’être entendus pour agir en
secret contre le prince, on réussit à le tuer dans le village de
Mansour où lui-même avait fait périr le Balama’ Mohammed-

1. Mol à mot: «une chemise à deux queues «.C’étaient les vêtements du défunt
Faran Abdallaii ; sans doute, le costume qui était l’insigne de ses fonctions.

2. Le mot du texte signifie : serrer, mettre en réserve.

3. Ou : ‘Alou-Ouaï.

 

CHAPITRE QUATORZIÈME 143

Kiraï, qui eut pour successeur le Balama’Mohammed-Dondo-
Miya, nommé grâce à l’appui de Mohammed-Benkan.

Askia-Mousa périt le mercredi, 24 du mois de cha’ban
de l’année 937(12 avril 1531). Il avait régné deux ans, huit
mois et quatorze jours. Il avait été tué de la main du Châ’a-
Farma ‘Alou, dont il a déjà été fait mention. Le jour même
de la mort de Askia-Mousa, à la date indiquée ci-dessus, le
très fortuné, le noble Askia-Mohammcd-Benkan-ben-‘Omar-
Komzâgho fut élevé au trône.

Voici comment les choses s’étaient passées. Quand les
frères du prince Askia-Mousa avaient résolu de le tuer, l’aîné
d’entre eux, le Châ’a-Farma Alou, s’était chargé de le frap-
per. « Je hii lancerai mon javelot pendant qu’il sera à cheval,
avait-il dit; si je le manque, jetez-vous tous sur moi et tuez-
moi avec vos armes et vous serez ainsi à l’abri de sa fureur * ».
Alou lança son javelot et atteignit à l’épaule gauche le
prince au moment où il était en train de causer avec le Bara-
Koï qu’il avait mandé auprès de lui dans le cortège. En se
retournant, le Bara-Koï vit tout à coup le javelot planté
dans l’épaule du prince et le sang couler de sa blessure;
quant au prince, il ne s’était même pas retourné et n’avait
pas fait mine d’avoir été atteint de la moindre des choses,
tant il avait de vigueur et de sang-froid.

Le Bara-Koï prit la fuite, tandis que Askia-Mousa se dis-
posait à livrer combat aux assaillants. Mais sa main gauche
étant devenue incapable de tenir la bride de son cheval, il
rentra chez lui, relira le fer de la plaie, cautérisa la blessure
et y appliqua un bandage. Puis il passa la nuit à se pré-
parer pour le lendemain au combat et à la lutte contre ses
frères; il ne goûta pas un instant de sommeil tant il était
irrité et en colère, jurant à maintes reprises que le lende-
main le sang coulerait et à torrents.

li Le prince ne pouvant dès lors les soupçonner de complicité.

 

144 HISTOIRE DU SOUDAN

Quand le jour vint, il ceignit ses armes et sortit. La ba-
taille s’engagea entre les deux partis qui en vinrent aux
mains. Les frères vainqueurs mirent le prince en déroute,
le poursuivirent, l’atteignirent et le tuèrent. Au retour, le
Châ’a-Farma ‘Alou trouva le Kormina-Fâri occupant la place
de l’A skia sous le* dais. C’était son frère ‘Otsmân-Tinfiran
qui avait dit au Kormina-Fâri de se mettre là afin d’être
Askia; mais celui-ci refusa (av) d’accepter en disant : « Je
ne suis pas de taille à lutter contre ces gens-là. » C’était
ses cousins qu’il désignait ainsi.

‘Otsmân insista vivement, jurant que si son frère ne pre-
nait pas la place il la prendrait lui-même, bien que le cadet
ne dut point avoir le pas sur l’aîné. Là-dessus le Kormina-
Fâri accepta et prit place sur le trône de l’Askia. Quand le
Châ’a-Farma, Alou, revint du combat et qu’il aperçut de loin
le Kormina-Fâri, il s’écria : « Qui donc est sous le dais? Je
ne suis pas homme à briser un arbre avec ma tête pour
qu’un autre en mange les fruits \ »

S’approchant alors de son frère, ‘Otsmân-Tinfiran lui dit :
« Sors du dais! » puis il le frappa sur la tête du bois de
ses javelots. Le Kormina-Fâri sortit du dais et ‘Al ou se pré-
parait à s’y installer quand Otsmân lui lança son javelot
par derrière et l’atteignit. ‘Alou prit alors la fuite pendant
que Mohammed-Benkan reprenait sa place où il reçut ser-
ment d’obéissance de ses sujets et fut confirmé dans ses
fonctions souveraines.

Dans sa fuite le Châ’a-Farma, ‘Alou, arriva chez les gens
du port’ et leur demanda de cautériser sa blessure; mais le
Kouma-Koï le fit arrêter, lui trancha la tête avec une fau-
cille et alla porter cette tête à l’Askia. A ce moment l’Askia

1. Mot à mot : « les bois »;il s’agit sans doute d’une estrade ou d’une réunion
de piliers de bois supportant une sorte de dais.

2. Nous dirions : tirer les marrons du feu.

3. Les matelots ou les employés du port; le texte ne précise pas.

 

CHAPITRE QUATORZIÈME 145

remercia le Kouma-Koï de ce qu’il venait de faire, puis,
avoir laissé passer un certain temps, il le fit mettre à mort
ainsi qu’un grand nombre de ses gens.

Le nouveau prince s’installa dans le palais royal, d’où
il fit partir au préalable son oncle paternel Askia-El-Hâdj-
Mohammed qu’il envoya pour l’y interner dans l’île de
KankâkaS localité voisine de la ville du côté de l’ouest. Il
confia les fonctions de Kormina-Fâri à sou frère, Otsmân,
qui les conserva aussi longtemps que dura son règne ; puis
il envoya à Biro demander qu’on lui renvoyât Isma’il qui
était son ami et son camarade d’enfance. Isma il fut ramené
au Songhaï où le prince, après lui avoir fait jurer sur le
Coran de ne jamais le trahir, lui donna en mariage sa fille
Fati.

Mohammed-Benkan obligea les filles de Askia-El-Hâdj à
paraître dans les audiences où il siégeait; elles avaient le
visage découvert et Yâna^-Mara lui criait : « Un seul
poussin d’autruche vaut toujours mieux que cent poussins
de poule. »

Le prince maintint la royauté de la façon la plus remar-
quable; il l’agrandit, l’embellit et para sa cour de courtisans
en plus grand nombre qu’auparavant et vêtus de somptueux
habits. Il multiplia les orchestres, le nombre des chanteurs
et chanteuses et augmenta faveurs et cadeaux. Durant son
règne la prospérité s’étendit sur son empire et une ère de
^richesse commença de s’établir.

Son prédécesseur, le prince des Croyants, Askia-El-Hâdj-
Mohammed, n’avait pas ouvert son âme aux choses de ce

 

1. Le ms. G ajoute Kanka devant ce mot; mais, comme c’est à la fin d’une li-
gne, il est probable que le copiste avait commencé à écrire le mot et que, n’ayant
pas assez de place pour le terminer, il l’a récrit de nouveau en entier à la ligne
suivante.

2. Les mots Yâna-Mâra paraissent être un nom propre, mais cela n’est pas
sûr et il se peut qu’ils forment un titre.

{Ilisloii’e du Soudaîi.) tC

 

146 HISTOIRE DU SOUDAN

monde. Il redoutait le mauvais oeil et ne cessait de détour-
ner (a a) son frère, Faraa-‘Omar, des préoccupations mondai-
nes en lui disant : « Ne t’expose pas aux dangers du mau-
vais œil qui te perdrait. »

Quant à Askia-Mousa, du jour où il monta sur le trône il
n’eut pas une minute de repos à cause de l’hostilité des
membres de sa famille, hostilité qui est le plus grand fléau
de ce monde, car elle est éternelle : jamais elle ne faiblit, ni ne
cesse. Jusqu’à sa dernière heure il eut d’incessantes préoc-
cupations ; angoisses et soucis absorbaient son esprit, car il
fallait toujours veiller et être sur ses gardes.

Le très fortuné souverain Mohammed-Benkan avait le
goût des expéditions guerrières et des combats. Il en fit un
si grand nombre qu’il lassa la patience des gens du Songhaï
qui le prirent en aversion. Il entreprit en personne une ex-
pédition contre Kanta et le combat s’engagea entre eux à
l’endroit appelé Ouantarmasa^ Kanta infligea une honteuse
défaite à son adversaire qui s’enfuit avec toute son armée.
Poursuivis par leurs vainqueurs, les fuyards furent acculés à
un marigot et ne durent leur salut qu’à Dieu seul. Comme
il était impossible de franchir le marigot à cheval, le prince
mit pied à terre; il se fit porter sur les épaules du Hi-Koï
Bokar-‘Ali-Doudo, puis, quand il eut franchi ce passage, les
soldats de Kanta revinrent sur leurs pas. Quant à ses propres
troupes, elles se dispersèrent de tous côtés.

Partout où le prince passa la nuit au cours de cette fuite,,
il reposait sa tète sur les jambes de Bokar-‘Ali-Doudo que
celui-ci étendait à cet eff’et. Alors il se mettait à causer avec
son compagnon et finit par lui dire un soir : « Cette défaite
que je viens de subir et toutes les peines qu’elle m’occas-
sionne m’irritent moins que ce que vont dire les gens de
Tombouctou quand ils en apprendront la nouvelle, surtout ce

1. Ou : ” Ouantaramasa ».

 

CHAPlTRli QUATORZIÈME 147

que se diront les uns aux autres certains mécontents qui se
réunissent derrière la mosquée de Sankoré. » Et alors il en
nomma quelques-uns : Bouzoudaya, un tel, un tel, etc., car
il connaissait bien l’état des esprits à Tombouctou, ayant ha-
bité Sankoré dans sa jeunesse pour y faire ses études. Puis
il ajouta : « L’un d’eux dira : Jeunes gens, avez-vous en-
tendu parler de ce qui est arrivé à Marankan *-Kiraï avec
Kanta? — Qu’est-il arrivé? demandera l’auditoire. — Eh!
bien, poursuivra le narrateur, il a été si bien défait qu’il
a failli périr lui et toute son armée. — Ah! répon-
dra l’assistance, il n’arrivera plus malheur maintenant à
celui qui fera opposition à Askia-Mohammed ; c’est (a^)
contre lui-même qu’il a dirigé cette expédition. » Il me
semble, continua-t-il en s’adressant au Hi-Koï Bokar-‘Ali-
Doudo que je les vois débiter ces discours. » Ensuite le prince
arriva à Kâgho et depuis cette époque, aucun des askias ne
fit d’expédition contre Kanta.

L’expédition suivante fut dirigée contre le Gourma. Arrivé
près des habitations de ce pays, le prince envoya des éclai-
reurs pour épier les païens et le renseigner sur leur compte;
mais ceux-ci, qui avaient appris sa venue, s’étaient mis en
campagae et venaient pour le combattre. Les éclaireurs re-
vinrent annoncer la marche de l’ennemi. Le prince les ren-
voya de nouveau et ils rentrèrent presque aussitôt en disant
que les païens étaient tout près. Il fit mander alors à Dan-
kolko, qui était chargé de surveiller la route à ce moment,
d’arrêter l’ennemi; mais celui-ci qui, à l’arrivée du messager,
était en train de jouer aux échecs soudanais et était tout
absorbé par son jeu, ne prêta nulle attention à l’envoyé du
prince avant que l’ennemi fût tout à fait rapproché.

Ace moment Askia-Mohammed enfourcha son cheval et se

1. Ou : « Marabkan ». C’était sans doute un surnom donné à Askia-Moliam-
med-Benkan.

 

i48 HISTOIRE DU SOUDAN

mit à crier : ;< Qu’est-ce que cela signifie ? les païens sont
près de nous et cet homme ne dit rien avant d’avoir ter-
miné sa partie. » Puis se tournant vers Dankolko, il lui dit :
« Fi! donc, ô lâche; tu n’es pas digne d’être un général. »
L’action s’engagea ensuite et grâce à d’habiles manœuvres
les païens furent défaits et mis en complète déroute.

S’adressant alors à Dankolko, le prince lui dit : « Main-
tenant que l’ennemi est arrivé jusqu’à toi, fais de lui ce que tu
voudras. » La cavalerie poursuivit l’ennemi, ne cessant de
lui tuer du monde jusqu’au lendemain. Le prince redoutait
beaucoup Dankolko ; aussi, peu après son arrivée à Kâgho,
ayant appris la mort de Kala-Châ’a, il dit à son général :
« Dieu me fait voir qu’il n’y a que toi qui conviennes à cet
emploi, je te fais Kala-Cha’a. — Mais malheureux! s’écria
Dankolko, tu ne veux donc plus faire la guerre! — Cer-
tes, je la ferai, répondit le prince; mais ce poste que
je te confie est un des plus importants à mes yeux et je ne
veux pas choisir un autre que toi pour l’occuper. —
Alors, il faut que j’accepte. — Il le faut. — Eh! bien soit!
à la grâce de Dieu, reprit Dankolko, mais je vous de-
mande de me donner un tel pour successeur dans mes
anciennes fonctions. » Askia-Mohammed accéda à cette de-
mande, puis quand Dankolko eut pris congé de lui et se fut
éloigné, il s’écria : « Va, je ne t’y laisserai pas longtemps
dans tes fonctions et je ne te donnerai pas le successeur dont
tu m’as parlé. »

Peu après cela, Isma’ïl se rendit une nuit dans l’île où se
trouvait son père (Askia-El-Hâdj-Mohammed) pour le saluer.
A peine était-il assis devant son père que celui-ci, lui prenant
le bras, lui dit : « Ciel! comment un bras comme celui-ci
laisse-t-il les moustiques me dévorer et les grenouilles sau-
ter sur moi, alors que c’est cela qui me répugne le plus au
monde. — Je n’y puis rien, répondit Isma’ïl (n*). —

 

«

 

CHAPITRE QUATORZIÈME 149

Va, répliqua le père, trouver un tel, un de ses eunuques,
saisis-le par telle partie du corps et, lorsqu’il aura reconnu
ce signe d’intelligence entre lui et moi, dis-lui qu’il te remette
le dépôt que je lui ai confié. Prends cet or qu’il te donnera
pour acheter des hommes en secret et va chez Souma-Koto-
bâki, un des amis de Askia-Mohammed-Benkan, lui deman-
der ma grâce, »

Isma ïl alla trouver Souma et lui demanda la grâce de
son père : « Dieu maudisse la condition d’homme libre,
s’écria Souma; si ce n’était à cause d’elle tu ne sortirais pas
d’ici sain et sauf. Mais aussitôt que tu auras obtenu ce que
tu désires, tue-moi sur l’heure, il le faut, il le faut. » Askia-
El-Hàdj-Mohammed savait que Isma ïl et tout son clan te-
naient beaucoup à cette grâce et que, pour la réaliser, ils
iraient au besoin, jusqu’à sacrifier leur vie ; mais il n’en dit
rien ni en bien, ni en mal’.

Ce même clan avait autrefois méconnu l’autorité du sou-
verain; il s’était emparé de la ville et le Hi-Koï, Bokar-‘Ali-
Doudo, avait du prendre la fuite; mais aidé d’un petit nom-
bre de gens qu’il avait avec lui, le Hi-Koï avait imaginé un
stratagème qui lui avait permis de reprendre la ville et d’y
rétablir son autorité, après un violent combat.

Bientôt les gens du Songhaï, fatigués de leur souverain,
commencèrent à manifester entre eux leur opinion à son
égard. Yàri-Sonko-Dibi, ayant eu connaissance de ces pro-
pos, en fit part au prince dont il était l’ami et le familier.
.L’Askia ne put s’empêcher de faire part de ces plaintes à ses
courtisans en pleine audience. On eût dit qu’il ne croyait pas
à leur réalité. A peine en eut-il parlé que tous s’écrièrent :
« Nous ne sortirons pas d’ici avant que tu nous aies dit le
nom de celui qui fait l’office de dénonciateur parmi nous; il

1. Tout le .passage qui précède et le paragraphe qui suit sont fort obscurs.

 

150 HISTOIRE DU SOUDAN

faut que tu choisisses entre lui et dous *. » Jl ne put faire
autrement que de dire : « C’est Yâri-Sonko-Dibi. » Alors
toute l’assemblée saisit le coupable ; on lui teignit le corps en
rouge, en noir et en blanc ; puis on le fit monter sur un
ânon et on le promena par toute la ville en criant à haute
voix devant lui : « Voilà la rétribution que mérite tout dé-
nonciateur ! »

Le prince se prépara ensuite pour une expédition et se
mit en route. Arrivé au village de Mansour, locahté où il
avait été proclamé souverain, il s’y arrêta et envoya le Dendi-
Fàri, Mâr-Tomzo, faire une expédition avec son armée.
Ceci se passait au mois de chaoual, l’un des mois de la qua-
rante-troisième année {\\) du siècle (24 mars-^2 avril
1537). En lui confiant la direction de ses troupes, le prince
avait dit au personnage dont il vient d’être parlé : « Si tu
réussis, tu seras un Dendi-Fâri ; sinon tu seras Mâr-Tomzo. »
Il entendait dire <• révoqué » ^ .

Mâr-Tomzo dit alors : « Le Très-Haut arrangera tout cela
par la vertu de ce mois consacré à la rupture du jeûne et
dans le mois de repos ^ qui suit nous respirerons tous,
s’il plaît à Dieu ». Puis il partit pour l’expédition qui lui était
confiée. Le prince le fit accompagner d’un grand nombre de
ses courtisans pour le surveiller et l’empêcher de trahir.
Mâr-Tomzo commença par écarter tous ces personnages *,
par des manœuvres aimables et quand il fut maître de la di-
rection des affaires, il fit arrêter tous les courtisans et les mit

1. Je lis »J:Ja au lieu de «jU^ que donnent les mss.

2. C’est-à-dire qu’il perdrait son titre de Dendi-Fâri et qu’il n’aurait plus que
son nom de Mâr-Tomzo.

3. Le mois de la rupture du jeûne est le mois de chaoual. Celui qui le suit est
dzou ‘l-qa’ada dont le nom signifie : « consacré au repos ». Mais, pour Mâr-
Tomzo, le repos auquel il veut faire allusion sera d’ôtre débarrassé de la tyran-
nie de Mohammed-Benkan.

4. On ne dit pas si c’était pendant l’expédition ou au retour; mais les person-
nages dont il veut parler étaient les hommes influents de la cour.

 

CHAPITRE QUINZIÈME 151

aux fers. Puis il renversa le prince du trône dans ce même
village de Mansour où celui-ci avait été autrefois proclamé
souverain. Cette déposition eut lieu exactement le jour anni-
versaire de l’avènement, le mercredi, 12 du mois de dzou’l-
qaada (23 avril 1537), mois du repos pour les gens du Son-
ghaï, dans l’année déjà indiquée (943). Quand le nouvel
Askia connut cet événement il dit : « Il m’avait bien
parlé de cela l’autre jour, mais je n’ai compris qu’aujour-
d’hui. »

 

CHAPITRE XV

ASKIA- ISMA ‘IL

 

Askia-Isma ïl fut élevé au trône par le Dendi-Fâri, Mâr-
Tomzo, le jour même de la déposition de son prédécesseur.
Cet événement eut lieu dans une localité appelée Tara.
Mohammed-Benkan avait régné six ans et deux mois.

Cette même année, c’est-à-dire en l’année 943 (20 juin
1 536-lOjuin 1 537), le cadi Abderrahmân, fils du jurisconsulte
Abou-Bekr, fds du jurisconsulte, le cadi El-IIâdj, mourut dans
la matinée du samedi, 21 du mois de rebi’ II (7 octobre) ; il
était âgé de quatre-vingt-deux ans. Il avait été précédé dans la
tombe par le saint de Dieu, le jurisconsulte, El-Hâdj-Ahmed-
ben-‘Omar-ben-Mohammed-Aqît qui le devança d’un an
moins un mois, car ce dernier (Dieu lui fasse miséricorde !)
mourut (^r) en l’année 942 (2 juillet 1535-20 juin 1536),
le jeudi soir, 10 du mois de rebi’ II (9 octobre), au début
de la maladie épidémique appelée Kap.

Aussitôt élevé au trône, Isma’ïl expédia des agents pour

 

152 HISTOIRE DU SOUDAN

poursuivre Mohammed-Benkan, le prince déchu, et l’expulser
du pays de Songhaï. Ces agents se divisèrent en deux grou-
pes : l’un qui se dirigea vers le Haoussa; l’autre, vers le
pays de Gourma. Dans ce dernier groupe, se trouvait Yâri-
Sonko-Dibi qui avait demandé lui-même au prince d’en
faire partie.

Un autre personnage avait sollicité également la même
faveur. Ce personnage avait demandé une promotion de ti-
tre à laquelle il avait droit ; mais le poste qui lui revenait
avait été attribué à un autre. Arrivé au pouvoir, Isma’ïl
l’avait dédommagé de ce passe-droit en lui confiant une
dignité plus haute encore que celle qui lui avait été refusée.
Avant d’expédier ces agents, Isma’ïl avait envoyé à Kâgho
un messager pour empêcher Mohammed-Benkan d’entrer
dans cette ville. Dans sa fuite, Mohammed-Benkan se diri-
gea vers Tombouctou ; il y avait deux jours qu’il était en
route, sans avoir pu manger du koura \ dont il était extrê-
mement friand, lorsqu’il rencontra un messager qu’il avait
envoyé à Dienné, alors qu’il était encore au pouvoir. Ce mes-
sage revenait dans une embarcation abondamment pourvue
de bonnes choses. Dès que la suite du prince déchu eut re-
connu le messager, elle le hêla en lui disant : L’Askia est
ici. Le messager se dirigea de ce côté et vint mouiller près
d’eux, et il n’eut pas de peine à comprendre à ce moment
tout ce qui s’était passé.

Comme le prince déchu demandait du koura, le messa-
ger lui répondit : « Tout ce qui est dans l’embarcation t’ap-
partient, prends-en ce que tu voudras. — Ce n’est plus
à moi aujourd’hui, répondit-il; je ne suis pas devenu un
voleur, un coupeur de route, et je ne te demande que
de ce qui t’appartient. » Le messager lui donna alors du

1. De la noix de gourou, ou autrement dit de la kola, ainsi que le dit une
note marginale du ms. C. Peut-être faut-t il prononcer goura.

 

CHAPITRE QUINZIÈME 153

koiira autant qu’il lui en fallait. Mohammed-Benkan mangea
ce koura; mais à peine l’eut-il avalé, qu’il vomit tout ce
qu’il avait dans l’estomac, ce à quoi il était sujet depuis
longtemps *.

Le messager offrit à l’Askia de l’emmener avec lui, mais
celui-ci refusa en disant : « Poursuis ta route tranquillement
et en paix ; quand tu arriveras au terme de ton voyage, ra-
conte au prince ce qui s’est passé entre nous deux et ne lui
cache aucun détail, car s’il venait à apprendre tout cela de
la bouche d’un autre il te tuerait injustement. Les gens du
Songhaï ne sont point bienveillants ^ » Aussitôt qu’il eut
rejoint le prince, le messager lui raconta tout ce qui s’était
passé.

Mohammed-Benkan arriva à Tombouctou à la fin de la
nuit; il se dirigea vers la maison du père des bénédictions,
le cadi, le jurisconsulte Mahmoud, pour le saluer. Il trouva
(^v)làle fils du cadi, ‘Omar-El-Montabih, seul sur la terrasse,
occupé à étudier le Miaydr de El-Ouancherisi, au clair delà
lune quibrillait cejour-là. Ce jeune homme, qui pouvaitavoir
alors environ vingt-sept ans, alla prévenir son père le juris-
consulte Mahmoud de cette visite. Mohammed-Benkan fut
alors introduit; il sahia le cadi et lui raconta toutes ses aven-
tures avec les gens du Songhaï. Puis, il se remit en route
immédiatement et se dirigea vers le Tendirma pour y re-
joindre son frère, le Kormina-Fâri, ‘Otsmân.

Dans la matinée du lendemain, les cavaliers de Askia-
Isma ïl, lancés à la poursuite du prince déchu, entrèrent à
Tombouctou et continuèrent ensuite leur route sans désem-
parer. Au moment de Vasr ils atteignirent les fugitifs auprès

 

1. Était-ce le koura seul qui produisait cet effet ou le prince avait-il une ma-
ladie d’estomac? Le texte ne précise pas la chose.

2. Cette mauvaise opinion au sujet des gens du Songhaï est reproduite un
peu plus loin.

 

154 HISTOIRE DU SOUDAN

du lac* de Koro-Kendi,à peu de distance deTendirma. Un en-
gagement eut lieu en cet endroit, mais les cavaliers deAskia-
Isma’ïl revinrent sur leurs pas quand ils eurent acquis la
certitude que Mohammed-Benkan avait rejoint son frère
‘Otsmân, et qu’il avait avec lui son fils Bokar.

‘Otsmân demanda à son frère de retourner à Kâgho pour
engager la lutte, en lui disant : « Ce doigt qui a fait de toi
un askia, te rendra askia de nouveau. — Gela est impos-
sible, répondit Mohammed-Benkan ; durant mon règne, j’ai
renforcé l’armée du Songhaï et lui ai donné des guerriers
contre lesquels toutes tes forces réunies ne sauraient lutter.
J’ajouterai, d’ailleurs, que les gens du Songhaï quand ils en
veulent à quelqu’un ne lui pardonnent jamais. »

Les cavaliers de Askia-Isma’ïl, qui s’étaient dirigés vers
le Gourma, arrivèrent à la ville de ce nom, qui est située en
face de Tendirma^. Alors Yâri-Sonko-Dibi cria à haute voix :
« Salut à toi, Askia-MarankanM salut à toi, Askia-Maran-
kan ! — Qui es-tu ? demanda quelqu’un de Tendirma. — Je
suis Yâri-Sonko-Dibi répondit celui-ci ; je ne veux pas
qu’il t’arrive malheur en ce jour-ci; je veux seulement te
montrer que mes paroles se sont vérifiées. » L’autre per-
sonnage* répéta le même appel au prince déchu et, quand
on lui demanda : Qui es-tu, il répondit : « Je suis un tel : tu
m’avais refusé une charogne, Dieu m’a donné à la place de la
chair fraîche. » Cela fait, les cavaliers rentrèrent au Songhaï.

Mohammed-Benkan, accompagné de son frère Otsmân
et de son fils Bokar, se mirent en route vers le Melli. Arrivés

 

1. Ou « fleuve », le même mot arabe ayant les deux sens.

2. I.fi nom de la ville et du district étant le même, il est parfois difficile de
distinguer s’il s’agit de l’un ou de l’autre. Ici il s’agit de la ville.

3. C’était un surnom ou un sobriquet donné à Mohammed-Fienkan.

4. C’ôlail celui à qui Mitliammcd-noiikan avait rofiisô le poslo auquel il avait
droit, « la charogne » comme il l’appelle. Par « chair fraîche >- il entend les fonc-
tions plus élevées que lui avait conférées Askia-Isma’ïl.

 

CHAPITRE QUINZIÈME 155

à la ville de Sanqari ‘-Zouma’, ils s y arrêtèrent pour y fixer
leur demeure. Bokar se maria dans cette ville et eut un en-
fant appelé Mârba.

Le gens du Melli se mirent à abreuver les nouveaux-ve-
nus d’humiliations et de vexations telles que ‘Otsmân ne
pouvait les supporter. Son frère, dans ses discours (^,1), l’ex-
hortait à la patience. Mais un jour vint où ‘Otsmân, poussé
à bout par ces vexations, entra dans une si violente colère
que Askia-Mohammed-Benkan dut alors se fâcher à son tour
et lui dire ces dures paroles : « Je vois que maintenant tu ne
nous veux plus aucun bien. » Furieux, ‘Otsmân partit et
alla habiter Biro, tandis que Askia-Mohammed emmenait ses
enfants à Sâma, pays situé à l’extrémité du territoire des
sultans de Kala, et s’y fixait avec sa famille.

On rapporte que, au moment où le chanteur proclama
son avènement, Askia-Isma il eut une émotion violente et
qu’il perdit du sang par l’anus. Il dit alors à ses frères :
« Cela m arrive uniquement à cause du Coran sur lequel j’a-
vais juré fidélité à l’ Askia-Mohammed-Benkan; le Livre
saint exerce ainsi son châtiment contre moi. Je ne conserve-
rai pas longtemps le pouvoir ; réfléchissez donc à votre si-
tuation et soyez hommes. Trois choses m’ont déterminé à
déposer mon prédécesseur du pouvoir : l”le désir de faire
sortir notre père de cette île dont le séjour lui avait été im-
posé ; 2″ l’intention de ramener nos frères à la cour; 3″ enfin
ces paroles que disait Yâna-Mâra, chaque fois qu’elle voyait
Mohammed- Benkan : « Un seul poussin d’une autruche
vaut mieux que cent poussins d’une poule. »

Le jour où Isma il fut élevé au rang d’Askia, le Fara-
Mondzo, Souma-Kotobâki, descendant de son cheval, s’écria :
« Prince, hâte-toi de me tuer ainsi que je te l’ai dit. —
Non, répondit Isma’ïl, je veux que tu continues à occuper

1, Ou « Sonqara »,

 

156 HISTOIRE DU SOUDAN

tes fonctions et tu seras honoré et respecté par moi. —
Non, je vous en supplie, répliqua le Fara-Mondzo. >> Puis,
voyant que, malgré toutes ses bonnes paroles et ses cajole-
ries, Souma ne voulait rien entendre, le prince le fit mettre
en prison.

Chaque fois que le prince descendait de cheval en venant
au conseil’, c’était son frère Daoud qui montait l’animal;
aussi pour récompenser son frère de ce zèle le nomma-t-il
Fara-Mondzo, lorsqu’il eut renoncé à l’espoir de faire accep-
ter de nouveau ces fonctions à Souma-Kotobâki. Il éleva
à la dignité de Kormina-Fâri, Hemâdou% le fils de Aryao, la
fille de l’Askia-El-Hâdj-Mohammed : le père de Hemâdou
était le Balama’-Mohammed-Kiraï.

Au commencement de l’année 944 (10 juin 1537-30 mai
1538) il fit sortir son père de Kankâka, où il était interné,
et le fit retourner à Kâgho. En cette même année il se ren-
dit à Douri \ Le samedi soir, veille de la rupture du jeûne
(2 mars 1538) de cette année, Askia-El-Hâdj-Mohammed
mourut (Dieu lui fasse miséricorde, lui pardonne et le favo-
rise de sa grâce !).

Isma il fit ensuite une expédition contre Bakaboula dans
le pays de Gourma. Quand Bakaboula vit que le prince
approchait il se mit en marche avec sa famille l’^o) et ses
gens et se déroba à son adversaire. Un corps de cavalerie
fut confié au Kormina-Fâri, le fils de Aryao, qui poursuivit
le rebelle et le rejoignit. Un engagement eut heu, mais le
païen sut se défendre. En apprenant cette nouvelle, Isma’ïl
fit dire au Kormina-Fâri de l’attendre, qu’il allait venir en
personne. « Sousou * ! mes amis, s’écria le Kormina-Fâri

. 1. « En venant », dit simplement le texte.

2. Plus loin la forme donnée à ce nom est Hammâd : jl^, au lieu de jU* qui
se trouve ici.

3. Ou : « Dirao ».

4. Courage !

 

CHAPITRE SEIZIÈME 157

(le mot sousou dans leur langue sert à exciter) ; — et alors
vous savez bien, et n’avez pas le moindre doute à cet égard,
que lorsque le prince arriverai! n’aura que des éloges à nous
faire; — marchons de l’avant! » Bakaboula, qui leur avait
tué neuf cents cavaliers, fut tué à son tour ainsi que tous les
iuiidèlcs qu’il avait avec lui ; son camp fut pillé et le butin
fut tel qu’un esclave à Kâgho se vendit alors 300 cauries.
Isma’ïl mourut le 4 ‘ du mois de redjeb de l’année 946
(15 novembre 1539), après avoir envoyé les gens du Songhaï
en expédition.

 

CHAPITRE XVI

ASKIA-ISHAQ

Lorsque les gens du Songhaï apprirent la nouvelle de la
mort d’Isma ïl, ils se hâtèrent de rentrer à Kâgho avant que
le Balama’ y fût arrivé. Ils convinrent de mettre sur le trône
Ishâq, le frère du défunt, et le proclamèrent souverain le 16
du mois de cha’aban de l’année ci-dessus indiquée (27 dé-
cembre 1539). Isma’ïl avait régné deux ans et neuf mois, et
le jour de son avènement il était Agé de vingt-sept ans.

Ishàq fut le plus illustre des princes qui occupèrent le
trône (du Songhaï) ; il fut également celui qui parmi eux
inspira le plus de terreur et de respect. Il fit périr un nombre
considérable de personnes appartenant à l’armée. Il agissait

1. Le texte porte « : au mois de redjeb le mercredi ». On peut supposer que le
mot arabe mercredi aura été confondu avec le mot quatr« auquel il ressemble
beaucoup: c’est l’hypothèse que j’ai adoptée. Toutefois il serait également per-
mis de croire ou qu’il s’agit du premier jour du mois qui tombait un mercredi
ou encore que la date a été omise.

 

158 HISTOIRE DU SOUDAN

de la façon suivante : dès qu’il soupçonnait quelqu’un de la
moindre velléité de résistance à son autorité, il le faisait dé-
libérément mettre à mort, à moins que celui-ci réussît à
s’enfuir du pays. Telle était sa manière de faire accoutumée.

Aussitôt monté surle trône, il expédia un Zaghrâni à Biro
pour tuerie Kormina-Fâri Otsmân et promit pour ce meurtre
trente vaches dont aucune n’aurait encore vêJé. Le Zaghrâni
tua le Kormina-Fâri (^•v) et revint ensuite toucher le prix de
son crime qui lui fut payé intégralement; puis, comme il
retournait dans son pays, le prince donna l’ordre de le tuer,
ce qui fut fait.

Ishâq fit ensuite mettre à mort le Kormina-Fâri, Hemà-
doUjfils de Aryao, et lui donna pour successeur ‘Ali-Kochya* .
Puis il s’informa de Souma-Kotobâki pour savoir s’il était
encore vivant ou non. Comme on lui répondit qu’il était
encore vivant, il donna l’ordre de le mettre en liberté et de
le lui amener. Quand Sou ma fut en sa présence, il lui dit :
« Un homme comme toi, qui connaît le bien et qui se montre
reconnaissant, mérite qu’on l’approche de soi et qu’on en
fasse son bras droit et son compagnon. Je désire donc que
tu reprennes tes fonctions et que tu sois honoré et respecté. —
Le sultan orthodoxe et béni*, répondit-il, m’a déjà fait cette
même demande, et n’a rien obtenu ; à plus forte raison
n’obtiendras-tu pas cela, toi qui n’es rien. » Le prince le fit
mettre à mort.

Plus tard, il éprouva au fond du cœur une crainte très
vive du Hi-Koï, Bokar-‘Ali-Doudo.Il annonça alors au Hon-
bori-Koï qu’il donnerait l’ordre au Hi-Koï de prendre rang^
après lui et qu’en route il devrait l’arrêter et le mettre aux

 

1. Ou « Rosira ».

2. C’est-à-dire l’Askia-Isma’ïl,

3. C’était sansdoule une dérogation à l’étiquette qui assignait dans le cortège
royal une place diiïérenle au Hi-Koï et au Honbori-Koï.

 

CHAPITRE SEIZIÈME 159

fers. Au moment de se mettre en route, Ishâq dit dans son
audience : « Hi-Koï, tu prendras rang avec le Honbori-
Koï. » Hi-Koï se tut et ne dit rien. Le prince répéta une
seconde fois : « Hi-Koï, tu prendras rang avec le Honbori-
Koï. » Hi-Koï se tut encore. Alors le prince dit : « Bokar-
Ali, c’est toi qui prendras rang avec le Honbori-Koï. »
Aussitôt Bokar se leva et s’écria : « J’obéirai à vos ordres,
maintenant que je sais que c’est Bokar- Ali qui doit être au-
près du Honbori-Koï ; quant au Hi-Koï,il ne prendra pas rang
avec le Honbori-Koï. » Toute l’assistance admira sa pré-
sence d’esprit et l’habileté de cette riposte. Le prince nomma
Mousa aux fonctions de Hi-Koï, à la place de Bokar-‘ Ali.

Ishâq fit la prière de la fête des sacrifices à Kabara à la fin
de la quarante-huitième année (27 mars 1542). L’année sui-
vante (17 avril 1542-6 avril 1543), il fit une expédition contre
Ta’ba, la ville la plus reculée de l’empire des sultans du
Bindoko. Au retour de cette expédition, il passa par Dienné
et y fit la prière du vendredi. Quand il voulut entrer dans la
mosquée il vit près de ce monument, du côté de l’est*, un
énorme tas d’immondices. « Qu’on jette tout cela dehors! »
s’écria-t-il. Et la prière du vendredi ne fut pas faite avant
que ses serviteurs n’eussent enlevé toutes ces immondices;
il sembla ensuite qu’il n’y en avait jamais eu la moindre
trace, tant on redoutait sa sévérité quand il avait donné
des ordres.

Quand l’office du vendredi fut terminé, le prince adressa:
quelques questions au cadi El-‘Abbâs-Kibi, mais Mahmoud-
Baghyo’o, qui était assis en face du cadi et qui était son
assesseur, s’empressait de faire les réponses avant le cadi.
Ishâq était arrivé depuis peu à Kâgho lorsqu’une députation
de la population de Dienné vint lui annoncer la mort de
El-‘Abbas, en lui demandant de vouloir bien lui désigner un

1. Le mot « qibla » s’emploie souvent pour désigner le sud.

 

160 HISTOIRE DU SOUDAN

successeur. « N’y a-t-il donc pas (*iv) un cadi là-bas ? répon-
dit-il. — Nous n’en connaissons pas, répliquèrent les gens
de Dienné. — Lui se connaît bien, répartit le prince ;
c’est ce magister, ce noir gros et court qui m’a répondu
quand je causais avec le défunt. Il sait bien, lui, qu’il est un
cadi, et c’est pourquoi il mettait tant de hâte à me répondre.
Qui donc parmi les jurisconsultes aurait pu agir ainsi sinon
un cadi. Allez! avant ce jour, il était déjà votre cadi. »

Après le retour de l’expédition contre Ta’ba_,le Faran Ali-
Kochiya,dont les menées tortueuses étaient parvenues à leur
comble, en vint au point de vouloir profiter d’un moment de
surprise pour faire assassiner le prince. Mais Ishâq, qui se
tenait sur ses gardes, prit en conséquence toutes ses précau-
tions. Arrivé au port de Kabara, il se rendit à Tombouctou
pour saluer le cadi, le jurisconsulte Mahmoud ; puis cette
visite faite, il revint au port et se hâta de monter dans son
embarcation. Voyant cela, le Faran marcha précipitamment
pour s’approcher du prince, mais celui-ci enjoignit aux ra-
meurs de s’éloigner jusqu’au miUeu du Fleuve. Le Faran fut
tellement suffoqué de cette manœuvre que, sans s’en douter,
il entra dans le Fleuve et eut de l’eau à mi-jambe. Désespé-
rant alors d’arriver à ses fins,il s’écria : « Ah! c’est ainsi!»
Puis il s’en retourna en proie à une vive colère.

Dès qu’il eut atteint la ville de Kâgho, Askia-Ishâq envoya
aux gens de Tendirma l’ordre de chasser Ali-Kochiya de
leur pays. Le Faran partit seul et s’enfuit au pays du Oua-
daï* où il fut fait captif par un homme qui le vendit. Mis aux
fers, il fut ensuite employé à arroser un jardin. Un jour, un
certain Arabe, qui au temps de l’arrogance et de la tyrannie
du Faran, venait lui vendre des chevaux, l’ayant fixé atten-
tivement, s’écria : « Mais on dirait que tu es le Faran Ali-
Kochiya. » En entendant cela, le Faran se précipita dans le

1. C’est la leçon du ms. C. Les autres mss. ont </jljJI « la Vallée ».

 

CHAPITRE SEIZIÈME 161

puits (d’où il tirait de l’eau pour l’arrosage) et y trouva la
mort.

A l’époque où il exerçait son insolente autorité, ‘Ali-Ko-
chiya ne craignait pas d’en abuser et de vendre des hommes
de condition libre. Des plaintes à ce sujet furent adressées
au cadi Mahmoud qui vint un jour le trouver (^a) et lui dit :
c( Pourquoi vends-tu des hommes libres? ne crains-tu pas qu’à
ton tour pareil sort ne t arrive? » Ces paroles du père des
bénédictions faillirent exaspérer de colère le Faran, mais il
se contenta de marquer sa surprise et de contester la chose
en disant : « Comment se pourrait-il que je fusse vendu. »
Dieu cependant confirma à son égard l’hypothèse émise par
le cadi.

ïshâq confia les fonctions de Kormina-Fâri à son frère
Daoud qui les conserva huit ans. En l’année 951 (25 mars
1544-15 mars 1545), il se rendit à Kokor-Kàbi ‘, localité
située dans le pays de Dendi. L’année suivante, en 952
(15 mars 1545-4 mars 1546), il envoya son frère Daoud,
le Kormina-Fâri, faire une expédition contre Melli. Le sul-
tan de Melli, ayant réussi à s’échapper, Daoud occupa la
ville avec son armée et y demeura sept jours. Il avait
fait annoncer dans son camp que tout soldat qui voudrait
faire ses ordures devait se rendre^ dans le palais du roi de
Melli; aussi le septième jour, ce palais, malgré son immense
étendue, fut-il rempli de matières fécales. Daoud se mit en-
suite en route pour retourner au Songhaï. Quand les habi”
tants de Melli entrèrent dans leur ville ils éprouvèrent une
vive surprise en voyant dans quel état était la demeure du
sultan, et en même temps ils furent étonnés du grand nom-

 

1. Ou « Kokoro-Kâbi «.

2. Daoud se proposait à la fois de témoigner son mépris pour le sultan du
Melli et de faire connaître par ce singulier procédé le nombre considérable de
ses soldats.

{Histoire du Soudan.) Il

 

162 HISTOIRE DU SOUDAN

bre des habitants du Songhaï, de leur abjection et de leur
stupidité.

En l’année 955, le jeudi soir 16 du mois de ramadan
(19 octobre 1548), mourut, ainsi qu’il a été dit précédem-
ment, le cheikh-el-islâm, le père des bénédictions, le juris-
consulte, le cadi Mahmoud-ben-‘Omar (Dieu lui fasse misé-
ricorde et, grâce à lui, nous soit favorable dans ce monde et
dans l’autre!). Les fonctions de cadi furent alors confiées à
son fils le jurisconsulte, le cadi Mohammed, qui avait alors
quarante-cinq ans. Il conserva ses fonctions de cadi dix-sept
ans et trois mois. Il mourut au lever du soleil, le dimanche
13 du mois de safar de l’année 973 (8 septembre 1565) ; il
était alors âgé de soixante-trois ans. (Le Très-Haut lui fasse
miséricorde !)

Au début de l’année 956 (30 janvier 1549-20 janvier
1550), Ishâq se rendit à Koukia où il contracta la maladie
qui amena sa mort. Comme l’état du malade était devenu
fort grave, des amis mandèrent en secret au Kormina-Fâri,
Daoud, de venir immédiatement. Daoud redoutait l’influence
du Arbinda-Farma, Bokar, le fils de Kibro ‘, fille de Askia-
El-Hâdj-Mohammed. Ce Bokar en effet jouissait d’une telle
renommée et d’une si brillante réputation que les gens du
Songhaï n’auraient jamais choisi un autre que lui pour
l’élever au pouvoir souverain.

Daoud confia ses soucis h un savant en lui demandant ce
qu’il y avait h faire. Le savant pratiqua alors l’opération
suivante (^n) : il donna l’ordre qu’on lui apportât un baquet
rempli d’eau. Quand on lui eut donné ce baquet, il prononça
des formules magiques et cria à haute voix : a Bokar! »
Celui-ci ayant répondu à cet appel, le savant lui dit : « Viens
vers moi. » Aussitôt, par la toute-puissance divine, sortit de
l’eau un être dont l’aspect et signalement répondaient à

1. Ou <‘ Kibiro >•..

 

CHAPITRE SEIZIEME 163

ceux de Bokar. Le savant mit des fers aux pieds de cet être
le perça d’une lance et s’écria : « Va-t’en! », l’individu dis-
parut alors dans Feau.

Après cela, Daoud se mit en route vers Kâgho, à peine y
était-il arrivé que l’Arbinda-Farma, dont il vient d’être parlé,
mourut. Daoud se rendit alors à Koukiya où il arriva avant
la mort de Askia-Ishâq. Le Hi-Koï Mousa eut une vive alter-
cation avec Daoud et lui dit : « Qui t’a intimé l’ordre d’a-
gir ainsi ? qui t’a donné ce conseil? Retourne chez toi à l’ins-
tant! » Daoud retourna chez lui; mais, peu après, Ishâq
étant mort, le Hi-Koï lui fit dire de revenir et il revint.

Lorsque Ishâq s’était senti perdu, il avait choisi quarante cavaliers des plus braves et leur avait enjoint de conduire à Kâgho son fils Abdelmalek afin de le placer sous la sauvegarde du prédicateur de cette ville. Le prince en usait ainsi parce qu’il savait très bien tout le mal qu’il avait fait aux gens du Songhaï et toutes les vexations et les humiliations que, dans son arrogance et sa tyrannie, son fils Abdelmalek, lui aussi, leur avait fait endurer. Les cavahers accomplirent les désirs du souverain ; parmi eux figurait : Otsmân Dorfan, fils de Bokar-Kirin-Kiriu, fils du prince Askia-El-Hâdj-Mohammed.

Durant les jours où son autorité était puissante, Ishâq reçut de Maulay Ahmed le Grand, empereur du Maroc, une invitation à lui livrer les mines de Teghazza. Dans la réponse qu’il adressa se trouvaient les mots suivants :
« Le Ahmed qui a écouté (ces conseils) * ne saurait être l’empereur actuel du Maroc et quant à l’Ishâq qui l’écoutera ce n’est pas moi ; cet Ishâq-là est encore à naître. »

Puis il envoya deux mille Touareg montés en leur enjoignant de saccager toute l’extrémité de la région du Dra a du côté de Merrâkech de ne tuer personne et de revenir ensuite sur leurs pas. Les Touareg se précipitèrent sur le marché des Beni-Asbih ^ aussitôt qu’il fut installé et organisé ; ils pillèrent toutes les richesses qu’ils trouvèrent en cet endroit, et revinrent ensuite comme on le leur avait prescrit, sans avoir tué personne. Tout cela n’avait été fait par Ishâq que pour montrer sa puissance au sultan Ahmed.

Après la mort de Ishâq, on fit l’estimation des richesses qu’il avait prises injustement et par la violence aux négociants de Tombouctou. On trouva la somme de 70.000 pièces d’or. L’agent chargé de ces exactions était Mahmoud-Yaza, frère de El-Amin-Yaza, qui tous deux étaient d’anciens chanteurs. Ce Mahmoud faisait constamment la navette entre Tombouctou et Kâgho. Chacun, selon ses moyens, était obhgé de lui donner ce qu’il exigeait et personne, du vivant du prince, n’osa se plaindre, tant on redoutait sa cruauté.

Ishâq mourut, à ce que l’on croit’, un samedi. C’était le 24 du mois de safar de l’année 956 (23 mars lo4’9). Entre le jour de sa mort et celui de la mort du père des bénédictions, le jurisconsulte Mahmoud, il s’était écoulé cinq mois et dix jours. Son règne avait duré neuf ans et six mois.

 

1. C’est-à-dire en se rapprochant le plus possible de la ville de Maroc.

2. Ou « Asih ». Il s’agit probablement du qçar des Beni-Sebih’ où se tient un
marché permanent (cf. de Foucauld, Reconnaissance au Maroc, p. 295). Rohlls
écrit Açaé:.

3. Le jour de la semaine est seul douteux.

 

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME J65

 

CHAPITRE XVII

ASKIA-DAOUD

Ishâq eut pour successeur son frère, Askia-Daoud, fils
du prince Askia-El-Hâdj-Mohammed. Daoud fut proclamé
souverain le dimanche*, 25 du mois de safar de l’année
qui vient d’être indiquée (24 mars 1549), dans la ville de
Koukiya.

Il rentra à Kâglio le premier jour du mois de rebi’ I^’ (30
mars) et confia les fonctions de Kormina-Fâri à Kochiya,
qui était Zaghrâni d’origine; il nomma Fâri-Mondzo son fils,
Mohammed-Benkan, et, Koraï-Farma, son frère, El-Hàdj.
Ensuite il reçut la visite du Dendi-Fâri, Mohammed-Benkan-
Sinbalo, qui vint de Dendi.

En arrivant à Kâgho, Daoud déclara que tous les fonction-
naires méritaient un châtiment à l’exception du seul Hi-Koï,
Mousa, qui s’était montré un serviteur dévoué, de bon con-
seil et qui avait scrupuleusement fait tout son devoir. En
disant cela, il faisait allusion à l’ordre (\ *s) que lui avait
donné le Hi-Koï de s’en retourner lorsqu’il était venu à
Koukiya sans y avoir été appelé.

Ce Hi-Koï, Mousa, était un homme doué au plus haut
degré d’audace, de bravoure et d’énergie. Aussi Askia-Daoud
chercha-t-il le moyen de s’en débarrasser par surprise. Il
enjoignit donc au fils de sa sœur, c’est-à-dire à Mohammed
fils de Délia, de surveiller de près Mousa et de le tuer dès

1. C’est la date fournie par le ms. C. Les autres mss. disent le vendredi, 23 ;
mais l’erreur est évidente, puisque c’est seulement le 34 que mourut Askia-Ishâq.
Ralfs a également adopté la date du 23.

 

16(3 HISTOIRE DU SOUDAN

qu’il en trouverait l’occasion. Un certain jour, Mohammed
lança son javelot contre Mousa et le tua. ‘Ali-Doudo’ fut
nommé Hi-Koï à la place du défunt.

Le prince fit ensuite remettre en liberté Bokar-‘Ali-Doudo-
ben-‘Ali-Folen et le garda auprès de lui à Kâgho. Quand le
Dendi-Fàri, Mohammed-Benkan-Sinbalo, mourut, il conféra
le titre de Dendi-Fâri au Hoko-Koraï–Koï,Kamkoli; mais il
lui fit enlever les insignes de son costume et ne lui laissa
porter que la coiffure officielle dans les réceptions ^

Bokar-‘Ali-Doudo, le soir même, se rendit au milieu de
la nuit à la porte de la maison du Fâri-Mondzo, Mohammed-
Benkan, fils de Askia Daoud, et heurta la porte avec violence.
A ce bruit, tout troublé et eff’rayé, Mohammed sortit, en
tenant ses javelots à la main, et s’écria : « Qu’y a-t-il? —
Il y a, répondit Bokar, que le prince, à la réception de
demain, me fera certainement mettre à mort; voilà pour-
quoi je viens te trouver. — Et pour quel motif te tuerait-il?
demanda Mohammed. — Parce que, répliqua Bokar, il
veut donner demain les fonctions de Dendi-Fâri à KamkoU;
je le sais, j’en suis sûr, il me faudra mourir demain. —
Attends-moi ici jusqu’à ce que je revienne, » repartit
Mohammed.

Aussitôt Mohammed se rendit au palais; il se présenta à
la porte principale et frappa. Les portiers allèrent de suite
prévenir le prince qui donna Tordre de faire entrer Moham-
med et celui-ci raconta les choses comme elles venaient de se
passer. « Retourne chez toi, lui dit prince; annonce à Bokar

 

1. Ou : « Dâdo ».

2. Ou : « Hoko-Kori ».

3. Il résulte de ce passage que le Dendi-Fàri, ainsi sans doute que les autres
fonctionnaires, avait un costume oITiciei qui se composait d’un uniforme spécial
et d’un bonnet d’une certaine forme. En ne laissant au nouveau titulaire que
sa coiffure officielle, Askia-Daoud avait voulu marquer que la nomination n’était
que provisoire.

 

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME 157

que les fonctions de Dendi-Fàri lui sont destinées et qu’il
en prendra possession dès demain, s’il plaît à Dieu. »

Le lendemain matin, quand tout le monde fut réuni pour
l’audience royale, le prince s’adressa au Ouanado*, dont la
mission était de répéter les paroles qu’il adressait à l’assis-
tance, et lui dit : « Annonce à l’assemblée que j’ai consulté
Dieu le Très-Haut, afin de savoir à qui je devais confier
(n«v) la direction des affaires du peuple de Dendi et que
Dieu ne m’a pas indiqué pour remplir cette charge d’autre
personne que le Hi-Koï, Bokar-‘Ali-Doudo; c’est donc lui
qui est maintenant Dendi-Fâri. »

En entendant ces paroles, le Hoko-Koraï-Koï, Kamkoli,
se leva; il ramassa un peu de terre^, la répandit devant
Askia-Daoud et s’écria : « Est-ce qu’un prince a besoin de
dissimuler? Par Dieu! ce n’est pas le Très-Haut qui t’a
suggéré ce choix, c’est de toi-même que tu l’as fait. » Puis
il alla reprendre le rang qu’il occupait primitivement dans
l’assemblée.

Quand Bokar mourut, le prince nomma Kamkoli aux
fonctions de Dendi-Fâri; après la mort de Kamkoli, il en
investit Bâna qui mourut seulement sous le règne de Askia-
El-Hâdj. A cette époque personne ne fut nommé à ces fonc-
tions qui demeurèrent sans titulaire jusqu’à l’arrivée à Kâgho
du Kormina-Fàri, El-Hâdi, qui s’était révolté contre Askia-
El-Hâdj. Ce fut alors que le Hi-Koï, Bokar-Chîli-Jdji, dit au
prince : « Investissez-moi des fonctions de Dendi-Fâri et je
vous promets de mettre la main sur El-Hâdi et de vous le
livrer. » Bokar, nommé Dendi-Fâri, réussit à arrêter El-Hâdi.

1, Ce mot, est peut-être un nom propre ; mais il semble plutôt que c’est le
titre d’une fonction. Le prince ne communiquait donc pas directement avec ses
sujets dans les affaires publiques.

2. On a vu déjà que c’était une façon de montrer qu’on se soumettait aux
décisions du prince, Kamkoli accepta donc la déchéance dont il était l’objet et
reprit la place que lui assurait son titre de Hoko-Koraï-Koï.

 

168 HISTOIRE DU SOUDAN

Expéditions de Askia-Daoud. — Au mois de
chaoual de l’année au cours de laquelle il fut élevé au
trône (23 octobre-21 novembre 1549), Daoud entreprit
une expédition contre le Mossi. A la fin de l’année 957 (fin
de l’année 1550), il fit une campagne contre Tagha\ nom
d’une localité sise dans le pays de Bâghena^et qu’on appelle
encore Tirmisi et Koma^ Là il fit la guen^e contre le Fon-
doko, Djâdji-Tomân *, et ramena de cette expédition des
chanteurs et un grand nombre de chanteuses dites Mdbi\ il
les installa à Kâgho dans un quartier spécial, agissant en-
vers eux comme l’avait fait Askia-El-Hâdj-Mohammed à
regard des gens de Mossi.

AumoisdedjomadaP”de l’année 958 (7mai-6 juin 1551),
le prince revint à Tendirma et (n^v) ce fut durant cette
année-là qu’eut lieu, dans le district de Korzo, une maladie
épidémique^ qui fit un très grand nombre de victimes.

En l’année 959 (29 décembre 1551-18 décembre 1552),
un conflit éclata entre Askia-Daoud et Kanta, sultan de
Lîka; un traité de paix y mit fin en 960 (18 décembre 1552-
7 décembre 1553). L’année suivante, en 961 (7 décembre
1553-26 novembre 1554), Askia-Daoud se rendit à Koukiya
d’où il expédia contre le Kachena le Hi-Koï, ‘Ali-Doudo, à
la tête d’un détachement composé de 24® cavaliers du
Songhaï. Ce détachement rencontra, dans un endroit appelé
Karfata, un corps de 400 cavaliers appartenant à la popu-
lation de Libti du pays de Kachena. Les deux troupes en vin^

1. Ou : «Ta’a».

2. Le ms. C orthographie Bâghen; mais la forme de ce mot est la même que
celle du nom de la province de Bâghcna.

3. Ou : « Tirmisi-Ouakoma ». Rien n’indique si oua est la conjonction arabe et
ou si cette syllabe fait partie du nom.

4. Ou « Tomâni ». Quant au mol Fondoko, ce pourrait être un nom de per-
sonne au lieu d’être un titre comme je le suppose.

5. Le mot employé signifie d’ordinaire « la peste » ; mais il peut également
s’appliquer à d’autres maladies épidémiques.

6. Le ms. C donne par erreur le cliinre 420.

 

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME 169

rent aux mains et la lutte fut très longue et très meurtrière.
Les gens de Kachena tuèrent quinze de leurs adver-
saires au nombre desquels le Hi-Koï, ci-dessus nommé et
son frère Mohammed-Benkan-Kouma, fils duFaran, ‘Omar-
Komzâgho ; ils firent prisonniers les neuf autres qui tous
furent blessés et parmi lesquels figuraient : ‘Alouâz-Lil, fils
du Faran O’mar-Komzâgho et père de Qâsem, Bokar-Chîli-
Idji^ Mohammed-Della-ldji, etc. Les vainqueurs prirent soin
des blessés et les comblèrent des plus grandes attentions;
puis ils leur donnèrent la liberté et les renvoyèrent à Askia-
Daoud en lui disant : « De pareils hommes, doués d’une
si grande vaillance et d’un tel courage, ne méritent point de
mourir. » La vigueur et l’audace de ces guerriers avaient si
bien émerveillé les gens du Kachena qu’ils les citèrent tou-
jours comme des modèles à suivre. Le défunt ‘Ali-Doudo fut
remplacé dans ses fonctions de Hi-Koï. par Bokar-Chîli-Idji.

Pendant Tannée 962 (26 novembre 1554-16 novembre
1555), le prince monta de Borno à Ouarach-Bokar et expé-
dia le Chaa-Farma.. Mohammed-Kenàti, qui était ouankoré
d’origine, et le Hoko-Koraï-Koï, KamkoH,avec des troupes
pour se rendre dans les montagnes*. Durant l’année 963
(16 novembre 1555-4 novembre 1556), Askia-Daoud dirigea
une expédition contre Bousa qu’il ruina complètement; un
grand nombre de personnes périront dans les eaux en cet
endroit. Ce fut cette même année que mourut le cheikh El-
Amîn, fils de Ed-Dao, sultan de Oudjela.

En l’année 966 (14 octobre 1558-3 octobre 1559), le
prince entreprit une expédition contre Souma, ville du pays
de Melli. Comme le Souma-Anzo venait de mourir au mo-
ment où il arrivait dans cette ville, Askia-Daoud lui donna
son fils^ pour (n • i) successeur. Puis il poursuivit sa route

1. Ou : « à El-Djebâl », si le mot est un nom propre.

2. La rédaction est si obscure qu’on ne sait d’une façon positive s’il s’agit du

 

170 HISTOIRE DU SOUDAN

jusqu’à Dibikaralâ où, avec Kanta-Faran \ il livra bataille au
général du sultan de Melli, et le vainquit.

Au cours de ce voyage, le prince épousa Nâra, la fille du
sultan de Melli. Il fit conduire la princesse au Songhaï dans
un somptueux équipage. Elle était couverte de bijoux, en-
tourée de nombreux esclaves, hommes et femmes, et abon-
damment pourvue de meubles et de bagages. Tous les us-
tensiles de son ménage étaient en or : plats, cruches, mor-
tier, pilon, etc. Elle resta au Songhaï jusqu’à la fin de ses
jours et mourut dans ce pays.

Askia-Daoud reprit ensuite le chemin du Songhaï. A ce
moment Askia-Mohammed-Benkan, qui était devenu aveugle,
mourut dans la ville de Sâma. Quand Askia-Daoud arriva en
face de Sâma, de l’autre côté du Fleuve, les deux fils de sa^
fille, Mahmoud et le Kalko-Farma, Sa’ïd, lui firent demander
la permission de venir le saluer. Cette autorisation leur
ayant été accordée, les deux jeunes gens traversèrent le
Fleuve et se rendirent auprès de Askia-Daoud. Celui-ci fut
très heureux de les recevoir et passa la nuit à causer avec
eux. Vers la fin de la nuit, comme la conversation languis-
sait, l’un d’eux secoua le prince et lui dit : « Vous dormez
déjà? » Tout surpris, Daoud se mit à rire et s’écria : « Mes
yeux n’avaient pas goûté un instant de sommeil depuis le
jour où votre père et votre mère s’étaient concertés pour
me trahir. »

Puis il s’informa du Korkâ-Mondzo, Sorko, fils du Kala-
Cha’a et demanda s’il était encore vivant : a Oui, il est
encore vivant, répondirent les jeunes gens. — Occupe-
fils du défunt ou du fils du prince. Toutefois il semble bien qu’il s’agit du fils du
défunt.

1. Peut-être n’est-ce pas un nom de personne, mais un titre, ce que semble
indiquer le mot Faran. Ici encore il y a dans le texte une certaine obscurité;
on ne voit pas avec précision si Kanta-Faran était avec Askia-Daoud ou avec le
général de Melli,

2- Les mots « les deux fils de sa fille » no se trouvent que dans le ms. C

 

CHAPITRE DIX- SEPTIÈME 171

t-il toujours la même situation infime *? répliqua Daoud. —
Oui^ « repartirent les jeunes gens. Ce propos lui ayant été
rapporté, Sorko, qui avait la langue mordante, s’écria : ce Et
que vaut-il mieux ? Être destitué d’un haut emploi ou con-
server une position modeste comme la mienne. »

Korkâ est le nom d’un village du Tendirma. C’était le
Kormina-Fâri, ‘Otsmân-Youbabo, qui avait nommé Sorko au
poste qu’il occupait. Sorko vécut de longues années et il
exerçait encore ces fonctions lors de la chute de la dynastie
du Songhaï. 11 mourut seulement après que le pacha Mah-
moud-ben-Zergoun eut mis en liberté Bokar-Kanbou-ben-
Ya’qoub et l’eut nommé Kormina-Fâri. Ce fut douze jours
après cette dernière nomination que Sorko, le Korkâ-Mondzo,
passa de vie à trépas.

Le lendemain du jour où Askia-Daoud s’était arrêté en face
de la ville de Sâma, il avait donné l’ordre à tous ses musi-
ciens d’aller saluer Askia-Mohammed (> • o)-Benkan et de lui
donner une aubade. Mais en entendant les cris de ces gens,
Askia-Mohammed eut une rupture d’anévrisme qui occa-
sionna sa mort subite. Sa famille continua à demeurer à
Sâma.

Quand il arriva à Dienné, au retour de cette expédition,
Askia-Daoud fit camper ses troupes à Zoboro, puis il entra
dans la ville de Dienné pour y faire la prière du vendredi.
A cette époque, El-Amîn était Dienné-Mondzo ; c’était le
prince qui l’avait nommé à ces fonctions, car auparavant,
sous le règne du prince Askia-El-Hâdj-Mohammed, il était un
des coureurs qui marchaient en tête du cortège royal et qui
étaient chargés à tour de rôle de sangler la selle du cheval
du souverain. Askia-lsma’ïl, le fils d’Askia-El-Hâdj-Moham-

1. Le texte porte « mondaine » ici et un peu plus loin. Je pense que les copistes
auront confondu iJjj avec ^jj.-*j ou que l’auteur aura pris ces deux mots dans
le même sens.

 

172 HISTOIRE DU SOUDAN

med, avait promu ensuite El-Amîn à la fonction de « chef
des piétons ou maître de route* » qu’il exerça jusqu’aux
premiers jours de l’avènement de Askia-Daoud. Ce dernier
en fit alors un Dienné-Mondzo, c’est-à-dire un chef de la
ville.

L’office du vendredi terminé, au moment où Askia-Daoud
sortait de la mosquée, El-Amîn se mit en posture pour san-
gler la selle du cheval du prince comme il le faisait autre-
fois ; alors celui-ci lui mettant la main sur la tête lui dit d’un
ton de colère et en élevant la voix : « Nous t’avons placé à
la tête d’un district et tu ne le surveilles pas, car les Bam-
bara sont ici maintenant en très grand nombre et ils ont
réussi à s’assurer des avantages qu’ils n’avaient plus. »

Le prince continua à parler ainsi jusqu’à ce qu’il fut près
de la porte de Zoboro. Alors El-Amîn lui dit : « Dieu bénisse
vos jours et favorise votre règne ! Un jour que, du temps de
votre père, je me tenais dans cette posture pour sangler
son cheval, il posa sa main sur ma tête ainsi % — pardon de
mon irrévérence ! — et me dit : « Celui-là qui ne s’abstiendra
« pas de faire des expéditions dans le Hadjar ^ et dans la forêt
« de Koubo, c’est qu’il n’a d’autre dessein que de décimer
a ses troupes ou de les anéantir. » Vous étiez vous-même pré-
sent à cette scène qui s’est passée dans votre pays, dans cette
ville. Maintenant faites ce que bon vous semblera. » Askia-
Daoud se mit ensuite en route et rentra chez lui* un ven-
dredi^ du mois de chaoual (7 juillet-5 août 1559).

1. Quelque chose d’analogue sans doute à « maître de postes » ou chef des
porteurs.

2. (7est-à-direque, en disant cela, il fit le geste : de là l’exclamation qui suit.

3. Aucun ms. ne donne les voyelles de ce nom qui ainsi que le nom suivant dé-
signe sans doute des régions du pays des Bambara,

4. Le texte dit : « y rentra », sans qu’on puisse déterminer à quel pays se rap-
porte y.

5. La date exacte manque dans les mss. Peut-être est-ce parce que le premier
de ce mois était un vendredi et que cette absence de quantième signifierait qu’il
s’agit du 1″ du mois.

 

CHAPITRE DIX-SEPTIEME 173

Au mois de rebi’ I” de l’année 967 (décembre 1559), le
Cha’a-Farma, Mohammed-Kanâti, mourut. Le dimanche soir,
7 du mois de chaoual de cette même année (1^ juillet 1560),
eut lieu le décès de Ouaïza-Hafsa. En l’année 968, dans la
matinée du dimanche 4 du mois de rebi’ II (23 décembre
1560) mourut le cheikh, le jurisconsulte, El-Mokhtâr-ben-
‘Omar, et le vendredi, l’^’du mois de djomada P’ (18 janvier
1561), Ouaïza-Kaïbono fut élevée au pouvoir* (n «n). Le sul-
tan de Llki, Mohammed-Kanta, mourut cette année-là, le
9 du mois de ramadan (25 mai 1561) ; il eut pour succes-
seur son fils Ahmed qui prit le pouvoir durant ce même mois.

En l’année 969 (11 septembre 1561-31 août 1562), As-
kia-Daoud monta vers Borno et pour la seconde fois fit une
expédition contre le Mossi\ dont le chef abandonna le pays
avec toutes ses troupes. Le Kîma-Koï, Abou-Bekr-Sou, le
fils du Faran Mohammed-Benkan-Siiibolo et nombre d’au-
tres personnes périrent dans cette campagne. Le prince fut
de retour de cette expédition au mois de redjeb de cette
année (7 mars-6 avril 1562). Dans ce même mois de redjeb
mourut le Kormina-Fâri, Kochiya-ben-‘Otsraân ; il avait
exercé ces hautes fonctions pendant douze ans.

Le mercredi après-midi, le 19 du mois de rebi’ II de
l’année 970 (16 décembre 1562), mourut le juriconsulte
‘Otsmân (que Dieu lui fasse miséricorde !). Au cours de cette
même année, au mois de rebi’ P”, un vendredi (29 octobre-
28 novembre 1562), Ya’qoub, fils du prince Askia-El-Hâdj-

 

1. Les trois rass. donnent sUy, c’est-à-dire « fut élevée au pouvoir ; mais sans
s’expliquer autrement. Il est probable que les copistes auront mal lu le mot
ilA>.yJ, a se maria », que, portait sans doute le texte primitif.

2. Souvent l’auteur se sert du même mot pour désigner un pays et son chef,
omettant de distinguer le second du premier par l’addition du mot Koï. Le co-
piste du ms. C a signalé ici celte négligence en plaçant Mossi-Koï au-dessouâ du
verbe « abandonna » qui, selon le texte, aurait pour sujet le mot Mossi, tout court,
c’est-à-dire le pays du Mossi, ce qui n’aurait aucun sens.

 

174 HISTOIRE DU SOUDAN

Mohammed, fut nommé Kormina-Fâri, et le lundi, 17 du
mois de ramadan de cette année (5 mai 1563), mourut son
fils, le Fâri Mohammed-Benkan. Dans la deuxième décade
du mois de dzoul’-hiddja, terminant cette année (2-11 août
1563), le Fâri Bokar-‘Ali-Doudo-ben*-El-Qîma fut élevé à la
dignité de sultan du Dendi, ainsi que cela a été dit précé-
demment.

Quant à Mohammed-Ikoma, le Teghâzza-Mondzo, fonctionnaire au service de l’Askia, il mourut à Teghâzza en Tannée 964 (4 novembre 1556-24 octobre 1557). Il avait été tué par le Filâli Ez-Zobeïri, père de Yaïch-ben-El-Filâli, sur l’ordre de Moulay Mohammed- Ech-Cheikh-El-Kebîr, sultan de Merrâkech.

En même temps que lui on avait massacré des Touareg qui transportaient du sel, Idlaï-‘Ali-Iniyen ‘Ali-Andar, Ondous Mkmetkoul et d’autres. Les Touareg qui avaient échappé au massacre vinrent trouvr Askia-Daoud et lui annoncèrent qu’ils ne voulaient pas cesser d’emporter du sel comme ils avaient coutume de le faire, et que, du reste, ils connaissaient une mine de sel autre que la grande mine de Teghâzza. Daoud les autorisa à aller chercher du sel dans cette autre mine et ce fut cette année-là qu’ils creusèrent la mine de Teghâzza-El-Ghizlân ‘ et en rapportèrent du sel.

El-Filâli, dont il a été parlé ci-dessus, n’avait agi ainsi que par haine contre Askia-Daoud qui lui avait préféré son cousin paternel, El-Haneïti, père du cheikh Mohammed-El-Touïreg ^ et l’avait nommé chef de Teghâzza.

En l’année 971 (21 août 1563-9 août 1564), le prince en-
voya le Fâri, Bokar-‘Ali-Doudo, dans le pays de Barka pour
y combattre Bani, une sorte de démon rusé, habile et très
méfiant. Le Fâri se mit en route au mois de chaoual (mai
1564), au moment où la chaleur était excessive. 11 condui-
sit ses hommes à travers les solitudes et les déserts, cachant
avec soin son but à tout le monde, ainsi que le prince lui-
même le lui avait recommandé.

Comme le voyage était extrêmement pénible, les soldats
se plaignirent au Fâri-Mondzo, Mohammed-Benkan, fils de
Askia-Daoud, et le prièrent en secret de s’informer du point
vers lequel on se dirigeait. En entendant la question que lui
posa le Fâri-Mondzo, Bokar entra dans une violente colère
et refusa énergiquement de répondre : « Comment s’écria-
t-il, c’est toi qui veux dévoiler les secrets du prince! Jamais
je ne céderai devant l’arrogance que vous manifestez tous. »
Pris de crainte, le Fâri-Mondzo se tut.

Bokar joignit Bani à l’improviste et déboucha dans son
pays en dévalant du haut de la montagne. Jamais Bani n’au-
rait pu croire qu’une expédition venant du Songhaï pût
parvenir jusqu’à lui à cette époque de l’année. Dans le com-
bat qui s’engagea, les gens du Songhaï massacrèrent tous
leurs adversaires. Quant à Bani lui-même, il périt de la main
du Hosol-Farma, ‘Alou-Boso, fils du Fâri-Mondzo \ Moham-
med-Benkan-Sinbolo. Au mois de dzoul’-hiddja qui termina
cette année (1″” juillet~9 août 1564), les troupes rentrèrent à
Kâgho.

En l’année 972 (9 août 1564-29 juillet 1565), un mercredi
soir du mois de cha’ban (mars 1565), mourut Ouïza-Kaï-
bono. En l’année 973 (20 juillet 1565-19 juillet 1566),

1. Diminutif du mot « Touareg ».

2. Le ms. G donne Dcndi-Fâri à la place de Fâri-Mondzo.

 

176 HISTOIRE DU SOUDAN

mourut le jurisconsulte, le glorieux cadi, Mohammed, fils
du jurisconsulte Mahmoud (Dieu leur fasse miséricorde!) et
cela {s* s) au mois de safar (septembre 1365), ainsi qu’il a
été dit précédemment. Les fonctions de cadi furent confiées
au frère du défunt, le juste, le jurisconsulte, l’imam, le cadi,
El-‘Aqib, qui conserva ce poste durant dix-huit ans (Dieu
lui fasse miséricorde!). Au mois de djomada II de cette
même année (24 décembre 1565-22 janvier 1566), mourut
le Fâri’ Bokar-‘Ali-Doudo.

Le samedi, 18 du mois de rebi’ Il de l’année 974 (2 no-
vembre 1566), peu après l’heure de midi, mourut le cheikh
béni, l’appui des musulmans, le prédicateur, Mohammed-
Sîsi (Dieu lui fasse miséricorde!). Le prince lui désigna
pour successeur, dans ces fonctions de prédicateur, le juris-
consulte, le khatib, Mohammed-Kibi-ben-Djâbir Kibi, qui
était de Dienné et lui enjoignit de se rendre à Kàgho.
Auparavant le prince avait solhcité le très docte, le juriscon-
sulte Mohammed-Baghyo’o, le Ouankoré, d’accepter ces
fonctions ; mais celui-ci ayant refusé de les accepter s’adressa
à son maître, et frère, le saint de Dieu, le jurisconsulte,
Ahmed-ben-Mohammed-Sa ïd, qui consentit à se rendre avec
lui à Kâgho pour prier le prince de ne pas obliger Moham-
med à remplir cet emploi. La démarche faite, les deux per-
sonnages revinrent à Tombouctou. Peu de temps après leur
retour, le cheikh- el-islam, le jurisconsulte Ahmed, qui avait
intercédé pour Mohammed-Baghyo’o, mourut (Dieu leur
fasse à tous deux miséricorde et nous favorise grâce à leur
bénédiction! Amen!).

Mon grand-père, ‘Imrân-ben-‘Amir-Es-Sà’ïdi, mourut en l’année 975, le 20 du mois de ramadan (19 mars 1568); il était âgé de soixante-trois ans et fut enterré dans le voisinage du tombeau de Sidi Abour-Qâsem-Ët-Touâti (Dieu leur fasse miséricorde!).

Au début de la prière de l’asr, le mercredi, 28 du mois
de moharrem, le premier mois de l’année 976 (23 juillet
1568), mourut le saint de Dieu, le très docte jurisconsulte,
Ahmed-ben-Mohammed-SaVid, fils de la fille du jurisconsulte
Mahmoud. Les prières de ses funérailles furent faites après
la prière du coucher du soleil et sa mise en terre eut lieu
entre les deux ‘acha\ Son tombeau est tout près de celui de
son grand-père Mahmoud. Il avait vécu quarante-deux ans.

Vers la fin de cette même année, le cadi El-‘Aqib fit res-
taurer la mosquée de Mohammed-Naddi [s •^) etlaremit en
parfait état. Les travaux furent achevés au mois de safar
de l’année 977 (i6juillet-14 août 1569). Ce fut alors que l’on
commença à apporter les briques destinées à la reconstruc-
tion de la grande mosquée; ce travail fut inauguré le 15 du
mois de redjeb (24 décembre 1569). La démolition des an-
ciens murs fut terminée le dimanche, 15 du mois de dzoul’-
* Mja (21 mai 1570) et les travaux de réédification com-

jncèrent le mardi, 17 du même mois (23 mai).

Dans le mois de chaoual de celte année (19 mars-17 avril
1570), mourut l’homme vertueux, l’imam de cette mosquée,
l’imam Otsmân-ben-El-Hasen-Et-Tichiti; il fut enterré dans
un des anciens cimetières que le cadi, l’équitable El-‘Aqib
avait fait mettre en état et annexer à l’ancienne mosquée.
L’emplacement qu’occupe le tombeau de cet imam est bien
connu de tous les gens instruits. Sur la désignation du cadi
El-‘Aqib, les fonctions d’imam de la grande mosquée furent
attribuées à l’imam Mohammed-ben-Kedàd-ben-Abou-Bekr,
le Foulàni, qui était un des vertueux adorateurs de Dieu.

Au commencement de l’année 978 (5 juin 1570-26 mai
1571), Askia-Daoud dirigea une expédition contre Souro-

1. C’est-à-dire entre la tombée de la nuit et la nuit complète.

{Histoire du Soudan.) 12

 

178 HISTOIRE DU SOUDAN

Bentanba’, dans le pays de Melli; ce fut sa dernière expédi-
tion dans l’Atarama^ qui se trouve du côté de Toccident.
Pendant qu’il était en marche, il envoya son fils, le Karaï-
Farma, El-Hâdj, vers El-Hamdiya. Le prince avait avec lui
les deux sultans : El-Hâdj -Mahmoud-Bîr-ben-Mohammed-
El-Lîm-ben-Akalankaï^ qui était Maghcharen-Koi et le mari
de sa fille Bita, et Al-Miski, l’Andasen-Koï, à la tête de
24.000 hommes de troupes touareg. Le chiffre du contin-
gent que chacun d’eux était tenu de fournir lorsque le prince
les appelait à prendre part à une expédition était fixé à
12.000 hommes. Ce fut à la tête de ces forces réunies que
Askia-Daoud fit sa campagne contre les Arabes de ces con-
trées; puis il revint sur ses pas. En route, sa femme devint
enceinte* de son fils Haroun-Er-Rechid (> N •), dont le frère
aîné,leFâri-Mondzo,Mohammed-Benkan-ben-Askia-Daoud,
avait été chargé de la conduite des troupes pendant la
marche ; mais il fut atteint à ce moment de la maladie dite
les ulcères de Masar\

A son retour, Askia-Daoud passa par Tombouctou et
campa dans cette ville sur la place qui est en arrière de la
mosquée. Ce fut là que le cadi El-“Aqib, les jurisconsultes
et les notables du pays vinrent le saluer et faire des vœux
pour lui. Comme la construction de la mosquée n’était pas
encore terminée à cette époque, le prince dit au cadi : « Ce
qui reste à faire, c’est moi qui m’en charge, ce sera mon lot
dans la participation à cette œuvre pie. » Puis il donna tout
ce qu’il avait sur lui ce jour-là et aussitôt rentré à Kàgho il

1 . Oa ; u Bentanaa ».

2. Ou : « Alarma ».

.3. Ou . (‘ Akalanqaï ». Au lieu de « les deux sultans », dans le ms. G, les mss.
A et B ont : « le sultan Nàna »… Quant au nom « Akalanqaï », il doit se décom-
poser en Ag « fils de » et Alanqaï.

4. Cette phrase et la phrase qui suit sont très obscures dans le texte.

5. Ce mot est peut-être un nom commun et désignerait alors la maladie sous le
nom qu’elle porte au Soudan.

 

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME 179

envoya quatre mille poutres faites de l’arbre appelé kankao.
La construction de la mosquée fut terminée cette année-là.

Le prince entreprit onsnite une expédition contre le
Gourma; il atteignit la ville de Zonako\ livra combat au
chef de cette localité, Tinin-Toutoma, et le vainquit. Après
cela il expédia le Kormina-Fàri, Ya’qoub, vers Sana; il
saccagea Dâ’a, à cause de certains agissements équivoques
du Dâ’a-Koï, et emmena toute la famille de ce chef en capti-
vité. Mais le Oma-Koï ayant ensuite réconcilié les deux
adversaires, le prince rendit au Dâ a-Koï toute sa famille.

Rentré dans son palais, Askia-Daoud exécuta encore trois
démonstrations militaires, sans toutefois faire de butin, ni
livrer de combats. La première de ces démonstrations
poussa jusqu’au Mossi d’où l’on revint sans avoir rien
pillé; la seconde fut dirigée vers le Dendi et parvint jusqu’à
Loulâmi. Le prince avait avec lui la mère de celle ci^, Sànaï,
fille du Fàr-Koï, qui mourut là et y fut enterrée. Quant à la
troisième démonstration, celui qui m’a fourni ces renseigne-
ments en avait oublié les détails.

En l’année 985 (21 mars 1577-10 mars 1578), le cadi
El-‘Aqib fît restaurer la mosquée située dans le souq de
Tonibouctou. Au cours de cette année mourut à Kâgho le
prédicateur Mohammed-Kibi-ben-Djâbir (> \ >)-Kibi (Dieu lui
fasse miséricorde!). Ce fut également durant cette année
que moururent : Moaddib-Kasenba-ben-‘Ali-Kasenba et
Ahmed-Sira-El-Meddâh-ben-El-lmam; que Bàouen’ s’enfuit
de ïomni à Souma* et qu’une comète apparut le jeudi soir,
vingt-cinquième nuit du mois de cha’aban (7 novembre 1 577).
Enfin ce fut cette année-là également que mourut à Merrâ-

1. Ou : « Zobako ».

2. A moins que Loulâmi soit uq nom de femme, on ne voit pas à qui pourrait
se rapporter ce pronom, qui est du féminin dans le texte»

3. Ou : Baouenk.

4. Ou : « Soua ».

 

180 HISTOIRE DU SOUDAN

kech le sultan Moulay Abdelmelek’ qui eut pour successeur
son frère Moulay Ahmed-Edz-Dzehebi.

Monté sur le trône, Moulay Ahmed manda à Askia-Daoud
de lui abandonner l’exploitation de la mine de Tegliâzza
pendant une année entière. En même temps le prince maro-
cain envoya une somme de 10.000 pièces d’or à titre de
cadeau et de don bénévole ^ Askia-Daoud fut tout surpris
de cette marque d’attention et de cette générosité, et cela
fut la cause de l’amitié qui unit les deux princes. Quand
Moulay Ahmed apprit la mort de Askia-Daoud, il prit le
deuil et tint une audience dans laquelle il reçut les compli-
ments de condoléances de tous les hauts fonctionnaires de
l’armée.

Le Kormina-Fâri, Ya’qoub, mourut vers la fin de cette
année ; il avait occupé ses fonctions seize ans et cinq mois.
Le jeudi ^, 12 du mois de moharrem de Tannée 986 (21 mars
1 578), le cadi El-‘Aqib commença les travaux de restaura-
tion de la mosquée de Sankoré. Ce mois de moharrem avait
commencé un lundi. Ce fut également en cette année qu’eut
lieu le conflit qui éclata entre les fils du cheikh Mohammed-
ben-Abdelkerim et Yahya, le Tombouctou-Mondzo.

An mois de chaoual de cette année (décembre 1578),
Askia-Daoud donna les fonctions de prédicateur à Mahmoud-
Darâmi. Au mois de ramadan, le neuvième mois de l’année
986 (novembre 1 578), il nomma son fils, Mohammed-Ben-
kan, sultan de Kormina. Dans la dernière décade du mois
de dzoul’-qa’ada (19 janvier-29 janvier 1579), le prince

 

1. Sur ce prince, cf. Nozhel-elhddi, trad. 0. Houdas, p. Ht.

2. Tout ce passage est si obscur qu’il est bien difficile d’en saisir le sens avec
une entière certitude. Il semble cependant que le prince marocain ait demandé
au souverain du Soudan de renoncer à prélever le tribut habituel sur le sel pen-
dant une année, alin de faire croire à ses sujets que celte mine lui appartenait
ou lui avait été cédée.

3. Le ms. C ajoute^en marge : « ou le vendredi ».

 

CHAPITRE DIX-SEPTIEME 181

quitta Kâgho ; il arriva à Tombouctou le mardi 29 de ce
mois (27 janvier) et à Tendirma, dans la première décade
du mois de dzoul’-hiddja (27 janvier-7 février 1579); là, il
investit son fils El-Hâdj des fonctions de Fâri-Mondzo et
donna pleins pouvoirs sur la contrée occidentale au Kormina-
Fâri, Mohammed-Benkan (nny). Ce fut au mois de rama-
dan de la même année (novembre 1578) que mourut le
Balama’, Khâled, fils du prince Askia-El-Hâdj-Mohammed;
les fonctions de Balama’ furent alors conférées à Mohammed-
Ould-Della*.

Le Kormina-Fâri avait demandé à son père l’autorisation
d’entreprendre une expédition pour aller combattre les po-
pulations du mont Domma^ qui avaient résisté au Sonni-‘Ali
et à Askia-El-Hâdj-Mohammed, si bien que ni l’un ni l’autre
n’avaient rien pu contre eux. Le prince fournit des troupes
au Kormina-Kâri et mit à leur tête le Hoko-Koraï-Koï Yâsî ‘ et
lui enjoignit de n’exposer ses soldats à aucun danger inu-
tile, ni à aucune surprise. Ses recommandations à cet égard
furent des plus pressantes. Quand on fut an-ivé à la monta-
gne, le Faran Mohammed-Benkan voulut la faire escalader
par ses troupes, mais Yâsî s’y opposa. Le Faran réitéra à
plusieurs reprises son intention de procéder à l’attaque, et
comme Yâsî persistait dans son refus d’y donner son adhé-
sion, il l’apostropha en ces termes : « esclave déserteur,
tu n’as donc peur de personne ! — Tu te trompes dans le
choix des épithètes, réphqua Yâsî, c’est méchant esclave
qu’il fautme dire ; eh! bien, oui, il en est effectivement ainsi. »
Et il ne consentit pas à condescendre au désir du Faran.

Un des habitants de cette montagne, Ma’-El-Ghandour,
dont la corpulence était célèbre et bien connue de tous, était

1. Ms. C : « Ould-Mohammed-Della ».

2. Ou : « Dom ».

3. Ou : « Yâsiya ».

 

182 HISTOIRE DU SOUDAN

monté sur un pic pour, de là, guetter les troupes ennemies.
Alors Mohammed-Ould-Mauri, monté sur son cheval, grimpa
lentement à travers la montagne en se dissimulant et, arrivé
auprès de Ma’, il lui lança son javelot. Ma’ tomba aussitôt
mort sur le sol. De ce moment, les gens de Domma éprou-
vèrent une crainte de plus en plus vive de la cavalerie du
Songhaï. Le Faran Mohammed-Benkan s’en retourna en-
suite sans avoir livré aucun combat.

En l’année 989, le samedi soir, 29 du mois de moharrem
(6 mars 1581), mourut l’inram Mohammed-ben-Abou-Bekr-
Kedâd, le Foulâni. Ce fut Ahmed, fils de l’imam Seddiq, qui
fut nommé aux fonctions d’imam de la grande-mosquée, le
mercredi, 17 du mois de safar (23 mars 1581). Cette même
année mourut le Balama’ Mohammed-Ould-Della-Karo, le
Bena-Koï; si je ne me trompe, il avait exercé ses fonctions
durant cinq ans. Il eut pour succeseur Mohammed-Oua’ouan ^
le Da’naka-Koï, fils de ‘Aïcha-Benkan, la fille (\ \ r) du prince
A.skia-El-Hûdj-Mohammed; il fut nommé à ces fonctions par
Askia-Daoud.

Ce fut en l’année 990 (26 janvier 1582-25 janvier 1583)
qu’eut lieu à Tombouctou une terrible peste qui fit périr un
grand nombre de personnes. En cette même année des bri-
gands du Mâsina attaquèrent une embarcation de Askia-El-
Hàdj qui venait de Dienné et pillèrent une partie de son char-
gement. Jamais pareil fait ne s’était produit sous la dynastie
du Songhaï. Le prince qui régnait au Màsina à cette époque
était Fondoko^-Boubo-Maryama.

Aussitôt qu’il eut connaissance de ce fait, le Faran, Mo-
hammed-Benkan, se mit en marche contre le Mâsina pour
venger ces affronts. Comme il n’avait parlé de son projet à

 

1. Les voyelles ite ce mot sont incertaines.

2. Ou : « Oua’ouben. »

3. Fondoko’est peut-être un titre.

 

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME 183

aucun des grands de son entourage ceux-ci ne le rejoigni-
rent qu’après son départ. Deux personnes, son frère, le Toni-
Koï, SâlikaS et le Bena-Farma, Dako, firent mine de l’ap-
prouver bien qu’ils ne fussent pas de cet avis, mais c’était
par haine et colère de ce qu’il les avait dédaignés au point
de ne pas les avoir avertis de son dessein et à plus forte rai-
son de ne pas les avoir consultés à ce sujet.

Néanmoins le Faran fit son expédition contre le Mâsina ;
il ravagea le pays d’une manière terrible, faisant périr nom
bre de lettrés distingués et de saints personnages qui, après
leur mort, occasionnèrent d’étonnants prodiges. Quant au
sultan du Masina, il s’enfuit vers Faï-Sanouï où il attendit la
fin de la campagne avant de rentrer dans ses États. Instruit
de ce qu’avait fait son fils, Askia-Daoud désapprouva com-
plètement sa conduite. Cet événement fut d’un mauvais
augure pour le souverain, car il ne demeura plus bien long-
temps en ce monde après cette affaire, ce qui suffit à démon-
trer son influence funeste.

Au mois de redjeb de cette année (22 juillet-2 1 août 1 582),
après un règne de trente-quatre ans et six mois, Askia-
Daoud mourut dans sa ferme de Tondibi, près de Kâgho ;
c’est là qu’il habitait avec sa famille et qu’il passait une
grande partie de son temps durant les dernières années de
sa vie. Ses enfants, tous grands, étaient dans cette propriété
au moment de sa mort. Son corps, paré pour les funérail-
les, fut transporté dans une embarcation jusqu’à Kâgho, où
il fut enterré.

1. Ou : Sùlek.

 

18i HISTOIRE DU SOUDAN

 

CHAPITRE XVIII (n m)

ASKIA-EL-HADJ

El-Hâdj, le plus âgé des enfants de Askia-Daoud, qui se
trouvaient en ce moment auprès de leur père, ceignit ses
armes et monta à cheval. Tous ses frères, à cheval égale-
ment, le suivirent, en se tenant à une certaine distance de
lui. Personne, à cette époque, dans tout le Songhaï, n’éga-
lait El-Hâdj en audace, en bravoure, en sang-froid et en en-
durance, aussi tous les personnages présents, hommes de
conseil et d’expérience, déclarèrent que El-Hâdj méritait le
pouvoir et qu’il eût été digne de l’occuper même à Bagdad*.

On dit que, parmi les souverains du Songhaï, deux ont
brillé au premier rang : le prince Askia-El-Hâdj-Mohammed
et sonpetit-fils et homonyme El-Hâdj-Mohammed-ben- Askia-
Daoud. Deux d’entre eux ont occupé le dernier rang : Askia-
Mohammed-ben-‘Omar-Komzâgho et Askia-Ishàq-ben-A^-
kia-Daoud. Quant aux autres, ils ont eu un règne plus glo-
rieux que ces deux derniers.

Pendant qu’on était en route pour Kâgho, Hâmed quitta
ses frères pour se porter en avant et se mit à entretenir
El-Hâdj en secret en lui disant : « Fais arrêter un tel, un tel
et un tel. » Les autres frères qui avaient vu ce manège com-
prirent que cet entretien secret n’avait d’autre objet qu’une
dénonciation .

Aussi, quand Hâmed eut repris sa place dans le cortège,
El-Hâdi, ou un autre de ses frères, s’avança vers El-Hâdj et
lui dit : « N’écoute pas les avis de ce dénonciateur ; ne prends

1, C’est-à-dire qu’il eût mérité d’occuper le califat suprême.

 

CHAPITRE DIX-HUITIÈME 185

aucune mesure fâcheuse contre personne, car ici nul ne te
conteste le pouvoir. Nous n’admettons que le droitde primo-
géniture. Si Mohammed-Benkan eût été présent en ce jour,
le pouvoir ne te serait pas échu ; mais même si tu n’avais
pas été au milieu de nous et que ce dénonciateur néfaste
eût été présent, nous ne lui aurions pas accordé la puissance
souveraine’. — Loin de moi la pensée de vouloir du mal
à l’un de vous, répondit El-Hâdj, puisque votre père vous a
confiés à mes soins. Du reste l’événement qui se produit
aujourd’hui (\ \ •), j’aurais préféré qu’il eût eu Heu plus tôt^
c’est-à-dire du vivant de mes oncles paternels ou d’autres de
mes parents plus âgés que moi. Si le sort ne me contrai-
gnait pas de m’asseoir sur ce trône aujourd’hui, jamais je
ne m’y serais assis. »

Aussitôt après l’arrivée à Kâgho, quand les funérailles du
défunt Askia furent terminées, les généraux, les troupes, la
population tout entière et les dévots personnages prêtèrent
serment d’obéissance à El-Hâdj. Cette cérémonie eut lieu le
17* du mois de redjeb (7 août 1582). Au moment où il fut
appelé au pouvoir, El-Hâdj était atteint d’une maladie consis-
tant en ulcères^ à la partie inférieure du corps. Par suite de
cette circonstance, le prince fut dans l’impossibilité de se
mettre en personne à la tête des troupes et c’est pour cela
qu’il ne fit pas une seule expédition jusqu’au jour de sa mort.

Dès qu’il avait appris la nouvelle de la maladie de Askia-
Daoud, le Faran, Mohammed-Benkan, s’était mis en route
pour Kâgho; mais en arrivant àTombouctou on lui annonça
à la fois la mort du prince et l’avènement au trône de

 

1. Tout cela est un peu alambiqué. En réalité, c’est Mohammed-Benkan qui
aurait dû monter sur le trône et son absence seule l’avait privé de son droit ;
cependant El-Hâdi reconnaît que si El-Hâdj n’avait pas été là, on l’eût tout de
même choisi plutôt que son frère Hâmed.

2. Le texte imprimé porte 27, mais le ms. G a 17.

3. Ces ulcères ou ulcérations étaient peut-être des hémorroïdes.

 

186 HISTOIRE DU SOUDAN

son frère Askia-El-Hâdj . Revenant aussitôt sur ses pas, il
s’attarda trois jours à Akakan, puis prenant le chemin de
Djomàlen, il alla camper à Doubouso et, continuant de nou-
veau sa marche, il arriva chez lui.

Mohammed-Benkan s’occupa alors de réunir des troupes
avec l’intention de se porter sur Kâgho et d’y hvrer bataille.
Arrivé à Tombouctou, il se rendit chez le cadi de cette ville
sous prétexte de le saluer ; puis, les troupes, qui ne se dou-
taient de rien, apprirent tout à coup qu’il avait demandé au
cadi de lui accorder sa protection et d’écrire au nouveau
souverain que lui, Mohammed-Benkan, résignait son com-
mandement parce qu’il désirait se fixera Tombouctou et s’y
livrer à l’étude de la science.

Toutes les troupes, en apprenant cette nouvelle, s’enfui-
rent de Tombouctou et se mirent en marche vers Kagho
pour y rejoindre Askia-El-Hàdj. Le cadi ayant fait la dé-
marche qui lui avait été demandée, El-Hâdj accepta la démis-
siop de Mohammed-Benkan et investit du sultanat de Kormina
son frère El-Hâdi-ben-Askia-Daoud, tandis qu’il faisait de son
frère El-Mostafa, unFâri-Mondzo.

Mohammed-Benkan était donc resté à Tombotictou dans
les conditions qui viennent d’être dites ; mais les chefs de
l’armée estimèrent que ce séjour à Tombouctou n’aurait
que de fâcheuses conséquences aussi bien pour eux que
pour le prince. Après s’être concertés, il décidèrent d’aller
trouver Askia-El-Hâdj et lui dirent : « Il faut choisir entre
nous et entre ton frère Mohammed-Benkan, car nous ne
pouvons accepter qu’il demeure ainsi à Tombouctou. Nous
avons sans cesse besoin d’envoyer des messagers à Tom-
bouctou pour y régler nos affaires (\ \’\), et chaque fois qu’ils
verront un de nos agents aller dans cette ville, les dénoncia-
teurs ne manqueront pas de dire: Ah! l’agent d’un tel est allé
trouver Mohammed-Benkan.

 

CHAPITRE DIX-HUITIÈME 187

Askia-El-Hâdj écouta ce propos et en tint compte. Il expé-
dia Amar*-ben-Ishâq-Bir-Askia avec quelques personnes, en
lui enjoignant d’arrêter Mohammed-Benkan et de l’interne
à Kanato. Ces émissaires parvinrent auprès de Mohammed-
Benkan au moment de la plus grande chaleur du jour et le
trouvèrent endormi dans l’intérieur de sa demeure, tandis
que son cheval était attaché dans la cour et entouré des ser-
viteurs chargés de le soigner. Montés sur leurs chevaux, les
émissaires purent voir par-dessus le mur de la maison. Ils
s’étaient d’ailleurs voilé le visage avec des turbans noirs et
s’étaient enveloppés de cafetans de même couleur. Amar
lança un javelot contre le cheval afin de le tuer et d’em-
pêcher ainsi Mohammed-Benkan d’enfourcher sa monture et
d’essayer de se défendre.

Atteint par le trait qui lui avait été décoché, le cheval
se débattit violemment au milieu do ses entraves et le bruit
qu’il fit réveilla Mohammed-Benkan. Comme il interrogeait
les esclaves sur la cause de ce mouvement du cheval, ceux-ci
l’informèrent de ce qui venait de se passer et il comprit que
tout cela avait lieu sur l’ordre du prince. Le cheval ayant
été tué, les émissaires purent s’emparer de Mohammed-
Benkan et exécuter les instructions qu’ils avaient reçues.

Mohammed-Benkan demeura à Kanato jusqu’à l’avène-
ment de Askia-Mohammed-Bàno. Quant à ses trois enfants :
‘Omar-Bîr, ‘Omar-Kato et Binba-Koïra’-ldji, ils durent se
cacher par crainte de Askia-ïïl-IIàdj et ils restèrent cachés
jusqu’à la fin du règne de ce prince et de celui de Askia-
Mohammed-Bâno. Ce fut avant l’intronisation de Askia-
Ishâq qu’ils se montrèrent et firent tous leurs efforts pour
atteindre Amar et le tuer pendant le cours de cet inter-
règne .

1. Ou : Amara.

2. Ou : « Koïzi ».

 

138 HISTOIRE DU SOUDAN

Prévenu de leur dessein, Amar se cacha parmi la troupe
de gens qu’on appelait les Souma et dont la fonction consis-
tait à faire cortège* au prince lors de son entrée dans la
salle du trône. La coutume voulait que ces Souma fussent
vêtus d’un burnous, aussi Amar en revêtit-il un également,
puis quand Askia-Ishâq eut fait son entrée au palais, il en
sortit aussitôt, car la situation troublée ayant alors pris fin,
personne n’aurait pu dès lors commettre une agression
contre quelqu’un.

Dès que Bokar-ben-Askia-Mohammed-Benkan eut appris
Pélévation au trône de Askia-El-Hâdj-Mohammed (> n v), il
quitta Kala, où il se trouvait, et partit avec son fils Marbâ
pour se rendre à Kâgho. Il fut reçu avec beaucoup d’égard
par Askia-El-Hâdj qui lui conféra les fonctions de Bâgbena*-
Fâri. Après cela Bokar retourna à Tendirma puissant et
honoré. Ainsi que son fils il fut considéré comme faisant
partie de l’armée de Kormina.

On rapporta ensuite à Askia-El-Hâdj que Fondoko-
Boubo-Maryama avait juré que jamais sa tête ne passerait
sous la porte du palais du prince. Askia-El-Hâdj donna aussitôt
l’ordre au Bâghena-Fâri, Bokar, de se rendre auprès de
Fondoko, de le circonvenir habilement de façon à ne pas
éveiller sa méfiance et lui permettre de fuir, puis de l’arrêter
et de le lui amener. Bokar se conforma à ces instructions;
il arrêta Fondoko, l’amena au prince et le lui présenta
couvert de chaînes de fer. « Eh! bien, Ibn-Maryama, lui dit
Askia-El-Hâdj, c’est donc toi qui as juré que jamais ta tête
ne passerait sous la porte de mon palais. — Dieu bénisse
votre vie, prince! s’écria Fondoko; ne vous hâtez pas et,

i. Le texte n’explique pas le rôle des Souma; il ne dit pas s’ils assistaient
chaque fois à l’entrée du prince dans la salle d’audience ou s’ils ne devaient se
trouver là que le jour de son élévation au trône.

2. L’orthographe du ms. C est Bâghen. C’est du chef du Bâghena qu’il s’agit
sûrement.

 

CHAPITRE DIX-nUlTIÉME 189

avant d’agir, laissez-moi vous parler. — « Parle ! répliqua
le prince. — Je jure devant Dieu, reprit Ibn-Maryama, que
je n’ai jamais dit pareille chose; ce sont mes ennemis, ceux
qui ne veulent que ma mort, qui ont imaginé ces propos.
D’ailleurs, où donc aurais-je pu fuir pour vous échapper? »>

Le prisonnier fut emmené sur l’ordre du prince et il se
passa quelque temps sans que personne sût ce qu’il était
devenu, si bien que tout le monde s’imagina qu’il n’était plus
de ce monde. Puis, un certain jour, le prince se le fit amener
devant lui et lui dit : « Je veux te rendre ton sultanat. »
Fondoko remercia le prince de sa bienveillance, lui souhaita
toutes les prospérités et répondit : « Si vous me laissez libre
de choisir, eh! bien je vous dirai que je n’en veux plus. —
Et alors que veux-tu? demanda le prince. — Rester
ici auprès de vous, répliqua-t-il, et vous servir. » Cette
réponse produisit grand effet sur le prince qui l’eu récom-
pensa en lui donnant dix chevaux, de nombreux esclaves,
une maison, enfui tout ce qu’il pouvait désirer ou souhaiter.
Ibn-Maryama demeura donc à Kàgho puissant et honoré.
Hamda-Amina le remplaça comme chef de la population du
Màsina!

A la fin de la matinée du dimanche, 11 du mois de redjeb
de Tannée 991 (31 juillet 1583), mourut le cadi El- ‘Aqib
(nna). 11 avait fait régner l’équité dans tout son pays à un
tel point que, dans aucune autre contrée, on ne lui connut
d’émulé sous ce rapport. 11 était demeuré en fonctions durant
dix-huit ans, et, entre sa mort et celle de Askia-Daoud, il
s’écoula treize mois.

Le dimanche soir, 17 du mois de cha’ban de cette même
année (5 septembre 1583), eut lieu la mort du jurisconsulte,
du traditionniste, Abour-‘Abbàs-Ahmed-ben-El-Hâdj-Ahmed-
ben-Mohammed-Aqît (Dieu, le Très-Haut, leur fasse à tous
miséricorde!).

 

190 HISTOIRE DU SOUDAN

Pendant une année et demie après la mort du cadi, du
juste, El’-Aqib, les fonctions de cadi à Tombouctou restèrent
sans titulaire. La raison de cette vacance fut que le prince
Askia-El-Hâdj avait en vain offert cette situation deux ou
trois fois au très docte jurisconsulte Abou-Hafs- Omar, fils
du jurisconsulte Mahmoud’, qui l’avait refusée. Durant ce
tempsc’étaitMohammed-Baghyo’o, le Ouankoré, qui tranchait
les différends qui surgissaient entre les mulâtres^ et les gens
de passage, tandis que le mufti, le jurisconsulte Ahmed-
Ma’yâ^ réglait les contestations qui s’élevaient entre les
habitants de Sankoré.

Cette situation menaçait de se prolonger, quand le cheikh
béni, le jurisconsulte vertueux Takonni* manda en secret à
Askia-El-Hàdj d’écrire à Abou-Hafs Omar^ en lui disant que
s’il n’acceptait les fonctions qu’on lui proposait, il se verrait
obligé d’y nommer un ignorant, et qu’en conséquence, à
dater de ce moment, il serait lui seul Abou-Hafs bientôt
responsable devant Dieu des sentences rendues. En lisant
cette lettre, Abou-Hafs se mit à pleurer et se décida à ac-
cepter les fonctions de cadi qu’il commença à exercer le der-
nier jour du mois de moharrem de Tannée 993 (i””” février
1585) et qu’il conserva pendant neuf années entières.

Au mois de safar de l’année 992 (13 février-13mars 1584),
le Kormina-Fàri, El-IIàdi, avait quitté ïendirma et s’était
rendu à Kâgho avec l’intention d’y provoquer une révolte
et de s’emparer du pouvoir. Selon certains récits, ce serait
ses frères qui, de Kàgho, où ils se trouvaient, lui auraient
mandé secrètement que Askia-El-Hàdj n’avait plus la moin-

1. « Les mss. A et B ont « Mohammed. »

2. Le mot traduit par « mulâtres » ou métis désigne ici les populations d’ori-
gine non soudanienne.

3. Ou : « Maghy;! ».

4. Ou : « Tokonni »,

5. Il s’agit du personnage qui avait refusé de se laisser nommer cadi.

 

CHAPITRE DIX-HUITIEME 191

dre énergie et qu’il vînt en conséquence s’emparer du pou-
voir. Puis ils auraient trahi leur frère et l’auraient * aban-
donné.

En arrivant à Kabara, au lieu de se rendre en personne
comme c’était sa coutume pour saluer le jurisconsulte
‘Omar ^ El-Hàdi lui envoya quelqu’un pour s’acquitter de ce
devoir de politesse, puis il continua sa route. Avant d’arri-
ver à Kàgho {n>^), il rencontra des envoyés de Askia-
El-IIàdj qui l’invitèrent à revenir sur ses pas. Il refusa de
céder à leurs injonctions et les envoyés du prince retournè-
rent auprès de leur maître et l’avisèrent de ce refus.

El-Hâdi arriva à Kagho le dimanche soir, 4 du mois de
rebi” T’ (16 mars 1584); il avait revêtu une cuirasse et se
faisait précéder par des trompettes, des timbaliers, etc.
Askia-El-Hàdj fut fort effrayé en entendant ce bruit, car il
était malade et incapable d’agir. Le Hi-Koï, Bokar-Chili-
Idji, lui dit alors : « Investissez-moi dès à présent du snlta-
nat de Dendi et je vous amènerai El-Hàdi prisonnier. » Le
prince nomma Bokar aux fonctions qu’il sollicitait; elles
étaient vacantes depuis la mort de Bàna qui n’avait été rem-
placé par personne comme Dcndi-Fàri.

Bokar se mit aussitôt à l’œuvre et usa d’habileté. Les frè-
res de El-Hàdi, qui se trouvaient là en ce moment, et parmi
lesquels figuraient entre autres : Sàlah, Mohammed-Kàgha
et Nouh, se rendirent à pied auprès de leur frère et lui di*
rent : « Quel motif t’amène ici? Que veux-tu? Qui as-tu con-
sulté et avec qui t’es-tu concerté? Il semble que tu n’as agi
ainsi que parce que tu nous considérais tous ici comme des
femmes. Ehl bien, attends-nous ici et tu verras de quoi nous
sommes capables. »

 

1. La suite du récit semble conBrmer (Jue El-Hâdi était venu de son propfe
mouvement.

2, Le nouveau cadideTombouctou,dontil vient d’être parlé, Abou-Hafs-‘Oraar.

 

192 HISTOIRE DU SOUDAN

Là-dessus les frères se retirèrent puis, ceignant leurs ar-
mes et montant à cheval, ils revinrent disposés à combattre
avec leur frère’. Alors quelques personnes dirent à El-Hâdi :
« Rends-toi à la maison du prédicateur et fais en sorte qu’il
te réconcilie avec Askia-El-Hâdj. » Suivant ce conseil, El-Hâdi
se rendit à la maison du prédicateur ; mais, dès que le prince
eut appris cette circonstance, il sortit sur-le-champ et donna
Tordre d’arrêter El-Hâdi en cet endroit et de le lui amener.

Askia-El-Hâdj enjoignit de dépouiller El-Hâdi de son cos-
tume et l’on s’aperçut alors qu’il portait une cotte de mail-
les. « Ah! El-Hâdi, s’écria le prince, tu n’es donc qu’un in-
grat! » A ces mots, le Fâri-Mondzo^ El-Mostafa, se prit à
pleurer à chaudes larmes et dit : « Tel n’était pas le sort
que je désirais pour notre général^ ; ce que j’aurais sou-
haité, c’est que tu le misses à notre tête pour aller combat-
tre les sultans du Mossi, du Bousa, — et il énuméra un
certain nombre de sultans, — et tu aurais vu ce dont nous
aurions été capables sous sa direction. »

Le Fâri-Mondzo, qui venait de parler en ces termes, était
le frère germain de Askia-El-Hâdj; sans cette circonstance il
n’aurait osé agir ainsi. Le prince donna l’ordre de lui ame-
ner le cheval que montait El-Hâdi (> Vo). A peine l’eut-il vi’
et examiné qu’il s’écria : Mon frère, El-Hâdi, n’a osé se révoi
ter que parce qu’il avait ce chevaP. » Puis il fit conduire
l’animal dans ses écuries. Dieu avait doué le prince d’une
compétence particulière en matière de chevaux.

Bon nombre des partisans de El-Hâdi furent bâtonnés et
son oncle maternel, qui avait été l’âme de la sédition, suc-

1. Toute celle scène élait-elle sincère ou avail-elle élé imaginée par Bokar?
Le discours que tient El-Moslafa, et qui se trouve quelques li^^^nes plus loin, donne
à penser que El-IIàdi était réellement soutenu par ses frères.

2. C’est-à-dire : El-Hâdi.

3. Le prince entend par là que, avec un cheval pareil, El-Hcâdi, sûr d’échapper
personnellement, en cas d’insuccès, n’aurait pas craint de se révolter.

 

CHAPITRE DIX-HUITIEME 193

comba sous les coups. Quant aux biens des révoltés, ils fu-
rent entièrement {)illés. Le prince ordonna de conduire
El-llàdi à Kanato et de l’y tenir enfermé. Cela fait, il nomma
le Kala-Cha’a, Mohammed-Qaïa-benDenkelko aux fonctions
de rii-Koï en remplacement de l’ancien titulaire, Bokar-
Chîli-Idji. D’autre part, Mohammed, invité à désigner qui
lui conviendrait le mieux pour lui succéder dans son ancien
emploi^ choisit son fds Bokar qui devint donc Kala-Cha’a.
Enfin le prince désigna son frère Hàmed pour être Bala-
ma’, quand le Balama’, Mohammed-Oua’o, mourut.

A cette époque, le sullan Maulay Ahmed-Ech-Cherif, le hachémite, envoya une ambassade avec de superbes cadeaux à Askia-El-Hâdj ; mais le véritable objet de la mission était de recueillir des informations sur le pays du Tekrour, et c’est dans ce but que Maulay Ahmed avait envoyé son ambassadeur à Kàgho. Le prince lit le plus brillant accueil à l’envoyé marocain et lui donna, au moment où celui-ci rentrait dans son pays, une quantité de présents double de celle qu’il avait reçue. Ces présents consistaient en esclaves, en musc, etc. et ils comprenaient en outre quatre-vingts eunuques.

Peu après cet évéuement on reçut la nouvelle qu’une armée de 20.000 hommes avait été envoyée dans la direction de Oueddàn par le sultan du Maroc qui lui avait donné l’ordre de s’emparer de toutes les villes qu’elle rencontrerait sur les rives du Fleuve ou ailleurs et de poursuivre sa route jusqu’à Tombouctou. Cette nouvelle causa le plus grand effroi parmi la population ; mais bientôt Dieu décima cette armée qui, éprouvée parla faim et la soif, s’éparpilla de tous côtés. Les survivants retournèrent dans leurs pays sans avoir rien accompli de leur dessein, et tout cela s’était accompli par la toute-puissance du Créateur.

Plus tard, le sultan du Maroc expédia un caïd avec deux cents soldats* à Teghâzza, avec ordre de s’emparer des gens de cette localité. Mais ceux-ci, prévenus à temps de l’arrivée de cette troupe, quittèrent Teghâzza et se réfugièrent, les uns à El-Hamdiya’*, les autres au Touât, ou ailleurs. Aussi, en arrivant avec sa troupe, le caïd trouva-t-il le pays abandonné; il n’y restait plus que quelques individus (>i\).ïous les notables se rendirent auprès de Askia-El-Hâdj, et le mirent au courant de ce qui s’était passé. D’accord avec les notables, le prince décida d’empêcher d’extraire du sel de la mine.

En l’année 994, au mois de chaaoâl (15 septembre-14 octobre 1585), on fit savoir que personne ne devait aller à Teghâzza et que quiconque s’y rendrait s’exposerait à perdre tous ses biens. Alors les Idelai^,qui ne pouvaient se résigner à manquer de sel, se répandirent de tous côtés pour en chercher : les uns allèrent à Tenaoudara, y pratiquèrent des fouilles à cette époque, et y trouvèrent du sel ; d’autres se rendirent ailleurs et, durant ce temps, la mine de sel de Teghâzza fut abandonnée. Le caïd et sa troupe retournèrent alors à Merràkech (Maroc).

Ce fut à cette époque également que Askia-El-Hàdj enleva
à son oncle paternel, Seliman-Kankâka, les fonctions de
Benka-Farma pour les confier à Mahmoud-ben-Askia-
Isma ïl. Au mois de dzooul’hiddja qui termina cette année
(13 novembre-12 décembre 1 586), les frères de Askia-El-Hàdj
se révoltèrent contre lui ; il se rendirent à Karaï auprès de
Mohammed-Bàno-ben-Askia-Daoud, l’emmenèrent avec eux
et, après avoir déposé Askia-El-IIûdj, ils le nommèrent askia
à sa place. Cet événement se passa le 4 du mois de mohar-
rem, le premier mois de l’année 995 (15 décembre 1858).
Peu de jours après cela, Askia-El-Hâdj mourait, après ayoir

1. Ou : « fusiliers ».

2. Ville de la région du Sahel.

3. Ou : « Adelaï » .

 

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME 195

exercé l’autorité souveraine pendant quatre ans et cinq

 

mois.

 

CHAPITRE XIX

 

ASKIA-MOHAMMED-BANO

 

Aussitôt après son avènement, Askia-Mohammed-Bàno
investit son frère, Sâlah, des fonctions de Kormina-Fàri. En
même temps il donnait à Mohammed-Es-Sâdeq l’emploi de
Balama’ qu’il enlevait à Hâmed. Ensuite il se hâta de faire
mettre à mort ses deux frères, le Faran Mohammed-Benkan
et le Faran El-Hâdi qui se trouvaient alors à Kanato ; c’est
lu qu’ils furent enterrés l’un à côté de l’autre.

Quand El-Hâdi avait appris que son frère avait été élevé
au trône, il en avait été tout surpris. « Au diable la précipi-
tation! s’était-il écrié, c’est le plus sot de ceux qu’a procréés
notre père qui a été nommé sultan. El-Hàdj, lui, n’a fait
périr aucun de ses frères tant que (n yv) son règne a duré. »

Les frères du nouveau prince n’eurent que du mépris pour
lui : ni eux, ni personne autre n’eut d’estime pour son ca-
ractère et tout son règne ne fut qu’une suite de calamités et
de famines. Tous les frères de Mohammed-Bâno s’accordè-
rent donc pour déposer ce personnage et donner le pouvoir
souverain à Nouh, le Benlal-Farma. Celui-ci ayant accepté
ce projet, il fut convenu qu’une certaine nuit déterminée il
se rendrait dans un endroit fixé d’avance, qu’il ferait alors
sonner ses trompettes et qu’à ce signal tous les conjurés se
réuniraient pour le proclamer sultan.

Le complot fut éventé sans que Nouh en fût prévenu. Le

 

196 . HISTOIRE DU SOUDAN

prince fit aussitôt arrêter le Hi-Koï Mohammed-Qâya, père
duKala-Cha’a Bokar, puis le Châ’a-Farma El-Mokhtàr, ainsi
que d’autres personnages parmi les principaux conjurés et
les révoqua de leurs fonctions. Aussi, quand Nouh, venu au
rendez-vous, eut fait sonner ses trompettes et qu’il ne vit
personne, il pritla fuite. Mais il fut rejoint par les personnes
envoyées à sa poursuite et fait prisonnier ainsi que son frère
le Fâri-Mondzo El-Mostafa ; tous deux, sur l’ordre du prince,
furent jetés en prison dans le pays de Dendi.

Le Kala-Cha’a Bokar, qui venait d’être révoqué, retourna à
Tendirma. Ce fut un manant* de Tendirma qui lui succéda
dans ses fonctions et devint Kala-Cha’a. Plus tard, le Mâsina-
Mondzo Karsalla étant mort, ce fut ce Kala-Cha’ qui fut
nommé à sa place et devint Mâsina-Mondzo. Le prince
nomma Sorkiyâ aux fonctions de Hi-Koï, puis il fit de Ali-
Djâouendo un Châ’a-Farma et de son frère Ishaq-ben-
Daoud un Fâri-Mondzo.

Le Balama’ Mohammed-Es-Sâdeq-ben-Askia~Daoud tua
le Kabara-Farma, Alou, homme tyrannique et pervers. Par
cet événement, qui eut lieu à Kabara, le samedi soir, 7 du
mois de rebi’ II, de l’année 996 (6 mars 1588), Dieu déli-
vra les musulmans des exactions de cet homme. Mais, après
s’être emparé de toutes les richesses accumulées dans la
maison de ‘Alou, Mohammed-Es-Sâdeq méconnut l’autorité
de Askia-Mohammed-Bâno et manda au frère de ce prince,
le Kormina-Fâri Sâlah, de venir le trouver, qu’il le ferait
monter sur le trône auquel, en raison de son âge, il avait
plus de droits que tout autre.

Sâlah se mit en marche, à la tête de ses troupes; mais,

1. Le texte porte yjtl_^^ pluriel de j^ll»^, mol fréquemment employé dans
les oasis sahariennes pour désigner les populations sédentaires qui se livrent à
la culture du sol. Ces populations, d’ordinaire forlcmenl mêlées de sang noir,
sont considérées par les nomades comme une race inférieure indigne d’être in-
vestie de fonctions publiques.

 

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME 197

arrivé près de Kabara, les gens avisés de son entourage
l’engagèrent à s’arrêter à l’endroit où il se trouvait. « Le
Balama’ Es-Sâdeq, lui dirent-ils, est un fourbe capable de
trahison et de perfidie. Enjoins-lui de t’envoyer tout ce qu’il
a pris dans la maison du Kabara-Farma ‘Alou, car c’est à
toi que cela doit revenir (n vt) du moment qu’il te reconnaît
pour sultan. S’il est de bonne foi^ il t’enverra le tout; sinon
il n’en fera rien. »

Sâlalî fit la démarche indiquée et le refus qu’il éprouva
lui montra que le Balama’ n’était point de bonne foi. La lutte
s’engagea dès lors entre eux et, dans un combat qui s’en-
suivit, Sâlah fut tué de la main du Balama’ Mohammed-Es-
Sâdeq, dans la soirée du mercredi, 24 du mois de rebi’ Il de
cette année-là (23 mars 1588). Dix-sept jours s’étaient écou-
lés entre la mort de Sâlah et celle du Kabara-Farma.

A la tête des deux armées qui venaient de se combattre et
qui étaient maintenant réunies sous ses ordres, le Balama’ dé-
cida de marcher sur Kâgho afin de renverser du trône l’Askia
Mohammed-Bâno. Dans ce but il manda au Benka-Farma,
Mahmoud-ben-ïsmaïl, de venir se joindre à lui; mais Mah-
moud effrayé abandonna Benka et se réfugia à Kâgho.

C’était Mohammed-Koï-Idji-ben-Ya’qoub qui, lors du com-
bat livré contre le Faran Sâlah, avait atteint le premier celui-
ci de sonjavelot; mais c’était le Balama’ qui, venant ensuite,
avait donné le coup de lance qui avait aussitôt amené la
mort de Sâlah. Puis, quand le soleil fut couché, c’était lui
qui avait donné Tordre de préparer les funérailles du défunt
et de le porter en terre.

Le sort voulut que Mârenfa-El-Hâdj-ben-Yâsi, fils de l’émir
Askia-El-Hâdj-Mohammed, vînt à Tombouctou demander
aux serviteurs du prince, qui se trouvaient dans cette ville,
d’honorer de leur présence la célébration prochaine de son
mariage avec la fille de Askia-Mohammed-Bâno. Mârenfa

 

198 HISTOIRE DU SOUDAN

alla ensuite à Kabara trouver le Balama’ Mohammed-Es-Sâ-
deq et lui présenter ses hommages. Tout ceci se passait avant
les événements qui avaient amené le meurtre du Kabara-
Farma et celui du Kormina-Fâri. « Tu vois, avait dit Moham-
med Es-Sâdeq à Mârenfa, dans quelle situation nous som-
mes, aussi je désire que tu sois avec moi. — Balama”,
répondit Mârenfa, j’en jure par Dieu, je ne suivrai personne
autre que Askia-Mohammed-Bàno tant qu’un seul de ses
doigts pourra encore remuer. » Le Balama’ essaya d’entraî-
ner son interlocuteur par de belles paroles et finit par lui
dire : « Si tu le veux, je te donnerai ma fille en mariage et
elle sera ta femme en même temps que la fille de Mohammed-
Bâno. — Sâlek, répliqua Mârenfa, par Dieu! je ne sui-
vrai jamais personne autre que Mohammed-Bâno tant qu’un
seul de ses doigts pourra encore remuer. »

Alors le Balama’ interpella Mârenfa par son nom en sup-
primant son surnom pour qu’il vît bien qu’il devait renoncer
à tout espoir’ ; puis il le fit arrêter et mettre en prison et l’y
garda jusqu’au moment où la révolte fut bien décidée et iné-
vitable. A ce moment ( N 1 1 ) Koï-Idji, qui était un des familiers
et des conseillers du Balama’, lui dit : « Mets Mârenfa en
liberté; rends-le toi favorable en lui faisant du bien, car
dans une révolte on peut avoir besoin de gens comme lui. »
Le Balama’ ordonna aussitôt de relâcher Mârenfa; il le traita
avec bienveillance, lui fit retirer les fers qu’on lui avait mis
aux pieds et lui donna un de ses chevaux de selle. Aussitôt
Mârenfa, ayant encore au pied un des anneaux de ses chaînes,
enfourcha son cheval et s’enfuit à Kagho où il raconta son
aventure à l’Askia.

Le Balama’ se mit en route vers Kâgho à la tête d’une

1. I.c fait d’interpeller quelqu’un par son nom au lieu d’employer son sur-
nom indique qu’on est animé de sentiments peu bienveillants à l’égard de celte
personne.

 

CHAPITRE DIX-NKUVIÈME I99

nombreuse armée composée de gens de l’ouest, parmi les-
quels figuraient : le Baghena-Fari Bokar, le Honhori-Koï
Mensa, le Bara-Koï Amer, le Kala-Gtia’a Bokar, etc. Il quitta
Kabara le mardi, l”du mois de djomada V'(29 mars 1588),
et poursuivit sa marche pour réaliser son dessein.

Quand Mohammed-Bâno eut connaissance des projets
du Balama’_, il fut très inquiet et sortit de Kâgho le samedi,
12 du mois ci-dessus indiqué (9 avril 1588) pour se porter
à la rencontre de l’ennemi. Mais le jour même, à l’heure de
de la méridienne, il mourut dans son camp. Certains auteurs
rapportent qu’il mourut de colère, parce qu’on trouva sur sa
lèvre inférieure des blessures qu’il s’était faites avec ses dents.

On l’avait entendu dire lorsqu’il avait appris que le Bala-
ma’ venait pour le déposer du trône : « Dieu maudira sa
royauté! c’est un être vil et méprisable, sinon comment
admettre que ce Sàlek eût osé agir ainsi contre moi et tenir
à mon égard les discours qu’il a tenus. » Selon une autre
version, Mohammed-Bâno aurait succombé à l’obésité, car
il était extrêmement gras. Or il faisait une chaleur exces-
sive ce jour-là et il s’était mis en route revêtu d’une cui-
rasse de fer. Quoi qu’il en soit, c’est la colère qui fut cause
de sa mort.

Les troupes du sultan rentrèrent à Kâgho. Toutefois le
Hoko-Koraï-Koï se sépara d’eux à la tête de 4.000 cavaliers
eunuques et se rendit à Hadda’.

1. On pourrait lire Hidda ou Houdda, le texte ne donnant pas de voyelles.

 

200 HISTOIRE DU SOUDAN

 

CHAPITRE XX

ASKIA-ISHAQ II, FILS DE ASKIA-DAOUD

Le lendemain de ce jour, le dimanche, 13 de djomada P’
de Tannée 996(18 avril 1588), Askia-Ishâq, fils de Askia-
Daond, fut proclamé sultan. Ce prince était le premier enfant
qu’avait eu Askia-Daoud après son élévation au trône. Mo-
hammed-Bâno n’avait donc conservé le pouvoir qu’une an-
née, quatre mois et huit jours.

Le samedi suivant, 19 du même mois (16 avril), un messa-
ger d’Askia-Ishâq arriva à Tombouctou pour y annoncer la
nouvelle de l’avènement de son maître. Les habitants de
Tombouctou, qui savaient que le Balama’ était en route pour
Kâgho, se montrèrent fort hésitants. En effet, aussitôt que
le Balama’ eut appris la nouvelle qu’Ishâq s’était fait pro-
clamer sultan, il réunit toutes les troupes qu’il avait avec lui
et celles-ci lui prêtèrent serment de fidélité et le reconnu-
rent pour Askia. Cela fait, le nouvel Askia envoya un mes-
sager aux habitants de Tombouctou et leur enjoignit d’ar-
rêter l’envoyé de Ishâq.

Le messager du nouvel Askia arriva à Tombouctou le
lundi, 21 du mois ci-dessus indiqué (21 avril). Suivant Tordre
qu’ils en avaient reçu, les habitants de la ville s’emparèrent
de l’envoyé de Ishâq et le mirent en prison. Cet événement
causa de la joie à un grand nombre de personnes, entre autres
au Tombouctou-Koï Bokar, au Maghcharen-Koï Tibirt-Ak-
sid, à El-Keïd-ben-Hamza-Es-Senâouï. Tous ces personnages
organisèrent des réjouissances pour fêter l’avènemeat de

 

CHAPITRE VINGTIÈME 201

Mohammed-Es-Sàdeq, et firent battre du tambour sur les
terrasses des maisons. Les gens de Tombouctou avaient en
réalité une grande affection pour ce prince qui s’illusionna
lui-même et illusionna les autres.

Après cela on cessa à Tombouctou d’avoir des nouvelles
de Kâgho. On rapporte que le jurisconsulte Abou-Bekr-
Lanbarô, secrétaire et ministre de la plume, a dit : «Kâghô,
à la fin de la semaine qui suivit la proclamation au trône de
Askia-Ishâq, était devenu comme un corps sans vie tant on y
redoutait le Balama’ Mohammed-Es-Sâdeq, et tant était
grande la frayeur qu’il inspirait. Voyant cela et sachant que
le Balama’ était impitoyable, que sa dureté se ferait sentir
tout d’abord aux savants (nxi) et aux jurisconsultes, Abou-
Bekr, qui se considérait lui-même comme un savant, se
rendit auprès de l’Askia, au moment de la méridienne et se
présenta à lui: «Quel sujet t’amène à cette heure, demanda
le prince? — Dieu vous accorde sa bénédiction et embel-
lisse votre règne! répondis-je *. Depuis que je suis entré
dans ce palais auguste jamais on n’avait entendu parler d’un
second roi du Songhaï. — Je n’ai jamais su pareille chose, ni
ne l’ai entendu dire auparavant, s’écria Askia-EIfa^ Y aurait-
il donc un second roi du Songhaï ? — Dieu bénisse votre
existence, répliquai-je, il y en a un. C’est celui qui, au de-
hors, impose sa domination à vos sujets, tandis que vous
êtes ici inactif à l’intérieur de ce palais. Et alors je me mis
à lui énumérer tout ce qu’il avait fait^, depuis l’époque de
son grand-père jusqu’au temps de Askia-Mohammed-Bâno.
— C’est cela que tu voulais dire, me demanda-t-il. —
Oui, repartis-je; Dieu bénisse votre existence. — Mais,

1. Le texte emploie ici le discours direct doal il a’a pas fait usage au début de
ce récit.

2. C’était un surnom donné à Ishâq.

3. Bien que le texte ne le nomme pas, ils’agitévidemment du Balama’ Moham-
raed-Es-Sâdeq.

 

202 HISTOIRE DU SOUDAN

dit-il, celui qui serait capable de résister à cet homme je ne
le vois pas parmi tous ces gens-ci. — Ne dites pas cela,
lui répliquai-je. La bénédiction divine est encore à la sur-
face de la terre chez deux de vos jeunes gens* : ‘Omar-Kato-
ben-Benkan et Mohammed-ben-Askia-El-Hâdj.Ce sont deux
êtres bénis. Faites-les venir sur-le-champ, comblez-les de
faveurs au point qu’ils en soient entièrement inondés. »

Le prince manda tout d’abord Omar-Kato. Celui-ci logeait
avec lui dans sa maison le nègre de son père qui l’avait élevé ;
ce nègre s’appelait Zabya. En apprenant qu’il était mandé
au palais à pareille heure, ‘Omar fut très effrayé”; néanmoins
il partit troublé et agité, laissant à la maison Zabya plein
d’anxiété. Arrivé en présence de l’Askia, celui-ci lui dit : «0
‘Omar, mon enfant, depuis le jour où vous êtes venu me
rendre hommage, je ne vous ai plus revu qu’en cet instant.
Ne savez-vous pas que cette maison est la vôtre, que je n’y
suis entré qu’à cause de vous. Ne cessez donc plus désormais
d’y porter vos pas. » Puis l’Askia donna à ‘Omar toutes sortes
de belles choses, des vêtements superbes, des grains, des
cauris, etc. Il lui fit en outre don d’un de ses chevaux de
selle.

‘Omar se prosterna (s w) et sortit en toute hâte pour ren-
trer chez lui. Ily trouva Zabya dans une angoisse et un trouble
tels que Dieu seul pouvait s’en rendre compte. « Que s’est-il
passé là-bas? demanda Zabya à son maître dès qu’il fut ren-
tré. — Je suis mort’, répondit-il. — Je donnerai ma
vie pour racheter la tienne, mais c’est moi qui meurs (d’im-

1. Mot à mol : « vos deux fils ».

2. Les heures du milieu du jour sont réservées au repos et chacun d’ordi-
naire reste chez soi à ce moment. Il faut une circonstance grave pour qu’on se
prive de ce loisir habituel, ce qui explique l’émotion de ‘Omar.

3. Cette expression paraît prise dans ce sens : « je perds ma liberté d’action »
plutôt que dans celui de : « je suis à bout de forces à cause de mon émotion ».
11 y a peut-être aussi dans l’emploi du verbe « mourir » un jeu de mots dont je
pe me rends pas compte-

 

CHAPITRK VINGTIEME 203

patience), donne-moi vite de bonnes nouvelles, s écria Za-
bya. — Eh! bien, répliqua ‘Omar, attends et tu verras. »
A ce moment arrivèrent les envoyés de l’Askia avec les pré-
sents. « Ah! c’est à cause de tout cela, répondit Zabya.Si tu
ne meurs pas de cela, de quoi donc pourras-tu mourir?
l’homme libre ne meurt que de bienfaits. Puisses-tu ne ja-
mais mourir d’autre chose et puissé-je moi te devancer dans
cette voie! »

L’Askia fit ensuite mander Mobammed, le fils de l’Askia-
El-Hâdj, et fit pour lui ce qu’il avait fait pour Omar.

Le lendemain Omar-Kato s’équipa, monta à cheval et se
rendit au palais de l’Askia. Le prince tenait audience au mi-
lieu d’une foule considérable. Omar fit caracoler son cheval
en avant, puis en arrière et, quand il eut achevé ce cérémo-
nial accoutumé, il parla en ces termes, après avoir été invité à
prendre la parole: « Ouanadou’,dis à l’Askia que toute cette
troupe de gens du Songhaï affirme des choses qu’elle ne ferait
point. Ce sont des gens qui gardent à la fois le feu et l’eau dans
leur bouche. Tous ceux qui t’ont parlé ici une première fois
ne se sont point exprimés avec sincérité. Demain Sàlek” sera
ici; quand nous nous rencontrerons avec lui, voici la lance
que j’enfoncerai dans le fils’^ de sa mère. Que quiconque est
sincère ici répète le même propos. » L’assemblée se sépara
aussitôt, chacun courut aux armes après avoir prononcé les
paroles ci-dessus.

Le vendredi, 18 du mois de djomada 1″ (15 avril 1588),
le Balama’ Mohammed-Es-Sâdeq campa avec ses troupes à
Konbo-Koraï. Sa tente dressée, le Balama’ y entra et la pre-
mière personne qui vint les attaquer fut Marenfa-El-Hàdj,

 

1. C’est le nom ou le titre du personnage qui transmettait au prince les pa-
roles de ses sujets et qui rapportait à ceux-ci les discours du prince.

2. C’était le surnom donné à Mohammed-Es-Sâdeq.

3. Le texte porte : « le comme ceci de sa mère », . ,,

 

204 HISTOIRE DU SOUDAN

dont il a été déjà parlé. Celui-ci en voyant la tente du Ba-
lama’ lança son cheval à toute vitesse et quand il fut près du
camp il s’écria : « Où est Sâlek? » Ce disant, il lança son ja-
velot contre la tente qu’il faillit renverser pendant que le
Balama’ était à l’intérieur. Puis il retourna au galop en
arrière. Alors arriva le corps des Touareg, puis toute la ca-
valerie de l’Askia, et tous fondirent sur le camp comme une
nuée de sauterelles.

Le Balama’ ainsi que ses compagnons se levèrent aussitôt,
prirent leurs javelots et se préparèrent à combattre. Puis
le Balama’ excita (s va) son cheval et le lança dans la direction
de l’Askia Ishaq; il trouva sur sa route Omar-Kato et Mo-
hammed, fils de l’Askia-El-Hâdj. ‘Omar-Kato lui lança alors
à la tête son javelot, mais le trait ricocha en l’air parce qu’il
avait atteint le casque que le Balama’ avait sur la tête. «Com-
ment ‘Omar-Kato, mon fils, c’est toi qui lances le fer contre
moi? s’écria le Balama \ — Tonkara (ce mot était un titre
honorifique donné au Balama’ et au Kormina-Fâri), répon-
dit ‘Omar, aucun de nous, si l’Askia lui avait donné la si-
tuation que tu occupes, n’aurait fait autrement que de la
remplir avec fidélité. » Ces paroles brisèrent le cœur du
Balama’ qui revint à la charge contre son adversaire* et ne
cessa avec ses compagnons de lutter tout le jour contre les
troupes de l’Askia, mais vaincu il dut s’enfuir à Torabouctou,
tandis que l’Askia rentrait dans son palais et ordonnait h
ses hommes de poursuivre le fuyard et de l’arrêter partout
où il irait.

Les habitants de Tombouctou n’avaient aucune nouvelle de
ce qui s’était passé lorsque brusquement, le mercredi, 28 du
mois de djomada I”” (25 avril 1588), ils virent arriver le
Balama’ qui avait réussi à s’échapper, et qui leur annonça
que ses troupes avaient été mises en déroute. Il leur raconta

1. *Omar-Kato.

 

CHAPITRE VINGTIEME 205

que le vendredi, pendant qu’il était à Konbo-Koraï, il avait
vu s élever un immense nuage de poussière que soulevait
une nombreuse armée de l’Askia, qu’une rencontre avait eu
lieu, que le combat avait duré depuis neuf heures du matin
jusqu’au coucher du soleil et qu’un grand nombre de com-
battants avaient péri. C’est alors, dit-il, que j’ai tourné bride
avec le Honbori-Koï, le Bara-Koï et le Bàghena-Fâri, tous
blessés sauf le Bâghena-Fâri.

Sâlek se rendit ensuite à Tendirma et traversa le Fleuve
dans la direction du Gourma, emmenant avec lui le Honbori-
Koï Mousa, et le Bena-Farma Dako. Il fut alors rejoint par
les hommes envoyés à sa poursuite, arrêté et conduit à Ka-
nato. Sâlek et le Bena-Farma Dako furent mis à mort dans
cette localité sur l’ordre du prince et ils furent enterrés dans
le voisinage des tombes de Benkan et de Hâdî. Ces (juatre
tombes sont bien connues en cet endroit. Quant au Honbori-
Koï, on l’amena (^v^) auprès de l’Askia qui le fit con-
duire à Sonkouro. Là il fut placé dans une peau de bœuf
qui fut cousue sur lui, puis on le jeta ainsi dans un trou long
de deux toises creusé dans 1 écurie, après quoi on le recou-
vrit de terre tout vivant. Ce fut ainsi qu’il mourut. Dieu nous
préserve de la tyrannie des hommes!

Le prince envoya ensuite à Tombouctou des messagers
chargés d’arrêter le Maghcharen-Koï Tibirt, le Tombouctou-
Koï Bokar et de les mettre à mort ‘ en cet endroit Quant à
El-Keïd-ben-Hamza, il lui fut fait grâce parce que c était un
pauvre négociant, hâbleur, sans conséquence et dont il n’y
avait pas à s’inquiéter. Le saint de Dieu Sidi Abderrahman,
fils du jurisconsulte Mahmoud, a dit à ce sujet : Le prince
aurait dû étendre son indulgence aux deux autres qui, eux

1. Le ms. C dit : « de séjourner », au lieu de « mettre à mort ». Les deux le-
çons s’expliquent difficilement, car il est dit, quelques lljçnes plus loin, que ces
deux personnages furent ramenés à Kàgho, où ils furent mis à mort.

 

206 HISTOIRE DU SOUDAN

non plus, n’avaient aucune influence et ne pouvaient lui porter
ombrage.

Quand les envoyés eurent ramené les deux prisonniers,
le prince les lit mettre à mort; puis il donna l’ordre de re-
chercher tous les complices de Sâlek dans cette insurrection.
Nombre d’entre eux furent mis à mort ; d’autres furent em-
prisonnés et beaucoup furent fustigés avec de lourdes la-
nières tressées.

Mohammed-Kaï-Idji, fils de Ya qoub, succomba sous les
coups de fouet. Quant à Ya’qoub, fils d’Arbenda, comme
on l’avait amené en présence du prince et qu’il avait com-
mencé à parler d’une voix sourde, Ouanadou lui dit : « Fils
de monseigneur, élève la voix. Etait-ce donc ainsi que tu
parlais quand tu étais en présence de Salek? » Ya’qoub éleva
alors la voix de telle façon qu’il dépassa les bornes permises,
Ouanado avait voulu ainsi aggraver sa situation. Aussi Ya’-
qoub fut-il frappé au point qu’il faillit périr sous les coups;
néanmoins il n’eu mourut pas.

L’Azaoua-Farma, Bokar-ben-Ya’qoub, emprisonné à Ka-
rabara ‘, y demeura jusqu’à ce qu’il fut mis en liberté par le
pacha Mahmoud-ben-Zcrgoun ; le Bara-Koï ainsi que le Kala-
Chà’a, Hokar, furent jetés dans la même prison ; ils recou-
vrèrent leur liberté lors de la révolution accomplie^ par le
pacha Djouder; ils revinrent alors dans leur pays respectif
et reprirent leurs fonctions sans que personne eût donné au-
cun ordre à ce sujet. On amena ensuite Bonbeker-ben-El-
Feqqi-Donko. Quand il fut en présence du prince, celui-ci lui
dit : « Eh! bien, le Koychà\ te voilà toi qui, durant toute ta
longue existence, n’as pas réussi à trouver une situation qui
te permette d’abriter ta vieillesse sous un turban M » Puis

1. Ou ; Kabara.

2. Lorsque Djouder reprit l’aulorilé pour la seconde fois.

3. Ici le mot a l’article dans le texte arabe; plus loin il ne l’a plus.

4. G’est-à-dire : d’arriver à une fonction administrative quelconque.

 

CHAPITRE VINGTIEME 207

le prince ordonna qu’on lui amenât Korziya et quand il fut là
il lui dit : « Prends cet homme et veille sur ce méchant
vieillard. » C’était pour avilir Koychâ et l’humilier que le
prince agissait ainsi, car Korziya avait la langue affilée ; il
était fort expert en injures et en gros mots et Koychà lui
servit de cible.

On amena ensuite le Korko-Mondzo Sorko’, fils du (>f •)
Kala-Cha a : « vieillard, qui cours de sédition en sédition,
lui dit le prince, tu ne sortiras pas de mes mains tant que
tu ne m’auras pas énuméré, l’une après l’autre, toutes les
séditions auxquelles tu as pris part. — Jamais, répondit
le vieillard, dans aucune sédition on ne m’a fait un affront
pareil à celui que je subis aujourd’hui. — Va-t’en, lui ré-
pliqua le prince en riant, je te pardonne pour l’amour de
Dieu. ))

Puis ce fut le tour de Saïd-Màra, personnage maladif,
extrêmement maigre, mais médisant et déchirant volontiers
l’honneur de son prochain. Quand il fut en présence du prince,
celui-ci dit : « Voyez cet homme ; on pourrait le faire asseoir
à son aise sur le bout d’un bâton ^, etpourtantsi,desalangue
il piquait une pierre, il la transpercerait. » Appelant ensuite
le Kanka-Farma, il lui dit : « Emmène cet homme dans tous
les coins de la ville et fais sur lui la proclamation suivante :
Quiconque verra cet homme assis derrière la maison de Bita
ou le rencontrera allant par la ville au milieu ou à la fin de
la nuit, devra le frapper par le fer, car il est mis hors la loi.
Celui qui le rencontrerait et ne le tuerait pas laisserait vivre
un ennemi de Dieu et de son Prophète en même temps
qu’un de mes ennemis personnels. »

On promena Said-Mâra par la ville comme l’ordre en avait
été donné, mais, arrivé devant la grande mosquée, il se

1. Ou :Sorka.

2. Tant il est maigre et menu.

 

208 HISTOIRE DU SOUDAN

dégagea des liens qui le tenaient attaché à l’arçon de la selle
du héraut et pénétra dans la mosquée pour demander qu’on
intercédât en sa faveur. L’imam, ayant eu connaissance de
ce fait, se rendit auprès du prince pour intercéder en faveur
de cet homme. Le prince fit alors venir Saïd-Mâra et dit à
l’imam : « Tu peux te retirer, je lui pardonne. » Mais s’adres-
sant à l’imam, Saïd-Mâra lui dit : « Ne pars pas encore, car
j’ai une autre faveur à demander au nom de ton influence
et du caractère sacré de la grande mosquée. Puisqu’on a
annoncé publiquement que j étais hors la loi, je demande
qu’on fasse savoir de la même façon que j’ai obtenu mon
pardon. De la sorte tout le monde saura ce qui s’est passé
et je n’aurais pas à craindre d’être tué injustement, mes en-
nemis à Kâgho étant fort nombreux. » A ces mots, l’Askia
ne put s’empêcher de partir d’un grand éclat de rire et
donna des ordres pour qu’on fît droit à la requête qui venait
de lui être adressée.

Toutes ces affaires furent réglées, le prince ayant voulu
en finir en une seule fois avec tous ces gens-là. Il procéda
ensuite aux nominations suivantes : il investit Mahmoud-
ben-Ismaïl des fonctions de Kormina-Fâri : son frère Mo-
hammed-Kàgho fut nommé Balama’ ; Mohammed-Hayko,
fils du Faran Abdallah, fils du prince Askia-El-Hâdj-Moham-
med, devint Binka-Farma.

Ce dernier, ainsi que son frère, le Tonki-Farma, Tilili,
avait été doué par Dieu d’une beauté merveilleuse (nvn).
Jamais dans tout le Songhaï on n’avait vu deux hommes
aussi beaux. Quand ils se rendirent à Tombouctou la foule
les suivit pour les admirer.

Le prince nomma encore : Yenba-ould-Sàï-Oulou, Fâri-
Mondzo; El-Hasen fut promu Tombouctou-Koï ; Akmadhol,
frère de Tadakomadet, devint Maghcharen-Koï. Ce dernier
et El-Hasen furent les deux derniers sultans de leur nation

 

CHAPITRE VINGTIÈME 209

SOUS le gouvernement des Songhaï. El-Hasen fit acte de sou-
mission aux autorités arabes’, mais Akmadhol refusa jus-
qu’à sa mort de se soumettre aux conquérants.

Ensuite le prince fit mettre à mort son frère, Yâsiya-Boro-
Bir, fils de l’Askia Daoud. Ce meurtre injuste et inique fut
provoqué par un des courtisans du prince, le Yalbi”-Farma,
Bano-Idji, qui avait dénoncé Yâsiya comme cherchant à s’em-
parer du trône, alors que celui-ci était le meilleur des en-
fants de Daoud, qu’il se distinguait d’eux par son caractère
et par sa chasteté qui l’avait préservé de toute débauche,
chasteté qui faisait absolument défaut chez ses frères.

Le Bâghena-Fâri, Bokar était retourné à Tendirma où il
s’était placé sous la protection du jurisconsulte, le cadi
Mahmoud-Kouti, en lui demandant d’intercéder en sa faveur
auprès de l’Askia Ishaq. Son fils, Màrba, lui ayant reproché
cette démarche, il renonça à son projet et le père et le fils se
mirent en route pour le Kala où ils s’étabhrent dans une lo-
calité appelée Médina et y demeurèrent jusqu’à l’arrivée de
l’armée du pacha Djouder.

Sous ce règne mourut le Dendi-Fàri, Bokar-Chîli-Idji; il
fut remplacé dans ses fonctions de Dendi-Fàri par El-Mokh-
tar. Puis mourut également le Kala-Gha’a qui avait été
nommé par Askia-Mohammed-Bâno. Le Konti-Mondzo, El-
Hasen, vint alors au Songhaï solliciter ce poste qui était
vacant; il resta au Songhaï jusqu’à l’arrivée du pacha Djou-
der et la chute de la dynastie songhaïe.

En lannce 997 (20 novembre 1588-10 novembre 1589),
le prince fit une expédition contre Nenitanoko\ des païens
du Gourma et, au cours de cette expédition, mourut le
Binka-Farma, Mohammed-Hayko. A son retour à Kâgho,

 

1. C’eSl-à-dire aux autorités marocaines.

2. Ou: Yày}’i.

3. Ou : Neninatoko.

{Uhtoire du Soudaiii) 14

 

210 HISTOIRE DU SOUDAN

le prince lui donna pour successeur ‘Otsmàn-Dorfan\ fils
de Bokar-(NVv) Kirin-Kirin, fils du prince Askia-El-Iiâdj-
Mohammed; comme il était fort âgé à cette époque, il dit à
l’Askia : « Si ce n’était qu’on ne doit pas refuser une faveur
venant de vous, je n’accepterais pas ces fonctions à cause de
mon grand âge, car je faisais partie des quarante cavaliers’
choisis par Askia-Ishâq-Bir à Koukiya pour conduire sou fils
Abdelmalek à la maison du khatib à Kâgho, c’était au mo-
ment où Askia-lshâq désespérait de survivre à la maladie
qui occasionna sa mort. » Certes il avait raison de rappeler
cela, car cet Askia-lshâq (P’) ne fut jamais remplacé par un
successeur digne de lui^

En Tannée 998 (10 novembre 1589-30 octobre 1590), le
prince fitune expédition àTinfina chez les païens du Gourma.
Dans la première décade du mois de dzoïi’l-hiddja de cette
même année (l’^’-lO octobre 1590) mourut ma grand’mère,
la nièce de mon père; elle s’appelait Fatma-bent-Sid-Ali,
fils d’Abderrahman et était d’origine ansarienne*; elle fut
enterrée près du tombeau de son mari, mon grand-père
‘Imrân (Dieu leur fasse miséricorde. Amen !).

Durant l’année 999 (30 octobre 1590-19 octobre 1591)
le souverain fit une expédition contre Kala dont le sort le
préocupait vivement par suite de la nouvelle de l’arrivée de
l’armée du pacha Djouder ; mais ce dernier négligea de
s’occuper de cette localité et ne s’inquiéta pas de l’avoir
laissée sur ses derrières.

Depuis lejour où Askia-lshâq monta sur le trône jusqu’au

 

1. Le texte imprimé a Dar-Faran, ce qui est une erreur des copistes.

2. Voir ci-dessus, chap. xvi, p. U’)3.

3. Ce passage n’est pas très clair; Il semble que ‘Olsman veuille dire qu’il avait
mérité la confiance du prince Ishâq et que si Celui-ci eût vécu plus longtemps
il lui aurait confié de hautes fonctions, puisqu’il l’avait jugé digne d’une mis*
sion de confiance quarante ans plus tôt.

4; Descendants des Ansar ou Auxiliaires du Prophète Mahomet.

 

CHAPITRE VINGTIÈME 211

moment où ses troupes furent mises en déroute à la suite
de leur rencontre avec l’armée du pacha Djouder il
s’écoula trois ans et trente-quatre jours; et, depuis cette
déroute jusqu’au combat livré au pacha Mahraoud-ben-
Zergoun àZenzen, six mois et sept jours. On trouvera plus
loin, s’il plaît à Dieu, le récit de ces événements.

Au commencement [wr) de Tan 1000 (19 octobre lo91-
8 octobre 1592) Askia-Ishâq fut détrôné par Mohammed-
Kâgho qui s’empara du pouvoir souverain sur le Songhaï;
mais il ne le conserva que quarante jours seulement, après
quoi il fut fait prisonnier’ par le pacha Mahmoud et déposé
à son tour. Nous ne savons pas exactement combien il
s’écoula de temps entre la bataille de Zenzen et la déposition
d’Askia-Ishâq par Mohammed-Kàgho.

Renseignements complémentaires. — Le prince
Askia-El-IIàdj-Mohammed-ben-Abou-Bekr eut de nombreux
enfants, garçons et iilles. Plusieurs d’entre eux portèrent le
même nom. Ainsi Askia-Mousa, Mousa-Benbalo et le Karaï-
Farma Mousa. Trois s’appelèrent Otsman : le Kormina-
Fâri Otsmân-Youbàbo, Mour-‘Otsmân-Seyyidi, et ‘Otsmân-
Konkoro. Il y eut trois Mohammed : Mour-Mohammed-
Konbo, Mohammed-Kodira et Mohammed-Karaï ; trois Se-
liman : Seliman-Katenka, le Binka-FarmaSeliman-Kankâka
qui fut le dernier de ses enfants et naquit dans l’île de
Kankâka où son père était prisonnier et Seliman-Kendi-
Koraï; trois ‘Omar : ‘Omar-Koukiya, ‘Omar-Touto et Omar-
Youya ; trois Bokar : Bokar-Kouro, Bokar-Sîn-FilU et
Bokar-Kirin-Kirin ; trois Ali : Ali-Ouayyi, Ali-Kosir et le
Binka-Farma Ali-Yendi ‘-Kaniya.

Il eut encore d’autres enfants : le Hâri-Farma Abdallah,
le Faran Abdallah, frère germain de Ishâq-Bir, et des Askias
Isma’ïl, Ishaqet Daoud, leKormina-Fâri Ya qoub, Et-Tâher,

1. Ou: Bindi.

 

212 HISTOIUE DU SOUDAN

Mahmoud-Donkori, Mahmoud-Dondo-Miya, le Binka-Farma
Habîb-AUah, le Balama’ Khàled, Yâsiya, Ibrahim, Fâma a,
Yousef-Kaï, etc…(\vi).

Parmi ses filles on compte : Oiiaïza-Bàni, Ouaïza-Idji-
Hâui, Ouaïza-‘Aïcha-Kara, Ouoïza-Hafsa, ‘Aïcha-Benkau,
mère du Balama’ Mohammed-Korbo^ ‘Aïeha-Kara, mère du
Balama’ Mohammed, Ao, Bansi, Hâouadâkoï, mère du Ilon-
bori-Koï Mansa, Hâoua-Adam, fille de Tanbâri, Maka-Mauri,
Maka-Mâsina, Farâsa, mère du Dirma-Koï Mânenka*,
Kiboro, sœur germaine de l’Askia-lsmail, Sofi-Kara, Dadel,
Yàna-Hosar\ Fati-Hïndo, mère de Abderrahman, Fati-
Idji, Fati-Ouaïno et Kara-Toudjili, mère de Seyyid-Kara.

Quant à son père, il s’appelait Abou-Bekr et on le surnom-
mait Bar, suivant les uns et suivant d’autres Thouranki ou
Silenki; sa mère s’appelait Kasaï et ses frères étaient : le
Kormina-Fâri ‘Omar-Komzâgho et le Kormina-Fâri Yahya.
Son frère ‘Omar eut comme enfants : Askia-Mohammed-
Benkan, le Kormina-Fâri ‘Otsmân-Tinfirin, le Binka-Farma
‘Ali-Zolaïl, Mohammed-Benkan-Koumà et Elfeqqi-Donko.

La mère de Askia-Mousa se nommait Zâra-Koboronki ;
elle fut d’abord suivante chez le Koboro-Koï qui la rendit
enceinte d’un enfant qui fut sultan ; elle devint ensuite la
captive de Askia-Mohammed-El-Hâdj qui, avant de monter
sur le trône, eut d’elle aussi un enfant, Askia-Mousa. Enfin le
Boussa-Koï, devenu maître de cette femme à la suite d’un
combat qu’il avait livré à l’Askia, eut également d’elle un
enfant qui devint sultan de Boussa.

La mère de l’Askia-Isma’ïl était ouankorée; elle se
nommait Meryam-Dabo ; celle de l’Askia Ishâq-Bir était du
Dirma et avait nom Keltoum: celle de l’Askia-Daoud, Sàna-
Fàri, était la fille du Fàri-Koï; celle de l’Askia Mohammed-

1. Ou : Mânenki*

2. Ou : Hoson

 

CHAPITRE VINGTIEME 213

Benkan s’appelait Amina-Kiraï’ ; celle de l’Askia El-Hàdj,
fils de Daoïid, se nommait Amina-Qàya-Barda; celle de l’Askia
Mohammed-Bàno, Amisi-Kâra; celle de l’Askia Ishaq-Ze-
ghrâni, Fatma-(Nro) Boso, la Zeghrânienne ; la mère de El-
Hàdi était Zabir-Benda; celle du Kormina-Fàri ‘Otsmân-
Youbâbo, Kamsa-Mimenkoï ; celle de ‘Otsmân-Tinfirin,
Tàti-Za’aiiki; celle du Kormina-Fàri Hammâd, Aryao, sœur
de l’Askia Mohammed-El-Amir. Le père du Kormina-Fari
Hammâd était le Balaraa’ Mohammed-Kiraï et son frère
Masouso fut le père de Mohammed-Bejichi-Idji.

Le premier Kormina-Fâri fut ‘Omar-Komzâgho ; ses suc-
cesseurs furent : Yahya ; Otsman-Youbâbo ; Mohammed-
Benkan-Kirya ; son frère Otsman-Tinfirin ; Hammâd ‘-Aryao,
fils du Balama’ Mohammed-Kiraï; Ali-Kochira; Daoud;
Kochiya; Ya’qoub; Mohammed-Benkan-; El-Hàdi; Sâlah et
Mahmoud-ben-Isma’ïl.

Le premier Balama’fut Mohammed-Kiraï, qui fut tué par
Askia-Mousa au moment où il se rendait au village de
Mansour; il eut pour successeurs : Mahmoud-Dondomiya,
fils de l’émir Askia-El-Hàdj-Mohammed ; Hammâd, fils de
Aryao; Ali-Kochira; Kochiya; Khàled; Mohammed-ould-
Della; Mohammed-Oua’o-ould-Da’anka-Koï; Hâmed, fils de
TAskia-Daoud, ce Balama’ fut ré voqué par Askia-Mohammed-
Bâno et interné à Dienné où il demeura jusqu’à sa mort.
Après lui vinrent : Mohammed-Es-Sàdeq et ‘Mohammed-
Kâgho^

Le premier Binka-Farma fut Ali-Yamra; après lui vinrent
successivement: Bella; Bârkona,père de Amina-Qàya, mère
de El-Hâdj ; ce personnage n’était point digne de la fonction

 

i.Oii : Kirao.

2. Plus haut on trouve la forme jUfc, Hemâdou, qui doit être une erreur Cf.
ci-dessus, p. loS, note 2.

3. Ou : « Markan » qui était son surnom.

 

21 i HISTOIRE DU SOUDAN

qu’il occupait; il eut pour successeurs : Ali-Bindi*-Kamya,
fils de l’émir Askia-El-Hâdj-Mohammed : sa mère, une es-
clave-mère, Adjor, était du pays de Kiso. Incapable de rem-
plir ses fonctions, ce Binka-Farma fut révoqué par Askia-
Ishâq et alla vivre chez les maîtres de sa mère {\\’^). Les
fonctions de Binka-Farma furent ensuite occupées par
Bokar-Bir-ben-Mour-Mohammed-ben-Askia-Mohammed qui
les exerça longtemps : elles passèrent après cela h Ali-Zolaïl le
juste, puis à Seliman-Kankàka qui fut révoqué par Askia-El-
Hâdj et exilé à Dienné où il demeura jusqu’à sa mort; enfin
à Mahmoud-ben-lsma ïl; à Mohammed-Heïka et à Otsman-
Dorfen.

L’Askia Daoud eut un grand nombre d’enfants, garçons
et filles; parmi les garçons six porteront le nom de Moham-
med ; ce furent : Mohammed-Benkan ; El-Hàdj-Mohammed;
Mohammed-Bâno; Mohammed-EsSâdeq; Mohammed-Kâgho
et Mohammed-Sorko-Idji. Deux s’appelèrent Hâroun : Ilâ-
roun-Denkataya et Hâroun-Fâta-Tourâdji. Les autres en-
fants furent Hàmed; El-Hàdi; Sâlah; Nouli; El-Mostafa;
Ali-Tondi ; Mahmoud-Forâro-ldji ; Ibrahim qui alla à Maroc;
Uako; Eliâs-Kouma; Sahnoun; Ishâq; Idris; Mârenfa-Ansa ;
El-Amin; Yâsi-Boro-Bîr; San; Selimân-Zoouo ; Dzou’1-Kifl,
etc.

Parmi les filles on peut citer : Bita, qui épousa le Magh-
charen-Koï Mahmoud-Bîr-El-Hâdj-ben-Mohammed-El-Laïm ;
Kâsa, la femme du Djinni-Koï Youba’la^ qui alla à Maroc;
Fati, femme de Sâtoka; Ouaïza-Hafsa; Ouaïza-Akaïbano^;
Hafsa-Kimàri. Les ulémas, les jurisconsultes, les négociants
et les chefs de l’armée en épousèrent un grand nombre.

 

1. Ou : « Komzâgho ».

2. C’est par erreur que le texte imprimé met devant ce nom la conjonction
« et », ce qui en ferait un personnage autre que le Djinni-Koï.

3. Ou : « Akaïbono ».

 

CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME 215

Le KorminaFâri Mohammed-Benkan , fils de l’Askia-
Daoud, eut, d’après ce que nous savons, quatre enfants mâles :
‘Omar-Bîr; ‘Omar-Kato; Yenbo-Koïra-Idji et Saïd qui alla
à Maroc où il fut élevé au rang d’Askia et où il est encore
aujourd’hui.

D’après nos informations , Askia-El-Hâdj-Mohammed,
autre fils de l’Askia Daoud, eut trois enfants, dont deux mâles :
Mohammed et Hâroun-Er-Rechid ; ce dernier fut Askia sous
la domination arabe. Le troisième enfant, qui était une fille,
s’appelait Fâti-Touri ; elle alla à Maroc et mourut dans cette
ville où moururent également les deux autres enfants.

 

CHAPITRE XXI (Ntv)

VENUE DU PACHA DJOUDER AU SOUDAN

Djouder était de petite taille et avait les yeux bleus. Voici les circonstances qui occasionnèrent sa venue : Il y avait un certain Ould-Kirinfil qui était un des serviteurs du prince du Songhaï. Son maître, le souverain Askia-Ishâq, fils du prince Askia-Daoud, fils du prince Askia-EI-Hâdj-Mohammed, irrité contre lui, lavait envoyé, pour y être interné, à Teghâzza, localité qui faisait partie des Etats des roi du Songhaï et
était administrée par eux.

Or le destin voulut que Ould-Kirinfil parvînt à s’échapper de cette localité où il était interné et réussît à se rendre dans la cité rouge de Merrâkech.Son dessein était de se présenter au souverain du pays, le chérif Maulay Ahmed-Edz-Dzehebi, mais celui-ci avait, à ce moment, quitté Merrâkech et se trouvait à Fez où il était allé châtier les chérifs de cette ville.

Il avait fait crever les yeux aux révoltés et bon nombre d’entre eux succombèrent à ce supplice. (Nous appartenons à Dieu et c’est vers lui que nous devons retourner.) Il avait agi ainsi en vue d’avantages purement temporels. (Dieu nous préserve d’un pareil sort!)

Ould-Kirinfil demeura à Merrâkech; de là il écrivit au souverain marocain une lettre dans laquelle il l’informait de son arrivée et lui donnait des nouvelles du pays du Songhaï dont les habitants, disait-il, étaient dans une situation déplorable à cause de la bassesse de leur nature. 11 engageait donc vivement Maulay Ahmed à s’emparer de ce pays et à l’arracher des mains de ses maîtres.

Aussitôt qu’il eut reçu cette lettre, Maulay Ahmed écrivit à son tour au prince Askia-Ishâq, lui annonçant qu’il comptait se rendre dans son pays, que, pour le moment, il était à Fez loin de sa capitale, mais que, si Dieu voulait, l’Askia pourrait, par le document joint à sa lettre, connaître ses intentions. Et, entre autres choses, Maulay Ahmed, dans ce document, demandait qu’on lui abandonnât l’exploitation de la mine de sel de Teghâzza, mine que, plus que tout autre, il avait droit de posséder puisque c’était grâce à lui que ce pays était défendu et protégé contre les incursions des infidèles chrétiens, etc. Ces dépêches expédiées par messager arrivèrent dans la ville de Kâgho pendant que le souverain était encore à Fez, au mois de safar de l’année 998 de la fuite du Prophète (que sur lui soient les meilleurs saints et bénédictions!) (10 décembre 1589-8 janvier 1590). J’ai vu moi-même l’original de ces documents. Maulay Ahmed retourna ensuite à Merrâkech. La neige fut si abondante au cours de ce voyage qu’il faiiht périr en route(N va) ; grand nombre de ses gens perdirent les mains ou les pieds par suite du froid et Ton arriva à la capitale dans le plus fâcheux état. Demandons à Dieu qu’il nous épargne ces épreuves.

Non seulement le prince Askia-Ishâq ne consentit pas à abandonner la mine de ïeghâzza, mais encore il répondit en termes violents et injurieux et envoya en même temps que sa réponse des javelots et deux chaussures de fer. Aussitôt que ce message lui parvint, Maulay Ahmed décida d’envoyer une armée faire une expédition dans le Soudan, et l’année suivante, c’est-à-dire au mois de moharrem qui commença l’année 999 (novembre 1590), il mit en marche contre le Songhaïun important corps d’armée comprenant 3. 000 hommes d’armes, tant cavaliers que fantassins, accompagnés d’un nombre double de suivants de toute sorte, ouvriers de divers genres, médecins, etc.

Le pacha Djouder fut mis à la tête de cette expédition; il avait avec lui une dizaine de généraux, le caïd Mostafa-Et-Torki,lecaïd Mostafa-ben-Asker, le caïd Ahmed-El-Harousi- El-Andelousi, le caïd Ahmed-ben-El-Haddâd-El-‘Amri, chef de la gendarmerie, le caïd Ahmed>ben-‘Atiya, le caïd ‘Ammâr-E]-Feta le renégat, le caïd Ahmed-ben-Yousef le renégat, et le caïd ‘Ali-beu-Mostafa le renégat, ce dernier, qui fut le premier chef marocain investi du commandement de la ville de Kâgho, périt en même temps que le pacha Mahmoud-ben-Zergoun, lorsque celui-ci fut tué à El-Hadjar. Enfin le caïd Bou-Chiba-El- Amri et le caïd Bou Gheïta-El-‘Amri. Deux lieutenants-généraux commandaient les deux ailes de l’armée: Ba-Hasen-Friro,le renégat, l’aile droite et Qâsem-Waradououï-El-Andalousi, le renégat, l’aile gauche. Tels sont les généraux et lieutenants qui partirent avec Djouder.

Le prince marocain annonça à ses généraux qu’il résultait des calculs divinatoires que le pays de Songhaï devait cesser d’être dominé par les Soudanais et que son armée devait s’emparer d’une certaine partie de ces contrées. L’armée se mit ensuite en marche vers le Songhaï.

Dès qu’il eut conuaissance de la nouvelle (NV^)du départ de cette armée, le prince Askia-Ishâq réunit ses généraux et les principaux personnages de son royaume afin de les con- sulter sur les mesures à prendre et leur demander leur avis ; mais chaque fois qu’un conseil judicieux fut donné on s’empressa de le rejeter. Dieu, dans sa prescience, avait décidé ainsi que ce royaume disparaîtrait et que cette dynastie s’effondrerait : nul ne peut repousser ce qu’il a décidé, ni faire obstacle à ses décisions.

Il se trouva qu’à ce moment Hammou-ben-Abd-el-Haqq- Ed-Der’i était venu en voyage à Kâglio. Le prince Askia donna au cheikh Ahmed-Touïreq-Ez-Zobeïri l’ordre d’arrêter et de mettre en prison Hammou, bien que celui-ci fut l’agent du Songhaïà Teghàzza, sous prétexte qu’il n’était venu à Kâgho qu’afin de servir d’espion au souverain marocain Ahmed-Edz-Dzehebi. L’ordre fut exécuté et Hammou fut jeté en prison ainsi que Rafi’, Ahmed-Nini-Bir et El-Harrouchi,père de Ahmed-El-Amdjed.

Les troupes marocaines atteignirent le Niger dans le voisinage du bourg de Karabara. Elles s’arrêtèrent en cet endroit où Djouder donna un grand repas pour célébrer leur heureuse arrivée au bord du Fleuve. Le fait que ces hommes étaient arrivés là sains et saufs faisait présager que l’entreprise réussirait et que le succès couronnerait les efforts de leur chef. Cet événement eut lieu le mercredi, 4 du mois de djomada II de l’année 999 de l’hégire (30 mars 1591) ainsi qu’il a été dit précédemment.

L’armée ne passa pas par la ville de Araouân, mais elle passa à l’est de cette localité. Sur sa route elle rencontra les chameaux de Abdallah-ben-Chaïn-El-Mahmoudi; Djouder prit de ces chameaux la quantité qui lui était nécessaire, puis Abdallah partit aussitôt pour le Maroc et se rendit à Merrakech auprès de Maulay Ahmed à qui il se plaignit de l’iniquité dont il avait été ainsi la victime. Ce fut lui qui annonça le premier l’arrivée de Tarmée marocaine au bord du Niger. La première personne dont le prince lui demanda des nouvelles fut Ba-Hasen. «Ba-Hasen, répondit-il, est peut-être bien portant. » Ensuite le prince s’informa du caïd Ahmed-ben-El-Haddâd et du pacha Djouder. Puis il écrivit à ce dernier de payer la valeur des chameaux qu’il avait pris.

Les Marocains reprirent ensuite leur marche; ils se dirigèrent (m») vers la ville de Kâgho et rencontrèrent sur leur route le prince Askia-Ishâqà un endroit appelé fenkon dibo’o, près de Tonbodi. Le prince songhaï était à la tête de 12.500 cavaliers et 30.000 fantassins. La réunion de ces troupes ne s’était pas faite plus tôt parce que les gens du Songhaï ne pouvait croire à la nouvelle de l’expédition et qu’ils avaient attendu son arrivée sur les bords du Fleuve.

La bataille s’engagea le mardi, 17 du mois indiqué précédemment (12 avril). En un chn d’oeil les troupes de l’Askia furent mises en déroute. Parmi les personnes notables qui périrent dans cette bataille on cite parmi les cavaliers : le Fondoko Boubo-Meryama, l’ancien chef duMàsina révoqué; le Cha’-Farma Ali-Djâouenda ; le Binka-Farma ‘Otsmân-Dorfan-ben-Bokar-Kirin-Kirin, le fds du prince Askia-El-Hâdj-Mohamraed ; il était alors très âgé et Askia-lshâq l’avait nommé Binka-Farma lorsque le Binka-Farma Mohammed-Heika était mort, ainsi que nous l’avons dit, dans l’expédition de Nemnatako.

Il périt également ce jour-là un grand nombre de personnages parmi les fantassins. Quand l’armée fut défaite ils jetèrent leurs boucliers sur le sol et s’accroupirent sur ces sortes de sièges, attendant l’arrivée des troupes de Djouber qui les massacrèrent dans cette attitude sans qu’ils fissent résistance et cela parce qu’ils ne devaient point fuir en cas
de déroute. Les soldats marocains leur enlevèrent les bracelets d’or qu’ils avaient au bras.
Askia-Ishâq tourna bride et s’enfuit avec le reste de ses troupes; puis il manda aux gens de Kâgho de quitter la ville et de fuir de l’autre côté du Niger dans la direction du Gourma; il envoya également la même recommandation aux habitants de Tombouctou et, poursuivant sa route sans passer par Kâgho, il arriva en cet équipage à Koraï-Gourma.

Arrivé là, il y campa avec le reste de ses troupes, au milieu des pleurs et des lamentations. Ce fut au milieu de cris et de vociférations que l’on commença à grand’peine à traverser le Fleuve dans des barques. Dans la bousculade qui se produisit beaucoup de gens tombèrent dans le Fleuve et y périrent (> t n); on perdit en outre une quantité de richesses telle que Dieu seul en connaît la valeur.

Quant aux gens de Tombouctou, il leur fut impossible de quitter la ville et de traverser le Niger à cause des obstacles qu’ils rencontrèrent et des difficultés de la situation. Seuls, le Tombouctou-Mondzo Yahya-ould-Bordam et les serviteurs de l’Askia qui se trouvaient là quittèrent la ville et allèrent camper à Elkif-Kindi, localité voisine de ïouya.

Le pacha Djouder poursuivit sa route avec son armée jusqu’à Kâgho. 11 ne restait plus personne dans cette ville sinon le khatib Mahmoud-Darâmi, vieillard âgé à cette épo- que, et les étudiants et négociants qui n’avaient pu sortir et prendre la fuite. Le khatib Mahmoud vint au-devant des Marocains; il leur souhaita la bienvenue, leur témoigna de la déférence et leur offrit une magnifique et large hospitalité. Il eut avec le pacha Djouder des conférences et de longs entreliens au cours desquels on lui témoigna les plus grands égards et la plus haute considération.

Djouder manifesta le désir de pénétrer dans le palais du prince Askia-Ishâq; il fit en conséquence venir des témoins et, quand ils furent là, il entra avec eux dans le palais; mais, après avoir tout visité et examiné de façon à s’en bien rendre compte, il lui parut que tout cela était bien misérable.

Le prince Askia-Ishâq envoya demander au pacha de traiter avec lui. Il s’engageait à faire remettre par Djouder au souverain marocain Maulay Ahmed 100.000 pièces d’or et 1.000 esclaves. En retour le pacha devait lui abandonner le pays et ramener son armée à Merrâkech. Djouder fit répondre qu’il n’était qu’un esclave docile et qu’il ne pouvait agir que sur l’ordre du souverain, son maître. Puis, d’accord avec les négociants de son pays, il écrivit en son nom et en celui du caïd Ahmed-ben-El-Haddâd pour transmettre ces propositions, après avoir eu soin de dire que la maison du chef des âniers au Maroc valait mieux que le palais de l’Askia qu’il avait visité. Cette lettre fut portée à destination par Ali-El-‘Adjemi qui était bachoud à cette époque.

Djouder ramena ses troupes àTombouctou où il attendit la réponse du sultan du Maroc. 11 n’était resté, si je ne me trompe, que dix-sept jours à Kâgho. On arriva à Mosa-Benkole(> ir) mercredi, dernier jour du mois de djomada II (24 avril 1591); on en repartit le jeudi, l^’ du mois de redjeb l’unique (25 avril), puis on alla camper sous les murs de Tombouctou du côté du sud et l’on resta en cet endroit trente-cinq jours.

Le cadi de Tombouctou, le jurisconsulte Abou-Hafs-‘Omar, fils du saint de Dieu, le jurisconsulte, le cadi Mahmoud, envoya le muezzin, Yahma, saluer le pacha, mais il ne lui offrit pas la moindre hospitalité contrairement à ce qu’avait fait le khatib Mahmoud-Daràmi lorsque les Marocains étaient arrivés à Kâgho. Djouder fut vivement irrité de cette réception;

1. Ce lilrc, dont les dictionnaires ne donnent pas la signification, semble
désigner des officiers chargés plus spécialement de transmettre les dépêches ou
communications importantes. Peut-être cependant le motbâchoud n’est-il que la
forme arabisée du mot oda-bàchi devenu bàch-oda, puis bâch-od.

néanmoins il^ envoya toutes sortes de fruits, dattes, amau-
des, ainsi que beaucoup de cannes à sucre; puis il fit endos-
ser au cadi un manteau de drap rouge écarlate”. Les gens
sensés n’augurèrent rien de bien de tout cela, et l’événe-
ment confirma leurs prévisions.

Les Marocains entrèrent dans la ville de Tombouctou le
jeudi, 6 du mois de cha’ban, le brillant (30 mai 1591); ils
parcoururent la ville dans tous les sens et reconnurent que
le quartier le plus florissant était celui des Ghadamésiens.
Ils le choisirent donc pour y installer la casbah dont ils
commencèrent la construction, après avoir expulsé de leurs
maisons un certain nombre de personnes du quartier.

Djouder fit alors sortir de prison Hammou-ben-Abd-el-Haqq-Ed-Der’i et lui confia les fonctions à’amin au nom du sultan Maulay Ahmed. Quant à Râfi’et à Ahmed-Nini-Bîr, ils étaient morts tous deux avant son arrivée à Kâgho. Le pacha avait donné quarante jours de délai, tant pour aller à Merràkcch que pour en revenir, au bâchoud Ali-El-‘Adjemi.

Quand l’armée marocaine était arrivée au Soudan elle avait trouvé ce pays un des plus favorisés de Dieu par la richesse et la fertilité. La paix et la sécurité régnaient partout dans toutes les provinces grâce au souverain le très fortuné, le béni, le prince des Croyants, Askia-El-Hàdj-Mohammed-ben-Abou-Bekr, dont la justice, la fermeté s’étendaient partout, en sorte que ses ordres accomplis sans peine dans son palais s’exécutaient avec autant de facihté sur tous les points les plus éloignés de l’empire, des frontières du pays de Dendi à celles du pays de El-Hamdiya,des confins du pays de Bindoko à Teghâzza et au Touât ainsi que dans toutes leurs dépendances.

 

1. Ce passage esl si mal rédigé qu’on ne sail exactemenl si ce lui DJoudcr ou
le cadi qui envoya ces Triandiscs.

2. Ce mol csl ainsi écril el vocalisé dans le Icxlc Si^L « sacarlâd ».

 

CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME 223

Tout changea à ce moment (\i^) : le danger fit place à la
sécurité; la misère à l’opulence; le trouble, les calamités et
la violence succédèrent à la tranquillité. Partout les gens
s’ entre-dé vorèrent ; en tous lieux et en tous sens les rapines
s’exercèrent et la guerre n’épargna ni la vie, ni les biens,
ni la situation des habitants. Le désordre fut général, il se
répandit partout, s’élevant au plus haut degré d’intensité.

Le premier qui donna le signal de ces violences fut Sanba-
Lamdou, le chef de Donko; il ruina le pays de Ras-el-mà; il
s’empara de tous les biens, fit périr un certain nombre d’ha-
bitants et réduisit en esclavage quantité d’hommes libres.
Son exemple fut suivi parles Zaghrâniens qui dévastèrent le
pays de Bara et celui de Dirma. Quant au territoire de Dienné
il fut saccagé de la façon la plus horrible par les Bambaras
idolâtres qui, à Test comme à l’ouest, au nord comme au
sud, détruisirent tous les village, pillèrent tous les biens et
firent des femmes hbres leurs concubines avec lesquelles ils
eurent des enfants qui furent élevés dans la religion des
mages* (Dieu nous préserve dételles calamités!). Toutes ces
atrocités furent exécutées sous la direction du Ghâ’a-Koï,
de Qàsem, fils du Binka-Farma Alou-Zolaïl-ben-Omar-
Komzàgho,le cousin paternel du Bâghena-Fâri et de Bohom,
fils du Foudoko Boubo-Maryama, du Mâsina.

Parmi les chefs païens qui conduisaient ces hordes de bri-
gands on cite : Mansa-Sàma dans le pays du Fadoko^ ; Qâïa-
Bâbo, dans le pays de Koukiri, du côté de Kala. Du côté
du Chili et du Bindoko, on trouvait : Salti-Sanba-Kisi, le
Peul, à la tête de la tribu des Ourourbi ; Salti-Yorobara, père
de Hamda-Soulo, le Peul, à la tête de la tribu des Djaloubi
établis du côté de Foromàn; Mansa-Magha-Ouli , père de
Kin’i-Koï, un des douze sultans du Bindoko, nombre égal à

i. Ce mot est pris ici dans le sens de fétichistes ou païens.
2. Ou « Fadiio ».

 

224 HISTOIRE DU SOUDAN

celui qu’ils étaient dans le pays de Kala,et Bonkouna-Kendi,
etc.

Ces troubles se renouvelaient sans cesse et allaient tou-
jours en grandissant, tandis que, depuis le jour où le prince
Askia-El-Hâdj-Moharamed était monté sur le trône du Son-
ghaï f\ti), aucun des chefs d’aucune région n’avait osé
s’attaquer aux souverains du pays, tant Dieu leur avait dé-
parti de force, de vigueur, d’audace, de courage et de ma-
jesté. Bien, au contraire, c’était le prince qui allait attaquer
ces chefs dans leur pays et le plus souvent Dieu lui accor-
dait la victoire, ainsi qu’on l’a vu dans les récits de l’histoire
du Songhaï.

Les choses durèrent ainsi jusque vers le moment où la
dynastie songhaïetira à sa fin et où son empire cessa d’exis-
ter. A ce moment la foi se tranforma en infidélité ; il n’y eut
pas une seule des choses défendues par Dieu qui ne fut pra-
tiquée ouvertement. On but du vin ; on se livra à la sodo-
mie et quant à l’adultère il était devenu si fréquent que sa
pratique semblait devenue hcite. Sans lui pas d’élégance,
pas de gloire : c’était à tel point que les enfants des sultans
commettaient l’adultère avec leurs sœurs.

On raconte que le fait se produisit la première fois à la fin
du règne du sultan, le juste, le prince des Croyants, Askia-
El-Hâdj-Mohammed, et que ce fut son fils Yousef-Koï qui
imngina ce genre de débauche. Quand le pèreappritla chose
il entra dans une violente colère et maudit son fils en deman-
dant à Dieu qu’il le privât de sou membre viril avant d’en-
trer dans l’autre monde. Dieu cxauçacevœu et une maladie
fit perdre au jeune prince l’organe de sa virilité. (LeCielnous
préserve d’un pareil sort!) La malédiction s’étendit au fils de
Yousef, Arbinda, père du Bana-Koï* Ya’qoub, car à la suite

i. Ms. C. donne « Toni-Koi ».

 

CHAPITRE VINGT-ET-UNIEME 225

de la même maladie il perdit également son membre viril vers
la fin de sa vie.

C’est à cause de ces abominations que Dieu se vengea en
attirant sur le Songhaï l’armée marocaine victorieuse; il la
fit venir d’une contrée très lointaine, au milieu de terribles
souffrances. Alors les racines de ce peuple furent séparées
du tronc et le châtiment qu’il subit fut un de ceux qui sont
exemplaires.

Revenons maintenant au récit des propositions de paix
dont nous avons parlé. Le bâchoud ‘Ali-El-‘Adjemi, envoyé
par Djouder, arriva auprès du sultan Maulay Ahmed et lui
fit connaître le premier la nouvelle de la conquête du Sou-
dan. Quand le sultan eut lu la lettre qui lui était adressée il
entra dans une violente colère ; il révoqua sur-le-champ
Djouder de ses fonctions et le remplaça par le pacha Mahmoud-
ben-Zergoun qui partit à la tête de 80 soldats, emmenant
avec lui, comme secrétaire, Mâmi-ben-Berroun et, comme
chaouch, Ali-ben-‘Obéïd.

Le nouveau pacha reçut l’ordre de chasser Askia-Ishâq du
Soudan, de faire mettre à mort le caïd Ahmed-ben-Kl-Had-
dad-El-‘Amri parce qu’il avait été d’accord avec Djouder pour
parler de paix. La lettre annonçant aux troupes la décision
concernant le caïd fut remise au pacha. Mais les chérifas’ et
les principaux [\ i o) chefs de l’entourage du prince, ayant sol-
licité la grâce de Ahmed-ben-El-Haddâd, réussirent à l’ob-
tenir et demandèrent qu’une nouvelle lettre fût envoyée à ce
sujet. Cette seconde lettre contenant le pardon fut écrite et
elle parvint au caïd Ahmed-ben-El-Haddâd avant la pre-
mière. En la recevant, il donna un dhier auquel il conviâtes
lieutenants-généraux et les bâchoud et les informa de ce qui
s’était passé. Puis il donna 100 mitsqâls à chacun des lieu-
tenants-généraux et fit des libéralités à chacun des bâchoud.

1. Les femmes de la cour, filles ou femmes du souverain.

{Histoire du Soudan.) If»

 

226 HISTOIRE DU SOUDAN

Ceux-ci lui annoncèrent alors qu’il ne lui arriverait aucun
désagrément du moment que la lettre de grâce avait devancé
l’autre. Le soir, en effet, quand l’ordre de mettre à mort le
caïd arriva, ils s’interposèrent entre lui et le pacha Mahmoud-
ben-Zergoun et délivrèrent leur ami en invoquant l’ordre
naturel des choses.

Le vendredi, 26 du mois de chaoual de l’année 999 (17
août 1591), Mahmoud arriva à Tomboucton accompagné du
caïd Abd-El-‘Ali et du caïd Hammou-Barka. Il révoqua aus-
sitôt Djouder et prit le commandement de l’armée. Dans le
feu des reproches et dans l’emportement de sa colère il
avait été jusqu’à demandera Djouder ce qui l’avait empêché
de poursuivre l’Askia. Et comme l’ancien pacha donnait pour
excuse qu’il n’avait pas de barques, Mahmoud se mit à en faire
construire. Puis ne trouvant aucun moyen d’arriver à justi-
fier la mort du caïd Ahmed-ben-El-Haddâd, il le révoqua de
ses fonctions pour les donner au caïd Ahmed-ben- Atiya. Il
agit ainsi parce que, d’une part, Ben-Atiya et Ben-EI-Haddâd
étaient ennemis l’un de l’autre et que, d’autre part, ce dernier
était l’ami du pacha Djouder. C’était donc surtout la haine
qu’il avait contre Djouder qui avait guidé le pacha Mahmoud-
ben-Zergoun dans cette circonstance.

Mahmoud décida ensuite de marcher contre Askia-Ishâq.
Il s’occupa tout d’abord de se procurer des barques, car le
directeur du port, Mondzo-El-Fa’-ould-Zerka, les avait toutes
emmenées lors de sa fuite du côté de Binka, lorsque Askia-
Ishâq avait mandé aux habitants de Tombouctou d’évacuer
cette ville. On coupa donc les grands arbres qui se trouvaient
dans l’enceinte de la cité, on les transforma en planches,
puis on arracha tous les grands vantaux (ma) des portes des
maisons et en assemblant le tout on construisit deux barques.
La première de ces barques fut lancée dans le Fleuve le ven-
dredi, 3 du mois sacré de dzou ‘l-qaada de cette année

 

CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME 227

(23 août 1591); la seconde fut lancée un vendredi également,
le 17 du même mois (6 septembre).

Le lundi, 20 de ce mois (9 septembre), Mahmoud à la
tête de toutes ces troupes sortit de la ville; il avait avec lui
Djouder le pacha révoqué et tous les caïds, sauf le caïd El-Mos-
tafa-Et-Torki qu’il délégua à la garde de Tombouctou avec
l’amin Ilammou-Haqq ‘-Ed-Der’i. On campa hors des murs
de la ville du côté de l’est et on resta là jusqu’à la fin du
mois ; puis on se remit en route le samedi, 2 du mois sacré
de dzou’l-hiddja, le dernier mois de l’année 999 (21 septem-
bre 1591).

Mahmoud campa d’abord à Mosa-Banko ; de là il alla
camper ensuite à Sihinka où il séjourna pour y faire la
prière de la fête des sacrifices “^ Il fit alors demander au cadi
Abou-Hafs-‘Omar de lui envoyer quelqu’un pour présider à
cette prière et le cadi lui envoya Timam Sa ïd, fils de l’imam
Mohammed-Kidâdo. Celui-ci dirigea la prière de la fête et
Mahmoud lui assigna ensuite le poste d’imam dans la mos-
quée de la casbah, poste que Sa’ïd conserva jusqu’à l’époque
où il mourut.

Après la fête, Mahmoud reprit sa marche pour aller com-
battre Askia-Ishâq. Celui-ci, qui était alors au Bornou, ayant
appris la venue de l’ennemi, se porta à sa rencontre. Les
deux adversaires se rencontrèrent à Banba, le lundi, 25 du
mois précité (14 octobre 1591), et la bataille s’engagea près
de la colline de Zenzen. Défait de nouveau par le pacha
Mahmoud, Askia-Ishâq s’enfuit en complète déroute. Parmi
les personnes de son armée qui succombèrent ce jour-là se
trouvait le Fàri-Mondzo Yenba-ould-Saï-Oulo, dont la mère
était une princesse. Askia-Ishâq lui donna pour successeur
San-ould-Askia-Daoud.

1. On a vu ci-dessus qu’il laul lire Hammou-ben-Abd-el-Haqq.

2. Fête qui a lieu le 10 du mois de dzou ‘1-hiddja.

 

228 HISTOIRE DU SOUDAN

Après cette nomination, qui fut la dernière de son règne,
Askia-Ishâq se dirigea vers le pays de Dendi et campa à
Karaï-Gonrma. Au cours de la défaite qu’on venait de subir,
le Balama’ Mohammed-Kâgho, fils de Askia-Daoud, fut at-
teint d’une balle et devint gravement malade. Askia-Ishâq
lui enjoignit alors de se tenir dans un poste avancé ‘ qu’il lui
désigna, tandis qu’il assignait au Baraï-Koï Malki(Mv) un
autre poste de même nature. Le Baraï Koï Malki reçut en
outre l’ordre de diriger une expédition contre les Peuls
établis à Onso’o, ce qui fut fait.

Dans le poste où il était, le Baraï-Koï Malki avait avec lui
un certain nombre de frères de l’Askia-Ishâq que celui-ci
avait révoqués de leurs fonctions au cours de l’expédition de
Tonfîna à cause de la lâcheté dont ils avaient fait preuve à
ce moment. Craignant que ses frères ne s’enfuissent et allas-
sent rejoindre l’ennemi, Askia-Ishâq écrivit au Baraï-Koï de
les incarcérer, mais ceux-ci ayant cuvent delà chose prirent
la fuite dans la direction deKâgho. Parmi eux figuraient entre
autres : Ali-Tondi, Mahmoud-Forâro-Idji, Borhom, Selimâo,
tous fils du prince Askia-Daoud. Le pacha Mahmoud-ben-
Zergoun, avec son armée, les poursuivit jusqu’à Koukiya;
puis arrivé en cet endroit il y campa.

Au moment où il battait en retraite, à la suite de sa se-
conde défaite, Askia-Ishâq avait envoyé à Tombouctou un
de ses agents. Celui-ci arriva dans cette ville le vendredi soir,
l”du mois de moharrem, le mois initial de l’an 1000 de
l’hégire du Prophète (que la meilleure des bénédictions et le
plus parfait des saints soient sur l’auteur de cette hégire!)
(19 octobre 159i), (;l raconta ce qui s’était passé entre son
maître et le pacha Mahmoud. Comme il arrivait à Tombouc-
tou le fait suivant venait de s’y passer.

1. Ix) mot employé ici dt’signc d’ordinaire les poslcs établis sur les frontières
pour surveiller l’ennemi et empêcher toute agression.

 

CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME 229

Le Tombouctovi-Monclzo, Yahia-ould-Bordam, accompa-
gné de ses partisans et des Zaghrâniens habitant Yoroua,
était venu attaquer le caïd El-Mostafa-Et-Torki. Il arriva sous
les murs de la ville le jeudi, 21 du mois sacré de dzou’l-
hiddja qui termina l’année 999^ (10 octobre 1591); il avait
juré, paraît-il, d’entrer dans la casbah par la porte de
Kabara et d’en sortir par la porte du Marché, (^e Yahia, qui
était le plus stupide et le plus ignorant des hommes, à peine
arrivé sous les murs de la casbah, fut atteint d’une balle et
succomba le jour même dans la soirée. Sa tête fut aussitôt
coupée, mise au bout d’une perche et promenée par toute la
ville. Un héraut suivait, criant à haute voix : « Gens de
Tombouctoii, cette tête est celle d’un mondzo de votre ville.
Quiconque d’entre vous ne se tiendra pas tranquille subira
un sort pareil à celui de ce mondzo. » Puis les soldats ma-
rocains, le visage pourpre de colère, se mirent à dégainer
(> ia) et àfrapper à toute heure les gens qu’ils rencontraient,
ce qui alhima le feu de la révolte.

Revenons maintenant à la fin du récit des faits qui se pas-
sèrent entre le pacha Mahmoud-ben-Zergoun et les gens de
Songhaï dans ces régions. Mahmoud était campé àKoukiya ;
il avait avec lui 174 tentes, chaque tente contenant 20 fusiliers,
ce qui donnait un effectif total d’environ 4000 fusiliers\ C’était
là une armée considérable telle que personne ne pouvait lui
résister ou la mettre en fuite, àanoins d’être secouru ou aidé
par le Très-Haut.

Askia-lshâq envoya alors 1.200 cavaliers choisis parmi
les plus braves de son armée et parmi ceux qui n’avaient
jamais tourné le dos devant l’ennemi. Il mit à leur tête le

1. C’est par erreur que le ms. C dit 1099.

2. A celte époque l’organisation de l’armée marocaine avait été copiée sur
celle des Turcs, En campagne les soldais étaient groupés par escouades de
20 hommes qui occupaient une même lente. Il est à peine besoin de faire re-
marquer que reiïeclir élait de 3.480 hommes et non de 4.000 hommes.

 

230 HISTOIRE DU SOUDAN

Hi-Koï Laha-Sorkiyâ, homme du plus grand courage et de
plus haute vaillance, et lui enjoignit d’attaquer l’ennemi s’il
trouvait une occasion de le surprendre à l’improviste.

Peu de temps après avoir quitté l’Askia, cette troupe fut
rejointe par le Balama’ Mohammed-Kâgho qui avait avec
lui une centaine de cavaliers. Comme le Hi-Koï demandait
au Balama’ pourquoi il venait le rejoindre, celui-ci répondit:
« C’est l’Askia qui m’a donné l’ordre de te suivre. —
C’est un mensonge et une défaite, répondit le Hi-Koï. Il
n’est pas un, grand ou petit, qui ne sache qu’un Balama’
ne saurait surveiller un Hi-Koï. Certes il n’est pas permis
qu’il en soit ainsi ; mais tout ceci, ô fils de Daoud, n’est dû
qu’à vos déplorables habitudes et à vos vils caractères qui
vous font ambitionner le pouvoir. » Là-dessus le Hi-Koï Laha
s’éloigna avec les personnages de sa suite.

Dauda-Kouro, fils du Balama’ Mohammed-Della-Ko-
bronki, sortit alors des rangs du groupe et se dirigea du côté
du Hi-Koï. « Dauda, lui dit le Hi-Koï, tu veux donc me
tuer, comme ton pèrea tuéMousa, le Hi-Koï de Askia-Daoud !
Tu ne le pourras certes pas, car je suis plus brave que le
Hi-Koï Mousa et ton père valait beaucoup mieux que toi.
Par Dieu! si tu t’approches de moi, je t’éventre et ferai
traîner tes entrailles sur le sol. » Dauda retourna aussitôt
dans le groupe d’où il était sorti.

Tout le monde fut plus que jamais convaincu du courage et
de la vaillance du Hi-Koï Laha et reconnut qu’il avait eu raison
de déclarer qu’il était supérieur en bravoure au Hi-Koï
Mousa ( > M ). C’était en effet le plus brave des hommes de son
époque. Puis Laha retourna vers Askia-ïshâq et lui raconta
ce qui s’était passé. Pcw de temps après cela le groupe dont
il a été parlé ci-dessus prêta serment de fidélité à Moham-
med-Kâgho et le proclama Askia.
A cotte nouvelle Askia-Ishâq se prépara à partir pour le

 

CHAPITKE VINGT-DEUXIÈME 231

canton de Kobbi ; dès qu’il voulut se mettre en route les chefs
des troupes qui avaient été sous ses ordres mirent la main
sur tous les insifçnes et les emblèmes de la royauté, puis ils
accompagnèrent le prince jusqu’à un endroit appelé Tara: là
ils se séparèrent. Le prince leur demanda pardon et eux de
leur côté implorèrent sa clémence, puis il se mit à pleurer et
tous fondirent en larmes. Ce fut la dernière entrevue qu’il
eut avec eux.

Le Créateur, — et nul ne peut résister à ses ordres, ni
s’opposera ses décisions, — voulut que Askia-Ishâqse rendît
à Tonfina chez les païens du Gourma, qu’il avait combattus
l’année précédente. Personne des gens du Songhaï ne l’ac-
compagna dans sa retraite, sauf le Yaï-Farma Bana-Idji et
quelques-unes des. personnes de son entourage. Ishâq ne
demeura pas longtemps parmi les païens du Gourma , car
ceux-ci le mirent bientôt à mort lui, son fils et toute sa suite,
en sorte que tous moururent martyrs (Dieu leur fasse misé-
ricorde et leur pardonne!).

Parmi les traits du caractère de Askia-lshâq il faut citer sa
générosité; il répandait en dons des sommes considérables.
Il avait demandé aux docteurs et aux faqirs de prier le
Ciel pour que Dieu ne le fit pas mourir tandis qu’il serait au
pouvoir. Ce désir, Dieu le réalisa en sa faveur. Il mourut,
si je ne me trompe, dans le mois de djomada II de l’an 1000
(15 mars- 18 avril 1592).

 

CHAPITRE XXn

ASKIA-MOHAMMED-KAGHO. — ASKIA-NOUH. – RÉVOLTE DE DIENNÉ.

L’armée revint ensuite auprès deAskia-Mohammed-Kâgho.
Quand la cérémonie de la prestation du serment de fidélité

 

232 HISTOIRE DU SOUDAIN

eut pris fin, le prince envoya l’ordre de mettre en liberté ses
deux frères, le Fâri-Mondzo, Thafa, et le Bental-Farma,
Nouli. Ces deux fils de Daoud avaient été internés dans le
pays de Dendi par leur frère Askia-Mohammed-Bâno. Quant
à ses autres frères, fils de Askia-Daoud, ils commencèrent
aussitôt (n .) à prendre la fuite et se réfugièrent auprès des
Marocains.

Le premier qui se réfugia auprès de l’ennemi fut le Da’a-
Farma révoqué, Seliman, fils de Askia-Daoud ; il alla trouver
le pacha Mahmoud qui lui fit bon accueil. Cet événement
inspira des craintes à Askia-Mohammed-Kàgho qui envoya
demander de prêter serment de fidélité au sultan Maulay
Ahmed. Son secrétaire, Bokar-Lanbàro, fut chargé de cette
mission qui fut couronnée de succès.

A ce moment la disette se fit sentir dans l’armée du pacha
et l’on en vint à manger les bêtes de somme. Mahmoud fit
alors mander à Askia-Mohammed-Kâgho de lui venir en aide
et de lui envoyer des aUments quelconques. Le prince donna
l’ordre de moissonner toutes les céréales qui pouvaient l’être
à ce moment du côté du Haousa : c’était du millet blanc que
l’on expédia aussitôt aux Marocains.

Peu après, le pacha Mahmoud fit dire à l’Askia de se ren-
dre auprès de lui pour prêter serment de fidélité. Comme
le prince allait se mettre en route, il en fut détourné par
les gens avisés de son entourage et, entre autres, par le Hi-
Koï Laha. « Pour moi, dit ce dernier, je n’ai pas confiance
en ces gens-là. Si tu es absolument décidé à te rendre au-
près du pacha, tu devras envoyer chacun de nous isolément
l’un après l’autre. Si vous le désirez je m’y rendrai moLr
même le premier. Si on me tue, il ne vous arrivera aucun
mal et j’aurais été en quelque sorte votre rançon; si j’é-
chappe à tout danger, alors que les autres personnages agis-
sent comme moi et ce sera toi enfin, prince, qui seras le der-

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 233

nier à venir. Les Marocains ne pourront alors te faire aucun
mal puisque cela ne saurait en rien leur servir. »

Cet avis ne fut pas approuvé par le secrétaire Bokar-Lan-
bâro et tout le inonde se mit en route à la fois. Quand on fut
à une faible distance des Marocains, Askia-Mohammed-
Kâgho fit demander une audience au pacha Mahmoud qui
expédia aussitôt quarante des notables et principaux chefs
de Farmée à sa rencontre. Ces personnages n’avaient ni
équipement, ni armes, aussi le Hi-Koï Laha engagea-t-il ses
compagnons à les tuer en disant : « Faisons disparaître tous
ces dignitaires et l’armée marocaine n aura plu s aucun chef. »
Askia-Mohammed-Kâgho se préparait à suivre ce conseil
lorsque, voyant cela, le secrétaire Bokar jura au prince
qu’il ne trouverait auprès du pacha Mahmoud autre chose
qu’une sécurité absolue sous la protection et la sauvegarde
de Dieu. Le prince écouta ces paroles et agit en consé-
quence.

Quand les dignitaires marocains furent en présence de
l’Askia, ils le saluèrent et lui transmirent les salutations du
pacha Mohammed avec ses souhaits de bienvenue; puis ils
se mirent en marche précédant l’Askia et ses compagnons.
Le pacha, qui avait déjà dressé ses filets de perfidie et de
trahison, avait fait préparer un excellent repas. A peine
avait-on commencé de manger qu’on se saisit du prince et
de ceux qui avaient pénétré avec lui (n«>) dans la tente du
pacha Mahmoud et qu’on les dépouilla de leurs armes.

Les gens du Songhaï, qui se trouvaient derrière les tentes,
ayant eu vent de ce qui venait de se passer, prirent aussitôt
la fuite. Ceux d’entre eux que la volonté divine avait décidé
d’épargner se tirèrent d’affaire, mais ceux dont la mort avait
été prédestinée succombèrent sous les coups de sabre ou
sous le feu des mousquets.

Parmi ceux qui réussirent alors à s’échapper se trouvait :

 

234 HISTOIRE DU SOUDAN

‘Omar-Kato, fils du Kormina-Fâri, Mohammed-Benkan, fils
du prince Askia-Daoud. I^^n fourchant le cheval de Askia-
Mohammed-Kâgho, il s’enfuit et, grâce au Ciel, il échappa
aux nombreuses balles qui furent tirées contre lui. Haroun-
Dankataba,fîls de Askia-Daoud, réussit également à prendre
la fuite et à se tirer d’affaire. Blessé de douze coups de sabre,
il se jeta dans le Fleuve et le traversa à lanage. Mohammed-
Sorko-Idji, fils du prince Askia-Daoud, ainsi que d’autres
personnages purent également se sauver.

Quant à Askia-Mohammed-Kâgho,ilfut chargé de chaînes
de fer, ainsi que dix-huit personnages d’importance, entre
autres : le Hi-Koï Laha; le Kormina-Fâri Mohammed, fils
du prince Askia-Jsraa’ïl, fils du prince Askia-El-Hâdj-Mo-
hammed; le Fâri-Mondzo, San, fils du prince Askia-Daoud;
le Dendi-Fâri El-Mokhtâr; le Kouma-Koï, etc.

Le pacha envoya tous ces personnages à Kâgho ; il les
adressa au caïd Hammou-Barka, qu’il avait nommé son
lieutenant dans cette ville, et lui enjoignit de les mettre en
prison dans une des pièces du palais du souverain. Ensuite
il donna l’ordre de les faire périr et tous furent écrasés sous
les murs de la pièce où ils avaient été enfermés. Il y furent
ainsi enterrés à l’exception d’un seul, le Hi-Koï Laha ; comme,
lors de l’entrée des Marocains à Kâgho, il avait cherché à em-
pêcher ses compagnons d’aller au-devant de la mort, il fut tué
et mis en croix à Kâgho.

‘Ali-Tendi et Mahmoud-Forâro-ldji, tous deux fils du
prince Askia-Daoud, qui avaient pris la fuite, s’étaient rendus
à Kâgho. Arrivés dans cette ville, ils allèrent trouver le kha-
tib Mahmoud-Darâmi et le saluèrent. Puis, comme celui-ci
leur demandait pourquoi ils étaient venus, ils répondirent
qu’ils voulaient faire leur soumission au pacha Mahmoud.
Le khatib les détourna de ce projet et les engagea vivement
à retourner auprès de leurs frères et concitoyens. « Notre

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 235

père, répondirent-ils, serait encore vivant [\ oy) et nous don-
nerait ce conseil que nous ne le suivrions pas ; à plus forte
raison ce conseil émanant d’un autre que lui. » Les deux
personnages s’étant rendus auprès du caïd Hammou-Barka
et lui ayant fait part de leur dessein, celui-ci écrivit au
pacha Mahmoud pour l’en aviser. Le pacha donna l’ordre de
les interner, puis quand il eut pris Askia-Mohammed-Kâgho,
il enjoignit au caïd de les mettre à mort, ce qui fut fait.

Seliman, fils du prince Askia-Daoud, avait été chargé de
chaînes en même temps que les autres personnes arrêtées ;
mais des gens avisés ayant parlé de lui au pacha, celui-ci
lui rendit la liberté. Seliman resta auprès des Marocains
avec quelques autres personnages peu nombreux, parmi
lesquels se trouvaient entre autres :1e Bàraï-Koï Malki, Mo-
hammed-ould-Benchi, Mohammed-Mauri-Koï, dont la mère
était la fille du prince Askia-Daoud. Quant à Mohammed-
ould-Benchi, Benchi était le nom de sa mère qui était issue
de Omar-Komzâgho; son père était Mohammed-ben-Ma-
souso,fils du Balama’ Mohammed-Kiraï.

Le pacha Mahmoud traita Seliman avec les plus grands
égards et alla jusqu’à le nommer Askia. Le nombre des
personnes arrêtées par le pacha Mahmoud en même temps
que Askia-Moharamed-Kâgho était de quatre-vingt-trois,
tant fils de princes que personnages d’une moindre condition.
A ce moment l’armée marocaine se trouvait à Tenchi, nom
d’une localité voisine de la ville de Koukiyâ.

On rapporte que le prince Askia-El-Hâdj-Mohammed
ben-Abou-Bekr, après avoir vaincu Sonni-‘Ali et s’être
emparé du pouvoir souverain, avait, dans la même localité,
arrêté un nombre égal des enfants et des serviteurs du
Sonni et cela après leur avoir accordé l’aman sous la foi du
serment. Dieu, le Fort et le Puissant, voulut que ce manque
de foi fût ainsi vengé finalement dans les mêmes conditions.

 

236 HISTOIRE DU SOUDAN

Suivant certains récits, Askia-Mohammed-Kàghô ne de-
meura pas en ce monde plus de quarante jours après la
mort de Askia-Ishâq.Ces deux princes n’ont donc pas tardé
à se réunir dans l’autre monde. Gloire au Vivant, à l’Éter-
nel dont le règne ne cessera jamais et dont la durée n’aura
point de limites !

Lorsque Mohammed-Kâgho avait envoyé l’ordre d’élargir
de prison ses deux frères, le Fàr-Mondzo El-Mostafa et le Ben-
tal-Farma Nouh, ce dernier plus jeune que le premier^ ces
deux personnages avaient éprouvé la joie la plus vive, et
avaient résolu, quand ils rejoindraient le prince, de lui té-
moigner la plus grande déférence en marchant à pied devant
lui quand il monterait à cheval. Mais, en route, ils apprirent
la triste nouvelle de l’arrestation du prince et de ses courti-
sans. Ils revinrent alors sur leurs pas (nov) et retournèrent
au pays de Dendi.

Les gens du Songhaï se groupèrent autour des deux frères
et décidèrent, d’accord avec Nouh, d’élever au souverain
pouvoir le Fâr-Mondzo El-Mostafa et de lui donner le titre
d’Askia. « Non, répondit El-Mostafa, Nouh est plus digne que
moi de ces fonctions, car il est plus favorisé du Ciel. Or Dieu
place sa faveur là où II le veut, sans tenir compte de l’âge
ou de la jeunesse. »

On prêta donc serment d’obéissance à Nouh et tous les
gens du Songhaï qui avaient pris la fuite dans une autre di-
rection vinrent le rejoindre ; il ne lui restait plus à désirer
que la présence de Mohammed-MaurietdeMohammed-ould-
Benchiqui étaient restés chez le pacha Mahmoud; mais bien-
tôt Dieu leur permit de s’échaf»per et ils vinrent alors le retrou-
ver. Le Bâraï-KoïMalki réussit également à s’échapper ;Askia-
Nouh éprouva unejoie très vive de l’arrivée de tous ces per-
sonnages qui étaient sainset saufs et il en témoigna sarecon-
naissance au Très-Haut. « Maintenant, s’écria-t-il, il ne me

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIEME 237

reste aucun souhait à formuler, du moment que ces deux
hommes m’ont rejoint. »

De son côté le pacha Mahmoud investit Seliman des fonc-
tions d’Askia sur les gens du Songhaïqui se trouvaient avec
lui.

Dans le peuple on racontait que c’était le secrétaire Bokar-
Lanbâro qui avait trahi Mohammed-Kâgho et ses compa-
gnons, les avait vendus au pacha Mahmoud et avait ainsi
permis à ce dernier de s’emparer d’eux. Après tous ces évé-
nements, Bokar, qui était allé habiter Tombouctou, dit un
jour à un de ses amis : « On m’accuse de trahison et pour-
tant, j’en prends Dieu à témoin, il n’en est rien. Je n’ai donné
à Mohammed-Kâgho d’autre conseil que celui qui m’avait
été inspiré par Dieu, en m’appuyant sur ce que Mahmoud
m’avait assuré sous la foi du serment et en me fiant à ses
paroles. Lui seul a été un traître et il m’a trahi en même
temps qu’il trahissait Mohammed-Kâgho. Bientôt nous nous
retrouverons tous en présence du Dieu très-haut, et à ce
rendez-vous la vérité se fera jour. »

Après avoir préparé ses troupes, le pacha Mahmoud se
mit à la poursuite de Askia-Nouh et le rejoignit à l’extrémité
du pays de Dendi. L’action s’engagea et les gens du pays de
Kanta entendirent le bruit de la fusillade pendant une jour-
née entière.

Nouh s’installa tout d’abord avec ses compagnons dans la
ville de Ko mou sur les confins du pays de Melli du côté où
ce pays touche au territoire de Kanta. Le pacha Mahmoud
continua la poursuite commencée, et, au cours de celte ex-
pédition, il bâtit une casbah dans la ville de Kolen où il ins-
talla une garnison de deux cents fusiliers sous le comman-
dement (\oi) du caïd ‘Ammâr-el-Feta.

Durant deux années entières la guerre continua dans ces
régions, entre le pacha et Nouh. Des rencontres nombreuses

 

238 HISTOIRE DU SOUDAN

et sanglantes se produisirent entre les deux armées. Un jour
que le pacha poursuivait Nouh, il arriva avec ses troupes dans
un immense et vaste bas-fonds. Tandis que les Marocains
suivaient leur route ils arrivèrent à une grande forêt très
touffue que traversait le chemin. Le lieutenant-général Ba-
Hasen-Ferîro, qui était un homme avisé et prudent, ayant
brusquement arrêté son cheval, le pacha envoya mander
Ba-Hasen et, outré de colère, il blâma sa lâcheté en termes
violents, en lui demandant pourquoi il s’arrêtait ainsi.

Quand Ba-Hasen arriva près du pacha il lui dit : « Par
Dieu ! si je savais qu’un seul des poils de mon corps se fut
agité de crainte ou de terreur, je l’arracherai sur-le-champ.
Mais ce que je ne veux pas c’est exposer les troupes de notre
maître le sultan à aucun danger, à aucune surprise. » Puis
il ordonna de lancer des dirhâch” dans la forêt. Aussitôt que
cela eut été fait, on vit des hommes sortir de la forêt et
prendre la fuite ; une vive fusillade en tua un grand nombre.

Askia-Nouh avait, en effet, disposé une embuscade dans
cette forêt parce qu’il savait que l’armée marocaine ne pou-
vait suivre une autre route. Il espérait la faire tomber dans
ce guet-apens, mais Dieu, le Très-Haut, fit échouer ce stra-
tagème traître et perfide et sauva l’armée marocaine grâce
à la perspicacité du Ueutenant-général Ba-Hasen-Ferîro.

Pénétrant ensuite dans la forêt, l’armée marocaine la
franchit sans encombre. De nombreux et terribles combats
s’engagèrent dans cette région. Malgré le petit nombre de
ses partisans Askia-Nouh obtint des résultats que Askia-Ishàq
n’eut pas réussi à atteindre avec des forces plus considéra-
bles, même cent fois plus grandes.

Le jour de la bataille de Birnaï le pacha Mahmoud perdit
quatre-vingts hommes de ses meilleurs fantassins qui furent

1. Ce mot signifie en turc bàlon, verge d’huissier. Il faut sans doute l’entendre
ici dans le sens de fusée ou projectile muni d’une baguette.

 

/

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 239

tués. Quelqu’un, en qui j’ai toute confiance, m’a raconté
qu’après la bataille, Mahmoud vint examiner ceux qui étaient
morts et qu’il donna l’ordre (n»») de dénouer les ceintures
qu’ils portaient sur le ventre. Toutes ces ceintures étaient
pleines de dinars frappés* que le pacha Mahmoud s’appropria
en totalité.

Les troupes marocaines souiFrirent beaucoup de leur long
séjour dans ce pays et furent très gravement éprouvées par
des fatigues qu’elles endurèrent, par le manque de vivres,
par le dénûment dans lequel elles se trouvèrent et par les
maladies que leur causa l’insalubrité dn pays. L’eau attaqua
les intestins des hommes, provoqua la dysenterie et en fit
mourir un très grand nombre en dehors de ceux qui péri-
rent dans les combats.

Au début c’était Askia-Nouh qui conduisait lui-même ses
troupes au combat, mais plus tard il chargea de ce soin
Mohammed-ould-Benchi. Ce fut donc à ce dernier qu’in-
comba la responsabilité des opérations militaires, et il ac-
complit dans cette circonstance nombre d’actions glorieuses
et de faits d’armes retentissants.

Comme le pacha Mahmoud rencontrait de grandes diffi-
cultés dans cette région, il écrivit à son souverain Maulay
Ahmed pour se plaindre des terribles épreuves qu’il avait à su-
bir et lui annoncer que toute sa cavalerie avait péri. Le sultan
du Maroc envoya environ six corps d’armée qui, l’un après
l’autre, vinrent faire leur jonction avec les troupes que le pa-
cha commandait dans ces régions. Parmi ces colonnes de ren-
fort se trouvaient : la colonne du caïd ‘Ali-Er-Râchedi, celle
des trois caïds Ben-Dahmân, ‘Abdelaziz-ben-Omar et ‘Ali-
ben Abdallah-El-Telemsâni; celle de ‘Ali-El-Mechmâch, etc.

 

1. En se servant de cette expression l’auteur a sans doute voulu montrer que
les soldats marocains gardaient tout l’argent de leur solde qui était en monnaie
d’or et qu’ils se procuraient ce dont ils avaient besoin sans bourse délier.

 

240 HISTOIRE DU SOUDAN

Malgré tout cela, Mahmoud rentra à Tombouctou sans avoir
vaincu Nouh, comme il l’espérait.

Revenons maintenant à la lutte qui s’était engagée entre
les habitants de Tombouctou et le caïd El-Mostafa-Et-Torki,
après la mort du Tombouctou-Mondzo Yahya. Comme les
soldats marocains avaient blessé bon nombre de gens, les
notables allèrent se plaindre au jurisconsulte, le cadi Abou-
Ilafs-‘Omar, fils du saint de Dieu, le jurisconsulte, le père
des bénédictions, le cadi Mahmoud-ben-‘Omar.Ce magistrat
consulta sur ce point les gens de bon conseil. Les uns furent
d’avis qu’il fallait repousser l’ennemi par les armes si les cir-
constances le permettaient; d’autres, au contraire, estimè-
rent qu’il était préférable de s’abstenir de toute violence, leur
situation pitoyable ne pouvant que s’aggraver par la résis-
tance.

Le cadi ‘Omar avait alors pour huissier Amar* qui était le
plus scélérat des hommes de cette époque,bien que (> «”i) le
cadi ne s’en doutât point. Un soir, il expédia cet homme au
chef des mulâtres, ‘Omar-Ech-Cherif, fils de la fille du chérif
Ahmed-Es-Seqli, et lui dit d’inviter celui-ci à faire annoncer
immédiatement par le crieur public que les habitants eussent
à bien veiller sur leurs personnes et à prendre les plus
grandes précautions contre les Marocains.

Au lieu de transmettre ces paroles, Amar dit au chef des
mulâtres que le cadi lui enjoignait de donner l’ordre aux ha-
bitants de se soulever pour combattre les Marocains. Cet
ordre fut donné la nuit même et le lendemain matin toute la
population était en armes prête à combattre le caïd El-Mos-
tafa. La lutte commença dans la première décade du mois
de moharrcm, le premier mois de l’année 1000 (19-29 oc-
tobre 1591) et dura jusqu’à la première décade du mois de
rebi’ P^ (17-27 décembre 1591).

1. Ce nom ne figure pas dans le ms. C»

 

CHAPÎTRE VINGT-DEUXIÈME 54l

Durant ces jours de troubles, il périt de part et d’autre
nombre de gens dont Dieu avait décidé la mort. Parmi eux
on cite Ould-Kirinfd, celui qui avait été la cause de la venue de
l’armée de Djouder. Il était arrivé avec cette armée et était
resté à Tombouctou avec le caïd El-Mostafa; il fut tué dans
un des combats par les habitants de Tombouctou.

Aousenba-Et-Targui\ le Maghcharen-Koï, était venu avec
ses hommes au secours de El-Mostafa. Ces Touareg mirent le
feu à la ville, le vendredi, 14 du mois ci-dessus indiqué, et ils
recommencèrent le lendemain. Ce fut un jour terrible pour
les habitants de Tombouctou. Les Touareg s’approchèrent
des maisons du cadi Omar pour y mettre le feu. Une des fil-
les de ce magistrat accourut aussitôt auprès de son père et lui
dit : « Aousenba s’est avancé dans son attaque jusqu’à la
porte de la maison de Elfa’-‘Abdo^ » Cet Elfa’-‘Abdo était le
jurisconsulte Abdallab, frère du cadi et fils du jurisconsulte
Mahmoud. « Que Dieu, le Très-Haut, s’écria alors le cadi,
fasse qu’une incursion arrive jusqu’à la porte de la maison
d’Aousenba et que le plus vil des êtres le dompte et lui fasse
un affront pareil à celui qu’il nous fait! »

Ce vœu fut exaucé : une expédition de Touareg Kel-
Amini arriva jusqu’à la tente de Aousenba ; l’un d’eux y pé-
nétrant le tua ; or ce meurtrier était le plus infime de ces
Touareg. Cela se passa le dimanche, 22 du mois de châoual
de l’année 1005(8 juin 1597). Aousenba avait été élevé dans
la famille du cadi ; il y avait fait ses études et, devenu grand,
il avait été traité comme un enfant de la maison. Plus tard
il se conduisit comme il vient d’être dit avec traîtrise et per-
fidie (Dieu nous préserve d’une telle hypocrisie (>«v) et
d’une aussi triste fin!).

1. « Et-Targui » signifie « le Touareg « ; ce mot pourrait ne pas faire partie
du nom et être une simple épithcle.

2. Ce mot ‘Abdo est ici l’abréviation de Abdallah.

{Histoire du Soudan.) 16

 

242 HISTOIRE DU SOUDAN

L’affaire de la grande mosquée eut lieu le jeudi, 4 du
mois de safar rexcellent {21 novembre 1591). Les gens sor-
tirent pour abattre les maisons le mercredi, 24 du mois qui
vient d’être cité (9 décembre 1591). Ce fut le vendredi, 26
du même mois (11 décembre 1591), qu’arriva Barâî-Chîgho
pour s’occuper de l’argent que l’Askia devait remettre à
Djouder pour la conclusion de la paix ; il quitta Amazagha
pour se rendre à Tenbahouri le jeudi, 9 du mois de rebi’ I”
(2K décembre 1591).

Le pacha Mahmoud fut informé de ce qui s’était passé
entre les habitants de Tombouctou et le caïd El-Mostafa; il
apprit que des combats avaient eu lieu, que El-Mostafa et ses
compagnons étaient assiégés dans le casbah et la nouvelle lui
en fut apportée par Mâlek, le père de Mohammed-Dara, que
le caïd lui avait envoyé. Le pacha expédia aussitôt le caïd
Mâmi-ben-Barroun à la tête de 324 fusiliers, pris deux par
deux dans chacune des tentes. Avant d’arriver à Tombouc-
tou, aucun de ces hommes ne fut mis au courant de ce qui
s’était passé.

Mâmi avait reçu pour instructions d’arranger les choses
avec les habitants de Tombouctou dût-il les faire périr jus-
qu’au dernier. C’était un homme intelligent, adroit et ingé-
nieux. Il arriva avec ses hommes durant la douzième nuit de
rebi’l”, la nuit même de la nativité du Prophète (27 décem-
bre 1591). Une grande terreur se répandit aussitôt dans la
ville et beaucoup de personnes se jetèrent dans les déserts
et les solitudes.

Le caïd Mâmi réconcilia le caïd El-Mostafa avec la popula-
tion de Tombouctou. Ce fut une grande joie pour tout le
monde. Tous ceux qui avaient fui la ville y rentrèrent; de
ce nombre fut le commandant du port, Mondzo-Elfa’-ould-
Zauka, qui ramena avec lui toutes les embarcations. A la
suite de cette réconciliation, les habitants de la ville prêtèrent

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 243

serment de fidélité au sultan Maulay Ahmed. Les routes s’ou-
vrirent de nouveau dans toutes les directions; chacun reprit
ses occupations et quiconque le voulut put aller à Dienné
ou ailleurs.

Puis se mettant en marche contre les Zaghrâni qui ha-
bitaient Yorona, le caïd Mâmi fondit sur eux, tua leurs hom-
mes et emmena leurs femmes et leurs enfants en captivité à
Tombouctou oii ils furent vendus (n o a) pour un prix variant
de deux cents à quatre cents cauries.

Quelque temps après, le caïd El-Mostafa expédia à Dienné,
dans l’embarcation de Zinka-Daradj, un seul sergent* qui
avait mission de recevoir le serment de fidélité des habitants
de cette ville. Ce sergent arriva juste au moment où mourait
le Djinni-Koï Ouaïbo’ali. Le Djinni-Mondzo Bokarna^ qui
commandait la ville au nom de l’Askia, le cadi Benba-Kc-
nâti, Chima et Tâkoro, les deux caïds du Djinni-Koï, les no-
tables, les jurisconsultes et les négociants du pays écrivirent
au caïd El-Mostafa et au caïd Mâmi qu’ils consentaient à prê-
ter serment de fidélité.

Plus tard les caïds El-Mostafa et Màmi envoyèrent le com-
mandant^ Abdelmalek avec dix-sept soldats pour nommer un
Djinni-Koï. Ces fonctions furent confiées à Isma ïl-ben-Mo-
hammed qui les conserva pendant sept mois. Dieu permit à
la petite troupe marocaine de s’emparer du coquin le plus
abominable, Benkouna-Kendi, qui jetait alors le trouble dans
toute la contrée. On l’amena aux Marocains qui le tuèrent
dans la maison du Djinni-Koï, puis s’en retournèrent à
Tombouctou.

Quant à Ouaïbo’ali, dont il a été question plus haut, son
nom était Abou-Bekr-ben-Mohammed. Il avait occupé ses

 

1. Le mot du texte est chaovch.

2. Ou « Bokar », suivant le ms. G.

3. Ou « capitaine >>, le mot employé étant raïs.

 

244 HISTOIRE DU SOUDAN

hautes fonctions’ durant trente-six ans. Il avait épousé
Kâsa, la fille du prince Askia-Daoud, et celle-ci demeura
sous sa puissance maritale tant qu’il vécut.

Le caïd Mâmi vint ensuite en personne à Dienné et logea
dans la maison du Djinni-Koï; il donna le sultanat de
Dienné à Abdallah-ben-‘Otsmân et, après avoir réglé toutes
les affaires de la ville, il rentra à Tombouctou. Pendant qu’il
se rendait à Dienné, El-Hâdj-Bokar-ben-Abdallah-Kiraï-Es-
Senâouï allait de son côté à Tombouctou. Il venait, avec le
consentement des habitants de Dienné, demander au cadi
‘Omar^ la révocation du cadi Mohammed-Benba-Kenâti.

Le cadi Omar refusa énergiquement de déférer à ce désir
et El-Hâdj-Bokar retourna donc à Dienné exaspéré ; ayant
rencontré le caïd Mâmi dans cette ville, il renouvela sa plainte
au nom des habitants en assurant que leur cadi était un pré-
varicateur. En conséquence Mâmi révoqua le cadi Moham-
med, qu*on enferma ensuite comme châtiment dans une
maison dont on boucha la porte, ne laissant d’autre ou-
verture qu’une lucarne par laquelle on passait au prisonnier
l’eau et la nourriture. Tous ceux qui ont connu exactement
ce qui s’est passé à cette époque à Dienné et qui sont gens
sensés prétendent que l’accusation portée contre le cadi était
fausse (\ 0^). Le caïd Mâmi nomma aux fonctions de cadi de
Dienné un marocain, Ahmed-El-Filâh.

Quand Mâmi fut de retour à Tombouctou, le Bâghena-
Fâri, Bokar, fils de Askia-Mohammed-Benkan, arriva à
Dienné venant du pays de Kala; il avait avec lui son fils
Mârabâ, le fds de son frère, Chichi, Bindoko-Yâou-ould-Kcr-
sala et Ourar-Mondzo, ainsi qu’un petit groupe d’autres per-
sonnes. La petite troupe campa en face de Zoboro et, comme

1. Les fonctions de Djinni-Koï.

2. On voit par là que le cadi de Tombouctou était le grand-cadi du Soudan à
cette époque.

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 245

l’eau à ce moment arrivait jusqu’au pied de la citadelle, elle
demanda aux habitants de la ville la permission d’y péné-
trer.

Ni le Djinni-Koï, ni le Mondzo-Koï ne voulurent donner
cette autorisation, parce qu’ils craignaient que ces gens ne
voulussent provoquer des troubles. Ceux-ci insistèrent vive-
ment pour être admis dans la ville, assurant qu’ils étaient
venus uniquement pour prêter serment d’obéissance au sul-
tan Maulay Ahmed-Edz-Dzehebi. Alors les gens de la ville
leur envoyèrent Habîb-Torfi qui apporta un exemplaire du
Coran et le Sahih de El-Bokhâri et leur demanda de jurer
sur ces livres qu’ils n’avaient d’autre but que celui qu’ils
avaient indiqué.

Bokar et ses compagnons, ayant prêté le serment demandé,
entrèrent dans la ville. Mais le lendemain soir, au commen-
cement de la nuit, toutes les mauvaises têtessetant jointes à
eux, ils modifièrent leurs intentions et convinrent de revenir
sur leur serment de fidélité et de choisir un askia pour sou-
verain. Parmi les personnes qui prirent part à cette réunion
on peut nommer Mohammed-ould-Banyâti , Sori-Soti et
Kankan-Dentoura.

Deux ou trois jours après cela, les conjurés s’emparèrent
du Djinni-Mondzo, Bokarna, et pillèrent toutes les richesses
que renfermait sa maison. Ils arrêtèrent également le cadi
marocain*, le chargèrent de chaînes et l’expédièrent dans
la ville deBeled, une des villes du pays de Kala. Ensuite ils
démolirent la maison dans laquelle on avait enfermé le ju-
risconsulte, le cadi Mohammed-Benba-Kenâti et, après avoir
fait sortir le cadi de cette prison, ils lui intimèrent l’ordre
de partir et d’aller dans n’importe quel pays il voudrait.

Rendu à la liberté, Mohammed-Benba se rendit chez le
sultan de Ta’ba auprès duquel il demeura jusqu’à sa mort

1. Ahmed-El-Filâli.

 

246 HISTOIRE DU SOUDAN

(Dieu, le Très-Haut, lui fasse miséricorde, et, dans sa grâce et
sa générosité, lui accorde son indulgence!). On assure que,
pendant tout le temps qu’il resta enfermé, Mohammed-Benba
s’occupa uniquement à lire {n”v») le livre sacré de Dieu et
cela nuit et jour. On cite de lui le prodige suivant : Le jour
011 il sor tit de prison on ne trouva pas dans toute la maison
la moindre trace de déjections ni urine, ni excréments.

Ce jour-là on nomma cadi Mouri-Mousa-Dâbo qui fut
maintenu dans ses fonctions par le Makhzen marocain après
la fuite des rebelles. Ceux-ci décidèrent ensuite d’arrêter tous
les négociants partisans du Makhzen et de confisquer leurs
biens. Ils voulurent emprisonner, entre autres, Hâmi’-San-
Sokar-Es-Senâouï qui était, dit-on, le plus considéré et le
plus important des négociants.

Cette arrestation avait été décidée la nuit, pendant une
veillée, dans la maison des rebelles. Quand Mohammed ould-
Benyâti et Sori-Soti sortirent de la maison, ils allèrent
trouver Fedji-Mâbi, la femme de Ilârni, et lui annoncèrent
la nouvelle en secret en lui donnant Tordre de prévenir
ce dernier. Fedji s’étant acquittée de la commission, Hâmi
prévint son frère El-Hàdj-Bokar; puis, ayant réussi à se pro-
curer une petite embarcation, il partit secrètement à la faveur
de la nuit, prenant dans sa fuite la direction de Tombouc-
tou.

Le lendemain, la nouvelle de cette fuite ayant été connue,
le Bâghena-Fâri envoya à la poursuite du fugitif et pour le
ramener des gens qui montèrent l’embarcation du Fenfa*
Bâmo’aï-Fîri-Firi. El-Iiâdj-Bokar manda aussitôt le Fenfa
chez lui et lui promit de l’argent pour qu’il ralentît la
marche de son bateau de façon à laisser à son frère le temps
d’arriver en lieu sûr. Le Fenfa accepta cette proposition.

1. Ou : Hâm.

2. Ce litre était celui du directeur du port.

 

CHAPITRE VI.XGT-DEUXIÈME 247

Quand il fut en vue de la ville de Ouenzagha, Hâmi, dont
la barque était à Tancre, aperçut l’embarcation qui le
poursuivait. Aussitôt il démarra précipitamment et redoubla
de vitesse dans sa marche.

Quand les gens de la barque du Fenfa arrivèrent à Ouen-

zag’ha, ils s’informèrent du fugitif. Un Tombouctien, à qui

Hàmi avait fait cependant beaucoup de bien, leur répondit:

« A l’instant l’embarcation de Hâmi vient de démarrer;

continuez votre route et vous la rejoindrez à peu de distance

d’ici. » Ouenzagha-Mouri*, qui venait d’entendre ces paroles,^

s’avança aussitôt vers eux et leur dit : « Retournez sur vos

pas ; les soldats marocaiîis ont appris votre venue et ils se

sont retirés dans la ville de Kouna pour vous y attendre et

vous tuer. Dites au Bâghena-Fâri que c’est moi qui vous ai

donné l’ordre de revenir sur vos pas. » Les poursuivants

retournèrent alors en arrière. Grâce à Ouenzagha-Mouri,

Dieu, le Très-Haut, écarta ainsi le malheur que (>”vn) le

Tombouctien avait voulu attirer sur la tête de son bienfai-

faiteur.

A ce moment, les rebelles, commirent à Dienné toutes
les turpitudes et toutes les tyrannies qu’ils voulurent. Ce fut
au point qu’un certain vendredi, à l’heure du dohor, alors
que toute la population était réunie, dans la mosquée, ils se
présentèrent à cheval devant la porte, leurs armes à la
main et jurant que personne ne prierait tant qu’on n’aurait
pas proclamé un askia et que l’imam n’aurait pas fait en
chaire le prône- au nom de cet askia.

Comme les notables leur disaient que cela était impossible

1. Il est difficile de déterminer si c’est un nom de personne ou un titre équi-
valant à celui de chef de Ouenzagha.

2. On sait que l’imam doit faire chaque vendredi, à l’issu de l’office, une
prière dans laquelle il prononce le nom du souverain. En demandant celte for-
malité les rebelles voulaient donner au chef qui aurait été choisi la consécration
légale de son autorité.

 

248 HISTOIRE DU SOUDAN

et illégal, la loi religieuse ne permettant pas d’agir ainsi,
ils devinrent encore pins insolents et plus grossiers. Cela
dura jusqu’au moment du coucher du soleil. Alors les
notables leur dirent : a Attendez que nous sachions ce qui
s’est passé entre le pacha Mahmoud et l’askia : peut-être ce
dernier a-t-il été vainqueur et, dans ce cas, les choses revien-
draient au point où elles étaient primitivement’. » En enten-
dant ces paroles, ils cessèrent leurs violences et la popula-
tion put accomplir la prière du vendredi.

Hâmi arriva ensuite à Tombouctou et informa le caïd
El-Mostafade ce qui venait de se passer. Celui-ci décida aus-
sitôt de faire en personne une expédition contre Dienné,
mais le caïd Mâmi lui dit : « Demeurez ici dans votre cas-
bah; je me charge de vous débarrasser de tout cela. » Puis il
se mit en marche à la tête de trois cents hommes d’élite
qu’il avait choisis.

Quand les Marocains furent près de la ville, le DJinni-
Koï leur envoya Salha-Tâfmi et Tâkoro-Ansa-Mâni avec des
noix de gourou, qu’ils devaient offrir au caïd en l’engageant
vivement à hâter son arrivée. Le Sanqara-Koï, Boubo-Oulo-
Bîr, suivit les messagers et leMasina-Koï, Hammedi-Amina,
se porta à la rencontre des Marocains à Doiiï^ On raconte
que ce fut Habib-ould-Mohammed-Anbâbo qui avait écrit au
Mâsina-Koï, au nom du caïd ‘Amniâr, de suivre le caïd
Mâmi partout où il irait, de lui venir en aide, de le guider
de ses conseils, et que c’est à cause de cela qu’il était venu
promptement en personne à leur rencontre.

Le Bâghena-Fâri, qui avait appris la nouvelle du départ
de ces envoyés, plaça aux portes des remparts des gardes
qui eurent mission de les arrêter lors de leur retour. Salha-
Tâfîni rentra à Dienué par la porte de CIiima-Anzouraa et

1. C’esl-à-dlre qu’ils auraient pour chef un askia comme ils le désiraient.

2. Ou : Douye.

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 249

Dieu lui épargna tout mal de la part des gardes qui ne le
virent point. Tâkoro, qui rentra par la porte du Grand Mar-
ché, fut arrêté et mis en prison pour être tué ensuite. Mais, le
caïd Mâmi ayant hâté son arrivée, le Bàghena-Fâri et ses
compagnons, préoccupés (n’w) du soin de sauver leurs per-
sonnes, se hâtèrent de quitter la ville et s’enfuirent sans songer
à Tâkoro. Dans leur fuite ils se dirigèrent vers la ville de
Tîra.

Laissant dans la ville de Dienné une garnison de quarante
soldats qu’il plaça sous les ordres de ‘Ali-El-‘Adjemi, le caïd
Mâmi poursuivit sans relâche les rebelles, ayant avec lui le
Djinni-Koï, ‘Abdallah, le sultan du Màsina et le sultan de
Sanqara, Boubo-Oulo-Bîr, chacun d’eux avec ses propres
troupes, et atteignit les fuyards dans la ville de Tîra. Là
le combat s’engagea. Mâraba^ , le fds du Bàgliena-Fàri,
Bokar, s’étant approché, lança un javelot contre la barque
dans laquelle se trouvait le caïd Mâmi au milieu du Fleuve ;
l’embarcation se fendit de proue en poupe, mais, en un clin
d’oeil, les mariniers, tout en restant sur le Fleuve, réparèrent
cette avarie et maintinrent le navire en équilibre.

Le caïd réussit ensuite à mettre les rebelles en fuite et
les dispersa de tous côtés. Le Bàghena-Fâri et ses enfants
s’enfuirent vers le Bindoko et atteignirent la ville du Târa-
nida-Koï ; cehii-ci s’empara d’eux, les mit à mort et envoya
à Dienné la tête du Bàghena-Fâri, celle du Bindoko-Yaou
et du Ourori-Mondzo et la main de Màraba. De Dienné toutes
les têtes furent expédiées par les habitants de la ville à
Tombouctou au caïd El-Mostafa et la main de Màraba fut
suspendue derrière le château sur la route de Doboro.

Le Djinni-Koï, Abdallah, fit demander aux habitants de
la ville de Dienné ce qu’étaient devenus le Mondzo, Bokarna,
et le cadi El-Maghribi. Ils renvoyèrent au Djinni-Koï,
1. Ou : Mârba. i

 

250 HISTOIRE DU SOUDAIN

Mondzo Bokarna ; mais, pour le cadi, il se trouva qu’il venait
de mourir peu auparavant (Dieu très haut lui fasse miséri-
corde!).

Quand le caïd Màmi avait résolu de quitter Tombouctou
pour accomplir l’expédition dont il vient d’être parlé, le
caïd El-Mostafa avait donné l’ordre à Hàmi, qui avait apporté
la nouvelle de la révolte, de partir avec l’armée. Mâmi se
mit en route avec deux barques chargées de sel. Comme le
sel faisait absolument défaut à Dienné quand il y arriva, il
le vendit avec un bénéfice très considérable.

Le caïd Mâmi retourna ensuite à Tombouctou. L’ordre
était rétabli et, dans toute la région, il n’y avait plus rien
qui pût causer quelque inquiétude. Louanges en soient
rendues à Dieu le grand, le très élevé. ‘Ali-El-Adjemi con-
serva ses fonctions de chef de la ville de Dienné (que Dieu
la garde !), et il fut le premier des fonctionnaires du Makhzen
marocain qui administrèrent cette cité.

 

CHAPITRE XXIlI(\ir)

LISTE DES CHEFS DE DIENNÉ. – LES TOUAREG ATTAQUENT TOMBOUCTOU

 

Le Djiuni-Koï, Abdallah, dont il a été parlé ci-dessus,
conserva ses fonctions durant dix ans ou, suivant quelques-
uns, dix ans et deux mois. A sa mort, il fut remplacé parle
Djinni-Koï, Mohammed-ben-Ismaïl. Après être resté à ce
poste pendant seize ans et cinq mois, Mohammed fut révo-
qué par le pacha ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telcmsâni qui le fit en
outre emprisonner à Dienné d’abord, où il resta une année,
puis à Tombouctou où il resta deux ans. Pendant ces trois

 

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME 251

années il fut remplacé comme Djinni-Koï par Abou-Bekr-
ben-Abdallah. Quand le pacha Ahmed-ben-Yousef prit son
commandement il fit sortir Mohammed de prison et le ré-
tablit dans ses fonctions de Djinni-Koï qu’il occupa de nou-
veau trois ans, après quoi il mourut un dimanche, vers midi,
le 15 du mois de chaouâl de l’année 1029 (13 septembre
1620).

Mohammed mort, le Djinni-Koï qui lui succéda fut Abou-
Bekr fils d’Abdallah dont il a été parlé ci-dessus. Jl conserva
le pouvoir pendant sept ans et mourut en l’année 1036
(22 septembre 1626-12 septembre 1627) à l’époque où le
caïd Yousef-ben-‘Omar-El-Qasri gouvernait Tombouctou.

Les fonctions de Djinni-Koï furent ensuite confiées à
Mohammed-ben-Kanbara-ben-Mohammed-ben-Israa’ïl, qui
les occupa dix-huit mois. Il fut ensuite révoqué et remplacé
par le Djinni-Koï, Abou-Bekr-ben-Mohammed. Ce dernier,
après avoir conservé son poste pendant trois ans, fut tué sans
résistance * par le caïd Mellouk-ben-Zcrgoun. Cet événe-
ment eut lieu dans la soirée du jeudi, 13 du mois de djo-
mada !«’ de l’année 1042 (26 novembre 1632).

Mohammed-Kanbara, qui avait été révoqué, reprit ensuite
ses fonctions de Djinni-Koï; il les conserva deux ans moins
trois mois et fut de nouveau révoqué par le pacha So’oud-
ben-Ahmed-‘Adjeroud lorsque celui-ci vint à Dienné, le der-
nier jour du mois sacré de dzou’l-hiddja qui termina l’an-
née 1043 (26 juin 1634). Le pacha lui donna pour succes-
seur (mi) Abdallah-ben-Abou-Bekr-El-Meqtoul” qui entra en
fonctions le 1″ jour du mois sacré de moharrem commen-
çant l’année 1044 (27 juin 1634); Abdallah resta à ce poste

1. L’expression arabe employée ici signifie littéralement « lié, attaché « de
façon à ne pouvoir se défendre. Cependant le sens pourrait être : à brùle-pour-
point, sans aucun motif,

2. « El-Maqtoul » signifie « assassiné »; c’était, sans doute, un surnom qui
avait été donné à Abou-Bekr après sa mort.

 

252 HISTOIRE DU SOUDAN

pendant huit ans moins deux mois et mourut dans la
matinée du jour de la rupture du jeûne, le vendredi
(l”chaoual) un des mois de l’année 1051 (3 janvier 1642).
Les prières de ses funérailles furent faites aumosalla.

Le Djinni-Koï révoqué, Mohammed- Kanbara, exerça de
nouveau les fonctions de chef de Dienné, pendant une année
et trois mois. Puis, révoqué une seconde fois, il eut pour
successeur son frère Isma’il-ben-Mohammed-ben-Isma’ïl qui
fut élevé à cette dignité le lundi, 3 du mois de moharrem, le
premier des mois de l’année 10o3 (24 mars 1643); il con-
serva ses fonctions durant neuf ans et fut révoqué au mois
sacré de moharrem le premier des mois de l’année 1062
(14 décembre 1651-13 janvier 1652). Son frère Ankeba’li-
ben-Mohammed-ben-Isma’il lui succéda et c’est encore lui
qui à l’époque actuelle est Djinni-Koï.

Au moment où le caïd Mâmi revint de son expédition con-
tre le Bâghena-Fâri, Abou-Bekr-ould-El-Ghandâs, le Targui,
se mit en route de Ras-el-Mâ à Tombouctou pour y combat-
tre le caïd El-Mostafa. Comme les Touareg s’approchaient
de la ville, El-Mostafa fut très inquiet parce qu’il manquait
absolument de cavalerie. Il n’y avait alors à Tombouctou
qu’un seul cheval, c’était le sien. Il était donc en proie à
une grande angoisse lorsqu’il reçut la nouvelle que le caïd
Ali-Er-Ràchedi était arrivé à Bir-Takhonât à une journée
de marche de Tombouctou. Or ce caïd avait avec lui
1.500 hommes d’infanterie, 500 cavaliers et 500 chevaux
non montés. Ces renforts avaient été envoyés à la suite de la
lettre adressée parle pacha Mahmoud’, lettre dans laquelle
il annonçait qu’il avait perdu tous ses chevaux dans le pays
de Dendi.

Aussitôt (n io) le caïd El-Mostafa expédia Amnîra*-ould-El-

1. Il faut ajouter : au sultan du Maroc.

2. La lecture de ce nom est peu sûre.

 

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME 253

Ghezzâli, afin de hâter le plus possible Tarrivée de ces che-
vaux; ce dernier les amena en temps voulu en sorte que,
parmi les Marocains,, la joie fit place à la tristesse. El-Mostafa
se porta à la rencontre du Targui. Celui-ci venait d’arriver
à Bir-Ez-Zobeïr dans la soirée, amenant avec lui tous ses com-
pagnons touareg, un grand nombre de Sanhadji, porteurs
détresses* et des Zaghrâni. Il avait également avec lui Màmi-
ould-Amar-ould-Kobori et son frère Ahmed qui tous deux
étaient venus habiter près de lui lorsqu’ils avaient fui deTom-
bouctou après l’affaire du caïd El-Mostafa.

La bataille s’engagea auprès du puits dont il vient d’être
parlé. La première personne qui fut tuée fut précisément
Mâmi-ould-Amar qui, à l’époque du gouvernement songhaï,
s’était montré très tyrannique, débauché et rapace (Dieu
nous préserve de gens pareils!). Il fut atteint par une balle
et mourut sur le coup. Abou-Bekr le Targui s’étant mis à
l’écart, les Marocains le poursuivirent jusqu’à la colline de
Nana-Zarqoutan. Alors, faisant volte face, le Targui se pré-
cipita sur le caïd El-Mostafa l’épée nue à la main et il allait
le frapper quand Edris-El-Abiod se plaça entre eux avec son
bouclier. L’arme s’abattit sur le bouclier, le coupa en deux
et trancha même un des doigts de Edris.

Enfin Dieu décida la victoire en faveur du caïd El-Mos-
tafa. L’ennemi, mis en déroute, s’enfuit, et nombre de com-
pagnons d’Abou-Bekr le Targui furent tués par les Maro-
cains. Lors de leur arrivée à Ras-al-Mà, les Touareg avaient
tué Ben-Daoud et tous les soldats qu’il avait avec lui et qui
avaient construit la casbah qui se trouvait en cet endroit.
Ces soldats au nombre de soixante et onze étaient restés
sur place pour défendre la casbah.

Cela fait, le caïd ‘Ali-Er-Râchedi continua sa route et con-

1. Il s’agit de Berbères ayant l’habitude de tresser une partie de leurs cheveux,
ainsi que le font encore les populations du Rif marocain.

 

254 HISTOIRE DU SOUDAN

duisit son corps d’armée au pacha Mahmoud jusque dans le
pays de Dendi. Ensuite d’autres renforts arrivèrent avec les
caïds Ben-Dahmân, Abdelaziz-ben -Omar et ‘Ali-ben-Abdal-
lah-Et-Telemsâni qui amenèrent à eux tous quatre cents
hommes (n’^’v). Ils poursuivirent leur route et rejoignirent
le pacha Mahmoud qui, ainsi qu’on Ta vu plus haut, réunit
six corps d’armée dans le pays de Dendi.

Le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni était le fils d’Abdallah, un des principaux caïds du sultan dans la ville de Fez. Quand son père mourut, ‘Ali fut nommé caïd à sa place. C’était alors un tout jeune homme. Comme il passait sa vie en orgies de toutes sortes et qu’il s’enivrait de vin, il perdit bientôt toute considération parmi les habitants de la ville.
Mais il avait auprès du sultan un très puissant appui, le fils de sa sœur qui était mariée au caïd ‘Azzouz, aussi son nom ne tomba-t-il pas complètement dans l’oubli.

Il fut envoyé au Soudan par le sultan de Maroc en qualité
de caïd de troisième ligne* et il n’exerça ces fonctions de caïd
qu’après la mort de deux personnages qui le précédaient
hiérarchiquement. Devenu seul caïd, il accomplit les actions
les plus extraordinaires au point qu’on le citait comme mo-
dèle dans toutes les circonstances difficiles ou critiques.
Qu’elle serait longue la liste des expéditions auxquelles il
prit part, des braves qu’il combattit, dés ennemis qu’il fit
périr, des demeures qu’il saccagea ou prit d’assaut, des pays
qu’il conquit, des séditions qu’il apaisa, des places fortes
qu’il protégea, des illusions qu’il dissipa pour les ramener à
la réalité ! Durant des années et des années il appliqua tous
ses efforts à cette tache et pacifia si bien le pays que l’on
n’entendait partout que ces mots : paix, paix.

Le pacha Mahmoud, qui n’avait pas quitté le pays de

1. On voit par ce passage que le titre de caïd n’impliquait pas toujours l’exer*
cice immédiat de la fonction.

 

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME 255

Dendi, manda alors au caïd El-Mostafa de mettre à mort
les deux chérifs,le cheikh Mohammed-ben-‘Otsmâu et Baba-
bou-‘Omar, fils de la fille du chérif Ahmed-Es-Seqli. Ces deux
personnages furent tués de la façon la plus cruelle sur le
marché par l’ordre du hàkem ‘Ali-Ed-Deràouï. Le chaouch
El-Kâmel, qui accomplit cette exécution, coupa les deux mains
et les deux pieds des victimes avec une hache et abandonna
ensuite sur place ces malheureux ainsi mutilés qui ne tar-
dèrent pas à mourir dans cette situation. (Nous appartenons
à Dieu et c’est vers Lui que nous devons revenir.) Ceci se
passa le jeudi, 9 du mois sacré de moharrem (n”iv), le pre-
mier des mois de Tannée 1001 (16 octobre 1592) ; ce mois
commença un mercredi, le 5 octobre *.

Les corps des deux suppliciés furent enterrés dans une même fosse tout près du tombeau de Sidi Aboul-Qâsem-Et-Touâti. Aussitôt après cette exécution le ciel s’était tout à
coup obscurci et une poussière rouge avait envahi l’atmos-
phère. Ces deux personnages, qui appartenaient à la fîère
descendance de la famille de Prophète (que Dieu répande sur
lui le salut et lui accorde sa bénédiction!), périrent en véri-
tables martyrs (que Dieu leur témoigne sa satisfaction et leur
fasse miséricorde!). La main de l’exécuteur resta desséchée
jusqu’à sa mort, et, bientôt, la fille du Prophète- demandera
compte à ce chaouch de ce qu’il a fait.

Au mois de safar de cette même année (7 novembre-6 dé-
cembre 1 592), le jurisconsulte, le cadi Abou Hafs-‘Omar, fils
du saint de Dieu, le jurisconsulte, le cadi, Mahmoud-ben-
Omar (Dieu leur fasse miséricorde et nous fasse profiter de
leur bénédiction!), envoya Chems-Ed-Dîn, fils de son frère le
cadi Mohammed, porter une lettre au cheikh béni, Sidi Ab-

1. En réalité ce mercredi était le 8 octobre et non le 5.

2. L’auteur s’est servi ici du mot « La Vierge » pour désigner Fatima, la fille
du Prophète.

 

256 HISTOIRE DU SOUDAN

dallah-ben-Mobarek-El-‘Ani, et fit accompagner ce messager
du El-Fa’ Mohammed-oiild-Idider et du El-Fa’ Konba’ali.
Dans cette lettre le cadi demandait au cheikh d’aller trouver
le sultan Maulay Ahmed et de faire appel à sa clémence en
faveur des habitants de Tombouctou au sujet des troubles
qui avaient éclaté entre eux et le caïd El-Mostafa. C’étaient,
ajoutait-il, les Marocains qui avait eu les premiers torts, car
la population de Tombouctou soumise d’abord à Dieu et à
son prophète était également dévouée au sultan.

La députation quitta Tombouctou après la prière du dohor,
le mercredi, 20 du mois ci-dessus indiqué (26 novembre
1592); elle se rendit auprès du cheikh qui se mit aussitôt en
route avec elle pour se rendre auprès du sultan àMerràkech,
ville dans laquelle lui, le cheikh, n’était jamais allé.

La supplique, dans laquelle le cadi faisait valoir les excuses
qu’il avait cru devoir présenter, fut remise au sultan. Celui-
ci agréa la recommandation du cheikh qui retourna ensuite
dans son pays. Le sultan accueillit les envoyés avecles plus
grands égards; il leur fit une réception extraordinaire et
magnifique, puis, après les avoir gardés un an auprès de lui,
il les renvoya chez eux avec le caïd Bou-Ikhtiyâr.

 

CHAPITRE XXIV

LUTTE CONTRE ASKIA-NOUH. – MORT DU PACHA MAHMOUD-BEN-ZERGOUN. – EXPÉDITION CONTRE LE MASINA.

Revenons maintenant au retour du pacha Mahmoud à
Tombouctou. On a vu précédemment que le pacha s’était
attardé pendant deux ans dans le pays de Dendi pour y
combattre contre Askia-Nouh. N’ayant pu réussir à atteindre

 

CHAPITRE VINGT QUATRIÈME 957

le but qu’il poursuivait, il revint à Tombouctou. Mais, avant
de parvenir dans cette ville, il écrivit au caïd, El-Mostafa,
lui enjoignant de faire arrêter le cadi ‘Omar et ses frères,
puis d’attendre s(Jn arrivée. Le caïd répondit qu’il lui était
impossible d’exécuter cet ordre : « Attendez, ajouta-t-il,
pour ce faire, que vous soyez vous-même ici dans nos murs. »

Dès qu’il fut à Tombouctou, le pacha voulut mettre son
dessein à exécution; mais les gens prudents et avisés l’en-
gagèrent à n’en rien faire et à tirer vengeance auparavant
de Abou-Bekr-ould-Ël-Ghandàs et de ses complices qui
avaient fait périr Ben-Daoud et ses compagnons. Au moment
où le pacha allait suivre ce conseil, Abou-Bekr prit la fuite
et se mit hors d’atteinte. Le pacha alors attaqua brusque-
ment les Senhadji et en fit un tel carnage que tout le
monde s’imagina qu’il ne restait plus dans toute cette con-
trée un seul Senhadji. En outre le pacha fît un butin con-
sidérable.

Cette expédition terminée, le pacha rentra à Tombouctou.
Au moment où il avait quitté le pays de Dendi, il avait laissé
derrière lui, à Kâgho, le pacha Djouder qu’il avait nommé
son lieutenant dans cette ville. Pendant le trajet il s’était
arrêté pour bâtir la casbah de Benba dans laquelle il ins-
talla une garnison qu’il plaça sous les ordres du caïd El-
Mostafa-ben-‘Asker .

Ce fut après être rentré à Tombouctou, de retour de Ras-
el-Mâ où il était allé attaquer les Senhadji, que le pacha
Mahmoud commença à prendre les mesures qui devaient
aboutir à l’arrestation des jurisconsultes enfants de Sidi Mah-
moud (Dieu fasse miséricorde à celui-ci et nous soit favo-
rable à cause de lui!).

Le principal auxiliaire du pacha et son conseiller le plus
influent à cette époque était Habîb-ould-Mohammed-Anbâbo.
La première mesure qui fut prise, après délibération, fut de

{Histoire du Soudan ) 17

 

â58 HISTOIRE DU SOUDAN

faire annoncer à Tombouctou par un crieur public que le
pacha devait le lendemain faire une perquisition dans toutes
les maisons de la ville, que tout individu, dans la maison
duquel on trouverait des armes, n’aurait qu’à s’en prendre à
lui-même du sort qui l’attendrait s’il avait des armes et que
seules les maisons des jurisconsultes enfants de Sidi Mahmoud
seraient exceptées de la perquisition.

A cette annonce, la population entière se hâta de trans-
porter toutes ses richesses dans les maisons des jurisconsultes
pour les y mettre en dépôt. On pensait en effet que si le pacha
trouvait de l’argent dans une quelconque (>ni) des maisons
au moment de la perquisition, il s’en emparerait par la vio-
lence et injustement. Tel était en effet le but réel de ceux qui
avaient pris cette mesure.

Le lendemain, la perquisition eut Heu et toutes les mai-
sons de la ville furent fouillées. A la suite de cette opération,
le pacha fit annoncer par le crieur public que, les jours sui-
vants, tous les habitants devraient se réunir dans la mosquée
de Sankoré pour y prêter serment de fidélité au sultan
Maulay Ahmed.

Quand tout le monde fut assemblé dans la mosquée, on fit prêter serment aux gens du Touat, à ceux du Fezzan, à ceux d’Audjela et à tous ceux qui appartenaient à cette région. Cela dura tout le premier jour qui fut un lundi, 22 du mois sacré de moharrem, le premier des mois de l’année 1002 (18 octobre 1593). Puis le mardi, 23 du même mois, ce fut le tour des gens de Oualata, de Oueddan et autres personnes de ces régions.

« H ne reste plus maintenant que les jurisconsultes qui n’ont pas encore juré, dit alors le pacha; ce sera pour demain en présence de tout le monde. » Le jour suivant, quand tout le monde fut réuni dans la mosquée, on ferma les portes, puis on fit sortir tous les assistants à l’exception des jurisconsultes, de leurs amis et de leurs suivants. Le pacha Mohammed les fit tous arrêter ce jour-là, c’est-à-dire le mercredi, 24 du mois de moharrem de l’année 1002 (20 octobre 1593) ; puis, après les avoir ainsi faits prisonniers, il ordonna de les conduire à la casbah en les partageant en deux groupes : l’un qui se rendrait à la casbah en traversant toute la ville; l’autre qui prendrait un chemin passant hors de la ville du côté de l’est.

Les personnes qui composaient ce second groupe furent
massacrées sans défense ce jour-là. Comme elles étaient
en marche et qu’elles avaient atteint le quartier de Zim-
Konda, l’une d’elles, un Ouankoré du nom de Andafo,
s’empara du sabre d’un des soldats qui les conduisaient et
l’en frappa. Immédiatement quatorze des prisonniers furent
massacrés par les soldats.

Parmi les victimes de ce massacre on comptait neuf per-
sonnes appartenant aux grandes familles de Sankoré : le très
docte jurisconsulte Ahmed-Mo’yâ ; le pieux jurisconsulte
Mohammed-El-Amîn, fds du cadi Mohammed-ben-Sidi-Mah-
moud; le jurisconsulte El-Mostafa, le fds du jurisconsulte
Masira-Anda-‘Omar; Mohammed-ben-Ahmed-(N v«) Bîr, fils
du jurisconsulte Sidi Mahmoud; Bouzo-ben-Ahmed-Ad-‘Ot-
mân; Mohammed-El-Mokhtàr-ben-Mo’yâ-Achâr; Ahmed-Bîr-
ben-Mohammed-El-Mokhtâr, fils de Ahmed, le frère du El-
Fâ Salha-ïakouni, ce dernier fils du frère de Masira-A.nda-
Omar; Mohammed-Siri-ben-El-Amîn, père de Sonna; Mah-
moud-Kiraoukori, un des habitants du quartier de Kâbîr;
Borhom •-BoyroU–Et-Touâti, le cordonnier ; c’était un des
gens de Koïra-Kona; deux Ouankoré, Andafo qui avait pro-
voqué la catastrophe, et son frère; deux hartani appartenant

1. Ou : Yborhom.

2. Ou : Boydoli.

 

260 HISTOIRE DU SOUDAN

aux enfants de Sidi Mahmoud; eufui FaJl et Chinoun, tous
deux tailleurs.

Un seul individu de ce groupe échappa au massacre;
ce fut Mohammed-ben-El-Amîn-Kânou; il fut délivré de ses
liens par le frère du caïd Ahnied-ben-El-Haddâd qui le prit
sur son cheval et l’emporta dans sa maison où il le con-
duisit sain et sauf. En apprenant cette catastrophe, le pacha
Mahmoud, qui était encore à la mosquée, s’écria qu’il
n’avait pas autorisé ce massacre et il envoya aussitôt des
ordres pour que pareil fait ne se renouvelât pas.

Le cadi Omar était à cette époque un vieillard âgé.
Comme il souffrait de douleurs de reins qui l’empêchaient
de marcher on le fit monter sur un jeune mulet et l’on en
fit autant pour l’ascète Sidi Abderrahman qui faisait partie du
même groupe que lui, celui qui avait traversé la ville. Tous
ceux qui avaient été arrêtés sur l’ordre du pacha Mahmoud
avaient été garrottés pour acccomplir le trajet ; il n’y avait
eu d’exceptions que pour les deux personnages qui viennent
d’être nommés.

Le massacre des prisonniers avait eu lieu près de la
maison de Amrâdocho, un des hartani de la ville de Tom-
bouctou et il reçut l’ordre d’enterrer tous les cadavres dans
sa maison. Le jurisconsulte Ahmed-Mo’yâ, le jurisconsulte
Mohammed-El-Amîn et le jurisconsulte El-Mostafa furent en-
sevehs dans la même fosse, et ce fut le très docte juriscon-
sulte Mohammed-Baghyo’o qui s’occupa de toutes ces funé-
railles. Amrâdocho quitta ensuite Tombouctou pour se
mettre en voyage et il alla s’étabUr dans la ville de Chibi où
il demeura jusqu’à sa mort.

Quand l’ascète Sidi Abderrahman avait appris l’événe-
ment, il s’était écrié : « De tous les membres de cette
famille, tous succomberont aujourd’hui à l’exception de

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 261

Mohammed-El-Amîn*. » Puis lorsqu’il apprit la mort de
Fadl, il dit encore : (nvn) « Fadl a succombé dans cette
affaire, mais il aura la récompense suprême. »

Le pacha Mahmoud pénétra dans toutes les maisons des
jurisconsultes; il en emporta tout ce qu’elles contenaient
d’argent, de choses et de meubles en quantité telle que
Dieu seul la peut connaître, car outre les biens des juris-
consultes il se trouvait là des richesses apportées en dépôt
par la population.

Les gens du pacha pillèrent tout ce qu’ils purent trouver,
faisant mettre à nu hommes et femmes pour les fouiller. Ils
abusèrent ensuite des femmes et les emmenèrent ainsi que
les hommes dans la casbah où ils les tinrent prisonniers
durant six mois. Quant au pacha Mohammed, il gaspilla
toutes les richesses dont il s’était emparé et les dis{)ersa de
tous côtés. Il en fit des largesses à ses soldats, sans envoyer
autre chose au sultan Maulay Ahmed que 100.000 pièces
d’or.

Pendant qu’il était à Tombouctou, le pacha Mahmoud ap-
prit que le jeune ^ caïd Ammâr et ses compagnons qu’il
avait laissés dans la casbah de Kolen étaient dans une situa-
tion très critique par suite des attaques de Askia-Nouh. Il
expédia le caïd Mâmi-ben-Barroun avec des embarcations
pour aller recueillir les assiégés et les ramener à Tombouc-
tou.

Arrivé à Kolen, le caïd Mâmi ne trouva pas moyen de
parvenir à la porte de la casbah tant le blocus établi par les
troupes de l’Askia était étroit. Avec ses embarcations il
pénétra par la voie du Fleuve jusque derrière la casbah dont
on démolit les murs de ce côté, ce qui permit à une embar-

1. C’est-à-dire Moliamined-ben-El-Amin-Kânou. Le texte ne dit pas nettement
à quel moment l’ascète annonça cette nouvelle sous forme de prédiction.

2. Cette épithète pourrait à la rigueur être un surnom.

 

262 HISTOIRE DU SOUDAN

cation de s’approcher. Le caïd ‘Ammâr monta alors sur une
barque du Fenfa Saïd-Dogha et toute la garnison put en-
suite gagner ainsi Tombouctou et y arriver en toute sécu-
rité.

Après que le pacha Djouder fut retourné à Merrâkech,
les habitants de Dienné chassèrent de leur ville le sultan de
Melli ; le caïd ‘Ammâr était alors pacha, et des félicita-
tions lui furent adressées par l’intermédiaire du chaouch
Mesaoud-El-Lebbân qui alla le trouver sur la barque du
Fenfa dont il a été question ci-dessus. Le Fenfa racontant
cet événement ajouta : « Quand nous fûmes en présence du
pacha, celui-ci me dit : « N’est-ce pas toi qui m’as em-
« mené dans ta barque lorsque nous avons évacué la casbah
« de Kolen? — Oui, lui répondis-je. » Et je vis par là
combien sa vue était perçante et sa mémoire fidèle. »

En réponse à la démarche des envoyés du cadi ‘Omar qui
s’étaient rendus à Merrâkech, le sultan Maulay Ahmed envoya
à Tombouctou le caïd Bou-ïkhtyâr, peu de temps après la
capture des jurisconsultes’, et, si je ne me trompe, c’était au
mois de safar de l’année 14)02 (27 octobre-25 novem-
bre 1593). Ce caïd était un renégat chrétien (nvy) au teint
bronzé et fort bel homme. Fils d’un prince chrétien, dont
les frères étaient jaloux de sa mère, une favorite, il dut,
pour échapper à leurs persécutions réitérées, se réfugier
auprès du souverain musulman du Maroc Moulay Ahmed.
Son père envoya alors des sommes considérables pour le ra-
cheter; mais quand il reçut cet argent, Maulay Ahmed le
remit au jeune homme en lui disant : « Tout ceci t’appar-
tient, c’est ta propriété légitime. » Il était d’usage dans ces
circonstances de ne jamais remettre l’argent ^

1. C’est à-dire: des arrestations opérées par le pacha Mahommed-ben-Zergoun.

2. L’auteur veut dire qu’il n’était pas d’usage de remettre au captif l’argent
destiné à son rachat, quand ce rachat, pour un motif quelconque, n’était pas
effectué.

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 263

En fin de compte le sultan accorda sa grâce au cadi ‘Omar
et lui écrivit un rescrit à ce sujet. Il fit partir les envoyés du
cadi avec le caïdBou-Ikhtiyâret donna l’ordre à ce dernier
dédire au pacha Mahmoud de ne molester en aucune façon
le cadi ni ses gens. Auparavant, le sultan avait écrit au
pacha d’arrêter tous ces gens-là et de les lui amener enchaî-
nés ; mais personne dans son entourage ne savait que cette
lettre avait été écrite.

Quand on arriva à Teghazza, le caïd Bou-Ikhtiyàr, ayant
appris tout ce que Mahmoud-ben-Zergoun avait fait contre
les jurisconsultes à Tombouctou, manda Chems-Ed-Dîn pen-
dant la nuit et lui dit : « Maulay Ahmed m’a trompé et vous
a trompés. » Puis il raconta à Chems-Ed-Dîn tout ce qui
avait été fait contre les personnes de sa famille et l’engagea
à chercher un moyen de sauver sa vie.

Chems-Ed-Din se réfugia alors auprès de Aïssa-beu-Seli-
man-El-Berbouchi, cheikh des Oulad Abderrahman, dont les
tentes à ce moment se trouvaient derrière Teghazza. Il se
plaça sous la protection de ce cheikh et lui demanda de le
conduire jusqu’à la ville de Ouâda*. Accédant à son désir, le
cheikh conduisit lui-même Chems-Ed-Dîn dans cette localité,
et ce dernier y séjourna jusqu’au moment où le très docte
jurisconsulte Ahmed-l^aba revint à Tombouctou. Alors
Ahmed-Baba l’envoya chercher. C^hems-Ed-dîn vint trouver
Ahmed-Baba, habita avec lui et mourut peu de temps après
cela (que Dieu lui fasse miséricorde!).

Quant à Maham-ould-Idider il reçut également un écrit
de sauvegarde qui lui fut délivré par Maulay Ahmed et qu’il
remit au pacha Mahmoud lui-même, lorsqu’il arriva à Tom-
bouctou en compagnie du caïd Bou-Ikhtiyâr; celui-ci était
à la tête d’une armée composée de 1.200 soldats : 600 de
ces soldats, provenant des populations de Massa, marchaient

1. Ou : Ouàd.

 

264 HISTOIRK DU SOUDAN

avec lui séparément; les 600 autres, comprenant des gens
du Haha, marchaient de leur côté avec El-Hasan-ben-Ez-
Zobeïr.

Maulay Ahmed avait donné l’ordre aux deux corps
d’armée de voyager séparément dans la crainte qu’il y eût
encombrement et bousculade pour l’eau en arrivant à l’ai-
guade. Partout où (>vt) Bou-Ikhtiyar avait passé le jour,
El-Hasen-ben-Zobeïr y venait passer la nuit, en sorte que
Bou-Ikhtiyâr entra avant son collègue dans la ville de Tom-
bouctou. C’était la première fois que Maulay Ahmed se ser-
vait de gens de Massa et du Haha pour le service militaire;
il les avait exonérés en échange de toutes charges et impôts.
En même temps que ces deux caïds était venu le caïd Abd-
elmalek qui poursuivit sa route jusqu’à Kâgho où il alla
demeurer.

Après avoir gardé en prison les jurisconsultes tombouc-
tiens pendant environ cinq mois, le pacha Mahmoud se
décida à les envoyer à Merrâkech. Ils partirent donc formant
une troupe nombreuse où figuraient pères, enfants, petits-
fils, hommes et femmes entassés pêle-mêle’. La caravane
se mit en route le samedi, 25 de djomada II de l’année ci-
dessus indiquée (18 mars 1594); elle comprenait en outre,
le lieutenant-général Bahasen-Feriro, le caïd Ahmed-ben-
Yousef-El-‘Euldji^ et d’autres personnages.

Bahasen-Feriro succomba pendant le voyage dans les cir-
constances suivantes : le jour où il mourut, la caravane venait
de commencer à se mettre en marche. Il se rendit à ce mo-
ment vers le saint de Dieu, le pieux jurisconsulte, Sidi Ab-
derrahman, fds du saint de Dieu, le père des bénédictions,
Mahmoud et le trouva en train de faire ses ablutions. Il lui

 

i. Mot-à-mol : serrés comme les (lèches dans un carquois.
2. El-Euidji signifie « le renégat » et pourrait n’être qu’une épithète, au lieu
de faire partie du nom du caïd.

 

r

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 265

lança un coup de pied et lui donna l’ordre de se mettre en
route sans achever son ablution. Le saint ne bougea pas,
acheva son ablution et enfourcha ensuite sa monture. Feriro
se mit en selle également; mais, peu après, son chameau
s’emportant le jeta à terre. Dans sa chute Feriro se brisa la
colonne vertébrale ‘ et mourut sur-le-champ.

Lorsqu’on arriva en vue de la ville de Merrâkech, le ju-
risconsulte, le cadi Abou-Hafs-‘Omar, fils du jurisconsulte
Mahmoud, lança en ces termes une imprécation contre les
habitants de cette ville : « mon Dieu! ainsi qu’ils nous ont
tourmentés et fait sortir de notre pays, tourmente-les à ton
tour et fais qu’ils soient obligés de quitter leur patrie! »
Dieu exauça cette imprécation, car du jour de leur entrée
à Merrâkech commença pour cette ville une ère de cala-
mités.

Aussitôt que les jurisconsultes eurent quitté Tombouctou,
le pacha Mahmoud-ben-Zergoun fit changer l’emplacement
du marché^ et le transporta du côté de la porte de la casbah.
Ce changement eut lieu le jeudi, 6 du mois de cha’ban de
Tannée précitée (27 avril 1594).

La caravane arriva à Merrâkech le premier jour du mois
de ramadan de cette année (l^juin 1594), à ce que rapporte
le très docte Ahmed-Baba (que Dieu lui fasse miséricorde
et nous fasse bénéficier de sa saiiiteté!) dans son livre inti-
tulé Dzeil-Ed-Dibddj . Dans ce même ouvrage Ahmed-Baba
dit à ce sujet : « Ainsi que les membres de sa famille, il
(‘Omar) subit de cruelles épreuves (> vi) ; il fut interné dans
sa propre ville au mois de moharrem de l’année 1002 (oc-
tobre 1593) sur l’ordre de Mahmoud-ben-Zergoun, après que

 

1. Mol-à-mot : se cassa le cou.

2. C’est généralement sur les marchés que les révoltes se manifestent tout
d’abord, et l’on comprend dès lors tout l’intérêt qu’il y avait à placer le marché
dans le voisinage de la casbah qui contenait les troupes.

 

266 HISTOIRE DU SOUDAN

celui-ci se fut emparé de cette cité. Emmené prisonnier avec
tous les siens et chargés de chaînes, il arriva à Merrâkech le
premier jour du mois de ramadan de cette même année. Il
resta avec toute sa famille enfermé dans cette ville jusqu’au
moment où son supplice cessa enfin, et où il fut rendu à la
liberté, le dimanche, 2 1 * du mois de ramadan de l’année 1004
(19 mai 1596). Les cœurs de tous les musulmans se rempli-
rent de joie à cette nouvelle. Puisse Dieu faire de cette
épreuve l’expiation de leurs péchés I »

Le caïd Ahmed-ben-El-Haddàd revint en secret de Merrâ-
kech à Tombouctou sans que le pacha Mahmoud eût con-
naissance de son retour. Il était allé au Maroc en prenant
la route de Oualata et avait informé le sultan Maulay Ahmed
de toutes les exactions que commettait le pacha Mahmoud
qui, disait-il, ne connaissait que son sabre ; c’était au point
que si quelqu’un en sa présence déclarait vouloir servir^ le
sultan, il tirait aussitôt son sabre en partie du fourreau en
disant : « Le sultan, le voici ! »

Ce récit excita chez le sultan une vive colère. « Comment,
s*écria-t-il, je n’aurais de victoires dans le Soudan que
grâce à l’épée de ce misérable ! » Sa colère devint encore
plus violente lorsqu’il vit arriver les envoyés du pacha ame-
nant les jurisconsultes et qu’il apprit qu’on avait pillé des
richesses incalculables dans les maisons de ces derniers sans
lui envoyer autre chose que 100.000 mitsqal.

Il écrivit alors à l’amin, le caïd Hammou-Haqq^-Ed-Der’i
de se rendre auprès de lui et à Baqqâs-Ed-Dâremi de rem-
plir les fonctions d’amin à la place de Ilammou. Quand ce
dernier arriva à la cour, il présenta ses comptes au sultan ;

 

1. Ou :1e 11 d’après le ms. C ; mais il est probable que le copiste a omis la fin
du mol 20 qui, en arabe, est formé par une terminaison ajoutée au mot 10.

2. Ou dire : « que Dieu donne la victoire au sultan ».

3. Au lieu de Hammou-Haqq, il faut sans doute lire Hammou-Abdelhaqq.

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 267

celui-ci y vit figurer la mention de sommes énormes et, après
avoir reçu tout d’abord les sommes qui venaient de lui
être apportées, il demanda ce qu’était devenu tout cet
argent. L’amin répondit que le pacha Mahmoud avait dila-
pidé ces fonds et les avait gaspillés.

Mais le prince apprit que Hammou-Haqq ne lui avait pas
remis en entier les sommes qu’il avait par-devers lui, qu’il
en avait détourné une partie, 20.000 pièces d’or qu’il avait
enfouies dans un jardin qu’il possédait au Der’a. En consé-
quence il le fit arrêter et mettre en prison, puis il écrivit au
caïd El-Hasen-ben-Ez-Zobeïr, qui était à Tombouctou, pour
lui annoncer qu’il le nommait amin et que Baqqâs devrait se
rendre dans la ville de Dienné (nv©) pour y exercer les
fonctions d’amin. Hammou-Haqq resta en prison jusqu’à sa
mort, et ce fut alors seulement que l’on découvrit l’or qu’il
avait volé et enfoui. Grâce à la volonté de Dieu et à son pou-
voir, le sultan rentra en possession de cet argent.

Après avoir fait de nouveaux préparatifs, le pacha
Mahmoud recommença la guerre contre Askia-Nouh qui
avait quitté le pays de Dendi et s’était transporté dans la ré-
gion de El-Hadjar. Il prit avec lui toutes les troupes
qu’avaient amenées le caïd Bou-lkhtiyâr, puis il se porta
avec elles à la rencontre du pacha Djouder qu’il joignit à
Konkoroubou et qui venait de la ville de Kâgho, et il lui
offrit de l’emmener avec lui. Djouder demanda qu’on le
laissât tout d’abord allei’ jusqu’à Tombouctou y prendre
un peu de repos, ajoutant qu’ensuite il ferait sa jonction.
Mahmoud atteignit le pays de El-Hadjar et s’empara de
Honbori et de Da nka et de toutes les dépendances de ces
deux villes.

Le sultan Maulay Ahmed envoya alors au Soudan le caïd
Mansour-ben-Abderrahmân avec l’ordre d’arrêter Mahmoud-
ben-Zergoun et de lui infliger une mort ignominieuse. Le

 

268 HISTOIRE DU SOUDAN

fils du prince, Maulay Abou-Fârès, dépêcha aussitôt à son
tour, et en lui enjoignant la plus grande diligence, un mes-
sager au pacha pour l’informer du but delà venue de Man-
sour-ben-Abderrahmân et l’engager vivement à prendre
toutes ses mesures pour sa sécurité avant l’arrivée de ce
caïd.

En recevant cette nouvelle, le pacha Mahmoud fut certain
qu’elle était exacte, car il avait toujours été le serviteur fidèle
de Maulay Abou-Fârès et lui avait été plus dévoué qu’aux
autres fils du sultan Maulay Ahmed. Il se mit alors en marche
avec ses troupes, emmenant avec lui Askia-SeUman et se
dirigea vers les rochers de Almina-Ouâlo. On campa au pied
de ces rochers, et, la nuit venue, le pacha décida de les
escalader pour marcher contre les païens. Askia-Sehman
s’opposa à ce projet en disant qu’il n’y avait pas lieu d’es-
calader ces rochers pendant la nuit pour livrer un combat.
En disant cela, il ne doutait pas que le pacha voulait les con-
duire, lui et eux, à une mort certaine.

Vers la fin de la nuit, le pacha partit à la rencontre des
païens, emmenant avec lui quarante soldats marocains et
dix mulâtres des habitants de Tombouctou. Le reste de
l’armée ne savait rien de ce départ lorsqu’elle entendit le
bruit de la fusillade qui crépitait sur la montagne au moment
du lever de l’aurore. Tout le monde, efî’rayé par ce bruit, se
précipita vers l’endroit où était la tente du pacha et, ne Ty
voyant pas, se porta vers la montagne où l’on trouva ceux
qui (w^) avaient échappé au combat d’entre les compagnons
dn pacha et qui annoncèrent que celui-ci était mort ainsi que
le caïd ‘Ali-ben-El-Mostafa et d’autres personnes encore dont
Dieu avait décidé la mort ce jour-là.

Lorsque le pacha, al teint par les flèches, était tombé sur
le sol, les gens de Torai)ouctou l’avaient aussitôt chargé sur
leurs épaules pour le ramener au camp. Mais, serrés de près,

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 269

ils abandonnèrent le corps dont les païens détachèrent la
tête et l’envoyèrent à A skia-Nouh ; celui-ci l’expédia à Koula,
le sultan de Kabbi, qui la fit mettre au bout d’une perche qu’on
planta sur le marché de Lîka où elle resta pendant long-
temps. Askia-Sehman ramena les troupes marocaines, en
marchant avec la plus grande diligence dans la crainte d’être
rejoint parles païens et il arriva ainsi au lac* de Binka.

Avant la mort du pacha, le Maghcharen-Koï Aousenba
était venu le trouver et lui avait amené son fils Aknezer^;
il avait demandé que son fils Aknezer fut nommé chef des
Touareg établis à Ras-el-Mà, tandis que lui conserverait l’au-
torité sur ceux qui habitaient du côté de l’est. Mahmoud
avait accepté cette combinaison ; il avait partagé la rede-
vance de 1 .000 mitsqal, que ces Touareg payaient depuis
de longues années, en imposant 500 mitsqal à chacune des
deux nouvelles fractions. Telle fut la façon dont les choses
furent arrangées.

L’armée marocaine alla rejoindre Djouder et demeura
avec lui dans l’île de Zintà jusqu’à l’arrivée du caïd Man-
sour dans la ville de Tombouctou. Mansour fit son entrée
dans cette ville le jeudi, 1*”” du mois de redjeb l’unique, de
l’année 1003 (12 mars 4595). Le pacha Djouder s’était
porté à sa rencontre jusqu’à Abràz.

Mansour campa avec ses troupes dans le jardin de Dja’far^
et, à la suite du conseil qui fut tenu en cet endroit, il se
porta vers El-Hadjar dans le dessein de venger la mort de
Mahmoud. L’armée se mit en marche au mois de chaouâl
de cette même année (juin 1595); elle se composait de trois
mille hommes tant cavaliers que fantassins. Elle prit contact
avec Askia-Nouh dans le pays de El-Hadjar.

 

1. Ou : « fleuve ».

2. Ou : Ag-Nczer.

3. Ou : « à Djenan Dja’far », qui serait alors un nom de localité.

 

270 HISTOIRE DU SOUDAN

Askia-Nouh, qui avait avec lui toutes les populations son-
ghaïes, fut vaincu par le caïd Mansour qui lui fit subir une
déroute telle que jamais Mahmoud-ben-Zergoun ne lui en
avait infligée de pareille. Mis en fuite avec son armée,
Askia-Nouh dut abandonner toute la population qu’il avait
avec lui, et le caïd Mansour l’emmena tout entière en capti-
vité, hommes et femmes, jeunes et vieux, chanteurs et
chanteuses. Cela fait, Mansour retourna à Tombouctou et
confia l’administration de tout ce monde à Askia-Seliman *.
A dater de ce moment il se trouva maître du parti songhaï
et de tous ses adhérents (nvv).

Mansour habita Tombouctou. C’était un homme béni,
juste, ayant une grand(i autorité sur ses troupes; il em-
pêcha les tyranneaux et les déclassés d’opprimer les musul-
mans. Les faibles et les malheureux eurent bientôt pour lui
une grande affection, tandis que les méchants et les débau-
chés n’eurent pour lui que de la haine.

Peu après son installation à Tombouctou, Mansour entra
en conflit avec le pacha Djouder; il voulut retirer à ce der-
nier les troupes qu’il avait sous ses ordres et prendre l’ad-
ministration du pays, puisque Djouder avait été en réalité
révoqué depuis le moment de la venue de Mahmoud-ben-
Zergoun. Les choses en vinrent au point que des dépêches
à ce sujet furent adressées de part et d’autre à Maulay
Ahmed. Le sultan répondit en partageant l’autorité entre
ces deux personnages. Djouder eut l’administration du pays,
étant donné qu’il l’avait conquis par les armes. Quant au
caïd Mansour, il eut le commandement de toutes les troupes,
et il fut interdit à Tun comme à l’autre d’empiéter sur les
attributions de son collègue.

A la suite de ces événements, Mansour fit des préparatifs
pour une nouvelle expédition dans le pays de Dendi. Il se

1. Cette phrase n’est pas très claire dans le texte.

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈMI’: 271

mit en marche et alla camper à Karabara où il s’arrêta
pendant des mois parce qu’il était malade. 11 revint ensuite
à Tombouctou et alla s’installer avec ses troupes dans son
campement habituel. Ce fut là qu’il mourut de la maladie
dont il était atteint, vers le moment du coucher du soleil,
le vendredi, 17 du mois de rebi’ P’ de l’année 1005 (9 no-
vembre 1596).

On prétend que Djouder aurait empoisonné Mansour et
aurait ainsi causé sa mort; il aurait, assure-t-on, agi de
même à l’égard du caïd Bou-lkhtiyâr qui ne tarda pas
beaucoup à mourir après son arrivée au Soudan et qui fut
enterré dans la mosquée de Mohammed-Naddi. Quant à
Mansour, il ne fut pas enterré le jour même de sa mort,
mais seulement dans la matinée du lendemain, le samedi.
Après que les prières eurent été faites sur lui, il fut enseveli
dans la mosquée de Mohammed-Naddi près du tombeau de
Sidi Yahya. Plus tard son fds, venu de Merrâkech, trans-
porta le corps de son père dans cette ville et lui donna là sa
sépulture définitive.

Après la mort de Mansour, Maulay Ahmed envoya au
Soudan le pacha Mohammed-Tâba’. Celui-ci, à la tête d’une
armée de 1000 hommes tant fantassins que cavaliers, arriva
à Tombouctou le lundi, 19 du mois de djomada I” de l’année
1006 (28 décembre 1507), et campa derrière la casbah du
côté de l’est. C’était un homme âgé et un des caïds du
sultan Maulay Abdelmalek ; il était homme d’expérience, avisé
et prudent; il avait été jeté en prison par Maulay Ahmed
au début de son règne et y était resté enfermé douze
ans.

Mohammed-Tâba’ se prépara à quitter son camp pour
entreprendre une expédition dans le pays de El-Hadjar;
il enleva à Djouder le commandement des troupes qu’il
avait sous ses ordres (nva) et emmena avec lui le caïd El-

 

272 HISTOIRE DU SOUDAN

Mostafa-Et-Torki. Arrivé à Ankandi, Mohammed-Taba’ y
mourut le mercredi, 5 du mois de chaouàl (11 mai 1597);
ou prétend que Djouder lui avait fait admimstrer du poison
par Nâna-Torkia

Djouder était resté à Binka’ pendant ce temps pour garder
le pays. Le caïd El-Mostafa dut ramener ses troupes en ar-
rière après avoir eu avec les habitants du pays de El-
Hadjar un certain nombre d’engagements et après avoir été,
lui aussi, à ce que l’on assure, victime d’un empoisonnement.
Quand il arriva à l’endroit où se trouvait Djouder pour
veiller à la défense du pays, celui-ci voulut lui reprendre le
commandement des troupes et, comme El-Mostafa s’y refu-
sait, le différend fut porté devant les chefs de l’armée.
Ceux-ci donnèrent gain de cause à Djouder dont ils connais-
saient fort bien la façon de commander et qui d’ailleurs
avait toute l’armée dans sa main.

Tous se mirent ensuite en route pour Tombouctou. Quand
on arriva au port de Koronozafi, Djouder donna l’ordre à
El-Mostafa, qui était malade, de se rendre dans la ville de
Tombouctou et de séjourner dans la casbah. Puis, dès que
celui-ci fut parti, il envoya des gens sur ses traces avec ordre
de le tuer avant qu’il arrivât dans la ville. Étranglé dans le
village de Kabara par ces émissaires au nombre desquels
figurait Ibrahim-Es-Sekhàouï, El-Mostafa mourut et son
corps, transporté dans la ville, y fut enterré la première nuit
du mois de dzou ‘1-hiddja qui acheva l’année 1006 (4 juillet
1598). Son tombeau se trouve dans le cimetière de la mos-
quée de Mohammed-Naddi.

Cette même année, c’est-à-dire en l’année 1006 (14 août
1597-4 août 1598), l’amin, le caïd El-Hasen-ben-Ez-Zobeir
retourna à Merrâkech, emportant une somme considérable

1. Le ms. C donne Tombouctou, au lieu de Binka, ce qui est sûrement une
cireur du copiste.

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 273

d’argent provenant de l’impôt foncier* perçu sur le pays
pendant trois ans et un peu plus. 11 fut remplacé dans ses
fonctions, durant son absence, par le caïd Abdaliah-El-
Ilayouni et Sa’ïd-ben-Daoud-Es-Sousi. Mais lorsque l’amin
revint avec le pacha Seliman, à la fin de l’année 1008
(24 juillet io99-13 juillet 1600), les deux personnages ces-
sèrent leurs fonctions intérimaires qui n’avaient pas duré
tout à fait trois ans.

Lorsque le pacha Mahmoud-ben-Zergoun avait fait arrêter
les enfants de Sidi Mahmoud, le prince du Màsina, Hammedi-
Amina, était venu (^v^) à Tombouctou intercéder eu leur
faveur auprès du pacha. Comme le prince y mettait une très
grande insistance, le pacha, qui persistait dans son refus,
songea à le faire arrêter, lui aussi, en le voyant si obstiné à
vouloir défendre ses protégés en dépit de tout. Mais un des
conseillers soudanais de Mahmoud dissuada celui-ci de cette
arrestation et le pacha laissa le prince du Mâsina retourner
dans son pays.

Un peu plus tard Djouder manda au prince du Mâsina de
se rendre auprès de lui. Celui-ci ayant refusé de venir, le
pacha envoya au caïd El-Mostafa-Et-Torki, qui se trouvait
alors à Tendirma, l’ordre de faire une expédition contre
le Mâsina. El-Mostafa partit ayant avec lui 700 soldats ;
400 fantassins etSOOcavahers, puis il écrivit au caïd ‘Ali-ben*
Abdallah-Et-Telemsâni, qui se trouvait à ce moment à Ouen-
zagha^, en observation, de se joindre à lui dans cette cam-
pagne.

Les deux caïds se mirent en marche, emmenant avec eux
les plus vaillants des gens du Songhaï,tels que le Kormina-
Fâri Bokar-Konbou, le Kala-Châ’a Bokar et d’autres per-
sonnage de même valeur. Le prince du Mâsina s’enfuit avec

1. Le texte porte le mot : kharadj.

2. Ou : Ouenza’a.

{Histov’e du Soudan ) 18

 

274 HISTOIRE DU SOUDAN

les gens de sa maison seulement. Mais les Marocains joigni-
rent l’ennemi derrière la ville de Zâgha dans un endroit ap-
pelé Toulo-Fina. Le prince du Mâsina, qui avait avec lui un
grand nombre de païens du Bambara, s’enfuit avec ses
compagnons, laissant les païens seuls aux prises avecEl-Mos-
tafa. Les Marocains tuèrent un grand nombre de ces païens
qu’ils avaient cernés au milieu d’une grande forêt; ils s’em-
parèrent de toute la famille de Hammedi-Amina, entre
autres de sa femme ‘Aïcha-Folo et de quelques-uns de ses
jeunes enfants.

Hammedi-Amina, avec ses principaux chefs, se dirigea vers
la ville de Zâra auprès du sultan de cette ville Faran-Sorâ,.
pendant que son cousin paternel était nommé sultan à sa
place et que sa famille était enfermée en prison à Dienné.
Après deux années de séjour à Zâra il rentra dans son pays.

Aussitôt que le caïd El-Mostafa eut achevé de combattre
les païens,, il marcha sur les traces de Hammedi-Amina et le
poursuivit jusqu’au moment où celui-ci pénétra dans le pays
de Qayâka. Alors revenant sur ses pas, il parvint à la ville de
Koukirikoï * où habitait le Kala-Châ a et y campa quelques
jours avec ses troupes (na*).

De là les Marocains se mirent en marche en se dirigeant
vers la ville de Chininkou et campèrent sur la rive opposée
du Fleuve. Ils députèrent des envoyés aux notables de cette
ville qui vinrent les saluer et retournèrent ensuite chez eux
pour aller chercher les victuailles destinées à l’hospitalité.
Quand ceux-ci furent de retour, les Marocains leur enjoigni-
rent de leur envoyer des embarcations pour traverser le
Fleuve.

A peine arrivés de l’autre côte du Fleuve, les Marocains
assaillirent les gens du pays et un grand combat s’engagea

1. Koukirikoï pourrait être le titre du chef de la ville deKoukiri et il faudrait
alors traduire « la ville du Koukiri-Koï. »

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 275

dans lequel le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsàui fut atteint
par une flèche empoisonnée. Le caïd, qui souffrait de cette
blessure, s’étant mis à fumer du tabac fut pris de vomisse-
ments qui le débarrassèrent complètement du poison et as-
surèrent sa guérison. Ce fut à la suite de cela qu’il prit l’ha-
bitude d’user du tabac et ne cessa depuis, jusqu’à sa mort,
de fumer presque constamment.

Le cheval du Kala-Châ’a Bokar, atteint d’une flèche, suc-
comba sous son cavalier. Celui-ci, qui était d’une extrême
bravoure, très vaillant et très hardi, continua de combattre
à pied, mais sans succès. Un gendarme* marocain, qui con-
naissait bien les brillantes qualités du Kala-Châ’a, le voyant
ainsi dans la mêlée, descendit de son cheval et l’engagea à
enfourcher sa monture; mais le Kala-Châ’a, craignant qu’on
lui fît affront de sa conduite, refusa d’accepter cette offre et
il fallut que le gendarme marocain lui jurât qu’il tuerait le
cheval s’il ne le montait pas, pour qu’il se décidât à l’en-
fourcher. Quand le combat fut terminé, le gendarme maro-
cain dit au Kala-Châ’a : « J’ai vu qu’à pied tu ne rendais
aucun service et j’ai craint de te voir succomberinutilement.
Tandis que moi tout ce que je pouvais faire d’utile à cheval
je pouvais le faire aussi bien à pied, c’est pour cela que je
t’ai si vivement pressé de prendre mon cheval. »

En somme, on fit un grand carnage des habitants de la lo-
calité; on prit de nombreux prisonniers, hommes et femmes,
jurisconsultes et gens dévots. Dès que la nuit vint, à la suite
de cette affaire, le caïd ‘Ali-ben-Abdallah fit relâcher tous
ceux qui étaient tombés prisonniers entre ses mains et entre
celles de ses compagnons et leur rendit leur liberté. 11 n’en
fut pas de même du caïd El-Mostafa et de ses compagnons ;
ils emmenèrent à Tombouctou tous leurs prisonniers, les

1. C’est-à-dire un de ces cavaliers qui sont attachés au service d’un chef
marocain pour faire office de courrier et de gendarme.

 

276 HISTOIRE DU SOUDAN

vendirent au prix qu’ils en trouvèrent et réalisèrent ainsi un
certain profit.

Selon le dire de quelques personnes, la cause du châtiment
infligé aux habitants de Chininkou serait la suivante : Le
Châ’a-Makàï, à la tête d’une troupe de païens du Bambara,
s’était porté sur Dienné^ ravageant le pays, chassant devant
lui les habitants et semant partout le plus grand désordre. Or
c’étaient les gens de Chininkou seuls qui leur avaient fait
traverser le Fleuve (>A\) et c’est à cause de cela que les
Marocains leur avaient infligé un châtiment. Plus tard Ba-
Redouan, qui était alors caïd de la ville de Dienné, dirigea
en personne une seconde expédition contre eux, mais ils le
mirent en fuite lui et son armée et les chassèrent du pays où,
par la suite, les Marocains ne s’aventurèrent plus jamais.

Ce Châ’a-Makaï était \m des habitants de Kala. Au début
de l’occupation marocaine il avait été au service du Makhzen
à Dienné en qualité de palefrenier*. Quand il connut la façon
de combattre des Marocains, il s’éloigna d’eux et se retira
dans son pays d’où il devint un cruel fléau pour eux. A plu-
sieurs reprises et un grand nombre de fois il lança les païens
sur le territoire de Dienné qu’il saccagea et ruina complète-
ment.

 

CHAPITRE XXV

 

Le sultan Maulay Ahmed ayant donné l’ordre au pacha
Djouder de se rendre auprès de lui dans le courant de l’an-
née 1007 (4 août 1598-24 juillet 1599), le pacha écrivit au

 

1. Ou : « simple cavalier ».

 

CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME 277

prince en le priant d’envoyer quelqu’un pour gouverner le
pays et le représenter comme chef de l’armée.

Comme le sultan avait envoyé dans ce but le caïd El-
Mostafa-El-Fîl et le caïd Abdelmalek-El-Bortoqâli^, Djouder
adressa en toute hâte une seconde lettre au prince, lui deman-
dant de ne pas confier le pays à ces deux caïds parce que
le sultan de Melli s’était déjà mis en campagne pour venir
dans la contrée et que le roi du Mâsina Hammedi-Amina
faisait également des préparatifs pour y revenir. C’était
donc non des caïds qu’il fallait envoyer, mais un pacha dont
le titre en imposerait davantage.

Là-dessus Maulay Ahmed expédia le jeune ‘Ammâr-
Pacha, seul, sans le faire accompagner de troupes. Précé-
demment ‘Ammâr était allé au Songhaï conduire une armée
de 1000 hommes dont 500 renégats et 500 Andalous\ Arrivés
à Adzaouât, ces deux groupes se divisèrent pour suivre une
direction différente : les renégats prirent une direction qui
était le bon chemin et arrivèrent sains et saufs; les autres,
qui s’étaient dirigés d’un autre côté, s’égarèrent et périrent
tous. Avec ces derniers se trouvait Mâdji que le cadi “Omar
avait envoyé à Merrâkech après le départ des autres en-
voyés et qui périt également.

Djouder reçut alors l’ordre de venir immédiatement et
en toute hâte (nav), tout le pays fût-il en feu à ce moment.
Toutes ces lettres et tous ces messages se succédèrent dans
un temps très court. Les deux caïds, El-Mostafa et Abdcl-
malek, arrivèrent dans la ville de Tombouctou au mois do
djomada P”” de l’année 1007 (30 novembre- 30 dé-
cembre 1598); mais le pacha ‘Ammâr n’y arriva qu’au
mois de redjeb de la même année (28 janvier-27 fé-

1. « Le portugais ». Un certain nombre de ces caïds étaient des renégats ; de
là ces surnoms indiquant leur origine étrangère.

2. C’est-à-dire des descendants des Maures d’Espagne réfugiés au Maroc. •

 

278 HISTOIRE DU SOUDAN

vrier 1599). Quant au pacha Djouder il se mit en route,
pour se rendre à Merrâkech, le jeudi, 27 du mois de ramadan
de cette même année également (25 mars 1599).

Le sultan Mahmoud, roi de Melli, décida de faire une
expédition contre les gens de Dienné*. Il envoya un mes-
sager au Kala-Cha’a Bokar pour l’informer de ce projet
et lui demander son concours. Bokar, qui se trouvait à ce
moment dans la ville de Kounti, demanda au messager si
Sanqar-Zouma’a ^ et Faran-Sora devaient se joindre au roi de
Melli. « Non, répondit celui-ci. — Eh! bien, répondit Bokar,
présente-lui mes salutations et dis-lui que je l’attends ici
s’il plaît à Dieu. » Dès que le messager eut tourné le dos,
Bokar dit à ses compagnons : « Cela ne m’a pas l’air grave,
du moment que les deux principaux de ses vassaux ne
suivent point le roi de Melli. »

Quand le roi de Melli s’approcha de Dienné, Bokàr se
mit en marche vers cette ville en prenant les devants. Ni le
sultan de Kala, ni celui du Bindoko n’avaient répondu à
l’appel de Mahmoud et il n’avait avec lui que le Fadoko-
Koï, le Oma-Koï et Hammedi-Amina, le roi du Mâsina.
Seyyid Mansour, que le pacha Djouder avait nommé
hâkem de Dienné, donna aussitôt avis de l’expédition du roi
de Melli au pacha ‘Ammâr en lui demandant de le secourir.
Celui-ci envoya un corps d’armée sous les ordres du caïd
El-Mostafa-El-Fîletducaïd-‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni.
Quand ces renforts arrivèrent à Dienné dans la matinée du
vendredi, dernier jour du mois de ramadan de l’année
ci-dessus indiquée (26 avril 4599), ils trouvèrent l’ennemi
campé avec toutes ses troitpes sur les dunes de Sânouna et
ses forces étaient si considérables qu’elles s’étendaient

1. Le plus souvent, par le mot J»! « gens », l’auteur entend les Marocains,
à l’exclusion de la population noire.

2. La conjonction « et » a élu omise dans le texte arabe.

 

CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME 279

jusqu’au bras du Fleuve dans lequel les barques devaient
passer pour se rendre à la ville’. Le combat s’engagea
en cet endroit et ce ne fut qu’à la faveur d’une violente fusil-
lade que les Marocains durent leur salut. Toutefois les
barques réussirent à pénétrer dans la ville.

Le hâkem de Dienné, Seyyid Mansour, tint alors conseil
avec ses compagnons les plus expérimentés. Le Kala-Cha’a
Bokar émit l’avis de faire une sortie sur-le-champ, ce Si,
ajouta-t-il, nous laissons passer cette nuit sans agir, toute
la population du pays viendra se grouper autour de l’en-
nemi. » Alors Seyyid Mansour donna rendez-vous (nvv) à
ses compagnons pour livrer bataille aussitôt après l’office du
vendredi. A ce moment, en effet, la sortie eut lieu à laquelle
prit part le Djinni-Koï Mohammed-Kinba-ben-Isma’ïl. En
un clin d’œil le Melli-Koï et ses troupes furent mis en
déroute et perdirent un grand nombre d’hommes.

Grâce à son cheval, le Melli-Koï put s’échapper. Il fut
suivi par le Kala-Cha’a Bokar et par Sorya-Mohammed qui,
l’ayant rejoint en lieu sûr, le saluèrent comme sultan et
ôtèrent leurs bonnets pour lui rendre honneur ainsi que
c’était leur coutume. « Maintenant, dirent-ils au prince, il
vous faut accélérer votre marche, afin de ne pas être atteint
par l’ennemi, sinon, si l’on vous atteignait et vous reconnais-
sait, on vous traiterait de la plus indigne façon. » Là-dessus
ils prirent congé du prince et revinrent sur leurs pas.

Quand le combat et la poursuite furent terminés, tous les
caïds et les troupes rentrèrent à Dienné le vendredi vers
minuit, veille de la fête\ Aussitôt l’office de la fête terminé,
on décida de diriger une attaque contre Hammedi-Amina

 

1 . Dans ce passage, qui n’exisle que dans les mss. A et B, le ms. B met la né-
galion, en sorte qu’il faudrait traduire, « dans lequel les barques ne devaient
pas passer ».

2. La fête, dont il est question ici, est celle de la rupture du jeûne.

 

280 HISTOIRE DU SOUDAN

et ses tentes qui étaient alors dans la ville de Soa, bourg
situé près de El-Medina*. Mais le Kormina-Fâri Bokar-
ben-Ya’qoub représenta que ce personnage étant un no-
made, sa puissance était peu redoutable et qu’il y avait
beaucoup plus à craindre du Oma-Koï qui était un séden-
taire et qui avait su entraîner le Melli-Koï dans l’expédition
qu’il venait de faire contre eux.

S’en rapportant donc à l’appréciation du Kormina-Fâri,
les Marocains se mirent en marche contre le Oma-Koï; ils
détruisirent la ville de So’o^où ils firent un immense butin,
car à cette époque c’était un grand centre commercial. Cela
fait, ils revinrent à Dienné et conclurent la paix avec Ham-
medi-Amina à qui ils rendirent toute sa famille qu’ils
avaient emmenée en captivité au cours de cette expédition.
Ils révoquèrent Hammedi-‘Aïcha et l’emmenèrent à Tom-
bouctou où il resta emprisonné jusqu’au jour où il mourut
sous le gouvernement du pacha Mahmoud-Lonko^

Quant à la paix dont il vient d’être fait mention, elle n’eut
lieu qu’après la défaite de Seliman-Chaouch, lieutenant-
général à cette époque. Cette défaite eut lieu dans les cir-
constances suivantes : Au moment où les troupes revenaient
de l’expédition de So’a, le Fondoko Haminedi-Amina avait
adjoint à ses troupes un grand nombre de païens du Bambara,
puis il s’était mis en route vers l’est pour soulever le pays.

A cette nouvelle, les habitants de Dienné expédièrent un
corps d’armée pour combattre le Fondoko et placèrent à sa
tète le lieutenant-général Seliman-Chaouch, qui avait avec
lui 1er Fondoko Hammedi-‘Aïcha. Les deux troupes se ren-

 

1. Ou « près de sa capitale », si le mot « El-Medina » n’est pas un nom propre.

2. Ce nom est écrit plus haut : Soa; les Soudaniens confondent aisément les
deux lettres* et c et les substituent l’une à l’autre non seulement dans les
noms propres, ‘mais encore dans les noms communs. On trouve aussi l’ortho-
graphe Soo,

3. Ou : « Longo »; ce serait alors un surnom espagnol.

 

CHAPITRE VINGT-SIXIEME 281

contrèrent dans la ville de Ti\ et, dans le combat qui s’en-
gagea en cet endroit, tous les fusiliers de la colonne maro-
caine périrent, à l’exception de deux hommes. A la suite de
cette bataille, Hammedi-Amina alla dresser ses tentes dans
le bas-fonds de Dibi où il demeura quelques jours. Les gens
du campement de Hammedi^-‘Aïcha prirent la fuite (>Ai) et
se réfugièrent dans le pays de Bara où ils séjournèrent pen-
dant longtemps.

Le Fondoko Hammedi-Amina se mit ensuite en marche
et retourna à So’a; il s’y attarda jusqu’au moment où la
paix dont il a été question fut conclue et où on lui rendit
toute sa famille qui comprenait : sa femme ‘Aïcha-Folo ; son
plus jeune fds Kalil et Amina-bent-Fondoko-Boubo-Ma-
ryama, la femme de son fils aîné Boubo-Yama qui était son
héritier présomptif.

Hammedi-‘Aïcha fut révoqué et mis en prison. Lorsque
Mima arriva au pouvoir, il se rendit à Qayàka auprès du
Faran-Sora en compagnie de tous les gens du Mâsina, sauf
un petit nombre. Après être resté là un an, il retourna au
Borgou où il ne trouva plus aucun compétiteur. Il fit alors
sa soumission aux agents marocains, mais en paroles seule-
ment.

 

CHAPITRE XXVI

LES UOIS DU MASINA

Les rois du Mâsina sont originaires de Koma, nom d’une

1. Ou : « Tiya ».

2. Il s’agit ici de tous los gens campés avec Hammedi-Aïcha, soldats au non.
L’ortho„’raphe Hammedi est donnée par le ms. B. Peut-être faudrait-il lire ici et
ailleurs Haoïmadou.

 

282 HISTOIRE DU SOUDAN

localité du pays de Qayâka qu’on appelle encore To’o et
Tirmisi. Il y avait là un sultan nommé Djàdji-ben-Sâdi qui
avait deux frères germains : Maghan et Yoko*. Ce dernier
mourut, laissant une veuve que le sultan Djadji voulut
épouser, mais elle s’y refusa, ne voulant d’autre époux que
Maghan qui, lui, n’en voulait pas, et qui ne pouvait d’ail-
leurs pas l’épouser à cause de la crainte que lui inspirait le
sultan son frère.

Les gens avaient longtemps glosé sur celte situation,
lorsque, un jour, Maghan entra chez sa belle-sœur et lui
adressa des reproches en lui disant : « Pourquoi refuses-tu
d’épouser le sultan? Qui donc a plus de droits que lui à
cela? Que vont devenir (> a©) les enfants que tu as? » Il eut
beau essayer de tourner ses phrases dans tous les sens, il
ne parvint pas à la persuader et ses efforts furent vains.

Comme Maghan sortait de la maison de sa belle-sœur, des
délateurs qui l’avaient vu allèrent trouver le sultan en lui
disant : « Eh! bien, croirez- vous maintenant que tout ce que
nous vous avons dit de Maghan est la vérité? nous venons
à l’instant de le voir sortir de la maison de la veuve. »

Quand ensuite Maghan se rendit chez le sultan pour le
saluer et qu’il fut en présence du monarque, celui-ci lui dit :
«Ah! le Ciel vous bénisse! Voici donc à quoi vous vous occu-
pez et la façon dont vous agissez. Je veux épouser une femme
et vous allez lui monter la tête contre moi! » Puis il s’em-
porta en paroles dures et méchantes.

Très irrité de cette apostrophe, Maghan quitta le sultan,
enfourcha son cheval et partit droit devant lui pour s’enfuir.
Il fut suivi par quelques partisans, deux ou cinq cavaliers
et un certain nombre de gens à pied. Quand le soleil fut
couché, ils bivouaquèrent et allumèrent du feu. Quelques

1. Le ms. G. écrit Yenko.

 

CHAPITRE VINGT-SIXIEME 283

bœufs égarés passant par là s’arrêtèrent auprès d’eux; ils
en prirent un, l’égorgèrent et en firent leur souper.

Le lendemain, ils poursuivirent leur marche, chassant
devant eux les bœufs et arrivèrent ainsi à une colline ap-
pelée Mâsina et située sur le territoire du Bâghena-Fâri. Là
ils trouvèrent des Sanhadji, porteurs de tresses, qui avaient
établi leur résidence en cet endroit; ils demeurèrent avec
eux jusqu’à ce qu’ils eurent été rejoints par les personnes
de leurs familles, qu’ils avaient laissées en arrière. Maghan
se rendit alors auprès du Bâghena-Fâri, et quand il fut en
sa présence, il le salua, lui raconta son aventure, et lui dit
ce qu’il désirait.

Le Bâghena-Fâri souhaita la bienvenue à Maghan, lui fit
un excellent accueil et l’iîivita à s’établir sur son territoire,
à l’endroit qui lui plairait. Puis, il le nomma sultan des
personnes qu’il avait amenées avec lui. LesFoulâni commen-
cèrent à venir rejoindre Maghan, les uns appartenant à la
même tribu que lui, les autres provenant de la tribu de
Sanqar qui, à cette époque, nomadisait sur le territoire
compris entre les bords du Fleuve et Mima.

Maghan eut de nombreux enfants : l’aîné se nommait
Bohom-Maghan, les autres Ali-Maghan, Denba-Maghan,
Kouba-Maghan, Harenda-Maghan ; ces cinq enfants, tous
frères germains, avaient eu pour mère Dimmo-bent-Yadala;
les autres enfants étaient : Yalila-Maghan, seul fils d’une
autre femme de Maghan et Hammedi-Binda et Sanba, tous
deux fils de la même mère.

Quand Maghan-ben-Sâdi mourut, il eut pour successeur
comme sultan son fils aîné Bohom, qui se maria avec une
femme nommée Yedenki dont il eut un fils appelé Nakiba-
Yedenki (nai); ce fut à cette même femme que Ouara-
Yedenki rattache son origine. Il épousa une autre femme
du nom de Kaffi dont il eut un fils appelé Kâneta-‘Ah dont

 

284 HISTOIRE DU SOUDAN

est issu Ouorârdo*-‘Ali. 11 épousa encore une autre femme
appelée Tiddi qui donna le jour à Hammedi-Tiddi, et c’est
à cette femme que rattachent leur généalogie Ouoro-Tiddi,
Za’aki-Tiddi et Ouededo ‘-Tiddi.

A sa mort, le sultan Bohom-Maghan laissa la royauté à
son frère ‘Ali-Maghan ; c’est de ce dernier prince que descend
Ouoro-‘Ali. Sauf ces deux personnages, aucun des autres
enfants de Maghan n’occupa le sultanat. Quand ‘Ali mourut,
il laissa comme successeur au trône le fils de son frère,
Kâneta-ben-Bohom, qui épousa une fille de la tribu des
Sanqar, appelée Derâma-Sâfou^ et dont il eut comme en-
fants : Djâdji-Kâneta, Anyayâ-Kâneta, Denba’^-Kâneta,
Yoro-Kâneta, Lanbouro^-Kâneta et Kani-Kâneta . Il épousa
une autre femme du nom de Bonka, dont il eut un seul
enfant, Moko-Kâneta. C’est à ce personnage que remonte
Ouoro-Moko.

Quant à Djàdji-Kâneta, il épousa Benba-bent-Iiammedi-
Tiddi dont il eut un fils, Soudi, qui fut la tige de rejetons
parmi lesquels on compte Ouoro-Boki et Ouoro-Dibba, l’an-
cêtre du jurisconsulte Ahmed-Bîr-El-Mâsini.

Kâneta périt dans une bataille que lui livrèrent les Za-
ghrâni et dans laquelle ceux-ci furent vainqueurs; à cette
même époque les Mossi avaient vaincu aussi les gens duMà-
sina. Kàneta eut pour successeur son frère ‘Ali à qui Dieu-
donna la victoire sur les Zaghrâni et sur les Mossi, car il les
vainquit tous deux. Il eut pour fils Denba-‘Ali, Djenka-‘Ali
et Chimmo-‘Ali. A sa mort, il fut remplacé sur le trône par
Anyaya-Kàneta qui quitta leMàsina pour se transporter dans

 

1 . Ou : Ouorâdro,

2. Le ms, C : Ouro-Tiddi, qui est une erreur évidente.

3. Suivant le ms. C : Sâfou-Darânja.

4. Les mss. A et H donnent : Deaba-Doubi.

5. Ms. C : Lâmboro.

 

CHAPITRE VINGT-SIXIÈME 285

le Djanbal et cela sous le règne du prince Askia-El-Hàdj-
Mohammed. Anyayâ-Kaneta conserva le pouvoir pendant
trente ans; durantvingtansil l’exerça au Mâsina et, pendant
dix années, dans le Djanbal.

Anyayâ-Kaneta eut pour successeur le fils de son frère,
Soudi-ben-Djâdji-Kâneta. Il demeura au pouvoir dix ans et
épousa Yebkano, la fdle de Anyayâ, dont il eut deux fils :
llo-Soudiet Hammedi-Foulàni. Quand Soudi mourut (nav)
une discussion se produisit entre son fils Ilo et son oncle
Ilammedi-Siri, le fils de Anyayâ, et tous deux se disputèrent
le pouvoir souverain. Le litige ayant été porté devant le
prince Askia-Ishâfj, fils du prince Askia-El-Hâdj-Mohammed,
l’Askia décida qu’ils partageraient le pouvoir et, après avoir
donné à Ilo-Soudi et à son compétiteur Hammedi-Siri un
costume royal et un cheval, il les renvoya tous deux dans
leur pays en disant : « Que le peuple obéisse à celui des
deux qu’il aimera le mieux ! » La population de Mâsina se
divisa en deux fractions : la plus importante obéit à Ilo et le
reste reconnut l’autorité de Ilammedi-Siri.

Un combat s’engagea alors entre les deux princes : Ilo
vainqueur chassa son rival du pays. Hammedi se réfugia
auprès des Sanqar et leur ayant demandé du secours, il
revint au Mâsina reprendre les hostilités. Vaincu de nouveau
par Ilo, il alla s’adresser à l’askia qui était à Kâgho. Celui-
ci députa un messager à Ilo pour l’inviter à se rendre auprès
de lui. Ilo obéit à cette injonction et s’embarqua pour se
rendre à Kâgho; mais, avant d’arriver dans cette localité^
il fut tué sur l’ordre du prince. Il n’était resté au pouvoir
qu’une seule année.

L’autorité demeura donc aux mains de Hammedi-Siri ;
il la conserva durant quatre années et, pendant tout co
temps, Hammedi-Foulâni demeura à Kâgho auprès de
l’askia. Comme certains habitants du Mâsina refusaient

 

286 HISTOIRE DU SOUDAN

d’obéir à Hammedi-Siri, l’askia donna le sultanat du
Mâsina à Hammedi-Foulâni qui retourna dans son pays
avec des troupes de l’askia. Hammedi-Siri ayant aussitôt pris
la fuite, tout le pouvoir se trouva réuni aux mains de Ham-
medi-Foulâni qui se mit à la tête de la tribu de son père
et razzia les troupeaux de Soudo-Kahmi qui était un descen-
dant de Djâdji-ben-Sâdi. La tribu de Soudo abandonna
complètement le pays de Mâsina et se réfugia auprès de
l’askia à qui elle paya une redevance. De la sorte Hammedi-
Foulâni n’eut plus dans tout le Mâsina d’autre adversaire
que la tribu de Anyayâ.

Hammedi-Foulâni fit encore une expédition contre la
tribu de Ouorardo-‘Ali et celle de Ouoro-Moko. Ces deux
tribus étaient venues de Qayâka s’établir au pays de Djanbal
sous le règne de Anyayâ et s’étaient fondues en une seule.
A la suite de l’expédition dirigée contre elles, ces tribus se
réfugièrent dans le pays de Kaha et y demeurèrent. Le
prince qui les commandait* alors conserva le pouvoir pen-
dant vingt-quatre ans ; puis il fut destitué parDinba-Lakâro,
le petit-fils de Soudo-Djâdji, qui ne garda le pouvoir que
cinq mois, suivant les uns, six mois, suivant d’autres, et
qui fut à son tour remplacé par Hammedi-Foulâni qui resta
leur chef jusqu’à sa mort.

Sur l’ordre de l’askia, Bâbo^-Ilo succéda à Hammedi-
Foulâni (>aa) et demeura au pouvoir pendant sept ans. Il
mourut dans la ville de Kàgho et eut pour successeur Bor-
hom^-Bouy fils de Hammedi-Foulâni; lui et Boubo-Iio
avaient la même mère qui étaient Bouy, la fille de Dinba.

1. Le texte est peu clair ici, le nom du chef n’étant pas mentionné dans les
mss. A et B et le ms. C ayant une lacune en cet endroit. Il semble cependant
qu’il s’agit de Anyayâ.

2. Il faut sans dire lire Boubo-Ilo qui est la forme donnée pour ce nom un
peu plus loin.

3. Ou : Borhim ou Borhima.

 

CHAPITRE VINGT-SIXIÈME 287

Il occupa le pouvoir pendant huit ans et mourut dans la
ville de Dienné à l’époque où le prince Askia-Daoud revint
dans cette ville au retour de son expédition contre le Melli.
Le prince avait mandé Borhom dans cette ville et c’est là
qu’il mourut.^ Il eut pour successeur son frère Boubo-
Maryama, fils de Hammedi-Fou^àni, qui garda le pouvoir
pendant vingt-quatre ans.

Le Kormina-Fâri, Mohammed-Benkan, fils de Askia-
Daoud, ayant dirigé une expédition contre Boubo-Maryama,
celui-ci se réfugia sur le territoire de Faï-Sendi. Au moment
où il se disposait à fuir, Djadal lui prit son cheval, nommé
Senba-Dâï, en disant que cet animal appartenait ta Taskia.
Quand Boubo-Maryama revint dans son campement du
Mâsina, il fut révoqué de ses fonctions par Askia-El-Hâdj-
ben-Askia-Daoud qui cependant l’avait précédemment
nommé. Il eut pour successeur Hammedi-Amina-ben-Boubo-
Ilo* qui fut investi du pouvoir par Askia-El-Hâdj dont il
vient d’être parlé. Il avait déjà exercé l’autorité pendant six
ans, lors de l’arrivée de l’armée du pacha Djouder, et il la
conserva ensuite pendant treize ans, ce qui fait en tout, avant
et après cet événement, dix-neuf années, en y comprenant
deux années pendant lesquelles le pouvoir fut exercé par le
Fondoko Hammedi-‘Aïcha.

Après sa mort, Hammedi-Amina, qui vient d’être
nommé, fut remplacé par son fils, Boubo-‘Aïcha;, surnommé
Yâmi. Il détint le pouvoir pendant dix ans, et quand il
mourut, il eut pour successeur son frère, Borhom-Bouy,
qui régna pendant douze ans.

A la mort de Borhim, Selâ-Moko-‘Aïcha lui succéda.
C’était un homme plein d’équité. Il déploya une grande
énergie contre les tyrans et les prévaricateurs qui se trou-
vaient parmi ses fonctionnaires, ses courtisans et les fils des

1. Le ms. G ajoute : Ghelâdj.

 

288 HISTOIRE DU SOUDAN

sultans. Il les empêcha de nuire aux faibles et aux malheu-
reux, et l’on n’entendit jamais parler d’une pareille équité
sous le règne d’aucun des princes de cette famille. Il con-
serva le pouvoir pendant deux ans.

Quand il mourut, Selâ-Moko eut pour successeur le fils
de son frère, Hammedi-Amina-ben (^A^)-Boubo-Yâmi, qui
règne encore aujourd’hui depuis vingt-cinq ans, en y com-
prenant deux mois pendant lesquels le pouvoir a été exercé
par le Fondoko Hammedi-Fâtima.

C’est de Hârenda-Maghan que descend Ouoro-IIârenda, et
c’est de Yoro-Kâneta qu’est issu Ouoro-Yoro. Quand la tribu
de Anyayâ refusa de reconnaître l’autorité de Hammedi-
Foulâni et que Hammedi-Siri devint leur sultan, ce fut
dans cette tribu que se recrutèrent ensuite ses successeurs,
tandis que, d’autre part, les sultans du Mâsina se recrutaient
dans la tribu de Boubo-Ilo, en sorte que les sultans du Mâ-
sina ont été fournis par les quatre tribus suivantes : la tribu
de Anyayâ, celle de Boubo-Ilo, celle de Moko-Kàneta et celle
de Ardo-Maghan. La tribu de Moko-Kâneta habitait tantôt le
Borkou’, tantôt le pays de Qayàka. Elle resta au Borkou
sans le quitter un seul instant à l’époque de Fondoko Kidâdo^
qui régna trente ans.

 

CHAPITRE XXVn

LES PACHAS SELIMAN, MAHMOUD- LONKO

Revenons maintenant à ce que nous avons h dire pour
terminer l’histoire du pacha ‘Ammàr. Il exerça son autorité

1. Le ms. C. met ici Yorka, tandis que plus loin il donne Borkou.

2. Le ms. C. écrit v Kirâdo ».

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 289

un an, deux mois et quelques jours ; naais, au cours de cet
intervalle, il se laissa dominer par le caïd EI-Mostafa-El-Fîl,
si bien que ce dernier parut être le dispensateur du pouvoir.
Or, ce caïd était un homme tyrannique, violent et rebelle,
qui ne s’inquiétait de personne. Quand le sultan marocain
apprit ce qui s’était passé entre ces deux personnages, il
entra dans une violente colère contre Ammâr, à qui il re-
prochait de s’être montré si faible qu’il avait subi le joug
du caïd El-Mostafa, et contre ce dernier à cause de sa tyran-
nie et de sa violence.

En conséquence, le sultan révoqua le pacha ‘Ammâr et
envoya pour occuper son poste le pacha Seliman. 11 enjoi-
gnit à ce dernier de faire arrêter ‘Ammâr et le caïd El-Mos-
tafa, de se montrer particulièrement dur et méprisant envers
ce dernier, puis de les lui envoyer tous deux à Merrâkech,
sa capitale, en chargeant de chaînes El-Mostafa.

Seliman arriva à Tombouctou le jeudi, 5 du mois sacré
de dzoul-qa’ada de l’année 1008 (19 mai 1600). Aussitôt
arrivé, il s’aperçut que El-Mostafa, dont il vient d’être parlé
( \ ^ • ), était l’homme qui lui avait été dépeint ; aussi résolut-il
de le faire arrêter au moment même où il se rendait auprès
de lui, mais il fut détourné de ce projet par tous les gens de
bon conseil à cause des troubles que cette arrestation aurait
pu provoquer.

Dès que le pacha Seliman fut installé, qu’il fut entré dans
la salle d’audience et qu’il eut pris place sur l’estrade, il fit
arrêter El-Mostafa au moment où celui-ci pénétrait dans la
salle. Puis, après qu’on lui eut déchiré ses beaux vêtements,
on le chargea de lourdes chaînes et de liens très pesants,
et on l’expédia dans cet état au sultan marocain. Quant à
‘Ammâr, selon les instructions du sultan, il fut mis en prison,
mais traité avec certains égards et envoyé ensuite à Mer-
râkech.

[Histoire du Soudan.) 19

 

290 HISTOIRE DU SOUDAN

Le pacha Seliman avait amené avec lui 500 fusiliers, ou
même davantage, selon certains récits. 11 se fit bâtir une
habitation hors de la ville et, renonçant au séjour dans la
casbah, il s’installa en cet endroit, entouré de ses troupes.
C’était un homme à hautes vues et à grandes pensées, habile
administrateur et chef énergique; il déploya toutes ces qua-
lités dans la conduite de ses troupes et il obtint qu’aucun de
ses soldats ne passât la nuit ailleurs que dans le camp qui
entourait son habitation. Tout individu de l’armée qui restait
dans la ville après le coucher du soleil recevait à coup sûr
pour ce fait telle bastonnade que Dieu avait décidé qu’il
reçût.

Le pacha passa toutes ses nuits en éveil, surveillant à la
fois et le camp et la ville, en sorte qu’aucun cri ne pouvait
s’élever sans qu’il l’entendît et qu’il en eût connaissance.
Chaque fois qu’un vol était commis sur n’importe quel point
il arrivait toujours, après enquête, à en découvrir l’auteur
qu’il punissait de la façon qu’il convenait.

En examinant avec soin la conduite de l’amin, le caïd
El-Hasan-ben-Ez-Zobéïr, il découvrit que c’était un homme
de désordre qui volait le trésor royal. Il vit aussi que cet
amin s’était approprié trois centsjeunes fdles encore qu’elles
fussent trop faibles pour être employées comme servantes.
Le pacha lui enleva donc les fonds du trésor royal et les fit
déposer pour être placés sous sa surveillance dans une des
pièces du palais qui se trouvaient dans la casbah. Puis il
consulta les bâchoud sur ce qu’il devait faire de l’amin.
« Nous n’avons, lui répondirent-ils, rien à dire à ce sujet.
Le sultan n’est pas éloigné devons, écrivez-lui donc l’un et
l’autre. »

Chacun d’eux, le pacha et l’amin, écrivit en conséquence
au sultan et celui-ci répondit au pacha SeHmân de laisser
l’amin en liberté disposer comme il l’entendrait du trésor.

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 291

« D’ailleurs, ajoiita-t-il, ce trésor nous appartient et le caïd
El-Hasan est notre amin. Tout ce qui vient de se passer
entre vous deux n’a d’autre cause que ce fait que lorsque
tu as eu besoin d’environ 3000 (\%\) mitsqal il te les as
prêtés et qu’il faut que tu les lui rendes. » Mais en réalité
c’était le caïd Azzouz qui était venu en aide à l’amin et
avait défendu sa cause auprès du sultan. Selimân con-
serva le pouvoir quatre ans et deux mois; il fut le der-
nier des pachas que le sultan Maulay Ahmed envoya au
Soudan.

Le très docte jurisconsulte Ahmed-Baba (Dieu lui fasse
miséricorde!) rapporte que le prince, le sultan Maulay
Zîdân, fils du prince Maulay Ahmed, lui a dit : « Depuis le
pacha Djouder jusqu’au pacha Selimân mon père a expédié
au Soudan, dans les différents corps d’armée qu’il y avait
envoyés, 23.000 hommes de ses meilleurs soldats, ainsi que
cela est noté dans un registre que le prince lui-même m’a
montré. Tout cela, ajouta Maulay Zîdân, a été fait en pure
perte et tous ces hommes ont péri au Soudan’, sauf environ
cinq cents hommes qui sont revenus à Merrâkech et qui sont
morts dans cette ville. »

Sur ces entrefaites le sultan Maulay Ahmed vint à mourir^
Le pacha Selimân, qui en avait reçu la nouvelle, la cacha
à tout le monde durant une année entière ; il ne la divulgua
qu’après qu’il eut reçu l’avis de l’avènement au trône de
Maulay Abou-Fârès, fils de Maulay Ahmed, qui succéda à
son père, après la mort de celui-ci, dans les premiers jours de
l’année 1012 (il juin 1603-30 mai 1604).

Le nouveau sultan envoya au Soudan le pacha Mahmoud-
Lonko qui arriva à Tombouctou au mois de safar de l’an-
née 1013 (juillet 1604); il amenait avec lui 300 soldats ou

1. Nombre de ces soldats marocains s’étaient fixés au Soudan.

2. Il mourut de la peste le 20 août 1603.

 

292 HISTOIRE DU SOUDAN

même davantage, selon certains récits ; la plupart de ces
soldats étaient de la province de Massa. Le lientenant-général
Mohammed-El-Mâssi, l’accompagnait; ce personnage avait
été emprisonné à Merrâkech à cause des guerres qu’il avait
fomentées; le pacha Mahmoud obtint du caïd Azzouz qu’on
lui donnât cet officier et il en fit son lieutenant-général.
Le pacha Mahmoud arriva à Tombouctou au moment même
où avaient lieu les funérailles de Askia-Selimân ; on assure
qu’il demanda qu’on découvrît le visage du défunt afin de
le contempler.

Le sultan avait donné l’ordre au pacha Selimân de se
rendre auprès de lui et la même injonction avait été trans-
mise au caïd Ahmed-ben-Yousef qui, à cette époque, com-
mandait la ville de Dienné. Le caïd écrivit au pacha Sehmân
pour le prier de l’attendre quelques jours afin qu’il pût le
rejoindre et faire le voyage en sa compagnie. Le pacha
attendit, mais, comme l’attente se prolongeait, il se mit en
route avant l’arrivée du caïd et celui-ci le rejoignit ensuite.

Le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-El-Telemsâni remit au caïd
Ahmed une lettre qu’il adressait au sultan Maulay (>^r)
Abou-Fârès pour le mettre au courant de la situation; il lui
faisait part en même temps des nombreuses occupations que
lui donnaient les expéditions à faire et la garde des places
fortes en indiquant la pénurie des moyens dont il disposait
pour parer à toutes les difficultés ; c’était, ajouta-t-il, à cause
de tout cela qu’il ne lui envoyait pas de cadeau* par l’entre-
mise du caïd Ahmed ci-dessus nommé.

A son retour du Maroc, le caïd Ahmed rapporta une lettre
du sultan dans laquelle celui-ci donnait au caïd ‘Ali la ville
deTendirma en lui attribuant pour son usage tous les reve-
nus de cette ville. Arrivé à Tombouctou, Ahmed expédia la

1. Le mot cadeau » ici doit s’entendre dans le sens de tribut ou redevance
que tout vassal doit à son suzerain.

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 293

lettre du sultan à Ouenzagha où se trouvait le caïd ‘Ali pour
assurer la défense de cette région. Or, il se trouva qu’à ce
moment, le caïd ‘Ali-Et-Torki était gouverneur de la ville
de Tendirma. Le caïd Ali-El-Telemsani fit aussitôt savoir au
gouverneur de Tendirma qu’il allait se rendre dans cette
ville et que, s’il l’y trouvait encore là, il lui ferait sûrement
trancher la tête.

Effrayé à cette nouvelle, Ali-Et-Torki s’enfuit à Tombouc-
tou où l’amin, le caïd El-Hasan, furieux contre lui, lui
adressa les plus violents reproches; alors Tamin désigna
comme gouverneur de Tendirma le moqaddem* Iladdou-
ben-Yousef. Mais quand celui-ci apprit que ‘Ali-Et-Telemsâni
se dirigeait vers cette ville, il eut peur à son tour et s’enfuit
à Mouri-Koira. *Ali-Et-Telemsâni entra donc à Tendirma, en
prit possession et s’y installa. Quant à Haddou, il retourna
ensuite à Tombouctou.

Un conflit s’était élevé entre l’amin et ‘Ali-ben-‘Obeïd
qui était gouverneur de Kîso”. ‘Ali-ben-‘Obeïd s’enfuit à Ten-
dirma et se réfugia auprès du caïd ‘Ali-Et-Telemsani avec
l’intention de se fixer auprès de lui. Les gens de Tombouc-
tou mandèrent au caïd de leur renvoyer le réfugié, mais le
caïd s’y refusa. L’amin, le caïd El-Hasan, se rendit alors
en personne à Tendirma, mais il n’obtint pas qu’on lui re-
mît le réfugié.

Dans la longue discussion qui s’engagea à ce sujet,
l’amin finit par dire ces paroles : « Ce don fait par le sultan
n’est pas exécutoire, puisque c’est moi qui suis son amin
et son mandataire général; c’est donc à moi qu’il appartient
d’infirmer ses dons ou de les valider; d’ailleurs, il n’y a
sur tout ceci qu’un simple passage d’une dépêche. » — «Du

1. Ce titre équivalait alors à celui de « commandant » ou « chef de corps »
quand il s’agissait de militaires. Aujourd’hui il désigne un sous-officier.

2. Ou « Kîcho », d’après le ms. G.

 

294 HISTOIRE DU SOUDAN

moment, répondit le caïd, que vous dîtes qu’un don ne peut
être exécutoire sur le simple passage d’une dépêche, vos
fonctions d’amin n’ont aucune valeur, puisque c’est égale-
ment par un simple passage d’une dépêche venue du sultan
que ces fonctions vous ont été attribuées. »

Enfin, n’ayant trouvé aucun moyen d’arriver à ses fins, l’amin rentra à Tombouctou. Là, de concert avec le pacha Mahmoud, il fit jurer à tous les soldats de l’armée maro- caine qu’aucun d’eux ne se réfugierait* (^^r) dorénavant, auprès du caïd ‘Ali-Et-Telemsâni. Les soldats jurèrent comme on le leur avait demandé. Alors Seyyid ‘Ali-Et-Touâti se rendit auprès du caïd, l’engagea à être calme et lui fit force exhortations. « Ne détruis pas, ajouta-t-il, l’or- ganisation de cette armée, car il se pourrait, si Dieu le vou- lait, que demain cela tournât contre toi. » H>nfin, il réussit à fléchir le caïd ‘Ali-Et-Telemsâni qui se décida à renvoyer ‘Ali-ben-‘Obeïd qui a été déjà nommé ci-dessus.

L’amin, le caïd El-Hasan, s’occupa ensuite de modifier
l’organisation des troupes et de changer leur aff’ectation : le bataillon des soldats de Fez occupa dorénavant l’aile droite, tandis que le bataillon des gens de Merrâkech passait à l’aile gauche. Les corps des renégats et des Anda- lous furent placés sous les ordres de ces deux bataillons. L’amin prétendit qu’il agissait ainsi d’après les instructions du sultan Maulay Abou-Fârès. Enfin, l’amin nomma, lieutenant-général du bataillon de Fez, Mo’allem-Selimân-El-‘Ar- fâouï et, lieutenant-général du bataillon de Merrâkech, Haddou-ben-Yousef-El-Adjnâsi.

L’amin, le caïd El-Hasan, mourut dans le milieu de l’an-
née 1015(9 mai 1 606-28 avril 1 607) ; il eut pour successeur

1. Les soldats marocains, mécontents de leur caïd, allaient souvent se placer
sous les ordres d’un autre caïd. C’est ce que l’amin essaie d’empêcher doré-
navant.

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIEME 295

dans ses fonctions le thaleb* Mohammed-El-Belbâli qui fut
désigné sur l’ordre du commandant en chef le pacha Mah-
moud-Lonko.

Mohammed-El-Belbâli acheta beaucoup d’esclaves et autres
choses dépendant de la succession de son prédécesseur et
occupa les fonctions d’amin pendant sept jours. Le huitième
jour, arriva le fils de l’amin défunt, le caïd ‘Amer-ben-El-
Hasan, que le sultan Maulay Abou-Fàrès avait envoyé pour
être amin, et qui prit possession de ce poste, après avoir
enlevé au thaleb Mohammed tout ce que celui-ci avait acheté
de la succession du défunt.

En l’année 1016 (28 avril 1607-17 avril 1608) Maulay
Zîdân, fils du sultan Maulay Ahmed, monta sur le trône; il
renvoya au Soudan, pour y être commandant en chef, le pacha
Selimân. Mais à peine celui-ci, envoyé d’abord à Merrâkech,
eùt-il quitté cette ville, qu’il fut tué par Saïd-ben-‘Obeïd. Le
sultan autorisa alors une agression contre la tribu des Che-
ràga qui perdit un grand nombre d’hommes et entre autres,
Sald-ben-‘Obeïd, le meurtrier du pacha.

Le Ueutenant-général Mo’allem-Selimân se montra indo-
cile et rebelle. Il ne s’occupa que de contrarier les desseins
dupachaMahmoud-Lonko et de lui susciter de continuelles dif-
ficultés. Alors le pacha voulut (>m) faire partir le caïd ‘Ali-
ben-Abdallah-Et-Telemsâni de Tendirma et le faire venir au-
près de lui pour l’opposer à Selimân et briser la résistance
et l’opposition de ce dernier. Mais il en fut empêché par le
caïd Mâmi-ben-Berroun qui lui dit : « Mo’allem-Selimân est
comme un chien qui aboie contre toi ; si tu lui jettes un os, il
se précipitera dessus et ne pensera plus à toi pendant qu’il le
rongera. Tandis que si ‘Ali vient ici, il ne cherchera autre
chose qu’à prendre la place que tu occupes. »

1. Le mot « thaleb » fait peut-être partie du nom du personnage; cependant
il pavait être plutôt une épithète accolée à son nom, bien qu’il soit parfois écrit
sans l’article.

 

296 HISTOIRE DU SOUDAN

Toutefois, comme le pacha vit que Mo’allem-Selimân
continuait à être de plus en plus agressif et audacieux, il fit
mander au caïd ‘Ali de venir. Celui-ci arriva sans amener
sa famille qu’il laissa à Tendirma. Le pacha se plaignit
vivement de Mo’allem-Sehmân et donna l’ordre à ‘Ali de
le tuer. Celui-ci exécuta cet ordre le mercredi soir, 9 du
mois sacré de moharrem, le premier des mois de l’année
1017 (25 avril 1608); mais il ne prit pas part directement
à la chose et ce furent ses compagnons qui accomplirent le
meurtre. Us avaient trouvé Mo’allem-Selimân assis devant
la porte de sa maison avec le caïd Ibrahim- Achkhàn et les
avaient frappés tous deux à coups de sabre. Mo’allem-Seli-
mân périt immédiatement sous les coups, tandis que Ach-
khàn, qui n’était tout d’abord que blessé, succomba plus tard
à ses blessures.

Cet événement causa un grand effroi dans la ville. Cette
nuit-là, les habitants fermèrent à clé les portes de leurs mai-
sons et leur émoi ne s’apaisa que lorsque, durant cette
même nuit, des crieurs pubUcs annoncèrent que tout était
calme. Le pacha Mahmoud donna l’ordre au caïd Ali d’ha-
biler Tombouctou et quand celui-ci eut fait venir sa famille
il lui confia pleins pouvoirs*. Quatre ans et demi se passèrent
ainsi sans que rien ne fût fait que sur l’ordre du caïd. Enfin
le caïd déposa le pacha et prit sa place, en sorte que les
choses se passèrent comme l’avait annoncé le clairvoyant
Mâmi.

Cette même année arriva le Hi-Koï Seyyid-Karaï-Idji,
qui venait faire une expédition au nom de l’askia Hâroun-
Denkataya, fils du prince, l’askia Daoud, souverain du Dendi.
Son but était d’attaquer les populations soumises aux Maro-

 

i. Les pachas du Soudan agissaient comme de véritables souverains et avaient
des caïds qui jouaient auprès d’eux le rôle de ministres. Le caïd ‘AU avait été
nommé en quelque sorte premier ministre.
CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 297

cains qui se trouvaient sur les bords du Fleuve. En appre-
nant cette nouvelle, le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni
partit, au mois de rebi’II (15 juillet-13aoùt 1608), à la tête
d’un corps d’armée pour repousser cette agression. Dans ce
corps d’armée se trouvait l’askia Hâroun, fils de l’askia
(^^c) El-Hâdj, fils du prince Askia-Daoud. C’était le
pacha Mahmoud qu’il l’avait investi de ces fonctions d’askia
lors de la mort de l’askia Selimân, fils du prince, Askia-
Daoud, car il était Balama’ à cette époque. Mais ce fut le
pacha SeHmân qui, après la révocation de Haroun, lui confia
les fonctions de général*.

Le caïd ‘Ali se mit en marche, mais sans s’approcher du
Fleuve. Il atteignit la montagne de Douï et de là revint vers
la capitale de Tennemi. Quand le Fondoko Boubo-Ouolo-
Kaïna, souverain de Sanqara, apprit que le caïd prenait cette
direction qui devait lui faire traverser son pays, il fut saisi
de crainte et se réfugia auprès du Fondoko Boubo-Yâmi,
souverain du Mâsina qui, a ce moment, était en état d’hos-
tilité avec les Marocains. Le caïd AU poursuivit le Fondoko
à la tête de ses troupes et arrivé à la ville d’Ankaba il s’y
arrêta et manda au souverain du Mâsina de lui livrer le
fugitif et de le lui amener.

Le souverain du Mâsina répondit que Boubo-Ouolo-Kaïna
s’était placé sous sa protection ; toutefois il proposa de con-
clure l’arrangement suivant : le caïd ferait la paix avec
Boubo-Ouolo, le laisserait rentrer dans sa tribu et celui-ci
donnerait immédiatement en échange 2000 vaches. Le caïd
‘Ali ayant accepté cette proposition, le souverain du Mâsina
remit sur-le-champ un nombre de vaches égal à celui qui
avait été stipulé et cela personnellement. Boubo-Ouolo se
rendit au camp du caïd ‘Ali qui le fit accompagner dans sa

i. La phrase est très obscure dans le texte. Le sens paraît être que le pacha
Seliman confia de nouveau à l’askia révoqué ses premières fonctions.

 

298 HISTOIRE DU SOUDAN

tribu par le caïd Ahmed-El-Bordj à qui il devait remettre
2000 bœufs à titre de droit de châchia\ car c’était comme
une investiture nouvelle du Fondoko dans ses anciennes
fonctions. Le Fondoko donna ces 2000 vaches et y ajouta
encore les 2000 qui avaient été convenues pour la conclusion
de la paix. Ces 6000 vaches furent remises en une seule fois
et très rapidement ^

Au cours de cette campagne, les gens du Songhaï se sou-
levèrent contre l’askia Hâroun, fils de El-Hâdj, à ‘Ankaba.
Le caïd ‘Ali chercha à les calmer et il y réussit; mais quand
il fut de retour à Tombouctou, les Songhaï se révoltèrent
de nouveau et l’askia fut alors déposé; Tamin, le caïd
‘Amer, le fit venir auprès de lui; il le traita de la façon la
plus bienveillante et avec les plus grands égards jusqu’au
jour où l’askia mourut. L’askia était resté en fonctions
durant quatre ans et vécut après sa déposition pendant
huit ans.

L’année suivante, c’est-à-dire en 1018 (6 avril 1609-
26 mars 1610), le Dendi-Fâri Bar, au nom de l’askia qui
était à Dendi, se mit en marche à la tête d’une nombreuse
armée et se dirigea vers le territoire de la ville de Dienné.
Il traversa le grand bras du Fleuve et vint camper à Tirfoï
au mois de safar de l’année ci-dessus indiquée (mai 1609).
On assure que c’était le Djinni-Koï, Mohammed-Benba, qui
avait engagé l’askia (^^’\) de Dendi à envoyer cette expé-
dition en lui promettant son concours pour enlever aux Ma-
rocains ce territoire qu’ils occupaient.

Le Djinni-Koï s’était associé secrètement dans cette entre-
prise avec le Sorya Mousa et aussi, dit-on, avec le Kala-Cha’a

1. Le mot « châchia » signifie « calotte rouge ». Le droit d’investiture du Fon-
doko s’appelait donc le « droit de bonnet. ».

2. Cette remarque a pour but de montrer la richesse de ce pays à l’époque
où se passaient ces événements.

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 299

Mohammed. Il avait également demandé au Fondoko Bor-
hom, seigneur du Mâsina, de se joindre à eux, mais celui-ci
refusa en disant qu’il était un pasteur, car toute personne
investie de l’autorité souveraine sur cette terre est le ser-
viteur de son peuple et son berger ‘. Toutefois le Djinni-Koï
garda le secret de tout cela vis-à-vis de son principal servi-
teur pour le courage et pour Thabileté, le Sorya révoqué
Ansa-Mân.

Le Dendi-Fâri fit savoir au Djinni-Koï qu’il était campé
à tel endroit et qu’il l’attendait. Mais celui-ci lui renvoya à son
tour le messager pour lui enjoindre de continuer sa marche
jusqu’au château de la ville de Dienné et qu’alors il viendrait
à sa rencontre et se joindrait à lui. Comme Ansa-Mân
avait eu connaissance de cette démarche, il envoya un mes-
sager secret au Dendi-Fâri en lui disant de s’abstenir com-
plètement de venir rejoindre le Djinni-Koï et il ajouta que
les gens de Dienné n’étaient point gens de parole, ni de bon
conseil, aussi les troupes de l’askia ne devaient-elles pas se
fier à eux. Suivant le conseil qui lui était donné, le Dendi-
Fâri s’éloigna aussitôt, traversa le Fleuve et retourna dans
la direction du Gourma.

Or, il arriva à ce moment que le caïdAhmed-ben-Yousef
venait de quitter Tombouctou pour retourner à Dienné dont
il était le caïd à cette époque. Il avait l’habitude, durant
son commandement, d’habiter Dienné un certain nombre
de mois de Tannée et de passer le reste du temps à Tom-
bouctou.

Quand la nouvelle de cette expédition avait été connue
d’une façon certaine, le Kori-Koï en avait averti les gens
de la ville de Kobbi et leur avait montré la gravité de
la situation. Ce fut alors qu’il fut rejoint par le caïd Ahmed,

1. Le Fondoko voulait dire qu’il n’était point dans son rôle de faire la guerre
sans y être contraint par le besoin de défendre ses sujets.

 

360 HISTOIRE DU SOUDAN

dont il vient d’être parlé, et qui avait avec lui un certain
nombre de fusiliers. Il organisa une colonne en cet endroit
et manda aussitôt au pacha Mahmoud- Lonko qui était à Tom-
bouctou de lui envoyer en toute hâte un corps d’armée en
lui recommandant instamment d’agir avec promptitude.

Le pacha donna l’ordre au caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Te-
lemsâni de partir aussitôt avec des troupes. Le caïd quitta
donc Tombouctou, emmenant avec lui toutes les troupes,
sauf celles qui, selon l’usage, ne se montraient que lorsque
le commandant en chef se mettait lui-même en mouve-
ment, comme, par exemple, le caïd des Mekhâzeni^ (> ^v) et
d’autres. Puis on se mit en route dans la direction du
Gourma. Le caïd, ayant appris que le Dendi-Fâri disposait
de forces considérables, envoya demander au pacha de lui
faire parvenir des renforts. Le caïd Haddou quitta aussitôt
Tombouctou avec tous les soldats disponibles qui s’y trou-
vaient, emmenant en outre avec lui l’askia Hâroun, en dis-
ponibilité^ à cette époque, et il gagna la ville de ‘Ankaba où
il campa.

De son côté, le Dendi-Fâri était arrivé à la ville de Kobbi
où le caïd Ahmed-ben-You&ef avait installé ses troupes. Ce
dernier s’enfuit avec ses soldats et tous se réfugièrent dans la
casbah de Kobbi. Le Dendi-Fàri s’empara de la tente du
caïd marocain et de tous les objets que l’armée marocaine
avait laissés derrière elle. Puis il mit la main sur un certain
nombre de barques qui venaient de la ville de Dienné ; il y
trouva des richesses considérables, de l’or et d’autres objets
qu’il s’appropria, et ensuite il assiégea les troupes qui occu-
paient la casbah où elles étaient entrées.

Quand la nouvelle de ces événements parvint au caïd ‘Ali-

1. Les Mekhâzeniou soldais du Makhzen forment une espèce de corps d’élite
analogue à notre gendarmerie.
‘/. Mot à mot : « révoqué ».

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 301

ben-Abdallah, celui-ci se trouvait avec son armée à ‘Ankaba.
Il partit aussitôt à la tête des soldats qu’il avait choisis pour
se porter au secours des assiégés, laissant à ‘Ankaba le caïd
Haddou, l’askia Bokar, Taskia Hâroun et le caïd Ahmed-ben-
Sa’ïd* et tous leurs contingents.

Dès que le Dendi-Fâri apprit la marche du caïd ‘Ali, il
décampa pendant la nuit et se dirigea vers le pays de Dirma,
en arrière de la montagne de Kora. Comme il approchait
ensuite de la ville de Djondjo^, il s’arrêta avec ses troupes
et manda aux habitants de Djondjo de lui envoyer des
vivres ^ ce qui fut fait.

La colonne marocaine de Ankaba, qui s’était mise en
marche pour combattre le Dendi-Fâri, l’atteignit près de la
montagne indiquée ci-dessus. Un violent combat s’engagea
en cet endroit et de nombreux morts de part et d’autre res-
tèrent sur le champ de bataille. Quantité de vaillants Maro-
cains périrent ce jour-là, entre autres Abdelaziz-El-Kâteb
qui faisait partie du corps des Mekhâzeni et qui était connu
par sa vaillance et son audace.

Les gens du Songhaï, c’est-à-dire les partisans du Dendi-
Fâri, firent prisonnier le Balama’ Ishâq, fils du Binka-
Farma Mohammed-Heïka et l’emmenèrent auprès de l’askia
à Dendi. Le combat n’avait pris fin qu’au moment où le
soleil était sur le point de se coucher. Ce qui avait le plus
effrayé les Marocains dans cette rencontre, c’était le bruit
que produisaient les boucliers battant sur les jambes des
chevaux quand ceux-ci galopaient. Toute l’armée maro-
caine, chefs et soldats, s’enfuit jusqu’au lac Dabi où les
hommes avaient de l’eau jusqu’aux cuisses. Mais ayant re-

1 . Sa’doim, d’après le ms. C.

2. Ou : Diondio.

3. Les populations sur le territoire desquelles passent des troupes doivent
fournil- des vivres à ces dernières, quand elles ne veulent pas faire acte d’hosti-
lité.

 

302 HISTOIRE DU SOUDAN

cooDU la cause de leur terreur, ils quittèrent (>^a) le lac,
après avoir éprouvé la plus grande terreur et la crainte la
plus extrême. Enfin, ils entendirent le bruit des clarinettes
du caïd ‘Ali-ben-Abdallah qui était sur le lac et le traversait
en se dirigeant de leur côté : c’était la délivrance. Tous ceux
qui ont assisté à cette affaire racontent que jamais bruit plus
suave ne charma jamais leurs oreilles, c’était le salut après
l’angoisse.

Quand le caïd ‘Ali atteignit la ville de Kobbi, le caïd
Ahmed-ben-Yousef lui raconta ce qui s’était passé, à savoir
qu’après être allé dans le pays de Dirma il était revenu en
cet endroit avec tous ses compagnons, mais qu’il était arrivé
alors que le combat était terminé. Quant au Dendi-Fàri,
aussitôt qu’il connut l’arrivée du caïd Ali avec ses renforts,
il retourna en arrière et rentra dans son pays. La bataille
avait eu lieu dans la première décade du mois de rebi’ P”,
de l’année déjà indiquée (4-i3 juin 1609).

Accompagné de ses troupes, le caïd Haddou retourna à
Tombouctou. Les Marocains se montrèrent tels que des
fagots d’épines ou que des tigres féroces’ à l’égard des habi-
tants de la ville ; ils dispersèrent toutes les réunions et durant
un long temps on ne vit plus deux personnes oser se réunir
pour causer. Déjà, avant leur retour de cette expédition, le
commandant en chef avait ordonné de faire des patrouilles
au moment de la prière del”acha et quelquefois même aupa-
ravant pour empêcher d’une façon absolue les medddh de
réciter leurs panégyriques pendant la durée du grand mois^ ;
cela n’était plus permis qu’après la prière du coucher du
soleil, alors que l’usage établi et admis de tout temps était
que ces récits eussent lieu après la prière de T’acha.

1. Mol à mot : se couvrirent le corps d’épines et se vôiirent de peaux de pan-
thères .

2. 11 s’agit sans doute du mois de rebi’ I” pendant lequel est né le Prophète

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 303

De son côté le caïd Ali-ben-Abdallah s’était rendu dans
la ville de Dienné emmenant avec lui ses troupes et l’askia
Bokar. Il avait été devancé dans cette ville par le caïd
Ahmed-ben-Yousef. Tout le pays de Dienné, était en effet,
soulevé et en révolte et tous les habitants des villages établis
le long du Fleuve avaient pris la fuite et s’étaient réfugiés
dans le pays de El-Hadjar.

La première barque marocaine, qui arriva dans la ville de
Sâqa, fut attaquée par les cavaliers du pays de Sâtonkaqui,
après lavoir pillée, se retirèrent. Quand le caïd ‘Ali arriva à
son tour dans cette localité, il passa son chemin sans s’oc-
cuper de ces gens-là*. Sur sa route il trouva également que les
habitants de la ville de Kouna s’étaient révoltés et avaient
attaqué les soldats marocains qui étaient dans la casbah;
mais Dieu ayant assuré la victoire de ces derniers, les gens
de Kouna s’étaient enfuis à El-Hadjar. Poursuivant toujours
sa route, le caïd arriva avec ses barques au port de la ville
de Kouba a. Quand les barques mouillèrent en cet endroit,
le caïd n’avait nulle intention de combattre, mais les com-
pagnons du Sorya Mousa étant venus sur ces entrefaites
commencèrent aussitôt l’attaque.

Les Marocains prirent leurs armes et la lutte s’engagea
le {\^^) samedi, 11 du mois de rebi’ V% de Tannée déjà
indiquée ci-dessus (14 juin 1609). Le combat fut vif et
acharné; il dura jusqu’au moment où le soleil sur le point
de se coucher avait perdu tout son éclat. Les gens avisés
dirent alors au caïd ‘Ali : « Si la nuit se passe sans que tu
aies remporté l’avantage, tu ne le remporteras pas plus
tard. »

Le caïd ‘Ali mit aussitôt pied à terre et pénétra par les
remparts de la ville jusqu’à ce qu’il arriva à la porte de la

1. C’est-à-dire : sans venger l’attaque et le pillage de la barque.

 

304 HISTOIRE DU SOUDAIS

maison du Sorya au milieu de ses soldats qui combattaient
les troupes de celui-ci. Ce dernier était aveugle; il était
assis dans sa demeure tandis que son Bara-Koï était monté
sur la terrasse avec ses hommes ; le Sorya envoyait saluer
le Bara-Koï à chaque instant et s’informait des nouvelles de
sa santé. « Tant qu’il sera vivant, disait-il, les Arabes (Ma-
rocains) ne pourront rien contre nous. » Or voici qu’un
homme vint lui annoncer que le Bara-Koï avait été atteint
par une balle et qu’il était mort au même instant. « Mainte-
nant, s’écria le Sorya, les Marocains arriveront à leurs fins. »

Peu après, en effet, les Marocains brisèrent la porte de
la maison du Sorya, et, pénétrant à l’intérieur, ils le sai-
sirent. Puis, après avoir fait un grand carnage, ils pillèrent
toute la ville, sauf le quartier des païens Boubo et ils emme-
nèrent le Sorya chargé de chaînes.

Le Djinni-Koï Mohammed-Benba fit venir des hommes
dans sa maison où il fit creuser un puits, se montrant
ainsi disposé à combattre et à soutenir le siège. Arrivé à la
ville de Dienné, le caïd ‘Ali campa avec ses troupes à Sibiri ;
puis il envoya dans la ville le Sorya qui y fut mis à mort de
la pire des morts et il invita le Djinni-Koï à se rendre auprès
de lui. Le Djinni-Koï s’empressa de se rendre au camp du
caïd; celui-ci ne lui adressa pas de trop vifs reproches et
Dieu en cela lui avait inspiré le meilleur des conseils.

Tous les soldats marocains qui tenaient garnison à Dienné
étaient persuadés que le caïd mettrait à mort le Djinni-Koï,
aussi quand ils le virent revenir sain et sauf dans sa demeure,
ils entrèrent en fureur contre le caïd ‘Ali en l’accablant
d’injures et de malédictions. Le caïd ‘Ali revint ensuite à
Tombouctou.

Les Marocains* de Dienné firent annoncer à toutes les po-

1. L’expression « les gens » employée dans le texte s’applique seulement aux
Marocains en garnison dans cette ville.

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIEME 305

pulations des localités sises sur le bord du Fleuve, que l’aman
leur serait accordé s’ils revenaient dans leurs demeures. Les
uns se hâtèrent de rentrer dans leurs foyers ; d’autres hési-
tèrent un peu mais finirent également par y revenir.

L’année suivante, en 1019 (26 mars 1610-16 mars 1611),
au commencement des hautes eaux (v • •) du Fleuve, le caïd
revint à Dienné avec l’askia Bokar pour régler les questions
de souveraineté ^ Aucun des soldats qui étaient là en garni-
son ne douta un seul instant qu’aussitôt arrivé dans la ville, le
caïd ‘Ali ne tirerait vengeance du Djinni-Koï et ce dernier lui-
même était persuadé de la chose.

Le caïd ‘Ali campa hors des murs de la ville auprès des
jardins\ Il fit mander le Kala-Cha’a Mohammed qui se pré-
senta. Puis il pensa de nouveau que l’arrestation du Djinni-
Koï n’offrirait aucun avantage et qu’elle occasionnerait dans
le pays des troubles qu’il serait ensuite difficile d’apaiser. Il
lui imposa seulement une forte contribution ^ Le Djinni-Koï
perçut cette somme très considérable des gens de sa tribu
qui la lui payèrent promptement et sans tarder, tant ils étaient
heureux de voir sain et sauf cet homme qui leur était cher et
qu’ils aimaient du fond du cœur.

A cette époque Taskia Bokar était jaloux du Kala-Cha’a
Mohammed parce qu’il voyait qu’il avait plus d’autorité que
lui. Il y avait un vif dissentiment entre eux. Quand on fut de
retour à Tombouctou, le pacha Mahmoud trouva étrange
qu’on n’eût pas arrêté le Djinni-Koï à cause de toutes les
grandes intrigues qu’il avait fomentées. Aussi quand le caïd
‘Ali vint le trouver à son arrivée il lui demanda s’il avait ou

1. Il s’agissait de savoir si l’on nommerait un nouveau chef indigène de la
ville ou si l’on maintiendrait l’ancien,

2. Le mot traduit par « jardins » pourrait être un nom de localité « El-Djenan ».

3. Les dictionnaires ne donnent point cette signification de « contribution »

pour le mot arabe ^Liî. Cependant le sens ne paraît pas douteux d’après le

contexte ,

{Histoire du Soudan ) 20

 

306 HISTOIRE DU SOUDAN .

non procédé à l’arrestation . «Non, répondit le caïd ‘Ali, il a
payé une contribution. » Alors il ajouta en manière de vœu
en faveur du Djinni-Koï : « Puisse Dieu ne jamais faire voir
aux habitants de Dienné le moment où il ne sera plus parmi
enx ! » Ensuite il remit au pacha la totalité de la contribution.

Pour ce qui est de l’askia Bokar, il ne cessa de dénoncer
le Kala-Cha’a au pacha Mahmoud et de multiplier ses ca-
lomnies contre lui. « C’était lui, disait-il, qui avait été l’ins-
tigateur de la révolte et qui avait envoyé dire à l’askia de
faire venir le Dendi-Fâri. » Alors le pacha écrivit au caïd
Ahmed-ben-Yousef en lui donnant l’ordre de mettre à mort
le Kala-Cha’a. Le caïd fit tous ses efforts pour protéger le
Kala-Gha’a et alla jusqu’à offrir de payer pour lui 500 mits-
qal si on lui laissait la vie. Le pacha refusa, tenant absolu-
ment à le faire mourir, et le Kala-Cha’a périt ainsi injuste-
ment, victime d’une inimitié.

Quand le caïd ‘Ali-ben-Abdallah fut sur le point de quit-
ter Dienné pour revenir à Tombouctou, il destitua le caïd
Ahmed-ben-Yousef de ses fonctions, qu’il donna au thaleb*
Mohammed-El-Belbâli dès son arrivée à Tombouctou. Le
caïd ‘Ali arrangea les affaires de façon à l’y envoyer comme
hâkem} de cette ville.

Le caïd ‘Ali-ben-Abdallah continua à jouir du pouvoir et
de sa haute situation jusqu’en l’année 1021 (4 mars 1612-
21 février 1613). A ce moment il se trouvait à Asafaï, pour
veiller à la défense de cette place (r • s ) bien connue à l’épo-
que, lorsqu’il reçut la nouvelle que Seyyid Kiraï-Idji, Dendi-
Fâri à cette époque, marchait contre lui à la tête d’une
grande expédition sur l’ordre de l’askia El-Amîn, souverain
du Dendi.

 

1. Ce mot« thaleb » fait peut-être partie du nom et alors il faudrait traduire
à El-Thaleb-Moliammed-EI-Belbâli

2. Le sens de celte phrase est assez obscur dans le texte.

 

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 307

Au mois de rebi’ II, si je ne me trompe, le caïd ‘Ali mar-
cha à la rencontre de l’ennemi à la tête d’un grand corps
d’armée dans lequel se trouvait le cheikh Ahmed-Tourik*-
Ez-Zobéïri. Il joignit son adversaire à Chirko-Chirko, loca-
lité au fin fond du pays de Binka dans la direction de l’est ^
Chacune des deux armées en présence s’arrêta en face l’une
de l’autre, puis on se sépara sans combat en se tournant le
dos pour prendre deux directions opposées. L’askia Bokar
aurait, à ce qu’on rapporte, dit à cette occasion : « Je n’ai
jamais vu deux nations perdre à la fois leur pouvoir ^ à
l’exception de ces deux-ci. »

On assure que le caïd ‘Ali avait envoyé de l’or au Dendi-
Fâri Seyyid Kiraï par l’entremise de l’askia Bokar, afin qu’il
se retirât sans combattre. Ce Dendi-Fâri était le fils de
la sœur de l’askia Bokar. Quand il revint auprès de l’askia
El-Amîn, celui-ci, qui avait entendu parler de cette affaire,
la lui dévoila ouvertement pendant l’audience qu’il lui
donna, et, outré de colère, il lui reprocha vivement d’avoir
reçu un pot-de-vin pour renoncer au combat. En rentrant
chez lui, le Dendi-Fâri ayant bu de l’eau de hals^^ mourut
aussitôt. On trouva parmi ses bardes de l’or, dont personne
ne lui connaissait la possession auparavant, et c’est ainsi
que les soupçons à son encontre furent fortifiés.

Ensuite, le caïd ‘Ali ramena ses troupes à Tombouctou;
il déposa le pacha Mahmoud-Lonko, dont il prit les fonctions
dans la matinée du mercredi, 15 du mois de cha’aban, le
brillant de l’année susdite (11 octobre 1612), au mois de

1. Peut-êlre faut-il ajouter une voyelle à la fin de ce mot qui n’est pas voyelle
dans le texte.

2. Au Soudan le mot j^ signifie « est », alors que d’ordinaire il s’emploie ail-
leurs pour indique le sud.

3. Ou : « partir chacune de son côté » sans livrer combat après s’être trouvées
ainsi en présence l’une de l’autre.

4. J’ignore de quel poison il s’agit. Au lieu de « eau de hais », on pouvait
traduire : « sucde/ta/s ».

 

308 HISTOIRE DU SOUDAN

juillet \ si j6 ne me trompe. Puis il monta aussitôt à cheval
et parcourut toute la ville. Descendant ensuite de cheval, il
entra chez le pacha Mahmoud. Celui-ci le salua, le félicita
et fit des vœux pour lui. Toutefois, parmi les paroles qu’il
prononça en cette circonstance, il ajouta ces mots : « Vous
venez d’ouvrir une porte par laquelle vous sortirez de la
même façou que vous y êtes entré. » 11 faisait allusion à sa
révocation prochaine, et, en effet, il en fut ainsi. Peu de
temps après cela, Mahmoud mourut, après avoir conservé le
pouvoir huit ans et sept mois. Il fut le dernier des pachas
envoyés de Merrâkech^ et l’on prétend qu’il mourut empoi-
sonné.

 

CHAPITRE XXVIII (t-v)

 

DÉCADENCE DE LA DYNASTIE RÉGNANTE AU MAROC EN PUNITION
DES EXCÈS QU’ELLE AVAIT COMMIS AU SOUDAN

 

On a vu précédemment que les jurisconsultes, fils du
seyyid Mahmoud, étaient arrivés dans la cité rouge de Mer-
râkech; cet événement marqua pour cette ville le commen-
cement d’une ère de calamités.

L’auteur du El-Kheber^ rapporte qu’au moment de leur
arrivée les fils de Mahmoud rencontrèrent les prisonniers
chrétiens qui allaient et venaient pour accomplir les tra-

1. Cette année-là le mois de juillet correspondait au mois de djomada I»’,
L’erreur porte sans doute sur l’indication du mois de l’année solaire, le 15 de
ce mois étant un dimanche, tandis que le 15 de cha’ban était bien un mercredi.

2. Ou, pour mieux dire, nommé par le gouvernement marocain. Depuis ce
moment, en effet les pachas furent choisis par l’armée d ‘occupation sans en
référer à l’empereur du Maroc.

3. Peut-être qu’au lieu d’une citation d’un ouvrage appelé El-Kheber, il n’y a
ici qu’une manière fautive de dire : « On rapporte la nouvelle que… »

 

CHAPITRE VINGT-HUITIÈME 309

vaux qui leur étaient imposés. L’un deux qui, depuis le
commencement de sa captivité, n’avait jamais paru gai et
qu’on n’avait jamais vu même sourire, changea subitement
d’attitude ce jour-là. Il était arrêté avec ses compagnons
à la porte des remparts quand les Soudanais s’y présen-
tèrent. Aussitôt qu’il les vit, il se mit à rire et à éclater de
joie, cessant immédiatement de conserver son air revêche et
de mauvaise humeur. Ce fait surprit tout le monde; la nou-
velle s’en répandit bientôt et parvint aux oreilles du sultan
Maulay Ahmed qui fit interroger le captif à ce sujet. « Com-
ment ne me réjouirais-je pas, répliqua le chrétien, mainte-
nant que nos espérances vont se réahser pleinement au sujet
de cette ville, car nous savons par nos chroniques que Mer-
râkech sera ruiné lorsque \ef> Motelettsemin * y entreront. Or,
ces gens qui viennent d’arriver ofîrent précisément les ca-
ractères qui nous ont été indiqués pour les Motelettsemin. »
La première calamité qui se produisit à l’encontre du
sultan fut la révolte de Maulay Nasr, fds du sultan Maulay
‘Abdallah ; il eut pour lui toute la population de la province du
Gharb^ tant était grande l’affection qu’elles avaient pour son
père. Maulay Ahmed éprouva une crainte très vive à cause
de cet événement; il se mit en campagne à la tête d’une so-
lide et nombreuse armée, après avoir rendu la liberté aux
jurisconsultes qu’il avait internés et leur avoir fait grâce.
Dieu fit qu’il s’empara de son adversaire et qu’il le fit tuer.
Dans sa joie, il envoya annoncer cet heureux événement
jusque dans le pays (y • f ) du Soudan,

1. Ce nom est donné d’une manière générale à toutes les populations du nord
et du centre de l’Afrique qui portent un voile sur la figure. On sait qu’on de-
signe aussi les Alinoravides sous ce nom. La prétendue prédiction ne peut se
rapporter à l’arrivée des Almoravides qui était antérieure de beaucoup à celte
époque.

2. Le mot Gharb, qui désigne surtout la partie septentrionale du Maroc dont
Fez est le chef-lieu, s’emploie parfois pour désigner l’empire du Maroc tout
entier.

 

310 HISTOIRE DU SOUDAN

D’autres calamités vinrent de tous côtés s’ajouter à cette
première épreuve, en sorte que Maulay Ahmed se repentit
de la façon dont il s’était conduit à l’égard des ulémas du
Soudan. Son fils, qui était la joie de son âme et son héritier
présomptif, Maulay Ech-Cheikh, se révolta dans la ville de Fez.
Maulay Ahmed se mit en personne à la tête de ses troupes,
et s’empara de ce fils ; puis il donna l’ordre au pacha Djouder
de le conduire à Méquinez et de l’y mettre en prison. Alors
il désigna pour son successeur son autre fils Abou-Fârès, le
frère germain de Maulay Ech-Cheikh et il fit part de ce des-
sein à Djouder lorsque celui-ci revint de Méquinez.

Enfin Maulay Ahmed fut empoisonné* par sa femme, Aïcha-
bent-Abou-Beki’-Ech-Chebbâniya, la mère de son fils Maulay
Zîdân, qui l’avait accompagné, elle et son fils, durant cette
expédition. Le poison était contenu dans des figues que
le prince mangea, ainsi que sa petite-fille, la fille de Maulay
Ech-Cheikh. A peine cette enfant, encore toute jeune, eut-
elle mangé une seule figue qu’elle bondit brusquement,
puis retomba sur le sol et mourut aussitôt. Le sultan intoxi-
qué, lui aussi, se hâta de quitter la ville de Fez pour se rendre
dans la rouge cilé de Merràkech, mais il mourut au cours
du trajet dans la seconde décade du mois de rebi’ I” de l’an-
née 1012(18-28 août 1603).

Djouder cacha à tout le monde la mort du sultan jusqu’à
son arrivée dans la ville de Merràkech ; il le fit alors ense-
velir et exécuta sa recommandation au sujet de l’élévation au
trônedeMaulayAbou-Fârès.En conséquence on prêta serment
de fidélité à ce dernier, tandis qu’à Fez Maulay Zîdân se dé-
clarait investi du pouvoir souverain et recevait le serment
d obéissance des habitants de cette ville.

1. Cet empoisonnement paraît ôtre une légende, car Maulay Ahmed est mort
de la peste. L’auteur en veut faire une punition du Ciel qui aurait ainsi vengé
Je Soudan des exactions commises par les Marocains.

 

CHAPITRE VINGT-HUITIÈME 311

La lutte s’engagea entre les deux sultans. Maulay Abou-
Fàrès,pour aller combattre Maulay Zîdân à Fez, équipa une
armée dont il donna le commandement à Djouder. Quand
celui-ci approcha de Fez il apprit que Maulay Zîdân se portait
à sa rencontre en personne. Il dépêcha aussitôt un messager à
Maulay Abou-Fârès pour l’informer que Maulay Zîdân était
en route pour le combattre à la tête de ses troupes et qu’il
ne pouvait, lui, absolument pas entrer en lutte avec le prince
et le repousser*; qu’en conséquence il fallait donner l’ordre de
mettre en liberté Maulay Ech-Gheikh pour qu’il prît le com-
mandement des troupes et qu’il engageât le combat. Maulay
Abou-Fârès ayant accepté cette proposition, Djouder envoya
mettre Maulay Ech-Cheikh en liberté.

Le messager était de retour de chez Maulay Abou-Fârés,
quand celui-ci écrivit à Djouder une seconde lettre dans la-
quelle il lui disait : « Quand tu auras frappé avec cette épée
remets-la dans le fourreau ^ » Or cette lettre tomba entre
les mains de Maiday Ech-dheikh avant de parvenir à Djou-
der. Maulay Ech-Cheikh ayant lu la lettre comprit l’allusion
qu’elle contenait. Il livra néanmoins bataille et vainquit
Maulay Zîdân qui s’enfuit dans le pays du Sous ; puis il re-
tourna à Fez, prit l’autorité suprême dans cette ville (v*i)
et prépara, pour aller à Merrâkcch combattre Maulay Abou-
Fârès, une expédition dont il confia le commandement à son
fils Maulay Abdallah-Es-Seghir.

Abou-Fârès, vaincu, se réfugia dans les montagnes et
Maulay Abdallah prit le pouvoir à Merrâkech, où il ne de-
meura que un an et neuf mois, exactement le même temps
qu’y avait passé Maulay Abou-Fârès qui n’y était resté lui

1. Djouder prétexta sans doute qu’il était interdit à un fidèle de lutter contre
un descendant du Prophète investi de l’autorité suprême. Il voulait se ménager
les faveurs de Maulay Zîdân au cas où celui-ci aurait été vainqueur.

2. C’est-à-dire de faire disparaître Maulay Ech-Cheikh dès qu’on n’aurait plus
besoin de ses services.

 

312 HISTOIRE DU SOUDAN

aussi que un an et neuf mois. A peine était-il au pouvoir que
sa mère vint l’engager vivement à faire périr les grands
chefs qui avaient été les fonctionnaires de son grand-père
Ahmed ; de cette façon, dit-elle, il jouirait en paix de son au-
torité. Maulay Abdallah les fit donc tons périr; ils étaient au
nombre de onze, tous caïds, et parmi eux se trouvait le
pacha Djouder. Maulay Abdallah envoya les têtes de ces
chefs à son père qui était à Fez. Celui-ci, en voyant ces tro-
phées, prit en aversion les choses de ce monde et regretta
d’être au pouvoir.

Maulay Abou-Fârès sortit ensuite des montagnes où il
s’était réfugié et se rendit à Fez où il demeura auprès de
son frère Maulay Ech-Cheikh. De son côté Maulay Zidân
usant de toutes ses ressources réussit à équiper une armée
qu’il dirigea contre Maulay Abdallah à Merrâkech et mit à
la tête de cette expédition le fils de son oncle paternel,
Maulay Abou-Hassoun, surnommé également Bou-Ech-
Cha ïr. Celui-ci ayant engagé la lutte et remporté la vic-
toire, Maulay Abdallah s’enfuit à Fez et s’y réfugia auprès
de son père Maulay Ech-Cheikh ; puis il tua son oncle Abou-
Fârès et enleva le pouvoir à son propre père.

Très irrité de tout cela, Maulay Ech-Cheikh s’enfuit et
alla se réfugia chez les chrétiens ‘où il demeura. Plus tard il
leur vendit la ville deEl-‘Araïch (Larache), localité très im-
portante et d’une grande valeur dans l’empire musulman.
Les chrétiens en prirent possession et aujourd’hui encore elle
est entre leurs mains. Maulay Ech-Cheikh resta jusqu’à sa
mort dans le pays des Chrétiens et l’on prétend qu’il abjura
la foi musulmane*. Le Ciel nous préserve de pareille chose!

Maulay Abdallah demeura à Fez uniquement occupé à de

1. Il s’agit des Espagnols qui en effet conservèrent Larache jusqu’en 1689.

2, Selon le Nozhet El-Hadi, Maulay Ech-Cheikh revint au Maroc où il fut assas-
siné à Fcddj-EI-Ferès,prè8 de Tétuan, le 21 août 1613,

 

CHAPITRE VINGT- HUITIÈME 313

mauvaises actions, tyrannie, oppression et autres choses de
même genre*. Enfin on finit par l’interdire et à l’empêcher de
continuer ses méfaits jusqu’à sa mort. Dès ce moment les ha-
bitants de Fez durent s’occuper eux-mêmes de leurs affaires,
n’ayant plus ni prince, ni gouverneur, et encore aujour-
d’hui il n’y a plus dans cette ville d’autres chefs que des
chefs de quartier.

Quant à Maulay Abou-Hassoun, il s’empara du pouvoir
souverain (v**) à Merrâkech et le garda environ quarante
jours. Comme les habitants de cette ville se trouvaient dans
une extrême disette par suite de la cherté des vivres, il leur
fit distribuer toutes les denrées comestibles qui avaient été
mises en réserve dans les greniers royaux. C’est à cause de
cela qu’on le surnomma Bou-Ech-Ch’aïr (l’homme à l’orge).
Maulay Zîdân survint ensuite et, après avoir tué Abou-Has-
soun, il prit possession de la royauté.

Au nombre des calamités qui frappèrent la ville de Mer-
râkech se trouve la peste qui éclata pour la première fois
dans cette ville. La maladie, qui se répandit et persista pen-
dant longtemps, faillit faire périr toute la population, jeunes
gens et vieillards. Le nombre des victimes fut si considé-
rable que Dieu seul en peut savoir le chiffre et depuis cette
époque l’épidémie n’a plus épargné comme autrefois les
habitants de cette cité.

On m’a rapporté que le prince, le sultan Maulay Ahmed,
avait commencé la construction de la grande mosquée, et
comme il l’avait établie sur un plan merveilleux, on lui avait
donné le nom de mosquée de la prospérité \ mais, détourné de
cette occupation par une série d’événements malheureux,
le prince ne put, avant sa mort, achever cet édifice qui reçut
alors le nom de mosquée de la ruine.

1. Sur la conduite de ce prince, cf. le Nozhet-El-Hddi, p. 313 de la traduc-
tion.

 

314 HISTOIRE DU SOUDAN

Une autre calamité qui se produisit alors fut la révolte de
Ahmed-ben-Abdallah-Es-Saouri*. Cette sédition très grave,
et qui eut de désastreuses conséquences, puisqu’elle sema
la discorde parmi les populations et qu’elle fit périr nombre
de personnes, jeunes et vieilles, fut un véritable châtiment
infligé par Dieu pour venger les fils de Mahmoud. La sen-
tence divine prédestinée s’accomplit dans toute son intégra-
lité.

Ahmed-ben-Abdallah (abu mahalli) leva Tétendard de la révolte sur les bords de l’Oued-Es-Saoura^ pendant le mois sacré de moharrem, le premier <les mois de l’année 1019, le jour de ‘Achoura (4 avril 1610). L’Oued Es-Saoura est le nom d’un pays situé entre le Touât et le Tafilâlet. Des ramassis de gens de toute sorte écoutèrent la voix de l’agitateur qui marcha contre Merrâkech pour attaquer Maulay Zîdân, après lui avoir, au préalable, écrit de nombreux messages soit en prose, soit en vers, pour lui reprocher les fautes graves qu’il avait commises contre la religion du Très-Haut en altérant les pratiques établies par son Prophète (Que Dieu répande sur Mahomet ses bénédictions et lui accorde le salut!).

Maulay Zîdân se porta à la rencontre de son adversaire et essaya de le repousser, mais les balles lancées contre les révoltés ne produisirent point sur eux la moindre blessure.
Les troupes du sultan se débandèrent alors et s’enfuirent dans les montagnes, tandis que les révoltés entraient dans la ville de Merrâkech, où ils commirent les plus grands excès, pénétrant dans le palais du sultan, s’emparant de tout ce qu’ils y trouvaient, faisant sortir les femmes de condition de leur retraite, les dépouillant de leurs vêtements et
CHAPITRE VINGT-HUITIÉME 315

se livrant sur elles à la débauche (Y»n). Ce fut exactement
la répétition des actes commis par Mahmoud-ben-Zergoun
lorsqu’il avait envahi les habitations des fils du Seyyid Mah-
moud. Le Souverain tout-puissant, qui ne néglige jamais de
punir les méchants, avait ainsi voulu faire mesure égale
dans le châtiment.

L’argent, les bardes, les meubles qui se trouvaient dans
les habitations furent enlevés par les révoltés qui les disper-
sèrent de tous côtés et dans tous les pays. Un grand nombre
de ces objets furent apportés dans la ville de Tombouctou
pour y être vendus par des commerçants. Tout le monde
voulut acheter de ces choses et en avoir en sa possession.
Certains de ces meubles finirent par arriver dans l’habita-
tion des fils de Mahmoud où l’on peut admirer leur beauté
et la façon merveilleuse dont ils étaient ajustés. Ce fut un
grand enseignement que Dieu donna à ceux qui sont clair-
voyants, car ils virent comment agit Celui dont la force et
la puissance sont uniques au monde.

Le prince, le sultan Maulay Ahmed-Edz-Dzehebi était le
fils de Maulay Mohammed-Ech-Cheikh, fils de Maulay Mo-
hammed-Amghâr* le chérif, fils d’Abderrahman. Sa mère
était une concubine^ du nom de Lella- Aouda; elle était la
fille d’unFoulâni.

Mohammed Amghâr était venu de l’Orient au Maroc ; il
était allé dans le pays du Sous marocain et s’y était établi
à demeure. Les habitants de la contrée l’avaient accueilli
avec les plus grands égards, lui témoignant force honneurs
et respects. Il finit par être nommé chef du Sous et en fut
le souverain pendant trente-trois mois.

 

1. « Amghâr » est un mot berbère signifiant << ancien ».

2. Ou, plus exactement, une esclave rendue mère. On sait que l’enfant né d’un
patron et de son esclave est parfaitement légitime aux yeux des musulmans et
que la mère se trouve affranchie par ce fait.

 

316 HISTOIRE DU SOUDAN

Mohammed-Amghâr mourut ensuite laissant trois enfants :
Maulay Ahmed-El-A’aredj qui était l’aîné ; Maulay Moham-
med-Ech-Cheikh et Maulay Abdallah. De Maulay Moham-
med-Ech-Cheikh sont issus Maulay Abdelmalek et Maulay
Ahmed-Edz-Dzehebi ; Maulay Abdallah eut de nombreux
enfants parmi lesquels on cite Maulay Mohammed et Maulay
Nâser.

Maulay Ahmed-El-A’aredj devint souverain de la rouge
cité de Merrâkech. Mais des intrigants le brouillèrent bien-
tôt avec son frère Mohammed-Ech-Cheikh en lui disant que
ce dernier voulait lui ravir le pouvoir. Un conflit éclata
entre les deux frères, et, à la suite d’un combat, Maulay Mo-
hammed-Ech-Gheikh, vainqueur, s’empara de son frère et le
tint en prison sa vie durant.

Maulay Mohammed-Ech-Cheikh, devenu sultan, conserva
le pouvoir jusqu’à sa mort. Il eut pour successeur son frère,
Maulay Abdallah, qui régna (t»v) pendant dix-sept ans. Ce
prince gouverna sagement les populations du Maroc et s’en
fit grandement aimer. Il exila les enfants de son frère aux
extrémités de son royaume et comme ceux-ci lui adressaient
des représentations à ce sujet il leur dit : « Je désire épar-
gner vos existences et vous permettre de vivre longtemps.
Si vous habitiez dans le voisinage de mes enfants ils vous tue-
raient. » Les choses demeurèrent ainsi jusqu’à sa mort.

Maulay Mohammed-Ech-Cheikh eut pour successeur son
fils Maulay Mohammed-El-Mesloukh, qui régna un an et
neuf mois. Comme il avait mécontenté les fils de son oncle
paternel, Abdelmalek et Ahmed-Edz-Dzehebi, ceux-ci se
rendirent auprès du prince des Croyants, le sultan ottoman*
de Constantinople. Abdelmalek demanda au souverain turc
de lui fournir un fort contingent de troupes poui’ lui per-
mettre de conquérir le trône de Merrâkech. Accédant à ce

l.Amurat III.

 

CHAPITRE VINGT-HUITIÈME 317

désir, le sultan donna au prince marocain une armée de sol-
dats turcs en nombre suffisant qui permit à Abdelmalek de
vaincre le fils de son oncle paternel, MauJay Mohammed, fils
de Mauley Abdallah. Celui-ci vaincu se réfugia auprès des
chrétiens et Maulay Abdelmalek occupa le pouvoir souve-
rain à son tour pendant un an et neuf mois également.

Maulay Abdelmalek modifia les usages de ses ancêtres
pour les remplacer par les coutumes turques. Il emprunta
aux Turcs la forme de leurs vêtements, leur façon de man-
ger et jusqu’aux titres de leurs fonctionnaires qu’il fit prendre
aux siens. Enfin tout dans l’empire marocain fut organisé à
la façon turque. On y fit usage de toutes sortes d’armes à
feu; on y revêtit des caftans, desférédjé\ des chîrkhoukh^
etc., les fonctionnaires prirent alors les titres de bachoud,
d’odabâchi, d’oldach, etc.

De son côté Maulay Mohammed, fils de Maulay Abdallah,
avait demandé au souverain chrétien^ de lui fournir des
troupes pour combattre Maulay Abdelmalek. Le prince chré-
tien accéda à sa demande et mit son propre fils à la tête de
l’armée qu’il fournit. Les troupes se rendirent au Maroc et
Dieu voulut que, dans la bataille qui fut livrée contre les
Marocains, trois personnages moururent sans cependant
prendre une part directe à l’action* : Maulay Mohammed,
Mauley Abdelmalek et le fils du souverain chrétien. Ce fut
là une étrange coïncidence décrétée (t • a) par le Tout-Puis-
sant, Celui qui sait tout.

La bataille engagée entre les deux armées continua sans
que, de part ni d’autre, aucun des combattants connût la
mort du sultan Maulay Abdelmalek. Le caïd Mohammed-

1. Sorte de simarre servant d’uniforme.

2. Le mot chirkkoukh, ou chyoukhoukh selon le ms. G, ne figure pas dans les
dictionnaires. Il a sans doute été altéré par les copistes.

3. Don Sébastien, roi du Portugal; il vint lui-même au Maroc et y périt.

4. C’est-à-dire sans combattre personnellement.

 

318 HISTOIRE DU SOUDAN

Thab’a cacha cet événement et n’en fit part à personne. 11
allait à chaque instant vers la litière où se trouvait le souve-
rain Maulay Abdelmâlek, lui adressait la parole, faisait
l’éloge des hommes qui combattaient vaillamment et retour-
nait ensuite auprès de ceux-ci pour leur dire que le sultan
les saluait, voyait ce qu’ils faisaient, les en remerciait et
faisait des vœux pour eux. Ce manège dura jusqu’au mo-
ment où les troupes des chrétiens vaincues tournèrent le
dos et prirent la fuite.

Dès que la nouvelle de la mort de Maulay Abdelmâlek fut
connue, Maulay Ahmed-Edz-Dzehebi se sauva et alla se ca-
cher, craignant qu’on ne le tuât. Les Turcs songèrent à nom-
mer sultan du Maroc Maulay Isma ïl, fils de Maulay Abdel-
mâlek, mais les habitants de Merrâkech n’en voulurent
point et ils allèrent chercher Maulay Ahmed dans la retraite
où il s’était caché à ce moment et relevèrent au pouvoir;
dès lors, Maulay Ahmed demeura souverain.

Tout d’abord Maulay Ahmed, à la suite d’une haine an-
cienne qu’il avait contre les caïds de son frère à cause de la
conduite qu’ils avaient tenue vis-à-vis de lui, les fit mettre à
mort. Parmi eux se trouvaient le caïd Ed-Deghâli, le caïd
Redhouân, le caïd Dja’afer et le caïd ‘Ali-Ël-Djonaouni.
Furent seuls épargnés le caïd Djouder et le caïd Moham-
med-Thaba’. Toutefois Djouder fut interné dans une maison
de campagne où il resta durant douze aas, jouissant d’ail-
leurs dans cette captivité de toutes les douceurs de l’exis-
tence et de tous les plaisirs de la vie.

Après ces douze années, Maulay Ahmed rendit la liberté
à Djouder et l’envoya en qualité de pacha au Soudan. Djou-
der occupa ces hautes fonctions pendant vingt-sept ans et
demi; il y déploya une merveilleuse intelligence et fit preuve
des connaissances les plus extraordinaires en toute chose et
des plus hautes conceptions. Son bonheur dans les affaires

 

CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME 319

de ce monde et la chance dont il fut favorisé jour et nuit
furent tels qu’on prétend qu’il ne conçut aucun projet sans
qu’il se réalisât au gré de son désir, et souvent même Dieu
lui accorda plus qu’il n’espérait. Il mourut au commence-
ment de l’année 1012 (11 juin 1603-30 mai 1604). A dater
de ce moment la dynastie marocaine fut ébranlée et sa déca-
dence alla sans cesse en croissant.

 

CHAPITRE XXIX (t.^)

RÉVOLTE DE ES-SAOURI CONTRE MAULAY ZIDAN AU MAROC

Revenons maintenant, pour en finir, à l’affaire de Mau-
layZidân avec Es-Saouri. Ce dernier ne voulut jamais entrer
en personne* dans la ville de Merràkech et resta, pendant tout
le temps que dura sa suprématie, hors de l’enceinte delà ville.
Enfin Seyyid Yahya-Es-Soussi équipa une armée contre lui
et une bataille s’engagea en dehors des remparts de la ville,
dans la première décade du mois de ramadan de l’année
1022 (15-24 octobre 1613). Es-Saouri fut vaincu et tué.
Les habitants de Merràkech lui tranchèrent la tête et leurs
enfants s’en amusèrent comme d’un jouet.

Après cette victoire, Seyyid Yahya fit mander au sultan
Zîdân de venir à Merràkech et d’y reprendre l’autorité sou-
veraine. Zîdân répondit en lui demandant de quitter le pays
pour se rendre où il voudrait aussitôt que lui-même se
mettrait en marche vers Merràkech. Il agissait ainsi parce
qu’il n’avait point confiance en Yahya et qu’il redoutait
quelque trahison de sa part. Dès que Yahya eut quitté Mer-

1. Le No::eth-El-Hâdi dit au contraire qu’il s’installa dans le palais impérial.

 

320 HISTOIRE DU SOUDAN

râkech, le sultan retourna dans sa capitale où il demeura
jusqu’à sa mort qui eut lieu en l’année 1037 (12 septembre
1627-31 août 1628). Son règne avait duré vingt-deux ans.

Zîdân eut pour successeur son fils Abou-Merouan-Maulay
Abdelmâlek. Ce prince était sanguinaire et d’une grande
prodigalité; il passait tout son temps à commettre de vi-
laines actions. La population ne tarda pas à prendre en
dégoût ce personnage et il fut mis à mort par ses propres
sujets. Il périt dans le courant de l’année 1039 (21 août
1629-10 août 1630), après avoir régné deux ans et huit
mois.

Il eut pour successeur son frère Abou-Abdallah-Maulay-
El-Oualîd dont la conduite au pouvoir fut semblable à celle
de son frère; la population le prit également en aversion.
Sa tante paternelle, la chérifa Lalla-Sofia, s’entendit avec les
fonctionnaires du palais pour faire assassiner le sultan.
Celui-ci, frappé d’une balle, mourut dans le courant de
l’année 1045 (17 juin 1635-5 juin 1636), après avoir
régné cinq ans.

La tante paternelle du défunt fit monter sur le trône le
plus jeune frère d’El-Oualîd, l’éminent, le fortuné (x\*),
le béni Maulay Mohammed-Ech-Cheikh-ben-Maulay-Zîdân.
Ce fut un vrai prince des Croyants, un khalife des musul-
mans. Il eut une conduite irréprochable et usa de procédés
afî”ables envers les pauvres et les malheureux en même temps
qu’il honora les ulémas et les saints personnages. Il y a
aujourd’hui dix-neuf ans qu’il est monté sur le trône. Dieu
prolonge sa vie et lui continue son appui, sa bienveillance
et sa faveur marquée ! Dieu peut tout cela et il est à même
d’exaucer ces vœux.

 

CHAPITRE TRENTIEME 321

 

CHAPITRE XXX

OBITUAIRE ET RÉGIT DE DIVERS ÉVÉNEMENTS PAR ORDRE
CHRONOLOGIQUE (1591-1613)

Voici maintenant un passage relatif aux personnages de
Tarmée, aux jurisconsultes, aux notables, à mes frères et
parents, indiquant la date de leur mort ou d’autres faits les
concernant, depuis la venue du pacha Djouder jusqu’à l’an-
née 1021 (4 mars 1612-21 février 1613); on y trouvera
aussi la mention de certains événements placés dans Tordre
chronologique.

La mort du Cha’a-Farma ‘Ali-Djaouend, celle du Binka-
Farma Otsmân-Dorfan, celle du Fondoko Boubo-Maryama,
etc. qui succombèrent dans le combat qui fut livré entre le
pacha Djouder et Askia-Ishàq eurent lieu le mardi, 17 du
mois de mois de djomada F””* de l’année 999 (13 mars 1591).

Le jeudi, 21 du mois de dzou ‘1-hiddja, qui termina l’an-
née qui vient d’être dite (10 octobre 1591), mourut le Tom-
bouctou-Mondzo Yahya-ould-Bordam ; il avait été frappé
d’une balle lancée par les soldats du caïd El-Mostafa, alors
qu’il se trouvait près des murs de la casbah.

Le lundi, 25 du même mois (14 octobre 1591), le Fari-
Mondzo Yenba-ould-Saï-Ouolo mourut dans un combat qui
eut lieu entre le pacha Mahmoud-ben-Zergoun et Askia-
Ishâq.

En l’année 1000, au mois de djomada T’, si je ne trompe
(14 février-15 mars 1592), Askia-Ishâq et ses compagnons

1. Ou de Djomada II, d’après le ms. G.

{Histoire du Soudan.) 21

 

322 HISTOIRE DU SOUDAN

moururent (ynn) à Nemtanako; quant à Askia-Mohammed-
Kâgho et à ses compagnons, ils succombèrent dans la ville
de Kâgho à quarante jours d’intervalle.

Au cours de cette même année eut lieu à Kâgho la mort
du khatîb Mahmoud-Darâmi (Dieu lui fasse miséricorde!).
^, Ce fut le jeudi, 9 du mois sacré de moharrem, le premier
des mois de l’année 1001 (8 octobre-7 novembre 1592) que
périrent martyrs ‘ les deux chérifs, Baba-Ech-Chérif et
‘Omar-Ech-Chérif, tous deux fils de lafiUeduchérif Abmed-
Es-Seqli. Ils furent tués sur l’ordre du pacha Mahmaud-ben-
Zergoun et mis à mort sur le marché de la ville de Tombouc-
tou. Tous deux furent enterrés, dans un même tombeau,
dans le cimetière de la grande-mosquée.

Dans la nuit du dimanche, première nuit du mois sacré
de moharrem de l’année 1002 (27 septembre 1593), presque
au moment du lever de l’aurore, mourut à Arkiya le très
docte jurisconsulte, le cadi Mahmoud-Ko’ti-ben-El-Hâcij-
El-Motaouekkel-‘ala-‘llah. Son corps fut transporté à Tom-
bouctou et ce fut là que, après la seconde prière du soir, le
lundi, on récita sur lui les prières des funérailles. Immédia-
tement après cela il fut enterré près du tombeau du juris-
consulte Ahmed-ben-El-Hâdj-Ahmed. (Dieu leur fasse misé-
ricorde et nous fasse profiter de leurs bénédictions. Amen!)

Le mercredi, 24 du même mois (31 octobre 1593), mou-
rurent le jurisconsulte, le docte mufti Ahmed-Ma’yâ, le
jurisconsulte, le pieux, Mohammed-El-Amîn — le dernier fils
du cadi Mohammed — et le jurisconsulte El-Mostafa, fils du
jurisconsulte Masira-Anda-‘Omar. Ils périrent martyrs ainsi
que onze autres personnes que le pacha Mahmoud-ben-Zer-
goun avait fait arrêter dans la mosquée de Sankoré (Dieu

 

1. Celle expression signifie simplement qu’ils furent tués sans aucun motif
et sans opposer la moindre résistance.

 

CHAPITRE TRENTIEME 323

leur fasse miséricorde à tous et les élève au plus haut des
degrés du paradis. Amen!).

Ce fut le samedi, 19 du mois de safar de la même année
(9 novembre 1593), que le jurisconsulte, le cadiMoliammed-
ben-Ahmed, fils du cadi Abderrahman, commença à exercer
ses fonctions de cadi. Il fut nommé à cet emploi sur l’ordre
du pacha Mahmoud et par l’entremise de Habib-ben-Moham-
med-Babo. Le poste avait été d’abord offert au très docte
jurisconsulte Abdallah-ben- Ahmed. Boryo-Habib avait en-
gagé au service du nouveau cadi dix chaouchs, mais celui-
ci s’excusa de ne pouvoir les prendre et demanda à résilier
la conventionnée qui fut fait lorsque le cadi eut promis, par
acte écrit, de payer 400 mitsqal d’or au père de Habib,
Mohammed-Babo \

Au mois de djomada P”” de la même année (23 janvier-
22 février 1594) mourut (t\T), à Dienné, le jurisconsulte
Mohammed-Baba-Masira, fils du jurisconsulte Anda-Ag-
Mohammed, surnommé El-MosaUi, fils de Ahmed-ben-Mel-
louk-ben-El-Hàdj-l^]d-Doleïmi. C’était un jurisconsulte instruit
et célèbre. Chaque fois qu’il se trouvait à Tombouctou, le
très docte, le jurisconsulte Abdallah-ben-Ahmed-Boryo allait
écouter ses leçons tout en se tenant hors de la maison “.
(Dieu lui fasse miséricorde!)

Le vendredi, 19 du mois de chaoual, après la prière de
l’après-midi, eut lieu la mort du cheikh -el-islâm, le bienfai-
teur de l’humanité, le pieux, le vertueux, le saint, 1 eminent,
le très docte jurisconsulte Mohammed, fils du jurisconsulte
le cadi Mahmoud-Baghyo’o-El-Ouankori; il fut enterré la
nuit même dans le cimetière de Sankoré. (Dieu lui fasse

1. Le texte ne dit pas nettement pourquoi le cadi promit de payer celtesomme
au père de Habib. On ne voit pas non plus la raison de l’intervention de Habib
dans le choix des chaouchs du cadi.

2. Il ne voulait sans doute pas se mêler à la fouie des étudiants, tout en dési-
rant s’instruire.

 

324 HISTOIRE DU SOUDAN

miséricorde et nous soit bienveillant grâce à lui! Amen!)
Le 18 du mois sacré de dzou ‘1-hiddja, le dernier des mois
de l’année 1002 (4 septembre 1594), on reçut dans la ville
de Tombouctou la lettredu jurisconsulte, le cadi Abou-Hafs-
‘Omar, fils du jurisconsulte, le cadi Mahmoud annonçant
que lui et ses compagnons étaient heureusement arrivés à
Merrâkech sains et saufs. Au cours de cette même année,
l’année 1002, mourut à Tombouctou le caïd Bou-Ikhtiyâr ;
il fut enterré dans la mosquée de Mohammed-Naddi.

Dans la nuit du jeudi, l^”” du mois sacré de moharrem,
le premier des mois de l’année 1003 (16 septembre 1591),
eut lieu la mort du cheikh, du jurisconsulte, du saint, du
maître en fait de hadits, d’histoire sacrée, d’histoire profane
et de récils des grands événements, de celui qui atteignit le
plus haut degré de la science du droit au point que certain
de ses maîtres contemporains disait de lui que s’il avait vécu
au temps où Ibu-Abdessalâm vivait à Tunis il aurait mérité
d’être le mufti de cette ville, le cadi Abou-Hafs-‘Omar, le
maître du bon droit, le fils du cadi SidiMahmoud-ben-‘Omar.
Il mourut à Merrâkech et fut enterré près du tombeau du
cadi Abou’l-Fadl-‘Iyâd (Dieu leur fasse à tous miséricorde!).
Durant sa vie, chaque fois qu’il parlait d’Abou’1-Fadl-Tyâd,
que de fois n’avait-il pas répété ces mots : « Il ne saurait y
avoir de tristesse pour quiconque sera enterré près de la
tombe de ce personnage. » Dieu avait fini par lui accorder
cette faveur.

On rap])orte que, lorqu’il se sentit mourir, Abou-Hafs-
‘Omar fit mander à Seyyid ‘Ali-ben-Seliman-Abou-Ech-Ghe-
koua de venir le trouver. Quand celui-ci fut présent il lui remit
un pli cacheté en lui disant : « Fais parvenir ce pli au sul-
tan à telle époque. » Or cette époque fut postérieure à celle de
sa mort. Quand le moment fut venu, Seyyid ‘Ali porta la lettre
au sultan. Celui-ci l’ouvrit et y trouva ces mots : « Tu es un

 

I

 

CHAPITRE TRENTIEME 325

oppresseur et je suis un opprimé ; prochainement l’oppres-
seur se retrouvera ( Y > r) avec l’opprimé en présence de Dieu
le juge équitable » . On rapporte que le sultan s’était repenti
du traitement qu’il avait infligé à Abou-Hafs et à ses com-
pagnons et qu’il aurait dit : « Si quelqu’un m’avait donné le
conseil de faire ce que j’ai fait de mon propre mouvement,
je l’anéantirais et n’en laisserais pas subsister la moindre
trace. )t

Le mardi, 22 du mois de djomada P’ de l’année 1004
(23 janvier 1596), mourut le jurisconsulte Abou-Bekr-ben-
Mahmoud-ben-Aïda, l’imam (que Dieu le très-haut lui fasse
miséricorde!).

Dans la nuit du mardi, nuit de la rupture du jeûne, au
moment où la nouvelle lune se montra (28 mai 1596) et
alors que tout le monde poussait encore des cris de joie et
d’allégresse pour se réjouir de la fin du ramadan, naquit
l’auteur de ces pages, Abderrahman-ben-Abdallah-ben-‘Im-
rân-ben-‘Amir-Es-Sa’ïdi. Dieu lui inspire l’orthodoxie et le
maintienne au nombre de ceux qui seront appelés à la suprême
félicité! Cet événement eut lieu en l’an 1004.

Le mardi soir, le 28 du mois susdit (cha’ban), mourut à
Yendabogho le cheikh, le vertueux, le saint de Dieu, le ju-
risconsulte Ibrahim, fils du jurisconsulte Omar (Dieului fasse
miséricorde et nous soit utile grâce à lui. Amen!).

Le mercredi soir, première nuit du mois de safar de l’an-
née 1005 (23 décembre 1596), mourut àTombouctouOmm-
Selma, la fille du jurisconsulte Mahmoud-ben-‘Omar. C’était
la dernière survivante de ses filles.

Le vendredi, vers le moment du coucher du soleil, le 17
du mois de rebi’ P’ de cette année (8 novembre 1596), mou-
rut à Tombouctou, le caïd Mansour-ben-Abderrahman. La
prière des funérailles fut dite sur lui dans la matinée du
samedi et il fut enterré près du tombeau de Seyyid Yahya

 

326 HISTOIRE DU SOUDAN

(Dieu lui fasse miséricorde!) dans la mosquée de Mohammed-
Naddi. Plus tard, son fils vint de Merrâkech chercher son
corps et le transporta dans cette dernière ville.

Le vendredi, 9 du mois de ramadan de cette même année
(26 avrill597), mourut l’imam Ahmed, fils de l’imam Seddiq,
dans la ferme de Korobo’. Son corps fut transporté à Tom-
bouctou où eurent lieu les prières funèbres après l’office du
vendredi. Il fut enterré dans le cimetière de Sankoré (Dieu
lui fasse miséricorde!).

Dans la dernière décade du mois sacré de dzou’l-qa’da de
cette même année (6-15 juillet 1397), mourut à Merrâkech,
‘Aïcha-Isiri, la fille du cadi El-‘Aqib.

Dans la nuit du mardi (vN t), entre le coucher du soleil et
la nuit complète, le 6 du mois sacré de dzou’l-hiddja termi-
nant l’année 1005* (21 juillet 1597), mourut à Merrâkech,
Mohammcd-Seïf-Es-Sonna”, le fils du cadiEl-‘Aqib.

Le 13 du même mois, mourut également, dans la même
ville, Seyyid-ben-‘Otsmân, fils du cadi Seyyid Mahmoud
(Dieu très-haut leur fasse miséricorde. Amen!).

Le vendredi, 6 du mois de safar de l’année 1006 (18 sep-
tembre 1597), mourut Sa’ïda, la mère du jurisconsulte Abd-
allah, fils du jurisconsulte Mahmoud-ben-‘Omar. C’était la
dernière survivante des femmes de ce dernier. Les prières
des funérailles furent dites sur elle après l’office du vendredi
(Dieu fasse miséricorde à tous. Amen!).

Dans la matinée du jeudi, 5 du même mois de la même
année (17 septembre 1597), mourut, dans la ville de Merrâ-
kech, le cheikh, le jurisconsulte, le saint, le vertueux, le
prédicateur béni du Ciel, Sidi Abou-Zeïd-Abderrahman, fils
du saint de Dieu, le jurisconsulte, le cadi, Sidi Mahmoud-
ben-‘Onar. Il fut enterré avec Ibn-El-Oettân, en facô de la

1. Le ms. C indique l’anni^e 1008.

2. Mol à mot : « le glaive de la tradition prophi^tique. »

 

CHAPITRE TRENTIÈME 327

mosquée de ‘Ali-ben-Yousef. (Dieu leur fasse miséricorde et
nous fasse profiter de leur faveur divine en ce monde et
dans l’autre vie. Amen!)

Le vendredi, 20 du même mois (6 octobre 1597), après
la prière du matin, mourut Mohammed*, le muezzin de San-
koré à Tombouctou; les prières funéraires furent dites sur
lui dans la matinée et il fut enterré aussitôt après cela.

Au mois de rebi’ II de cette même année (1 1 novembre-
10 décembre 1597), mourut dans la ville de Merrâkech, le
cheikh, le meddâh, le jurisconsulte, le vertueux ‘Omar-ben-
El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar, connu sous le nom de Baba-
Koraï. (Dieu lui fasse miséricorde!)

Le premier jour du mois de cha’ban de cette année éga-
lement (9 mars 1598), mourut, dans la ville de Merrâkech,
le cheikh, le jurisconsulte Abou-Mohammed-Abdallah, fils
du jurisconsulte, le cadi Mahmoud-ben-‘Omar. (Dieu lui fasse
miséricorde!)

Le mercredi, 5 du mois de chaoual de cette année (il
mai 1 598), moururent, dans la même localité, à Onkondo, le
pacha Mahmoud-Thàba’ et Kodàro^

Durant la nuit qui précéda le 1″ du mois sacré de dzou’l-
hiddja, terminant l’année 1006 (4 juillet 1598), mourut, au
port de Kabara, le caïd El-Mostafa-Et-Torki; il fut enterré
( Y > o) dans la mosquée de Mohammed-Naddi près du tombeau
de Seyyid Yahya {Dieu lui fasse miséricorde!).

Dans la matinée du 5 du mois de redjeb de l’année 1008
(21 janvier 1600), mourut le jurisconsulte, l’éminent, l’excel-
lent, l’ascète,rinstituteur,roncle maternel de mon père, Seyyid
Abderrahman, fils du jurisconsulte, de l’éminent, de l’imam,
du cadi Seyyid ‘Ali-ben-Abderrahman-El-Ansari-El-Mesnâni.

1. Le ms. G donne le nom deYahmadou.

2. Cette phrase est assez ambiguë et le sens donné ici n’est peut-être pas
exact.

 

328 HISTOIRE DU SOUDAN

Il fut enterré dans le cimetière de la grande-mosquée. (Dieu
le très-haut lui fasse misécorde et nous soit utile grâce à lui
Amen!)

Ce fut également pendant le cours de cette année que
mourut le jurisconsulte, le savant, ‘Otsmân-ben-Mohammed-
ben-Mohammed-ben-Denba-Sâl, le Peul; il était imam dans la
mosquée de Mohammed-Naddi. (Dieu lui fasse miséricorde!)

Au mois deredjeb l’unique de l’année 1010 (26 décembre
1601-25 janvier 1602), mourut le jurisconsulte, le savant,
le très docte Abou-Mohammed- Abdallah, fils du juriscon-
sulte Ahmed-Boryo-ben -Ahmed, fils du jurisconsulte du
cadi, Anda-Ag-Mohammed (Dieu par sa grâce lui fasse misé-
ricorde!).

Dans la nuit du mercredi 11 du mois de redjeb l’unique de l’année 1011 (3 janvier 1603), après le coucher du soleil, mourut le jurisconsulte, le savant, l’éminent, l’excellent, Mahmoud-ben-Mohammed-Ez-Zeghrâni, né et élevé à Tombouctou. Les prières furent dites sur lui dans la matinée du jeudi et il fut enterré près de la porte du mausolée du jurisconsulte Mahmoud. On prétend que son père et son frère Mohammed sont enterrés en ce même endroit. Il mourut à l’âge de 64 ans d’après les indications fournies par lui-même. Il avait étudié le droit, d’abord sous la direction du jurisconsulte Ahmed-ben-Mohammed-Sa ïd, puis sous celle d’Abdallah, fils du jurisconsulte Mahmoud. Il était habile grammairien et fit des cours au début de sa carrière. Mais une bronchite l’obhgea de cesser ses leçons et de garder la chambre pendant de nombreuses années. Il dut aussi à cause de cela renoncer à assister aux réunions de toute sorte et à l’office du vendredi. Il était imam de la mosquée des Touâtiens *.

1, II n’en avait sans doute que le titre puisqu’il n’était pas en état d’en rem-
plir les fonctions à cause de son état de santé.

 

CHAPITRE TRENTIÈME 329

Dans la nuit du jeudi, 3 du mois de cha’ban de l’année
ci-dessus indiquée (16 janvier 1603), la crue du Fleuve attei-
gnit Ma’doko; c’était le 7 du mois de janvier* à l’époque du
gouvernement du pacha Selimân. La crue atteignit de nou-
veau ce niveau sous le gouvernement du pacha Selimân,
pendant la nuit du 7 du mois de redjeb l’unique de Tannée
1012 (11 décembre 1603); c’était le 2 du mois de dé-
cembre.

Dans la matinée du 13 du mois de rebi’ I” de l’année
(v>n)1012(21 août 1603), eutlieulamort du prince El-Man-
sour-billah^ Abou-‘l-Abbàs-Maulay-Ahmed-Edz-Dzehebi. Il
succomba au moment où il venait de quitter la ville de Fez
et où il était en route pour rentrer dans la ville de Merrâ-
kech. Son corps fut transporté dans cette dernière ville où
il fut enterré.

Le samedi, vers midi, le dernier jour du mois de cha’ban
de l’année qui vient d’être dite (l®’ février 1604), mourut
le jurisconsulte, le savant, l’éminent, le dernier rejeton d’an-
cêtres illustres, le protecteur des étudiants, Abou-Hafs-
‘Omar-ben-Mohammed-ben-‘Omar, l’émule du jurisconsulte
Ma’yâ (Dieu leur fasse à tous miséricorde et nous soit utile
grâce à eux. Amen!).

Vers la fin de cette année (mai 1604), mourut mon oncle
paternel Baba-‘Amir-ben-‘Imrân-Es-Sa’ïdi (Dieu lui fasse
miséricorde, lui pardonne ses fautes et lui fasse habiter son
vaste paradis!). Il fut enterré près de son père dans le cime-
tière de la grande-mosquée.

Pendant l’année 1013, au mois de safar (29 juin-28 juil-
let 1604), mourut à El-Fa’-Konko, l’askia Selimân^ fils de

i. La différence entre la date donnée par l’auteur et la date réelle est de neuf
jours, soit qu’il n’ait pas tenu compte de la réforme grégorienne, soit qu’il ait
commis une erreur de date.

2. Ou « le favorisé de Dieu «.C’était le titre royal honorifique du prince.

 

330 HISTOIRE DU SOUDAN

l’askia Daoud. Le cadi Mohammed-ben-Ahmed, fils du cadi
Abderrahman, se rendit dans cette localité pour présider à
ses funérailles, puis le corps fut transporté à Tombouctoii et
enterré dans le cimetière de Sankoré.

Au mois de dzou ‘1-qa’da de cette année (21 mars-20 avril
1605), mourut le vertueux, le saint, le dévot, l’éminent,
Pauteur de miracles, le jurisconsulte ‘Ali-Sîl*-ben-Abou-
Bekr-ben-Chibâb-El-Oualati, né et élevé à Tombouctou. Il
était le fils de la fille du saint de Dieu, Baba-Masiri-Bîr.
C’était un ami de mon père. Il lui avait raconté que le cheikh
enterré sous le minaret de la grande-mosquée de Tombouctou
était son propre grand-père. Il en est effectivement ainsi et ce
personnage était le fils de l’oncle paternel de Masiri-Bîr; il
s’appelait ‘Ammâr et avait été surnommé Abou-‘s-Semm ^
par les Arabes de Oualata^ parce qu’il feignait de ne point
entendre toutes les paroles qui ne lui plaisaient point.

Quand le cadi El-‘Aqib restaura l’ancienne mosquée, le
tombeau fut démoli sans qu’on sût qu’il se trouvait là. On
retrouva le corps absolument intact ainsi que le linceul qui
l’enveloppait. Le très docte, le cheikh-el-islàm, le juriscon-
sulte Mohammed-Baghyo’o-El-Ouankori, qui se trouvait là,
couvrit le corps de son burnous pendant qu’on creusait la
fosse dans laquelle il fut de nouveau enseveli.

Plus tard, un des saints du Maroc vint en pèlerinage à
Tombouctou; il se rendit auprès du jurisconsulte, du tradi-
tionniste, de l’érudit, Abou’1-Abbas-Ahmed-ben-El-Hâdj-
Ahmed-ben-‘Omar, qui avait auprès de lui à ce moment le
jurisconsulte Mohammed-Baghyo’o-El-Ouankori et le juris-
consulte Ahmed-Ma’yâ. Le pèlerin les salua et leur annonça
qu’il n’était venu dans cette ville qu’à cause du saint person-
nage enterré sous le minaret de la mosquée, qu’il avait vu

1. Ou : Sili.

2. Mot à mot : « le père de la surdité ».

 

CHAPITRE TRENTIEME 331

en songe ce personnage, que celui-ci lui avait dit qu’il était
enterré en cet endroit et lui avait enjoint de venir visiter (r > v)
son tombeau, (l’est pourquoi cet homme était venu à Tom-
bouctou.

Le jurisconsulte Mohammed-Baghyo’o, ou l’une des
personnes qui étaient là, ayant demandé au pèlerin de
quel couleur était le teint d’Abou-‘s-Semm, il répondit à
Mohammed-Baghyo’o qu’il était plus noir que lui, tout en
ajoutant que Ahmed-Ma’yà était plus clair de teint que le
défunt. D’ailleurs, ajouta-t-il, sa véritable couleur était celle
de cet homme et, ce disant, il montrait le très docte juris-
consulte Ahmed-ben-El-Hâdj-Ahmed. Après cela le pèlerin
s’en alla (Dieu fasse à tous miséricorde et nous soit utile
grâce à eux tous !).

Le samedi soir 13, du mois de cha’ban de l’année 1014
(24 décembre 1605), la crue du Fleuve atteignit Ma’doko;
c’était le 12 du mois de décembre sous le gouvernement
du pacha Mahmoud-Lonko.

Le 25 de ce mois, dans la même année (5 janvier 1606),
mourut le jurisconsulte, le savant, le très docte, 1 eminent,
l’excellent, le distingué professeur, Abou-Abdallah-Moham-
med-Baba-ben-Mohammed-El-Amîn-ben-Habîb, fils du ju-
risconsulte El-Mokhtar. Il succomba le jeudi après la
prière du matin; il était né également après la prière du
matin un jeudi du mois de djomada II de l’année 981 (28
septembre-27 octobre 1573); il avait donc quatre-vingt-
deux ans et deux mois. (Dieu lui fasse habiter les degrés
les plus élevés du paradis!)

Ce personnage avait une érudition très variée dont il
donna des preuves nombreuses et fréquemment répétées.
Il atteignit un haut degré de science et fut professeur et
auteur d’ouvrages. Il avait reçu les leçons du jurisconsulte
Abderrahman, fils du jurisconsulte Mahmoud et avait assisté

 

332 HISTOIRE DU SOUDAN

aux conférences du jurisconsulte Mohammed-El-Ouankori
où l’on traitait du droit, de la grammaire et de la théologie,
mais il n’avait pas étudié sous sa direction. Il fut en corres-
pondance avec lui sur des questions d’espèces juridiques et
le cheikh lui délivra un diplôme équivalant h cehii qu’il
avait donné à son père, Mohammed-El-Amîn. Il suivit assi-
dûment les cours de Sidi Ahmed sur la grammaire jusqu’à
ce qu’il eut de cette science une connaissance sûre. Il étudia
sous la direction du jurisconsulte Ma’yâ une partie du
Mokhtasar de Sidi Khalil et acheva cette étude avec le ju-
risconsulte Mohammed-ben-Mohammed-Koraï lorsque celui-
ci fut chargé de conférences dans la mosquée de Sankoré.
Ce fut de ce même personnage qu’il entendit la lecture du
Et-Taoudih (vna) d’Ibn-El-Hâdjeb, et celle du Djami-el-
djaouâmi . Il entendit la lecture de la Modououana et celle
du Mouatta faites par le jurisconsulte Abderrahman-ben-
Ahmed le modjtâhid*. Il apprit les deux recensions de Oue-
rech et de Qdloun d’après celui qui était le porte-drapeau
de cette science à son époque, Sidi Ben-Abdelmaula-El-
Djilali ; il reçut les leçons de Abdallah, fds du jurisconsulte
Ahmed-Boryo qui lui conféra la licence d’enseigner la Chifa
et El-Bokhâri. Il est l’auteur de quelques ouvrages, entre
autres, d’un commentaire de VAl/iya de Es-Soyouti, du
Tekmila d’El-Bedjâï sur la Ldmyia; d’un commentaire des
interpolations des exemples cités par El-Khazeradji ; d’un
commentaire sur un fragment des Séances de Hariri;
d’une glose marginale inachevée sur El-Bedjâï; enfin de
superbes et magnifiques poèmes sur les vertus du Pro-
phète. Cinq ans avant sa mort ou même auparavant, il
s’astreignit à composer lors de chaque fête de la Nativité

1. C’est le nom que l’on donne à l’homme dont le savoir est tel qu’il lui est
permis d’innover en matière de législation, à la condition, bien entendu, de ce
conformer aux principes établis par le Qoran et la Sonna.

 

CHAPITRE TRENTIÈME 333

du Prophète un éloquent poème en l’honneur de Ma-
homet. (Que Dieu hii en sache gré!) Il composa deux
poèmes élégiaques, l’un à l’occasion de la mort de son
maître le jurisconsulte Mohammed-El-Ouankori, l’autre
en l’honneur du jurisconsulte Abderrahman.

Dans la nuit du lundi, 14 du mois de cha’bân de l’année

1015 (15 décembre 1606), mourut l’amîn, le caïd El-Hasen-
ben-Ez-Zobéïr ; il fut enterré dans la mosquée de Moham-
med-Naddi, près du tombeau du Seyyid Yahya. (Dieu hii
fasse miséricorde!)

Le même jour, Abou-Bekr-ben-El-Ghandàs, le Targui,
fut tué à Ras-El-Ma par un Targui de la tribu des Kel-
Amini* à qui il avait lancé son javelot dans la bouche et qui
lui lança à son tour son javelot. Ils moururent tous deux.
Akenzer-ben-Ausenba et Abou-Bekr étaient cousins mater-
nels.

Le mardi, 10 du mois sacré de dzou ‘1-hiddja de l’année

1016 (8 avril 1607), arriva à Tombouctou le cheikh, le
savant, le très docte, l’unique de son siècle et le phénix de
son temps, le jurisconsulte Ahmed-Baba, fils du juriscon-
sulte Ahmed-ben-El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar. Le prince
Maulay Zîdàn lui avait rendu la liberté, conformément à la
promesse qu’il lui avait faite du vivant de son père de le lais-
ser retourner au pays de ses ancêtres le jour où Dieu le
mettrait lui Zidân en possession du palais de son père. Il tint
la promesse qu’il avait faite ; toutefois quand Ahmed-Baba
eut quitté Merrâkech et qu’il fut en route pour le Soudan,
Maulay Zîdân regretta (v\^) ce qu’il avait fait. Mais Dieu
avait décidé que Ahmed-Baba serait enterré au lieu où il
était né.

Le mardi, 17 du même mois (15 avril 1607), mourut le
jurisconsulte, le cadi Mohammed-ben-Ahmed, fils du cadi

1. Ou « Kel-Amin », d’après le ms. C.

 

334 HISTOIRE DU SOUDAN

Abderrahman. Et, à ce moment, sur l’ordre du gouverneur
de l’époque, le pacha Mahmoud-Lonko, les fonctions de
cadi furent confiées au jurisconsulte, au saint de Dieu, Mo-
hammed-ben-Anda-Ag-Mohammed fils de Ahmed-Boryo.

Au mois de dzou-‘lhiddja, qui termina l’année 1016 (30
mars-28 avril 1607), si je ne me trompe, mourut, dans la
ville de Dienné, le jurisconsulte, l’imam Abdallah, fils de
l’imam ‘Otsmân-ben – El-Hasen-ben-El-Hàdj-Es-Senhâdji .
(Dieu lui fasse miséricorde!)

Dans la première décade du mois de rebi’ P”” de l’année
1019 (24 mai-2 avril 1610), mourut la chérifa Nâna-Bîr,
fille du chérif Ahmed-Es-Seqli. Le septième jour après elle,
mourut sa fille, la chérifa Nâna-‘Aïcha. (Dieu lui fasse misé-
ricorde et reverse sur nous une partie de leurs bénéditions.
Amen!).

Le jeudi, 15 du mois de djomada V de cette année (5 août
1610), mourut le cheikh, le jurisconsulte Abderrahman-ben-
Ahmed. C’était un docteur de la loi*. (Dieu lui fasse misé-
ricorde!)

Le dimanche, 12 du mois de djomada II, même année
(1″ septembre 1610), mourut le jurisconsulte Sàlih, fils du
saint de Dieu, le jurisconsulte Ibrahim. Son père fut l’au-
teur de miracles et de prodiges. En voici quelques-uns de lui :
Le mur de la mosquée de Sankoré se fendait la nuit pour lui
livrer passage quand il allait y faire ses dévotions la nuit.
La terre de son mausolée est efficace pour le mal de dents,
quand on l’applique sur une dent malade. On assure que
l’épreuve en a toujours été faite avec succès. (Dieu leur fasse
à tous miséricorde et nous soit utile grâce à eux. Amen!)

Le dimanche soir, 6 du mois de chaoual de l’année 1020
(12 décembre 1611), mourut le cadi, le jurisconsulte Mo-
hammed-ben-Anda-Ag-Mohammed-ben-Ahmed-Boryo-ben-

1. Ou M modjtahid ».

 

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIEME 335

Ahmed, le fils du cadi, le jurisconsulte Anda-Ag-Moharamed.
Cette même nuit mourut son ancien ami et compagnon, le
cheikh Abdennour-Ês-Senâouni. Les prières des funérailles
furent dites pour tous deux dans la matinée du lundi et ils
furent enterrés dans le cimetière de Sankoré. (Dieu leur
fasse miséricorde. Amen!) Le samedi, 12 du même mois
(17 décembre 1511), les fonctions de cadi furent, sur l’ordre
du pacha Mahmoud-Lonko, confiées au frère du défunt cadi,
le jurisconsulte, le savant Sidi Ahmed-ben-Anda-Ag-Moham-
med-ben-Ahmed-Boryo .

 

CHAPITRE XXXI (rvo)

 

LE PACHA ALI-BEN-ABDALLAH-ET-TELEMSANI. — AHMED-BEN-YOUSEF-
EL-‘EULDJI. — ‘AMMAR. — HADDOU-BEiN-YOUSEF-EL-ADJENASI. — MO-
HAMMED-BEN-AHMED-EL-MASSI. — HAMMOU-BEN-ALI-ED-DER’I. — YOU-
SEF-BEN-‘GMAR-EL-QASRI. — IBRAHIM-BEN-ABDELKERIM-EL-DJERARI
ET ALl-BEN-ABDEL-KADKR.

 

On a VU précédemment le récit relatif à l’avènement au
pouvoir du pacha ‘Ali-ben-Ab(lallah-Et-Telemsâni;ilentraen
fonctions dans la matinée du mercredi, 15 du mois brillant
de cha’ban de l’année 1021 (11 octobre 1612). Aussitôt qu’il
, fut investi du pouvoir, les choses changèrent d’aspect et l’or-
ganisation du pays fut modifiée. On ne voyait qu’événements
inattendus et innovations et cela sans discontinuer.

Lorsque, après avoir chassé de Merrâkech le prince Mau-
lay Zîdân, fils du prince Maulay Ahmed, l’agitateur Abou-
Mahalli, Seyyid Ahmed-ben-Abdallah-Es-Saouri, annonça
son avènement aux habitants de Tombouctou, le pacha ‘Ali-
ben-Abd-allah demanda aux troupes cantonnées dans la

 

336 HISTOIRE DU SOUDAN

ville de Tombouctou de prêter serment d’obéissance à Abou-
Mahalli et de le reconnaître comme sonverain.

Tont d’abord les soldats marocains acquiescèrent au désir
de leur chef et l’assurèrent de leur concours ; mais à peine
s’étaient-ils séparés du pacha que, reprenant leurs esprits,
ils regrettèrent l’adhésion et le concours qu’ils venaient de
promettre et refusèrent d’une façon absolue de faire ce qui
leur avait été demandé.

Néanmoins le pacha, malgré la résistance qu’il rencontrait
à son dessein, rejeta l’autorité du prince Maulay Zîdân et
prêta serment d’obéissance à l’agitateur Es-Saouri. Ses sol-
dats imitèrent ensuite son exemple qui fut suivi également
par les habitants de Dienné.

Six mois s’étaient écoulés depuis cet événement lorsque
l’on reçut la nouvelle de la résistance opposée par Seyyid
Yahya-Es-Soussi’,du succès qu’il avait remporté sur Es-Saouri
qu’il avait tué et de l’appel qu’il avait adressé à Maulay
Zîdân pour que celui-ci rentrât dans son palais y reprendre
le souverain pouvoir.

A la nouvelle du rétablissement de Maulay Zîdân, les habi-
tants de Dienné reprochèrent vivement aux gens de Tom-
bouctou de leur avoir fait enfreindre inutilement le serment
d’obéissance qu’ils avaient prêté autrefois au souverain
marocain et ils leur témoignèrent une vive hostilité. Ils
eurent avec eux, dans cette circonstance, les gens de Kâgho
qui, eux, n’avaient cessé d’être fidèles à Maulay Zîdân et ne
lui avaient fait défection en aucune manière.

Effrayés de tout cela, les habitants de Tombouctou revin-
rent au serment de fidélité qu’ils avaient méconnu et le re-
nouvelèrent. Il y avait dans tout ceci une faute grave com-
mise par le pacha ‘Ali, aussi le prince Maulay Zîdân se décida-
t-il en fin décompte (Yr>) à prendre des mesures rigoureuses

1 . Sur ce personnage cf. le Nozhet-El-H’adi, p. 339 et suiv. de la traduction.

 

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIÉME 337

contre lui; d’ailleurs, sous le gouvernement de ce pacha,
tous les fonctionnaires de chaque pays et de chaque région
du Soudan s’étaient montrés tyranniques, oppresseurs et per-
turbateurs de l’ordre public.

Sous le gouvernement de ‘Ali il arriva à Tombouctou un
corbeau blanc; on l’aperçut pour la première fois le 22 du
mois de rebi’ V de l’année 1024 (21 avril 16i5) et chacun
put le voir de ses yeux jusqu’au mercredi, 28 du mois de
djomada l*”” (26 juin 1615). Ce jour-là les enfants s’en empa-
rèrent et le tuèrent.

Dans l’année 1025 (20 jaQvier 1616-9 janvier 1617) la
crue du Fleuve fut beaucoup plus forte que d’ordinaire.
Jamais personne n’avait vu une inondation aussi considéra-
ble et tous les vieillards âgés de cette époque reconnurent
que jamais ils n’avaient vu une crue aussi considérable et
qu’aucune des personnes qu’ils avaient connues n’avait été
témoin d’une chose pareille. Tous les champs de culture
furent submergés et les récoltes endommagées. Dans la ré-
gion à l’ouest, dans la direction de Dienné, nombre d’hom-
mes et d’animaux périrent emportés par les eaux. Cette
même année la crue du Fleuve atteignit Ma’doko le dimanche,
10 du mois de dzou’l-qa’da (19 novembre 1616); ce jour-là
était le 1 1 du mois de novembre.

Au mois sacré de moharrem, le premier des mois de l’an-
née 1026 (9 janvier-8 février 1617), un violent conflit éclata
entre le pacha et le caïd Haddou-ben-Yousef-El-Adjenâsi.
Le pacha quitta la casbah et alla s’établir en dehors de
cette citadelle, emmenant avec lui des hommes choisis parmi
les soldats du bataillon de Merrâkech au nombre de quatre-
vingt-trois \ Toute cette troupe lui était très dévouée
et bien décidée aie soutenir et à veiller sur lui nuit et jour.

1. Le texte dit : environ 83 ; du moment qu’on donne un chiffre fixe, il semble
que ce mot « environ » ne soit pas nécessaire.

[Histoire du Soudan.) 22

 

333 HISTOIRE DU SOUDAN

A dater de ce moment l’autorité du pacha alla en déclinant
et en s’amoindrissant, si bien qu’il fut déposé le lundi, 5 du
mois de rebi’ I” de cette année (13 mars 1617). Il avait
exercé son autorité durant cinq ans moins deux mois.

Le jour même où le pacha ‘Ali avait été déposé, toutes les
troupes furent unanimes à proclamer à sa place le pacha
Ahmed-ben-Yousef-El-‘Euldji. Puis, après avoir jeté en pri-
son l’ancien pacha et l’avoir chargé de chaînes, elles écrivirent
au prince Maulay Zîdân pour lui exposer les méfaits dont il
s’est rendu coupable, l’ignominie de sa conduite et les mal-
versations qu’il avait commises, en dépit de l’amîn, aux dé-
pens du trésor pubHc. L’année suivante, ainsi qu’on le verra
plus loin, s’il plait à Dieu, le sultan fit régler cette aff’aire.

A tout instant la situation devenait de plus en plus critique
et chaque jour amenait des événements plus graves que les
précédents. Cette année-là la pluie fit défaut. Les gens se
mirent à faire des prières rituelles* pour obtenir la chute des
eaux du ciel (y v y) et ne cessèrent de les continuer pendant
environ quatorze jours sans que la sérénité du ciel fût un seul
moment troublée. A la fin cependant il tomba quelques
gouttes de pluie.

La cherté des vivres fut excessive à Tombouctou; un
grand nombre de personnes succombèrent à la famine et la
disette fut telle qu’on mangea des cadavres de bêtes de
somme et d’êtres humains. Le change tomba à 500 cauries.
Puis la peste vint à son tour décimer la population et fit périr
bien des gens que la famine avait épargnés. Cette cherté des
vivres, qui dura deux ans, ruina les habitants qui en furent
réduits à vendre leur mobifier et leurs ustensiles. Tous les
vieillards furent unanimes à dire qu’ils n’avaient jamais vu
une telle calamité et qu’aucun des vieillards qui les avaient
précédés ne leur avait rien raconté de semblable.

1. C’est la prière dite »UJuïl pour demander de la pluie.

 

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIÈME 339

Le jeudi, dernier jour* du mois de dzoul-hiddja de celte
année (28 décembre 1617), la crue du Fleuve atteignit
Ma’doko; ce jour-là était un 18 décembre.

Le dimanche, 22 du mois de safar de l’année 1027 (18 fé-
vrier 1618), après la prière de l’après-midi, les habitants de
Tombouctou entendirent, dans la direction de l’orient, unbruit
dans les airs pareil à celui du grondement lointain du ton-
nerre. Le bruit fut si violent que certaines personnes crurent
à un tremblement de terre. Une grande terreur et une forte
panique se répandirent aussitôt sur le marché; tout le monde
s’enfuit et se dispersa de tous côtés.

Un de mes collègues, en qui j’ai toute confiance, m’a ra-
conté qu’il était assis sous un arbre, à une distance d’un
jour de marche de la ville, lorsqu’il fut surpris par ce bruit.
Il sentit alors le sol s’agiter et vit les arbres se pencher et
les reptiles sortir de leurs repaires; puis, l’agitation cessant,
les arbres reprirent leur position normale et les reptiles re-
gagnèreiil leurs gîtes.

Le mardi, dernier jour du mois de rebi’ I*’ de cette année,
(27 mars 1018), arrivèrent le jeune^ pacha ‘Ammâr et le cadi
Mâmi-Et-Torki ; Maulay Zîdân les avait envoyés à la tête
d’une armée. d’environ quatre cents (vrt) soldats en même
temps qu’il expédiait l’amin Mohammed-ben-Abou-Bekr.
Tout ce monde campa à Abrâz’^ dans la matinée de ce jour;
dans la soirée les nouveaux arrivés reçurent la visite du pacha
Ahmed-ben-Yousof qui vintles saluer; puis les jurisconsultes
et les notables de Tombouctou vinrent à leur tour présenter
leurs hommages au moment même où apparaissait le crois-

 

1. Le ms C écrit le 7, au lieu du dernier jour.

2. Le mot « El-Fela » traduit par « le jeune » est peut-être un surnom et
alors il faudrait simplement le transcrire.

3. Ou Abrâza.

 

1

 

340 HISTOIRE DU SOUDAN

sant de la lune annonçant le commencement du mois de
rebi’ II, un mercredi *.

Dès le lendemain, le pacha ‘Ammâr entra dans la ville,
mais le caïd Mâmi et les troupes ne firent leur entrée que
dans la matinée du samedi. On lut alors la lettre du sultan
et l’on exécuta ses ordres relativement au pacha ‘Ali-ben-
Abdallah. Le caïd Màmi réclama à ‘Ali l’argent que celui-ci
avait détourné du trésor; il soumit ensuite le pacha à une
torture si violente que celui-ci en mourut incontinent.

Quant au caïd Haddou, trois jours après l’arrivée du
pacha et de ses compagnons, il partit à la tête des troupes
pour se rendre à Asafaï. Ace moment, les soldats, qui étaient
venus avec le caïd Mâmi, dont il vient d’être parlé, avaient
été dispersés sur les bords du Fleuve, chaque groupe d’entre
eux ayant été rejoindre le bataillon de renégats ou d’Anda-
lous auquel il était incorporé, et Ton expédia Mâmi dans la
ville de Kagho où il demeura jusqu’à sa mort.

Le motif qui avait fait partir le caïd Haddou à la tête des
troupes était la nouvelle que l’on venait de recevoir que le
Dendi-Fâri, sur l’ordre de l’askia El-Amîn, s’était mis en
campagne se dirigeant du côté de Kobi. Mais le Honbori-
Koï lui envoya un messager pour lui enjoindre de ramener
les troupes de l’askia parce que celui-ci était atteint d’une
maladie dangereuse. Le Dendi-Fâri revint donc sur ses pas,
tandis que le caïd Haddou continuait à se maintenir là où il
était pour veiller à la garde du pays jusqu’au moment de la
crue du Fleuve.

Au mois de djomada U (26 mai-â4 juin 1618), le pacha
Ammâr retourna à Merrâkech avec l’amîn, le caïd Amir-

1. Comme les Arabes n’ont point de calendriers et qu’ils ne connaissent le
commencement du mois que par l’apparition du croissant de la lune que l’état
de l’atmosphère ne permet pas toujours d’apercevoir ce jour-là, ils indiquent
toujours le jour de la semaine qui commence le mois de façon à permettre de
rectifier l’erreur d’un jour qu’ils auraient pu commettre.

 

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIÈME 34i

ben-El-Hasen ; il en revint puissant et honoré sans avoir
éprouvé aucune des épreuves ou des disgrâces qui arrivèrent
à ses successeurs dans le gouvernement du Soudan. Ce fut le
caïd Mohammed-ben-Abou-Bekr qui exerça alors les fonc-
tions d’amîn à Tombouctou.

Au mois de redjeb (24 juin-24 juillet 1618), les troupes
déposèrent le pacha Ahmed-ben-Yousef : il n’était resté en
fonctions qu’une année et quatre mois. Ce même mois Had-
dou-ben-Yousef-El-Adjenâsi fut élevé aux fonctions de pacha
sur l’avis unanime des troupes.

Ce fut également durant ce mois que mourut, à Dendi,
Faskia El-Amin qui fut remplacé dans ses fonctions par
l’askia Daoud, fils de l’askia Mohammed-Bano, fils du prince
Askia-Daoud. A la suite de cet événement et au cours du
même mois le pacha Haddou ramena à Tombouctou, de
l’endroit où il se trouvait, les troupes qu’il commandait. Ce
pacha fut un chef béni et fortuné ; son gouvernement fut
comme une étoile (tvi) brillante. Il exempta la population
de la dîme du Kanaï* pendant cette année-là, à cause des
dommages qui résultaient encore de la cherté des vivres.
Cette mesure causa un immense soulagement à tous les mu-
sulmans.

Durant la première décade du mois de chaoual de cette
année (21-30 septembre 1618), on vit apparaître une co-
mète. Tout d’abord elle se leva sur l’horizon au moment de
l’aurore, puis, s élevant peu à peu, elle atteignit le miHeu
du ciel entre le coucher du soleil et la nuit. Enfin elle dis-
parut.

Le lundi soir, 20 du mois sacré de moharrem de l’année

 

1. Ce mot w Kanaï » est précédé de l’article arabe, ce qui semble indiquer un
nom commun ; cependant rien ne s’oppose grammaticalement à ce que ce soit
un nom propre, J’ai adopté la première interprétation sans savoir cependant en
quoi consistait cette dîme.

 

342 HISTOIRE DU SOUDAN

1028 (7 janvier 1619), la crue du Fleuve atteignit Ma ‘doko;
c’était le 29 décembre. A la fin du même mois (17 janvier),
mourut le pacha Haddou; il fut enterré dans la mosquée de
Mohammed-Naddi. Il avait été gouverneur du Soudan pen-
dant sept mois.

L’armée se mit d’accord pour élever à ce moment aux
fonctions de pacha Mohammed-ben-x4.hmed-EI-Mâssi. Aussi-
tôt arrivé au pouvoir, le nouveau pacha révoqua Taskia
Bokar-Konbou-ben-Ya’qoub, fds de l’émir Askia-El-Hàdj-
Mohammed qui était resté en fonctions douze ans et le rem-
plaça par Faskia El-Hâdj-ben-Abou-Bekr-Koycha a*-ben-El”
Fekki-Denka-ben-‘Omar-Komzâgho. Il fit ensuite arrêter l’ex-
pacha Ahmed-ben-Yousef et le mit en prison où il demeura
jusqu’à sa mort. Puis il nomma Yousef-ben-‘Omar-El-Qasri
au poste de caïd de Dienné après l’avoir précédemment ar-
rêté et mis en prison à fombouctou.

Le nouveau pacha donna à Mobârek, le fils de sa sœur,
le poste de caïd du bataillon de Merrâkech; mais, à peine
entré en fonctions, celui-ci voulut faire périr son oncle ma-
ternel. Avisé de ce dessein, le pacha prit les devants et fit
boire à son neveu un poison violent qui le tua sur-le-champ.

Il éleva au poste de caïd du bataillon de Fez Hammou-
ben-‘AH-Ed-Der’i qui n’était alors que bâchoud. Dieu se
servit de ce personnage pour avihr et perdre le pacha. En
effet, Hamraou-ben-‘Ali arrêta et jeta en prison le pacha
ainsi que son vizir le Heutonant-général Mohammed-Kan^-
bakoli-El-Mâssi; ceux-ci, après être restés en prison, péri-
rent ensuite de la plus affreuse des morts.

Le pacha Mohammed-ben-Ahmed avait gouverné le Sou-
dan pendant trois ans moins un mois, et il était resté en

 

i. Le ms. C donne Torlhographc « Kaychi’a ».
2. Ou : « Kanbakolo w.

 

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIEME 343

prison durant trois mois ; son gouvernement eut exactement
la même durée que celui de Ta^kia El-Hâdj.

Le caïd Hammou-ben-‘Ali-Ed-Der’i prit possession des
fonctions de pacha le jour même de l’arrestation de sou pré_
décesseur, c’est-à-dire fvvo) le mercredi, 19 du mois sacré
de dzoul’-hiddja, le dernier des mois de l’année 1030(4 no-
vembre 1621); il ne prit pas possession àxitibchdl^ et n’ha-
bita pas le palais ordinaire des pachas ; il se fit construire
une autre habitation dans la casbah et y demeura.

Dans la dernière décade du mois de safar de l’année 1031
(5-14 janvier 1622), le pacha manda au caïd Yousef-ben-
‘Omar-El-Qasri, qui était dans la ville de Dienné, de venir
le trouver à Tombouctou. Il voulait tirer vengeance de ce
caïd à cause d’une certaine affaire qui s’était passée entre
eux auparavant. Le caïd quitta Dienné dans la matinée du
lundi, 5 du mois de rebi’ P’ (19 janvier 1622), pour se rendre
à la convocation qui lui était adressée, et le jeudi, 10 (23 jan-
vier), il arrivait à Tombouctou. Le pacha refusa de le rece-
voir tant qu’il n’aurait pas dit à son envoyé quelle somme il
donnerait pour obtenir un accueil favorable, mais Yousef
refusa de se prononcer là-dessus.

Or, durant la nuit du jeudi 15 de ce mois (27 janvier),
par l’arrêt de Celui à qui appartiennent la prédestination, la
volonté, la force et la puissance, le caïd Hammou était assas-
siné dans la mosquée pendant qu’il faisait la prière du
deuxième ‘acha. Il était placé derrière l’imam pendant la
deuxième reka’a quand, au moment où il se prosternait, il fut
atteint d’une balle tirée par un homme de Massa de la suite
du pacha Mohammed-El-Mâssi. Les compagnons du pacha,
qui formaient un groupe nombreux, s’étaient concertés pour

1. Ce mot paraît signifier « l’exercice de la fonction du pacha » ou l’endroit
qu’occupait le pacha dans les cérémonies officielles, le trône en quelque sorte.
En d’autres termes il prit seulement le titre de caïd.

 

344 HISTOIRE DU SOUDAN

tuer Hammou cette nuit-là à la suite d’un message qu’ils
avaient échangé avec leur maître. Le meurtrier réussit à
s’enfuir et à échapper au châtiment, mais on arrêta un.de
ceux qui assistaient à cet événement et on le tua près de la
porte delà mosquée, en dehors de cet édifice ^

Ce fut alors que les chefs de l’armée résolurent de tuer le
pacha Mohammed- El-Massi ainsi que son lieutenant-général
Mohammed-Kanbakoli. On les tua aussitôt et leurs têtes
furent supendues le lendemain sur le marché. On convint
également de prendre le caïdYousef pour remplacer le pacha,
ce qui fut fait sur-le-champ. Louanges soient rendues à Dieu,
le fort, le puissant qui venge ses adorateurs quand il le veut
et comme il lui plaît. Dans cette même nuit ces trois person-
nages allèrent se réunir dans l’autre monde.

Quand le caïd Hammou-ben-‘Ali avait pris les fonctions
de pacha, il avait révoqué l’askia El-Hâdj et nommé à sa
place l’askia Mohammed-Benkan, fils du Balama’-Mohammed
Es-Sâdeq, fils du prince Askia-Daoud, après lui avoir expé-
dié quelqu’un à Tendirma (v w) pour l’inviter à venir auprès
de lui. Il était arrivé aussitôt après avoir été investi de l’au-
torité. Le caïd Hammou demeura au pouvoir trois mois.

Le vendredi, 16 du mois de rebi’ l” de l’année 1031
(29 janvier 1622), toute l’armée décida d’élever au pouvoir
suprême le caïd Yousef-ben-‘Omar-El-Qasri. Le nouveau
pacha imita la conduite du caïd Hammou en ce qui concernait
la dénomination de caïd^et l’habitation dans la demeure que
ce dernier avait construite. Il fut un chef béni et sous son
gouvernement ce fut une ère de prospérité brillante, d’évé-
nements heureux, de fortune générale, d’abondance et de
richesse.

1. C’est un sacrilège que de répandre le sang dans l’intérieur d’une mosquée.

2. Ce passage semble indiquer que le caïd Hammou s’était contenté du titre de
caïd et qu’il n’avait pas adopté celui de pacha. Mais cela n’est pas clairement
énoncé.

 

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIÈME 345

A peine investi de ses fonctions, Yousef envoya comme
caïd à Dienné Mellouk-ben-Zergoun. Puis, un an après, il le
révoqua et le remplaça par le caïd Ibrahim-ben-Abdelkerim-
El-Djerâri qui resta à Dienné deux années entières. Grâce
à ce dernier, les impôts prospérèrent et produisirent de
très grands revenus, car il perçut tout ce qui était dû de
redevances et de contributions dans les meilleures condi-
tions possibles. Il eut pour successeur dans ses fonctions à
Dienné en qualité de hâkem ‘Ali-ben-‘Obéïd.

Le samedi, 23 du mois de ramadan de l’année 1032
(21 juillet ] 623), arriva à Tombouctou le caïd Abdallah-beu-
Abderrahman-El-Hindi ; il était à ce moment €aïd de Benba*.
Il entra dans la ville au moment du lever de l’aurore, entouré
de ses compagnons; il voulait essayer de se faire nommer
pacha, et c’était le cheikh ‘AIi-Ed-Deraouï,ramîn du sultan,
chargé de percevoir les taxes de Tegjiâzza, qui l’avait engagé
à venir dans ce but. Mais, ni le caïd Mohammed-ben-Abou-
Bekr-El-Amîu, ni les chefs de l’armée ne lui furent favo-
rables et on le contraignit même de quitter la ville sur-le-
champ.

11 quitta donc la ville de Tombouctou, accompagné du
cheikh ‘Ali-Ed-Deraouï qui emmenait avec lui tout son ba-
taillon de renégats et un certain nombre d’hommes apparte-
nant à d’autres bataillons. Ils allèrent camper au port de
Kabara, et, de là, ils envoyèrent dire à ceux de leurs parti-
sans qui se trouvaient dans la ville de Dienné de venir les
rejoindre. Ceux-ci étant arrivés, on prit la résolution de li-
vrer combat.

Aussitôt le gouverneur, le caïd Yousef leur dépêcha des
jurisconsultes et des chérifs pour essayer d’arranger les
choses pacifiquement ; mais il essaya un refus. Alors le caïd
Yousef et l’amin, le caïd Mohammed-ben-Abou-Bekr, en-

1. Le ms. G donne l’orthographe Yenba ici, plus loin on trouve Benba.

 

346 HISTOIRE DU SOUDAN

voyèrent toutes les troupes dant ils disposaient et une
bataille s’engagea le mercredi, 25 du mois de chaoual de
cette année (22 août 1623). Dans ce combat périrent des
deux côtés tous ceux dont Dieu avait fixé à ce moment
l’heure (vw) de la mort*.

N’ayant point réussi à atteindre son but, le caïd Abdallah
retourna à Benba, suivi du cheikh ‘Ali-Ed-Derâouï. Peu
après cela, le caïd Mohamm.ed-El-Kelououï-El-Mâssi, alors
caïd des troupes de Kàgho, alla trouver le saint de Dieu, le
cheikh El-Monir^ et le pria de se rendre avec lui à Tom-
boucton auprès du caïd Yousef, afin de réconcilier ce der-
nier avec le caïd Abdallah.

Les deux personnages se mirent en route et réussirent à
obtenir cette réconciliation. Le caïd Abdallah vint en per-
sonne faire sa paix avec le pacha et retourna ensuite dans
sa ville de Benba. En y arrivant il apprit que le cheikh ‘Ali
était mort durant son absence. On assure que ce cheikh
s’était empoisonné. Dieu nous garde de pareille chose!

Le caïd Abdallah continua d’habiter Benba jusqu’après le départ du pacha ‘Ali-ben-Abdelkader pour le Touât. A ce moment le représentant du pacha, son frère, le caïdMoham- med-El-Arbi, envoya chercher le caïd Abdallah et, quand l’on eut par surprise amené à Tombouctou, il lui fit trancher la tête, la nuit de la nativité du Prophète. Le corps ^ du caïd fut exposé sur le marché. Selon une autre version, ce serait le pacha Ali qui aurait lui-même donné l’ordre de tuer le caïd.

Le 20 du mois de cha’ban de l’année 1036 (6 mai 1627),
le caïd Yousef fut déposé de ses fonctions de pacha. Il les

 

1. C’est une faron de s’exprimer quand on ne veut pas se prononcer sur le
nombre des combattants qui ont été tués dans une bataille.

2. Ce mot « Monir » qui signifie t brillant » pourrait bien être un surnom.

3. Ou la tête, le texte ne se prononçant pas à cet égard.

 

CHAPITRE TllENTE-ET-UNIEME 347

avait exercées durant cinq ans et cinq mois. Il eut pour suc-
cesseur le caïd Ibrahim-ben-Abdelkerim-El-Djcrâri qui fut
choisi par toute l’armée. Il s’installa dans le palais destiné
au caïd^ Au cours même du mois pendant lequel il avait
été nommé, il révoqua le hâkem ‘Ali-ben-‘Obeïd de ses
fonctions de chef de Dienné et les confia à Seyyid Mansour,
fils du pacha Mahmoud-Lonko.

Au mois de djomada P”” de l’année 1037 (8 janvier-7 fé-
vrier 1628), arriva un messager envoyé par le sultan Mau-
lay Abdelmalek-ben-Maulay-Zidân, annonçant son élévation
au trône et la mort de son père. Une copie de la lettre-pa-
tente qu’il avait adressée fut apportée par son messager
dans la ville de Dienné où elle arriva le jeudi, 4 du mois
de djomada II (10 février).

Le jeudi, H du même mois (17 février), le pacha Ibra-
him-El-Djerâri se rendit à Tombouctou et s’installa dans
le palais du gouvernement^. Il montra une grande mollesse
et une excessive faiblesse dans son administration. Le plus
infime des soldats put molester à sa guise et comme il l’en-
tendait les habitants, soit dans la ville, soit au dehors, sans
que personne s’y opposât ou lui adressât le moindre re-
proche. On commit des excès de toute sorte et tout le pays
fut profondément bouleversé et opprimé.

Le lundi soir, 12 du mois de cha’ban de cette annéa
(17 avril 1628), mourut à Dienné le hâkem Seyyid Man-
sour-ben-Mahmoud (vr a) et, à la fin du même mois, le pacha
Ibrahira-El-Djerâri fut déposé de ses fonctions qu’il avait

 

1. On a vu plus haut que le caïd Hammou n’avait pas pris le titre ‘de caïd et
qu’il s’était fait construire une habitation afin de ne pas habiter dans la de-
meure habituelle des pachas. C’est de cette habitation qu’il s’agit ici.

2. L’expression employée ici dans le texte indique que Ibrahim se considéra
dorénavant comme un .véritable pacha et qu’il prit possession de la résidence
de ce haut fonctionnaire.

 

348 HISTOIRE DU SOUDAN

exercées une année, exactement le même temps qu’avaient
duré les fonctions du hâkem précité.

La déposition du pacha avait été ourdie à Kâgho au
moment où vint dans cette ville le lieutenant-général Ali-
beu-Abdelkader pour réconcilier les habitants avec El-Dje-
ràri. La cause de cette résolution était que le pacha avait donné
tout l’argent qu’il avait recueiUi à Dienné aux troupes qui
étaient à Tombouctou, sans en attribuer la moindre part
aux gens de Kâgho : de là la colère de ces derniers. Aussi
quand ‘Ali-ben-Abdelkader vint les trouver pour les récon-
ciher avec le pacha, promirent-ils à ‘Ali de le porter au pou-
voir suprême*.

De retour à Tombouctou, ‘Ali-ben-Abdelkader chercha à
gagner la faveur des habitants et y réussit, car ceux-ci le
nommèrent pacha le 4 du mois de ramadan de l’année pré-
citée (8 mai 1628). Il fut comme le glaive de Dieu dégainé
contre les perturbateurs et les méchants qui en avaient pris
à leur aise sous le gouvernement de son prédécesseur Ibra-
him Ed-Djerâri. Il les affaiblit, les dompta et en fit
périr un certain nombre. Aussi, traqués de toutes parts,
sous l’empire de la crainte et de la terreur, tous les autres
se réfugièrent dans les mosquées ou dans les maisons des
gens pieux pour s’y mettre à l’abri*.

Le pacha ‘Ali resta en fonctions quatre ans et cinq mois.
Ce fut sous son gouvernement que mourut à Merrâkech le
pacha ‘Ammâr-ben-Abdelmâlek (Dieu lui fasse miséri-
corde!). A ce moment, au mois de ramadan (mai 1628), il
avait nommé “Ali-ben-‘Obéïd hâkem de Dienné, mais il ne le
laissa dans ces fonctions que sept mois, car au mois de rebi’
P de l’année 1038 (29 octobre-28 novembre 1628), il le

1. A la dignité de pacha.

2. Outre les mosquées qui sont des asiles inviolables, les maisons des saints
personnages jouissent souvent du même privilège.

 

CHAPITRE TRENTE-ET-UNIÈME 349

révoqua à la suite d’une querelle qui avait surgi entre eux.
Il voulut lui donner pour successeur comme hâkem de
Dienné le caïd révoqué Yousef-ben-‘Omar; mais celui-ci
refusa en désignant pour remplir cet emploi Mellouk-ben-
Zergoun qui fut alors nommé caïd de Dienné,

‘Ali désigna ensuite l’ex-pacha Ibrahim-El-Djerâri, pour
aller comme son agent dans la tribu de Sofnetir. Celui-ci
se rendit dans la tribu, fit percevoir le zenkal* pour dé-
considérer le Fondoko et lui faire perdre son prestige, puis
il revint. A son retour, Mellouk-ben-Zergoun ayant été
révoqué, il le remplaça dans dans ses fonctions de caïd de
Dienné, mais il ne tarda pas ensuite à mourir d’un accès
de colère.

On raconte que Ibrahim-El-Djerâri, sur la tombe du
saint de Dieu, le jurisconsulte Mahmoud-Foudiyâ-Sânou. avait
souhaité de mourir et c’est ce vœu qui fut exaucé (Dieu fasse
miséricorde à Mahmoud et nous soit utile grâce à lui!).
Voici la cause de cet événement. Le pacha avait envoyé à
Ibrahim un sabre orné d’or en lui disant : « Nul ne mérite
d’avoir ce sabre si ce n’est toi qui aimes tant les biens de ce
mondée » A ces mots Ibrahim fondit en larmes et souhaita
de mourir : « Ces paroles, dit-il, sont une injure et une
amère dérision. »

Mellouk-ben-Zergoun fut donc replacé dans ses fonctions
de hâkem de Dienné et les conserva jusqu’au jour où il fut
révoqué (tY^) et tué.

Le samedi, 7 du mois de djomada I” de l’année 1038

1. L’auteur ne fournil aucun renseignement sur le zenkal qui paraît être un
droit qu’avait le Fondoko de prélever certaines choses sur ses sujets, droit qui
était considéré comme régalien.

2. La doctrine malékite interdit aux hommes le port des bijoux ou des objets
garnis d’une monture en métal précieux. Ces ornements n’étant permis qu’aux
femmes, le pacha en attribuant ce sabre orné d’or à Ibrahim le traitait comme
une femme et lu! faisait ainsi une cruelle injure suivant les idées des musul-
mans.

 

350 HISTOIRE DU SOUDAN

(2 janvier 1629), l’anaîu, le caïd Mohammed-ben-Abou-
Bekr fut mis à mort sur la place du marché et son corps
suspendu en cet endroit sur l’ordre du sultan Maulay Abdel-
mâlek. Il était resté auparavant deux jours en prison et avait
été tué le troisième jour. Il fut remplacé dans ses fonctions
par l’amin, le caïd Yousef-ben-‘Omar-El-Qasri que le sul-
tan lui-même avait désigné.

Dans sa lettre le sultan avait écrit qu’il fallait faire périr
du plus cruel supplice l’amîn Mohammed à cause de la per-
fidie et de la traîtrise qu’il avait témoignées à son égard.
Il avait, en effet, voulu faire tuer le caïd Yousef à la suite
du règlement des comptes de la gestion de ce dernier du-
rant l’exercice de ses fonctions ; il lui avait fait subir les
plus cruelles tortures dans sa prison et était décidé à le tuer,
lorsque les hommes du bataillon des gens de Merrâkech
s’étaient interposés entre eux deux et avaient écrit au sul-
tan pour le mettre au courant de ce qui se passait.

C’était dans la réponse à cette lettre que le sultan avait
ordonné d’infliger le dernier supphce à l’amîn Moham-
med et de nommer à sa place le caïd Yousef. Le caïd You-
sef assista à cheval à l’exécution qui eut lieu sur la place du
marché. Le patient, qui était garrotté, montrant un grand
effroi et une vive terreur, le caïd Yousef lui dit : « Seyyid
Mohammed, ne songe en cet instant qu’à Dieu, car il ne te
reste phis qu’à être résigné à ton sort. » Au moment où sa
tête fut tranchée, Mohammed cria : « ma mère ! » ; puis
il mourut et son corps fut suspendu. On le détacha ensuite
et on lui fit des funérailles. Après l’office funèbre son corps
fut enterré dans le cimetière de la grande-mosquée.

Dans la dernière décade du mois de cha’bân de cette
année (13-24 avril 1629), le pacha entreprit une expédition
contre le Mâsina. Voici à quelle occasion. Peu de temps
après que le pacha fut entré en fonctions, le Fondoko Selâ-

 

CHAPITRK TRENTE-ET-UNIÈME 351

moko * était mort et avait été remplacé par son neveu Ham-
medi-Amîua, au mois de ramadan. Le pacha avait aussi-
tôt écrit à ce dernier de venir à Tombouctou pour y rece-
voir l’investiture de ses fonctions, mais Hammedi s’y était
refusé formellement. Ce fut alors que le pacha entreprit
son expédition et qu’il fit ime irruption soudaine dans le
Mâsina.

Le Fondoko Hammedi-Amina s’enfuit aussitôt avec
tous ses gens et le pacha ne put se mettre à sa poursuite
parce que, d’une part, on était en plein été et que, d’autre
part, il n’avait pas avec lui des forces suffisantes. Dans ses
conditions il se remit en route vers la ville de Dienné où il
arriva dans la matinée du samedi, 25 (vr ♦) du mois ci-dessus
indiqué (19 avril 1629) ; il s’y trouva au moment de l’appa-
rition de la lune du mois de ramadan qui commença cette
année-là un mercredi l Dans la matinée du jeudi, 1 ^^ du mois
de ramadan (24 avril), le pacha retourna dans le Màsina,
mais il en revint encore sans avoir pu atteindre l’ennemi.
Alors il retourna â Tombouctou sans tenter une nouvelle
attaque. Peu après la paix fut conclue entre le pacha et le
Fondoko.

Le lundi, dernier jour du mois sacré de moharrem, le pre-
mier des mois de l’année 1039 (19 septembre 1629), ‘Omar-
ben-Ibrahim-El-‘Arousi vint attaquer Tombouctou. Le pacha
‘Ali-ben-Abdelkader se porta à la rencontre de l’ennemi et
la bataille s’engagea à El-Ahrâts, un peu en arrière de El-
Fendariya. ‘Omar ayant été tué ainsi que son esclave Bilâl,
ses partisans se débandèrent, tournèrent le dos et s’enfui-
rent. Le corps de ‘Omar fut apporté sur un chameau et sus-

 

1. Ou : « Selamo’o »,

2. Il convient de rappeler que la nuit précédant le jour dans le calcul du
temps chez les musulmans, le ramadan pour eux avait commencé le mercredi
au coucher du soleil, mais le 1″ jour du mois était bien un jeudi.

 

352 HISTOIRE DU SOUDAN

pendu le même jour sur le marché; sa main fut envoyée
dans la ville de Kâglio et la tête de sou esclave fut expédiée
à Dienné.

Peu après, le père de ‘Omar, Ibrahim-El-‘Arousi, arriva
avec ses autres enfants et ses partisans et vint camper sur
la colline qui se trouve derrière la ville du côté de l’occi-
dent. 11 y dressa ses tentes noires* et livra en cet endroit un
certain nombre de combats aux gens de Tombouctou. Mais
bientôt il dut s’éloigner pour retourner à Oualâta sans avoir
obtenu le succès qu’il espérait.

Le pacha écrivit ensuite au caïd Mellouk à Dienné d’ac-
corder à Hammedi-Amina, le souverain du Mâsina, le droit de
percevoir le zenkal par suite de la conclusion de la paix.

 

CHAPITRE XXXII

VOYAGE DE L’AUTEUR AU MASINA POUR LA CONCLUSION
D’UN TRAITÉ DE PAIX

 

Durant la deuxième décade du mois sacré de dzou’l-qa’da
de cette même année (2-11 juillet 1629), je fis un voyage
pour aller rendre visite à mon confrère et ami, l’éminent, le
jurisconsulte Senba, cadi de Mâsina. Depuis plusieurs an-
nées il m’avait demandé de l’aller voir, mais Dieu avait décidé
que je ne pourrais le faire avant ce moment. C’était la pre-
mière fois que je visitai ce pays.

Quand nous arrivâmes à l’habitation (yv>) du seyyid
Senba, il se trouva qu’il était absent et qu’il s’était rendu au

1. C’était des tentes de cuir dont se servaient les Touareg et les Maures. Ce-
pendant le mot tt noire » pourrait aussi être pris ici dans le sens de « nom-
breuses “.

 

CHAPITRE TRENTE-DEUXIÈME 353

campement du sultan Hammedi-Amina. Dès qu’un mes-
sager lui eut fait connaître mon arrivée, il le renvoya en me
faisant dire de choisir entre ces deux alternatives : ou d’aller
le rejoindre là où il était et de voir alors le sultan pour lui
présenter mes hommages, ou de rester dans son habitation
jusqu’au moment où il reviendrait lui-même. Dans ce second
cas nous serions retournés ensemble voir le sultan et le
saluer.

Pour ne pas lui imposer la fatigue d’un double voyage,
je me décidai pour la première alternative. Je me mis donc
en route, entouré de tous les égards et de toutes les plus
grandes attentions et le lendemain seulement je le rejoignis.
Dès que nous fumes à proximité du campement, le cadi
prévint le sultan de ma venue et celui-ci envoya quelqu’un
à ma rencontre.

Nous arrivâmes au campement et nous installâmes dans
notre habitation dans la matinée à l’instant même où la pluie
commença de tomber* ; mais nous ne nous vîmes l’un l’autre,
le cadi et moi, qu’après la prière du dohor. A ce moment je me
rendis à l’habitation du cadi qui me souhaita la bienvenue ;
il m’accueillit avec la plus grande joie et la plus vive allé-
gresse, en faisant les meilleurs vœux pour moi.

Le cadi me conduisit ensuite dans l’habitation du sultan
qui me souhaita, lui aussi, la bienvenue et quand j’entrai chez
lui l’agent du zenkal y arriva en même temps que moi. On
fit venir tous les notables personnages et, en leur présence,
lecture fut donnée de la lettre du caïd Mellouk, lettre par
laquelle il annonçait l’ordre qu’il avait reçu du pacha de lui
accorder le pardon pour ce qui s’était passé et de l’autoriser
à percevoir le zenkal.

Toute l’assistance fut très heureuse de cet événement et

 

1. c’est-à-dire (JUe c’était le commencement de la saison des pluies.
{Histoire du Soudan.) 23

 

354 HISTOIRE DU SOUDAN

le sultau dit, après que le Konboma’^ Daoud eut parlé
le premier, comme le voulait l’étiquette: « Maintenant je
suis assuré que mon pouvoir est affermi, du moment que le
pacha m’autorise à percevoir le zenkal. » Puis il donna
l’ordre aux chefs, à qui le soin de percevoir le zenkal était
départi, de déployer zèle et activité pour qu’il fût choisi
avec soin et de bonne qualité, et il ajouta par trois fois:
« Je redoutai beaucoup le pacha Ali. » Alors le Konboma
prit la parole et dit : « Maintenant nous te redouterons tous
du moment que toi-même tu redoutes le pacha. » Là-dessus
on récita la fatiha et l’on se sépara.

Nous passâmes la nuit en cet endroit. Le lendemain, quand
on eut terminé l’affaire pour laquelle on s’était réuni, le cadi
alla trouver les notables et leur annonça son intention de
retourner chez lui, puis il fit savoir au sultan qu’il voulait
m’emmener avec lui. Le sultan lui fit répondre qu’il désirait
faire plus ample connaissance avec moi, que le cadi pouvait
partir avec la bénédiction du Dieu très-haut et que je le re-
joindrais ensuite s’il le désirait. Le cadi n’accepta pas cette
proposition et voulut absolument me ramener avec lui (vt y).

Dans la soirée de ce jour, le sultan se rendit à la demeure
du cadi et j’assistai à leur entrevue. Le cadi lui dit alors:
« Dieu a voulu que cette visite de mon ami n’ait eu lieu que
sous ton règne et c’est une faveur qu’il t’a faite. 11 me tardait
tant de le voir; je le souhaitais déjà au temps où régnait ton
oncle paternel Ibrahim, mais c’est eu ce moment seulement
que Dieu a décidé de réaliser mon vœu. Il faut absolument,
si Dieu veut, que dès demain je rentre chez moi et je ne
veux pas laisser mon ami ici sans moi. Demande-lui de te
consacrer cette nuit et ainsi tu pourras faire plus ample
connaissance avec lui. »

l.Le Konbom’a était sans doute le fonctionnaire qui transmettait les paroles
du souverain, celui-ci ne devant pas, selon l’étiquette, s’entretenir directement
avec tout le monde.

 

CHAPITRE TRENTE-DEUXIEME 355

Le sultan accepta cette combinaison. Il me fit cadeau de
dix vaches, bien que ce ne soit pas l’usage chez eux de faire
des cadeaux, tant les biens de ce monde ont de prix à leurs
yeux. Puis nous partîmes avec le cadi pour regagner ses
pénates. Le cadi me combla d’attentions délicates et d’égards ;
il me donna une large hospitalité et me fit en tout le plus
cordial accueil durant les nombreux jours que je passai
chez lui.

Quand je fus décidé à rentrer chez moi à Dienné, le cadi
me fît don de vingt vaches et, en outre, de dix moutons des-
tinés à ma nourriture. Enfin le jour de mon départ il monta
à cheval et m’accompagna jusqu’à une assez grande distance
de chez lui; là, en me faisant ses adieux, il me dit: ce La
visite que tu viens de me faire m’a fait plus de plaisir que
n’importe quelle autre chose. Si Dieu nous accorde la faveur
d’être encore de ce monde l’un et l’autre, l’année prochaine,
reviens me voir. » J’y retournai en effet l’année suivante
et je ne cessai d’entretenir avec lui les meilleures relations
d’amitié et de courtoisie jusqu’au jour où vint son heure
dernière et où il alla en compagnie du Compagnon le plus
élevée Dieu lui fasse miséricorde, lui pardonne ses fautes et
lui soit indulgent. Puissions-nous un jour être réunis tous
deux à l’ombre du trône de Dieu dans les sphères les plus
élevées du paradis. C’est la grâce et la faveur que je demande
à Dieu.

 

1. « L’ange de la mort ». C’est une allusion aux dernières paroles que pro-
nonça le prophète Mahomet quand il se sentit mourir; il demanda que ce fût
l’ange le plus élevé de ceux qui venaient vers lui qui emportât son âme au
ciel.

 

356 HISTOIRE DU SOUDAN

 

CHAPITRE XXXIII

 

LE PACHA ALI-BEN-ABDELKADER. — SA LUTTE CONTRE KAGHO
ET SA MORT.

 

Au mois de moharrem, c’est-à-dire au commencement
de l’année 1039 {21 août 1629-10 août 1630), le pacha
commença la construction de la mosquée de El-Hena
((( de la prospérité ») ; il la termina au mois de safar (20 sep-
lembre-19 octobre). Ensuite il prépara une expédition
contre le Dendi et se mit lui-même en marche à la tête de
ses troupes (trt).

Arrivé à Koukiyâ, le pacha y campa avec son armée,
puis il envoya des messagers à l’askia Daoud, fds de Tas-
kia Mohammed-Bàno, fils du prince Askia-Daoud, pour lui
proposer de faire la paix et en même temps lui demander
la main de sa fille. Les messagers emportèrent avec eux
une grande quantité de cadeaux. L’askia accepta de faire
la paix et il donna au pacha la main de la fille d’un de ses
proches. Puis il expédia des messagers qui partirent en
même temps que ceux du pacha qui retournaient auprès de
leur maître et les chargea de remettre au pacha la lettre
par laquelle il lui annonçait qu’il acceptait la paix et le
mariage proposés. Depuis ce moment les meilleures rela-
tions de confiance, d’amitié et de cordialité s’établirent entre
l’askia et le pacha et subsistèrent tout le temps que celui-
ci demeura au pouvoir.

Le pacha rentra ensuite à Tombouctou. Il envoya aussi-
tôt une barque pour aller chercher sa fiancée qui se rendit
auprès de lui comme il l’avait désiré. Puis il décida d’en-

 

CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME 357

treprendre le pèlerinage à La Mecque, car c’était en vue de
remplir ce pieux devoir, disait-il, qu’il avait fait la paix. Il
désigna les soldats de l’armée de Tombouctou qui devaient
l’accompagner et fit demander aux gens de Kâgho de lui
expédier de chez eux un nombre déterminé de soldats,
c’est-à-dire cinquante hommes, qui, pour lui faire escorte,
devaient se joindre à ceux qu’il avait lui-même choisis à
Tombouctou. Mais les gens de Kâgho refusèrent absolu-
ment d’accéder à son désir et ce fut là l’origine de la colère
qu’il conçut contre eux.

Le cadi, Seyyid Ahmed, et tous les jurisconsultes de la
ville de Tombouctou décidèrent d’empêcher le pacha d’exé-
cuter son projet de voyage. Ils lui adressèrent des remon-
trances à ce sujet et, dans une réunion qui eut lieu alors
dans la mosquée de Sankoré et à laquelle assistait le pacha,
ils lui énumérèrent toutes les raisons qui auraient pu le
faire renoncer à son projet. Mais le pacha fit la sourde
oreille et résista.

Le 14 du mois de safar de l’année 1041 (11 septembre 1631), il fit ses adieux à la population et à l’armée et, après avoir désigné pour faire son intérim son frère, le caïd Mohammed-El-‘Arbi, il prit le chemin du Touât. Parmi ses compagnons de route figuraient : le seyyid béni, le pieux, l’ascète Seyyid Ahmed-ben-Abdelaziz-El-Djerâri et le jurisconsulte seyyid Mohammed, le fils du très docte jurisconsulte Ahmed-Baba. Au premier croissant du mois de rebi’ P’ (26 septembre) ils étaient à la ville de Araoûan.

Quand ils arrivèrent au Touât, El-Filâli-ben-Tsâ-Er-Rahmâni-El-Berbouchi, à la tête de ses partisans, fondit sur eux pendant la nuit dans le dessein de tuer le pacha ; mais celui-ci s’enfuit auprès des deux seyyid* et pénétrant dans

1. Ou les deux personnages pieux qui raccompagnaient : Ahmcd-ben-Abd-
Aziz-EI-Djerâri et Mohammed, fils de Ahmed-Baba.

 

358 HISTOIRE DU SOUDAN

leur tente, il leur demanda de le protéger. Les assaillants le laissèrent personnellement sous la protection des deux seyyid, après avoir (Y^f’t) tué un certain nombre de ses soldats. Puis ils empêchèrent ceux qui restaient de continuer le pèlerinage et les contraignirent de regagner Tombouctou.
Le pacha dut donner à ses agresseurs une somme d’argent considérable pour obtenir d’avoir la vie sauve, mais ils laissèrent les simples pèlerins continuer leur voyage avec les deux seyyid.

Quand il fut de retour à Tombouctou, au mois de
redjeb de la même année (23 janvier-22 février 1632), le
pacha expédia aussitôt son serviteur Mohammed-ben-Mou-
men-Es-Sebâ’i porter un message de sa part aux habitants
de Dienné. Il envoya ensuite son frère, le caïd Mohammed-
El-‘Arbi, auprès des habitants de Kâgho, afin qu’il fut le
caïd de cette ville. Son but était de pouvoir ainsi se venger
des gens de Kâgho contre lesquels il avait conçu une vive
colère parce qu’ils lui avaient refusé les cinquante soldats
qu’il leur avait demandés.

A peine arrivé à Kâgho, Mohammed commença à exercer
sa vengeance ; mais les habitants se soulevèrent, l’arrê-
tèrent, l’enchaînèrent, pillèrent ses biens et voulurent en-
suite le tuer. Il demanda protection aux grands cheikhs* qui
consentirent à lui faire grâce de la vie. Dès que le pacha
apprit les mauvais traitements que l’on avait fait subir à son
frère, il partit en personne pour aller combattre les gens de
Kâgho.

Toutefois il ne laissa rien paraître de son dessein aux
gens de son entourage et il quitta la ville au mois sacré de
dzou’l-qa’da de cette année (20 mai-19 juin 1632), comme
s’il eût voulu aller cultiver de ce côté-là. Poursuivant ensuite

1. Il s’agit de personnages religieux et non de personnages politiques, bien
que le texte ne soit pas très précis à cet égard.

 

CHAPITRE TRENTE-TROISIÈME 359

sa route, il fut rejoint par un certain nombre de soldats ;
mais quand les troupes stationnées à Dienné apprirent cela,
elles expédièrent successivement par terre deux envoyés
aux habitants de Kâgho, afin de les engager à faire cause
commune avec eux et à s’entendre pour se révolter contre
le pacha. Cette proposition fut acceptée et l’accord se fit
entre eux. •

Aussitôt que cette résolution fut prise, les habitants de
Kâgho se hâtèrent de livrer combat; en im clin d’oeil le
pacha et ses compagnons furent mis en déroute et réduits à
prendre la fuite. Les vainqueurs s’emparèrent de la barque
qui portait son trésor et de sa femme’ qui se trouvait abord.
Le pacha ressentit un vif chagrin de cette dernière circons-
tance. On s’empara également de l’askia Mohammed-
Benkan, mais on le traita avec beaucoup d’égards et de
respects. Les gens de Kâgho hii demandèrent de venir habi-
ter parmi eux, afin d’attirer sur leurs têtes les bénédictions
du Ciel.

L’askia intercéda en faveur du frère du pacha, le caïd
Mohammed-El-‘Arbi et obtint qu’on lui fît grâce et qu’on le
laissât sous sa protection. Puis il rétablit la paix entre le
pacha et les gens de Kâgho qui rendirent sa femme au
pacha. Mais, à peine de retour à Tombouctou, le pacha
équipa une armée pour aller de nouveau attaquer Kâgho et
en exterminer les habitants.il envoya remettre 700 mitsqal
d’or au caïd Mellouk en lui disant de les distribuer en ca-
deaux et en gratifications aux soldats qui étaient à Dienné,
désirant ainsi se concilier leurs bonnes grâces (vf «).

A la suite de ce premier message, le pacha en envoya
un second à Dienné à son serviteur Mohammed-ben-Mou-
men-Es-Sebâ’i. Dans la lettre qu’il adressait à celui-ci, le

1. Plutôt concubine que femme légitime, d’après le mot employé dans le
texte.

 

360 HISTOIRE DU SOUDAN

pacha lui enjoignait d’arrêter Salti-Ouri-Mohammed-Qali,
de piller tout ce que contenait sa maison, de vendre ses
femmes et ses enfants et ensuite de le lui envoyer à Tom-
bouctou chargé de chaînes. Le pacha voulait tuer Salti, parce
que celui-ci avait gardé par-devers lui de l’argent qu’il
devait lui remettre au moment où il se disposait à partir
pour le pèlerinage. Salti s’étant fait attendre trop longtemps,
le pacha avait du partir sans recevoir cet argent.

Or il arriva que le second messager devança le premier
et arriva à Dienné dans la matinée du lundi, deuxième jour
de la fête des Sacrifices*. Dès que le serviteur du pacha,
qui à ce moment se trouvait chez le caïd dans la salle du
conseil, eut lu la lettre, il fit mander Salti qui était dans la
maison duDjinni-Koïen train de se divertir, ainsi qu’il était
d’usage durant les jours de fête. Aussitôt que Salti se pré-
senta il fut arrêté, chargé de chaînes et emprisonné dans
la casbah.

On me convoqua alors avec un autre notaire^ pour faire
l’inventaire de tout ce que renfermait, à ce moment, la
maison de Salti. Comme cet inventaire avait été fait sans
comprendre les esclaves, nous reçûmes l’ordre de revenir le
lendemain, afin de procéder à cette nouvelle constatation.
Puis le lendemain, cette opération terminée, le serviteur du
pacha nous donna l’ordre de l’accompagner à la prison, afin
de recevoir du prisonnier la déclaration que c’était bien là
tout ce qu’il possédait. Le mardi, quand nous entrâmes dans
la prison, nous trouvâmes le malheureux Salti, dans un état
pitoyable. Je lui lus alors le registre d’inventaire, et comme

 

1. La fête qui a lieu le 10 du mois de dzou’i-hiddja et qui dure trois jours.

2. Le mol traduit par notaire signifie exactement « témoin ». Ces témoins
sont chargés de la rédaction de tous les contrats, mais ils ne peuvent opérer
valablement qu’avec l’assistance d’un autre témoin honorable qui, comme eux
d’ailleurs, a qualité pour rédiger les actes que nous appelons notariés.

 

CHAPITRE TRENTE-TROISIEME 361

il déclara que c’était bien là toute sa fortune, nous le cons-
tatâmes par écrit sur le registre pour en faire foi.

Le premier messager envoyé par le pacha arriva le jeudi,
14 du mois sacré de dzou’l-hiddja de l’année 1041 (2 juil-
let 1632). Quand on lut la lettre qu’il apportait et qu’on y
vit les termes conciliants et aimables du début, on crut d’une
façon positive et tout à fait certaine que le pacha était dans
une situation critique et que son autorité faiblissait.

Or, comme tout était arrangé et organisé à ce moment
pour ime révolte, les gens se soulevèrent aussitôt, arrê-
tèrent Mohammed-ould’-Moumen et le jetèrent dans la
prison où se trouvait Salti-Ouri. Puis ayant mis celui-ci en
liberté, ils lui ôtèrent les fers des pieds pour les mettre à
ceux de Mohammed-ben-Moumen. Le caïd et les principaux
chefs de l’armée me convoquèrent alors {xr^) avec un
autre notaire pour aller dans la maison de Mohammed et
y faire l’inventaire des richesses qu’elle contenait. Nous
dressâmes cet état sur un registre, mais sans y comprendre
aucun des esclaves mâles ou femelles. Nous reçûmes alors
l’ordre de revenir le lendemain pour faire le recensement
de ce personnel.

Cette nouvelle formalité ayant été accomplie le lendemain,
vendredi, 15 du mois précité (3 juillet 1632), nous fumes
invités à nous rendre à la prison et à interroger Mohammed
sur la situation exacte de sa fortune. Dans cette visite, qui
eut lieu le mardi, nous trouvâmes le prisonnier dans une
situation identique à celle dans laquelle nous avions trouvé
Salti-Ouri. Louanges soient rendues à celui qui fait dans son
empire tout ce qu’il lui plaît et qui, en moins de temps

 

1. Le mot’ « ould » remplace souvent « ben » entre deux noms propres et l’on
emploie indifTéremment l’un ou l’autre pour le même nom. C’est ce que fait
l’auteur qui, trois lignes plus loin écrit Mohammed-ben-Moumen, après avoir
écrit ici Mohammed-ould-Moumen.

 

362 HISTOIRE DU SOUDAN

qu’il n’en faut pour lancer un coup d’œil, délivre les affli-
gés de leurs souffrances !

Mohammed fut d’abord laissé en prison, puis on décida
de le mettre à mort, ce qui fut fait la veille au soir de la
fête d”Achoura\ au mois sacré de moharrem ouvrant
l’année 1042 (27 juillet 1632).

Revenons maintenant, pour en achever le récit, à ce qui
se passa entre le pacha ‘Ali-ben-‘Abdelkader et les habitants
de Kâgho. Ceux-ci mirent en liberté l’askiaMohammed-Ben-
kan qui retourna alors à Tombouctou. En arrivant dans
cette ville, l’askia trouva le pacha sur le point d’entre-
prendre une expédition vigoureuse et décisive contre Kâgho,
après avoir préparé toutes sortes d’engins pour terrasser les
habitants et les châtier.

Le dimanche, 2 du mois de moharram de l’année préci-
tée (20 juillet 1632), le pacha donna l’ordre, aux embarca-
tions de quitter le port de Kabara; mais arrivées au village
de Bouri, le dimanchesoir, les troupes se révoltèrent contre
le pacha et nommèrentpour le remplacer dans ses fonctions
‘Ali-ben-Mobârek-El-Mâssi ; puis elles retournèrent au port
de Kabara avec leurs embarcations.

Le pacha ‘Ali-ben-‘Abdelkader, qui prit la voie de terre
et se mit en marche dans la matinée du lundi, n’avait
connu, avant son départ, ni cette révolte, ni sa déposition.
Il poursuivit donc sa marche pour rejoindre ses troupes et
ce fut en cours de route qu’il apprit la nouvelle des événe-
ments qui venaient de se passer. 11 rebroussa chemin aussi-
tôt et rentra à Tombouctou; mais il fut abandonné par tous
ses compagnons, sauf par le caïd Mohammed-ben-Mesa’oud-
El-Merràkechi, qui était un homme loyal et fidèle à ses enga-
gements.

1. Cette fôte a lieu le 10 du mois de moharrem. Suivant certains auteurs, elle
devrait avoir lieu le 9.

 

CHAPITRE TRENTE-TROISIEME 363

Après avoir passé la nuit du lundi à Tombouctou, ‘Ali-
ben-‘Abdelkader donna, le lendemain mardi, ordre au cadi
Seyyid Ahmed d’aller trouver les rebelles au port de Kabara
et d’entrer en arrangement avec eux. Arrivé auprès des
rebelles, le cadi leur proposa un accommodement (vrv) ; mais
ceux-ci ne voulurent rien entendre et persistèrent de plus
en plus dans leur rébellion. Le cadi rentra alors à Tombouc-
tou ; puis, au lieu d’aller rendre compte lui-même de sa
mission, il envoya un messager raconter les faits et, quant
à lui, il se rendit directement à sa demeure.

Dans la matinée du mercredi, les rebelles quittèrent Kabara et rentrèrent à Tombouctou. ‘Ali-ben-‘Abdelkader quitta aussitôt la ville et se rendit auprès de El-Filâli-ben-‘Aïsa-El-Berbouchi, dont le campement se trouvait à peu de distance, et lui demanda de l’aider à fuir. Il passa cette nuit du mer- credi dans le campement de El-Filâli, mais celui-ci ne vou-
lut pas l’aider à fuir comme il l’avait demandé et, dans la
matinée du jeudi, il le ramena lui-même à Tombouctou et
le conduisit dans la maison du cadi, en priant ce dernier de
demander la grâce de Tancien pacha.

Le cadi fit la démarche demandée auprès du pacha ‘Ali-
ben-Mobârek. Celui-ci envoya tout d’abord quelqu’un pour
recevoir de l’ancien pacha tous les insignes du pouvoir; puis,
quand il les eut tous en sa possession, il envoya, dans la soi-
rée, une troupe de soldats avec ordre d’arrêter ‘Ali-ben-
‘Abdelkader, de le garrotter et de le conduire à la casbah ;
puis, l’ancien pacha eut la tête tranchée dans les écuries et le
même supplice fut infligé au caïdMohammed-ben-Mesa’oud.

Le cadavre de l’ancien pacha fut traîné par les pieds à
travers les rues de la ville jusqu’au marché où il fut sus-
pendu. On détacha ensuite le cadavre, on lui fit des funé-
railles et on l’enterra dans le cimetière de la grande-mos-
quée près du tombeau du saint de Dieu, Sidi Abou’l-Qâsem-

 

364 HISTOIRE DU SOUDAN

Et-Toiiâti (Dieu lui fasse miséricorde 1). Cet événement eut
lieu le jeudi, 6 du mois de moharrem précité (24 juillet
16321

 

CHAPITRE XXXIV

 

OBITU-URE ET RÉCIT DES ÉVÉNEMENTS QUI SE SONT PASSÉS DE
L’ANNÉE 1021 A L’ANNÉE 1042 (4 MARS 1612-19 JUILLET 1632)

 

Voici la liste des personnages morts entre les années 1021
et 1042 et le récit des événements qui ont eu lieu à cette
époque.

Le pacha Mahmoud-Lonko mourut au mois de chaouâl
de l’année 1021 (25 novembre-24 décembre 1612); il fut
enterré dans la mosquée de Mohammed-Naddi; on prétend
qu’il fut victime d’un empoisonnement. Peu après sa mort
mourut le caïd Mâmi-ben-Berroun:

Dans la nuit du 6 [\r^) du mois de rebi’ I” de l’année
1022 (26 avril 1613), après la prière du second ^acha, mou-
rut le jurisconsulte Mohammed-ben -Mohammed -Benkan.
Les prières de ses funérailles furent dites dans la matinée du
lendemain et il fut enterré dans le cimetière de Sankoré.

Au mois de djomada P’ de l’année 1024 (29 mai-
28 juin 1615), mourut, dans la ville de Dienné, l’excellent,
le très dévot, l’ascète, le cadi équitable Abou’l-‘Abbâs
Ahmed- Terouï (Dieu lui fasse miséricorde et soit satisfait de
lui!). Il eut pour successeur comme cadi de cette ville, l’i-
mam de la grande-mosquée, le cadi Sa’ïd qui fut nommé
au mois suivant de djomada II (28 juin-27 juillet), après
avis favorable du gouverneur du Soudan à Tombouctou, le

 

CHAPITRE TRENTE-QUATRIEME 365

pacha ‘Ali-ben-‘Abdallah-Et-Telemsâni. A cette époque le
hàkem de Dieiiné était El-Belbàli et le sultan nègre*, le
Djiniii-Koï, Abou-Bekr-Sakora.

Durant le mois sacré de moharrem commençant l’année
1025 (20 janvier-19 février 1616), mourut, si je ne me
trompe, l’askia Haroun, fils de l’askia El-Hàdj-Mohammed-
ben-Daoud.

Pendant le mois de safar (19 février-19 mars 1616)
mourut mon ami et maître le jurisconsulte, Mohammed
SâUh-ben-‘Ali-ben-Ez-Ziâd (Dieu très-haut lui fasse misé-
ricorde et lui accorde le pardon!).

Le mercredi, entre midi et trois heures, le 5 du mois de
rebi’ V de l’année 1025 (19 mars-18 avril 1616), mourut
le jurisconsulte, l’iraam, El-Mostafa-ben -Ahmed -ben –
Mahmoud-ben-Abou-Bekr-Baghyo o; il fut enterré le même
jour (Dieu lui fasse miséricorde!). C’était un hoqame d’un
caractère doux, tranquille, taciturne et supportant avec
patience les importunités des gens. 11 avait étudié sous la
direction de son célèbre oncle paternel, le jurisconsulte
Mohammed-Baghyo’o qui lui avait fait étudier la Risala,
le Mokhtasar et d’autres ouvrages. Toutefois il n’avait pas
achevé avec son oncle l’étude du Mokhtasar. Il reçut égale-
ment les leçons du jurisconsulte Otsman-El-Filàli, du juris-
consulte Mohammed-ben-Mohammed-Koraï et du juriscon-
sulte ‘Abderrahman-ben-Ahmed, le modjtahid. Ce fut avec ce
dernier qu’il étudia le Modaououana et la Mouatta.

Au début de ses études et du vivant de son oncle, il avait
appris du jurisconsnlte Ahmed-Baba, fils du jurisconsulte
Ahmed, les éléments de la langue arabe, du Mokhtasar et
d’autres matières. Le fils de sa tante paternelle, Mahmoud,
(tt^) lui avaitenseigné VAlfiya et d’autres sciences. Lorsque

l. Le texte dit : « Soudanais ». C’est-à-dire le chef des indigènes soudanais.

 

366 HISTOIRE DU SOUDAN

le jurisconsulte Ahmed-Baba revint de Merrâkech, El-Mos-
tafa assista quelque temps à ses conférences.

Il fut nommé imam de la mosquée de Mohammed-Naddi
au mois de cha’ban de l’année 1008(15 avril- 14 mai 1600)
et conserva ces fonctions jusqu’à sa mort. Il suppléa le pré-
dicateur de la mosquée à partir de l’année 1016 (28 avril
1607-17 avril 1608). Il était né (Dieu lui fasse miséricorde!)
en l’année 973 (29 juillet 1565-19 juillet 1566).

Au mois sacré de dzou ‘l-qa’da de l’année précitée
(10 novembre-10 décembre 1616), mourut, dans la ville de
Dienné, mon ami le jurisconsulte Sa’ïd, connu sous le
nom de Sankam’; il était le fils du compagnon de mon
père, son intime et cher ami, Baba-Koraï (Dieu lui fasse
miséricorde et lui accorde sa grâce bienveillante!) Il fut
enterré dans le cimetière de El-Djenan\

Durant Je mois sacré de moharrem, le premier des mois
de l’année 1026 (9 janvier-29 décembre 1617), mourut le
cheikh, l’éminent, le vertueux, l’ascète, Mohammed-ben-
El-Mokhtâr; c’était le coryphée des panégyristes du Pro-
phète et on le surnommait San^ Depuis mon adolescence
jusqu’à sa mort je le fréquentai très assidûment; je lui dois
un grand nombre de connaissances utiles (Dieu lui fasse
miséricorde et lui accorde sa clémence !). Il était âgé de
quatre-vingt-quatre ans. Le jour de sa mort, mourut éga-
lement la servante de Dieu Khadidja-Ouaïdja, la fille de
El-Hâdj-Ahmed-ben-‘Omar-ben-Mohammed-Aqit ; elle était
âgée de quatre-vingt-quatorze ans: il y avait donc entre
eux une différence d’âge de dix ans (Dieu leur fasse miséri-
corde et leur soit indulgent. Amen!).

Le mercredi dans la nuit, après la prière du deuxième

1. Ou : Sankama.

2. Ce nom était celui d’une localité de la banlieue; son sens est le Jardin.

3. Ce mot signifie : «< chef, seigneur ».

 

CHAPITRE TRENTE-QUATRIEME 367

‘acha,le l*'” du mois de safar de cette même année (8 février
1617), mourut mon père, Abdallah-ben-‘Imràn-ben-‘Âmir-
Es-Sa ïdi*. Selon le vœu qu’il avait exprimé avant sa mort,
les prières dernières furent dites sur lui par notre cheikh,
réminent, l’ascète, le saint de Dieu, le jurisconsulte El-Amîn,
fils de Ahmed, frère du jurisconsulte Abderrahman-ben-El-
Modjtâhid. La cérémonie eut lieu le jeudi matin, et, aussitôt
après, il fut enterré près du tombeau de son propre père dans
le cimetière de la grande-mosquée. Ce fut également le
cheikh El-Amîn^ qui, sur la recommandation démon père, le
descendit lui-même dans la fosse. L’excellent, l’éminent, le
saint,le vertueux, notre maître, le jurisconsulte, Mohammed-
Baghyo’o-El-Ouankori assista au lavage du corps et une foule
considérable de hauts dignitaires, de cheikhs, de jurisconsul-
tes, de saints, de notables et de gens de toute condition, furent
présents à l’office et aux funérailles. Personne dans la ville
ne manqua d’assister à cet enterrement, sauf ceux qu’un mo-
tif sérieux en empêcha ou ceux encore qui n’ont cure de se
rendre dans les assemblées honnêtes. (Dieu, dans sa grâce et
sa générosité, lui soit indulgent et lui pardonne !) Mon père,
si je ne me trompe, avait (v£«) soixante-sept ans. Il était
né l’année 60 du dixième siècle (960). (Dieu l’élève aux plus
hauts degrés du paradis !)

Durant le même mois, mourut, dans la ville de Dienné,
l’imam, le cadi Sa’ïd. Il avait occupé les fonctions de cadi
pendant un an et huit mois. Il eut pour successeur, dans ces
fonctions de cadi, le cadi Ahmed, fils du cadi Mousa-Dâbo.

Au cours delà deuxième décade du mois de rebi’ P de
cette même année (19-28 mars 1617), mourut, à Dienné,
l’ami intime de mon père, Baba-Koraï-ben-Mohammed-

1. On trouve cet ethnique orthographié tantôt Sa’ïdi, tantôt Sa’di. Cette der-
nière forme a peut-être été adoptée pour laisser croire à un lien de parenté avec
les chérifs Sa’adiens qui ont régné au Maroc.

 

368 HISTOIRE DU SOUDAN

Koraï (Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde son indul-
gence et son pardon!).

Dans la seconde décade du mois sacré de dzoul-hiddja,
qui termina l’année 1026 (10-19 décembre 1617), mourut
Nânâ-Sîri, fille de l’oncle maternel de mon père, le ju-
risconsulte, l’ascète, le lecteur du Coran, Seyyid x\bderrah-
man-ben-Seyyid-‘Ali-ben-Abderrahman. Elle était d’origine
ansarienne’. A cette même époque mourut également la
noble hachémite et hassanite, Fatma, fille du chérif Ahmed-
Es-Seqli”. (Dieu leur fasse miséricorde et nous fasse profiter
de leur bénédiction. Amen!)

Le vendredi matin, au lever de l’aurore, la veille du der-
nier jour du mois de moharrem, le premier mois de l’année
1027 (27 janvier 1618), mourut le saint de Dieu, l’auteur
des prédictions réalisées, le jurisconsulte Mohammed- ‘Oriân-
er-râs. Ses funérailles eurent lieu dans la matinée el l’office
funèbre fut célébré dans le mosalla des funérailles situé
dans le Sahara ^ Toute la population, sans distinction de
classe, assista à son convoi et on l’enterra près du tombeau
du jurisconsulte Mohammed, mais en dehors de son mausolée
du côté de l’est.

Voici la biographie de ce personnage telle qu’elle a été
donnée par le cheikh, le jurisconsulte Mohammed-ben-Ah-
med-Baghyo”o-Kl-Ouankori : « Son nom était Mohammed-
ben-‘Ali-ben-Mousa, mais il était plus connu sous celui de
Mohammed-‘Oriàn-er-râs. C’était un personnage vertueux.
Il avait reçu les leçons des jurisconsultes de son temps, tels

 

1. C’est-à-dire descendant des Ansars ou compagnons du Prophète,

2. Abdesselara-ben-Et-Tavyeb-El-Qâdiri, dans son traité intitulé j ^^1 jjjl

,^-J-l i_**JJI vjAt (j* cr^*. if> J»«j. indique les chérifs dits « Es-Çeqliyouna », ou les
Çeqli, comme les plus célèbres de ceux apparentés aux Hosaïniyouna ou Hosaï-
nites ; ils sont établis à Fez. (Cf. p. 69 de l’édition de Fez.)

3. Par ce mot il faut entendre la partie désertique de la banlieue de Tom-
bouctou.

 

I

 

CHAt>ITRE TRENTE-QUATRIÈME 369

que les deux frères Abdallah et Abderrahman, fils du juris-
consulte Mahmoud, le jurisconsulte Mohammed Baghyo’o et
le jurisconsulte Ahmed-Mo’yâ. Au début de sa vie il se livra à
l’enseignement, puis il y renonça et resta confiné chez lui, ne
sortant même pas pour aller à l’office du vendredi. U devait
sans doute avoir un motif légitime pour agir ainsi. Sa renom-
mée de sainteté s’étant répandue, il reçut les visites des
pachas et autres personnages, et les Arabes, chez qui sa
réputation était parvenue, venaient solliciter sa bénédiction
et lui apportaient des cadeaux et des ex-voto. Quant à
‘Orian-er-râs, il vivait sans sortir de chez lui d’une façon
misérable, ne portant point de chaussures (vt>) et il n’eut
point de portier, sinon vers la fin de sa vie. Sa générosité
et sa bienfaisance étaient célèbres (Dieu lui fasse miséri-
corde!). Il naquit, d’après ce que j’ai entendu dire, en
l’année 955 (H février 1548-30 janvier 1549). C’était un
homme ferme, patient et résolu en toutes choses.

Dans la première décade du mois de rebi’ II de cette
même année, (28 mars-7 avril 1618), mourut le pacha ‘Ali-
ben-Abdallah-Et-Telemsâni à la suite de la torture que lui fit
subir le caïd Màmi-Et-Torki. Il fut enfoui* dans les écuries,
sans que son corps fût lavé, ni qu’on fît sur lui la moindre
prière.

A la fin du mois sacré de moharrem, le premier mois de
l’année 1028 (17 janvier 1619), mourut le pacha Haddou-
ben-Yousef-El-Adjenàsi ; il fut enterré dans la mosquée de
Mohammed-Naddi.

Au mois de cha’bân de la même année (14 juillet- 12 août
1619), mourut le pacha Ahmed-ben-Yousef-El-‘Euldji ; il fut
enterré dans le cimetière de la grande-mosquée.

Cette même année également, si je ne me trom{>e, mou-

1. Les musulmans esliment que l’un des plus cruels châtiments qu’on puisse
infliger à un fidèle esl de ne point l’ensevelir selon les rites.

{Histoire du Soudan.) 24

 

370 HISTOIRK DU SOUDAN

rut, dans la vilU; de Dieniié, le jurisconsulte Mahmoud,
surnommé El-Fa’-Siri* ; il était le fds de Seliman-ben-Moham-
med-Karama’-El-Ouankori. (Dieu lui fasse miséricorde!)

Le vendredi, 28 du mois de moharrem, le premier des
mois de l’année 1029 (5 janvier 1620), mourut le cheikh,
le jurisconsulte, le docte, l’imam, Mohammed-ben-Moham-
med-Koraï. (Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde le par-
don !)

Le dimanche, vers midi, le 15 du mois de chaouâl de
cette même année (13 septembre 1620), mourut dans la
ville de Dienné, le Djinni-Koï-Yenba, fds du Djinni-Koï
Isma’il.

Durant la dernière décade du mois de ramadan de l’an-
née 1030 (9-18 août 1621), mourut ma tante maternelle
Zahra-bent-‘Imrân.

Le samedi 10 du mois de djomada 1″‘, si je ne me
trompe (23 mars 1622), mourut l’imam de la grande-
mosquée, l’imam Mahmoud, fils de l’imam Seddiq-ben-
Mohammed-Ta’li. 11 avait occupé les fonctions d’imam pen-
dant 26 ans et y avait débuté à 1 âge de 70 ans. (Dieu lui
fasse miséricorde et efface ses péchés !). Par suite de cette
mort l’imam Abdesselàm-ben-Mohammed-Doko*-El-Foulàni
fut titularisé dans ces fonctions qu’il remplissait à titre de
suppléant depuis fort longtemps et cette titularisation fut
faite le mercredi, 14 de (xtr) ce même mois.

Le jeudi soir, 16 du mois de rebi’ P’ de cette même an-
née (29 janvier 1632), moururent, ainsi qu’il a été dit
précédemment, le caïd Mohammed-ben-‘Ali, le pacha Mo-
hammed-ben-Ahmed-El-Mâssi et le lieutenant-général Mo-
b ammed-ben-Kanbakal-El-Màssi .

Durant la première décade du mois de chaoual de la

1. Ou : Sira.

2. Ou : Diko.

 

CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME 371

même année (9-18 août 1622), mourut, dans ]a ville de
Dienné, Hafsa, esclave rendue mère par mon père. Elle fut
enterrée dans la grande-mosquée (Dieu lui fasse miséri-
corde !).

Dans la matinée du mercredi, 12 du mois sacré de mo-
harrem, le premier des mois de l’année 1032 (16 novembre
1622), mourut le vertueux confrère, l’obligeant, le dévoué,
l’affable, l’ami sûr, Mohamme-ben-Abou-Bekr-ben-Abdal-
lah-Koraï-Es-Senâouï ; il fut enterré dans le cimetière du
Jardin de la ville de Dienné. Selon sa recommanda-
tion dernière je procédai à sa toilette funèbre avec le cadi
Alimed-Dâbo. Il était l’ami des pauvres, des malheureux et
des étudiants, et leur faisait beaucoup de bien. Il évitait la
société des gens mondains et des tyrans. Plein d’humanité
et de douceur, il était fidèle à tous ses engagements qu’il
observait scrupuleusement, aussi était-il connu de tous,
grands et petits, à cause de ses qualités. Jamais sous la
voûte céleste je n’ai vu son pareil pour la loyauté, l’affection
solide et l’aménité de caractère. Nous nous fréquentâmes
constamment dans ces conditions durant toute sa vie et
lorsque la mort nous sépara, il avait toujours été le même
avec moi sans jamais varier, fût-ce un seul instant. Puisse
Dieu lui pardonner ses fautes, lui faire miséricorde et nous
réunir l’un à l’autre à l’ombre de son trône, aux plus hauls
degrés du paradis, sans nous faire éprouver ni tourment, ni
épreuve. Par sa grâce et sa bonté. Dieu peut nous accorder
cette faveur et exaucer ma prière.

Le vendredi, 21 du même mois (25 novembre 1622),
mourut ma tante paternelle, Omm-Hàni-bent-lmrân (Dieu
lui fasse miséricorde et, par sa grâce, lui efface ses fautes
et les lui pardonne!).

Le dimanche, 1 1 du mois sacré de dzou ‘1-hiddja, le der-
nier mois de l’année 1032 (6 octobre 1623), mourut ma

 

3t2 HtSTOIRÈ t)U SOUDAN

tante paternelle, Omni-‘Aïcha-bent-‘Imrân (Dieu lui fasse
miséricorde, lui soit indulgent et lui pardonne ses fautes!).

Durant les premiers raois de l’année 1035 (3 octobre
1625-22 septembre 1626), mourut l’éminent, l’excellent, le
vertueux, le jurisconsulte, le docte, Abou’l-‘Abbas-Ahmed-
ben-Mohammed-El-Foulâni-El-Mâssi. Comme il avait été at-
teint d’une maladie dangereuse dans sou habitation près de
Ankoma \ il donna ordre de le transporter dans Tombouc-
tou, la capitale. Mais, arrivé au port de Kabara, il y mou-
rut. On apporta son corps à Tombouctou pour y faire ses
funérailles et c’est là (rir) que les prières dernières furent
dites sur lui. 11 fut enterré dans le cimetière de la grande-
mosquée (Dieu très-haut lui fasse miséricorde, lui accorde
le pardon et nous fasse profiter de son intercession. Amen!).

Le dimanche, 10 du mois de djomada l”” de cette même
année (8 février 1626), mourut le cheikh, Téminent, le tra-
ditionniste, le jurisconsulte, l’imam Mohammed-Sa’ïd, fils
de l’imam Mohammed-Kedâdo-ben-Abou-Bekr-El-Foulàni;
il fut enterré dans le cimetière de la grande-mosquée. (Dieu
lui fasse miséricorde et nous soit utile par son intercession.
Amen!)

Le jeudi, à midi, le 21 du même mois (18 février 1626),
mourut ‘Ali-bea-Ez-Zoyâd; l’office mortuaire eut lieu après
la prière du dohor. 11 fut enterré près du tombeau de
l’imam Sa’ïd. (Dieu lui fasse miséricorde!)

Dans la matinée du vendredi, 20 du mois de djomada II
(19 mars 1626), mourut Abdelkerim-ben-Ahmed-Dâ’ou-
El-Hàhi (Dieu lui fasse miséricorde!).

Le dimanche, 22 du même mois (21 mars 1626), mourut
le jurisconsulte, l’imam, Abdesselam-ben-Mohammed-Doko-
El-Foulâni. Les dernières prières furent dites après l’office

l. Ou : Ankom.

 

CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME 373

du dohor, et il fut enterré près du tombeau de l’imam Sa’ïd.
Il avait exercé les fonctions d’imam pendant quatre ans
(Dieu lui fasse miséricorde!). Son successeur dans l’imamat
fut l’imam, Seyyid ‘Ali-ben-Âbdallah-Siri, fils de l’imam
Seyyid Ali-El-Djozouli, et sa nomination eut lieu sous le
gouvernement* du caïd Yousef-ben-‘Omar-El-Qasri avec l’a-
grément du cadi Seyyid Ahmed-ben-Anda-Ag-Mohammed
(Dieu lui fasse miséricorde!).

Dans la matinée du jeudi, 6 du mois de rodjeb, l’unique,
de celte année également (3 avril 1626), mourut, dans la
ville de Dienné, la chérifa Omm-Hàni, fille du chérif
Bouya, fils du chérif Kl-Mezouâr^-Kl-Hasani; elle était la
femme de mon frère Mohammed-Sa’di^ (Dieu leur fasse
miséricorde à tous deux!)

Au mois de rebi’ I” de l’année 1036 (20 novembre-20 dé-
cembre 1626), mourut le jurisconsulte El-Mokhtàr, le fils de
la fille du cadi Kr-Aqib-ben-Mohammed-Zenkan*-ben-Abon-
Bekr-ben-Alimed-ben-Abou-Bekr-Bîr, le serviteur^ du Pro-
phète (que Dieu répande sur lui ses bénédictions et lui ac-
corde le salut!). Ce fut lui qui apporta à Tombouclou le
premier exemplaire de ‘ El-‘Achrinijjjdt. Il célébrait les
louanges et les vertus du Prophète à chaque fêle de la
Nativité. Il s’occupait lui-même d’aller chercher à Dienné
les victuailles nécessaires [>our célébrer cette fête, et chaque
année, malgré l’âge et les infirmités, il s’ac([uittait de ce de-

 

1. C’esl-à-dire pendant que ce caï’l exprcait les fonctions de pacha.

2. Le mot Mizotiâr est, suivant l’auteur du Kltab el-istiqca, un mot zenatia
équivalant au mot arabe -^’jj, c’est-à-dire « chef, capitaine ».

3. On pourrait à la rigueur traduire : m la femme du frère de » au lieu de, « la
femme de mon frère » ; mais si le texte permet cette confusion, le sens n’est pas
douteux.

4. Ou : Zinkina.

5. C’est-à-dire qu’il s’était entièrement consacré à célébrer les mérites du
Prophète.

 

37 /i HISTOIRE DU SOUDAN

voir. Ses enfants, Ini ayant demandé de le remplacer (vii)
dans cet office, alors qu’il était devenu décrépit, il refusa
d’accepter leur proposition. Il mourut dans la ville de Kouna
en revenant de Dienné. Il fut enterré dans la cour de la
mosquée de Kouna (Dieu lui fasse miséricorde et fasse re-
jaillir sur nous ses bénédictions, dans ce monde et dans
l’autre . Amen!).

Le vendredi, 2 du mois de djomada II de cette même an-
née (\S février 1627), mourut, dans la ville de Bina, notre
cheikh, l’éminent, lebéni, le jurisconsulte, l’imam, Moham-
med-ben-Mohammed-ben-Ahmed-El-Khelil; ses fjmérailles
furent faites dans la ville de Dienné et il fut enterré dans le
cimetière du Jardin. Il avait pour moi la plus extrême af-
fection. Que de fois ai-je entendu les gens me répéter les
éloges qu’il faisait de moi durant mon absence. (Dieu lui
fasse miséricorde, le récompense de ce qu’il a fait pour moi
et nous soit utile, grâce à lui, dans ce monde et dans l’autre.
Amen ! )

Il m’avait nommé son suppléant pour diriger la prière,
mais j’avais dû renoncer plus tard à ces fonctions à cause
d’autres occupations qui absorbaient mon temps. Enfin le
vendredi, 23 du mois ci-dessus indiqué (11 mars 1627), je
fus nommé à sa place imam de la mosquée de Sankoré dans
la ville ci-dessus indiquée. Cette nomination fut faite avec
l’accord unanime de tous les notables et avec l’agrément du
cadi Ahmed-Dâbo qui, à cette époque, entraînait à sa suite
tous les hommes éminents.

Dans la matinée du jeudi, 6 du mois de cha’ban de la
même année (22 avril 1627), mourut nilustration et la bé-
nédiction de son temps, le cheikh, le docte, le très savant,
l’unique de son siècle et le phénix de son époque, le juris-
consulte Ahmed-Baba-ben-Ahmed-ben-‘Omar-ben-Moham-
med-Aqît (Dieu lui fasse miséricorde, soit satisfait de lui et

 

CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME 375

nous soit utile par lui en ce monde et dans l’autre!). Il fut
enterré près du tombeau de son père.

Le mercredi, 12 du même mois (28 avril 1627), naquit
Sofia, la fille de mon frère Mohammed-Sa’di.

Vers la fin de cette année, mourut, dans la ville de Dicnné,
le Djinni-Koï, Abou-Bekr-Sâkoro, fds de jurisconsulte Abd-
allah. Il fut un des plus éminents chefs de Dienné, aussi
bien par son administration que par sa piété (Dieu lui fasse
miséricorde!). Ce fut également vers la fin de cette même
année que mourut, à Merrâkech, le caïd ‘Amir, fils du caïd
El-Hasen-ben-Ez-Zobeïr.

Le vendredi matin, au moment du lever de l’aurore, le
6 du mois sacré de moharrem, le premier des mois de
l’année 1037 (17 septembre 1627), mourut à Merrâkech,
Àbou-‘l-Ma’âh, le sultan, Maulay Zidàn (vi«), fils de Maulay
Ahmed. (Dieu par sa grâce lui fasse miséricorde!) Une fut
enterré que le vendredi soir après la prière du coucher du
soleil.

Le mercredi, 18 du même mois (29 septembre 1627),
mourut, à Dienné, le fils de ma sœur Omm-Nânâ, Abder-
rahmàn-ben-F]t-Tâleb-Ibrahim-En-Nesrâti. Il était venu là
chez nous en compagnie de ma mère qui faisait un pèleri-
nage. (Dieu très-haut hii fasse miséricorde!)

Dans la soirée du samedi, 21 de ce mois (2 octobre 1627),
mourut mon gendre’, le cheikh El-Mokhtàr-Tamta-El-Ouan-
kori. Je présidai à ses funérailles. Les prières dernières fu-
rent dites sur lui entre la prière du coucher du soleil et celle
de l’acha et il fut enterré à Dienné dans la grande-mos- .
quée (Dieu lui fasse miséricorde et dans sa bonté lui par-
donne ses fautes!).

Le mercredi, vers midi, le 14 du mois de cha’bân de

1. f.e mot Iraduit par « gendre » sigailie « allié par mariage » et s’applique en-
core^au beau-père et au beau-frère.

 

376 HISTOIRE DU SOUDAN

cette anoée (20 avril 1628), mourut le chérif Zîdâu, fils
du chérif ‘Ali, fils du chérif El-Mezouàr (Dieu lui fasse mi-
séricorde et nous fasse profiter des bénédictions de tous dans
ce monde et dans l’autre!).

Le lundi soir, 13 du même mois (19 avril 1628), mourut,
dans la ville de Dienné, le hàkem Seyyid Mansour, fils du
pacha Mahmoud-Lonko; il fut enterré la nuit même dans la
grande-mosquée. Par ordre des lieutenants-généraux, je
dus passer la nuit devant la porte de la maison du défunt en
compagnie de trois notaires* et de quatre bàchoud. Nous
avions mission de veiller sur la maison après avoir vu en-
semble tout ce qu’elle renfermait. Le lendemain, dans la ma-
tinée, nous fîmes l’inventaire de la succession en présence
des lieutenants-généraux après avoir été autorisés à cet effet
par le chef de la justice. On était alors à l’époque du pacha
Ibrahim-ben-Abdelkerim-El-Djerâri.

Le mercredi, au moment de la prière de l’après-midi, le
27 du mois de ramadan de cette année(31 mai 1628), mou-
riit mon cher ami, l’éminent, l’obligeant, le jurisconsulte
Mohammed-ben-Badara-ben-Hamoud-El-Fezzàni. Les der-
nières prières furent dites sur lui après la prière du coucher
du soleil et il fut, aussitôt après, enterré dans le cimetière
de la grande-mosquée (Dieu lui fasse miséricorde, lui soit
indulgent et lui pardonne!).

Le samedi, 7 du mois de djomada V de l’année 1038
(2 janvier 1629), mourut l’amin^ le caïd Mohammed-ben-
Abou-Bekr, mis à mort par le pacha ‘Ali-ben-Abdelkader sur
l’ordre du sultan Maulay Abdelmâlek, ainsi que cela a été
raconté plus haut.

Le lundi, dernier jour du mois sacré de moharrem, le
premier des mois de l’année 1039 (19 septembre 1629j,

1. Ou témoins instrumenlaires.

2. Ce mot indique la fonction qu’il exerçait, c’est-à-dire celle d’agent financier.

 

CHAPITRE TRENTE-QUATRIÈME 377

mourut ‘Omar-ben-Ibrahim (vii) -El-‘Arousi, ainsi que son
serviteur Bilàl; ils périrent tous deux dans un combat contre
le pacha ‘Ali-ben-Abdelkader, ainsi qu’il a été dit précédem-
ment.

A miuuit, dans la nuit du samedi au dimanche, le 12 du
mois de cha’bân, le brillant, de cette année (27 mars 1630),
mourut, dans la ville de Merrâkech, Abou-Merouàn, Mau-
lay Abdelmâlek, fils de Maulay Zîdân (Dieu leur fasse mi-
séricorde!).

Le mercredi, au moment du lever du soleil, le 16 du mois
de redjeb de cette année (l^”” mars 16’iO), mourut le cheikh,
l’éminent, l’ascète, le jurisconsulte Abou-Bekr-ben-Ahmed-
Bîr, le fils du saint de Dieu, le cadi, le jurisconsulte, Mah-
moud-ben-‘Omar-ben-Mohammed-Aqît (Dieu leur fasse à
tous miséricorde et nous soit utile grâce à eux. AmenI).

Au début de l’année 1041 (30 juillet 1631-19juillet 1632),
mourut l’amîn, le caïd Yousef-ben-‘Omar-El-Qasri; il fut
enterré dans la mosquée de Mohammed-Naddi; il avait
exercé ses fonctions d’amîn durant deux ans et demi. Il eut
pour successeur dans son emploi l’amîn, le caïd Abdelka-
der-El-‘Imràni qui fut noaimé par le gouverneur, le pacha
‘Ali-ben-Abdelkader.

Dans la nuit du 1 1 du mois de rebi’ V\ la nuit même de
la Nativité (7 octobre 1631), mourut le caïd Abdallah-ben-
Abderrahman-El-Hindi qui fut tué par le caïd Mohammed-
El-Arbi* sur la place du marché par ordre de son frère le
pacha ‘Ali-ben-Abdelkader; celui-ci, lorsqu’il arriva à la
ville deAraouân, avait envoyé un ordre à ce sujet.

Dans la deuxième décade du mois de cha’bàn de cette
même année (2-11 mars 1632), mourut, dans la ville de
Dienné, le caïd Ibrahim-ben-Abdelkerim-El-Djerâri. Avant
qu’il mourût, les lieutenants-généraux et Mohammed-ben-

1. On : El-Arab.

 

378 HISTOiftE DU SOUDAN

Moiimen-Es-Sibâ’i m’avaient mandé ainsi qu’im autre no-
taire pour recevoir le testament du défunt : il prit donc ses
dispositions testamentaires. Il fut enterré dans la grande-
mosquée. Je remis sa succession au pacha ‘Ali-ben Abdel-
kader. Celui-ci écrivit alors au caïd Mellouk-ben-Zergoun de
prendre la place qu’occupait le défunt qui était alors à
Dienné. Ce fut la dernière fois que Mellouk fut appelé au
caïdat de Dienné.

Le mardi, 20 du mois de chaouâl de cette année (10 mai
1632), mourut notre cheikh, l’éminent, le vertueux,le pieux,
l’ascète, le saint de Dieu, le jurisconsulte El-Amîn-ben-
Ahmed, le frère utérin du jurisconsulte Abderrahman-beu-
Ahmed-El-Modjtahid. Les prières funèbres furent dites sur
lui par le cheikh, l’éminent, le vertueux, le jurisconsulte
Mohammed-Baghyo’o-El-Ouankori ( v t v) .

Voici l’article biographique que lui a consacré Moham-
med-Baghyo’o : « El-Amin-ben-Ahmed-ben-Mohammed fut
notre cheikh et notre ami. Sa langue s’humectait sans cesse
pour dire des prières. Il était le frère utérin de notre cheikh,
le jurisconsulte Abderrahmân (Dieu leur fasse miséricorde!).
C’était un homme versé dans la connaissance du droit, dans
celle de la grammaire, morphologie et syntaxe, et il possé-
dait en outre des notions étendues sur les compagnons du
Prophète. Il mourut (Dieu lui fasse miséricorde!) dans la
matinée du mardi, 20 du mois de cha’bân de l’année 1041, à
l’âge de quatre-vingt et quelques années. Il était né en l’an
957. On fit sur lui les prières au mosalla des funérailles des
diûrnitaires et des saints dans le Sahara

 

‘O

 

».

 

Dieu lui fasse miséricorde; qu’il soit satisfait de lui; qu’il
l’élève aux plus hauts degrés du paradis et que, par sa grâce
et sa bonté, il fasse retomber sur nous ses bénédictions, et
les bénédictions de sa science dans ce monde et dans l’autre!
Ici se termine l’obituaire jusqu’à la date indiquée.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 379

 

CHAPITRK XXXV

EXPÉDITION CONTRE LE MASSINA. — LES PACHAS DU SOUDAN DE
L’ANNÉE 1042 A L’ANNÉE 1063 DE L’MÉGIRE (1632-1653)

 

Quant au pacha ‘Ali-ben-Mobârek-EI-Mâssi, il ne resta au
pouvoir que trois* mois. Au mois de rebi’ II, il fut déposé et
exilé à Tendirma. Puis, comme il vivait en mauvaise intelli-
gence avec ses concitoyens^ dans cette ville, il fut exilé alors
dans la ville de Chîba où il demeura jusqu’à sa mort. D’ail-
leurs, ce pacha n’avait été choisi par les troupes que parce
qu’elles n’avaient trouvé personne autre consentant à expo-
ser sa vie à ce moment, tant étaient grandes la crainte et la
terreur qu’inspirait le pacha Ali-ben-Abdelkader.

Le jour même de la déposition de ‘Ali-ben-Mobârek, le
suffrage des troupes se porta à l’unanimité sur So’oud-ben-
Ahmed-‘Adjeroud-Ech-Chergui; on le nomma donc pacha,
le mercredi, 2 du mois de rebi’ II de l’année 1042 (17 oc-
tobre 1632).

A peine le nouveau pacha venait-il d’être élu et de s’ins-
taller sur son trône pour y recevoir le serment d’obéissance
(rtA) qu’il arriva de Merrâkech un envoyé du sultan, Abd-
elouâhed-El-Merâghdi-El-Djerâri; il était porteur de let-
tres pour les caïds ^ et il prétendit que la dépêche du sultan
lui avait été dérobée en cours de route.

1. Le ms. C dit : « huit mois », ce qui est une erreur.

2. Le mot du texte est : « confrères ». il s’agit des Marocains et non des in-
digènes .

3. C’était vraisemblablement des lettres de nominations ou de révocations que
le sultan marocain avait expédiées.

 

380 HISTOIRE DU SOUDAN

La révolte des troupes de Dienné contre le pacha ‘Ali-
ben-Abdelkader-ben-Ahmed se produisit au moment même
où le caïd Hammou-ben-‘Ali se trouvait à Dienné. Il
était venu dans cette ville pour y acheter des grains et,
aussitôt cette opération terminée, il avait fait ses préparatifs
afin de rentrer à Tombouctou, puis il avait quitté Dienné le
second jour* du mois de rebi’ II (17 octobre 1632).

Le lundi, 10 du mois de djomada I” (23 novembre 1632),
le caïd Mellouk, d’accord en cela avec toutes les troupes, fit
arrêter le Djinni-Koï, Bokar et le fit mettre en prison. On pré-
tendit que Bokar avait déchiré” l’accord qui s’était fait pour
se révolter contre le pacha Ali et manqué aux engagements
qu’il avait pris avec les troupes en dépit des serments échan
gés à cette occasion. On dit également que c’était lui qui
avait dénoncé le complot au pacha et que c’est alors qu’on
aurait arrêté Mohammed-ben-Moumen et pillé tout ce que
contenait sa maison. Le messager du caïd apporta la nou-
velle le quatrième jour qui suivit l’arrestation de Bokar et
en fit part au pacha pendant qu’il était en route dans la di-
rection de El-Hadjar.

Dans la soirée du jeudi, 13 du même mois (26 novembre
1623), Bokar subit le dernier supplice dans la casbah. Sa
tête fut placée au sommet d’une poutre que l’on dressa sur
l’emplacement du marché. Ce raffinement de cruauté pro-
duisit une fâcheuse impression et parut aux yeux des Souda-
niens comme une abominable innovation. Aussi se soule-
vèrent-ils aussitôt et se mirent-ils en état de révolte.

Yousaro-Mohammed-ben-‘Otsmân se mit à la tête de ce
mouvement séditieux ; il fut suivi dans cette voie par Sâsoro,

 

1. Le ms. C dit : « le mercredi », sans indiquer de date.

2. Dans le ms. C le mol employ*’ signifie « inspirer des craintes »; c’est-à-
dire qu’il leur avait montré les dangers de l’accord qu’ils avaient lait.

 

CHAPITRÉ TRENTE-CINQUIÈME SSl

Kirimou, Mâti’a et d’autres personnages dévoués au Djinni-
Koï et qui se trouvaient établis à l’ouest de Dienné. Yousaro
assiégea les négociants de la ville de Bina. Aussitôt que la
nouvelle de ce siège parvint à Dienné, le caïd Mellonk en-
voya un corps d’armée pour combattre les révoltés et il mit
à la tête de cette expédition les deux lieutenants-généraux
en chef Mohammed-ben-Rouh et Sâlem-ben-‘Atiya ; mais
Yousaro les repoussa sans que ceux-ci pussent rien contre
lui. L’armée du pacha prit la fuite, abandonnant une de ses
tentes qui resta étendue à terre dans le port (vi^); cette
tente était celle du lieutenant-général Salem.

Mis en déroute, les Marocains s’enfuirent jusqu’au village
de Sorba où ils mouillèrent. De là, ils mandèrent au caïd
Mellouk d’envoyer des renforts à leur secours. Le lieutenant-
général Mohammed-Et-Târezi partit à la tête de tous les
soldats qui étaient restés dans la ville et rencontra l’armée
au moment où elle revenait à Dienné. Il fit route avec elle
en sorte que son intervention ne servit à rien.

Avant que l’armée marocaine arrivât à Bînâ, Yousaro
avait fait un appel énergique à tous les chefs de la contrée,
le Da’ai-Koï, le Oma-Koï, et d’autres encore. Tous répon-
dirent à cet appel et chacun d’eux lui envoya une troupe
d’hommes pour lui venir en aide, si bien que Yousaro dut
insister auprès d’eux pour les empêcher de se porter en
masse ostensiblement pour combattre l’ennemi.

Les habitants de Dienné restèrent dans cette situation
critique durant quatre mois, sans savoir à qui s’adresser,
ni à qui entendre.’ Chaque jour on ne recevait que de mau-
vaises nouvelles qui ne pouvaient que briser le cœur. Le
meurtre du Djinni-Koï avait, en effet, porté à son paroxysme
la colère des Soudaniens et ils avaient juré que si les gens
de Dienné ne leur livraient pas le caïd Mellouk pour le tuer
et venger leur chef, ils se rendraient eux-mêmes à Dienné et

 

382 HISTOIRE DU SOUDAN

y tueraient tous les blancs appartenant au Makhzen, mais
sans faire de mal aux autres.

L’inquiétude et l’angoisse étaient grandes parmi la popula-
tion de Dienné lorsque, durant la dernière décade du mois
de djomada II (2-1 1 janvier 1633), arriva le caïd Ahmed-ben-
Hammou-ben-‘Ali que le pacha So oud avait nommé caïd
de Dienné en remplacement de Mellouk qu’il avait révoqué.
Ce fait changea la face des choses et ouvrit la porte à une
amélioration de la situation et à l’emploi de la clémence. Les
gens ayant dit que c’était le caïd Mellouk seul qui avait fait
tuer le Djinni-Koï, le pacha avait révoqué ce caïd et aussitôt
le ressentiment des gens de Dienné commença à mollir. Puis
le caïd Ahmed sut par des cadeaux et de bonnes paroles si
bien calmer la colère des habitants qu’ils oublièrent leurs
griefs et n’y songèrent plus. Toutefois ces événements nui-
sirent aux Marocains dans l’esprit de la population qui do-
rénavant les méprisa.

Pendant la dernière décade du mois sacré de dzou’1-qâda
(28 juin-7 juillet 1633) je fis un voyage au Massina pour y
rendre visite à mon ami, le cadi Seyyid Mohammed-Sanba
et_au sultan Hammedi-Amina, selon l’habitude que j’en avais
prise. Je me trouvai auprès d’eux le l*”” du mois sacré de
dzou’l-hiddja (vo .), terminant l’année 1042 (8 juillet 1633),
et le }our de rahreuvemeni^ (15 juillet) j’étais de retour à
Dienné, porteur d’une lettre que m’avait confiée le sultan
Hammedi-Amina, pour la remettre au caïd Ahmed-ben-Ham-
mou-ben-‘Ali.

Cette lettre avait trait à un serviteur du prince, un nommé
Djorno-Koudj, chef des écuries, qui, ayant encouru la co-
lère du prince, s’était enfui dans le pays de Dienné auprès
de Djàdji-ould-Hammedi-‘Aïcha. Une longue et constante

1 . Nom donné à une d-s cérémonies du pèlerinage de La Mecque qui a lieu le
8 du mois de dzou’l-hiddja.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 383

inimitié en était résultée entre ce dernier personnage et
Hammedi-Amina. La lettre, que je remis au caïd Ahmed,
lui demandait d’essayer par tous les moyens de s’emparer
de la personne du serviteur en fuite et une fois pris de le
charger de fers et de lui annoncer aussitôt cet événement.
Le caïd Ahmed envoya en effet plus d’une fois inviter
Djorno-Koudj à venir le trouver, mais celui-ci décUna l’in-
vitation, ayant eu, ce semble, vent de ce qui le menaçait.

Plus tard Hammedi-Amina se rendit dans la région de
El-‘Aouàli pour y faire, selon son habitude, paître ses trou-
peaux pendant un certain temps. Ce temps écoulé, il revint
dans la région du Sahel. Alors je lui écrivis pour lui faire
part de ce qui s’était passé entre le caïd Ahmed et Djorno.
Ensuite Hammedi-Amina, ayant retardé son départ jusqu’à
la nuit du 1″‘ du mois de chaouâl de l’année 1043 (31 mars
1634), se mit en route lui-même à la tête de ses troupes et
se dirigea vers le campement de Djâdji dont il a été parlé
ci-dessus. Puis il m’expédia aussitôt un messager m’enga-
geant à l’aller rejoindre en cours de route avant qu’il ne fût
arrivé à l’endroit qu’il se proposait d’atteindre. Le rendez-
vous était fixé en arrière du fleuve* de Kalikoro et je devais
amener avec moi un des notaires du cadi afin d’essayer de
reconcilier le prince avec Djàdji qui d’ailleurs était son
cousin et ne désirait pas rester brouillé avec lui.

Dès que le messager fut arrivé chez moi, je l’emmenai
chez le cadi, que j’informai du sujet de son message. « Au
nom du Seigneur, répondit le cadi, et à la grâce de Dieu !
Mais il faut auparavant l’autorisation du caïd. » L’autorisa-
tion demandée fut accordée et nous reçûmes l’ordre de nous
mettre en route.

Le lieutenant-général Mohammed-ben-Rouh, qui avait
entendu parler de tout cela, alla trouver le caïd et lui dit :

1. Ou : lac de Kalikoro.

 

384 HISTOIRIî: du SOUDAN

« Notre façon de faire ne doit pas être celle des gens de
loi. » Alors le caïd lui enjoignit de se rendre lui-même au
rendez-vous et celui-ci partit, emmenant avec lui le lieute-
nant-général Mohammed-El-Hindi avec un certain nombre
de soldats (yo>) et de suivants. Voyant cela, le messager de
Hammedi-Amina s’écria : « C’est là une idée funeste, le
prince n’acceptera jamais cela. » Puis, comme il ne voulait
pas se laisser devancer par eux auprès du prince ni faire
autre chose que ce qui lui avait été ordonné, il prit les de-
vants en toute hâte et arriva avant les lieutenants-généraux
au lieu du rendez-vous. Là, il trouva le prince qui était
campé et lui raconta ce qui se passait. Celui-ci entra alors
dans une violente colère. « Quelle chose pousse donc ces
gens à vouloir suivre une voie qui n’est pas la leur? Il ne
s’agit pas ici d’une question dans laquelle il y a à faire usage
de l’autorité souveraine, mais bien de moyens jiu’idiques,
puisque c’est une simple conciliation à opérer entre deux
personnes. »

Le prince ordonna à son messager de retourner vers le
cadi et de lui dire : « Il ne doit venir chez moi que deux
personnes : Abderrahraan et un autre notaire. » Le messager
devait également ajouter ces mots : « N’est-ce donc pas ton
père le cadi Mousa-Dâbo et ses notaires qui sont venus à
So’a trouver mon grand-père quand il se produisit un conflit
entre lui et son frère Ilammedi-‘Aïcha, père de ce même
Djâdji, et qui ont opéré leur réconciliation? »

Le messager repartit aussitôt, taudis que le prince et son
armée se mettaient en marche en ayant soin de s’écarter de
ja route suivie par les lieutenants-généraux. Le messager ré-
péta au cadi les paroles du prince. « Il a raison, répondit le
cadi en entendant ces mots, et tout ce qu’il dit n’est que
l’exacte vérité. » Puis il fit connaître la chose au caïd qui
nous donna l’ordre de partir et nous convînmes avec lui

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 385

de nous mettre en route après la prière de l’après-midi.
Quand les lieutenants-généraux eurent appris que le prince
avait changé son itinéraire, ils prirent, eux aussi, un autre
chemin afin de le rejoindre, ce à quoi ils n’arrivèrent qu’après
beaucoup de fatigues et bien des difficultés. Mais le prince
refusa de les laisser s’approcher de lui, à plus forte raison
de les voir; arrivé à Ouaba, il campa dans cette localité et
quand sa tente y fut dressée il y entra. Aussitôt les deux
lieutenants-généraux qui l’avaient rejoint en cet endroit avec
leur suite et qui étaient exposés en plein soleil demandèrent
une audience au prince. Celui-ci refusa de les recevoir, puis,
après la prière de l’après-midi, il sortit de sa tente, monta à
cheval et passa auprès des Marocains, qui étaient assis sur le
sol, sans les saluer.

Ensuite, il envoya son frère Selâma’* vers la citadelle de
la ville à la tête d’une troupe nombreuse. Le lieutenant-gé-
néral Mohammed-El- Hindi, qui était très hardi, monta aus-
sitôt à cheval et rejoignit le prince : « Fondoko, lui dit-il,
à en juger par ce que nous voyons, tu n’es venu ici que
pour combattre les gens de Dienné. S’il en est ainsi, tu ne
dépasseras pas ce lieu sans nous avoir combattu les premiers
tout d’abord ». Le prince, à ce moment, se décida à leur
adresser la parole; il les salua et revint avec eux vers (ver)
sa tente où il les fit entrer.

Quant à nous, nous fîmes la prière de l’après-midi et nous
nous disposions à nous rendre auprès du prince, comme il
l’avait demandé, quand, à peine sortis de la porte du châ-
teau, nous rencontrâmes la cavalerie de Selâma’. Celle-ci,
répartie à droite et à gauche, prête à attaquer et à lancer
des javelots et des flèches^, était arrivée jusqu’aux portes
de la citadelle. Pris de craintC;, nous retournâmes sur nos pas.

1. Ou : Selamogho.

2. Ce mot est traduit par conjecture.

{Histoire du Soudan.) 28

 

386 , HISTOIRE DU SOUDAN

Toute la population fut également très effrayée, car on s’ima-
ginait que cette cavalerie n’avait pu arriver jusque-là qu’après
avoir passé par-dessus les deux lieutenants-généraux et leur
suite.

L’angoisse et l’inquiétude durèrent jusqu’au coucher du
soleil. A ce moment-là arrivèrent des messagers envoyés au
caïd par les lieutenants-généraux et racontant que ceux-ci
avaient passé la luiit chez Hammedi-Amina à la colline de
Ouaba et qu’ils priaient le caïd de leur envoyer des vivres* ;
le caïd les leur fit aussitôt envoyer chargés sur des ânes et
des mulets.

Djàdji, très effrayé, s’était enfui de l’autre côté du Fleuve,
tandis que Djorno prenait la fuite dans une autre direction.
Les lieutenants-généraux passèrent la nuit chez Hammedi-
Amina en cet endroit où il se trouvait à ce moment. A la fin
de la nuit, le prince, sans que les lieutenants-généraux en
eussent connaissance, monta à cheval, se porta vers la de-
meure de Djàdji, entra dans l’habitation et la parcourut tout
en restant à cheval. Puis il en sortit et alla jusqu’au mur de la
citadelle sur lequel il posa la main afin de mettre à exécution
son serment. Le lendemain matin, le prince fit ses adieux
aux lieutenants-généraux et prit la route de son pays, tandis
qu’il faisait accompagner ces derniers par ses trois frères,
Selâma, ‘Ah-Et-Telemsâni et Abou-Bekr-Amina jusque sous
les murs de la citadelle. Arrivés là, on prit congé les uns des
autres, les lieutenants-généraux entrant dans la citadelle
et les trois frères allant rejoindre le prince pour retourner
dans leur pays.

Peu après cela, Djorno m’envoya son fils pour me prier
d’intercéder en sa faveur afin qu’il pût, lui et ses enfants, re-
tourner dans leur demeure au Massina. Je fis part de la

1. Ou : « la difa » qu’il est d’usage d’offrir aux grands personnages qui pas-
sent dans la contrée où l’on habite.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 387

chose au cadi qui écrivit au prince et celui-ci accorda la
grâce qui lui était demandée ; il transigea, exigeant tou-
tefois que nous fissions prêter serment dans la mosquée à
Djorno et à ses enfants qu’ils ne chercheraient jamais plus à
le trahir. Nous envoyâmes quelqu’un qui leur fit prêter le
serment demandé dans la mosquée du village de Koufasa,
et, par un messager, nous avisâmes le sultan de l’exécution
des ordres qu’il avait donnés.

Le prince m’écrivit alors qu’il avait entendu dire que le
pacha So’oud venait de partir à la tête d’une colonne pour
venir l’attaquer en personne, qu’il ignorait ce qui avait pu
motiver cette décision, étant donné qu’il n’avait pas dévié
du bon chemin et qu’il n’avait jamais refusé le zenkal, ni
(vôt) aucune autre des redevances accoutumées. Il ajoutait
qu’il se plaçait sous la protection de l’islam, sous la mienne
et sous celle des jurisconsultes, non seulement lui, mais
aussi les pauvres, les laboureurs et les marins ^ sauf ceux
qui refuseraient de le suivre dans cette voie *.

J allai porter cette lettre au cadi. Dès qu’il l’eut parcou-
rue, il me dit : « Le prince a raison ; je ne sache pas qu’il
ait commis aucune des choses dont il parle ; mais nous ne
possédons aucune information précise à ce sujet. Va donc
maintenant, cette nuit même, chez tous les négociants de
cette ville et interroge-les sur ce qu’ils sauront à ce propos.
Comme leurs marchandises descendent et remontent sans
cesse le Fleuve, ils doivent être mieux informés que qui que
ce soit delà véritable situation. Si tu entends seulement deux
d’entre eux certifier des faits, cela suffira. » Puis le cadi en-
voya, durant cette même nuit, informer le caïd de cet évé-
nement en lui mandant que, si Dieu voulait, j’irai le lende-

 

1. Mot à mot : « les barques ». Le copiste a sans doute omis le mot J*l.

2. C’est-à-dire qui refuseraient obéissance au pacha.

 

388 HISTOIRE DU SOUDAN

main matia, le trouver au sujet de cette intervention auprès
du paclia.

Les choses ayant été toutes réglées comme le cadi m’en
avait donné l’ordre, je me couchai avec l’intention de me
rendre le lendemain de bonne heure auprès du caïd. Or, le
lendemain de bonne heure, le caïd reçut une lettre que le
pacha, se trouvant avec ses troupes à Tendirma, lui écrivait
de cette ville. Paroles grossières et invectives dictées par la
colère, le pacha n’en avait, pour ainsi dire, omis aucune à
l’adresse du caïd, des troupes de Dienné et de tous ceux qui
se trouvaient avec le caïd dans cette ville. Il demandait
comment il se faisait que le rebelle Hammedi-Amina avait
pu arriver jusque sous les murs du château, en sorte qu’on
avait à peine eu le temps de fermer les portes de la ville et
qu’il les avait assiégés durant sept jours, ne se retirant après
cela que parce qu’il avait reçu une forte somme d’argent.
Mais il ajoutait qu’il allait venir maintenant en personne et
qu’ils ne tarderaient pas à voir, eux et Hammedi-Amina, le
châtiment qu’il voulait leur infliger.

Dès que cette lettre eut été lue, le caïd m’envoya dire
d’avertir le cadi de ne point se rendre du tout auprès de lui,
qu’il venait de recevoir du pacha une lettre renfermant, au
sujet de la façon dont ils s’étaient conduits vis-à-vis de Ham-
medi-Amina, de vilaines paroles qu’ils ne méritaient pas et
les accusant de n’avoir pas songé à eux, à plus forte raison
à lui. Là-dessus le cadi s’abstint de la démarche qu’il voulait
faire.

Dès que Djorno apprit ce qui venait de se passer, il fut
très tourmenté; mais, comme il n’avait pas la patience d’at-
tendre l’autorisation qu’il avait demandée, il retourna sans
plus attendre au Massina avec ses enfants et se rendit
auprès du prince Hammedi-Amina qui lui fit grâce ainsi
qu’à tous les siens et les laissa en paix.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME ‘ 389

Dans la dernière décade du mois sacré de dzou’l-qa’da (19-
28 mai |634) le pacha So’oud arriva dans la ville de Dienné ;
il campa à Sanouna et installa ses troupes sur la dune qui
est en cet endroit. De là il se mit en marche et se dirigea
vers Bînà afin d’aller châtier Yousaro. Le départ eut lieu le
2 du mois sacré de dzou ‘1-hiddja, dernier mois de l’année
1043 (30 mai 1634), Tous les habitants de Bînâ abandonnè-
rent la ville et Yousaro alla se réfugier à une courte distance
de la cité oii il se tint caché jusqu’au moment où il pourrait
y rentrer.

Le pacha ne reçut (vet) d’autre visite des chefs de ces
contrées que celle du Ghila-Koï et du Oroun-Koï; quant au
Da’-Koï et au Oma-Koï, ils se contentèrent d’envoyer une
députation pour le saluer. Après être resté là et y avoir ac-
compli la prière de la fête des Sacrifices (8 juin), le pacha
quitta le pays et partit le lendemain du jour de la fête pour
retournera Dienné. il s’installa dans le campement qu’il avait
précédemment occupé et se mit à opprimer la population.

Les habitants se dénonçaient les uns les autres. C’est ainsi
que certains délateurs avaient pressé le pacha d’agir contre
mes deux frères Mohammed-Sa’di etAbdelmoghîts avant son
départ de Tombouctou. Il leur fit alors mander de se rendre
auprès de lui dans son camp, après avoir tout d’abord
extorqué injustement deux cents mitsqal à Mohammed.
Quand mes deux frères furent arrivés en sa présence, le
pacha leur dit : « El-Fa’ (Mohammed) Sa’di, tu passes tout
ton temps à réunir, chaque jour chez toi, les négociants de
la ville avec le caïd Ahmed et à déblatérer contre moi en
parlant de mes défauts et de mes méfaits. Il est vrai qu’on
ne nous a pas dit que tu prenais part à ces calomnies. Quant
à toi, ô Abdelmoghîts, le tel et tel’, c’est toi qui opprimes les

1. L’auteur ne reproduit pas les épithètes injurieuses dont se servit le pacha en
s’adressant à son frère.

 

390 HISTOIRE DU SOUDAN

gens et leur prends leurs biens injustement pour le compte
du caïd Ahmed. Quitte donc cette ville et retourne à Tom-
bouctou. » Puis il donna l’ordre à tous deux de rentrer chez
eux.

Le pacha avait l’intention de rester en cet endroit jusqu’à
la fin du mois de moharrem (26 juillet) quand, un certain
jour, les bâchoud allèrent à Kabara’ pour y voir leurs col-
lègues et amis. Là, on leur raconta toutes les exactions dont
la population était victime ; ils feignirent de n’avoir pas
entendu parler de cela pendant qu’ils étaient au camp et
s’écrièrent : « Mais c’est la ruine du pays ! » Le soir, quand
ils furent de retour au camp, ils dirent au pacha qu’il de-
vrait se préparer à partir le lendemain pour rentrer à Tom-
bouctou ; mais celui-ci prétexta que la chose était impossible,
qu’il fallait qu’il attendît là le retour des messagers qu’il
avait envoyés aux différents chefs de la région. « Il faut
que nous partions incontinent, répliquèrent les bâchoud, car
la population de cette ville ne saurait supporter que nous
retardions notre départ. Si telle n’est pas ton intention, telle
est celle du sultan et de ses troupes. » Alors le pacha se
décida à se mettre en route, et il fit distribuer aux patrons
des embarcations les cordages nécessaires pour les remor-
quer.

Quand le pacha était arrivé avec ses troupes (roo) venant
de Tombouctou, il avait demandé au caïd Ahmed dans quelle
situation il se trouvait vis-à-vis du prince du Massina lors-
que celui-ci était venu camper sous les murs de Dienné.
« Ce n’est point à cause des habitants de la ville, répondit
le caïd, que Hammedi-Amina était venu ici, car il n’avait
d’autre but que de rechercher un de ses serviteurs qui
s’était enfui et s’était réfugié chez ses ennemis qui, eux,
ignoraient l’état de rébellion de ce serviteur. — S’il en

1. Le ma. C dil : Dieuné.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 391

était ainsi, répliqua le pacha, pourquoi donc les envoyés
du prince ne sont-ils pas venus me rendre visite, me
saluer et m’offrir l’hospitalité? » Aussitôt le caïd Ahmed
m’avait envoyé quelqu’un pour me dire d’avertir le prince
qu’il eût à faire parvenir en toute hâte et diUgence la difaau
pacha et de ne pas désigner pour cette mission d’autre per-
sonne que le Konboma’. Les choses furent ainsi faites : le
Konboma’ apporta la difa, salua le pacha, fit des vœux pour
lui, renouvela avec lui le pacte d’alliance et l’accompagna
jusqu’à la ville de Kouua où il prit congé de lui. Le pacha
fit ensuite mander auprès de lui le jurisconsulte Mohammed-
Sâdi pour faire la paix avec lui. Mohammed se rendit au
camp, fit sa paix avec le pacha qui lui fit présent d’un vête-
ment.

Le dernier jour du mois de dzou’l-hiddja (26 juin 1634),
le Djinni-Koï, Mohammed-Konbaro, fils du Djinni Koï,
Mohammed-Yenba, fut révoqué. Le premier jour du mois
sacré de moharrem, premier mois de l’année 1041 (27 juin
1634), Abdallah, fils du Djinni-Koï Abou-Bekr, remplaça
Mohammed-Konbaro dans ses fonctions de Djinni-Koï. Le
lendemain, Mohammed-Konbaro rentra à Tombouctou,
emmenant avec lui mon frère Abdelmoghîts ; il l’avait fait
embarquer sur la chaloupe du Trésor et l’avait recommandé
aux bons soins du trésorier, le cheikh Bosa. Je- m’embar-
quai avec eux ce jour-là et allai jusqu’au bourg de Doboro*
où je fis mes adieux à mon frère.

Dans la matinée du jour de son départ de Dienné, le pa-
cha So’oud éprouva les premiers symptômes de la maladie
dont il devait mourir. Comme il ne pouvait plus supporter
le voyage à cheval, il prit place dans une embarcation au
moment où moi-même je rentrais à Dienné. Arrivé à la ville

1, Ou : Dabina ou Dobono.

 

392 HISTOIRE DU SOUDAN

de Kouna, le pacha reçut la nouvelle de la fuite de l’amin,
le caïd Abdelkader-El-‘Imrâni qui s’était enfui pendant la
seconde décade du mois de dzou ‘1-hiddja (8-17 juin 1634).
Sa maladie empira gravement (vol) par suite des soucis et
des angoisses que lui occasionna cette nouvelle.

La fuite de l’amin avait eu lieu dans la deuxième décade
du mois sacré de dzoul-hiddja ; elle était motivée par la
mauvaise foi, le désordre et la vilenie qui régnaient parmi la
population. Le caïd Abdelkader se rendit auprès du marabout
Seyyicl ‘Ali, prince du Sâhel, auprès de qui il trouva un
excellent accueil et grands égards ; il y demeura honoré et
à l’abri de tout danger.

Le pacha parvint à Tombouctou toujours malade. En ar-
rivant au port, il ordonna à mon frère, Abdelmoghîts, de se
rendre dans la maison de son père* et d’y habiter. Puis il in-
vestit des fonctions d’amin le hâkem Ahmed-ben-Yahya eu
remplacement deEl-‘Imrâni.Ce fut le jour même de son ar-
rivée à Tombouctou, le 13 du mois de moharrem (9 juillet
\ 634), qu’il nomma Ahmed-ben-Yahya amin. Enfin, sa maladie
s’aggravant, il mourut durant la première décade du mois
derebi’ P”” (25 aoùt-3 septembre 1634). Il fut enterré dans
la mosquée de Mohammed-Naddi. Sur la désignation de l’ar-
mée, les fonctions de pacha furent dévolues à ce moment à
Abderrahman, fils du caïd Ahmed-ben-Sa’doun-Ech-Chiâ-
demi.

Le dimanche, 27 du mois de djomada II de cette même
année (18 décembre 1634), je quittai la ville de Dienné
pour me rendre à Tombouctou, afin de m’occuper de la si-
tuation de mon frère Abdelmoghîts et d’obtenir par mes
instances qu’il revînt habiter à Dienné dans sa maison. La
nouvelle lune du mois de redjeb l’unique (20 décembre

i. F.a maiscn <lu père de l’auteur était à Tombouctou.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÉMK 393

1634) cipparut au moment où nous nous dirigions vers le
lac de Dibo et nous mouillâmes à Kabara dans la soirée
du 2 (22 décembre). Enfin j’entrai dans Tombouctou, ma
ville natale, le dimanche, 5 du mois précité (25 décembre
1634).

.l’y fus bien accueilli et avec de grands égards. Quand je
fus arrivé auprès du pacha et que je l’eus salué, il me sou-
haita la bienvenue, me traita avec distinction et me dit ces
choses aimables au sujet de mon frère : « Il est innocent de
tout ce dont l’ont accusé des délateurs tarés; tout cela n’est
que mensonge et calomnie. » Il m’assura ensuite qu’il lui
rendait toute sa liberté, qu’il l’autorisait, si Dieu voulait, à
retourner chez lui et il ajouta : « Celui qui l’a dénoncé au
pacha So’oud s’était uniquement recommandé de moi et
c’est moi qui lui ai donné l’ordre de quitter Dienné. Ce n’est
donc pas en réalité mon prédécesseur qui lui a infligé cette
disgrâce, mais moi-même. Il serait inique de ma part, à si
peu de distance de sa mort, de dénigrer la mémoire de celui
que j’ai remplacé » (vov). Je le remerciai alors et lui récitai
la fatiha.

Dieu fit que nous découvrîmes le dénonciateur de mon
frère et que nous sûmes qui il était; grâce à la volonté di-
vine, cet homme subit un sort plus cruel que celui qu’il
avait fait infliger à mon frère. Dieu brise l’aiguillon des gens
pervers; louanges lui soient rendues à lui, le Maître des
mondes.

Dans la soirée du lundi, 27 de ce mois (16 janvier 1635),
l’askia Mohammed-Benkan fut révoqué, et le mercredi, der-
nier jour du mois de redjeb Tunique (18 janvier), ‘Ali-Senba
fut nommé askia à sa place.

Après la prière de l’après-midi, le vendredi, 2 du mois
de cha’ban (21 janvier 1635), je quittai Tombouctou pour
retourner à Dienné où, grâce à Dieu, le Maître des mondes,

 

394 HISTOIRE DU SOUDAN

j’arrivai heureux et sain et sauf dans le courant de la deuxième
décade du mois.

Dans la matinée du vendredi, 13 du mois sacré de mo-
harrem, le premier des mois de l’année 1045 (29 juin 1635),
mourut le cheikh, le jurisconsulte, le très docte cadi, Abou’l-
Abbâs-Sidi-Ahmed-ben-Anda-Ag-Mohammed-ben- Ahmed
(Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse profiter de ses bé-
nédictions!); il eut pour successeur dans ses fonctions de
cadi le jurisconsulte, le cadi Mohammed, fils du juriscon-
sulte, de l’imam, Mohammed-ben-Mohammed-Koraï.

Au cours de la première décade du mois de safar de cette
année (17-26 juillet 1635), mourut le pacha Abderrahman;
il fut enterré dans le cimetière de la grande-mosquée. Il
avait exercé ses fonctions durant onze mois. Il fut remplacé
à cette même date, par le pacha Sa ïd-ben-‘Ali-El-Mah-
moudi. Celui-ci révoqua l’askia ‘Ali-Senba, qui avait con-
servé ses fonctions pendant cinq mois et quelques jours, et
replaça Mohammed-Benkan dans le poste d’askia.

Ce fut sous le gouvernement de ce pacha que vint à Tom-
bouctou Tira-Afarma-Isma’ïl, le frère de l’Askia-Daoud,
fils de Askia-Mohammed-Bâno, fils de Askia-Daoud. Crai-
gnant que son frère ne le tuât, il était venu demander au
pacha Sa’id de lui fournir un corps de troupes afin de dé-
trôner son frère et de prendre sa place. Comme Askia-Mo-
hammcd-Benkan, à titre de conseil, l’engageait à n’en rien
faire. Tira ne voulut rien entendre et, plein de colère, il as-
sura qu’on lui avait dit qu’il n’y avait d’autre personne l’ayant
desservi auprès des gens du Makhzen que Taskia Moham-
med lui-même. En entendant ces paroles, Mohammed-Ben-
kan se décida h l’aider auprès (voa) du pacha Sa’id et réussit
à lui faire obtenir ce qu’il désirait.

En conséquence le pacha écrivit aux gens de Kâgho, leur
donnant l’ordre de fournir à Tira le nombre de soldats né-

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 395

cessaire. Celui-ci se mit alors en route pour le Dendi, en
chassa son frère et prit le pouvoir à sa place. Puis il renvoya
les soldats en les insultant et en se laissant aller dans son
discours à des paroles injurieuses et grossières. Les soldats
conçurent de ce procédé une violente colère qui dura jusqu’à
l’avènement au pouvoir du pacha Mesa’oud.

Le caïd Ahmed-ben-Hammou-ben-‘Ali commença à ce
moment à se livrer à toutes sortes de violences et d’exac-
tions, aussi bien à l’égard des grands que des humbles, qu’ils
fussent négociants, ulémas, faibles on malheureux. Il fit si
bien que tous les négociants quittèrent Dienné et allèrent
s’établir dans la ville de Bînâ. Il me révoqua violemment et
injustement de mes fonctions d’imam, aussi me rendis-je à
Tombouctou. J’y arrivai dans la première décade du mois
de chaouâl de l’année 1046 (26 février-7 mars 1637). Toute
la population, aussi bien les gens du Makhzen que les
autres, me lit un excellent accueil et me prodigua des égards.
Tout le monde fut vivement irrité de la conduite du caïd et
on n’entendait que gens qui le maudissaient et l’invecti-
vaient.

J’allai trouver le jurisconsulte, le cadi Mohammed-ben-
Mohammed-Koraï pour le saluer. Dès qu’il m’aperçut il se
dressa sur son lit, me souhaita la bienvenue, me prit par
la main et me fit asseoir à côté de lui sur son lit. Le pre-
mier, il prit les devants pour me parler des mauvais procé-
dés dont j’avais été l’objet de la part du caïd et il ajouta :
« J’ai appris, en effet, que le caïd Ahmed est devenu un
fourbe, un délateur et un envieux. » Ensuite il déplora que
ces trois défauts fussent réunis chez un même gouverneur
et il maudit ce personnage en demandant à Dieu de lui faire
subir sa volonté inéluctable.

Les gens de Tombouctou insistèrent auprès de moi afin
que je reprisse les fonctions d’imam, mais je refusai tout

 

396 HISTOIRE DU SOUDAN

d’abord. Parmi ceux qui insistèrent figuraient mon ho-
norable ami le chérif Faïz* et le conseiller Mesa*oud-ben-
Mansour-Ez-Za’eri qui jouissait de la plus grande autorité à
ce moment. Enfin je cédai à la suite d’une lettre que le pacha
Sa’id-ben-Ali-El-Mahmoudi écrivit à ce dernier à mon sujet
(Louanges soient rendues à celui qui a le pouvoir et la vo-
lonté suprêmes!) et j’ai conservé cette lettre par-devers moi.

Le pacha avait reçu des plaintes contre le caïd, disant que
celui-ci était un des perturbateurs de ce monde qui ne sau-
raient s’amender. Ces plaintes, fort nombreuses, émanaient
des négociants delà ville, des gens notables desOuled-Sâlem
et autres (tô^). II révoqua donc le caïd, le samedi, 16 du
mois sacré de dzou’l-qa’da de l’année qui vient d’être dite
{\\ avril 1637). Ce caïd était resté en fonctions quatre ans
et six mois. Ordre fut alors expédié au lieutenant-général
Mohammed-ben-El-Hasen-Et-Târezi qui était à Dienné de se
rendre à Tombouctou et, quand il y fut arrivé, le pacha
Sa’ïd le nomma caïd de Dienné au cours de la première dé-
cade du mois sacré de dzou’l-hiddja, le dernier des mois de
l’année 1046 (16-25 mai 1637), et, pendant la première
décade du mois sacré de moharrem, le premier des mois
de l’année 1047 (26 mai-4 juin 1637), Et-Tàrezi se rendit à
Dienné en qualité de caïd.

Le mercredi, 2! du mois de djomada II de cette année
(22 octobre 1637), le pacha Sa’ïd fut déposé et les troupes
s’accordèrent pour le remplacer par Mesa’oud-ben-Mansour-
Ez-Za”eri. L’ex-pacha avait conservé l’autorité pendant deux
ans et cinq mois. Ce fut au mois de dzou’l-qa’ada de cette
année que mon frère Abdelmoghîts, rendu à la liberté,
rentra dans sa maison à Dienné.

Le 4 du mois sacré de dzou’l-hiddja terminant Tannée
1047 (19 avril 1638), je quittai Dienné et partis en voyage
i. Le texte imprimé porte : Faïn; la leçon Faïz paraît plus vraisemblable.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 397

pour Tombouctou. J’étais dans la ville de Kouna le jour de
la fête des Sacrifices (25 avril) et j’arrivai dans ma ville na-
tale, le but de mon excursion, dans la dernière décade du
mois (5-14 mai 1638); je m’y trouvai au moment où com-
mença le mois de moharrem, le premier des mois de l’année
1048 (15 mai-14 juin 1638). Mes affaires terminées, je
quittai Tombouctou dans la dernière décade du mois de
rebi’ V (2-i\ août 1638) et rentrai à Dienné où j’arrivai
dans la première décade du mois de rebi’ II (12-21 août
1628).

Au mois de djomada II (10 octobre-8 novembre 1638),
si je ne me trompe, le pacha Sa’ïd mourut, empoisonné’ à ce
que l’on prétend. Au mois de cha’bân (8 décembre 1638-
6 janvier 1 639), le caïd Mohammed- Et- Târezi fut révoqué de
ses fonctions de caïd qu’il avait occupées une année et huit
mois. Son successeur fut ‘Ali-ben-Rahmoun-El-Monebbehi.
Ce nouveau caïd arriva dans la ville de Dienné au cours de
la dernière décade de ramadan (26 janvier-4 février 1639). Il
nomma Kalacha’ Abderrahraan, fils {^^^) du Kalacha’ Bokar,
à la place de son oncle paternel défunt, mon confrère et
obligeant ami, le Kalacha’Mohammed-Acira^ qui était mort
(Dieu lui fasse miséricorde !) dans la nuit du mercredi 14 de
ce même mois de ramadan (19 janvier 1639).

Selon l’usage, le caïd envoya des messagers porter au
nouveau Kalacha’ ses insignes et en même temps il m’expé-
dia quelqu’un à Bînà pour me demander d’accompagner les
messagers auprès du Kalacha’, de façon à arranger les
choses avec eux dans les meilleures conditions^ J’assistai
donc à l’entrevue et réglai tout de la manière la plus avan-

 

1. Le mot du texte implique que le poison avait été mêlé à des aliments.

2. Ou : Asina.

3. Il s’agissait de régler les cadeaux à faire aux messagers qui apportaient les
insignes.

 

398 HISTOIRE DU SOUDAN

tageuse pour chacun d’eux, puis prenant les devants, je me
rendis à Dienné dans la première décade du mois de chaouâl
(5-14 février 1633). Là, je racontais au caïd ce qui s’était
passé et il en fut extrêmement joyeux. Il me donna alors
un coupon de khomâchi* en m’enjoignant d’en faire des
vêtements pour mes enfants.

Ce fut au cours de ce mois que commencèrent à Dienné
une série de calamités ; il y eut une disette excessive telle
qu’on n*en avait jamais vu de semblables. Cette disette, allant
sans cesse croissant, se répandit par toutes les provinces et
toutes les contrées. Elle atteignit une intensité si grande
qu’une femme mangea son propre enfant. Dieu seul sait le
nombre de gens qui périrent de faim. On était tellement
épuisé et sans forces qu’on ne s’occupait plus de rendre les
derniers devoirs aux morts, si bien que là oii un homme
mourait on l’enterrait, que ce fût dans une maison ou dans
la rue, sans laver le corps ni prononcer aucune prière. Cela
dura environ trois ans, puis, grâces en soient rendues au
Maître des mondes, la disette cessa.

Le caïd ‘Ali-ben-Rahmoun renvoya au pacha Mesa’oud
les messagers de celui-ci qui l’avaient accompagné à Dienné,
et, sur l’ordre du pacha, il leur confia le soin d’emmener le
caïd Mohammed-Et-Târezi. Aussitôt qu’ils eurent quitté la
ville, les messagers enchaînèrent le caïd Mohammed, et c’est
dans cet état qu’ils l’amenèrent dans la salle du conseil du
palais du gouvernement, ainsi que le pacha leur en avait
donné l’ordre. Le caïd ordonna de conduire le prisonnier
dans la ville de Okondo^ qui servait de lieu d’exécution pour
ceux qui avaient encouru sa colère. Mohammed-Et-Târezi fut
tué eu cet endroit et son corps jeté dans le Fleuve. Ceci se

 

1. Les dictionnaires ne donnent aucun renseignement sur celle étoffe.

2. Ou : Okonda.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 399

passait dans la dernière décade du mois sacré de dzou-
‘1-hiddja, terminant l’année 1048 (24 avril-3 mai 1639).

Dans ce même mois* fut révoqué l’amin, le caïd Ahmed-
ben-Yahya. Il fut jeté dans le Fleuve à un endroit appelé
Bourobindi^ et mourut ainsi trois jours après sa révocation.
Il avait occupé les fonctions de caïd cinq ans moins vingt
jours. Il fut remplacé comme caïd, le dimanche 27 du mois
précité (1*”^ mai 1639) par l’amin, le caïd Belqâcem (t”>)-
ben-‘Ali-ben-Ahmed-Et-Temli .

Au cours de la première décade du mois de safar de
l’année 1049(3 juin-2 juillet 1639), mourut, à Tombouctou,
le caïd Mellouk-ben-Zergoun; il fut enterré dans le cime-
tière de la grande-mosquée.

Le mardi, dans la nuit, le 6 du même mois (8 juin 1639),
mourut le caïd Ahmed, fds du caïd Hammou-ben-‘AU; sur
l’ordre du pacha, il avait été jeté dans le Fleuve près du
village de Kouna et était mort ainsi^ Auparavant le pacha
avait pillé sa maison et l’avait mis en prison pendant long-
temps dans la ville de Kobbi.

Le lundi, 12 du même mois (14 juin), le pacha partit à la
tête d’une colonne pour aller dans le Dendi combattre
l’askia Isma’îl,fils de l’askia Mohammed-Bâno,fils du prince
Askia-Daoud. Cette expédition était motivée par les actes
inquahfiables dont l’askia s’était rendu coupable à l’égard
des soldats, lorsque ceux-ci étaient venus l’aider à chasser
son frère, ainsi que nous l’avons déjà raconté, et aussi par
les paroles grossières dont il s’était servi spécialement en
parlant du pacha Mesa’oud.

1. Ou : « dans cette même année », le pronom employé pouvant se rapporter
également au nom du mois ou à celui de l’année.

2. Ou : Bourabendi.

3. Il y avait sans doute là des rapides ainsi qu’à Okondo dont il a été ques-
tion ci-dessus et le supplice consistait à jeter le patient dans le Fleuve en cet
endroit.

 

400 HISTOIRE DU SOUDAN

Le pacha ne fit point connaître aux troupes le but de son
expédition avant d’être arrivé à la ville de Benba ; là seule-
ment il les mit au courant de son projet. On s’attarda pen-
dant dix jours à Benba pour y radouber les embarcations,
puis on se rendit à Kâglio où on resta encore dix jours avant
de gagner Koukiya où on se trouva pour célébrer la fête de
la Nativité (12 juillet). Enfin on se mit en route pour Lou-
làmi, la ville de l’askia. Aussitôt arrivées devant cette ville,
les troupes engagèrent le combat avec l’askia qui s’enfuit en
complète déroute avec toute son armée qui se dispersa de
tous côtés.

Le pacha s’établit dans la ville avec tous ses soldats ayant
avec lui l’askia Mohammod-Benkan, homme habile et de
bon conseil. Il manda aux gens du Songhaï qui se trouvaient
à proximité de revenir, qu’il leur accordait l’aman, fis vin-
rent et firent leur soumission. Le pacha leur donna pour
chef Mohammed-ben-Anas, fils du prince Askia-Daoud,avec
le titre de askia. Puis il s’empara de tous les biens du
fuyard Isma ïl, de ses femmes et de ses enfants qui for-
maient une troupe nombreuse. Cela fait, il se remit en
route avec son armée pour rentrer à Tombouctou. Mais à
peine le pacha fut-il parti, que les gens du Songhaï rentrèrent
dans leur ville, déposèrent Mohammed-ould-Anas dont il
vient d’être parlé et confièrent l’autorité a Daoud-ben-
Mohammed-Sorko’-Adji, fils du prince Askia-Daoud (wv).

Le pacha Mesa’oud n’arriva au port de Koronzofiya que le
mardi, dernier jour du mois de redjeb l’unique (26 décembre
1639); la nouvelle lune du mois de cha’ban eut lieu un
mardi. Il entra à Tombouctou le jeudi, 2 de ce mois (28 no
vembre au moment de la grande disette qui continua à aug-
menter d’intensité au point d’arriver à la plus extrême limite

1. Ou : Soroko.

 

CHAPIÏKE TRENTE-CINQUIÈME 401

et de défier toute description. 11 partagea les enfants de
Isma’ïl entre les divers chefs du Soudan afin de les empêcher
de lui nuire*; il en donna au Bara-Koï, au Dirma-Koï, au
Djinni-Koï et à ses grands personnages, Chima, Tâkoro,
Selti-Ouri, etc.

Le caïd ‘Ah-hen-Rahmoun n’avait pu payer les appointe-
ments ni fournir les rations^ à cause de la détresse qui s’était
répandue parmi les populations dans toutes les provinces;
il avait même dû cesser de réprimer les crimes, cela ne ser-
vant plus à rien. Alors le pacha Mesa’oud, au cours de la
première décade du mois sacré de moharrem commençant
l’année 1051 (12-21 avril 1641), révoqua ce caïd qui était
resté en fonctions deux ans, trois mois et quelques jours. Il
le remplaça par le hàkem Abdelkerim-hen-El-‘Obéïd-ben-
Hammou-Ed-Derâ”i. Ce dernier conserva ses fonctions pen-
dant un an et dix mois, mais sans aboutir non plus à aucun
résultat.

Dans la nuit du samedi, 20 du mois de ramadan de l’année
1052 (12 décembre 1642), mourut l’obligeant ami et l’homme
de bon conseil, l’askia Mohammed-Bonkau, fils du Balama
Mohammed-Es-Sâdeq, fils du prince Askia-Daoud (Dieu lui
fasse miséricorde , lui soit indulgent et lui fasse grâce de ses
fautes!)- Il avait occupé le poste d’askia pendant vingt et un
an et neuf mois, en y comprenant cinq mois pendant lesquels
il fut remplacé par l’askia ‘Ali-Senba. Il eut pour successeur
dans sa charge son fils El-Hàdj-Mohammed, qui était alors
Binka-Farma. Aucun autre Binka-Farma avant lui n’avait été
élevé à la dignité d’askia ‘ depuis l’établissement de la dynastie

1. Le sens de ce dernier membre de phrase esl peu clair dans le texte. S’agit-il
d’empêcher les chefs ou bien les enfants de Isma’ïl de nuire? Rien ne le précise.

2. Il s’agit des appointements et des rations dus aux soldats et officiers ma-
locains.

3. Hiérarchiquement il y avait un très grand écart entre ces deux fonctions
de Binka-Farma el d’Askia.

{Histoire du Sjudan.) 26

 

402 HISTOIRE DU SOUDAN

songhaïe. Encore aujourd’hui c’est El-Hàdj-Mohammed, fils
de l’askia Mohammed-Benkan, qui est askia.

Dans la deuxième décade du mois sacré de dzou’l-qa’ada
de cette année (30 janvier-8 février 1643), le hâkera Abdcl-
kerim fut révoqué de ses fonctions de caïd de Dienné, et il
fut remplacé par Abdallah (v”Vf), fils du pacha Ahmed-ben-
Yousef. Ce dernier entra dans la ville de Dienné dans la
matinée du vendredi,? du mois sacré de dzou’l-hiddja, ter-
minant Tannée précitée (26 février 1643).

Le dimanche, 9 du même mois (28 févriei’), le jour de
Arafa*, les gens de Dienné commencèrent à se soulever contre
le pacha Mesa’oud. Ils mirent la main sur tous les biens que
le pacha avait dans leur ville et s’en servirent pour payer des
appointements et distribuer des vivres. Puis ils mirent en
prison les messagers du pacha qui se trouvaient là à ce mo-
ment et fermèrent la route de Tombouctou, empêchant toutes
les personnes qui le désiraient d’accomplir ce voyage.
Enfin le dimanche, 15 du mois sacré de moharrem, com-
mençant l’année 1053 (5 avril 1643), ils dépêchèrent deux
embarcations avec mission de faire connaître leur situation
exacte aux gens de Tombouctou, espérant qu’ils se révolte-
raient comme ils venaient de le faire eux-mêmes.

Aussitôt que le pacha eut connaissance de cette nouvelle,
il songea aux moyens d’envoyer une armée contre les re-
belles et il décida de se mettre en route le lundi, l*”” du mois
de safar l’excellent (21 avril 1643). A ce moment, les gens
de Tombouctou se soulevèrent. Une partie d’entre eux se
détachant des autres se rendit auprès du caïd Mohammed-
ben-Mohamm ed-ben-‘Otsmân et alla le trouver dans sa
maison.

 

1. C’est pour mieux préciser Ja date que l’on ajoute, quand les circonstances
s’y prêtent, l’indication d’une des cérémonies du pèlerinage à La Mec(iue ou d’une
fête religieuse.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 403

A cette nouvelle, le pacha prit les armes à la tête d’une
partie de ses soldats, la plupart d’entre eux le suivant
sans la moindre conviction, et, arrivé à la maison du caïd
Mohammed, il brusqua l’attaque. Les révoltés firent face
à cette attaque, mirent le pacha en déroute, et le poursuivi-
rent jusqu’à la porte de la casbah, où un autre combat s’en-
gagea, dans lequel périrent tous ceux dont Dieu avait dé-
cidé la fin. Puis, ayant fait rentrer tous ceux qui étaient
avec lui dans la casbah, le pacha en ferma les portes, se met-
tant ainsi à l’abri des assaillants.

Le caïd Mohammed et tous ses partisans se rendirent alors
au port où ils passèrent la nuit; ils s’emparèrent de toutes
les embarcations qu’ils trouvèrent en cet endroit et les gar-
dèrent. Nombre de gens de la casbah vinrent les rejoindre là
pendant la nuit après s’être échappés en passant par-dessus
les murs de cette citadelle. Voyant cela, le pacha envoya aux
révoltés des chérifs pour tenter une réconciliation, mais ils
éprouvèrent un refus. Alors le pacha, à la tête d’un déta-
chement de cavalerie, quitta la casbah, se dirigeant du côté
de l’ouest, espérant pouvoir s’enfuir. Mais, après avoir passé
toute une nuit dans la forêt sans réussir à trouver un moyen
de s’échapper, il rentra dans la ville’, se résignant à subir le
destin prévu et décidé par Dieu. Ses jours (r”it), en effet,
étaient comptés, et son pouvoir allait cesser et disparaître à
tout jamais. Craignant de s’attirer un châtiment, les soldats
restés dans la casbah arrêtèrent le pacha et l’emprisonnèrent ;
puis ils firent part de cette nouvelle à leurs camarades qui
étaient au port.

Ceci se passait durant la première décade du mois de safar
de cette année (21-30 avril 1643); les troupes décidèrent
alors de donner le pouvoir au pacha Mohammed-ben-Moham-
med-ben-‘Otsmàn et lui prêtèrent serment de fidélité. Puis

1, Le Icxle dit la ville; il semble plutôt que c’était la casbali qu’il fallait dire.

 

404 HISTOIRE DU SOUDAN

on quitta le port pour rentrer à Tombouctou ; on fouilla le
palais du sultan, mais on n’y trouva d’autres richesses que
la valeur de 400 mitsqâl en bijoux. On interrogea l’ancien
pacha dans sa prison pour savoir où étaient ses richesses.
Tout d’abord il ne voulut rien avouer; enfin comme on in-
sistait en le pressant de questions, il jura que, s’il était resté
en fonctions jusqu’à la fin du mois, son indigence aurait été
rendue publique et que tous, grands et petits, auraient pu
connaître sa détresse.

L’ancien pacha demanda grâce pour sa vie à son succes-
seur Mohammed. Celui-ci lui répondit qu’il lui accordait la
vie sauve et qu’il n’imiterait pas son exemple en manquant
à sa promesse et en agissant avec traîtrise. Puis il l’expédia
chargé de chaînes au gouverneur de Kirao en lui enjoignant
de le garder prisonnier dans cette ville. Mesa’oud resta ainsi
jusqu’à sa mort qui eut lieu sous le gouvernement de Hay-
youni. 11 avait exercé ses fonctions pendant cinq ans, huit
mois et quelques jours.

Le lundi, 22 de ce mois de safar (12 mai 1643), je partis
de la ville de Ouanzagha, afin de me rendre au Massina
pour présenter mes compliments de condoléances à la fa-
mille de mon ami le jurisconsulte Mohammed-Senba, qui
venait malheureusement de mourir, et aussi du sultan, le
Fondoko Hammedi-Amina qui venait d’avoir la douleur de
perdre son frère Selâma’. J’arrivai à la demeure du sultan
dans la soirée du mardi, dernier jour du mois ci-dessus in-
diqué [19 mai). Je présentai mes hommages au sultan et
lui adressai tous mes vœux. J’étais donc chez lui lorsque
apparut la nouvelle lune du mois de rebi’ P*” (19 mai). Cette
nuit-là il m’annonça qu’il venait d’apprendre à l’instant
qu’il allait être attaqué par le pacha et que les troupes de ce
dernier étaient arrivées à la ville de Chîba.

A cause de cette rencontre, je lui fis mes adieux cette

 

CHAPITRK TRENTE- CINQUIÈME 405

même nuit (vne) ot lui annonçai que je me rendais à l’ha-
bitation de mon confrère* défunt pour faire à sa famille mes
compliments de condoléances. Il me demanda alors de dire
à son frère ^ le cadi VVli-Siri de se rendre auprès de lui à
cause de cette nouvelle qu’il venait de recevoir. Je le quittai
de bon matin et arrivai dans la soirée du mercredi auprès de
mes amis auxquels j’adressai mes condoléances; puis, après
avoir fait parvenir le message du prince au cadi, je passai
cette nuit du mercredi chez mes amis. Le lendemain de
bonne heure, je quittai mes amis, me dirigeant vers Youar^
Je passai la nuit dans les habitations des Senhadjiens faisant
pnrtie de la population du Massina, après avoir passé par la
ville de Kankora où j’avais quelques affaires à régler.

Le lendemain, après avoir fait la prière du matin, je quittai
le campement des Senhadjiens, me dirigeant vers l’habitation
de mon confrère, le jurisconsulte Bou-Beker-Moudi, qui se
trouvait près de la montagne de Soroba dans le pays du lac
de Debo au moment de la baisse des eaux. Au milieu de la
matinée, je rencontrai des gens qui fuyaient, emmenant leurs
troupeaux de vaches, errant de droite et de gauche à travers
les prairies et tout cela à cause de la nouvelle de l’expédi-
tion. A midi j’arrivai chez mon ami et lui annonçai la nou-
velle. Aussitôt il expédia un éclaireur qui revint pendant que
nous faisions la prière du coucher du soleil et nous confirma
la nouvelle, ajoutant qu’il avait appris que c’était l’askia
qui faisait cette expédition.

Immédiatement, tout le monde prit la fuite, emmenant
femmes, enfants et troupeaux, et abandonnant les tentes
toutes dressées avec leurs meubles et ustensiles. Partout,
dans cette contrée, les gens s’enfuirent, se dispersant de di-

1. On « ami »; le texte se sert du mot « frère ».

2. Ici encore le mot « frère » est sans doute mis pour « confrère du défunt ».

3. On : « Youaro ».

 

406 HISTOIRE DU SOUDAN

vors côtés, ploins de crainte et d’etTroi. On n’entendait que
des pleurs et des cris; personne n’attendait son voisin et
chacun partait sans se soucier des autres. Toute la nuit se
passa ainsi, et ce ne fut que le lendemain au milieu de la
matinée qu’on s’arrêta un peu. Puis, l’excès de la frayeur
troublant tous les esprits, on se remit à fuir de nouveau.
Nombre de personnes périrent de soif ce jour-là.

Je fis route avec eux jusqu’au moment où nous nous trou-
vâmes en face de la ville de Ka’ya^ Là, je me séparai d’eux
et allai dans la ville où j’attendis pour avoir des renseigne-
ments précis. J’appris alors que l’expédition était dirigée
contre le Fondoko’Otsmàn, roi de Dendi% par le pacha. Ce
Fondoko avait encouru la colère du pacha; il s’était enfui
et on l’avait poursuivi jusqu’au moment où il était entré sur
le territoire de Massina (t’\”i). L’expédition, après avoir
atteint Ankabo, était rentrée à Tombouctou. Contrairement
à ce que l’on croyait, l’askia ne se trouvait point dans cette
expédition.

De Ka’ya, je montai dans une embarcation, afin de me
rendre auprès de mon ami Mensa-Mohammed, fils de Mensa-
‘Ali, sultan de Farko^ Il m’avait envoyé dire de venir avec
une embarcation pour emporter des grains quand il avait
appris que j’étais sur le point de me rendre à Tombouctou.
Je quittai donc Ka’ya le samedi, 15 du mois de djomada I”‘
(1″ août 1643), et, le mercredi 26 du même mois (12 août),
vers midi, j’arrivai dans la ville de Koukiri où je m’arrêtai
pendant trois jours, le jeudi, le vendredi et le samedi, chez
le sultan de cette ville, Maïri. J’en repartis ensuite le samedi
pour me rendre auprès du Farko-Koï. La nouvelle lune du
mois de djomada II (16 août) apparut le samedi dans la nuit

1. Ou : « Ka’anya ».

2. Le ms. C donne : « Donko ».

3. C’est la leçon du ms. (*.; les autres ms. ont : « Fadoko >- qui est dans le
texte imprimé.

 

CHAPITRK Tr.ENTE-CINQUIRME 407

ail moment où j’étais dans le village de Fonlaona. Enfki,
dans la matinée du mercredi, 4 du mois (20 août), j’atteignis
la ville de Komino, qui est le port de Farko. Je débarquai là
et fis prévenir le prince de mon arrivée. Dans la soirée de
ce jour, il vint lui-même à ma rencontre, malgré la pluie ;
il était à cheval, entouré de sa suite, de ses serviteurs et de
ses frères. 11 me souhaita la bienvenue et me traita avec
les plus grands égards.

Dans la nuit du dimanche, le 15 de ce mois (31 août
1643), après le second acha, une de mes femmes, Tinen,
mit au monde, dans cette ville, une fille, que je nommai
Zeïneb. La moisson, à ce moment, n’était pas encore com-
mencée, mais le temps en était proche. Cette circonstance
fit que je restais quelque temps en cet endroit.

Dans la matinée du vendredi, 1 1 du mois de redjeb l’uni-
que (25 septembre 1613), je quittai cette ville pour aller
dans celle de Chibla rendre visite à son sultan le Sana-Koï
‘Otsmân et au jurisconsulte Abou-Bekr, connu sous le
nom de Mouri-Kîba. Je les joignis vers midi ; ils me souhai-
tèrent la bienvenue et m’accueillirent avec la plus grande
distinction. Le jurisconsulte Aboii-Bekr-Sa’antara me donna
un vêtement et le Sana-Koï me fit cadeau d’une esclave
femme. Le lundi, 21 du mois(5 octobre 1643), je retournai
à Komino.

Le jeudi, 28 du mois de cha’bân (11 novembre 1643), je
revins auprès du jurisconsulte dont je viens de parler.
C’était pour lui faire une lecture complète de la Chifa chez
lui. Je me trouvai donc là quand la lune du ramadan appa-
rut un jeudi soir. Nous commençâmes notre lecture avec
l’aide de Dieu et selon sa (riv) volonté ; à la fin du mois, la
lecture était achevée. Il me traita du mieux qu’il put (que
Dieu lui en sache gré!). Ensuite il me demanda d’expliquer
le même ouvrage à ses enfants; je me mis aussitôt à l’œuvre

 

408 HISTOIRE DU SOUDAN

et arrivai au bout grâce à la faveur de Dieu et à son bieu-
veillant secours.

Cet excellent et obligeant ami, le jurisconsulte dont je
viens de parler, mourut dans la soirée du lundi, 6 du mois
sacré de dzou’l-biddja qui termina l’année 1053 (15 février
1644). Je lavai son corps et récitai sur lui les dernières
prières. Aussitôt ces prières terminées, et avant que l’inhuma-
tion eût eu lieu, les enfants du défunt me firent cadeau de
deux esclaves et d’un turban de mousseline, le tout en guise
de récompense^ au nom du défunt. De son côté le sultan Ots-
mânfit au même titre don d’un esclave à tous les thalebs qui
assistèrent à la prière dernière. Telle est la coutume chez
eux au sujet des morts. Nous enterrâmes notre ami la nuit
même (Dieu lui pardonne, lui fasse miséricorde et lui soit
indulgent dans sa grâce et sabonté !).

Avant de mourir le défunt m’avait donné sa fille Halima,
pour que je l’épousasse; mais Dieu décida que le mariage
n’aurait lieu qu’après la mort du père. Le contrat ne fut, en
effet, dressé que dans la nuit du dimanche, le 11 du mois
sacré de moharrem, le premier des mois de l’année 1054
(20 mars 1644) et la consommation du mariage eut lieu le
jeudi soir, 15 du même mois (24 mars). Le sultan m’or-
donna de fixer ma résidence auprès de lui; il insista sur ce
point avec une vive insistance et annonça à tous les gens
que la chose serait ainsi; mais en mon for intérieur je n’y
consentis pas.

Dans la matinée du vendredi, 28 du mois de safar (6 mai
1641), arriva chez nous l’envoyé du pacha Mohammed-ben-
Mohammed-ben-‘Otsmân et de l’askia El-Hàdj-Mohammed;
il apportait une lettre de chacun de ces personnages pour
le Farko-Koï et pour le Sana-Koï. Le pacha et l’askia
annonçaient qu’ils avaient décidé de partir avec l’armée

1. Mot h. mot : a d’aumône ».

 

CHAPITRE TRENTK-CINQUIÈME 409

poiiraller combattre l’homme d<^ la rébellion et de la sédition,
le fauteur d’iniquités et de troubles, le tyran Ilammedi-Amina,
le seigneur du Massina. Lorsque, ajoutaient-ils, grâce à la
volonté et à la puissance de Dieu, le rebelle sera mis en dé-
route et s’enfuira, il ne pourra passer ailleurs que par chez
vous. Vous devriez donc tuer le fugitif et vous emparer de
tous ses biens dont Dieu vous assurera la possession tran-
quille. Semblable lettre fut adressée au Koukiri’-Koï Maïri
et au Yâro-Koï Bokar.

Le Farko-Koï garda la lettre de ce dernier par-devers lui
sans la montrer (ytv), mais il envoya la sienne à Maïri et la
lui fit porter par un des serviteurs de l’askia. Les messagers
qui avaient apporté les lettres rapportèrent la réponse : elle
disait que tous étaient aux ordres du pacha et de l’askia et que,
dès qu’ils apprendraient l’arrivée de ces derniers sur le ter-
ritoire du Massina, ils ne manqueraient pas d’aller les y trou-
ver pour les saluer et leur rendre hommage. C’était moi-
même qui avais rédigé cette réponse et j’y avais joint mes
salutations personnelles, ajoutant que, si le généreux dispen-
sateur de toutes chosesle permettait, je me joindrai à ces deux
personnages pour les accompagner dans leur démarche.
J’avais si bien enjolivé la chose qu’ils l’acceptèrent de très
bonne grâce. Puis ils se mirent à prendre leurs dispositions
et à faire leurs préparatifs.

Le lundi, 2 du mois de rebi’ V (9 mai 1644), je sortis de
Chibla pour aller au marché de Sana-Madoko ; le soir même
j’étais de retour à Chibla.

Le jeudi, 12 de ce mois (19 mai), le pacha et l’askia sor-
tirent de Tombouctou à la tête de l’armée pour se rendre au
Massina. Le pacha avait écrit aux gens de Dienné pour que
les deux lieutenants-généraux et le Djinni-Koï vinssent le

1. Ms. C : <( Kankora-Koï ».

 

410 HISTOIUE DU SOUDAN

rejoindre en conrs de route et le rendez-vous fut fixé à ‘An-
kabo. Cet ordre fut exécuté; le lieutenant-général Moham-
med-ben-Rouh, le lieutenant-général Mohammed-ben-Ibra-
him-Ghimirro * et le Djinni-Koï Isma’ïl furent exacts au
rendez-vous.

On pénétra ensuite dans le Massina oii Hammedi-Amina
s’était préparé à la lutte. Le combat s’engagea vers midi, le
dimanche, 13 du mois ci-dessus indiqué (30 mai) ; la
mêlée était terrible et acharnée quand la pluie survenant à
ce moment sépara les combattants. Hammedi-Amina rem-
porta ce jour-là un grand succès ; sur son ordre, un déta-
chement de ses troupes s’était porté sur les derrières de
l’ennemi et avait fait un grand carnage des soldats qui veil-
laient sur le trésor avec les valets et tous les gens de service.
Ils profitèrent ensuite de ce que la masse était occupée au
combat sur le champ de bataille pour piller les vivres et les
bagages, causant ainsi de grands dégâts.

Quand la chute de la pluie eut séparé les combattants, les
deux armées passèrent la nuit l’une en face de l’autre. Puis
le matin (Y’^^) la lutte recommença. Dieu alors assura le
succès des troupes du pacha qui défirent l’armée du Massina
dans la matinée du lundi, 14 du mois (21 mai), la mirent
en déroute avec la permission de Dieu et lui tuèrent un
grand nombre d’hommes.

Haramedi-Fâtima,le fils du Fondoko Ibrahim, envoya alors
demander au pacha Mohammed de lui accorder un sauf-con-
duit pour se rendre auprès de lui et faire sa soumission. Le
pacha accéda à cette demande et quand Hammedi-Fâtimafut
arrivé auprès de lui il le nomma Fondoko; puis il se remit en
marche à la tête de ses troupes pour atteindre Hammedi-
Amina n’importe où Userait. Il réussit à le surprendre àl’im-
proviste dans son camp et l’attaqua vigoureusement. L’armée

1 . Ou : « Chimorro ».

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 411

de Hammedi-Amina, mise en déroute, abandonna ses trou-
peaux et ses tentes, s’éparpilla de tous côtés et fut entière-
ment dispersée.

Les soldats du pacha firent un immense butin et on rendit
à Hammedi-Fàtima toutes les personnes de sa famille qu’il
réclama. Les païens du Bambara s’emparèrent de tout ce
qui passa sur leur territoire, personnes et biens, Dieu leur
ayant ainsi permis de se venger de l’oppression des gens de
Massina, de leur arrogance, de leur tyrannie qui avaient
semé le trouble dans le pays en tous lieux et dans toutes
les directions. Ah! que de créatures de Dieu pauvres et
malheureuses avaient péri sous les coups des gens du Mas-
sina! Que de richesses ceux-ci avaient prises violemment et
injustement!

Le mardi, 7 du mois de djomada I””” (12 juillet 164i), le
Sana-Koï Otsmun et le Farko-Koï Mohammed quittèrent la
ville de Nàkira avec treize petites barques afin d’aller, con-
formément à leur promesse, rendre visite au pacha Moham-
med et à l’askia. Je pris passage en même temps qu’eux sur
une de ces barques et nous entrâmes dans le fleuve de Zàgha ‘ .
Là nous rencontrâmes Hammedi-Amina qui se trouvait dans
la ville de Kikin. 11 eut une longue conversation avec le Sana-
Koï et le Farka-Koï à qui il demanda pourquoi ils allaient
ainsi au camp du paclia. Ceux-ci lui répondirent : « Nous
allons faire une visite au pacha et essayer d’obtenir qu’il
fasse la paix avec toi. — Nous sommes, vous et moi,
répondit Hammedi,en bons rapports de voisinage depuis de
longues années, de père en fils. Si vous voulez être fidèles
aux liens de cette tradition, retournez immédiatement dans
votre pays. Ceux que vous allez voir sont des sultans; or
quiconque fait une démarche auprès d’un sultan cesse par

1. Cela veut sans doute dire le fleuve qui passe à Zâgha, qu’il porte ce nom
ou un autre.

 

412 HISTOIRE DU SOUDAN

cela même d’être indépendant et de jonir de sa liberté d’ac-
tion. Au cas où le pacha et l’askia vous donneraient l’ordre
de faire une expédition contre moi, vous ne pourriez plus
faire autrement que d’exécuter sa décision, que cela vous
plaise (rv«) ou vous répugne. — Tout s’arrangera, si Dieu
veut, répliquèrent ses interlocuteurs, et maintenant que
nous sommes venus jusqu’ici, il faut absolument que nous
fassions notre visite. »

Hammedi-Amina prit alors congé du Sana-Koï et du
Farko-Koï et les invita à attendre en arrière du fleuve de Ka-
lenka* qu’il leur envoyât des vaches pour la difa, ce qu’il
fit en efl’et. Comme on s’était remis en route, je dis au
Sana-Koï et au Farko-Koï en manière de conseil : « Dès
que vous aurez rejoint le pacha et l’askia il faudra lui ra-
conter tout ce qui vient de se passer entre vous et Hammedi-
Amina, ce sera le moyen de montrer que votre soumission
est sincère. » Ils acceptèrent mon conseil et le suivirent.

Le lundi, 13 du mois précité (18 juillet 1644), nous arri-
vâmes à la ville de Keren où nous trouvâmes le Djinni-Koï
Isma’ïl, le lieutenant-général Mohammed-ben-Rouh, le lieu-
tenant-général Mohamm.ed-Chimirro, le Fondoko Hammedi-
Amina et les lieutenants-généraux révoqués de Tombouctou
qui étaient en campagne contre Hammedi-Amina. Ils furent
heureux de voir le Sana-Koï et le Farko-Koï, les traitèrent
avec égards et leur rendirent les plus grands honneurs.
Le Farko-Koï raconta aussitôt ce qui venait de se passer avec
Hammedi-Amina au cours de leur voyage. « C’est précisé-
ment contre lui que notre expédition est dirigée, lui répon-
dit-on. — Eh! bien,répliqua-t-il, Dieu bénisse vos armes et
vous aide! nous sommes avec vous pour tout ce que vous
souhaitez et désirez. »

1. Ou : Kalinko.

 

CHAPITRt; TRENTE-CINQUIÈME 413

Le lieutenant-général Mohammed-ben-Roiih, en son nom
et en celui de tous les lieutenants-généraux, écrivit aussitôt
au pacha pour l’informer de la venue parmi eux à Keren,
des gens de Kala, ajoutant qu’il était très heureux de la
façon dont les choses s’étaient passées en cette circonstance .
11 demanda en outre qu’on lui envoyât un renJbrt d’hommes,
principalement des soldats d’infanterie. C’est moi qui rédi-
geai cette lettre adressée au pacha.

Quant à la cavalerie que le Sana-Koï et le Farko-Koï
avaient amenée avec eux, ils l’envoyèrent au pacha et à l’as-
kia et en même temps ils leur écrivirent une lettre pour leur
présenter leurs salutations et leurs vœux, ajoutant qu’ils
viendraient les voir en personne aussitôt que Ton aurait mis
la main sur le rebelle Hammedi-Amina. De mon côté j’adres-
sais également une lettre dans laquelle je disais au pacha
que si j’avais fait ce voyage, c’était dans le désir de lui ren-
dre visite et de le saluer, mais que, pour l’instant, je ne voyais
pas le moyen d’y arriver, parce que (tVN) je devais suivre
les gens de Kala dans leur expédition.

A ce moment, le pacha était campé à Youar. Il envoya
aux lieutenants-généraux les renforts d’hommes qu’ils
avaient demandés et mit à leur tête l’askia El-Hadj-Moham-
med-Benkan et le lieutenant-général Ahmed, fils du pacha
Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni. Ces renforts nous arrivèrent
à Keren le vendredi, 17 du mois ci-dessus indiqué (22 juillet
1644).

Dans la nuit du samedi, 18 de ce mois (23 juillet), on reçut
la nouvelle de l’endroit où se trouvait Hammedi-Amina.
Quant à la réconciliation dont il avait été question avec le
Farko-Koï, on n’y pouvait plus songer maintenant que Ham-
medi-Fâtima avait été nommé sultan du Massina.

Dès le lendemain matin, dimanche, les troupes se mirent
en marche tandis que nous remontions dans nos barques

 

4U HISTOIRE DU SOUDAN

pour retourner à Kala. Mes amis nous avaient dit de les at-
tendre dans la ville de Zâgha jusqu’à ce qu’ils vinssent nous
y retrouver. Nous partîmes donc chacun de notre côté et
nous arrivâmes à Zàgha le mardi, 21 dans la soirée (26 juil-
let), où nous restâmes à attendre pendant quatre jours.

Dans la soirée du samedi, 25 de ce mois (30 juillet), le
Sana-Koï et le Farko-Koï me firent dire de me rendre à
Nourinsanna, la résidence du Sana-Koï sur le bord du Fleuve,
en face de sa capitale’, et de les attendre en cet endroit,
parce que, au moment où ils s’occupaient d’atteindre le but
qu’ils poursuivaient, ils avaient été empêchés par la pluie
d’arriver à destination. Je revins donc sur mes pas et arrivai
à Nourinsanni le mercredi, dernier jour du mois, après la
prière de l’après-midi (3 août). Je débarquai aussitôt et me
rendis à Chibla, que j’atteignis vers le coucher du soleil.
J’informai les habitants que le Sana-Koï et le Farko-Koï
étaient en bonne santé et leur dis tout le bon accueil que
leur avaient fait le pacha et l’askia. La population fut très
heureuse de cet événement car il n’y avait eu que moi seul qui
avais pu rentrer dans la ville^ jusqu’au moment où les sultans
arrivèrent en cet endroit.

Le mois s’acheva et la nouvelle lune du mois de djo-
mada II eut lieu un jeudi. L’expédition revint peu après
sans avoir pu trouver en quel endroit était Hammedi-Amina.
Enfin, le lundi, 11 du mois (14 août 1644), le Sana-Koï et
le Farko-Koï arrivèrent dans leur capitale. Nous apprîmes
ensuite que Hammedi-Amina était dans le-paysde Faï-Sandi,
contrée qui sépare le territoire de Kala de celui de Qayâka
(tvt). Les deux sultans m’enjoignirent alors d’écrire à Faï-

1. C’est-à-dire que sa résidence était sur la rive opposée à celle qu’occupait
sa capitale.

2. En d’autres termes, il était le premier qui apportât des nouvelles, aucun
des autres personnages accompagnant le sultan n’étant revenu chez lui.

 

CHAPITRE TUENTE-CIiNQUlÈME 415

Sandi au nom du pacha et de l’askia pour l’inviter à chasser
Hammedi-Amina de son territoire et à le tuer s’il s’emparait
de sa personne. Faï-Sandi accepta et dit oui.

La nouvelle lune du mois de redjeb l’unique, qui eut lieu
nn vendredi soir, me trouva encore à Chibla. Je demandai
alors au Sana-Koï Otsmân l’autorisation de me rendre à
Dienné pour y voir mes frères et ma famille. L’autorisation
m’ayant été accordée, je quittai Chibla le lundi, 3 du mois
de redjeb (6 septembre 1644), et fis route par terre. Je tra-
versai le fleuve de Komino ce jour-là et je passai la nuit du
lundi à Komino. Le lendemain matin, je partis de cette loca-
lité en suivant la route de Zoula*; à midi, le ciel se couvrit
de nuages et, comme j’entrai dans la ville de Mâkira, l’orage
éclata.

J’attendis dans cette localité que la pluie cessât, et vers
une heure de l’après-midi, je me remis en route et attei-
gnis Zoula où je passai la nuit du mardi chez le chef de la
localité, le Zoula- Faran. La nuit du mercredi, je la passai
dans la ville de Fala, chez le Fâla-Faran. Le jeudi, vers
midi, j’atteignis la ville de Foutina qui appartenait au Ka-
miya-Koï et j’y passai la nuit du jeudi. Le lendemain, dans
la matinée, j’arrivai à la ville de Tonko, qui appartenait au
Chila-Koï et, après la prière du vendredi, je me remis en
route pour aller coucher dans la ville de Fermannata^ Dans
la matinée du samedi, j’arrivai à la ville du Chila-Koï où je
pris un peu de repos. Poursuivant de nouveau mon chemin,
j’arrivai vers une heure à Tamakou *, et ce soir-là samedi, je
couchai à Tîmi-Tâma, la ville du Oron-Koï. Le dimanche
matin, j’arrivai à Bîna où je séjournai le lundi, le mardi, le
mercredi et le jeudi en attendant qu’une barque partît pour

1. Ou : Zoulo.

2. Ou : « Fermalua ». leçon des ras. A el B.

3. « Tamakorolà », suivant le ms. C.

 

416 HISTOIRE DU SOUDAN

la ville de Dieniié, car on était alors au moment des hautes
eaux. Le jeudi soir, 13 du mois ci-dessus indiqué (16 sep-
tembre 1644), je m’embarquai à Bîna pour Dienné et le len-
demain vers une heure, j’entrai dans cette dernière ville,
grâce à Dieu et à son bienveillant appui; je trouvai toute
ma famille en bon état et en bonne santé. Dieu, le Maître
des mondes, en soit loué !

Le samedi, 15 du mois (18 septembre), une rencontre eut
lieu entre le Fondoko Hammedi-Fâtima et les troupes de
Hainmedi-Amina. Dans ce combat trois des frères de Fàtima
furent tués, ainsi qu’un grand nombre de ses partisans (tvr)
et parmi eux le jurisconsulte Saï^-ben-Abou-Bekr, le fils de
l’oncle paternel du jurisconsulte, le cadi Idda (Dieu leur
fasse à tous deux miséricorde!). Hammedi-Fàtiraa prit la
fuite, mais il fut rejoint et tué. Hammedi-Amina reprit le
pouvoir sans que pei’sonne osât le lui disputer. Le défunt
Fondoko n’avait exercé le pouvoir que deux mois.

Dans la nuit du samedi, 20 du mois de cha’bân (22 octo-
bre 1644), je quittai Dienné pour retourner à Kala par la
voie de terre également. Dans la soirée du dimanche, j’arri-
vai à Bîna, où je m’attardai pendant sept jours pour y régler
certaines affaires, et le dimanche 28 (30 octobre) je partis
de Bîna de bonne heure pour arriver vers midi dans la ville
de Konti ” chez le Kala-Châ’a Abderrahman et je couchai
chez lui cette nuit du dimanche. Le lundi, dans la matinée,
je sortis de Konti ; vers le miheu de la matinée, je passai
successivement dans la ville de Ouânta et dans celle de
Temtâma, cette dernière formant la limite entre le territoire
du sultan de Oron et celui du sultan de Chila. Autrefois cette
localité appartenait en commun à ces deux princes ; puis le
sultan du Chila ayant triomphé de celui de Oron, en devint

1. Ou : « Saïo ».

2. «< Konyi », selon les inss. A cl IJ.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 417

seul maître. Trois localités de cette région portent des noms
qui se ressemblent beamioup: ce sont Tîma-Tâma, Tem-
tâma et Tâtâma.

Vers la fin de la matinée, j’arrivai dans la ville de Kom-
tonna * et à midi dans celle de Yousororâ ; au milieu de
l’après-midi j’atteignis la ville de Bîna et dans la soirée celle
où résidait le sultan de Ghila ; j’y passai la nuit da lundi,
jour de l’apparition de la lune de ramadan (31 octobre).
Dans la matinée du lendemain je quittai cette ville et arrivai
vers midi dans celle de Tonko qui fait la limite du côté du
couchant entre le territoire du Chila-Koï et celui de Kamiya-
Koï ; j’y passai la nuit du mardi et le lendemain matin j’en
repartis. Vers le milieu de la matinée je traversai la ville
de Tâtinna, qui appartient au sultan, le Kamiya-Koï, puis
celle de Tâtirma et vers midi j’entrai dans la ville de Fou-
tina où à ce moment le marché était en pleine activité.
Après la prière de l’après-midi je quittai cette ville et au mo-
ment où le soleil déclinait je passai dans la ville de Taouat-
âllah^. Le soleil se coucha (vvi) au moment où nous arrivions
à un village situé non loin de là et où je passai la nuit.

Vers le milieu de la matinée du jeudi j’arrivai à la ville
de Fâla, où je m’arrêtai quelques instants pour y saluer le
Faran, puis je me remis en route en changeant de direction
et, abandonnant la route de Zoula qui était barrée par les
eaux du Fleuve, je me dirigeai vers le nord. Après la prière
de l’après-midi j’atteignis la ville de Tomi où je couchai la
nuit du jeudi. J’en repartis le lendemain matin et vers le
milieu de la matinée je traversai successivement les villes de
Fâdoko, Nouyou et Misla, pour arriver à une heure de
l’après-midi à Qomma où je fis la prière du dohor et celle

 

1. « Komtana », d’après le ms. G.

2. La terminaison de ce mot ne paraît pas être le mot signifiant Dieu en
arabe.

[Uisloire du Soudan.) 27

 

418 HISTOIRE DU SOUDAN

de l’asr; le soleil était sur son déclin quand j’entrai dans la
ville de Farko. J ‘y passai la nuit du vendredi chez mon ami
le Farko-Koï Mohammed, et en repartis le lendemain matin,
et arrivai au milieu de la matinée au port de cette ville Ko-
mino où je restai un peu avant de traverser le Fleuve pour
aller à Chibla où j’arrivai à bon port dans la soirée du
vendredi, 4 du mois de ramadan. Là je trouvai tout mon
monde et ma famille’ en bonne santé; Dieu, le Maître des
mondes, en soit loué !

Cette année-là la première lune de chaoual eut lieu le
mercredi soir et le mercredi, 14 de ce mois (13 décembre
1644) je me rendis pour certaine affaire dans la ville de
Chenchendi^; cette ville est située sur le bord du Fleuve du
Sana-Koï^ Arrivé là vers la fin de la matinée, je m’y at-
tardai un peu, puis je revins en passant par la ville de Mé-
dina qui se trouve également sur le bord de ce même
fleuve à très peu de distance de là. Dans la soirée je rentrai
à (Chibla.

Le jeudi, 12 du mois sacré de dzou’l-hiddja terminant
l’année 1054 (9 février 1645), vers midi, naquit un de mes
fils, enfant de ma femme Halîma, fille du jurisconsulte Abou-
Bekr-Sa’antara; je lui donnai le nom de Mohammed-Eth-
Thayyeb. Dieu fasse que ce nom soit de bon augure et béni !
Les fétichistes du Bambara se soulevèrent contre le Sana-
Koï et le Farko-Koi et, dans ce mouvement de rebeUion.
ils décidèrent d’aller les combattre; mais Dieu le très-haut
par sa puissance et sa force calma le feu de cette sédition.
Toutefois elle le calma sans l’éteindre complètement.

Je décidai alors de rentrer auprès de ma famille dans la

 

1. Il avait sans doute là un ménage autre que celui qu’il avait à Dienné.

2. Ou : « Cliinchinde ».

3. Le texte porte par erreur jClJ; c’est jCl«, qu’il faut lire, mot qui pour-
rait bien être l’étymologie du Sénégal.

 

CHAPITRE TRENTE-CliNQUIÈME ‘ 119

ville de Dieuné, et le lundi, 23 de ce mois (20 février 1645),
après la prière du dohor, je quittai Chibla, grâce au Très-Haut
et à son bienveillant appui; après le coucher du soleil, nous
traversâmes le Fleuve devant la ville de Komino (vvo) où je
séjournai quatre jours pour organiser mon voyage , puis je
quittai cette ville, me dirigeant par terre vers Dienné.

Le lundi soir, apparut la nouvelle lune du mois sacré de
moharrem, le premier des mois de l’année 1035 (27 février
1645), au moment où nous étions dans la ville de Taouat-
àllah. Le lendemain, mardi, après la prière du dohor, mou-
rut dans la ville de Foutina, ma fille Zeïneb ; je l’enterrai le
même jour dans cette localité (Dieu lui fasse miséricorde
et nous réunisse l’un à l’autre au jour de la Résurrection
dans les plus hautes sphères du paradis, sans que, par sa
grâce et sa faveur, nous ayons eu à subir aucun châtiment!) ^
Enfin, le samedi soir, 5 de ce mois, nous arrivâmes dans la
ville de Bina, sains et saufs et eu bon état. Dieu, le Maître
des mondes, en soit loué !

Dans la matinée du mardi, 22 de ce mois (20 mars 1645),
je me rendis parterre dans la ville de Dienné afin d’y cher-
cher une embarcation pour emmener ma famille. J’arrivai
dans cette ville, au moment du dohor, et dans la matinée du
mardi, dernier jour du mois, je quittai Dienné et retournai
par terre à Bina où j’arrivai également au moment du do-
hor. Le mardi (soir) apparut pour nous la nouvelle lune du
mois de safar, le bon, et le samedi, 4 de ce mois (l^”” avril
1645), mourut mon confrère Mohammed, fils du cheikh
El-Mokhtâr-Temt-El-Ouankori. Enfin, le mercredi soir, 8 de
ce mois (5 avril), je me mis en route pour Dienné avec ma
famille en prenant la voie du Fleuve, et nous arrivâmes
dans cette ville, le vendredi, 10 du mois (7 avril). Louanges
soit rendues au Maître des mondes!
1. Autrement dit : « sans passer par le purgatoire ».

 

420 ‘ HISTOIRE DU SOUDAN

Peudaiit que j’étais à Bina, avant de partir pour Dienné,
on y reçut la nouvelle que les fétichistes (du Bambara)
étaient allés à Chibla, que la population tout entière s’était
enfuie de la ville, le Sana-Koï comme les autres, et que les
païens avaient tout détruit pierre par pierre, sauf la mos-
quée et la maison dans laquelle j’habitais (le Ciel soit loué
de nous avoir épargné l’attaque de ces impies). Peu après,
ils agirent de même vis-à-vis du Farko-Koï et de façon plus
vive encore.

Quand le pacha Mohammed-ben-Mohammed-ben-‘Ots-
mâu était revenu à Tombouctou de son expédition contre le
Massina, tandis que les gens de Dienné rentraient à Dienné,
il destitua de ses fonctions de caïd de cette dernière ville le
caïd Abdallah, lils du pacha Ahmed-ben-Yousef (vvn) qui
avait occupé ce poste pendant deux ans et quelques jours.
Le pacha enjoignit alors aux gens de Dienné de lui envoyer’
le lieutenant-général Mohammed-ben-Ibrahim-Chimirro .
Ceci se passait à la date du mardi, l” du mois de nioharrem
(27 février 1645). Aussitôt que cet ordre parvint à Dienné,
le Heutenant-général Mohammed susnommé se rendit au-
près du pacha qui l’investit des fonctions de caïd ; le nouveau
caïd s’en retourna ensuite à Dienné où il arriva le lundi,
IS” jour du mois de rebi’ I”, le septièrne jour de la Nativité
(14 mai 1645).

Le Fondoko du Massina, Hammedi-Amina, avait écrit aux
gens* de Dienné, leur demanait un homme
né sous une mauvaise étoile et incapable d’initiative; il
n’était pas fait pour le pouvoir, n’ayant pour cela aucune ap-
titude, ni naturelle, ni acquise. Il abandonna entièrement la
direction des aff’aires à ses vizirs, se gardant, quant à lui, de
parler ou d’agir. Tout cela occasionna de grands désordres
dans l’administration, désordres qui ne firent que s’accroître
parla suite, parce que ses successeurs imitèrent sa conduite.
C’est à Dieu que nous appartenons et c’est vers lui que nous
devons bientôt revenir^ !

Quand le nouveau pacha sentit que son eau était impuis-

1. Ou : Ourmachta.

2. Cette formule est employée par les musulmans toutes les fois qu’il se pro-
duit quelque événement grave et fâcheux contre lequel ils ne sauraient lutter.

 

/r26 HISTOIRE DU SOUDAN

santé à produire le moindre fruit et que son seau ne tirait
pas la moindre goutte d’eau du puits S il se lança à la tête
d’une petite troupe de son armée à travers les déserts, au
moment où le ciel enflammé lançait de véritables étincelles,
s’exposant ainsi, lui et ses soldats, aux plus graves dangers,
si bien que tous les siens s’imaginaient qu’il voulait les faire
périr ou les décimer.

Il partit donc de Tombouctou, après la prière du dohor,
le samedi, 4 du mois de djomada I” de cette année (7 juin
1647), se dirigeant du côté du Gourma. Le lundi, on tra-
versa le Fleuve près de la ville de Bara’^ et, le mercredi,
8 du mois ci-dessus indiqué (11 juin], nous nous mîmes en
marche, n’ayant pour porter les bagages d’autre moyen de
transport qu’un petit nombre de porteurs recrutés parmi
les gens (va») de El-‘Amoudi, qui se trouvaient dans cette
région. Ce fut grâce à eux que chacun put faire porter une
petite quantité d’eau et de provisions de bouche.

Nous nous dirigeâmes vers El-Hadjar,marchantnuit et jour.
Enfin le jeudi, 16^ du mois, nous atteignîmes, vers le moment
du dohor, la montagne de Nâyi. Tout le monde était épuisé ;
un grand nombre de chevaux étaient restés en route et tous
les cavaliers qui en avaient eu la force avaient emporté leur?
selles sur leur tête, les autres les ayant abandonnées. Nous
campâmes près d’une aiguade située derrière le mont Souq.
Aussitôt on expédia des éclaireurs explorer la région et
chercher sur qui, en cet endroit, on pourrait faire une incur-
sion. Lorsqu’on eut ce renseignement, on détacha un corps
de cavalerie qui se mit en route le jeudi soir pour surprendre
l’ennemi. Quant à nous, nous passâmes la nuit près de l’ai-
guade et nous partîmes seulement dans la matinée du ven-

i. C’est-à-dire que toutes ces tentatives pacifiques pour ramener le calme
étaient impuissantes.

2. C’est la leçon du ms. C. Les autres mss. et le texte imprimé donnent Ydoua.

3. Ms. C: le 6.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 427

dredi, afin de nous porter au lieu de rendez- vous qui avait
été fixé avec le corps de cavalerie, corps qui était commandé
par Askia-El-Hâdj et le caïd ‘Abdessâdeq.

Tandis que la cavalerie se portait en arrière du mont Souq
nous pénétrions, nous, dans l’intérieur de ce massif. Nous
n’avions pas emporté d’eau avec nous. Or il se trouva que
le point d’eau qui nous avait été indiqué était complètement
à sec et qu’il ne se trouvait pas d’eau ailleurs dans ces para-
ges. Nous continuâmes ainsi, craignant surtout de mourir de
soif, les soldats pestant contre le pacha qui entendait tout le
mal qu’on disait de lui. Enfin, après avoir marché à la grâce
de Dieu, nous aperçûmes vers dix heures’ un troupeau de
moutons. Les gens qui les conduisaient prirent la fuite et
se réfugièrent dans la forêt; mais aucun de nous ne put pé-
nétrer dans la forêt pour aller à la découverte tant la cha-
leur du soleil était violente à ce moment.

Nos gens poussèrent devant eux les moutons jusque
vers une heure de l’après-midi, en proie au désespoir et
à rabattement, lorsque tout à coup nous trouvâmes une
mare^ remplie par l’eau du ciel. C’était là une marque de la
miséricorde et de la faveur de Dieu le Très-Haut. Nous cam-
pâmes auprès de cette mare et il nous sembla que la vie
nous revenait après nous avoir en quelque sorte abandon-
nés, tant était vive notre joie après nos souffrances. Quand
on se fut reposé un instant, le pacha envoya un peloton de
vingt hommes à cheval en éclaireurs. Ceux-ci ayant rencontré
des propriétaires de boiufs qui passaient à travers les mon-
tagnes, les attaquèrent et s’emparèrent de quelques têtes de
bétail. Un seul soldat des nôtres et des plus braves fut tué,
ainsi que son cheval, dans cette rencontre.

Nous passâmes la nuit auprès de la mare, très inquiets du

1. Le moment de la méridienne, dit le texte.

2. Du genre de celle que l’on appelle : « (,lâïa ».

 

428 HISTOIRE DU SOUDAN

sort de notre corps de cavalerie (van) et restâmes ainsi
jusqu’après le lever de l’aurore. A ce moment, pendant que
j’étais prosterné pour faire la prière du matin, j’entendis le
bruit de leurs tambours dans la direction de l’est. J’en in-
formai immédiatement le pacha et, après le lever du soleil,
nous nous mîmes en marche. A peine étions-nous partis que
nous rencontrâmes des émissaires de nos compagnons qui
venaient nous annoncer qu’ils étaient sains et saufs, que les
Foulànes avaient pris la fuite, emportant tous leurs biens, en
sorte qu’ils n’avaient rencontré personne. Peu après nous
rejoignîmes tous nos cavaliers et vers la fin de la matinée
nous campâmes en face d’un des villages des fétichistes habi-
tants delà montagne et au milieu de leurs champs de culture.

Après avoir passé la nuit du samedi en cet endroit, nous
reprîmes notre marche et nous rencontrâmes le frère du
Da’anka-Koï’, Fâri, qui désirait se rendre auprès du pacha
pour demander un sauf-conduit afin que son frère pût se
présenter lui-même au pacha. Ce sauf-conduit lui ayant été
accordé, il retourna en porter la nouvelle à son frère aussi-
tôt après que nous eûmes établi notre bivouac près de l’ai-
guade de Benka^-Dzîba, en face de la montagne de Boun^-
Lanbo.

Là nous passâmes la nuit du dimanche, et le lundi,
dans la soirée, arriva le Da’anka-Koï dont il vient d’être
parlé. Il salua le pacha, fit des vœux pour lui, mit de la
poussière sur sa tête et reçut ensuite la promesse d’avoir
l’aman pour lui et son allié* le Honbori-Koï, El-Hâdi, fils du
Honbori-Koï, Mousa-Kirao. Cet aman s’étendait non seule-
ment à ces deux personnes, mais encore à toute leur famille

 

i. Le ms. C orthographie ce mot : « Da’anka’ ».

2. « Yenka », suivant le ms. C.

3. Le mot « Roun » manque dans les mss. A et B et dans l’imprimé.

4. Ou : « son compagnon ».

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIEME 429

et aux villes de leurs pays. Comme le pacha lui demaudait
des nouvelles du Honbori-Koï, le Da’anka-Koï lui répondit
qu’il allait bientôt arriver. Le pacha traita le Da’anka-Koï
avec les plus grands égards.

Après avoir passé la nuit du lundi en cet endroit, nous
reprîmes notre route en revenant sur nos pas pour chercher
à atteindre le combattant Hammedi-Bilel. Nous allumes
camper le lendemain, vers le moment du dohor, dans un des
villages des fétichistes situé en face du mont Mekka au sud
du mont Nâyi. Là, dans la soirée, nous eûmes la visite du
Honbori-Koï ; puis nous passâmes la nuit du mardi en cet
endroit, après que le pacha eût envoyé un espion avoir des
nouvelles de Hammedi-Bilel. Le lendemain nous repartîmes
et, peu après notre mise en marche, nous rencontrâmes
l’espion qui nous donna l’indication du lieu où se trouvait
Hammedi-Bilal : il était tout près de nous. Nous avions
avec nous le Da’anka-Koï dont il a été question ci-dessus
(yav). Alors, nous reprîmes notre marche, après avoir pris
toutes les dispositions nécessaires pour le combat. Dans la
matinée, vers neuf heures, nous passâmes près de la ville
de Ahmed-Sanou qui à ce moment était en fuite. Lorsque
nous nous étions rapprochés de lui, il s’était
sant que la boucle du îJ a été fermée accidentellement pour devenir 1» et que
le j n’est qu’un j surchargé.

 

1

 

436 HISTOIHE OU SOUDAN

l’enirôe était plus resserrée que le trou d’une aiguille, et
difficile à atteindre tant elle était perchée à une grande hau-
teur. Il était seul, isolé, séparé de ses compagnons et de ses
suivants, sa famille et ses clients étant dispersés de tous
les côtés.

« Les lions et les aigles de notre armée aidée de Dieu et
victorieuse ont aussitôt pénétré dans cette caverne pieds-
nus et sans montures. L’ardeur et la violence de leur colère
étaient telles que leurs bouches grinçaient de rage, qu’ils
tendaient le cou en avant en montrant griffes et dents. Enfin
quand ils arrivèrent au fond de la caverne, le rebelle se re-
jeta en arrière et réussit à retourner parmi les fétichistes.
Mais se voyant ainsi acculé, trouvant que la terre pour lui
était devenue trop étroite malgré son immensité, il envoya
un messager au seigneur deDa’anka pour qu’il nous deman-
dât l’aman en sa faveur, disant qu’il voulait revenir doréna-
vant à Dieu, à son Prophète et au sultan. Nous lui pardon-
nâmes et lui accordâmes l’aman, mais pour lui seule-
ment.

« Ses sujets nous firent savoir ensuite qu’ils (yav) l’aban-
donnaient et ne voulaient plus être soumis à lui; ils deman-
daient Tamanpour eux-mêmes, car nous avions fait des ex-
péditions contre certains d’entre eux et leur avions pris du
butin grâce à la bienveillance de Dieu à notre égard, ce dont
nous lui sommes reconnaissants. Nous leur avons accordé
l’aman ; nous leur avons imposé une redevance, puis nous
sommes revenus sur nos pas sains et saufs, ayant fait du
butin et étant victorieux [)ar suite de la faveur et de la bien-
veillance de Dieu et aussi à cause des bénédictions qu’avait
attirées sur nous notre Maître, le descendant des Hachémites ‘
(Dieu trèsrhaut lui accorde la victoire!)

« Nous avons appris la nouvelle que les Touareg Aouli-
1. C’esl-à-dire : l’empereur du Maroc.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME 4:^7

miclden nous avaient attaqués et aussi ce qui était arrivé à
ces derniers avec le seigneur Aknezer*. Si vous jugez qu’il
faille en finir avec eux, ne leur laissez aucun répit et exter-
minez-les comme ont été exterminés les peuples de Ad et de
Tsemoud; car ce sont des traîtres, des brigands en qui on ne
peut en aucune manière avoir la moindre confiance. Si vous
êtes à même d’arriver à bout d’eux à vous seuls, agissez
alors à la grâce de Dieu. Dans le cas contraire, écrivez au
caïd Mohammed-benAïsa-el-Kerch^ à Benba qu’il vous envoie
tous les renforts dont il dispose, soldats marocains et arabes,
mais ne divulguez pas votre projet si vous voulez que Dieu
vous rende maîtres d’eux. Sinon ils pourraient prendre
leurs précautions et se tenir sur leurs gardes. Or la guerre
n’est que ruse.

« Dieu vous bénisse et nous soit à vous et à nous un aide
et un protecteur.

« Écrit le samedi, 2 du mois isolé de redjeb de l’année 10o7
(3 août 1647), au port de Koronzofiya, par le serviteur du
haut seigneur mohammédien (Dieu lui accorde la victoire!)
Son Excellence le pacha Ahmed -ben-Abderrahman-El-
Hayyouni. Dieu lui soit favorable par sa grâce et sa bonté ! »
Ici se termine cette lettre.

Le pacha demeura dans ces conditions de faiblesse et de
mépris jusqu’au vendredi, 6 du mois de chaoual de l’année
1058 (24 octobre 1648); à ce moment il fut déposé après
être resté en fonctions un an et neuf mois.

Les troupes décidèrent d’élever immédiatement au rang
de pacha Yahya-ben-Mohammed-El-Gharnâti. Ce person-
nage était un être débauché, immoral, impérieux, misan-
thrope, ne disant que du mal des ulémas, des chérifs, de la
famille du Prophète et de tous les gens distingués sans

1. Le mol « seigneur » manque dans le ms. G.

2. On trouve aussi El-Kcrchi au lieu de El-Kercli, dans un passage du ms. G,

 

4:W HISTOIUE DU SOUDAN

exception. En outre, il était fourbe, intrigant et ne cessait
de semer la zizanie entre tout le monde. Il exerça ses fonc-
tions pendant trois ans (ta a) et quelques jours, mais il
sembla qu’elles durèrent trente ans, tant son règne fut péni-
ble et néfaste. Il fit deux expéditions : ime contre Kâgho,
lautre contre Benba. Pendant tout ce temps Dieu intervint
et l’empêcha d’accabler les populations de tout le mal qu’il
avait l’intention de leur faire.

Pour l’expédition de Kàgho, le pacha quitta Tombouctou
le lundi, 6 du mois de djomada II de l’année 1060 (6 juin
1 050) ; il se rendit à l’île de Zentà après l’assassinat du cheikh
Ibrahim-ben-Er-Ra ouân-Ech-Chibh, qui avait eu lieu le
3” jour de la fête des Sacrifices au mois qui termina l’année
tOoO (18 décembre 1649). Ce meurtre lui avait ahéné le
cœur de tous les Arabes et tous les Touareg, qui n’étaient ni
les ennemis du défunt ni ses amis. Il demeura cinq jours
dans l’île, et le vendredi, 10 du mois (9 juin), nous la quit-
tâmes et arrivâmes à Benba, le vendredi, 17 du mois (16 juin),
après huit journées de marche. Après avoir passé une seule
nuit en cet endroit, nous reprîmes notre marche vers Kàgho,
dans la matinée du samedi 18 (17 juin). Le lundi 20 (19 juin),
dans la matinée, nous passâmes près de la ville de Kâbenka
et de celle de Taousa. Le mercredi, 22 (21 juin), nous cam-
pâmes près de la ville de Boram et, dans la matinée du jeudi
nous rencontrâmes les gens de Kâgho près de Chedjrat-el-
bordj. Le vendredi, nous campions à Tondibi où nous res-
tâmes trois nuits de l’autre côté du Fleuve. Le lundi, nous
reprenions notre route et passions la nuit en deçà de la ville
de Kâgho où nous arrivâmes dans la matinée du mardi, 27
(In mois (26 juin), après neuf journées de marche. Là le
pacha fit ce qu’il fit’.

1. CeUe locution est en général un euphémisme que l’on emploie pour n’avoir
pas à exprimer des horreurs ou des atrocités.

 

CHAPITRE TRENTE-CINQUIÈME /,39

La nouvoUo lune du mois de redjeb, qui tomha un veu-
dredi, eut lieu pendant que nous étions là à Kâgho. Nous
quittâmes cette ville pour rentrer à Tombouctou, le lundi,
23 du mois de redjeb (24 juillet 1650), et quand la nou-
velle lune du mois de cha’ban parut, un samedi (29 juillet),
nous étions dans la ville de ïaousa près du mont Dâra’. En-
suite nous arrivâmes à Benba le mercredi, o du mois de
cha’ban (3 août) et séjournâmes dans cette ville sept jours
pendant lesquels le pacha fit ce qu’il fit. Ensuite nous quit-
tâmes Benba le mercredi, 12 (10 août), et arrivâmes au port
de Do aï, le dimanche, 16 (14 août). Nous nous y arrêtâmes
quatre jours et entrâmes dans la ville de ( va ^) Tombouctou,
le jeudi, 20 du mois (16 août). Ce fut là que parut pour nous
la nouvelle lune du mois sacré et vénéré do ramadan, un
lundi, dernier jour du mois de cha aban (27 août). Louange
à Dieu, le Maître des mondes!

Le pacha quitta de nouveau Tombouctou, pour l’expédi-
tion de Benba, dans la matinée du samedi, 23 du mois de
djomada P’ de l’année 1061 (14 mai 1651). Le même jour
nous descendîmes dans l’île de Zentâ où nous séjournâmes
vingt jours afin d’attendre certains objets nécessaires aux
troupes. Nous quittâmes l’île le jeudi, 12 du mois de djo-
mada 11 (2 juin 1651); le commencement du mois avait ou
lieu un dimanche”. Nous nous dirigeâmes vers la ville de
Benba, afin d’y atteindre des fauteurs de désordres dans
cette ville Berâbîch et Touareg.

Le pacha avait écrit aux troupes qui étaient dans la ville
de Kâgho de venir le rejoindre à Zamkoï^ endroit connu à
Benba du côté de l’orient de cette ville. Les troupes répon-

 

1. Le ms. C porte : les deux montagnes de Dara.

2. Suivant la supputation arabe, le dimanche commence le samedi soir après
le coucher du soleil.

3. Ou : Zamakoï.

 

440 HISTOIRK DU SOUDAN

dirent à cette convocation et vinrent en nombre. Leur caïd
à cette époque était Râbah-ben-‘Aïssa-El-Kercli. Après sept
journées de marche, nous arrivâmes à Benba et y entrâmes
dans la matinée du mercredi, 18 du mois ci-dessus indiqué
(8 juin). Berâbîch et Touareg s’enfuirent aussitôt et se dis-
persèrent de tous côtés. On leur envoya à pbisieurs reprises
offrir l’aman, mais ils ne répondirent point. Enfin le pacha
leur envoya le caïd ‘Allâl-ben-Sa’ïd-El-Ilarousi, qui était le
gouverneur de la ville à ce moment; ils refusèrent encore,
parce qu’une partie des leurs les engageaient à ne point
accepter la proposition du pacha qui, disaient-ils, était un
traître. Du reste le chagrin que leur avait occasionné le
meurtre d’Ibrahim-Er-Ra’ouâni était encore dans leurs
cœurs et ne devait jamais cesser d’y être.

r.ependant le caïd de Kâgho alla a la tête d’une petite
troupe trouver les révoltés qui tous avaient quitté la ville.
Mais le désaccord se mit entre eux et le plus grand nombre
des révoltés revint après avoir refusé d’abord d’une manière
absolue de revenir, et un combat failht s’engager entre eux.
Ils prétendirent que le caïd Râbah^ son frère le caïd Moham-
med-El-Kerch et tous ceux qui étaient avec eux s’entendaient
ensemble, que c’étaient eux qui avaient engagé le pacha à
venir à Kâgho et que maintenant ils voulaient les conduire
dans cette ville (t^*), afin que le pacha pût alors faire d’eux
tout ce qu’il voudrait. En somme, ils traînèrent en longueur
avec le pacha pendant qu’il était à Benba, en sorte qu’il ne
put en aucune façon parvenir au moindre résidtat pour ce
qu’il désirait. Ils restèrent ainsi avec lui jusqu’au jour de son
départ pour Tombouctou, c’est-à-dire jusqu’au lundi, 7 du
mois isolé de redjeb (26 juin 165i).Ge jour-là, le pacha leur
fit ses adieux, récita la fatiha avec eux, puis ceux-ci rentrè-
rent dans la ville, destituèrent leur caïd ainsi que le lieute-
nant-général qui était venu avec lui et qui appartenait aux

 

CHAPITHE TRENTE-CINQUIÈME 441

gens de l’aile droite, et aujourd’hui encore ils ont le cœur
plein de colère contre eux.

Pendant ce séjour à Benba je fus atteint d’une grave
maladie qui me mit en danger de mort. Mais Dieu, dans sa
clémence et sa bonté, me guérit et me rendit la sauté. C’est
grâce aux mérites de son prophète notre seigneur Mahomet
(Dieu répande sur lui ses bénédictions et lui accorde le
salut!) que je dois à Dieu cette faveur insigne.

Nous nous dirigeâmes ensuite versTombouctou et le ven-
dredi, 18 du mois précité(7 juillet), nous atteignîmes le port
de Koronzofiya où nous passâmes la nuit du vendredi. Le
lendemain je demandai au pacha l’autorisation de regagner
ma maison à cause de la maladie dont je venais d’être at-
teint. Cette autorisation m’ayant été accordée, je partis
après la prière de l’asr, le samedi et passai la nuit dans le
village de Amadhagha, n’ayant pas la force, dans l’état où
j’étais, d’arriver sans prendre de repos. Le lendemain matin,
j’arrivai dans ma ville natale et entrai dans ma maison où,
Dieu en soit loué et remercié, je trouvai toute ma famille
dans l’état où je la désirais.

Quant au pacha, il resta dans le port jusqu’au jeudi, 24
du mois (13 juillet) ci-dessus indiqué. Puis il se rendit à la
ville dans de fâcheuses conditions à tel point qu’il ne fit point
dans la cité la chevauchée habituelle qu’un ancien usage
avait consacrée et cela parce qu’il était accablé d’angoisse et
de soucis.

Du jour où il avait été nommé pacha il avait com-
mencé à molester les habitants de Dienné sans raison, ni
motif. Aussi ces derniers ne lui obéissaient-ils point et
rejetèrent-ils tous ses ordres derrière leur dos jusqu’au mo-
ment de sa déposition. Il aurait bien voulu se rendre à
Dienné pour se venger de ses habitants, mais Dieu ne lui
facilita pas le moyen d’arriver à ses fins.

 

412 HISTOIIIK DU SOUDAN

Le pacha destitua ensuite le caïd de Dienné Mohamnied-
Chimirro. Il lui avait donné l’ordre de se rendre auprès de
lui et quand le caïd fut là et qu’il eut réglé ses comptes au
sujet des impôts de cette région, il fut révoqué et mis en
prison dans (v^^) la ville de Bara, et là, il devint aveugle.
Il avait occupé ses fonctions deux ans et demi, si je ne me
trompe. Durant la première décade du mois de ramadan de
l’année 1059 (8-19 septembre 1649), il avait été remplacé
comme caïd par Abdelkerim-ben-El-‘Obeïd-El-Der’i,et ce fut
sous son administration que périrent, ainsi que nous l’avons
dit plus haut, le cheikh Ibrahim-ben-Er-Ra’ouân-Ech-Cheblî
et le caïd Ali-ben-Rahmoun-El-Monebbehi.

Le lundi, dernier jour du mois de chaouâl de l’année
1061 (15 octobre 1651), le pacha Yahya-ben-Mohamnied-
El-Gharnàti fut déposé, après être resté en fonctions trois ans
et vingt-quatre jours. Il fut remplacé par le pacha Ahmed,
fils du pacha Haddou-ben-Yousef-El-Adjeiiâsi, qui fut nommé
dans la matinée du mardi, 1″‘ jour du mois sacré de dzou’l-
qa’ada de cette année (16 octobre 1651), avec l’assentiment
de l’armée. C’était nn homme obligeant, ayant beaucoup
d’égards pour les ulémas, les saints personnages et tous les
gens de mérite ; mais il n’avait pas de hautes préoccupations.
L’armée lui enleva le trésor public des mains’ pour le confier
au hâkem Nàsir-ben-AbdâIlah-El-A’mech qui, aussitôt après
la nomination du pacha Ahmed, devint caïd-amin, dans le
palais fortuné ^ Ce fut lui qui fut chargé dorénavant d’assurer
ce service. On révoqua le caïd Belqâsem-Et-Temli de ses
fonctions d’amin-adjoint ^ qu’il exerçait.

Parmi les notables personnages qui moururent sous ce

1. On voit, par ce passage, que le pacha avaitcumulé ses fonctions avec celles
d’amfn.

2. Autrement dit : à la cour.

3. Je traduis par amin-adjoint ou sous-amtn en lisant : ^iUl oj«UI; mais
cela est loin dVtre certain.

 

CIIAPITIIK TltENTE-CLNOUlKME fy\’i

pachalik, ou peut citer : le caïd Moliainnied-EI-Arbi-ben-
Mohammed-heii-AI)delqàder-Ech-Chergui-Er-Râchedi; il
mourut dans la deuxième décade du mois de safar de Tannée
1062 (13-22 janvier 1632), notre confrère et ami l’amin,
le caïd Belqâsem, dont il vient d’être parlé qui mourut le
27 de ce mois (8 février 1652) (Dieu lui fasse miséricorde
et par sa grâce lui pardonne !).

Au moment du dohor, le mercredi, 2 du mois de rebi II de
l’année 1062 (13 mars 1552), mourut le cadi Mohammed-
ben-Mohammed-ben-Mohammed-Koraï (Dieu lui fasse misé-
ricorde et lui soit indulgent par sa grâce!). Il avait été élevé
aux fonctions de cadi à l’âge de cinquante ans et il les con-
serva dix-sept ans. Dans la matinée du jeudi, 10 de ce mois
de cette même année (21 mars 1652), le jurisconsulte Aboii-
Zeïd-Abderrahman, fils du jurisconsulte Ahmed-Mo’yà, fut
investi des fonctions de cadi dans le palais fortuné (Dieu le
dirige dans la bonne voie et lui soit propice!) (r^t); il
était alors âgé de soixante-treize ans.

Dans la soirée du vendredi, l^'”jour du mois de rebi’
V de l’année 1063 (30 janvier 1653), mourut le pacha
Mohammed-ben-Mohammed-ben-‘Otsman.

Le dimanche, 7 du mois sacré de dzou ‘l-hiddja, terminant
l’année 1062 (9 novembre 1652), le caïd Abdelkerim-ben-
El-‘Obeïd* fut révoqué de ses fonctions de caïd de Dienné et
fut remplacé en cette qualité par le caïd Ali-ben-Abdel-
aziz-El-Feredji qui fut nommé le jeudi, 17 du mois sacré de
moharrem de l’année 1063 (18 décembre 1652).

Le vendredi, 22 du mois de safar de l’année 1062 (3 fé-
vrier 1652), la crue du Fleuve atteignit Madoko; on était
alors au 22 février l Toutefois, la crue n’atteignit pas le
point extrême auquel elle arrive d’habitude; elle s’arrêta à

1. Ou : El-‘Abîd, selon la prononciation vulgaire.

2. Les textes donnent tous la date du 22 ; c’est plutôt le 12 qu’il faudrait dire.

 

4 44 HISTOIRE DU SOUDAN

Mermaso-Yenda’. Ce fut là une chose étonnante qu’on
n’avait pas vue encore et dont on n’avait jamais entendu
parler comme s’étant produite auparavant : on peut citer ce
fait comme un de ces phénomènes extraordinaires qui arri-
vent au cours des âges.

Sous le gouvernement du pacha ci-dessus mentionné, les
portes de la révolte s’ouvrirent à la fois de tous côtés et en
tous lieux. Dieu veuille qu’il n’en résulte rien de fâcheux, ni
pour nous, ni pour les musulmans et qu’il nous fasse la
grâce de nous en délivrer.

Durant la dernière décade du mois sacré dedzou l-qa’ada
de l’année 1062 (23 octobre-2 novembre 1652), le cheikh
alla-Ed-Doumesi se révolta contre les gens de Kâgho et
s’enfuit vers le Songhaï auprès de l’askia Daoud, emme-
nant avec lui tous les propriétaires de troupeaux, Arabes,
Touareg, Foulânes et autres. Pendant la deuxième décade
du mois sacré de moharrem, le premier des mois de l’année
1063 (11-21 décembre 1652), le caïd Mansour-ben-Mobâ-
rek-Es-Saououâf, caïd de Kâgho, se mita la poursuite des re-
belles à la tête de ses troupes. Un corps de cinquante soldats,
pris dans la garnison de Tombouctou, fut envoyé à son se-
cours; ce détachement était commandé par le lieutenant-
général révoqué^ Ahmed-ben-Sa’ïd-El-Medâseni. Quand on
arriva au pays de l’askia, celui-ci avait pris la fuite et aban-
donné sa capitale. Quant à O’alla (v^r) on ne réussit pas à
obtenir sur lui le moindre avantage, aussi revint-on sur ses
pas. Oalla suivit à son tour l’armée marocaine, et les féti-
chistes qui l’accompagnaient la harcelèrent chaque nuit à
coups de flèchesjusqu’àKoukia; là, O’alla cessa sa poursuite
et s’éloigna.

Le pacha fit ensuite une expédition contre le territoire de

1. 1^ ms. C dit : « au port de Yonda » à la place de « Mermaso-Yenda ».

2. il va sans dire qu’il avait été rétabli dans ses l’onclions.

 

CHAPITRE TKENïE.CINQUIP:mE 445

Achorro. 11 attaqua toutes les populations qui se trouvaient
là, Arabes et Touareg, et s’empara de leurs troupeaux, qu’il
chassa devant lui. Les victimes de cette agression suivirent
le pacha pendant quelque temps, puis, craignant d’être
vaincues par lui, elles s’en revinrent en arrière. Cela se pas-
sait pendant le mois de ramadan de cette année (26 jnillct-
25 août 1653). Ce fut également pendant le même mois que
le Djinni-Koï Ankaba’la’ se révolta contre la garnison de
Dienné; il alla s’établir dans la ville de (^hio, chez Sûtonka-
Ghima. Puisse Dieu faire que tout ceci se termine bien pour
tout le monde!

Le vendredi, 7 du mois de rebi’ Il (6 mars 1653), mon
frère, le jurisconsulte Mohammed-Sa’di, fils de mon père^
Abdallah-ben-‘Imrân, arriva dans le port de Kabara. Il venait
de Dienné pour se faire opérer de la cataracte par le mé-
decin Ibrahim-Es-Soussi qui était arrivé dans cette ville. Il
entra à Tombouctou le vendredi soir et reçut l’hospitalité du
pacha Ahmed, fils du pacha Haddou qui le logea chez lui,
le traita avec égards et eut pour lui les attentions les plus
délicates.

Le médecin pratiqua l’opération et Dieu voulut que
mon frère fût délivré de son mal et qu’il passât des té-
nèbres à la lumière. Mon frère resta ensuite trois mois et
quatre jours à Tombouctou. Le pacha Ahmed donna de sa
poche au médecin trente-trois mitsqal d’or et un tiers. Au mo-
ment de retourner dans son pays à Dienné, mon frère reçut
du pacha quarante barres de sel et un cadeau consistant en
un superbe costume. Puis il quitta Tombouctou après la
prière de l’aurore, le lundi, 13 du mois de redjeb l’unique,
de l’année ci-dessus indiquée (9 juin 1553). Sa mère ne de-

1. Telle est la prononciation notée dans le ms. C.

2. Celte mention pourrait indiquer que ce Irère de l’auleur élait d’un autre
lit que lui; toutefois cela n’est pas certain.

 

i’iC) HISTOIBE DU SOUDAN

iiieura dans ce monde que deux mois et vingt-trois jours
après son départ.

 

CIIAPITHE XXXVI (Y^t)

UBITUAIKE ET KÉCIT DES ÉVÉNEMEiNTS DE L’ANNÉE 1042(19 JUILLET 1632-
8 JUILLET 1633) A LA FIN DE L’ANNÉE 1063 (2 DÉCEMBRE 1652-22 NO-
VEMBRE 1653).

 

Dans la soirée du jeudi, ë du mois sacré de moharreni
commençant l’année 1042 (24 juillet 1632), moururent le
pacha ‘Ali-ben-Abdelqâder et le caïd Mohammed-ben-Me-
sa’oud. Ils eurent tous deux la tête tranchée daus les écuries
par ordre du pacha ‘Ali-ben-Mobàrek-El-Mâssi et cela avec
l’assentiment de toutes les troupes.

La nuit de ‘Achoura de ce mois, un dimanche soir (28 juil-
let 1032), mourut, dans la ville de Dienné, Mohammed-
ben-Moussa-Es-Sibâ’i; il fut mis à mort sur l’ordre du caïd
Mellouk-ben-Zergoun et des cinq heutenants-généraux.

Ce fut au cours de cette même année que mourut ma
tante paternelle, Omm-Hafsa-bent- Imràn (Dieu lui fasse
miséricorde!).

Dans cette même année également mourut le juriscon-
sulte, le savant, le saint, le pieux, l’excellent, l’éminent, le
cheikh Boubo-Kâr le Foulàne; il appartenait à la tribu de
Sonfontira (Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse profiter
de ses bénédictions!).

Au cours de la seconde décade du mois de safar de cette
année (28 aout-6 septembre 1032), mourut le caïd Ahmed-

 

CHAPITRE TRENTE-SIXIÈME 447

beii-Sa’douii-Ecli-Chiàdemi’ ; il fut enterré dans le cimetière
de la grande mosquée.

Dans la soirée du jeudi, 13 du mois de djomada P'” (27
novembre 1632), mourut le Djinui-Koï Abou-Bekr-ben-
Abdallah ; après avoir été garrotté, il fut tué, dans la casbah,
par ordre du caïd Mellouk-ben-Zergoun en présence des lieu-
tenants-généraux. Son corps fut lavé le jeudi soir, puis on
fit sur lui les prières funèbres et il fut enterré dans la grande
mosquée de la ville de Dienné.

Pendant la dernière décade du mois de djomada II (2-1 1
janvier 1693) mourut, à Dienné, mon conTrère et ami Bà-
bir-Kiraï-ben-Abou-Zeyyàn-Et-Touàti (Dieu lui fasse misé-
ricorde et lui accorde son pardon!).

A la fin(Y^o) du mois de ramadan de cette année (10 avril
1633) mourut mon confrère et ami d’enfance Habîb-ben-
Abdallah-ben-Belqâsem-Et-Touati (Dieu lui fasse miséri-
corde et lui pardonne par un effet de sa grâce !).

Durant la première décade du mois sacré de dzou’l-hiddja
terminant l’année susdite (28 juin-7 juillet 1633), mourut
notre aimé voisin le chérif Mohammed-Baghyo’oben-Abdal-
lah-Siri, fils de l’imam Seyyd ‘Ali-El-Djezouli (Dieu très haut
lui fasse miséricorde!).

Fendant la seconde décade du mois de redjeb de l’an-
née 1043 (10-20 janvier 1631), mourut mon confrère et
ami Mahmoud-ben-‘Omar-El-Harràr. Le lendemain de sa
mort, mourut également mon confrère et ami El-Fa’ Ab-
kar-El-Foulàni. Tous deux étaient dans la ville de Dienné et
furent enterrés dans le cimetière de la grande mosquée.
(Dieu fasse miséricorde à tous deux et leur accorde pardon
et indulgence!).

Au cours de la première décade du mois de rebi’ P’ de
Tannée 1044 (25 aoùt-3 septembre 1634), mourut U’ pacha

1. Ou : « Ech-Chàdemi. »

 

‘i48 HISTOIRE DU SOUDAN

So’oud-beiî-Ahmed-‘Adjeroud-Ech-Chergiii. 11 fut enterré
dans la mosquée de Mohammed-Naddi.

Dans la première décade du mois sacré de dzou’l-qa’ada
(18-27 avril 1635), mourut ma sœur Omm-Keltsoum, fdle
de mon père Abdallah-ben-‘lmrân ; elle succomba dans la
ville de Dienné après la prière du second ‘acha, à la suite
de ses couches, deux ou trois jours après l’accouchement.
Elle fut enterrée cette même nuit dans la grande mosquée
(Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde son pardon. Amen ! ).

Le vendredi, 13 du mois sacré de moharrem commen-
çant l’année 1045 (29 juin 1635), dans la matinée, mourut
le jurisconsulte, le savant, le très docte, Abou’l-Abbâs, c’est-
à-dire le cadi Seyyid Ahmed-ben-Anda-Ag-Mohammcd
Boryo, fds de Ahmed, fds du cadi Anda-Ag-Mohammed (Dieu
lui fasse miséricorde et nous fasse profiter de ses bénédic-
tions. Amen!).

Au cours de la première décade de safar (17-26 juillet
1635), mourut le pacha Abderrahman, fds du caïd Ahmed-
ben-Sa’doun-Ech-Chiâdemi ; il fut enterré dans le cimetière
de la grande mosquée près du tombeau de son père. A cette
même époque mourut le cheikh, l’éminent jurisconsulte,
Abderrahman, surnommé El-Fa’-Komo, fds du saint de Dieu,
le jurisconsulte Abou-Bekr-ben-Abderrahman-El-Ghedàmesi.
L’office mortuaire (x^1) fut dit sur lui à la suite de la prière
du maghreb; après quoi il fut enterré* dans le cimetière
de la grande mosquée de Dienné (Dieu lui fasse miséricorde
et nous fasse profiter de ses bénédictions. Amen!).

Le jeudi, après-midi, le 14 du mois de ramadan de l’an-
née 1045 (21 février 1636), mourut à Merrâkech le prince
souverain Maulay El-Oualid, fils du prince souverain Mau-
Jay Zîdàn.

Le dimanche, à l’heure de la prière de Tasr, le 2 du mois de
1. La suite de ce paragraphe est seulement dans le ms. G.

 

CHAPITRE TRENTE-SIXIEME 449

redjeb de rannée 1046 (30 novembre 1636), mourut le ju-
risconsulte, le savant Mahmoud, fils du jurisconsulte Sâlah-
Ouankarâba’ ; il fut enterré dans le cimetière de Sankoré
(Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde indulgence et
pardon ! ) .

Dans la nuit du mardi, 23 du mois de sat’ar de l’année 1047
(17juillet 1637), mourut mon confrère et ami intime, lejuris-
consulte Omar-Koraï-ben-Yomzoghor-El-Oucddâni. Dieu le
très-haut lui fasse miséricorde, lui accorde indulgence et
pardon et nous réunisse l’un à l’autre à l’ombre de son trône
au plus haut du paradis en nous exemptant de tout châti-
ment et de toute épreuve. Amen !

Au mois de rebi’ II (23 aoùt-21 septembre 1637), mourut
à Agadèz- le seyyid béni, l’ami pieux, le chérif Fâïz, fils du
chérif Ahmed (Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse
profiter de ses bénédictions dans ce monde et dans l’autre.
Amen ! ) .

Le jeudi, 8 du mois de rebi’ il de l’année 1048 (19 août
1638), mourut le cheikh, le jurisconsulte, le savant, l’émi-
nent, l’érudit, le parfait, le pratiquant Abou-Ishaq-Ibrahim,
fils du jurisconsulte Ahmed-Baghyo’o-El-Ouankori (Dieu
lui fasse miséricorde et nous fasse profiter de ses bénédic-
tions dans ce monde et dans l’autre. Amen!).

Pendant la première décade du mois de cha’ban (8-17 décembre 1638), mourut, dans la ville de Dienné, mon confrère Seliman-ben-Belqàsem-Tenfina-Et-Touâti, connu sous le nom de San-Djînou. Il fut enterré dans la grande mosquée (Dieu lui fasse miséricorde et lui soit indulgent!).

Dans la nuit du mercredi, 15 du mois de ramadan (20 jan-
vier 1639), mourut, dans la ville de Konti, mon confrère et

 

1. Orthographe du ms. C.

2. Ou : « Agadès ».

{Histoire du Soudan.) 29

 

450 HISTOIRE DU SOUDAN

ami, le dévoué Kala-Cha’ Mohammed- Aiiasa’, fils du Hi-Koï
Mobrtmmed-Qàï\ Quanl il fut sur le point de mourir, sa fa-
mille me fit mander à Bina, où j’étais à ce moment occupé
à faire une lecture du livre de la Chifa, que les habitants de
Bîna m’avaient demandé de venir leur faire cette année-là.
Le messager m’arriva au milieu de la nuit pour me prier de me
rendre auprès du moribond, afin que je fusse là en attendant
que Dieu prît telle décision qu’il voudrait à son égards Aus-
sitôt je montai à cheval très peiné, tant étaient grandes l’aff’ec-
tion et l’amitié qui nous unissaient ( r ^ v ) .Quand j ‘arrivai à des-
tination après le lever de l’aurore, je trouvai mon ami
mort et enterré, ses funérailles ayant eu lieu cette même
nuit (Dieu lui fasse miséricorde, et accorde indulgence et par-
don dans sa grâce et sa générosité à cet excellent et dévoué
ami !). Je retournai aussitôt à Bîna où j’arrivai dans la ma-
tinée pour y reprendre la lecture du livre béni de la Chifa.

Le samedi, 17 du même mois (22 janvier), mourut à
Dienné, mon frère ‘Ali, le fils de mon père Abdallah-ben-
‘Imràn. Il fut enterré dans la grande mosquée (Dieu lui
fasse miséricorde et lui accorde le pardon. Amen!).

Dans la matinée du samedi, 24 de ce mois (29 janvier),
mourut mon confrère, l’éminent, le bienveillant, Abdallah,
fils du jurisconsulte Ahmed-Mo’yâ. Il était parti de chez lui
monté sur son cheval et se rendait à la casbah pour faire
une lecture du El-Djami’-es-sahih d’El-Bokhâri dans la de-
meure royale, lorsque, pris d’une faiblesse en route, il dut
retourner sur ses pas ; il mourut chez lui en y arrivant.
C’était précisément ce jour-là qu’il devait terminer la lecture
du recueil béni. Ce fut son frère le jurisconsulte Abderrah-

 

\. Lcclure du ms. C.

2. Ou : M Nâï ».

3. En d’autres termes : « que Diou décidât s’il le laisserait vivre ou s’il le lais-
serait mourir ».

 

CHAPITRE TRENTE-SIXIEME 451

man qui acheva cette lecture (Dieu lui fasse une large mi-
séricorde. Amen!).

Au mois de chaouâl (5 février-6 mars 16391, si je ne me
trompe, mourut à Dienné mon confrère Merzouq-ben-Ham-
doun-El-Oudjeli (Dieu lui fasse miséricorde. Amen!).

Durant la dernière décade du mois sacré de d/ou ‘1-hiddja
terminant l’année 1048 (25 avril-4 mai 1639), mourut le
caïd Mohammed-ben-El-Hasen-Et-Târezi qui fut tué par le
pacha Mesa’oud, ainsi qu’il a été dit plus haut. Ce fut aussi
à cette même époque que périt l’amin, le caïd Ahmed-
ben-Yahya, également victime du pacha Mesa’oud, comme il
a été dit précédemment.

Pendant la première décade du mois de safar de l’année
1049 (3-12 juin 1639), mourut le caïd Mellouk-ben-Zer-
goun. 11 fut enterré dans le cimetière de la grande mosquée.
La nuit du mardi, 6 de ce mois (8 juin) mourut le caïd Ahmed,
fils du caïd Hammou-ben-‘Ali-Ed-Der’i, qui fut tué par le
pacha Mesa’oud, comme on l’a vu plus haut.

Au mois de dzou ‘1-qa’ada de cette année (23 février-
24 mars 1640), mourut l’askia Ali-Senba. Cet askia révoqué
fut tué dans la ville de Koïra-Djinou par les hommes faisant
partie de l’expédition deChenân-ben-lbrahim-El-‘Arousi, qui
tuèrent un grand nombre de braves Senhadjiens habitant
dans cette localité et y commirent les plus grands excès.

Le jeudi, vers midi*, pendant le mois de djomada II (août
1 640) mourut mon amie’^ la chérifa-Nâna-Komo, fille de Bouya
(Y^v) le chérif, fils de El-Mizouâr. Elle rendit l’âme en sou-
riant pendant que sa tète reposait sur mes genoux. L’office

1 . Le quanliènie a été omis à moins peut-être, ce qui est probable, que le mot
jeudi ait été mis pour le 5 ou encore que le copiste ayant à écrire : le jeudi 5, ait
cru qu’il y avait une répétition de mois, jeudi et cinq s’écrivant presque de la
même façon en arabe.

2. Était-ce sa femme, sa concubine ou simplement son amie? l’auteur ne le
dit pas.

 

452 HISTOIRE DU SOUDAN

mortuaire fut dit par moi après la prière du dohor ; elle
lut enterrée à Diennédans la grande mosquée (Dieu lui fasse
miséricorde, nous soit utile grâce à elle dans ce monde et
dans l’autre. Amen !). C était en Tannée 1050.

Dans la matinée du samedi, 4 du mois sacré de dzou ‘1-
qa’ada de cette année (15 février 1640), mourut mon con-
frère El-Amin-ben-‘Ali-ben-Ziyad. Dieu lui fasse miséricorde
et lui soit indulgent !

Pendant la matinée du vendredi, jour de la fête de la
Rupture du jeûne de l’année lOol (14 janvier 16 il), mourut
le Djinni-Koï Abdallah, fils du Djinni-Koï Abou-Bekr. Les
prières dernières .furent dites sur lui dans le mosalla et il
fut enterré à Dienné dans la grande mosquée.

Au moment du dohor, le dimanche 17 de ce mois (30 jan-
vier 1641), mourut ma femme Kâdi*-bent-El-Mokhtâr-Ti-
meta-El-Ouankori ; elle fut enterrée à Dienné dans la grande
mosquée (Dieu, dans sa grâce, lui fasse miséricorde!).

Dans la matinée du lundi, 14 du mois sacré de moharrem
de l’année 1052 (13 avril 1642), mourut l’imam de la
grande mosquée, l’imam Seyyid ‘Ali-ben-Abdallah-Siri, fils
de l’imam Ali-El-Djezouli. On l’enterra dans le cimetière
de la grande mosquée (Dieu, dans sa grâce, lui fasse misé-
ricorde!). Ce fut à cette époque que fut nommé imam de
cette mosquée l’imam Mohammed-El-Ouadi’a, fils de l’imam
Mohammed-Sa’ïd, fils de l’imam Mohammed-Kidàdo, le
Foulàrii.

Vers midi, le dimanche, 27 de djomada !”■■ (23 août 1642),

mourut ma sœur Aïcha, fille de mon père Abdallah-ben-

Imrân. Je fis sur elle les dernières prières après l’office

de l’asr et elle fut enterrée dans le cimetière de la grande

mosquée.

Le vendredi, 9 de djomada II (4 septembre 1612), mourut
1. Ou : Kaki », selon les ms. Â cl 13.

 

CHAPITRE TRKNTK-SIXIÈME 453

mon obligeant voisin, l’agréé de Dieu, El-Hâdj-Abdallali-
ben-‘Ali-El-Idrisi, connu sous le nom de Mo’akar’ (Dieu lui
accorde une large miséricorde, lui soit indulgent (^\\) lui
pardonne, et l’élève au plus haut degré du paradis.
Amen!).

Le samedi soir, 20 du mois de ramadan (12 décembre
1642),. mourut mon ami et bienfaiteur l’askia Mohammed-
Benkan, fils du Balama’ Mohammed-Es-Sâdeq,fils du prince
Askia-Daoud (Dieu lui fasse miséricorde, lui soit bienveil-
lant et indulgent!).

Le vendredi soir, 11 du mois de chaoual (2 janvier 1643),
mourut mon obligeant ami et mon éminent collègue le ju-
risconsulte, le cadi, Abou-Abdallah-Mohammed-Senba, fils
du cadi Mohammed-Djim, fils du jurisconsulte Senba-Mc-
ryem, cadi du MAsina (Dieu, dans sa grâce, lui fasse misé-
ricorde, lui soit indulgent, lui pardonne et nous réunisse tous
deux à l’ombre de son trône au plus haut du paradis. Amen!).
Le mercredi soir, 14 du mois de ramadan de l’année
1053 (26 novembre 4643), mourut, à Dienné, mon ami
Chiraa-Mohammed. Il fut enterré dans la grande mosquée.
C’était le chef des caïds du Djinni-Koï (Dieu, dans sa grâce,
lui fasse miséricorde, lui soit indulgent et lui pardonne!).

Dans la soirée du lundi, 7 du mois sacré de dzou ‘1-hiddja
terminant l’année 1053 (16 février 1644), mourut, dans la
ville de Chiblâ, du territoire de Kala, mon confrère, mon
obHgeant ami, le jurisconsulte Abou-Bekr-Sa’natara^, connu
sous le nom de Mouri-Kibâ.

Au mois de djomada II de l’année 1054 (5 aoùt-3 septem-
bre 1644), mourut ma tante paternelle Omm-Nâna, fille du
jurisconsulte, du lecteur du Coran, Seyyid Abderrahman,

1. Le ms. C, donne l’orthographe : Moriki’ri.

2. Telle est la leçon du ms. G, qui paraît préférable à celle desms. A et B qui
a été imprimée.

 

454 HISTOIRE DU SOUDAN

fils «lu scyyid Abdorrahman-El-Aiisàri (Dion lui fasse misé-
ricorde!).

Le mardi, après la prière du dôhor, le 1″‘ du mois sacré
de raoharrem de l’année 1055 (27 février 1645), mourut, dans
la ville de Foutina, ma fille Zeïneb. Je la fis enterrer dans
cette localité, car à ce moment j’allai me mettre en voyage
(Dieu fasse pencher en sa faveur la balance!)*.

Le samedi, 5 du mois de safar (2 avril 1645), mourut,
dans la ville de Bina, mon confrère et ami, mon parent par
alliance à un double titre ^ Mohammed fils du cheikh El-
Mokhtasar-Timeta-El-Ouankori. Je procédai au lavage de
son corps et il fut enterré immédiatement (Dieu très haut
lui fasse miséricorde, lui soit indulgent et lui pardonne.
Amen !) (t» •).

Dans la nuit de lundi, l’avant-dernier jour du mois de
chaouâl (18 décembre 1645), mourut le chérif Yousef, fils
du chérif ‘Ali, fils du chérif El-Mizouâr (Dieu lui fasse misé-
ricorde et nous fasse profiter de ses bénédictions dans ce
monde et dans l’autre. Amen I).

Pendant la nuit du samedi, 9 du mois sacré de dzou ‘1-
liiddja, le dernier des mois de l’année 1055 (26 janvier 1646),
mourut, dans la ville de Bina, mon confrère Mohammed-
ben-El-Amin-ben-Abou-Bekr-Ko’ti. Je lavai son corps moi-
même. Les prières dernières furent dites sur lui au mo-
salla dans la matinée du jour de la fête\ Il fut enterré là
immédiatement (Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde,
dans sa grâce, pardon et indulgence!).

Durant la nuit du vendredi, 7 du mois sacré de niohar-
rem, le premier des mois de l’année 1056 (23 février 1646),

1. C’est-à-dire : fasse que le poids de ses bonnes actions l’emporte sur celui
des mauvaises au jour du Jugement dernier.

2. On a vu plus haut que le père de cet ami était le beau-père de l’auteur;
celui-ci ne dit pas de quelle autre façon ce Mohammed lui ét«Tit allié.

3. La fête dite des Sacrifices,

 

GHAPIÏiŒ TItENTE-SIXIÈME 455

mourut, dans la ville de Bina, mon confrère l’imam Seiii-
ber-Ed-Deredji. Je lavai son corps le samedi matin et nous
dîmes aussitôt les dernières prières sur lui. Il fut enterré
en cet endroit (Dieu lui fasse miséricorde et, dans sa grâce,
lui accorde le pardon).

Le lundi, 6 du mois de rebi’ I”‘ (22 avril 1646), mourut
mon confrère et ami Seyyid El-Hasen-El-Kâteb-ben-‘Ali-ben-
Sâlem-El-Ghesnouni. Il fut enterré dans le cimetière de la
grande mosquée (Dieu lui fasse miséricorde).

Au mois de redjeb (13 aoiit-12 septembre), si je ne me
trompe, mourut, dans la ville de Tendirma, mon con-
frère et ami, le jurisconsulte Sâlih-ben-Sâïd-Selenki (Dieu
lui fasse miséricorde et, dans sa grâce, lui accorde indul-
gence et pardon !).

Le lundi, 17 du mois de chaouâl (26 novembre 1646),
mourut, dans la ville de Bina, mon beau-père*, Seyyid ‘Ali-
ben-Abmed-El-Idrisi (Dieu, dans sa grâce, lui fasse misé-
ricorde !).

Vers midi, le samedi, 5 du mois sacré de dzou’l-hiddja
terminant l’année 1036 (12 janvier 1647), mourut mon ser-
viable ami, le chérif Mohammed, fds du chérif El-Hâdj. Les
prières dernières furent dites sur lui après la prière du
dohor et il fut enterré dans le cimetière de la grande mos-
quée (Dieu lui fasse miséricorde, lui accorde indulgence et
pardon et nous fasse profiter de ses bénédictions en ce
monde et dans l’autre. Amen ! ).

Entre le coucher du soleil et la nuit, le mercredi, 8 du

mois sacré de moharrem, le premier des mois de l’année 1057

(13 février 1647), mourut le pacha Ahmed, fils du pacha

Ali-ben-Abdallah-Et-ïelemsâni. Les prières mortuaires

furent dites sur lui dans la matinée du samedi (t* \). Il fut

1. Gendre ou beau-frère, le mot employé indiquant seulement d’une façon
certaine la parenté par alliance.

 

456 HISTOIRE DU SOUDAN

enterré dans la mosqnée de Mohammcd-Naddi (Dieu très-
haut lui fasse miséricorde!).

Le vendredi, iO du même mois (15 février), mourut le
pacha Mesa oud-ben-Mansour-Ez-Zaghri\il était en prison
à El-Hadjar, chez le Kirao-Koï.

La nuit qui précéda le 1 ^’ du mois de safar (7 mars), mou-
rut le Maghcharen-Koï Abderrahman, connu sous le nom de
Aknezer. Il eut pour successeur dans ses fonctions le fils de
sa fille, Abou-Bekr-ben-Ourmechta, qui fut nommé par le
pacha El-Hayyouni.

Au mois de djomada P’ (4 juin-4 juillet 1647), mourut
mon fils Mohammed-Et-Tayyib pendant qu’il était auprès
de sa mère Halima (Dieu fasse pencher la balance en sa fa-
veur. Amenl).

Dans la nuit du vendredi, 9 du mois de dzou ‘1-qa’ada
(6 décembre 1647), mourut le jurisconsulte Mohammed-
Seyyid, fils du jurisconsulte Ahmed-Baba. Il fut enterré au
cours de la matinée du lendemain dans le cimetière de San-
koré (Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde indulgence
et pardon. Amen!).

Le lundi, 15 du mois sacré de moharrem, le premier des
mois de l’année 1058 (10 février 1648), mourut, dans la
ville de Dienné, mon frère Ahmed, fils de mon père Abdal-
lah-ben-‘Imrân ; il fut enterré à la grande mosquée (Dieu
lui fasse miséricorde et, dans sa grâce, lui soit indulgent!).

Pendant la nuit du lundi, 1 6 de chaouâl (3 novembre 1 648),
mourut, dans la ville de Bîna, mon cher confrère, mon
compagnon, mon tendre ami depuis ma prime jeunesse,
l’éminent, le vertueux, le jurisconsulte Mahmoud-Ko’ti-ben-
‘Ali-ben-Ziyfid. Il fut enterré dans cette localité (Dieu, dans
sa grâce et sa bonté, lui pardonne, lui fasse miséricorde, lui

1. Peut-être faudrait-il lire : Kz-Za’eri, en supprimant le point diacritique du
gliaïn.

 

ï

 

CHAPITRE TRENTE-SIXIÈME 457

soit indulgent et nous réunisse l’un à l’autre à l’ombre de
son trône, au plus haut des degrés du paradis!].

La quatrième nuit de la fête des Sacrifices de l’année 1059
(19 décembre 1649), mourut le cheikh Ibrahim-ben-Me-
sa’oud-Er-Ra’onân, mis à mort parle pacha Yahya-ben-Mo-
hammed-El-Gharnâti. 11 fut enfoui dans les écuries, sans
la moindre prière et sans que son corps eût été lavé.

Au moisderedjeb de l’année 1060 ^30juin-30 juillet 1650),
mourut le caïd Abdelqâder-ben-Meimoun-Ech-Chergui ; il fut
enterré dans le cimetière de la grande mosquée (Dieu très-
haut, dans sa grâce et sa bonté, lui fasse miséricorde. Amen!).
Dans la nuit du mercredi, 10 du mois de ramadan (6 sep-
tembre 1650), mourut, à Gondam, le caïd ‘Ali-ben-Rah-
moun-El-Monebbehi. Son corps fut porté à Tombouctou où
eurent lieu les funérailles le jeudi soir. Les prières dernières
furent dites sur lui par le seyyid éminent, le jurisconsulte
Mohammed-ben-Ahmed-Baghyo o-El-Ouankori, près de la
mosquée de Mohammed-Naddi, avant la prière du deuxième
acha et il fut enterré dans le cimetière de la grande mos-
quée, selon le désir qu’il avait exprimé ‘,

Dans la matinée du mercredi, 22 du mois de rebi’ P”” de
l’année {r^r) 1061 (15 mars 1651), mourut, dans la ville de
Dienné, mon frère Abdelmoghits, le fils de mon père Abdal-
lah-ben-‘Imrân; il fut enterré dans la grande mosquée
(Dieu lui fasse miséricorde et, dans sa grâce, lui accorde
indulgence et pardon!).

Le 21 du mois de chaouâl (27 octobre 1651), mourut,
dans la ville de Dienné, le cadi Ahmed, fils du cadi Mousa-
Dàbo. Il avait occupé les fonctions de cadi pendant trente
et un ans. Il eut pour successeur son frère Abderrahman,
un ignorant, ne sachant rien des questions juridiques.

1. La traduction a été faite d’après le ms. C, qui ajoute la fin de ce para-
graphe à partir de ces mots : « près de la mosquée, etc. »

 

458 HISTOIRE DU SOUDAN

Durant la seconde décade du mois de safar do l’année
1062 (22 janvier-!” février 1652), mourut le caïd Moham-
med-El-Arbi-ben-Mohammed-ben-Abdelqâder-Ech-Chergui-
Er-Ràchedi. Il fut enterré dans le cimetière de la grande
mosquée pendant la matinée.

Le 27 du même mois (8 février 1652), mourut mon con-
frère et ami, l’amin, le caïd Belqâsem-ben-‘Ali-beii-Ahmed-
Et-Temeli. Les prières furent dites après la prière du do-
hor. 11 fut enterré près du tombeau de notre cheikh, le saint,
1 eminent, le jurisconsulte, l’amin, Abou-Ahmed, frère du
jurisconsulte Abderrahman (Dieu, dans sa grâce et sa bonté,
lui fasse miséricorde, et lui accorde indulgence et pardon!).

Vers le moment du dohor, le mercredi, 2 du mois de
rebi’ II de l’année 1062 (14 mars 1652), mourut le cadi
Mohammed- ben-Mohammed-ben-Mohammed-Koraï’ (Dieu,
dans sa grâce et sa bonté, lui fasse miséricorde et lui ac-
corde indulgence et pardon!).

Dans la nuit du mardi. 22 du même mois (2 avril 1652),
mourut, dans la ville de Dienné, le cadi Abderrahman; il
avait exercé cette magistrature durant environ cinq mois
(Dieu lui fasse miséricorde, et, dans sa grâce, lui soit indul-
gent et lui pardonne!).

Au mois de djomada P”” (10 avril-dO mai 1652), les gens
de Dienné investirent des fonctions de cadi Mohammed-ben-
Merzouq-Moulay-El-Haouâri. Dieu lui fasse la grâce de le
maintenir dans la bonne voie!

De bon matin, le jeudi, 2 du mois sacré de dzou’l-hiddja
terminant l’année 1062 (5 novembre 1652), mourut notre
maître^ Cha’bân. Les prières dernières furent dites sur lui
dans la matinée à la grande mosquée et il fut enterré dans

\. Le ms. C. répète trois fois le nom de Mohammed, ce qui est exact; les
aulres mss. et l’imprimé ne portent ce nom que deux fois.

2. Ou : « Monseigneur. » Le titre employé ici ne se donne qu’aux souverains
ayant régné ou encore aux grands saints de l’Islam.

 

CHAPITRE TOENTESIXIÈME 459

lo cimetière do celte mosquée (Dieu très haut lui fasse misé-
ricorde et, dans sa grâce, lui soit indulgent et lui pardonne!).

Le vendredi, après la prière de Tasr, le premier jour du
mois de rebi’ V’ de l’année 1063 (30 janvier 1653), mourut
le pacha Mohammed-ben-Mohammed-ben-(Y’«v) ‘Otsmân, et,
au même moment, mourut son jeune fils. Les prières sur les
deux corps furent dites au moment de l’acha après qu’on
leur eut creusé une fosse dans la mosquée de Mohammed-
Naddi. Mohammed-Baghyo’o, avant de procéder aux prières
mortuaires, adressa de vifs reproches au pacha Ahmed-
ben-Haddou en lui disant : « A tout instant je vous défends
d’enterrer les morts dans cette mosquée et vous ne m ‘écou-
tez pas. Les péchés commis ainsi, c’est vous qui en serez
responsables. Car un mort est impur et une chose impure
ne doit pas pénétrer dans une mosquée. » Cela dit, il procéda
à la prière et les deux défunts furent inhumés dans la même
fosse.

Dans la nuit du jeudi, 13 du mois de rebi’ II (24 mars
1652), mourut la chérifa Khadidja-bent-‘Omar-Komo. Les
prières furent dites sur elle dans la matinée de vendredi et
elle fut enterrée dans le cimetière de la grande mosquée
(Dieu très-haut lui fasse miséricorde!).

Le jeudi, entre l’heure du dohor et celle de l’asr, le 6 du
mois de chaouàl (10 septembre 1652), mourut ma mère
Fatma-bent-El-Hasen-El HaousiyaMe récitai l’office sur elle
après la prière du coucher du soleil près de la grande mos-
quée. Elle fut enterrée auprès de mon père (Dieu très-haut
leur fasse miséricorde à tous deux, leur accorde indulgence
et pardon, illumine leur mausolée, leur assure une géné-
reuse demeure dernière en les faisant habiter aux plus hauts
degrés du paradis. Qu’il ne leur demande aucun compte, ni
aucune expiation, en l’honneur des mérites de notre seigneur

1. C’est-à-dire : originaire du Haousa.

 

460 HISTOmE DU SOUDAN

Mahomet. Que Dieu répande sur lui ses bénédictions et lui
accorde le salut!).

Dans la soirée du mercredi, au moment du coucher du
soleil, le 6 du mois de dzou *l-hiddja, achevant l’année 1063
(28 octobre 1653), mourut ma sœur Hafsa-Tâ’o-bent-Abd-
allah-ben-‘Imrâu. Je fis les prières sur elle après la prière
de Tacha et elle fut enterrée auprès du tombeau de notre
père (Dieu lui fasse miséricorde et lui soit indulgent. Amen !).

 

CHAPITRE XXXVII

LISTE PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE DES PRINCIPAUX FONCTIONNAIRES
DE DIENNÉ ET DE TOMBOUCTOU, DEPUIS L’OCCUPATION MAROCAINE
JUSQU’A L’ANNÉE 1653.

 

Nous venons de terminer ce que nous voulions dire de
tous les récits qu’il nous a été possible de recueillir au sujet
des princes de Songhaï. Nous y avons ajouté quelques ren-
seignements sur Qaïamagha, sur les gens du Melli, sur les
princes de Dienné, sur l’origine de cette ville et sur celle de
Tombouctou en indiquant les princes qui y ont régné (t« t)
et aussi sur la dynastie ahmédienne, hachémite, mansou-
rienne et molouyenne*. Nous avons encore parlé des ulémas,
des saints. Nous avons fait connaître la biographie, la vie et
la conduite de tous ces personnages, leurs expéditions mili-
taires, les combats qu’ils ont livrés, leurs annales, la date
de leur mort, ainsi que la date de la mort des principaux per-
sonnages de ces pays, nos amis, nos confrères et nos pa-
rents. Enfin à tout cela nous avons ajouté ce qui s’y ratta-
chait de l’histoire des princes foulânes du Mâsina et des

1. Autrement dit : les souverains de l’empire du Maroc.

 

CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME 461

Touareg, depuis leur origine jusqu’à ce jour qui est le lundi,
4 du mois sacré de dzou ‘1-hiddja terminant l’année 1063
(26 octobre 1653).

Aujourd’hui le pacha qui exerce le pouvoir est Ahmed-
ben-Haduou-ben-Yousef-El-Adjenâsi. Celui qui occupe le
rang de prince du Songhaï à Tombouctou est l’askia El-
Hâdj-Mohammed, fds de l’askia Mohammed-Benkan, fils
du Balama’ Mohammed-Es-Sâdeq, fils de l’askia Daoud,
fils du prince Askia-El-Hâdj-Mohammed-ben-Abou-Bekr.
Le personnage qui est actuellement le prince des noirs’ dans
la ville de Dienné est le Djinni-Koï Abou-Bekr, que les nè-
gres dans leur langage appellent Ankaba’la ; il est le fils du
Djinni-Koï Mohammed-Benba, fils du Djinni-Koï Isma’ïl. 11
s’est révolté centre les gens du Makhzen de Dienné et il a
gagné la campagne. En ce moment nous ne savons pas ce
qu’il adviendra de cette affaire. Puisse Dieu arranger les
choses de la meilleure façon !

Celui qui occupe le premier rang chez les Foulânes du
Mâsina est le Fondoko Hammedi-Amina, fils du Fondoko
Abou-Bekr-Yâm, fils du Fondoko Hammedi-Amina.

Maintenant je vais donner, par ordre chronologique, la
liste des caïds et des hâkem de la ville de Dienné ; celle
des cadis, imams et des chefs des Touareg à Tombouctou
depuis le moment de l’arrivée de l’armée marocaine jusqu’à
la date de ce jour. Les événements, qui surviendront ensuite,
je les consignerai, s’il plait à Dieu, de la même façon que je
l’ai fait pour tout ce qui a précédé, si je suis encore de ce
monde. Je demande à Dieu le très-haut que, dans sa grâce
et sa bonté, il m’accorde son appui et son aide (t* «).

Le premier hâkem de la ville de Dienné, après l’arrivée

1. Ainsi qu’on le voit, par ce passage, ie Djinni-Koï représentait l’ancien chef
de Dienné avant la conquête marocaine. Son autorité s’exerçait sur toute la po-
pulation indigène. Quant aux étrangers au pays, ils étaient administrés par le
hâkem.

 

463 HISTOIRE DU SOUDAN

de l’armée marocaine, fut ‘Ali-El-‘Adjemi, qui était un des
officiers* supérieurs de l’aile droite de l’armée du pacha
Djouder. Il eut pour successeur le caïd Mâmi-ben-Berroun
qui exerça ces fonctions lorsqu’il vint de Tombouctou pour
chasser le Bàghena-Fâri Bokar, vers le milieu de l’année
1000(19 octobre 1591-8 octobre 1592). Il conserva cette
magistrature pendant deux années entières ; il tira des im-
pôts^ de cette ville une somme considérable qui s’éleva, dit-
on, pour une seule année, à 60.000 pièces d’or.

Le sultan Maulay Ahmed-Edz-Dzehebi donna ensuite l’ordre
à Mâmi de se rendre à Merrâkech et de remettre les fonc-
tions de hâkem de Dienné à Bâqâs-Ed-Der’i. Mâmi se rendit
à Merrâkech avec une quantité considérable d’or. Quant à
Bâqâs, il conserva ses fonctions neuf mois, après quoi il
mourut.

Le pacha Djouder nomma Bâ-Redouân hàkem lorsque le
sultan Maulay Ahmed eut partagé le Soudan entre Djouder
et entre le caïd Mansour-ben-Abderrahman. Djouder nomma
alors à l’office de hâkem du pays, tandis que Mansour nom-
mait aux fonctions militaires. Ensuite le sultan décida de con-
fier les fonctions de hâkem à Seyyid Mansour et Bâ-
Redouân fut alors destitué. Puis, quand le pacha Seliman
vint au Soudan, il destitua Seyyid Mansour et rendit les
fonctions de hâkem à Bâ-Redouân qui les exerça tloncdeux
fois.

Bâ-Redouân ayant été de nouveau destitué, la fonction de
hâkem fut donnée à Ben-Borhom-Ed-Derl qui fut remplacé
à sa mort par El-Arbi-ould-Moumo. Ce dernier nom était
celui de sa mère, car il était fils d’une négresse-^ de Tombouc-

 

i. Le mol traduit par officier est le mot bachout.

2. Le mot kharadj, employé ici, peut s’appliquer à la fois à l’impôt foncier et
à rimp«M de capitalion.

3. Mol à mol : c’était un mulâtre de Tombouctou.

 

CHAPITRE TRENTE-SEPTIEME 463

tou. Sa lignée du côté paternel remontait à un Chebbàiii’ qui
avait suivi les troupes du Makhzen; il avait rendu des ser-
vices au Makhzen, et s’était élevé peu à peu à une haute si-
tuation. Le pacha Seliman, après avoir fait de lui le hàkem
de Tombouctou, lui donna les mêmes fonctions à Dienné. Il
n’y resta que quarante jours, après quoi il mourut ensorcelé
suivant les uns, victime du mauvais œil suivant d’autres.
C’était un homme au teint brun, de belle apparence, haut
de taille et solide de corps.

Les fonctions de hâkem furent alors attribuées au tyran,
au débauché Ahmed-El-Bordj ; il les conserva jusqu’à l’ar-
rivée du pacha Mahmoud-Lonko qui le destitua à cause de
ses iniquités et de sa tyrannie, et lui donna pour successeur
Mansour-Es-Sousi. Elles furent ensuite {r^^) données person-
nellement” par le sultan MaulayAbou-Fàrès à Merrâkech au
caïd Ahmed-ben-Yousef-El-‘Euldji qui, revenant au Sou-
dan, révoqua Mansour et prit possession de son poste qu’il
garda jusqu’en l’année 1019(26 mars 1610-16 mars 1611). A
ce moment le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni vint dans
la ville de Dienné ; il révoqua le hâkem pour mettre à sa place
le thâleb Mohammed-El-Belbâli ; en même temps il nomma
aux fonctions de caïd de la ville^ Ahmed-ben-Bou-Sa’ïd qui,
trois mois après, fut atteint d’aliénation mentale et quitta ce
poste, tandis que El-Belbâli conservait le sien pendant sept
mois; il fut alors révoqué, puis Ali-ben-Sinân fut nommé
caïd et El-Belbâli reprit ses fonctions de hâkem une deuxième
fois, quand Ali-ben-Sinân eut été à son tour révoqué. Il

 

i. C’est-à-dire originaire de la tribu des Chebbàna, tribu marocaine bien con-
nue.

2. Auparavant les nominations des hâkems avaient été faites par le pacha lui-
même sans l’intervention du souverain marocain. Il semble qu’il s’agit ici d’un
cas isolé.

3. Le caïd d’une ville était le chef militaire de cette ville; mais le litre de
caïd seul était un simple grade dans l’armée.

 

464 HISTOIRE DU SOUDAN

conserva alors ce poste environ cinq ans, tout le temps que
le pacha ‘Ali-ben-Abdallah fut au pouvoir.

Lorsque Ahined-ben-Youssef fut nommé pacha il révoqua
El-Belbâli et nomma à sa place Ahmed-Bella qui ne réussit pas
dans ce poste et fut révoqué au bout de sept mois. 11 nomma
Mellouk-ben-Zergoun caïd; celui-ci fut destitué de cet em-
ploi par le pacha Haddou, qui nomma alors caïd des troupes
Abdallali-ben-Abderrahman-El-Hindi taudis qu’il investissait
Mellouk-ben-Zergoun des fonctions de hâkem. Ces deux
fonctionnaires demeurèrent ainsi jusqu’à Tavènement au
pouvoir du pacha Mohammed-El-Màssi. A ce moment lo
caïd Abdallah se révolta contre le pacha au point qu’il faillit
y avoir une véritable révolution ; Dieu heureusement étouffa
ce feu, mais le pacha révoqua le caïd ainsi que le hâkem
Mellouk.

Les fonctions de hâkem furent confiées par le pacha Mo-
hammed à ‘Ali-ben-‘Obeïd et cela au moment de ces jours
critiques et pénibles qui suivirent la famine qui venait de
se produire. Le hâkem éprouva de graves difficultés dans
sa gestion, mais grâce à son zèle et à ses efforts il arriva au
bout de six mois à payer en entier les appointements des
troupes et à leur fournir leurs vivres. Cela fait, il demanda
son changement que le pacha El-Mâssi lui accorda. You-
sef-ben-‘Omar-El-Qasri fut ensuite nommé caïd ; après être
resté à ce poste une année, quatre mois et vingt jours, il ar-
riva à la dignité suprême ‘ à Tombouctou, grâce à la volonté
du Créateur à qui appartiennent la puissance et la vo-
lonté.

Aussitôt élevé au rang de pacha, Yousef nomma le caïd
Mellouk caïd de Dienné. Après avoir conservé ces fonctions
pendant une année complète, Mellouk fut destitué et rem-

1. Au pachalik.

 

CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME 465

placé par le caïd Ibrahim-ben-Abd-(r • v) el-Kerim-El-Djerrâr^
au moment où le caïd Melloiik venait d’achever une période
d’une année, c’est-à-dire au mois de rebi P’ de l’année 1034
(12 décembre 1624-11 janvier 1625). Ibrahim demeura
deux ans en fonctions et fut destitué au mois sacré de mo-
harrem de l’année 1036 (22 septembre 1626-12 septembre
1627).

‘Ali-ben-‘Obeid fut de nouveau nommé hâkem et occupa
ces fonctions pendant huit mois. Le caid Yousef fut dépos-
sédé de sa dignité de pacha et remplacé par le caïd Ibrahim-
ben-Abdelkerim-El-Djerrâr, au mois de cha’ban de l’an-
née 1036 (17 avril- 16 mai 1627). Le nouveau pacha destitua
aussitôt ‘Ali-ben-‘Obeïd et le remplaça par Seyyid Mansour,
fds du pacha Mahmoud-Lonko. Seyyid Mansour mourut dans
la nuit du lundi, 12 du mois de cha’ban de l’année 1037
(15 juin 1628), étant encore en fonctions.

A la fin de ce mois, le pacha Ibrahim-El-Djerrâr, ayant
été déposé, fut remplacé par le pacha Ali-ben-Abdelqâder ;
celui-ci replaça Ali-ben-‘Obeïd comme hàkem de Dienné.
Ali conserva ses fonctions durant sept mois ; puis, à la suite
d’un vif dissentement qui s’éleva entre lui et le pacha, il
fut destitué, au mois de rebi’ I” de l’année 1038 (29 octo-
bre 28 novembre 1628). A cette date, le caïd Mellouk-ben-
Zergoun fut réintégré dans les fonctions de hàkem, puis des-
titué et remplacé par l’ex-pacha Ibrahim-ben-Abdelkerîm-
El-Djerràr, lorsque celui-ci revint de la province qui porte
le nom de Sonfontir” chez les Foulànes; mais, peu après, il
mourut et il fut remplacé par Mellouk-ben-Zergoun qui de-

 

1. Ailleurs on trouve deux autres orlhographcs : El-Djerdr et El-DjerrdrL
Plus haut j’avais adopté El-Djodri, mais à la lin de l’ouvrage on ne rencontre
plus que la forme El-Djerrâr.

2. Le nis. G. écrit : « El-mo’alir ». On ne dit pas si Ibrahim élait réfugié à
Sonfontir ou s’il était gouverneur du district de ce nom.

[Histoire du Soudan.) 30

 

466 HISTOIRE DU SOUDAN

meuraen fonctions jusqu’à la déposition du pacha et la mort
de celui-ci.

Mellouk fut de nouveau destitué par le pacha So’oud qui
nomma le caïd Ahmed-ben-Hammou-ben-‘Ali-Ed-Der’i. Ce
dernier ayant été l’objet de nombreuses plaintes de la part
de la population qui avait eu à souffrir de sa tyrannie, de
son oppression et de ses exactions, le pacha Sa’ïd-ben-‘Ali-
El-Mahmoudi le destitua et mit à sa place le caïd Mohammed-
ben-El-Hasen-Et-Târezi-Et-Torki, Celui-ci fut révoqué par le
pacha Mesa’oud-ben-Mansour-Ez-Za’eri et remplacé par le
caïd ‘Ali-ben-Rahmoun-El-Monebbehi.

Révoqué à son tour, ‘Ah fut remplacé comme hâkem par
Abdelkerim-ben-El-‘Obéïd-Ed-Der’i qui, après révocation,
céda la place au caïd Abdallah, fils du pacha Ahmed-ben-
Yousef. Le pacha Mohammed-ben-‘Otsmân révoqua Abdal-
lah et lui donna pour successeur le caïd Mohammed-ben-
Ibrahim-Chimirro (t • a) qui fut révoqué par le pacha Yahya-
ben-Mohammed-El-(jharnâti. Ce dernier nomma alors le caïd
Abdelqâder, fils du caïd Mellouk ; puis, celui-ci étant mort sept
jours après sa nomination, ce fut Abdelkerim-ben-El-‘Obeïd
qui reprit de nouveau ces fonctions. Destitué de nouveau par
le pacha Ahmed, fils du pacha Haddou-ben-Yousef-El-Adje-
nâsi, ce fut le caïd Ali-ben-Abdelaziz-El-Feredji qui lui suc-
céda et actuellement il est encore en fonctions.

Le premier cadi nommé par les Marocains’ à Tombouctou
fut le cadi Mohammed-ben-Ahmed, fils du cadi Abderrahmau.
Ce fut le pacha Mahmoud-ben-‘Ali-ben-Zergoun qui l’éleva à
ce poste après l’arrestation des enfants de Seyyid Mahmoud
(Dieu lui fasse miséricorde !). Mohammed avait cinquante ans
quand il fut nommé et il mourut à soixante-cinq ans ; il resta
donc en fonctions quinze ans.

1. Au début, le gouvernemeal marocain n’était pas intervenu dans le choix
des cadis, ni, en général^ dans celui des autres chefs religieux indigènes.

 

CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME 467

Son successeur fut le cadi Mohammed-ben-Anda-Ag-Mo-
hammed-ben-Ahmed-Boryo-ben-Ahmed, fils du cadi Anda-
Ag-Mohammed. Sa nomination fut faite par le pacha Mali-
moud-Lonko. Il avait soixante ans quand il fut nommé et il
mourut à l’âge de soixante-quatre ans, ayant donc exercé sa
magistrature pendant quatre ans.

Son frère, le cadi Seyyid Ahmed-ben-Anda-Ag-Moham-
med, fut nommé à sa place par le pacha Mahmoud-Lonko
également. Il était alors âgé de cinquante ans. Il mourut à
soixante- dix-sept ans, après être resté cadi pendant ving-sept
ans.

Le cadi, qui vint ensuite, fut nommé par le pacha Abder-
rahman, fils du caïd Ahmed-ben-Sa’doun-Ech-Chiâdemi;
il se nommait Mohainmed-ben-Mohammed-ben-Mohammed-
Korai. Il était alors âgé de cinquante ans et comme il mou-
rut à l’âge de soixante-sept ans, il demeura donc en fo les gens du Songhai qui mirent
à sa place l’askia Daoud, fils de Mohammed-Sorko-Idji, fils
de Askia-Daoud; puis ils déposèrent ce dernier qui s’enfuit à
Tombouctou et le remplacèrent comme askia par Moham-
med-Boryo, fils de Haroun-Denkatyâ, fils de Askia-Daoud.
L’askia Isma’ïl revint alors avec des troupes considérables
pour combattre Mohammed-Roryo et celui-ci s’enfuit à Kâ-
gho pour y demander des secours. Mais les gens du Son-
ghaï se hâtèrent de nommer un askia nouveau Mâr-Chindin,
fils du Fàri-Mondzo Hamniâd, fils du Balama’ Hâmed, fils de
Askia-Daoud.

Boryo revint alors de Kâgho avec les troupes qu’il y était
allé chercher; il avait avec lui A’âl-Ed-Doumesî accompagné
de son armée. On en vint aux mains avec Isma’ïl. Boryo
périt dans le combat, mais ensuite Isma’ïl fut tué et ses
troupes battues. Les gens du Songhaï déposèrent ensuite
Mâr-Chindiu et élevèrent au rang d’askia Nouh-ben-El-Mos-
tafa (tNr), fils de Askia-Daoud. Puis ils le déposèrent et

1. il ne faul pas oublier que ces expéditions étaient pour beaucoup de gens
une source normale de prolils.

2. La lecture normale de ce nom semblerait devoir être Anas, mais la voyelle
finale a est marquée daps les ms. A et 13.

 

CHAPITRE TRENTE-SEPTIÈME 473

choisirent pour askia Mohammed-El-Borko, fils de Daoud-
beri-Mohammed-Bâno. Ils le remplacèrent ensuite par son
frère l’askia El-Ilâdj. Ensuite Isma’ïl-ben-Mohammed-Sorko-
Idji, qui était allé à Tombouctou avec son frère l’askia
Daoud, revint, déposa El-Hàdj et prit la couronne. Enfin son
frère Daoud, étant lui-même revenu de Tombouctou, le
déposa à son tour et s’empara du pouvoir qu’il exerce en-
core aujourd’hui.

Sultans des Touareg. — Le premier des sultans des
Touareg Maghcharen, qui fut nommé par les Marocains, était
Aousenba-ben-Mohammed*-Alîm-ben-Aklenqi. Ce Moham-
med-Alîm-ben-Aklenqi avait eu quatre fils : El-Hâdj-Mah-
moud-Bîr, le mari de Bâti, Mohammed, Abou-Bekr et
Aousenba. Ces enfants avaient été élevés à Tombouctou et
étaient considérés comme des citoyens de cette ville. Mah-
moud-Bîr accomplit le pèlerinage à La Mecque, tandis que
Abou-Bekr s’adonnait à l’étude de la science. Quant à Aou-
senba, il fut élevé dans la maison des enfants de Seyyid
Mahmoud dès son plus jeune âge afin de s’y livrer à l’étude.
Aousenba en vint aux plus vilains procédés à l’égard de
cette famille qui l’avait élevé. Dieu nous préserve d’un pareil
sort! Il fut plus tard son ennemi acharné; il combattit con-
tre elle lors de la sédition du caïd El-Mostafa-Et-Torki; il
ruina cette maison, troquant ainsi sa part de l’autre monde
contre les biens d’ici-bas. Aussi fut-il placé à la tête des
Touareg lorsque le Maghcharen-Koï AkmadoP refusa de se
soumettre aux Marocains. Plus tard le pacha Mahmoud-ben-
Zergoun étant venu à Binka, Aousenba lui dit qu’il désirait
confier à son fils Aknezer le commandement des Touareg
qiii se trouvaient à Ras-el-Ma et ne garder pour lui que l’au-

1. Le texte imprimé ajoute ici le mot : « bon » qui ne figure plus dans l’or-
thographe du nom donné plus loin.
?. Ou : Ag-Madol.

 

474 HISTOIRE DU SOUDAN

torité sur les Touareg placés dans la région de l’est*. Le
pacha accepta cette combinaison; il partagea le tribut de
1.000 mitsqal que payaient les Touareg en deux parts de
cinq cents mitsqal et en imposa une à chacun des chefs des
deux nouvelles fractions.

Lorsque Aousenba mourut il eut pour successeur le fils de
sa sœur Moudi; puis Mahmoud-Keïna; puis Ormacheta, puis
El-Mokhtar; puis Mahmoud -ben-Mohammed-ben-Oustefen
qui est aujourd’hui le chef de cette fraction des Touareg.

Quant à Aknezer qui resta chef des Touareg jusqu’en
1009 (13 juillet 1600-2 juillet 1601), il fut révoqué par le
pacha Seliman lorsque celni-ci eut jeté en prison Haddou-
ben-Yousef-El-Adjenâsi qui était le gouverneur général à
cette époque. Seliman nomma alors sultan des Touareg le
frère d’Aknezer, Bendjek ; celui-ci resta à ce poste une an-
née; puis, comme il était incapable de s’y maintenir, le pacha
le remplaça par Aknezer qui revint ainsi au pouvoir.

Voici la raison qui avait fait jeter en prison Haddou,
dont il vient d’être parlé. Il avait été nommé gouverneur
général” par le pacha Djouder et commandait à tous les
gouverneurs qui étaient au nombre de onze. Il était chargé
de percevoir des mains des gouverneurs l’impôt du sol (tsi).
Djouder avait beaucoup d’estime et d’affection pour Had-
dou.

Des intrigants allèrent trouver le pacha et lui rappor-
tèrent que le gouverneur général Haddou avait gardé par
devers lui l’impôt du sol pendant une période de sept an-
nées, en disposant comme il lui plaisait, sans que Djouder
lui eût demandé une seule fois de rendre des comptes.

1. Je Iraduiâ le mot j^ avec la valeur qu’il a d’ordinaire au Soudan; nord-est
serait plus exact. Ailleurs ce mol, comme on sait, désigne le sud.

2. CeUc fonction était au-dessous de celle du pacha, ce dernier étant seul le
chef suprême.

 

CHAPITRE TRENTE- SEPTIÈME 475

Seliman fit venir alors Haddou et lui demanda si les gou-
verneurs lui avaient remis l’impôt. Il répondit que tous lui
en avaient fait la remise intégrale, que cet argent était
entre ses mains et qu’il leur en avait donné décharge. Il
agit ainsi pour éviter aux gouverneurs tout désagrément de
la part de Seliman. Puis, rentré chez lui, Haddou envoya
au pacha un cadeau de 600 mitsqal d’or, quatre femmes de
haute valeur’ qu’il avait achetées deux cents mitsqal et
quatre pièces de berenbdl^ qu’il avait achetées 160 mitsqal.
Ce cadeau fortifia les soupçons du pacha qui fit mettre Had-
dou en prison et ne lui rendit la liberté qu’après que celui-
ci lui eût donné 5.000 mitsqaP.

Aknezer conserva ses fonctions de sultan’^jusqu’à l’époque
du gouvernement du pacha Mohammed-El-Mâssi. A ce
moment il fut arrêté et destitué par le caïd Enbarek^ qui lui
prit tous ses biens. Son successeur fut Tadkemmert. Mais,
lors de la mort d’Enbârek, le pacha Mohammed rendit à
Aknezer ses fonctions dans le courant du mois de rebi’ I”,
mois pendant lequel mourut ce pacha. Il demeura au pouvoir
jusqu’en l’année 1057 (6 février 1647-27 janvier 4648),
époque à laquelle il mourut. En y comprenant la durée des
règnes de Bendjek et de Tadkemmert, Aknezer était resté
au pouvoir environ cinquante-quatre ans. Le pacha Ilamîd”-
El-Hayyouni lui donna pour successeur le fils de sa fille,
Abou-Bekr-ben-Ourmacheta, qui est encore aujourd’hui en
fonctions.

1. Le mot (JjUU du texle imprimé,’signilie « élevées »; mais je traduis comme
s’il y avait OUU.

2. J’ignore le sens de ce mot et sa prononciation exacte.

3. Cette somme pouvait être un cadeau ou un équivalent de l’impAt foncier
non remis par Haddou.

4. C’est-à-dire : sultan des Touareg.

5. C’est la forme vulgaire du nom Mobârek, à ce que J3 crois. En Algérie on
prononce Embârek.

6. Ou peut-être : Homeïd,

 

476 HISTOIRE DU SOUDAN

Ici, grâce à Dieu et à son bienveillant appui, se termine
ce recueil qui a été achevé à la date du mardis, 5 du mois
sacré de dzou’l-hiddja terminant l’année 1063 (27 oc-
tobre 1653). Louange à Dieu, le Maitre des mondes; c’est
sur lui que je compte et quel excellent appui il est.

 

CHAPITRE XXXVIII {t\o)

 

ÉVÉNEMEMS QUI S’ACCOMPLIRENT DE L’ANNÉE 10G4 A L’ANNÉE 13C6
DE L’HÉGIRE (1654 et 1655)

 

Louange au Dieu unique. Parmi les événements, qui
eurent lieu après la date que je viens d’indiquer, figure le
retour au pouvoir du Djinni-Koi Mohammed-Kanbara ; il
fut nommé lorsque les gens de Dienné eurent perdu tout
espoir de venir à bout de son frère qui s’était révolté, le sa-
medi, 9 du mois de dzou ‘1-hiddja terminant l’année 1063
(31 octobre 1653).

Le mardi, 12 de ce mois (3 novembre 1653), deux offi-
ciers supérieurs, l’un appartenant à l’aile droite, l’autre à
l’aile gauche, arrivèrent à Tombouctou pour se plaindre du
Djinni-Koï rebelle et demander, au nom des gens de Dienné,
des renforts pour le combattre. Le lundi, 17 du mois de
moharrem de l’année 1064 (8 décembre 1653), le pacha
Ahmed, fils du pacha Haddou, qui occupait le pouvoir à
cette époque, envoya une colonne de secours à Dienné et
confia le commandement de ces troupes aux deux lieute-
nants-généraux en sous-ordre, le lieutenant général Moham-
med-El-Arbi, fils du pacha ‘Ali-ben-Abdallah, et le lieute-
nant-général Sa’ïd-ben-Ahmed-Asah’. Les renforts partirent

1. L’orthographe de ce mol n’est pas certaine.

 

CHAPITRE TRENTl<]-HUITIEME 477

à la date indiquée ci-dessus et prirent place dans des em-
barcations, car à ce moment les eaux du Fleuve étaient
hautes.

Le mercredi, dans la nuit du 10 du mois de safarde cette
même année (31 décembre 1653), la crue atteignit
Ma’doko. C’était le 25 décembre, sous le gouvernement du
pacha Ahmed-ben-Haddou.

Le lundi, 21 du mois de rebi’ I” de cette même année
(9 février 1654), arriva un courrier dépêché par les gens
de Dienné et porteur d’une lettre pour le pacha Ahmed.
Dans cette lettre ils annonçaient que, aidés des renforts en-
voyés de Tombouctou, ils avaient livré bataille au Djinni-
Koï Bokar à huit reprises différentes, la nuit et le jour, sans
obtenir le moindre avantage et qu’ils avaient eu quatre sol-
dats tués dans ces engagements, ils demandaient, en consé-
quence, qu’on leur envoyât une seconde colonne de renfort.
Quant aux combattants, ils étaient retournés (r\ v) tous dans
la ville de Dienné pour y attendre cette seconde colonne. La
lutte jusque-là avait eu lieu dans la ville de Chiou’ où le re-
belle avait fait construire trois forteresses dans lesquelles il
s’était enfermé avec ses troupes.

Le mardi, au moment du lever de laurore, le 22 du mois
susdit (10 février), mourut, dans la ville de Tombouctou,
le caïd Mellouk^-ben-El-Hàdj-Selâm-El-Ghoryàni. Les der-
nières prières furent dites sur lui, auprès de la mosquée, par
le jurisconsulte Mohammed-Baghyo’o-El-Ouankori. (Dieu,
dans sa clémence, lui fasse miséricorde et lui accorde le
pardon ! )

Le mercredi, 20 du mois de djomada I*”” (8 avril 165i), on
reçut une lettre du caïd ‘Ali-ben-Abdelaziz-El-Feredji et des

1. Cliiou n’était sans doute qu’un village ou un faubourg, bien que le Icxle
emploie le mot jd. qui d’ordinaire ne se dit que d’une ville.

2, C’est la leçon du ms. C; les autres donnent Mouloud.

 

478 HISTOIRE DU SOUDAN

lieutenants-généraux de Dienné qui annonçaient que le
Djinni-Koï rebelle avait écrit au prince du Mâsina, Hani-
medi-Amina, qu’il se plaçait sous la protection de ce sultan
lui et ses subordonnés, caïds, lieutenants-généraux et autres,
afin d’obtenir son pardon du pacha et qu’il le priait de lui
servir d’intermédiaire dans ce but. Le prince écrivit à ce
sujet aux gens de Dienné en leur envoyant en même temps
la lettre du Djinni-Koï et ceux-ci adressèrent le tout, avec
une lettre d’eux, au pacha Ahmed-ben-Haddou.

Au commencement du mois de djomada 11^ un dimanche
(19 avril 1654), on reçut une lettre des gens de Kàgho qui
annonçaient que tous les Touareg, qui s’étaient enfuis avec
A’âl-Ed-Doumesi, étaient revenus faire leur soumission et
que seul, A al, était resté sur le territoire de l’askia. Puisse
Dieu faire tourner sa perfidie contre lui* !

Le lundi, 23 du mois de djomada II (11 mai), un messa-
ger des gens de Dienné apporta une lettre dans laquelle
ceux-ci annonçaient que le Djinni-Koï repoussait la paix
proposée par le prince du Mâsina et déclarait ne pouvoir
^accepter^

Le lundi, 14 du mois de cha’ban (30 juin 1634), on reçut
une lettre adressée, par les gens de Dienné, au pacha Ahmed-
ben-Haddou. Dans cette lettre on informait le pacha que le
Djinni-Koï, Abou-Bekr, avait quitté Chiou et s’était transporté
à Bîna ; qu’après son arrivée dans cette localité, Yousara-
Mohammed-ben-‘Otsmân leur avait envoyé une lettre disant
que le Djinni-Koï désirait faire la paix. b)nsuite,Yousara en-
voya une seconde lettre disant que le Djinni-Koï n’acceptait
nulleroent de faire la paix et qu’il ne rentrerait jamais à
Dienné.

 

1. Mol à mol î « qu’il lui fasse rentrer sa ruse dans sa gorge ».

2. Ces propositions, qu’on n’indique pas, étaient évidemment faites au nom du
paclia.

 

CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME 479

Le vendredi, 9 du mois de ramadan (24 juillet 1651), on
révoqua (vNv) le lieutenant-général Moliammed-ben-Rouh
qui, d’après le dire de ses compagnons, avait été la cause
de la guerre qui avait éclaté entre eux et le Djinni-Koï
Abou-Bekr ; c’était lui qui avait poussé ce dernier à la
révolte et avait ainsi provoqué la triste situation dans la-
quelle on se trouvait. Auparavant, Moliammed-ben-Rouh
avait toujours été homme de bon conseil et habile comman-
dant des troupes de la ville de Dienné ; il n’avait jamais
manqué de donner les meilleurs avis. Maintenant, c’était lui
qui était la cause de cette grave afl’aire qu’il n’avait pas été
possible d’empêcher. Le lundi, 12 du même mois (27 juillet),
il mourut et s’en alla dans l’autre monde.

Le dimanche, 1 8 du même mois (2 août), une des fractions
de la division des Cheraga vint de Dienné à Tombouctou, à
cause d’un désaccord et d’un conflit qui étaient survenus
avec les gens de Dienné. C’était à la suite de ces troubles
que le lieutenant-général Mohammel-El-Arbi avait été ré-
voqué et remplacé par le lieutenant-général Moumen-ben-
Abdelkerim-El-Arbi. Celui-ci, à son tour, fut révoqué quatre
mois plus tard et remplacé par le lieutenant-général Ahmed-
ben-Seliman. Mais, à peine ce dernier était-il élevé au pou-
voir, qu’il manifesta une grande sympathie pour le lieute-
nant-général révoqué Mohammed-El-Arbi. Cela fut cause
que certains Cheraga le prirent en aversion et abandon-
nèrent Dienné pour se rendre à Tombouctou où ils arrivè-
rent à la date ci-dessus indiquée.

Le même jour on reçut une lettre du caïd Ali qui était à
Dienné ; il annonçait que le Djinni-Koï interceptait les
routes* qui conduisaient à Dienné et empêchait ainsi tous
ceux qui se rendaient dans cette ville d’y parvenir de quel-
que côté qu’ils vinssent. Un peu plus tard, le caïd écrivit

li^l. En arrêtant et en dévalisant les passants.

 

480 HISTOIRE DU SOUDAN

que le Djinni-Koï avait soulevé avec lui toutes les popula-
tions soudaniennes en sorte que les Marocains n’avaient plus
personne qui reconnut leur autorité ni à droite, ni à gau-
che, ni en avant, ni en arrière (de Dienné).

Le lundi, 26 du mois (11 août), on reçut une lettre
adressée par Mohammed-Kâgho, fds du Honbori.Koï El-
Ilâdi, à l’askia El-Hâdj-Mohammed, lettre annonçant que
l’askia Daoud était mort sur le trône dans sa capitale, au
mois de redjeb (18 mai-17 juin), et que son fils Ibrahim lui
avait succédé au pouvoir.

Le lundi. 4 du mois de chaoual (18 août), le pacha Ahmed-
ben-Haddou fut déposé; il était resté au pouvoir trois ans
moins vingt-six jours. Les troupes décidèrent de le remplacer
par le conseiller Mohammed-ben-Mousa qu’elles procla-
mèrent pacha aussitôt. Celui-ci, dès le lendemain, remit en
liberté l’ancien pacha révoqué, Yahya, qui était resté en
prison (tw) trois ans.

Dans la soirée du vendredi, vers le moment où le soleil allait
se coucher, mourut le cheikh béni, Baba-Ahmed-Ech-Chérif.
Le jurisconsulte Mohammed-Baghyo’o-El-Ouankori ht sur
lui les dernières prières dans la mosquée de Mohammed-Naddi
aussitôt après la prière de Tacha. Le défunt fut enterré dans
le cimetière de la grande mosquée. (Dieu lui fasse miséri-
corde, lui témoigne sa satisfaction et l’élève au plus haut
degré du paradis!) Ce jour-là était le 8 du mois ci-dessous
indiqué (22 août).

A la fin du même mois (12 septembre), arriva la seconde
fraction de la division des Cheragaqui était restée à Dienné.
Cette troupe campa dans l’île de Touya avec le lieutenant-
général Mohammed-El-Arbi. Pourtant le pacha Ahmed-ben-
Haddou avait écrit aux Cheraga de ne pas amener avec eux
à Tombouctou ce Ueutenant-général qui avait été le chef
et l’instigateur du conflit qui s’était produit. Le pacha Moham-

 

CHAPITRE TRENTE HUITIÈME 481

med-ben-Mousa avait écrit, lui aussi, dans le même sens;
mais les Cheraga avaient refusé de lui obéir malgré les
lettres réitérées qu’ils avaient reçues à ce sujet. Lorsque le
pacha apprit que le lieutenant-général était avec eux, il
adressa à ces Cheraga messages sur messages, pour leur inter-
dire de ramener avec eux à Tombouctou, mais ils ne tinrent
aucun compte de cette interdiction et passèrent outre. Quand
cette seconde fraction des Cheraga fut près de la ville de
Tombouctou, l’autre fraction, qui l’avait précédée, prit les
armes pour s’opposer à leur entrée dans la ville tant qu’ils
auraient le lieutenant-général avec eux. Dès que la seconde
fraction des Cheraga approcha de la ville, l’autre fraction, res-
tée d’abord sur la défensive, l’attaqua et un combat eut lieu où
ils faillirent périr tous jusqu’au dernier. La seconde fraction
s’établit alors dans l’île’ où elle est encore actuellement. On
chercha vainement un moyen de rétablir la paix entre eux,
on n’y parvint point.

Le samedi, 14 du mois de dzou’l-qa’da (26 septembre 1654),
il arriva une lettre du caïd Ali qui était à Dienné. Il annon-
çait que le lieutenant-général Mousa s’était rendu à Bina
auprès du Djinni-Koï lorsqu’il avait reçu la lettre de Yousara
dans laquelle on lui disait de venir pour conclure la paix avec le
Djinni-Koï. Le lieutenant-général avait entamé des pourparlers
à ce sujet ; il avait accepté ses propositions et lui avait donné
l’ordre de se rendre soit à Dienné, soit à Kanba’a pour y ha-
biter: mais le Djinni-Koï n’avait accepté pour le moment au-
cune de ces deux résidences, disant seulement : « Je le ferai
plus tard, s’il plaît à Dieu » . Toutefois il fit cesser l’obstruc-
tion des routes. Les Ouankoré se rendirent alors à Dienné
et tout le monde eut désormais la liberté d’aller et de venir.

Le samedi, 7 du mois derebi’ I” de l’année 1065 (15 jan-
vier 1655), le lieutenant-général Mohammed-El-Arbi se mit

I. L’Ile dcTouya.

{Histoire du Soudan.) 31

 

482 HISTOIRE DU SOUDAN

en route avec les troupes qui étaient restées avec lui, et quitta
le port de Kabara après être parti d’abord (r\\) de Touya ; il
campa dans la première de ces localités où il demeura environ
cinq mois, puis il retourna avec ses troupes à Tendirma. Mais
les soldats qui étaient dans cette ville les empêchèrent de
pénétrer dans la casbah et cela sur l’ordre du chef de l’au-
torité suprême, le pacha Mohammed-ben-Mousa. Les troupes
de Mohammed-El-Arbi se rendirent alors de là sur le terri-
toire de Bara où elles s’établirent.

Le jeudi, 19 du même mois (27 janvier), mourut dans la
ville de Kâgho, le caïd Abdelkerim-ben-El-‘Obeïd. 11 avait
été envoyé là par le pacha Mohammed-ben-Mousa afin d’être
présent lorsque les gens de cette localité régleraient avec le
représentant du caïd, Naser-ben-Abdallah, la question des
trois redevances qui s’étaient accumulées à sa charge et qui
étaient si bien enchevêtrées les unes dans les autres’, qu’on
ne savait plus comment les régler.

Le jeudi, 25 du mois de rebi’ II (4 mars 1655), mourut
le pacha Yahya. Les prières mortuaires furent dites sur lui
par le cadi Abderrahman, dans l’endroit appelé Es-Sahara,
au mosalla des funérailles, au moment du dohor ; il fut
enterré dans le cimetière de Sankoré.

Le mercredi, 21 de djomada II (28 avril 1655), deux officiers arrivèrent de Dienné, porteurs d’ime lettre du caïd Ali-ben-Abdelaziz-El-Feredji qui annonçait que les partisans du Djinni-Koï avaient attaqué une barque chargée de sel qui était en cours de route et avaient tué cinq des personnes qui la montaient : trois d’entre elles étaient originaires du pays de Draa, une du Touât et la cinquième, était un esclave des gens de Tombouctou. Cette barque avait été pillée et le butin

\. C’était les registres qui avaient été mal tenus, les articles de redevances de natures difTérentcs ayant été inscrits sur un môme registre sans aucune
séparation.

avait produit des sommes considérables. Les gens de Dienné
demandaient dans leur lettre aux gens de Tombouctou de
venir à leur secours.

Les troupes qui étaient à Tombouctou furent très vivement
contrariées de cela et faillirent éclater de colère. Elles déci-
dèrent de se rendre avec toutes les forces dont elles dispo-
saient au secours de Dienné. Mais les chefs de l’armée traî-
nèrent les choses en longueur et firent si bien, qu’on se con-
tenta d’envoyer un détachement. On équipa donc un détache-
ment de quatre-vingts hommes ; ceux-ci se mirent en route,
mais, arrivés au port, ils se querellèrent entre eux parce
qu’il leur sembla que leurs chefs n’étaient point partisans de
ce (vYo) voyage. Ils refusèrent donc de marcher et les soldats
qui étaient restés dans la ville firent cause commune avec
eux.

Ceci se passait le samedi, 9 du mois de redjeb l’unique
(15 mai 1655). ils déposèrent le pacha Mohammed-ben-
Mousa qui était resté en fonctions neuf mois et cinq jours ; ils
révoquèrent le lieutenant-général Abdelkerim, le lieutenant-
général Mohammed-El-Djesîm, leur huit bachoud et leurs
gens de service’.

Puis, le même jour, ils procédèrent à de nouvelles élec-
tions. S’étant mis d’accord pour choisir le caïd Mohammed-
ben-Ahmed-Sa’doun-Ech-Chiâdemi, ils le nommèrent pacha.
C’était ce caïd qui leur avait été envoyé ce jour-là par le pacha
Mohammed-ben-Mousapour tenter défaire la paix avec eux ;
ils le prirent et l’investirent contre son gré des fonctions
de pacha. Ce sera, s’il plaît à Dieu, un homme béni. Puisse
Dieu lui inspirer le bien et la vérité, et rétablir la concorde
grâce à lui et par son intermédiaire.

Aussitôt nommé, le nouveau pacha écrivit aux Cheraga
qui s’étaient enfuis dans le pays de Bara et leur enjoignit de

1. Le mot traduit par « gens de service » est fort douteux.

 

484 HISTOIRE DU SOUDAN

rentrer à Tombouctoii en laissant lenr caïd révoqué Moham-
med-El-Arbi-ben-Ali*à Tendirma. Les Cheraga répondirent
à cet appel et se conformèrent à l’ordre reçu.

Ces jours-là les Touareg de El-Hadjar, avec leurs femmes,
leurs enfants et leurs troupeaux, vinrent trouver le pacha
Mohammed -ben-Ahmed-ben-Sa’doun et lui annoncèrent
qu’ils voulaient se soumettre à son autorité et s’établir sur
son territoire parce qu’ils désiraient vivement habiter dans
le voisinage de Tombouctou. Mais la véritable cause qui leur
avait fait quitter leur pays à ce moment, c’était la crainte
qu’ils avaient de leurs frères les Touareg Aouhmidden -. Le
pacha acquiesça à leur requête et consentit à les recevoir.
Parmi eux se trouvait : Baba-Amma, chef des Tadmekket,
Baba-Ag-Meni, chef des Adourfen^, Amolouso\ le fils de la
sœur de Ouendek, Mohammed-Aka’ouï; enfin Teslouf ^ Ce
dernier et Baba-Amma étaient des Oulâd Achourkân. Dieu
fasse que leur venue vers nous soit une faveur et une misé-
ricorde et cela grâce à Mahomet et à sa famille. Que
Dieu répande sur ce dernier ses bénédictions et lui accorde
le salut!

Le lundi, 15 du mois de ramadan (19 juillet 1635), mou-
rut, au pays de Bara, dans la ville deKouïam, le lieutenant-
général Mohammed-El-Arbi-ben-Ali. Il s’était attardé avec
ses troupes dans ce pays à cause de la sécheresse du Fleuve.

Le mardi, 21 du mois de chaoual (24 août), le heutenant-
général Ahmed-ben-Soliman*’ et ses compagnons arrivèrent

1. Plus haut ce lieutenant général est appelé Mohammed-el-Arbi. Ici on le
nomme simplement El-Arbi-ben-Ali.

2. Malgré les voyelles du texte, voyelles qui ne figurent pas dans le ms. C, la
lecture de ce mot telle qu’elle est donnée dans la traduction paraît certaine.

3. Le ms. C donne <‘ Adoureq ».

4. Suivant le ms. C, Amolous.

5. Ou : Tasalouf.

6. 11 avait succédé à Moharamed-el-Arbi dans le commandement de la fraction
des Cheraga.

 

CHAPITRE TRENTE-HUITIEME 485

à Tombouctou. Le pacha Mohammed-ben-Ahmed-ben-Sa’-
doun réconcilia les nouveaux venus avec la fraction des
Cheraga qui était à Tombouctou. Il révoqua le lieutenant-
général Ahmed dont il vient d’être parlé, ainsi que le heute-
nant-général Mohammed-ben-Abdelqâder-Ech-Chergui [rxs)
qui commandait les gens* de Tombouctou et réunit les troupes
sous le commandement du Heutenant-général ‘Ammâr-ben-
Ahmed-‘Adjeroud. La paix fut ainsi conclue et l’accord éta-
bli entre les différentes troupes.

Le lundi, 12 du mois de dzou ‘1-qa’da (13 septembre
1655), on reçut du heutenant-général Mansour-ben-Abdal-
lah-El-‘Euldji, qui était alors à Araouân-, une lettre dans
laquelle il annonçait que Maulay Mohammed-Ech-Cheikh,
fils de Maulay Zîdân, était mort dans la ville de Merrâkech
et que son fils Maulay El-Abbâs lui avait succédé. Dieu fasse
pleine miséricorde au défunt, lui assigne une demeure au
plus haut du paradis; qu’il fasse que son fils soit un khahfe
béni, qu’il lui accorde son puissant secours et lui assure les
plus grands succès !

Le mercredi, 11 du mois sacré de moharrem, le premier
des mois de l’année 1066 (10 novembre 1655), mourut
notre amie et voisine, la cherifa Nana-Omm\ fille de Zîdan-
Ech-Cherif-ben-Ali-El-Mizouâr-El-Hasani. Je dis pour elle
les dernières prières dans la grande mosquée et elle fut en-
terrée près du tombeau de son père dans le cimetière de
cette mosquée, dans la matinée de ce même mercredi*!
(Dieu lui fasse miséricorde et refroidisse sa tombe!)

 

1. Plus exactement : les Cheraga de Tombouctou qui étaient restés fidèles
au pacha.

2. Le ms. C donne l’orthographe : Irouân.

3. 0mm ne figure pas dans le ms. C.

4. Le mercredi, chez les Arabes, commençant le mardi après le coucher du
soleil, l’enterrement put cependant avoir lieu encore un certain nombre d’heures
après le décès.

 

486 HISTOIRE DU SOUDAN

Le samedi soir, entre le coucher du soleil et Tacha, le 5
du mois de safar (4 décembre), mourut mon maître et ami,
le compagnon de mon père, le jurisconsulte, l’imam, Mo-
hammed-Kourdi, fils du jurisconsulte, du cadi, Mohammed-
Sàdj-El-Foulâni, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Ce fut
le cadi Abderrahman qui récita sur lui les prières dernières
à Es-Sahara, au mosalla des notables et des saints, dans la
matinée du dimanche. Le défunt fut enterré près du tom-
beau de son père, au cimetière de Sankoré.

Mohammed-Kourdi, dans sa jeunesse, — il était alors
âgé d’environ vingt-trois ans, — s’était rendu à Tombouc-
tou où il arriva au commencement du mois de cha’ban de
l’année 1005 (20 mars 1597); il se ha aussitôt avec mon
père qui lui fit bon accueil, le traita avec égards et lui pro-
digua conseils et encouragements jusqu’à sa mort. Moham-
med avait acquis une certaine maîtrise dans la science et
s’était distingué par son érudition, quand son père vint de
son pays dans l’intention de le ramener avec lui. Mon père
s’étant opposé à ce départ, le père écouta cet avis et, s’y
conformant, il laissa son fils à Tombouctou. Plus tard, le
père de Mohammed revint une seconde fois à Tom-
bouctou et le destin voulut qu’il y mourut peu après. Mo-
hammed s’occupa d’acquérir la science auprès des savants
de la ville de Tombouctou qu’il fréquenta assidûment à ce
moment. Il reçut les leçons d un certain nombre de profes-
seurs de son père*, entre autres du jurisconsulte, le cadi
Mohammed-ben-Ahmed, fils du cadi Abderrahman (tvv),
du maître des maîtres, l’imam Mohammed-ben-Mohammed-
Koraï, du cadi Mohammed-ben-Anda-Ag-Mohammed, du
jurisconsulte ‘Omar-ben-Mohammed-ben-‘Omar, du très

 

1. Lps mots : « de son père « ne sont point dans le ms. G, Il serait, je crois,
préférable de les retrancher ou de les remplacer par «de mon père ».

 

CHAPITRE TRENTE-HUITIÈME 487

docte, le jurisconsulte Baba, fils du jurisconsulte El-Amîn,
du jurisconsulte, le cadi Seyyid Ahmed-ben-Anda-Ag-Mo-
hammed et d’autres. Il assista aux conférences du très docte,
le jurisconsulte Ahmed-Baba, lorsque celui-ci revint de Mer-
râkech. Mohammed-Kourdi avait cultivé un certain nombre
de sciences, entre autres le droit, les hadits, les osouP, la
logique, la grammaire, la rhétorique, la prosodie, les mathé-
matiques, etc.. (Dieu lui fasse miséricorde, lui pardonne
et, dans sa grâce, élève sa place aux plus hauts degrés du
paradis!).

Le mercredi soir, 9 du mois de safar (9 décembre), mou-
rut le seigneur de cette époque et sa bénédiction, notre
maître, le cheikh-el-islam, l’homme utile à l’humanité, le
jurisconsulte Mohammed, fils du jurisconsulte Ahmed, fils
du jurisconsulte le cadi Mahmoud-Baghyo’o-El-Ouankori.
Les dernières prières furent dites sur lui par le fils de son
frère, le jurisconsulte Mohammed-ben-El-Mostafa, dans la
matinée du jeudi, à Es-Sahara, au mosalla des notables et
des saints. Le défunt fut enterré près du tombeau de ses
pères, de ses proches et de sa famille, dans le cimetière de
Sankoré.

C’était un savant en théorie et en pratique, un homme
é minent, pieux, modeste, dévot et saint. Il fut le der-
nier des cheikhs et des maîtres que la mort nous a en-
levés et avec lui s’est achevée la disparition de cette généra-
tion de savants. Nous appartenons à Dieu et c’est vers Lui
que nous devons retourner. Dieu pardonne à ce maître, lui
fasse miséricorde, lui témoigne son indulgence et sa satis-
faction, l’élève au plus haut degré du paradis et nous fasse
profiter dans ce monde et dans l’autre de sa bénédiction.
Amen !

Le vendredi soir, 10 du mois de rebi’ P*” (7 janvier 1656),

1, La partie théorique du droit musulman.

 

488 HISTOIRE DU SOUDAN

mourut mon confrère Ahmed-ben-El-Hâdj-Mohammed-ben-
El-Amîu-Kânou. Ce fut dans la matinée du samedi, à Es-
Sahara, que le cadi Abderrahman récita pour lui les dernières
prières. Le défunt fut enterré près des tombes de ses
parents dans le cimetière de Sankoré (Dieu lui fasse misé-
ricorde et dans sa grâce, lui soit indulgent et lui pardonne !).

Le dimanche, 16^du mois de rebi’II (13 février 1656), on
reçut de la ville de Merrâkech une lettre adressée par le caïd
Yahya-ben-Yahya-El-Hayyâni au pacha Mohammed-ben-
Ahmed-ben-Sa’doun. Cette lettre annonçait que le sultan
Maulay Mohammed-Ech-Cheikh était mort le 22 du mois
de rebi’ P’ de l’année 1065 (30 janvier 1655) et qu’on avait
aussitôt proclamé, comme son successeur, son fils le sultan
Maulay El-‘Abbâs\ Cette élévation au trône était désirée de
tous et on vit à l’instant même la bénédiction divine se ma-
nifester à la suite de cet événement.

Le 16 du mois de djomada P*” (12 mars 1656), on reçut
des lettres du caïd Ali-ben-Abdelaziz-El-Feredji, qui était à
Dienné, et de Soryâ-El-Kemâl-ben-Soryâ-Bokar, seigneur
de Kanba’a qui annonçaient que le néfaste, le rebelle, le
kharedjite, le Djinni-Koï Bokar, avait équipé une armée et
s’était mis en marche sur Kanba’a dans le dessein de tuer
Soryâ, dont il vient d’être parlé et de s’emparer de sa ville,
afin d’intercepter les routes à ceux qui se rendaient à Dienné.
Mais il se trouva que le lieutenant-général Abdallah-El-
Màssi, avec environ trente fusiliers de garde, était à ce mo-
ment à Kanba’a. Quand les hommes de Djinni-Koï arrivèrent

 

1. La date donnée par le Kitab-el-istiqsa est 1064 ou 1063; cette dernière est
fournie d’après l’auteur du Nechr-el-melsdni. Au lieu de Maulay el-Abbas, il faut
lire Maulay Abou’i-Abbâs,dont le nom était Ahmed-ben-Mohammed-Ech-Clieikh-
ben-Zîdan. A moins de supposer une erreur commune aux trois mss.du Tarikh-
es-Souddn, la date indiquée par Es-Sa’di doit être exacte, car il vivait encore à
cette époque et il a eu vraisemblablement connaissance de la lettre officielle qui
annonçait l’événement dont il parle.

 

CHAPITRE TRENTE-HUITIEME 489

près des remparts de la ville, le combat s’engagea ; Dieu
donna la victoire au lieutenant-général et à Soryâ qui
mirent en fuite le Djinni-Koï ainsi que sa troupe de misé-
rables rebelles, après les avoir battus et leur avoir tué au
moins trois cents hommes, grâce à l’appui et la puissance de
Dieu. Les rebelles, déçus dans leurs espérances, tournèrent
le dos. Dieu en fit périr un grand nombre et, dans sa grâce
et sa générosité, délivra de ce fléau les hommes et le pays.
Terminé et achevé grâce à Dieu le très haut et à son bien-
veillant appui.