Les Berbers s’accordent tous pour proclamer le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm causes de cet événement
Nous avons vu qu’après l’affaire de Zayan les Berbers, coalisés pour résister au Sultan et s’en séparer, s’étaient coalisés contre lui et contre tous ceux qui parlaient l’arabe dans le Maghrib. A la mort du sultan Mawlay Slimàn, suivie de l’avènement du sultan Mawlay ‘Abderralunàn, les Berbers confirmèrent ce serment qui reçut ainsi plus de force et de solidité, et se préparèrent à continuer avec la dernière vigueur leur révolte et leurs intrigues. Leur chef Elhadj Muhammad bn Elgâzi E/.zemmoûri prit la direction du mouvement. Non content de ce qu’il avait fait à l’affaire de Zayân en provoquant la déroute de Mawlay Slimàn, il avait commis un acte analogue en prètant serment à Mawlay ISràhim bn Yazîd, et en entraînant ceux qui le touchaient de près ou de loin. Dans la crainte que celui de ses frères ou de sa famille qui succéderait au Sultan n’usât de représailles contre lui, il s’employa activement à détourner les IJerbers du Sultan, et recourut, pour cela, à l’appui de 15où Bkeur Mhàouch. Les chefs lierbers se livrèrent à lui, et un accord unanime se fit entre eux, pour faire disparaître entièrement le nom du Sultan et de son parti du territoire du Maghrib. Il est probable que leur cause fut embrassée aussi par divers brigands ‘Arab-s, comme les fractions de Béni Hsen appelées Essefdf’a et Ettouâ/.it, les Za’ir, et presque tous les ‘Arab-s de Tàdla.
Mais Dieu, voulant rompre ce qu’ils avaient consolidé et disperser ce qu’ils avaient réuni et ordonné, trouva bientôt un prétexte d’intervention. Le shaykh Ahoù ‘Abdallah Edderqâoui avait été emprisonné par les Où (Malou ?)
leva dans les conditions que nous avons rapportées, lors de la révoltedes fils tic Yazîd, et il était encore en prison lorsque fut proclamé Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân. Comme Bn Elgdzi était un des disciples de ce shaykh, et qu’il avait en lui une confiance immense, les fils de ce dernier vinrent le trouver, et demeurèrent chez lui pour le décider à travailler à l’élargissement de leur père. Leurs instances furent si vives qu’il se vit obligé de manifester son obéissance au Sultan et de rentrer Sûs la loi commune. Il se rendit auprès du Sultan, accompagné d’une bande formée desprincipaux de ses contribules, qui lui apportèrent leurs présents et leur hêta. Les autres Borbcrs Ait Idrâsén et Guerouûn qui s’étaient coalisés avec lui, voyant qu’il était allé chez le Sultan, crurent a sa trahison et, rejetant leur pacte, s’empressèrent d’apporter leur serment de fidélité au Sultan, et de le servir de leurs biens et de leurs personnes. Elhasan hen Hamino Ou ‘Azîz, chef des Aït ïdrasén, alla donc faire sa soumission, escorté des notables de son groupe, et rentra ainsi dans la loi commune. Or, comme il était, avec Bn Elgâzi, la base même des affaires des Bcrbers, Dieu amena la défection des uns et des autres, et les réunit pour reconnaître le Sultan sans coup férir et sans pertes d’hommes ni de chevaux. Le Sultan les reçut avec une extrême bienveillance, particulièrement Bn Elgâzi, qu’il sut gagner et dont il fit son conseiller le plus intime il ne prit plus aucune décision sans le consulter et lui accorda la liberté du shaykh Abû ‘Abdallah Edderqâoui, Dieu lui fasse miséricorde Le Sultan maria ensuite Bn Elgâzi à une des concubines de son oncle, qui était la fille du qâ’îd ‘Omar bn Bû Setta. La situation de Bn Elgâzi dans le gouvernement s’accrut du fait de ce mariage; il fut tout dévoué à ce Sultan contre lequel il avait d’abord dirigé la résistance, et l’accompagna deux fois à Murrâkush, comme nous allons le rapporter, s’il plaît à Dieu.
Le Sultan se met en route pour examiner les affaires de ses sujets et arrive à Ribât Elleth
Les réceptions des délégations terminées dans la capitale de Fâs, le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm se préoccupa d’examiner les affaires de ses sujets et de consolider son autorité dans les parties éloignées do rEnipirc. Il nomma, d’abord comme gouverneur de Fâs, son nègre le qàïd JJoù Jouiu’a lion Sùl(;m,(|ui était proposé à la porle du grand ])alais de Fcs Eljedîd, puis, au moment departir en voyage, le destitua, pour le remplacer par son cousin Sîdi Muhammad l)ou Eljayvéb. 11 quitta ensuile Fus Eljedid, se j)ro])osanl. d’inspecter le pays. Il alla d’abord jusqu’à Qsar Rétama, en passant parle pays des Selian, et séjourna dans cette ville, à Koudial Mawlay Ismà’il. Il y reçut la visite (le Mawlay ‘Abdcsselàm, fils du sultan Moùlav Sb’inàn (Dieu lui fasse miséricorde !), accompagné d’un groupe de chéiîl’s et de secrétaires, parmi lesquels étaitAbû ‘Abdallah Akensoùs. Ce Mawlay ‘Abdessclàm était tallé de Tàfj’lèlt à Murrâkush après la mort de son père, afin d’y recueillir le serment de fidélité des habitants de celle ville en faveur de son frère Mawlay Wbdelouùhed bon Sliinàn, qui avait été proclamé à Tâi’ilêlt et avait été reconnu a l’unanimité par tes habitants de cette région. Mais, quand il eut constaté que le sultan Mawlay ‘Abderrahman avait définitivement réuni les suffrages de toutes les populations du Maghrib, LMawlay ‘Abdesselani avait renoncé, à son grand regret, à la mission qui l’avait amené, et avait voulu réparer sa faute envers le Sultan en se rendant lui-même auprès de lui et en lui apportant sa bêta. « Dès que nous arrivâmes auprès du sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân à Qsar Kolâina, venant de Murrâkush, dit Akensoùs, il me fit donner Tordre d’entrer auprès de lui, car il était très désireux d’obtenir des renseignements sur le Sultan défunt, Mawlay Slinian. Je fus introduit chez lui, et je m’assis devant lui pendant près de deux heures. II me posa une foule de questions. Après la prière du mogréb, j’allai de nouveau chez lui, et il me questionna encore sur ce qui lui restait à apprendre. Il vint ensuite à parler des fils de son oncle le Sultan défunt, et me jura qu’il ne nourrissait pour eux que des sentiments de hienveillance. »
DYNASTIE AI.AOUIE 1)U MAHOC
Deux ou trois jouis après, le Sultan parlil pour lîibàt
Klfelh, où il fit séjour, Il reçut les délégations des liibus
du IIoûz et leurs chefs, puis après avoir célébré la lète de
la rupture du jeune de l’année I23>S, il retourna a l’ès,
accompagné des tribus du Hawz venues pour le saluer.
A son arrivée à Fâs, il reçut, son oncle Mawlay Moùsa
bon Muhammad qui était accompagné d’un cerlain nombre
de .gens de Murrâkush, parmi lesquels se trouvait Mawlay
Wbdelouûhéd bn Slîinfin, qui avait été proclamé à Tàfilèlt.
H les traita tous généreusement et les recul avec lion
ncur. Il ne lit de reproches à aucun des partisans île .Moù
lay ‘Abdelouàhéd au contraire, il leur pardonna el leur
donna des cadeaux. Il conféra ensuite le gouvernement
de Murrâkush à son cousin Mawlay Mbârék bon Ali bn
Muhammad, qui se mit en route en compagnie de ces visi
teurs, et administra cette ville jusqu’au moment où il advint
de lui ce que nous allons raconter.
Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) fit, après cela,
acheter la maison de Abû Muhammad ‘Abdesselàm Checj
chaq ElFâsi, qui étaitvoisine de la coupole de Moùlav ldris
(Dieu soit satisfait de lui et se trouvait entre ce monu
ment et la qaïsariya. Il la fit démolir pour en annexer le
terrain à la mosquée de Mawlay ldris (Dieu soit satisfait
de lui !). Il réunit pour cela des artisans et des ouvriers qui
se mirent à l’oeuvre et édifièrent une mosquée plus belle
que l’ancienne. Celui qui fut chargé de s’occuper de ces
travaux fut le chérîf Mawlay Elhachim bn Melloùk Elbel
gîti. En peu de temps, cette construction fut terminée,
réunissant toutes les conditions désirables de beauté et de
solidité. Dieu inscrivit la récompense de cette œuvre sur
la page du Sultan.
Durant cette période, mourut le grand cbéïkh, qui con
nut Dieu, le célèbre Abû ‘Abdallah Sidi Muhammad El
‘arbi bn Ahmad Edderqâoui (Dieu soit satisfait de lui !>.
Sa mort eut lieu dans la nuit du lundi au mardi 23 safar
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AHCHIVES MAROCAINES
1239. Il fut enterré le lendemain i lîoù Ilrîh, dams le pays
de Gomàra. Son tombeau est Jjien connu. Ce personnage
(Dieu soit satisfait de lui !) était surprenant et jouissait
d’un rang iiès élevé ses lettres, qui se trouvent entre les
mains de tout le monde, sont empreintes d’un souffle béni.
Dieu nous fasse profiler de lui et de ses semblables
Le sultan Mawlay Abderrahmàn se rend à Miknâs, transfère les
Aït Yimmour dans le Hawzet part ensuite pour Murrâkush
En eflectuant son premier voyage à Ribât Elfetli, le
sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân s’était proposé d’examiner
de près la situation de ses sujets et leurs aspirations, afin
de pouvoir en tenir compte dans l’avenir. De retour à Fâs,
il se prépara de la façon la plus complète à soumettre le
Maghrib, à en pacifier les diverses régions et à en réu
nir les éléments désagrégés pour y ramener une vie expi
rante la révolte, durant la période d’anarchie qui venait
de s’écouler, avait successivement modifié la situation et
assombri les esprits. A Murrâkush, Mawlay Mbârék bn
‘Ali, gouverneur de la ville, s’était laissé dominer par son
mauvais entourage et de nombreuses plaintes étaient
adressées contre lui au Sultan. Celui-ci (Dieu lui fasse
miséricorde !) résolut de se mettre en route pour cette
ville. Quittant Fâs, il se dirigea d’abord sur Miknâs. A
son approche de la ville, les ‘Abîds se rendirent audevant
de lui, avec leurs étendards déployés. Mais leur petit
nombre fit dire au Sultan « Ouest le corps des ‘Abîds
d’Elbokhâri ? Il n’en reste plus, répondirent-ils, que ces
quelques hommes que.la révolte a troublés. A Dieu, et à
toi ensuite de les remplacer. Quand il entra à Miknâs,
le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) inspectale Trésor:
1. Texte arabe, IV0 partie, p. 175.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAHOC
ARCH. MAROC. £
il le trouva [)lus « lisse que la paume de la main ». Les
‘Abids étaient en nombre excessivement réduit et dans le
plus grand dénùment ils avaient vendu leurs chevaux et
leurs armes pour se nourrir. Pour les tirer de leur misère
et relever leur situation, il les renforça de chevaux, d’armes
et de rations, et rétablit ainsi leur état, tout en mettant un
ternie à leur pauvreté.
« En résumé, dit l’auteur iVElj’éïch, ce Sultan (Dieu lui
fasse miséricorde !) trouva un Empire qui avait été ébranlé
par des bouleversements successifs et qui, de la beauté
de la jeunesse, était passé à la laideur du vieil âge. Les
hommes avaient disparu et son champ d’action s’était
rétréci, depuis l’afI’aire de Zayan jusqu’à la mort du sultan
Mawlay Slnnâii. Quand Dieu y amena ce Sultan fortifié, il
n’y trouva plus qu’un léger souffle de vie et qu’un fan
tôme défaillant. Les colonnes qui le soutenaient étaient
ébranlées et penchaient vers cette ruine qui amène l’anéan
tissement. Mais Dieu lui apporta le soutien d’une fortune
extraordinaire, qui lui permit de reconstituer l’Empire sans
argent et sans hommes, à l’aide de l’insigne protection de
Dieu. Il rétablit sur ses bases la royauté ismâ’ilienne,
et rendit la vie à un corps dont le souffle était éteint. »
Après avoir terminé ce qu’il avait à faire à Miknâs, le
Sultan s’occupa des Aït Yimmoïir. Cette tribu était cam
pée au Jebel Selfât et à Elouelja Ettouîla depuis le règne
du sultan Sidi Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !). Ils
avaient fait souche et s’étaient multipliés, mais égarés par
leur séjour dans cette région merveilleuse où se trouvent
de« cultures si fert-iles, ils faisaient du tort à leurs voisins,
notamment aux gens du Garb et de Zerlioûtn. Sur l’ordre
du Sultan, le qâ’îd Abû ‘Abdallah Muhammad bn Ichcho
Elmâlki El’euroui recourut à un stratagème pour les châ
tier et arrêta environ 400 d’entre eux, qu’il envoya au
Sultan. Celui-ci les transporta ensuite dans les environs
de Murrâkush et partit pour Ribàt Al-Fath, où, dès son arri
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ARCHIVES MAROCAINES
vée, il nomma son frère Mawlay Elmâmoùn hen Hishâm,
gouverneur de Murrâkush, en remplacement de Mawlay
Mbârék bn ‘Ali.
En quittant ensuite Ri bât Al-Fath pour se rendre à Mor
râkch, il passa par les tribus d’Echchàouya, chez lesquelles
il prit les mesures que comportait la situation. Il fit no
tamment mettre à mort Elhûchmî bn ‘Abbâs Ezzayâni.
Ce personnage avait tué par ruse le qâ’îd d’Echchàouya,
Abû lshâq Brâhîm Elourâoui il l’avait invité a chasser,
et, quand il s’était trouvé seul avec lui à l’endroit appelé
Tâddàrt, près de Medioùna, il lui avait tiré un coup de
fusil dont il était mort. Le Sultan, qui après ce meurtre
avait donné à Elhâchmi pendant quelque temps le com
mandement de sa tribu, voulut que sa tête fut coupée
dans ce même endroit. Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân passa ensuite
chez les tribus de Doùkkâla, où il châtia celle d’El’aounât,.
puis arriva à Murrâkush.
De là, il fit partir quelqu’un pour lui ramener Moham
med hen Slîmân ElFâsi, (lui avait été l’instigateur de la
révolte de Brâhhn bn Yazkl et qui était détenu à la prison
d’Eljezira. Sa tête fut coupée et exposée à Bâb Elkhamîs,
une des portes de Murrâkush. Avec lui était emprisonné
Afooû ‘Abdallah Muhammad Etfayyéb Elbéyâz ElFâsi le
Sultan le fit sortir de prison et lui pardonna, car, différent
de Bn Slîmân, c’était un homme respectable et sérieux
en affaires. Il le prit au service, et le nomma d’abord
amîn du port de Tanger, puis lui donna ensuite le gouver
nement de Fâs. Dieu sait quelle est la vérité
Excès et fin de ‘Bn Elgâzi Ezzémmoûri
Ainsi que nous l’avons rapporté, Al-Hâjj Muhammad
1. Teste arabe, IV0 partie, p. 176.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
bn Elgàzi Ezzéinmoùri avait prêté serment de fidélité au
sultan Mawlay Abderrahinàn et avait travaillé à l’élargisse
ment du shaykh Abû ‘Abdallah Edderqâoui (Dieu soit
satisfait de lui !). Le Sultan l’avait pris en amitié et l’avait
marié à une des concubines de son oncle Mawlay Slimàn
(Dieu lui fasse miséricorde !). Ouand il arriva à Murrâkush,
il l’avait avec lui et l’emprisonna. (Le récit d’Akcnsoùs ne
permet pas de savoir si l’arrestation de Bn Elgâzi eut
lieu au début du voyage qu’il fit à Morràkeh avec le Sultan,
ou si elle se produisit ensuite.) Voici quelle fut la raison
de cet emprisonnement. Bn Elgâzi avait avec le Sultan
une familiarité qui dépassait les limites où doit rester un
sujet visàvis d’un roi. Il avait l’habitude de se tenir
matin et soir à la porte du palais, comme les autres per
sonnages et hauts fonctionnaires du gouvernement, et con
formément à l’usage. Une nuit qu’il rentrait chez lui, il
fut épié par un des ‘Abîds qui ti ra sur lui un coup de fusil,
mais le manqua. Arrivé à sa maison, il porta ses soup
çons sur le Sultan, puis sur les membres du gouverne
ment. Sa familiarité l’entraîna à tenir des propos auda
cieux il tonna et tempêta, et proféra toutes sortes de me
naces. Ses paroles furent rapportées au Sultan, qui en
conçut de la colère contre lui. Dans son irritation contre
le gouvernement, il poussa l’aveuglement jusqu cesser
de venir à la porte du palais. Le Sultan qui avait cherché
à le ramener à lui, mais sans résultat, apprit ensuite qu’il
cherchait un moyen de prendre la fuite. Il se hâta de le
faire arrêter et l’envoya à l’île d’As-Swîra, où sont déte
nus les grands criminels. Il l’y fit enfermer. Au bout d’un
certain temps, un matin, on trouva Bn Elgâzi mort dans
sa prison c’était, diton, en 12ZiO.
Cette annéelà, un traité fut conclu entre le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) et la Sardaigne. Il contenait 28 articles, se rapportant à l’établissement de la paix, de la sécurité et des bons rapports dans le commerce et les diverses relations. Le quatorzième article de ce traité stipulait l’obligation pour les navires musulmans de faire quarantaine, en cas d’épidémie, pour être admis dans les ports sardes. Cette obligation était réciproque pour les navires sardes.
Nomination du chérîf Sîdi Muhammad bn At-Tayib au gouver
nement de Tâmisna, Dûkkâla et pays circonvoisins
Le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséri
corde .’) qui avait nommé son cousin le chérîf Sîdi Moham
med bn At-Tayib bn Muhammad hen ‘Abdallah gouver
neur de Fâs, l’y laissa pendant un certain temps, puis lui
donna le commandement de toutes les tribus de Tâmisna
et de Dûkkâla, avec les pouvoirs les plus étendus sur
elles. Ce Sîdi Muhammad était un homme d’une dureté
extraordinaire pour les révoltés. Sa violence était un mys
tère, et son épée une énigme. Il avait avec lui de grands
chiens, que le vulgaire appelle qnâj’ér on suppose que
s’il était irrité contre quelqu’un, il lançait sur lui ces chiens
pour le dévorer. On dit aussi que, lorsqu’on lui amenait
un criminel, il se levait et allait l’égorger de sa propre
main c’est ainsi qu’il se coupa un doigt en tuant un cou
pable.
Arrivé dans le Tâmisna, ce Sîdi Muhammad infligea une
terrible répression aux Wulâd Harîz il prit un grand
nombre de prisonniers, fit tomber près de 200 têtes, et
détruisit la qasba de Grîrân Elharizi, appelée Merjâna.
Le bruit de sa férocité se répandit rapidement parmi les
tribus qui furent terrifiées la crainte qu’il inspirait les
faisait frisonner.
Du Tâmisna, il passa dans le Dûkkâla. Arrivé au bord
1. Texte arabe, IVe partie, p. 176.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
de la rivière d’Azemmoûr, il fit amener ces prisonniers,
tua les uns, égorgea les autres, puis franchit la rivière
et s’installa dans la ville. La population fut frappée de ter
reur, et toutes les tribus de Doùkkâla se soumirent à son
approche. Il se rendit ensuite à Eljedida qu’il trouva en
ruines, telle qu’elle avait été laissée après la conquête,
lors du règne du sultan Sidi Muhammad (Dieu lui fasse
miséricorde !). Cette ville s’appelait, avant la conquête, El
brîja, puis, comme, lors de la conquête, la muraille avait
été démolie par les mines, on lui avait donné le nom de
Elmehdoûina. Sidi Muhammad bn Ettavyéb fil recons
truire le mur d’enceinte et relever les ruines de la ville. Il
la nomma Eljedîda et menaça de peines graves quiconque
la désignerait Sûs un autre nom depuis cette époque,
elle ne fut plus appelée que Eljedîda. Ce fut lui qui fit
bâtir la petite qoubba qui fait face à la grande mosquée.
Quand le Sultan eut rétabli l’ordre dans cette région,
grâce à Bn At-Tayib et à la famine qui, sévissant alors
dans le Maghrib, exerçait ses ravages sur la population et t
risquait de la détruire totalement, il envoya son neveu dans
le Sahara pour le soumettre et percevoir les zekûts et les
‘ashûr-s. Il se rendit dans ce pays et en revint plus calme.
Le Sultan le nomma ensuite gouverneur d’Wujda, où il
resta peu de tempset qu’il dut quitter sans résultat.
Le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde!)
entreprend la plantation d’Agdâl dans la capitale de Murrâkush
Quand il eut pacifié le Maghrib, le Sultan (Dieu lui fasse
miséricorde !) entreprit la plantation d’Agdâl, à l’ouest de
Murrâkush. Agdâl est un immense parc qui comprend de
nombreux jardins, ayant chacun leurs limites, leurs noms
1. Texte arabe, 1V« partie, p. 177.
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ARCHIVES MAROCAINES
et leurs jardiniers, et plantés chacun d’une ou plusieurs
espèces d’arbres fruitiers, oliviers, grenadiers, pommiers,
citronniers et Wahrangers, vignes, figuiers, noyers, Amân
diers, etc. Chaque espèce de ces arbres produit, chaque
année, une récolte de milliers de mitsqûls la récolte des
citronniers et Wahrangers, par exemple, se vend 50.000 et
plus quand elle est abondante. Dans tous ces jardins se
trouvent des pieds de (leurs, de plants odoriférants et de
légumes de couleurs, d’odeurs, de goûts et de propriétés
variées dont on ne saurait calculer le nombre, d’autant
plus qu’il s’en trouve parmi elles que ne connaissent pas
les habitants du Maghrib et qu’ils n’ont jamais vues, car
elles ont été importées d’autres pays. Au milieu du pare
sont de grands bassins sur lesquels circulent des embar
cations. Il s’y déverse des eaux de source abondantes
comme des rivières qui servent à arroser les jardins. Il s’y
trouve aussi de nombreux moulins. Parmi ces bassins, il
y en a dont un seul côté mesure approximativement
200 pas. Les kiosques Chosroésiens, les pavillons Césa
riens, les terrasses Mérouaniennes qui s’élèvent à l’inté
rieur du parc, sont telles qu’elles immobilisent le regard
et défient toute description telles sont Dâr Elhanâ, Eddàr
Elbaïdâ, Essâlha, Ezzâhra, etc.
A ce parc fait suite le Jenân Ridouân, qui, par sa
beauté, par ses salles et ses magnifiques terrasses, sur
passe encore tout cela.
En résumé, le parc d’Agdâl est un des paradis de la
terre il surpasse les frondaisons de Bouân et fait oublier
Gamdân, et même Jennât Elmenâra, El’âfia et les autres
lieux de délices étonnants qu’a fondés à Murrâkush cette
dynastie à l’époque de sa jeunesse fortunée.
En commençant les plantations de ce parc, le Sultan
(Dieu lui fasse miséricorde !) y amena les eaux de la source
appelée Tâsoultânt dans le pays de Mesfîoua et dont l’eau
est une des plus agréables, des plus légères et des plus
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
salutaires qui existent. Cette source avait été captée depuis
le règne du sultan Sîdi Muhammad bn ‘Abdallah par les
Mesfioua qui, pendant la nuit, s’en appropriaient l’eau,
qu’ils divisaient en plusieurs canaux pour arroser leurs
jardins et leurs champs. Ils avaient continué jusqu’au
moment où le sultan Mawlay Slimân, fatigué de leur façon
•d’user de cette source, leur en céda l’usage, moyennant
le paiement d’une somme annuelle de 1.000 mitsqâls. Le
sultan Mawlay Abderrahmân leur retira cette concession
malgré eux, et amena les eaux de la source, à travers les
précipices et les collines, jusqu’à l’Agdâl fortuné, faisant
profiter de leur bienfaisance leurs voisins immédiats et
éloignés. Voilà ce que dit à ce sujet le vizir Abû ‘Abdal
lah Muhammad bn Drîs (Dieu lui fasse miséricorde !).
La plupart des faits que nous avons rapportés sur ce
règnefortuné, depuis son commencement jusqu’à l’époque
où nous sommes arrivés, ont été empruntés par nous à
Abû ‘Abdallah AkenSûs, qui (Dieului fasse miséricorde!) !)
les a rapportés toutefois sans en indiquer la date, qui,
cependant, est l’objet même de la science. Comme nous
n’avons trouvé dans toute cette période rien qui nous per
mette d’établir les dates, nous avons rangé les faits dans
l’ordre que nous ont inspiré la réflexion et l’examen, et
nous les avons consignés ici, afin de n’en pas perdre tout
à fait les avantages. En tous cas, ces événements se pas
saient de 1240 à 1250. Dieu sait quelle est la vérité
Le qâ’îd Abûroulâ Drîs bn HUmmân Eljerrâri est nommé
gouverneur d’Wujda et de la région circonvoisine
Nous avons vu précédemment que le sultan Mawlay
‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde !) avait donné le
1. Texte arabe, IV’ partie, p. 178.
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ARCHIVES MAROCAINES
gouvernement d’Wujda à son cousin Sidi Muhammad bn
At-Tayib qui était revenu de cette ville sans résultat. Le
gouvernement de cette place était, aux yeux du Sultan, un
des postes les plus importants et les plus délicats, à cause
de son éloignement du pouvoir central, de sa contiguïté
avec l’Empire des Turcs, qui en faisait une véritable place
avancée, du nombre des tribus avoisinantes, de la diver
sité des avis de ses hahitants, et de leurs mille rapports
avec les ‘Arab-s et les Berbers. Le Sultan se demandait à
qui il pourrait confier cette charge importante, et qui lui
boucherait une pareille issue. Son choix se porta sur un
qâ’îd avisé, Abûl’oulà Drîs bn HUmmân hen Al-’Arbi
Eloùdêyi Eljerrâri, à qui il remit ce gouvernement, et s’en
reposa entièrement sur lui. Or, ce personnage était incon
testablement le premier de son temps pour la sagesse de
son jugement, l’entente des affaires, leur direction exacte,
son affection pour le Sultan, et les bons conseils qu’il lui
donnait. Nommé gouverneur d’Wujda au début de l’année
12/|3, il exerça ses fonctions de la manière la plus hahile,
et sut percevoir tous les impôts des habitants des vil
lages et des tentes. En serviteur zélé et bon conseiller, il
eut l’idée de demander au Sultan l’autorisation de corres
pondre avec lui, pour le tenir au courant de tout ce qui
pourrait se produire dans cette région et qui intéresserait
la politique intérieure ou extérieure du gouvernement.
Il sollicita cette permission par l’intermédiaire du vizir
Abû ‘Abdallah hen Dris ce ministre lui répondit par la
lettre autographe suivante, que j’ai eue entre les mains:
« J’ai soumis à Notre Seigneur secouru de Dieu la ques
tion au sujet de laquelle vous avez écrit. Votre proposi
tion lui a plu, et il a répondu qu’il n’y voyait pas d’incon
vénient, à condition, toutefois, que cette correspondance
serait secrète et que personne n’en aurait connaissance.
Notre Seigneur sera ainsi informé de toutes les affaires
et en sera tenu au courant. Ne négligez donc rien à cet
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
égard, et faites tous vos efforts pour mettre en bon état
votre gouvernement, dont la question la plus grave et la
plus importante est celle de la sécurité des routes et de
l’extinction de la révolte, de façon que de votre région ne
viennent que de bonnes nouvelles. Grâce à Dieu vous pos
sédez beaucoup de jugement, et vous êtes au fait des
affaires, surtout de celles de cette région. Que Dieu vous
protège et vous dirige vers le bien
« Ce paysci est heureux et tranquille, et les faveurs de
Dieu y sont abondantes. La pluie y est tombée en grande
quantité, ce qui a fert-ilisé la terre et a permis aux gens
de faire de grands lahours. Notre Seigneur est à Mélcnâ
sét Ezzéïtoùn, et rien ne le préoccupe, si ce n’est que sa
mère sanctifiée est partie vers la clémence et la miséri
corde de Dieu, il y a un mois.
« Amitié et salut.
« Le 25 joumâda II de l’année 1243.
« Signé Muhammad bn Drîs (Dieu le favorise !) »
A la même époque, le Sultan avait confié le gouverne
ment de Tâza et de la région circonvoisine au shaykh Boù
Ziàra bn Echchàoui Elahlâfi, en lui recommandant de s’ap
puyer dans le service du Sultan sur le qàïd Drîs. Ils admi
nistraient ces contrées conjointement comme les deux
chevaux de Rihûn l’initiative était cependant réservée au
qâ’îd Dris.
Au mois de ramadan de l’année susdite, le Sultan (Dieu
lui fasse miséricorde !) résolut de faire un voyage dans la
région du Gherg, Wujda et son obédience, car il voulait se
rendre compte par lui-même des frontières de ce pays et
examiner les affaires d’une contrée qu’il n’avait jamais
vue. A cet effet, il convoqua les tribus à assister à la fête
de la rupture du jeune, pour l’accompagner ensuite dans
ce voyage. Mais, un grand nombre de Béni Yznâsén et de
“Arabs Angâd étant venus auprès du Sultan pour la fête, il
les interrogea sur l’état de leur pays, mais, comme ils se
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‘ARCHIVES MAROCAINES
plaignirent de l’infert-ilité du sol, il renonça à se rendre
chez eux, et leur promit qu’il foulerait leur sol l’année sui
vante an commencemerit de janvier.
Il remplaça ce par une tournée dans les
ports du Maghrib, dont il voulait examiner les affaires et où
il se proposait de rétablir les moyens de faire la guerre
sainte. Il quitta Miknâs le 15 chouwâl de la même année
(12/j3) et passant par Rdât, dans la région d’Ouâzzân, il
alla d’abord à Tétouan, puis à Tanger, ensuite à Aséïla où
il visita le saint de la ville, Abû ‘Abdallah Muhammad
bn Merzoùq, et rechercha sa bénédiction. De là, il se ren
dit à El’arêïch, et passa par tous les ports successivement
jusqu’à Asfi.
Sur ces entrefaites, il reçut la nouvelle de la révolte des
Shrârda contre Mawlay Elinâmoùn, gouverneur de Mor
râkch cette tribu avait secoué le joug de l’obéissance,
attaquait les caravanes et, après de nombreux actes de ce
genre, venait jusque dans les jardins de Murrâkush. Le
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) résolut de marcher
contre eux nous allons raconter ce qui lui advint avec
eux.
Prise de la Zâwiyat Echcherrâdi, et causes qui la provoquèrent
Nous avons déjà suffisamment parlé des démêlés qui
eurent lieu entre Al-Mahdi bn Muhammad Echcherrâdi
Ezzirâri et le sultan Mawlay Slîman (Dieu lui fasse misé
ricorde !). A l’avènement du sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân,
Al-Mahdi lui prêta serment de fidélité comme tout le
monde. Lors du premier voyage de ce Commandeur à Murrâkush,
les Shrârda allèrent le saluer, au nombre de 500 cava
1. Texte arabe, IV0 partie, p. 179.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
liers, à Mechra’ lien Ilania, et témoigner de leur obéis
sance. Le Sultan leur fit un gracieux accueil et reçut géné
reusement leur députation. Au moment de leur départ, il
leur dit, entre autres choses, que « le passé était mort,
•qu’il ne serait plus question de ce qui avait été volé au
moment de la révolte, mais que dorénavant quiconque
commettrait la moindre faute aurait à en redouter les con
sé ,uences pour lui-même ». Les Shrârda rentrèrent chez
eux. Puis, le Sultan célébra a Murrâkush la fête du Moûloûd;
les députations y assistèrent, et, parmi elles, celles des
Shrârda, qui apportèrent 15 charges de toile, 5 de drap
et Zi.000 mitsclals provenant du pillage effectué par eux
de la sâka d’As-Swîra, avant la mort du sultan Mawlay
Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !), et que nous avons
précédemment relaté. La hienveillance du Sultan et son
désir de conciliation furent tels qu’il leur demanda de
lui fournir un contingent de 200 cavaliers qui se rendraient
dans le Drâ\ tandis que la toile et le drap serviraient à leur
habillement, et l’argent à leurs dépenses. Ils s’exécutè
rent, et le Sultan les hahilla et leur fit des cadeaux. Plus
tard, quand le Sultan nomma à Murrâkush son frère Mawlay
ElMâmûn, les Shrârda lui obéirent sans empressement.
Dans son aveugle témérité, Al-Mahdi adressa contre lui
une plainte au Sultan qui était alors à Miknâs. Il alla jus
qu’à l’accuser de faire payer aux Shrârda la zekâls et
l’ashûr-s dans des conditions contraires aux prescriptions
de la Loi sainte, et de leur avoir donné quatre ou cinq gou
verneurs, au lieu d’un seul qui les administrait aupara
vant. Le Sultan en fut irrité il s’efforça d’adoucir les
termes de la lettre qu’il lui adressa, et lui promit que, dès
son arrivée à Murrâkush, il donnerait suite à ses plaintes
contre son frère. Sur ces entrefaites, et avant d’avoir reçu
la lettre du Sultan, Al-Mahdi excita ses contrihules à la
révolte contre le souverain et à ces actes qui attirent
sur leurs auteurs la colère de Dieu et les faveurs de Sa
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ARCHIVES MAROCAINES
lau. Les cavaliers Gheràrda se répandirent sur les routes
et les sillonnèrent de leurs pillages. Ils se ruèrent sur les
<|àïds que .Moi’ilay Elniâinoùn leur avait donnés, s’empa
rèrent de leurs personnes et les emprisonnèrent, puis
dévalisèrent leurs maisons. Les voyageurs et les négo
ciants, dévalisés et réduits à la nudité, allèrent à la porte
du Sultan se plaindre du malheur que leur avaient fait
subir les Shrârda, dont les victimes affluèrent auprès de
lui. Décidé à des mesures sérieuses et « affilant sonépée »,
le Sultan écrivit alors à son frère Mawlay ElMâmûn pour
l’inviter à convoquer les tribus du Hawz et à les réunir
auprès de lui en attendant son arrivée. Il se mit lui
même en route avec le yuéïch El’abîd, les Udaya, les Ait
Idràsén, lesZemmoùr et les Wrabs Béni Hsen, Béni Mâlék
et Sefiân. Il écrivit également aux Shawiyia et aux Doûk
kâla de tenir leurs cavaliers prêts pour le moment où il
passerait chez eux.
La réputation d’Al-Mahdi avait beaucoup grandi elle
lui avait conquis les ignWahrants de sa tribu, et peu s’en
fallait qu’elle ne se répandît plus loin. Il allait même jus
qu’à insinuer et à déclarer qu’il élail le mehdi attendu. La
raison la plus forte de son audace et de celle de sa tribu
était la chance qu’il avait eue d’infliger une défaite au
sultan Mawlay Slimân (Dieu lui fasse miséricorde !). Ils
pensaient, lui et ses Shrârda, que Dieu ne donnerait à
personne la victoire sur eux.
En sortant de HiLât Elfelh, le Sultan rencontra la cara
vane des Hâjjs qui avaient été pillés par les Hechtoùka
elles Chiâdmades environs d’Azeninioûr. A cette époque,
il était d’usage dans le que les caravanes de pèle
rins venant de toutes les régions de l’Empire allassent se
concentrer à Fâs, d’où le rèkb partait dans les formes
établies alors. C’est ainsi que les Hâjjs venus du Sûs et
d’autres contrées, à leur arrivée chez les Chiâdma et les
Hechtoùka, avaient été pillés et entièrement dévalisés. Le
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DYNASTIE AI.AOL’IE DU JIAROC
Sultan (l)icn lui fasse miséricorde écouta leur plainte et,
vivement irrité de la profanation dont ils avaient élo vic
times, marcha contre ces mauvais sujets et leur infligea, à
l’endroit appelé Fergâla, duns l’obédience d’Azemmoùr,
une répression si sanglante qu’ils se jetaient dans la nier
pourécliapper à lamort. Ils avaient d’abord infligé quelques
pertes à la mhalla, mais, bientôt vaincus, le Sultan leur fit
couper la tète, et les soldats s’emparèrent de leurs ell’cts
et de leurs animaux. Cette affaire fut l’annonce de la vic
toire et la préface du triomphe.
Le Sultan passa ensuite à A/.einmoûr, puis à Eljedida,
et se rendit, en suivant la côte, à Asli, où il visita le cliéïkh
Uoù Muhammad Salâl.i (Dieu soit satisfait de lui!). De
là, il poursuivit sa route jusqu’à la Zâwiyat Echclierràdi i
qu’il surprit. Ses étendards victorieux furent hissés dès le
matin sur ce bâtiment, sans qu’il allât jusqu’à Murrâkush.
Sans laisser à l’armée le temps de mettre pied à terre et
de dresser les tentes, il engagea le combat. bien qu’on fut
en plein été, on combattit en plein midi. La lutte dura
sept jours. Le Sultan braqua sur les Shrârda les canons
et les grands mortiers. Le cinquième jour, qui était un
mardi, jour de la fête du Moùloùd glorieux de l’année 12/|/i,
le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) voulut laisser les
hommes se reposer de la guerre, mais, entraînés par leur
insolence et leur iniquité, les Shrârda marchèrent sur
l’armée et l’attaquèrent le Sultan ordonna alors de s’avan
cer contre eux et de les harceler. Il commanda au grand
maître Abû ‘Abdallah Muhammad bn ‘Abdallah Mellâh
Esslàoui, qui assistait à cette affaire, de tirer avec fermeté
et sans relâche. Celui-ci lança sur les Shrârda, dans cette
seule journée, 280 bombes qui, tombant toutes dans la
y.àouya, éclataient en tombant, et atteignaient toutes les
murailles voisines. Les Shrârda virent de près, ce jour
là, la « mort rouge » ils répondaient aussi par des boulets
et des bombes qu’ils lançaient avec les canons et les mor
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ARCHIVES MAIIOLA1NES
liors qu’ils avaient, enlevés dans la inhalla du sultan Mawlay
Sliinân. Le soir du septième jour du combat, qui était un
vendredi, la division éclata parmi les Shrârda, etElnieluli
résolut de prendre la fuite. « Comment, tu vas l’enfuir 1*
lui dirent ses compagnons, et tu nous abandonneras ? Où
est maintenant ce que tu nous avais promis – Pour
vous, leur répondit-il, ce que vous avez hérité de vos
ancêtres, c’est le service du Sultan vous ne pouvez pas le
refuser; quant à moi, ce que je sais, et ce que j’ai appris
de mes ancêtres, c’est que la guerre durera sept jours
contre cette bourgade qui sera prise ensuite par le Sultan
qui viendra de la direction de la mer ce Sultanlà est
venu. » Tels furent les propos qu’il leur tint pour faire
croire à sa divination il fut regardé comme sincère par
ces ignWahrants qui s’étaient fait tuer et ruiner pour lui.
Celui que Dieu ne peut pas avoir de guide. La nuit
Arenue, il monta, diton, sur un àne, accompagné d’une
vingtaine de ses compagnons à cheval qui l’escortèrent
jusqu’à l’endroit appelé Ti/.gui. Là, il leur fit ses adieux
et partit pour le Sûs. Il avait fait verser le sang sacré et
pillé l’argent sacré il avait rempli sa page de crimes. Je
demande à Dieu de m’épargner pareil sort et de m’accor
der la paix
Dès qu’ils se virent abandonnés par Al-Mahdi, les Che
rârda se dispersèrent. Ils passèrent la nuit à transporter l’
leurs femmes et leurs enfants vers leurs lieux de refuge.
Mais ceux à qui il fut difficile de partir, se réunirent et
allèrent délivrer leurs quatre qàïds, pour leur demander
leur intercession auprès du Sultan dès le matin ils étaient
au Lord de la mhalla, sollicitant leur introduction auprès
de Mawlay ElMâmûn. Le Commandeur Les fit venir, et, entrant
auprès de lui, ils implorèrent sa clémence en faveur de
ceux d’entre eux qui étaient restés, et lui demandèrent
Y. Amân. Mawlay ElMâmûn le leur accorda. Ils se rendirent
ensuite auniôs du; Sultan et lui firent demander à être
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DYNASTIE ALA.OUIE DU MAROC
reçus par lui. Introduits en sa présence, ils lui firent part
do Vamûn que leur avait octroyé Mawlay Hlmânioùn et le
Sultan y accéda. Il fit ensuite grouper les derniers Shrârda
restés dans la qasba il y en avait près de 2.000. Les troupes
livrèrent au pillage leurs maisons et leurs ed’ets.
On prétend que le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) ne
leur donna pas Vamûn, et que les ayant fait emprisonner,
il avait résolu de les passer au fil de l’épée. Il consulta à
ce sujet les ‘oulainû, qui se gardèrent de se prononcer
pour l’eH’usion du sang. L’un d’eux, qui était le ff/îh Abû
‘Abdallah Muhammad hen Elmràbet ElMurrâkushi, déclara
même que les Shrârda avaient été touchés par le repentir
avant d’avoir été vaincus. Le Sultan, qui était grand obser
vateur du droit, et qui en toutes circonstances se confor
mait à la loi, s’abstint de les mettre à mort.
Après cela, le Sultan ordonna de rechercher activement
les femmes et les enfants d’Elmehcli. Après des investiga
tions, on les lui amena, et il les envoya à Miknâs, où ils
furent logés dans la maison du qàïd Muhammad bn Ech
châhed Elbokhâri qui avait péri dans l’afl’aire d’A’lil con
duite parle sultan Mawlay Slîmân.
Au moment où le combat était terminé et la victoire
assurée, le maître Muhammad Mellàh, mourut frappé d’un
éclat de bombe, qui tua en même temps beaucoup d’autres
personnes. Le Sultan assista en personne à ses funérailles
jusqu’au moment où il fut enterré, et. fit des largesses à
ses enfants.
Voici ce que j’ai lu dans une lettre autographe du vizir
lien. Drîs
« Sachez que Dieu nous a accordé la conquête de la
Zâwiyat Echcherrâdi, et a fait périr jusqu’au dernier ses
coupables habitants les soldats n’ont pas encore fini de
procéder à sa démolition. Plus de 600 hommes ont été
emprisonnés, et tout le monde s’est enrichi des ellets, des
richesses et des trésors qui s’y. trouvaient. »
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ARCHIVES MAROCAINES
Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) partagea ensuite
les prisonniers Chcràrda en plusieurs groupes les uns
furent expédiés à lîibàt Elfelh, les autres à Miknâs, un
troisième convoi a Fâs. Au bout d’une année environ, il
les mit en liberté et leur fit habiter la plaine d’A/.gâr. Il
groupa également les Shrârda qui étaient dans les tribus,
et les incorpora avec eux dans cette même région, où ils
résident encore aujourd’hui.
Quant à Al-Mahdi, il partit pour le Soùs et parvint jusque
chez les Aït Bà’Amrân d’Oultita. Il reçut l’hospitalité du
mrûbet de cette tribu, Abû ‘Abdallah Muhammad A’jali
Elbà’amràni. Il demeura chez lui trois ans, « soutirant de
l’exiguïté de la terre qui avait été si large pourlui»; après
quoi, il fit implorer la clémence du Amîr al-Mû’minîn.
Le Sultan se laissa fléchir. Al-Mahdi arriva, les fers aux
pieds, jusqu’auprès du Sultan, àMurrâkush il pleura en sa
présence et lui adressa d’humbles supplications. Le Sultan
lui pardonna et l’envoya à Miknâs, ou il revit sa famille,
puis, peu de temps après, le nomma gouverneur de ses
contribules. Suivant Akensoùs, Al-Mahdi traita durement
ses administrés, dont l’affection pour luise transforma en
host-ilité ils se plaignirent delui au Sultan qui le destitua.
Al-Mahdi accomplit ensuite le Hâjjage avec l’autorisation
du Sultan, qui, à son retour, le nomma de nouveau gouver
neur, sans que ses administrés voulussent l’accepter. Plus
tard, il fut emprisonné, puis relâché; enfin ilpassapar toutes
sortes de vicissitudes. Il ne mourut que dans les premiers
jours de chouwâl de l’année 1293, au début du règne du
Sultan de l’époque, Imâm de la victoire et Commandeur des
Croyants Mawlay Elhasan bn Muhammad (Dieu soit satis
fait de lui !).
La conquête de la Zâwiyat Echcherrâdya fut célébrée
par les poètes du temps, notamment par le fqîh Abû ‘Ab
dallâh Akensoùs.
Le Sultan prolongea pendant longtemps son séjour à
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DYNASTIE AI.AOUIE DU MAROC
AISCII. MAROC. S
Murrâkush, et envoya son frère Mawlay Elmûiuoùn bn
llichâm dans la région du Sûs pour y percevoir tes im
pôts.
Au mois de eha’bàn 12.’j5, le Sultan conclut la paix avec
la nation « Nâperiâl » qu’on appelle l’Autriche le traité
contient douze articles ayant trait aux transactions commer
ciales, et stipule la sécurité et le respect réciproques
des deuxparties contractantes. Le dernier article établit, sur
l’observation des stipulations du traité, une paix durable
que ne pourra ébranler aucun événement postérieur, et
qui ne sera susceptible ni d’augmentation ni de diminu
tion. Peu de temps après ce traité, se produisit, cepen
dant, la grave affaire que nous allons rapporter.
Attaque d’El’arêïch par la nation « Nâperiâl », et ses motifs
Nous avons rapporté que, vers la fin de l’année ‘I2i3, le
sultan Mawlay ‘Abderralunân (Dieu lui fasse miséricorde !)
avait fait une tournée dans les places avancées et les ports
du Maghrib, dans le but de faire revivre la tradition de la
guerre sainte sur mer que le sultan Mawlay Slimàn (Dieu
lui fasse miséricorde!) avait fait cesser. Mawlay ‘Abder
rahmân avait donné l’ordre de construire des flottes, qui
devaient être réunies à celles qui existaient encore prove
nant de son aïeul Sîdi Muhammad bn ‘Abdallah, et avait
autorisé les capitaines de bateaux des deux rives de Salé et
de llibât Elfetli à croiser avec les corsaires de guerre sur les
côtes du Maghrib et sur les rivages voisins. Dans une de
ces croisières, les réïs Al-Hâjj ‘Abd Ar-Rahmân Bârgâch et
Al-Hâjj ‘AbderrahnUin Brîtal rencontrèrent des voiliers au
trichiens et s’en emparèrent, ces navires n’étant pas munis
1. Texte arabe, IV0 partie, p. 183.
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ARCHIVES MAROCAINES
du papier de passeport qu’ils avaient habituellement. Ils y
trouvèrent une grande quantité de marchandises, spéciale
ment de l’huile. Certains de ces bateaux furent amenés dans
le port des DeuxRives, les autres dans celui d’El’arèTcli.
« Six corsaires autrichiens vinrent mettre le siège devant le
port d’ETai’èi’cli le mercredi 3 doùlqa’da 1 2/i 5 et lancèrent
un grand nombre d’obus sur la ville depuis l’aube jusqu’au
coucher du soleil. Pendant ce temps, ils firent débarquer
sur le rivage, vers l’endroit appelé Elmaqsara, 500 soldats
environ qu’ils avaient embarqués dans six allèges dont ils
s’étaient emparés. Ils marchèrent dans la direction des
navires du Sultan qui étaient ancrés dans la rivière, bat
tant du tambour et jouant du clairon, tandis que leurs
croiseurs lançaient des boulets tout le long de la rivière,
pour empêcher qu’on ne les rejoignît en la traversant.
Arrivés auprès des navires du Sultan, ils y mirent le feu,
en guise de représailles pour ce qui leur avait été enlevé.
Mais, au bout de peu de temps, ils furent enveloppés par
les Musulmans qui venaient de toutes les directions, gens
du Sàhel ou autres. Les gens d’ETaroïch et des environs
franchirent bientôt la rivière à la nage et dans des barques,
et jetant le désordre parmi eux, en firent un violent
massacre. Des moissonneurs qui étaient en train de cou
per les récoltes dans les champs, et qui voyaient de loin
l’affaire, prirent à leur tour une helle part au massacre
en coupant les têtes des Autrichiens avec leurs faucilles.
Manuel, qui raconte cette affaire en détail, prétend que les
Autrichiens eurent /|3 tués, sans compter les prisonniers.
Ils laissèrent sur le rivage un canon et un grand nombre
d’armes, et s’enfuirent vers leurs bateaux en regardant
derrière eux.
Cette affairé détermina le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân
à renoncer aux expéditions maritimes et à y prendre inté
rêt. En effet, le moment où il voulait ressusciter cette
tradition était précisément celui où la puissance des Eu
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ropéens commençait, où leur nombre augmentait ainsi que
leurs forces navales. De plus, les expéditions niaiilimes
faisaient naître des conflits, des discussions et des contes
tations, et créaient entre le gouvernement élevé et les
gouvernements des nations ses voisines une haine qui
risquait de rompre les traités établissant la trêve. Enfin,
la prise d’Alger par les Français qui venait de se produire
confirmait le bienfondé de ces craintes. Le Sultan (Dieu
lui fasse miséricorde !) se recueillit et, après un examen
approfondi, pensa qu’il était sage de renoncer aux affaires
de mer, en considération des nécessités du moment et du
peu de profit résultant des expéditions des bateaux mu
sulmans. A tout cela vint s’ajouter un avis publié par de
grands États européens, comme l’Angleterre et la France,
et suivant lequel les navires ne devaient appartenir qu’à
ceux qui étaient en mesure d’observer les règlements ma
ritimes, dont le but est d’assurer le bon fonctionnement
des affaires de mer et de produire les résultats désirables,
et dont l’observation maintient l’amitié établie par les
traités. Parmi les importants résultats de ces mesures, se
trouvent d’abord l’établissement de consuls envoyés dans
les ports par les gouvernements, quels qu’ils soient, qui
veulent y introduire leurs navires et leur commerce, puis,
entre autres choses, empreintes d’une grande légèreté et
que ni la Loi sainte, ni les usages ne peuvent admettre,
la question des quarantaines et tout ce qui en découle.
Tout cela ne fit qu’encourager le Sultan (Dieu lui fasse
miséricorde !) dans sa résolution d’abandonner une chose
qui amenait de telles conséquences; trop de raisons le
déterminaient à s’en abstenir. Kt vraiment les grands
avantages de l’abstention ne peuvent échapper à celui qui
examine la question seuls peuvent la comprendre ceux
qui savent.
Quant à l’affaire des Autrichiens, elle fut réglée grâce
a l’intervention des Anglais, qui envoyèrent leur ambas
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ARCHIVES MAROCAINES
sadeur, accompagné de l’ambassadeur autrichien, auprès
du Sultan à Miknâs, au mois de rabî’ de l’année 12/|6.
Conquête d’Alger par les Français suivie de l’accession des habi
tants de Tlimsân au serment de fidélité prêté au sultan Mawlay
‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde!) 1.
La conquête d’Alger par le tyran de France eut lieu à
la fin de moliarrem, premier mois de l’année \1l\Q. Elle fut
causée par l’état d’opposition continuelle qui régnait alors
entre les Turcs d’Alger et les Français. De nombreux
combats sur terre et sur mer avaient eu lieu entre eux, les
haines qui les séparaient s’étaient accumulées, et les Turcs
mettaient violemment à mal leurs ennemis. D’autre part,
le Commandeur d’Alger, qui était alors Ahmad Bâsha, était
arrivé à l’apogée de sa puissance et voulait se rendre
indépendant du gouvernement ottoman. Il est possible
que, le tyran de France s’étant plaint de lui au sultan otto
man Mahmoud, Celui-ci lui ait répondu de débrouiller
seul cette affaire avec ce Commandeur. Les Français attaquèrent
donc Alger avec des forces considérables, et s’en empa
rèrent après divers combats et engagements qui se pro
duisirent à la date précitée.
A ce momentlà, le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân était à
Murrâkush. Il reçut, dans les premiers jours de safar, la
nouvelle de ce qui s’était passé à Alger et partit aussitôt
pour Miknâs.
Dès qu’ils surent ce qui était arrivé aux habitants d’Al
ger, les gens de Tlemsèn se réunirent pour se concerter
et se mirent d’accord pour prêter serment de fidélité
au sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséri
corde !). Ils se rendirent auprès de son gouverneur Wujda,
1. TexLe arabe, IV partie, p. 1S4.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
le qàïd Abûl’oulà Drisbcn IIomiTiân Eljcrràii, et lui pro
posèrent de s’entremettre auprès du Sultan pour lui faire
accepter leur serment, et le déterminer à rechercher les
moyens de défendre leurs intérêts et de les protéger
contre leurs ennemis. Ils désignèrent un certain nombre
d’entre eux pour aller auprès du Sultan soutenir cette
demande et hâter la réalisation de leurs désirs. Arrivée
chez le Sultan à Miknâs, le ]” rabi’ I01′ de cette annéelà,
la députation fut reçue avec beaucoup d’égards et de res
pect. Lorsqu’ils eurent exposé leurs desiderata, le Sultan
ne leur donna pas de suite satisfaction, car, malgré son
désir de les accepter pour ses sujets, il voulait, suivant la
règle qu’il s’était tracée, baser sa décision sur les pres
criptions de la Loi. Il consulta à ce sujet les ‘oulaniàde Fâs,
qui, presque tous, rendirent un avis défavorable, tandis
que quelquesuns considéraient la demande comme réali
sable. Il s’en tint à l’avis de ces derniers, d’autant plus
que les gens de Tlemsèn, à la réception du feloua des
savants de Fâs, le réfutèrent en ces termes
« Sache notre Seigneur, le pôle et le siège de la gloire,
le séjour et l’asile de l’honneur, la base et la source de la
fière noblesse, le tapis et le centre de la vertu très haute,
le Sultan grand, illustre et glorieux, rejeton des grands
rois, notre Seigneur et notre Maître Wbderrahmàn bn
Ilichàm (Dieu conserve aux Musulmans ce trésor clu’est
notre Seigneur et lui accorde son amitié et sa récom
pense !) que le fetoua rendu par nos seigneurs les ‘ou
laniii de Fâs n’est pas fondé sur une base solide, parce
qu’ils n’ont envisagé que le serment de fidélité qui nous
engage envers l’imam ottoman. Ce serment est bien un
argument contre nous, mais il ne s’accorde pas avec la
réalité des faits, car il n’a du serment que le nom. En effet,
le gouverneur d’Alger était un usurpateur, il jouait avec
la religion, et Dieu l’a fait périr pour le punir de son injus
tice, de ses vexations à l’encontre des serviteurs de Dieu,
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ARCHIVES MAROCAINES
de sa violence et de son libertinage. Dieu laisse du répit
à l’injuste avant de le saisir, mais quand il le saisit, il ne
le laisse pas échapper. Or ce qui prouve l’usurpation et
les actes d’indépendance de ce gouverneur, c’est sa déso
béissance aux ordres de l’Ottoman iln’avait pour lui aucun
respect et ne suivait ni ses paroles, ni ses actes. Ainsi
l’Ottoman lui avait ordonné de conclure la paix avec les
Chrétiens: mais il n’a accepté ni ses ordres, ni ses con
seils, et quand il lui a demandé de l’argent pour l’aider à
résister contre les malheurs amenés par les Chrétiens, l’Ot
toman le lui a catégoriquement refusé et, loin de se mon
trer généreux, ne lui a pas remis la moindre chose. C’est
ainsi que l’ennemi infidèle a pu prendre la ville. Telle est
la récompense des libertins prévaricateurs tout bien
gagné d’une manière illicite, Dieu en rend maîtres les
ennemis les plus vils. Tout ce que nous disons de cet
usurpateur est connu de tous, perceptible à la lumière des
yeux, et n’a pas besoin de preuves ni d’arguments. Les
hommes sont tous des serviteurs et des esclaves de Dieu,
et le Sultan n’est que l’un d’entre eux à qui Dieu a remis
le pouvoir pour l’éprouver et le l’aire soufl’rir s’il gou
verne les autres avec justice, clémence, équité et droi
ture, comme notre Seigneur (Dieu le secoure !) il est le
lieutenant de Dieu sur sa terre, l’ombre de Dieu sur ses
serviteurs, et son rang est élevé auprès du TrèsHaut si,
au contraire, il gouverne avec injustice, tyrannie, oppres
sion et corruption, comme cet usurpateur, il n’est qu’un
révolté contre Dieu dans son empire, un détenteur du pou
voir suprême, un superbe qui règne sur la terre sans
droit, voué aux plus terribles châtiments de Dieu et à sa
colère.
« D’ailleurs, en admettant même que nous soyons liés
envers l’Ottoman par notre serment, ce n’est pas un argu
ment contre nous, car le pays où il réside est tellement
loin de nous, que sa royauté ne nous est d’aucune ut-ilité,
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
à cause (les plaines, des déserts, des mers, des villages,
des bourgades et des villes qui nous séparent de lui. Et
si le lieu de sa résidence est plus rapproché par mer, les
infidèles l’empêchent aujourd’hui de s’y embarquer. De
plus, il est établi par des informations successives, ré
pandues de tous côtés, qu’il est si occupé de lui-même et
de son trône, si impuissant à défendre son pays voisin de
sa capitale, qu’il a du acheter aux Chrétiens une trêve de
cinq années pour des sommes formidables, et leur en
donner un garant, afin d’avoir pendant ces cinq années la
sécurité pour sa personne et son entourage. Comment,
dans ces conditions, lui serait-il possible de prendre la
défense de notre contrée, de notre province, de notre
ville ? La preuve la plus évidente de cette impuissance est
dans l’Egypte et la Syrie, qui sont restées pendant plus
de cinq ans au pouvoir des ennemis de la religion, sans
qu’il ait pu trouver, pour leur résister et protéger ces
pays, d’autre moyen qu’un recours à l’appui de l’ennemi
infidèle. Dieu TrèsHaut fortifie parfois cette religion au
moyen des pervers.
« Aussi bien, Elabi, dans le commentaire de Moslim, à
propos d’un cas semblable au nôtre, déclare formellement
que, si l’imâm ne peut faire exécuter ses ordres dans un
pays, il est permis d’en choisir un autre et de le procla
mer, et que tout retard dans sa proclamation est une
cause de mort. Or, cette proclamation, tous les cous sont
tendus vers elle, les yeux, les prunelles la convoitent
ardemment de tous côtés. Nous avons échappé par le si
lence à toutes les sollicitations, nous avons rompu avec
toutes les propositions, pour venir au seuil de la porte de
notre Seigneur (Dieu le secoure et le dirige!) pour entrer
Sûs son obéissance, pour nous engager à le servir, d’ac
cord avec les tribus et les villes, et les gens avisés et
réfléchis, parce que nous savons que notre Seigneur(Dieu
le secoure !) est seul digne de cette mission généreuse,
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ARCHIVES MAROCAINES
est seul le véritable imam, lui qui a mérité cette dignité
de ses aïeux successifs, et à qui aboutissent toutes les
gloires et tous les honneurs.
« Aussi, nous demandons à notre Seigneur (Dieu le se
coure !) de daigner s’engager il agréer notre serment, par
l’intercession de son ancêtre le Prophète (Dieu prie pour
lui, pour sa famille excellente et pour ses compagnons
(Mus et leur donne le salut !).
« Notre dernier vuhi est: louange à Dieu, le Maître
îles mondes »
La lecture de cette pièce décida le Sultan (Dieu lui fasse
miséricorde !) à accepter leur bay’a et à prendre l’engage
ment de la respecter. Il donna le commandement de Tlcm
sen à son cousin, Mawlay ‘Ali bn Slimàn, qui était aussi
son beaufrère et lui fournit un détachement du c/uéïch,
composé de 500 hommes d’Udaya et de ‘Abids notables.
Il les envoya tous à ïlemsèn, accompagnés des délégués
de cette ville, qu’il combla de cadeaux et de bienfaits. En
même temps il écrivit à son gouverneur le qûl’cl Drispour
lui recommander cette mission dont il devait s’occuper,
et l’associa à Mawlay ‘Ali dans l’administration et les déci
sions à prendre en réalité, Celui-ci devait seul en avoir
la responsabilité. J’ai eu entre les mains la lettre auto
graphe que le vizir Abû ‘Abdallah bn Dris lui envoya
à ce sujet. Voici ce qu’il lui écrivait
« Louange à Dieu seul.
« Dieu prie pour notre Seigneur Muhammad et sa fa
mille!
« A notre ami, à l’oncle de notre Seigneur, Si Drîs bn
Ilommun Eljerrâri.
« Que le salut, la miséricorde de Dieu et ses bénédic
tions soient sur vous, en participation aux bienfaits de
notre Seigneur, Dieu le fortifie
« Ensuite
« J’ai reçu votre lettre qui m’a été apportée par les no
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DYNASTIE ALAOUIE DU JlAttOf.;
tables do Tlemsèn et des tribus voisines de celle ville. Je
leur ai donné tout l’appui que j’ai pu, et j’ai fait pour eux
tous les ellbrts possibles. Noire Maître les a agréés et les
a traités, à leur arrivée cl à leur départ, avec; la plus grande
générosilé, suivant son habitude..Notre Maître les renvoie
maintenant comblés d’honneurs. Il a désigné, pour le re
présenter auprès d’eux, son cousin Mawlay ‘Ali, dont il
connait l’intelligence, l’expérience, L’habileté et le cu’ur
haut placé. (“est qu’il ne tant dans ce pays que des hommes
jouissant de ces qualités, pour savoir distinguer la situa
tion du moment de celle qui l’a précédé. Notre Maître
vous a également désigné pour servir d’intermédiaire
entre son cousin et les gens de Tlenisèn, car vous possé
dez aussi les qualités, éuumérées plus haut. Justifiez donc
votre réputation, gavde/vous bien de vous laisser aller à
l’avidité: « abstenez-vous du bien d’autrui». Tout ce dont
vous aurez besoin et qui vous sera indispensable, vous le
recevrez: vous n’aurez qu’à nous prévenir. Ne nous cachez
absolument rien. Sachez que notre Maître vous a distin
gué parmi vos contribuées et vous a rapproché de lui. Main
tenez toujours votre rang auprès de lui. Dieu est Dieu!
Justifiez votre bonne réputation Dieu vous bénisse, ainsi
soit-il!
« Notre Seigneur a gratifié chacun d’entre eux d’un cos
tume approprié à son rang. Dans toutes les villes où ils
sont entrés, il leur a donné.
« 11 leur a lait voir l’intérieur de son palais, tous ses jar
dins et tous les locaux royaux, où ne sont admis que les
favoris. Bref, ils ont obtenu des égards inespérés, et je les
ai servis au delà de ce que vous désiriez. D’ailleurs, c’est
assez d’eux pour vous renseigner.
« C’est à vous maintenant de vous acquitter envers nous
justifiez l’espoir que nous mettons en vous, et n’oubliez
pas que notre Seigneur en a mis d’autres à l’épreuve avant
vous et les a sacrifiés. Voici je demande à Dieu qu’elle
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AUCIIIVES MAROCAINES
soit en or pur. Co que vous a promis notre Seigneur vous
parviendra des que vous aurez lixé voire résidence dans
le pays et que tous, citadins et campagnards, auront pu
constater votre bonne administration. A cet égard, il vous
suffit des recommandations contenues dans la lettre ché
rifienne de notre Seigneur.
« Amitié et salut.
« Le 13 rabi’ II de l’année ’12/J6.
« Muhammad bn Drîs, Dieu le favorise. »
Mawlay ‘Ali arriva à Tlimsân le Sultan lui envoya,
après son départ, 500 cavaliers, 100 fantassins et un grand
nombre d’art-illeurs d’élite pris parmi ceux de Salé et de
Ribât Al-Fath, et au nombre desquels se trouvait le fils du
gouverneur de Salé, Muhammad bn Al-Hâjj Muhammad
Bû Jmî’a, qui était un des plus habiles. L arrivée et l’éta
blissement de Mawlay ‘Ali à Tlimsân remplirent de joie
les harlar de la ville, chez lesquels il devint très populaire.
Les délégations de toutes les régions vinrent le saluer,
et, aidé du qâ’îd Dris, il reçut d’elles leur serment de fidé
lité au Sultan. S’y refusèrent les Kourouglis turcs, qui
formaient depuis très longtemps la garnison de la qasba.
Mais, après les avoir assiégés et combattus pendant
quelque temps, il en triompha et s’empara de tout ce qu’ils
possédaient. Il eut aussi à vaincre la résistance de deux
tribus arabes du pays, les Doùaïr et les Zmâla, issues, dit
on, des réguliers que Mawlay Ismâ’îl (Dieu lui fasse misé
ricorde !) avait envoyés dans cette contrée pour y tenir
garnison, et qui, demeurés dans le pays, y avaient fait
souche. Mawlay ‘Ali les subjugua également, et l’armée
mit leurs biens au pillage comme elle l’avait fait pour ceux
des Kourouglis. Cette répression amena de grands troubles
que nous rapporterons plus bas, s’il plaît à Dieu
Dès les premiers jours de ramadan, le qâ’îd Drîs sortit
de Tlimsân à la tête d’une troupe prise parmi le guéïch qui
l’accompagnait, dans le but de soumettre les tribus du
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAHOC
pays ri (le faire prêter le serment à celles qui l’avaient
refuse, car seuls avaient l’ait leur soumission les habitants
de Mascara, les tribus d’Elheehéni, d’Elinchàchél, des Ijeni
Cheqrân, les Mrâbel; de Geris et d’Ouargiya, les Tahallit,
les Hamiyân, et d’autres, dans leur béï’u dont voici le
texte
« Louange à Dieu qui a fait briller à la face de cette
nouvelle époque des lumières du KhalifaI, qui a manifesté
sur la page de son aurore les signes précurseurs du bon
lieur, de la bonne fortune et de la sécurité, et qui a con
duit les créatures de son choix à se ranger Sûs l’étendard
de notre .Maître l’Imam.
« La prière et le salut soient sur notre Seigneur Moham
med qui a été envoyé par miséricorde pour les mondes,
sur sa famille et sur ses compagnons excellents.
« Ensuite
« Toutes les tribus inscrites à droite du présent ont
envoyé leurs délégations auprès de notre Maître le khalifa
Abûlhasan Mawlay ‘Ali, fils du Amîr al-Mû’minîn
Mawlay Sliniân, qui leur a donné lecture de la lettre de
notre Maître victorieux, dont l’étendard est déployé, et
l’épée illustre, le Amîr al-Mû’minîn Mawlay ‘Abcler
rahmân, fils de Moûlav Ilichâm (Dieu lui perpétue sa
protection et dirige ses ellbrts vers ce qui peut le satis
faire !), en présence de son khalifa, le tâléb plein de droi
ture, l’illustre et fortuné qaïd Sî Drîs Eljerràri. Les délé
gués ont accueilli cette lettre avec respect et vénération
ils ont requis de témoigner contre eux qu’ils prêtaient
sermentde fidélité a notre Maître l’Imam (Dieu le fortifie
et perpétue sa puissance et sa majesté !) ils ont pris l’en
gagement de l’observer et de lui obéir, et se sont rangés
Sûs sa loi. Cette bay’a est complète et remplit toutes les
conditions; elle comporte tous les engagements et établit
toutes les obligations. Tous l’ont acceptée et approuvée et
s’engagent à l’observer.
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ARCHIVES MAROCAINES
« Ceux qui ont entendu ce qui précède des susdits ont
dressé acte, le premier jouniàda II de l’année \”l!i(\. »
Suivent les signatures des deux ‘adel qui ont reçu la
déclaration îles notables des tribus précitées.
Le serment de fidélité avait été prêté par ceux que nous
avons nommés les dissidents étaient ceux contre lesquels
marcha le qâ’îd Dris, afin de recueillir leur bay’a, comme
nous l’avons dit plus haut.
En résumé, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) s’oc
cupa d’une façon très des affaires de cette contrée,
et ne négligea aucun ellbrt pour la pourvoit1 petit à petit
de tous les secours dont elle avait besoin en fait d’hommes,
d’armes et d’argent. Il envoya aussi auprès des popula
tions de ces régions, pour les engager à l’obéissance et
les inviter à se ranger dans la loi commune, le chérîf
baraka Sidi Eihâdj Al-’Arbi bn ‘Ali Elouezzani, qui jouis
sait auprès d’elles, comme ses ancêtres, d’une entière
confiance. Il fit partir aussi pour TIemsèn, afin d’y exercer
les fonctions de mohtaséb, le cliérîf excellent Abû Moham
med ‘Abdessehlm Elboù’Jnâni. Il expédia également, en
grande quantité, des costumes, des étendards, des pavil
lons, des canons, des mortiers, de la poudre et du plomb.
Tout cela n’empêcha pas la volonté de Dieu de s’exercer.
Les Arabs de ce pays se séparèrent du Sultan, à cause de la
faiblesse de leur foi et de leur incurie, et presque tous pri
rent parti pour les Chrétiens, dès que ceux-ci eurent enlevé
Wahran. La division gagna ensuite les qàïds du gaèïch du Sul
tan, parmi lesquels éclatèrent de violentes rivalités, dont
les échos divers arrivèrent jusqu’au Sultan. Enfin ces qâ’îd-s
finirent par piller les effets des Kourouglis, sans vouloir
les rendre, et par voler ensuite, à proximité même du
chérit Sîdi Al-Hâjj Al-’Arbi bn ‘Ali Elouezzani, l’argent et
le bétail des Zmâla et des Doûaïr. Tout allait mal et les
espérances étaient détruites. Le Sullan pensa alors qu’il
valait mieux rappeler ces troupes, sur l’ut-ilité desquelles
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DYNASTIE ALA01/1E DU MAROC.
il n’y avait plus à compter, et ordonna l’arrestation du qâ’îd
Drîs qui lui fut dénonce comme ayant participé au pillage
des des Zmàla et des Doùaïr, et ayant refusé
de leur restituer le lire biens les plus précieux. La Mhalla
se mit en route et fut de retour la fin de ramadan.
Le 15 jouniàda II de la même année, il y eut un trem
blement de terre qui détruisit de fond en comble une des
bourgades de Tlenisén, appelée Elblida, et fit périr des
habitants.
Tout appartient à Dieu il fait ce qui lui plait.
Révolte des Udaya contre le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân
et ses causes’.
La révolte du guéïch Eloùdèya contre le sultan Mawlay
‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde !) éclata au mois
de moharrem 1247. Voici ce qui la provoqua
Les principaux qâ’îd-s et les personnages les plus en vue
de ce guéïch étaient Ettâhar bn Més’oùd Elnigafri Elhas
sâni, Al-Hâjj Muhammad bn Ettâhar Ehngafri El’aqili
et Elhaclj Muhammad hen Ferhoûn Eljerrâri. Le Sultan
(Dieu lui fasse miséricorde !) leur confiait les missions
importantes et les envoyait dans les contrées les plus loin
taines de l’Empire. Eux, de leur côté, Sûs les apparences
de l’obéissance, n’avaient que des sentiments host-iles pour
le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân, parce qu’il avait fait ces
ser la familiarité avec laquelle ils traitaient le sultan Moû
lay Slîmân. A chaque instant, ils manifestaient leur déso
béissance, mais le Sultan les laissait faire et négligeait de
relever leurs fautes. Quand vint l’expédition de Tlemsén,
il les fit partir avec les chefs et les notables du guéïch qu’il
envoya. Ils continuèrent leurs attaques contre le gouver
1. Texte arabe, IV” parlie, p. 187.
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ARCHIVES MAROCAINES
nemcnl, et leurs menées devinrent plus étendues et plus
audacieuses. Ils prirent une large part au pillage des Zniàla
et des Doùaïr, assistés du qàïd Drts bn Elniahjoùb Elbo
khàri qui leur servit de complice, et laissèrent voir qu’ils
ne tenaient aucun compte ni du Sultan, ni de son khulîfa,
ni de son gouverneur. Comme une haine secrète régnait
entre eux et le qàïd Dris Eljerrâri, Celui-ci, craignant que
s’il s’opposait au pillage organisé par eux, sa tête ne leur
servit à « fermer cette déchirure », céda et pilla avec eux.
Aussi, lorsque le Sultan, comme nous l’avons rapporté,
rappela cette armée, un émissaire envoyé par lui alla arrê
ter le qàïd Dris à Wujda, d’où il l’ut amené à Tàza où il fut
mis en prison. Quand l’armée de Tlimsân fut arrivée à
‘Ouq Eljernel, près de Fâs, le qàïd At-Tayib Eloudîni
Elbokhâri, gouverneur de cette Aille, se rendit auprès
d’elle. Suivant les uns, il devait arrêter ces qàïds sur l’ordre
du Sullan suivant les autres, il voulait leur enlever les s
charges de leurs animaux qui étaient pleines du produit
du pillage. Mais les Oùdéya et les ‘Abîds, au moment de
commettre leur crime, s’étaient promis et juré de faire
cause commune contre quiconque leur voudrait du mal.
Aussi, quand ils virent arriver le qâ’îd At-Tayib Eloudîni,
ils lui firent un accueil tics plus rudes, si bien qu’il retourna
sur ses pas et alla rendre compte de sa mission au Sultan
qui en fut très irrité.
Quelques jours après, le Sultan décida l’arrestation de
Elbàdj Muhammad hen Etlàhar ETaqîli. Pressentant ce
qui l’attendait, Celui-ci se rendit auprès d’Ellàhar hen
Més’oûd et se jetant à ses pieds « .Je vais être emprisonné
sans aucun doute, lui dit-il. Si le Sultan te donne le
moindre pouvoir sur moi, montretoi généreux et ne te
venge pas de ce que je t’ai fait. » Etlâhar hen Més’oùd
avait été auparavant gouverneur de Taroûdant et le Sultan
l’avait destitué pour mettre à sa place lien Etlàbar qui lui
avait fait subir de mauvais traitements. C’est pourquoi il
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
lui tint pareil langage. «Vastu vraiment être arrêté’.1 »
lui répondit Eltâhar bn Mês’oùcl, qui, sur sa réponse
affirmative, lui dit « Moi vivant, il ne t’arrivera rien de ce
que tu redoutes. >> Le Sultan convoqua ensuite Elbàdj
Muhammad bn Ellàhar et Ahmad beu Elmahjoùb, et les
fit arrêter après leur avoir reproché leur conduite. Les
sbires des Oûdèva s’emparèrent de leur conlribule, et
ceux des ‘Abîds du leur, puis les conduisirent le soir à la
prison.
Eltâhar hen Més’oùd faisait le guet à la porte du palais
du Sultan pour délivrer Al-Hâjj Muhammad bn Ellàhar
et son compagnon. Quand il les vit sortir, il demanda aux
gardes de les relâcher, niais ceux-ci refusèrent en disant
qu’ils étaient emprisonnes sur Tordre du Sultan. Eltàhar
bn Més’oùd ne voulut rien écouter et, tirant son poi
gnard, frappa le portier Dris Eloùdèyi qu’il entama a
l’épaule, et lui enleva son prisonnier. Il s’avança ensuite
pour délivrer Ahmad hen Elmahjoùb, mais Celui-ci s’y
refusa et le repoussa sévèrement, en lui disant qu’il ne
voulait pas enfreindre les ordres du Sultan. Les Oùdèva
pensaient, en eu’et, en raison de leur serment antérieur,
que les ‘Abids étaient avec eux, mais Dieu avait semé la
division entre eux. Ettâhar et Bn Ettâhar se précipitèrent
alors vers leurs chevaux et s’enfuirent à cheval dans la
direction de Dur Eddebibag. Les Mgàl’ra assaillirent alors
la porte du palais du Sultan, ceints de leurs armes, et si1
mirent à charger leurs fusils et à tirer à balles. Le parti du
Sultan voulut leur résister, mais les Oùdèva, plus nom
breux qu’eux, les battirent et fermèrent sur eux la porte
du Mcchouar. Le Sultan s’informa de ce qui se passait et
fut mis au courant de la nouvelle. Elhasan bn llanimo
Ou’Aziz, qui se trouvait avec lui, lui dit « O notre Maître
si ces gens ont eu l’audace de commettre de pareils actes
à votre porte, c’est qu’ils sont résolus à faire plus. » Le
Sullan (it aussitôt venir un cheval, et sortit, au coucher du
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ARCHIVES .M A H0 GAIN ES
soleil, par 15àb Elbejà, accompagné de I$en Ou W/îz et
do q nelcj ues serviteurs à pied et à cheval.
Dès qu’ils apprirent le départ du Sultan, tous les Oùdèya
quittèrent Fâs Eljedîd et la qasba des Chràga pour rejoin
di’o le Sultan, (|u’ils rattrapèrent au pont de Wyyâd. Là,
ils mirent pied à terre et, baisant les sabots de son cheval,
implorèrent sa clémence et se déclarèrent innocents du
crime de ces impudents. Il tombait alors une pluie lég’ère,
et le soleil venait de se coucher, ou peu s’en fallait. Le
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !j céda à leurs suppli
cations et revint. Elhàclilj Muhammad bn Fcrhoùn lui
conseilla d’aller avec lui à la qasba des Shrâga, qui était
alors habitée par les gens du Soùs. Le Sultan se rendit à
la maison de ce dernier, non sans méfiance, mais il le
fallait en ce momentla.
A peine fut-il installé dans la maison de lien Ferhoùn,
que les Mgàl’ra, les Oùdèya et les gens du Soùs s’ameu
tèrent autour de lui. Les Mgâfra lui manquèrent de res
pect et résolurent même de le tuer. Mais Dieu le protégea
contre leur malice, car la division se répandit parmi eux,
et les gens du Soùs, très surexcités, déclarèrent que le
Sultan ne passerait pas la nuit ailleurs que dans son palais.
En effet, ils lui demandèrent de s’en aller. Le Sultan
monta à cheval et, reconduit par eux, retourna pendant la
nuit à son palais, où il se reposa.
Quelques jours après, le Sultan profita d’un moment
d’inadvertance des Oùdèya pour se transporter au jardin
de Boùljloûd, en dehors de Fâs Eljedîd. Tout son parti de
Wbids et d’autres gens se joignirent à lui et presque tous
s’installèrent à Fâs le vieux, de sorte que les Oùdèya res
tèrent seuls a Fâs Eljedîd. Le Sultan fit venir ensuite les
Wbids de Miknâs qui répondirent à son appel. Les Udaya
s’émurent en voyant que le Sultan avait résolu de les quit
ter, car ils savaient que, s’il se séparait d’eux, il ne les
abandonnerait que pour les réduire ensuite. Ils le solli
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ARCH. MAROC. 10
citèrent de demeurer il iïès, s’excusèrent et manifestèrent
leur repentir, tandis que les mauvais sujets allaient livrer
aux ‘Abîds un combat, où nombre d’hommes périrent des
deux côtés.
Le Sultan parvint à les calmer, par une attitude bion
veillante et douce, puis résolut d’aller à Miknâs. Empor
tant avec lui ses lourds bagages, ses efl’ets et ses ri
chesses, il prit la route de (Juebgueb et la ‘Aqbat Elm
sàjin, pour faire croire qu’il partait pour le Garb. Un
grand nombre de notables des Oùdèya sortirent pour lui
l’aire escorte, puis, changeant d’idée, revinrent sur leurs
pas. Les Abîds tinrent-ils à leur adresser certains propos
déplaisants? Les Oùdèya se groupèrent et tombèrent sur
les ‘Abîds qu’ils séparèrent du Sultan, puis pillèrent ses
trésors et ses bagages. Quelques hommes sensés purent
s’approcher des femmes et les ramenèrent, Sûs leur pro
tection, au palais ils ne pouvaient faire un plus bel acte.
L’argent et les effets furent pillés ils étaient en grande
quantité. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) pour
suivit sa route. Un des audacieux Oùdèya le suivit dans
le but de le tuer, mais, avec la protection de Dieu, il
arriva à Miknâs, ou il se trouva en sécurité.
La nouvelle de cette émeute était parvenue au qaïdDrîs
bn IlUmmân Eljerràri, emprisonné à Tàza, qui, usant
de ruse pour obtenir sa liberté, forgea une lettre au nom
du Sultan et l’envoya au gouverneur de Tàza qui le mit
en liberté. C’est que le Sultan, au moment où ce qâ’îd était
à Tlimsân, lui avait envoyé quatre feuilles de papier por
tant le grand sceau impérial, et lui avait ordonné de con
server précieusement ces feuilles et de ne les employer
que pour des affaires de la plus haute importance inté
ressant particulièrement le Sultan et le gouvernement, et
pour lesquelles il n’aurait pas le temps de demander des
instructions, en raison de la distance qui sépare Tlimsân
de Fâs. Ce qâ’îd employa alors une de ces feuilles, et y
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AMC.IIIVliS jNIAHOCAl.NKS
écrivit l’ordre de sa mise en liberté; c’est ainsi qu’il sor
lit de prison. Il alla à l’es a marches forcées, et, à peine
arrivé, il écrivit au Sultan, pour lui annoncer ce qu’il avait
luit et l’assurer « <|ii’il était toujours prêt à donner à notre
Maître ses bons conseils et a travailler au bien du Sultan
et de l’armée ». Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !)
lui répondit par la lettre suivante:
« Ensuite
« Nous avons reçu votre lettre et en avons pris connais
sance. Dieu soit loué de ce que vous êtes sain et sauf!
car j’avais envoyé quelqu’un auprès de vous pour vous
délivrer. C’est que nous avons acquis la certitude que
vous avez été contraint d’agir ainsi et que vous n’avez rien
à vous reprocher..Vu contraire, vous ave/, donné une
preuve d’habileté en cédant aux pillards, car si vous les
aviez retenus, la situation eut été gravement compromise
làbas. Aussi vous avez l’Amân, pour le présent et l’avenir.
Ne craignez jamais rien, car vous êtes de ceux dont nous
connaissons la piété, l’intelligence et la sincérité. Nous
avons vu, nous avons entendu tout le mal diabolique au
quel se sont livrés nos oncles. Il ne convient pas que nous
les traitions comme nous ont. traité ceux d’entre eux qui
n’ont pas de raison, car si nous agissions ainsi, nous ne
pourrions plus nous rencontrer. Kaitcsdone tous vos
e Morts pour le bien et la conciliation. Donnezleur de
notre part l’assurance qu’ils n’ont rien à craindre de nous.
Déployez donc les ell’orts les plus sérieux, car « si Dieu
se sert de vous pour ramener dans le droit chemin un
seul individu, cela vaut mieux pour vous que ce sur quoi
le soleil se lève.
« Salut. t.
« Le 17 moharrem 12/|7. »
Le qâ’îd Dris s’occupa avec la plus grande sollicitude
du harem du Sultan qui était reste à Fâs Eljedîd, et où
se trouvait la favorite de Mawlay ‘Alxlerrahmàn, Lâlla
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
l’Yiliua, fille de Mawlay Slimùn. Il alla trouver ïamîn pré
cédemment chargé des dépenses, et le pria de lui drosser
une liste des (juanlilés journalières de farine, île viande,
de graisse, etc., qu’il remettait auparavant au palais du
Sultan. Quand cet ainiii lui eut écrit cette liste et la lui
eut envoyée, ilfournit chaque jour au palais du Sultan les
quantités qui y étaient porlées. L’n jour l’eau du palais du
Sultan lut coupée le qâ’îd IJris lit porler lotis les jours
des outres d’eau au palais, répara les conduites, et tra
vailla jusqu’à ce que l’eau eut repris sou cours.
l’eu de temps après, le Sultan convoqua toutes les tri
Jhis du Maghrib, celles du IJoùz, comme celles du Garb, et
des ports. Elles arrivèrent toutes à Miknâs. Apprenant
cela, les Oùdèya firent venir d’une province où il se trou
vait le ehériï Sîdi Muhammad bn At-Tayib, se massèrent 1
autour de lui et le proclamèrent. Les tribus qui les avoi
si liaient, et qui leur avaient promis de faire cause com
mune avec eux, les abandonnèrent, l’ouïes les tribus du
Maghrib étaient prévenues, eu ell’et, contre ce Sidi Moham
med bn IvHayyéb, depuis que, gouverneur de Taniesua
et de Doùkkâla, il avait maltraité les habitants de ces
contrées aussi était-il universellement détesté.
Le Sultan marcha sur Fâs Eljedîd pour y assiéger les
Udaya. Il fit braquer contre eux les canons et les mor
tiers. On tira sur eux sans discontinuer de la Mhalla du
Sultan, de ‘Aïn Qâdoùs, du bastion de Boùljeloùd, du
bastion de Bâb Elguisa et du bastion de Bab Elftoùh. Le
siège dura sans répit pendant quarante jours. Les Oùdèya
répondaient aussi par des boulets et des bombes. Au
cours de ces journéeslà, les Bni Hsen se distinguèrent
par leurs exploits. Puis le Sultan résolut de les emmurer
et fit venir des charpentiers qui se mirent à travailler.
Mais, fatigués de la guerre, les Oùdèya réclamèrent la
paix. L’amîn Al-Hâjj Elfàléb bn Jelloùn leur servit
d’intermédiaire auprès du Sultan, qui leur accorda L’Amân
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ARCHIVES MAROCAINES
à la condition qu’ils quitteraient Fâs Eljcdid. Ils se sou
mirent et envoyèrent auprès de Mawlay AbdeiTahinàn,
pour implorer sa clémence, les vieillards et les enfants
portant des planchettes sur leurs tètes. Parmi eux se trou
vait leur sultan Bn Eftayyéb. 11 pardonna à tous (Dieu lui
fasse miséricorde !), et parmi les paroles qu’il leur adressa
leur dit: « Dieu soit loué de n’avoir donné la victoire ni
à vous, ni à moi, car si je vous avais vaincus, cette armée
aurait égorgé vos enfants sans que je pusse vous préser
ver, et si vous m’aviez vaincu, vous auriez fait tout ce que
vous auriez pu. Dieu a donné une preuve de sa clémence
envers vous et envers moi. » Ces paroles sont une marque
de la grande intelligence du Sultan (Dieu lui fasse misé
ricorde !), de sa générosité et de sa bonté.
Le Sultan résolut ensuite de partir pour Miknâs, mais
auparavant il investit le qâ’îd Dris hen IlUmmân Eljerrâri i
du commandement du guèïch Eloùdèya tout entier (21 cljou
mâda 11 1247). A Miknâs, lors de la fête de la rupture du
jeune, toutes les députations vinrent saluer le Sultan. Le
calme était rétabli, le Sultan écrivit au qâ’îd Dris de venir
aussi assister i la fête avec un grand nombre de ses con
tribules, environ 500. Ils répondirent à sa convocation, et
se présentèrent au Sultan un soir dans le Meehouar. Là, il
leur adressa des réprimandes, si bien que l’on crut qu’il
allait les emprisonner. Mais il leur donna congé, et ils
retournèrent à Fâs Eljedîd.
Puis, quand il résolut de partir pour Murrâkush, il se
rendit d’abord à Fâs. Il campa en dehors de la ville, et
après avoir examiné la situation du pays, du guèïch et de
tous les habitants, il reprit la route de Murrâkush. Un jour
ou deux après son départ de Fâs, il écrivit au qâ’îd Drîs
de lui envoyer Ettâhar bn Més’oùd et Al-Hâjj Moham
med bn Ettâhar, qui l’accompagneraient à Murrâkush,
où ils serviraient Sûs les ordres de son fils et khalîfa,
Sîdi Muhammad bn ‘Abd Ar-Rahmân. Ces deux person
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nages partirent à cheval, et libres, mais ils redoutaient le
Sultan depuis les actes abominables qu’ils avaient com
mis et qui avaient amené cette grande révolte. Arrivés à
Murrâkush, ils entrèrent au service du khalîfa.
L’année 12/|7 prit (in. Durant son cours, le Sultan des
titua son vizir, le fqîh Abû ‘Abdallah Muhammad hen
Dris, et le mit à la torture, puis lui rendit ses fonctions.
Dans l’intervalle, le Sultan nomma à sa place le fqih très
docte et distingué Si Elmoukhtàr bn ‘AbdelmélikEljàm’i,
qui s’accluitta avec distinction de cette charge (Dieu lui
fasse miséricorde !).
Durant cette même année, le Sultan fit construire le
grand muristân, qui se trouve sur le mausolée de l’ami
de Dieu Abûl’abbas Ahmad hen ‘Âchér à Salé. Il n’y
avait alors sur le tombeau que la qouhba et la mosquée
le Sultan fit élever autour de ces constructions un grand
mûristûn et construire une autre mosquée, et plus de
vingt chambres pour les malades. Il y amena l’eau et éta
blit auprès de la mosquée une chambre d’ablutions pour
les hommes et une autre à l’est pour les femmes. Ce fut
une belle action dont Dieu inscrivit la récompense sur la
page du Sultan.
Dans l’année 1248, au mois de safar, le qàïd Dris reçut
du Sultan, qui se trouvait alors à Ribàt Ell’eth, une lettre
l’invitant à lui envoyer Al-Hâjj Muhammad bn Ferl.ioùn
Eljerrari. Celui-ci arriva libre, mais il fut aussitôt arrêté
et envoyé à As-Swîra. Peu de temps après, le Sultan rece
vait une lettre de son fils Sîdi Muhammad, le prévenant
qu’il avait emprisonné Ellahar bn Més’oùd et Al-Hâjj
Muhammad bn Ettâhar, parce que, persistant dans leur
égarement et leurs menées diaboliques, ceux-ci avaient
comploté de le faire périr au msalla, le jour de la fête des
sacrifices de l’année précédente Dieu seul l’avait préservé
de leurs machinations. Arrivé à Murrâkush, le Sultan en
voya successivement au qaïd Drîs l’ordre d’arrêter les fau
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ARCHIVES MAROCAINES
teurs de la révolte les uns après les autres, de sorte que
presque tous furent emprisonnés.
Mais le qàïd Dris, sentant que le Sultan avait encore (lu
ressentiment contre les Oùdèya, s’attacha à rechercher et
à découvrir quels étaient les sentiments intimes qu’il nour
rissait à leur égard, ce qu’il voulait d’eux, et ce qu’ils
pourraient faire pour le satisfaire et apaiser son esprit. Le
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) lui écrivit à ce sujet
une lettre exposant ses désirs oit il disait, après les invo
cations et le sceau ehérifien placé entre elles et le texte de
la lettre
« A notre oncle intègre le qàïd Drîs Eljerrâri. Le salut
soit sur vous et la miséricorde du TrèsHaut.
« Ensuite
« Vous nous avez demandé, plusieurs fois, de vive voix
et par écrit de vous expliquer notre désir et de vous expo
ser nos vues sur le guéïck, et ce qu’il pourrait faire pour
nous contenter. Nous vous avons fait une réponse pleine
de réserves, parce qu’alors nous n’avions pas une en
tière confiance dans la sincérité de votre langage, et il
nous semblait que vous nous questionniez pour connaitre
le fonds de notre cœur. Mais aujourd’hui nous avons
tellement pénétré vos sentiments de sincérité, votre affec
tion et la pureté de vos intentions que nous vous consi
dérons comme un de nos enfants. « Tl ne peut y avoir de
« certitude sur rien, si le soleil a besoin de preuves. »
En conséquence, personne n’est plus digne que vous de
recevoir la coniîdence de nos pensées intimes. Nous ne
vous cacherons rien de nos projets secrets.
« Sachez donc (Dieu vous dirige !) que ceux que nous
avons tenu à maltraiter, dans nos paroles et dans nos actes,
ce sont tous les Mgâfra, sans faire de distinction parmi
eux entre le grand et l’humble, entre le fort et le faible,
et cependant il n’est pas un seul homme droit d’entre eux
qui ait été atteint. Si les Udaya et les Ahl As-Sûs les
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avaient suivis, avaient soutenu leurs ambitions, ils auraient il
réussi à nous enlever la vie. Mais Dieu nous a sauvé. Per
sonne n’ignore le châtiment qu’ils ont mérite pour leur
conduite aux termes de la Loi et de la coutume, mais en
raison de leurs anciens services et contenant notre juste
colère, nous ne leur avons appliqué que les peines les plus
légères parmi celles que Dieu édicte eontre leurs pareils.
Dieu a dit (sa majesté soit exaltée! «Le châtiment de
ceux qui luttent contre Dieu et son Prophète, et qui travail
lent à répandre la corruption sur la terre. etc. » Nous
avons juré, par Dieu et par ses anges, que Fâs Eljedîd ne
nous posséderait pas tant que les Mgàfra s’y trouveraient.
Voilà la vérité sincèrement exprimée.
« Et maintenant indiqueznous de quelle façon il convient
d’agir, ce que nous devrons faire en premier lieu et ce que
nous devrons différer. Nous tenons à arriver à nos lins
sans soulever de difficultés et sans causer de scandale
préjudiciable au guéïch. Croyez-vous qu’il faille divulguer la
chose ou la tenir secrète’ Au cas où il n’y aurait pas de
résistance de leur part, faitesnous savoir dans lequel des
ports de notre empire ils consentiraient à se transporter,
à Errefftt, par exemple, ou à la qasba de Murrâkush. De
toute façon, nous ne pouvons pas leur pardonner nous vou
lons, au contraire, les chàtier et leur appliquer au moins
en partie la justice de Dieu c’est la seule manière pour
nous d’obtenir la tranquillité et le calme, et de nous dé
gager de notre serment, car le croyant ne se laisse pas
blesser deux fois par la même pierre.
« Vous nous rappelez l’engagement que nous avons pris
envers vous, et notre promesse d’être bienveillant pour
vous et de vous comhler d’honneurs. Cette promesse est
sincère et ne doit vous laisser aucun doute, s’il plaît à
Dieu Ne méritez-vous pas toutes nos faveurs ? Votre in
telligence et votre fidélité vous ont rendu digne des plus
hautes missions. Si nous avions trouvé un homme comme
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vous dans le guëïch, nous aurions eu la plus grande con
fiance en lui, et nous aurions fait pour lui le nécessaire.
Vous nous avez demandé, en résumé, d’occuper auprès
de nous la place que tenait auprès de notre seigneur
et aïeul le qâ’îd Qacldoûr bn Elkhadir (Dieu leur fasse mi
séricorde !). Mais votre rang auprès de nous est plus con
sidérable que ne l’était le sien l’influence que vous avez
auprès de nous est plus grande et plus appréciable que
celle dont il jouissait auprès de mon seigneur et aïeul,
(Dieu le sanctifie !), car Celui-ci ne le récompensa que pour
sa fidélité. Nous, au contraire, qui l’égalez à ce point de
vue, vous le surpassez par quelque chose de plus c’est
le service que vous avez rendu à nos femmes et i nos en
fants, qui, sans vous, seraient morts de faim. Seul, un
homme vil nierait un tel bienfait. Dieu nous préserve d’un
pareil sentiment Réjouissez-vous et n’ayez aucune inquié
tude. Le rang et la situation dont vous jouissez auprès de
nous sont tels que si vous pouviez vous en rendre
un compte exact, vous seriez rempli de joie et d’allé
gresse d’ailleurs, vous le verrez dès que la « poussière se
« dissipera M. Notre famille qui est auprès de nous, ne cesse
de rappeler votre bienfaisance à son égard et fait auprès
de nous les prières les plus pures en votre faveur. Dans
le hadîts, on raconte qu’une femme des Bni Isrâ’il
voyant un chien qui avait si soif qu’il léchait de la boue,
lui donna à boire, et que Dieu lui pardonna ses fautes.
Que réservet-il alors à celui qui a fait le bien envers plu
sieurs personnes qui n’avaient plus d’espoir qu’en Dieu ?
Que Dieu ne vous fasse jamais tomber dans le malheur
« Salut.
« Le 18 du mois glorifié de ramadan 12/|8. »
Après cela, Dieu prépara au Sultan sa décision à l’égard
des Udaya et lui inspira les véritables mesures qu’il y
avait lieu de prendre visàvis d’eux. Il commença par
ordonner le transfert du Relia des Mgâfra à Qasbat Ech
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cherrâdi, dans les cnviions de Murrâkush. La population
pensa qu’il se bornerait à cela, car (Dieu lui fasse mi
séricorde !) il (it croire <|ii’il avait seulement décidé le
transfert des Mgfdra. Ensuite, il envoya le Relia des Où
dèya à El’arêïch et dans les environs, puis au Jebel Sel
fât. Peu de temps après, le Relia de Ilel Sûs fut trans
porté à Ribât Al-Fath les hommes devaient camper à
Elmansouriya, au bord (le l’Wad Ennefîfîkh, et leurs
qàïds résider à la de Ribât Elfelh. Six ans après, il
fit transporter leurs campements à Qasbat Temâra, près
de Ribât Al-Fath. Comme cette (la.yba était en ruines, il la
fit réparer entièrement deux ou trois ans après. Le Sul
tan raya le corps des Udaya des contrôles de l’armée et
cessa de s’en occuper pendant quelques années. Puis il les
y réintégra vers 4 260, comme nous le verrons plus tard.
Le Sultan avait ainsi totalement débarrassé Fâs Eljedîd
du guéïch ElUdaya. De Murrâkush, il envoya Ettâhar bn
Més’oùd et Elhadj Muhammad bn Ettàhar, qui y furent
emprisonnés. Puis la ‘Arifa du palais, Al-Hâjja Zouîcla,
apporta, de la part du Sultan, à son fils Sidi Muhammad,
à Fâs, une lettre contenant l’ordre de mettre ces deux
hommes à mort il l’endroit même où le premier avait dé
livré le second. On les conduisit à cet endroit, et le nègre,
le qûïd Faraji, fut chargé de l’exécution. Il commença
d’abord par Ettâhar, qui tomba frappé d’une balle qui
lui fracassa la tète. Puis, ce fut le tour d’Al-Hâjj
Muhammad bn Ettâhar bn Més’oùd qui fut tué de la
même façon on prétend que la vie s’était déjà retirée de
lui avant qu’on le tuât, car on ne vit pas son sang couler.
Au contraire, le sang de Ettàhar bn Més’oùd coula en
abondance et Sidi Muhammad, fils du Sultan, ordonna de
l’enterrer. Quant à Bn Ettâhar, son cadavre fut jeté sur
un fumier, et dévoré par les chiens, Sûs la surveillance
de gardiens il ne reste plus que ses pieds avec leur
chaîne. Cette exécution eut lieu vers 1250.
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ARCHIVES MAROCAINES
Quant à lion Ferhoùn et ses compagnons, ils demeu
reront dans la prison do l’ilo de As-Swîra jusqu’à leur
moil.
Cette terrible allai re mon Ire quelle était l’intelligence
du Sultan, et jusqu’à quel point allaient sa clémence et sa
générosité, puisqu’il n’inliigea à ces gens, qui lui avaient
fait le mal le plus grand, que le plus mince des châtiments
qu’ils avaient mérités, ainsi qu’il l’a dit lui-même et comme
on a pu le voir et le savoir.
Je demande à Dieu de nous envelopper de sa miséri
corde, ainsi que tous les Musulmans, de nous préserver
tous du mal, de nous faire obtenir la paix dans ce monde
et le paradis dans l’autre. 11 peut nous accorder cette
grâce et répondre à nos prières.
Commencements de Al-Hâjj ‘Abdelqâder bn Mahi Eddîn Elmou
khtàri dans le Maghrib moyen, et quelquesunes de ses ac
tions
Quand le guàïch du Sultan eut quitté Tlemsén Sûs la
conduite de Mawlay Ali bon Slmian, la population de la
ville demeura sans maître. Les host-ilités recommencèrent
entre les Hadar de la ville et les Kourou<ïlis, et destrou
bles éclatèrent parmi les tribus arabes de la région. La
situation devint très compliquée.
A cette époque, campait au milieu des Ilchém, dans la
fraction des Mchacbel, un mrûbet, le fqih Mahi Eddin ‘Ab
delqader Elmoukltlari ce nom d’Elmouklilûri lui venait
d’un de ses ancêtres qui étaient célèbres dans cette région.
Ce personnage s’appliquait à faire du bien et à enseigner
la science il avait fondé dans ce but une zûomja pour les
tolba et pour les lecteurs du Qoriin. Il s’était ainsi acquis
1. Texte arabe, IV” partie, p. 191.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
une grande célébrité parmi ces lril)us (|iii croyaient on lui.
Lorsque l’ennemi fond il sur ce pays, et que s’allumèrent
des guerres intestines, les [Jeliéni et une partie des lieui
‘Amer se réunirent pour délibérer sur les événements cj ni
les frappaient. Ils tombèrent d’accord pour proclamer ce
Main Eddin, et se rendirent auprès de lui pour lui sou
mettre leurs desseins. Celui-ci refusa le pouvoir, fit part
(le ses scrupules et s’excusa en disant qu’il était vieux,
qu’il n’était plus bon à rien, et que d’un jour à l’autre il
ne serait plus qu’un cadavre. Comme ils insistaient et le
suppliaient, il leur conseilla de s’adresser soit fils,
Elhadj ‘Abdelqâder bn Mahi Eddin. Le mrâbet avait alors
plusieurs enfants: Al-Hâjj ‘Abdelqâder n’était ni l’aîné,
ni le plus savant, ni le plus vertueux, mais il était décidé
et courageux. Ces gens cédèrent à ses conseils, en y met
tant comme condition que le père dirigerait son fils et
lui donnerait les conseils nécessaires.
Une fois en possession du pouvoir, Al-Hâjj ‘Abdclcjà
der réunit une troupe de lîeni ‘Amer et d’Elhchém, et
marcha sur Wahran qui avait été prise par les Chrétiens
depuis six ou sept mois, et qui était encore en leur pou
voir. Il attaqua vivement les Chrétiens, en tua un certain
nombre, emmena des prisonniers et fit à l’ennemi un mal
considérable. Il s’en retourna victorieux et triomphant.
Les tribus tirèrent bon augure de ce succès, l’aimèrent
et furent frappées par son prestige. Il en profita aussitôt
pour composer une armée assez considérable de Ilchém
et de Bni ‘Amer.
A la nouvelle de cette victoire, les habitants de Tlemsèn,
qui réclamaient plus que jamais un chef, lui envoyèrent t
une députation, pour lui faire connaître que, bien qu’avant
déjà prêté serment au sultan Mawlay ‘Abdcrrahmàn, roi
de Murrâkush et de Fâs, ils voulaient aussi se Sûs
son obéissance et prendre sou parti. Al-Hâjj ‘Abdelqàder
accueillit leur demande et leur fît prêter serment, tout en
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ARCHIVAS MAROCAINES
manifestant son obéissance et sa soumission au sullnu
Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân, au nom duquel la kholba fut pro
noncée du liant des chaires do Tlemsèn et du pays. Il
nomma, comme gouverneur de Tleuisèn, son vizir Abû
‘Abdallah Muhammad ElBûhamîdi Eloulhàsi, et écrivit
au Sultan pour lui faire savoir qu’il était un de ses servi
teurs et un des qàïds de son armée. La situation d’Elhâdd j
‘Abdelquder devint bientôt prospère et s’afl’ermit dans le
pays de Tlcmsèn. Cependant, il fut bientôt abandonné
par les tribus d’Eddoûaïr et d’Ezzemâla, dont nous avons
déjà parlé, pour plusieurs raisons, et principalement à
cause de leur inimitié contre les llchém, qui n’avait fait t
qu’augmenter lorsqu’Elhadj ‘Abdelqâder avait rappro
ché ceux-ci de sa personne en les prenant comme soldats.
Ils en conçurent de l’aversion pour Al-Hâjj ‘Abdelqâder
et se rendirent à Wahran, où ils déclarèrent qu’ils se sou
mettaient aux Français. Ceux-ci les ayantaccueillis etpris
Sûs leur protection, il en résulta entre eux et Elhadj
‘Abdelqàder des guerres terribles.
Voici le récit que m’a fait Vamin Elhadj ‘Abdelkerîm,
fils d’Al-Hâjj Ahmad Errezini Ettetâouni. « J’ai demeuré
assez longtemps à Wahran j’étais encore très jeune à cette
époquelà, ma barbe commençait à peine à pousser
Elhadj ‘Abdelqâdor bon Mal.ii Eddîn avait conclu une
trêve avec le gouverneur français de Wahran et d’Alger. Cha
cun d’eux avait installé un consul et des négociants chez
l’autre, connue cela se passe toujours en temps de trêve.
On reçut un jour la nouvelle que les tribus d’Ezzemâla et
d’Eddoûaïr, rentrant dans le commandement de Elhadj
‘Abdelqâder, au nombre de près 2.000 feux, s’étaient en
fuies loin de lui et étaient venues camper Sûs les murs
de la ville de Wahran, qu’elles demandaient aux Français leur
appui, qu’elles avaient déjà arboré leur drapeau et qu’elles
déclaraient se placer Sûs leur autorité et compter parmi
leurs sujets. Les Français leur envoyèrent dire qu’ils les
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
acceptaient et qu’elles seraient bien traitées. Le lendeinaiii
Ell.iàdj ‘Abdelqàder (il porter aux Français, par le plus
haut personnage de son gouvernement, Klhùdj Klhabib
Ould Elmouhr Elma’askéri, une lettre où il leur disait:
« Vous savez que ces gens qui se sont enfuis auprès de
« vous sont nies sujets et sont placés Sûs mes ordres. Il
« faut que vous me les rendiez, sans quoi je vous déclare la
« guerre. » Les Français refuseront, de rendre ces tribus
et acceptèrent la guerre. 11 fut convenu, de part, et d’autre,
que chacune des deux parties renverrait les négociants
ressortissant de l’autre et établis sur son territoire, dans
un délai de trois jours, faute de quoi ils ne seraient plus
respectés, et que les consuls quitteraient les derniers le
territoire de l’ennemi à une heure déterminée de la nuit,
de façon à se trouver ensemble à la frontière qui sépare
le territoire des Musulmans de celui des Chrétiens. Cette
convention fut mise a exécution, et chacun se retira en
lieu sûr. Les délais écoulés, les deux années marchèrent
au jour qui fut déterminé. Il y eut une mêlée qui ferait
blanchir les cheveux d’un petit enfant. Le soir, on enten
dit, à l’intérieur de la ville, un grand fracas, des cris et
de nombreux coups de feu. C’était Al-Hâjj ‘Abdelqàder
qui avait infligé une sanglante défaite aux infidèles. Les
Chrétiens s’étaient réfugiés aux pieds des murs de la ville
et s’étaient pressés aux portes, montant les uns sur les
autres. Puis la cavalerie venant par derrière les avait écra
sés et piétines avec les chevaux. Dans cette presse mou
rurent près de Zi.000 Français, sans compter ceux qui
avaient péri en dehors de la ville, tués par les boulets, les
balles, la baïonnette et la lance. Les Musulmans s’empa
rèrent du camp des Chrétiens, avec tous ses canons, ses
caissons, ses tentes et ses bagages. J’habitais, à ce moment
là, ajoutait Al-Hâjj Wbdelkerîm, la même maison qu’un
officier supérieur français. Je lui demandai, un jour ou
deux après la bataille, combien, à son avis, étaient morts
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ARCHIVAS MAROCAINES
de Français à cette ad’aire. 11 me demande si je voulais un
compte approximatif, ou bien très large. Comme je le priai
de compter approximativement « Je suis officier supé
« rieur de l’armée, me dilil, et comme tel j’ai 1 .800 hommes
«Sûs mes ordres depuis cette bataille, je n’en ai plus
« que 18! »
Les Zmàla et les Doùaïi* persistèrent a être les auxi
liaires des Français, qu’ils soutinrent de leur mieux. Ils
se choisirent comme chef un homme appelé Elmouslafa
bn Ismâ il, qui lut le principal agent de la prise du 3Ia
grib moyen par les Français, et fut l’âme de presque toutes
les guerres qui curent lieu pendant cette période entre
les Musulmans et les Chrétiens, jusqu’au jour où il fut
tué, vers le milieu de l’année 1 259. Que Dieu redouble de
colère et de venofeance contre lui
En apprenant la manière dont Al-Hâjj Wbdelqâder
menait la guerre sainte contre l’ennemi de la religion et
soutenait l’indépendance des Musulmans, le sultan M où la y
‘Abderralunaii (Dieu lui fasse miséricorde !) admira sa
conduite, lui assigna, dans son estime, une haute situation,
car il voyait en lui un ardent champion de l’Islam dans un
moment où la religion manquait de défenseur. Plusieurs
fois, il lui envoya des secours en chevaux, en armes et en
argent, notamment par l’intermédiaire de Yamîn Al-Hâjj
Eltâléb bn Jelloûn ElFâsi.
La guerre dura longtemps entre Al-Hâjj ‘Abdelqâder
et les Français. A un certain moment, ceux-ci ayant réussi
à s’emparer de ïlemsên, Al-Hâjj ‘Abdelqâdev les y assié
gea et les fit sortir de la ville. Puis ceux-ci la reprirent,
après de terribles engagements et des sièges pénibles.
Mais le mal que leur faisait Elhftdj ‘Abdelqader consis
tait seulement à leur tuer des gens et à les piller, tandis
que les Fiançais mettaient il mal les Musulmans en s’em
parant de leur pays et en le réduisant progressivement.
Cette situation dura près de seize ans.
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DYNASTIE ALAOLJE DU MAROC
En résumé, Elhndj ‘Abdelqûder fut irréprocha])lc au
début, dans son application à faire la guerre sainte et à
repousser l’ennemi, mais peu à peu ses ambitions évo
luèrent dans un autre sens, et le pays resta aux mains des
[̃^aurais Dieu fait toujours triompher ses décrets.
En l’année 12Ô0, naquit l’auteur de ce livre, Ahmad bn
Khalod Ennàsiri, Esslàoui. Ma mère, la dame Fàtmn, lille
du fi/îfi Si Muhammad bn Muhammad hen Qàsém Ijen
Zerroùq Elhasani Elidrîsi Eljebbài’i, m’a raconté que je
naquis à l’aurore du samedi 22 cloùlhedja de cette année
là.
Au mois de moharrein 1251, mourut a Murrâkush l’il
lustre vizir Si Elmoukhtâr bn ‘Abdelniélik Eljâm’i. Ee
Sultan le remplaça par le l’qîb Abû ‘Abdallah Mohamnied
hen ‘Ali Elhàl.ii Enneknafi qui exerça ses fondions peu de
temps, et nomma à sa place l’ancien vizir Al>où ‘Abdal
lah Muhammad bon Dris (Dieu leur fasse miséricorde!).
Cette annéelà éclata dans le Maghrib une épidémie carac
térisée par la diarrhée, les vomissements, l’enfoncement
des yeux et le refroidissement des membres.
En 1252, les ‘oulamd de Fâs reçurent d’Al-Hâjj ‘Ab
deiqàder bnMahi Eddin le questionnaire suivant
« Louange à Dieu.
« A nos doctes seigneurs, les guides de la voie droite
et les lampes qui brillent dans les ténèbres, les juriscon
sultes de la capitale Idrisiennc, « cibles » de toutes les
demandes et « halte des animaux au poil gris », médecins
qui administrez les remèdes de la religion, qui faites triom
pher sa justice et anéantissez l’injustice, et qui résolvez
les questions difficiles, vides ou stériles.
« Quelle est votre réponse (Dieu vous conserve !) au
sujet de la question si grave et si cruellement attristante
de la patrie d’Alger, partagée maintenant en plusieurs des
dans le crible de l’infidélité. Les ennemis infidèles veulent
devenir les maîtres des Musulmans, et les asservir tantôt
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ARCHIVES MAROCAIN KS
par le glaive, tantôt ]>ar les stratagèmes de leur politique.
Il y a tics .Musulmans qui fie rendent auprès d’eux, leur
jurent fidélité, leur fournissent des chevaux, et qui ne
manquent pas de leur indiquer et de leur découvrir les
défauts des Musulmans. Il y a des Wrabs dans leur voi
qui imitent cet exemple, et qui s’eiHi’aident pour
renier et abjurer leur foi.
« Quel est, à rencontre de ces deux catégories de gens,
le jugement de Dieu en ce qui concerne leurs personnes
et leurs Liens ? Doivent-ils être châtiés ou laissés dans
cette situation? Quelle décision prendre contre ceux qui
ne vculeut pas prendre la défense des femmes et des
enfants, quand le représentant de l’Imam les appelle pour
repousser l’ennemi et le combattre ? Doivent-ils être
punis ? Quel genre de châtiment doivent-ils recevoir, quand
il n’est pas possible de les tuer? Doiton leur prendre
leurs biens et leur argent ? Comment se comporter visà
vis de ceux qui refusent de payer partiellement ou inté
gralement la zakât, quand il est certain qu’ils sont en me
sure de le faire? Doiton croire à leurs paroles en ce temps
où il y a si peu de religion, ou bien faut-il attendre pour
faire les efforts nécessaires ? Comment pourvoir aux be
soins de l’armée qui défend les Musulmans, et qui protège
leurs ports contre les assaillants, alors qu’il n’y a que peu
de trésor, et que les recettes de la zekûls, loin de les pour
voir de costumes, d’armes, de chevaux et solde, ne suffi
sent même pas pour les nourrir ? Faut-il licencier ces
troupes et laisser l’infidèle s’emparer du pays, ou bien en
imposer l’entretien à la communauté des Musulmans?
Dans ce dernier cas, faut-il frapper tout le monde, ou bien
les riches seulement ? Il n’est pas possible, cependant, de
taxer exclusivement les riches, à cause de l’ignorance et
de la grossièreté des ‘Arab-s. Celui qui refusera de donner
sa contribution doit-il être considéré comme criminel ?
Quelle mesure prendre en ce qui concerne les biens de
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DYNASTIE ALAOIJIIî DU MAIiOC
ARCH. MAIIOC. 11
ces criminels Eslil permis de ne pas leur rendre leurs
biens Réponde/, à ces questions et à toutes celles qu’il
convient d’envisager en ce moment et qui nous ont
échappé, (iuérissez nos maux (Dieu vous conserve!), car
toutes ces allaires oui diminué nos forces et |)cu s’en tout
(|iie celui qui veille aux intérêts des .Musulmans, con
traint par ces raisons, n’abandonne le pouvoir et ne re
jelle le manteau de l’autorité et la cuirasse.
« Salut.
« Le 19 doûlhedja de l’année susdite.
« Emit sur Tordre d’Al-Hâjj ‘Abdelqâder bn Mahi
Eddin (Dieu le favorise!1. »
La réponse à ce questionnaire fut faite sur l’ordre du
Sultan, par le fqîh très docle Abûll.iasaii ‘Ali bn ‘Abdes
selàm Medidéch Ellesoùli. Cette réponse, très longue,
comprend plus de cinq cahiers eUe se trouve entre les
mains de tout le monde.
En présence des messages de ce genre qu’il recevait t
d’Al-Hâjj ‘Abdelqâder, le Sultan (Dieu lui fasse miséri
corde !) faisait tous ses ell’orts pour l’aider en lui envoyant t
des armes, des chevaux, de l’argent, etc. Mais cela n’em
pècha pas les décrets de Dieu de s’exécuter.
Dans l’aprèsmidi du samedi 20 rabî’ I01″ 1253, mourut
le fqîh très docte, versé dans toutes les sciences et sur
tout dans le Hadils, Abû Al-’Abbâs Ahmad bn Elluulj
Elmekki Essedrâti Esslâoui. Il fut enterré le lundi sui
vant au matin dans la plaine voisine du mausolée de
l’ami du TrèsHaut, Sidi Al-Hâjj Ahmad Bn ‘Âchér. Une
grande foule assista à son enterrement, qui était conduit t
par le fqîh très docte, le qâdi Abû ‘Abdallah Muhammad
Elhâclnni Toùbi. Le fqîh Abû Al-’Abbâs est l’auteur d’un
commentaire du Mououattâ de l’imam Mfilék, qui se trouve
entre toutes les mains.
Dans la matinée du vendredi 26 ramadan 125/i, mourut le
fqîh très docte, le qâdi AboiV Abdallah Toûbi, précédemment
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AHCHIVES MAROCAINES
nommé. Ce magistrat (Dieu lui fasse miséricorde !) était
un juge intègre, versé clans la science de la casuistique
et de la jurisprudence. On vante son caractère plein de
calme et de dignité.
Le 7 jouimïda 1’ 1256, fut achevée la construction du
minaret de la grande mosquée de Salé. Le minaret anté
rieur avait été frappé par la foudre et ses angles mena
çaient ruine. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) en
ordonna la démolition et la reconstruction. On édifia
ainsi un minaret solide, plus heau et plus grand que le
précédent. On dépensa, pour cela, une somme qui fut
payée par les soins des Oumaiiâ du port des Deux
ïlives, et qui s’élevait a 3.?i2/i milscjâls et (5 ocjiijas et demie
(la piastre forte valait alors 16 oqù/as). Toutes ces dépenses
furent supportées en plus grande partie par le Trésor et
un peu aussi par le fonds des habous. Le nadir de cette
administration, qui était en même temps préposé à cette
construction, était le gouverneur de Salé, l’excellent Sî
Al-Hâjj Ahmad bn Muhammad bn Elhâchmi ‘Aououâd.
Dans l’année 1258, mourut le fqi’h très docte, le vérifi
cateur brillant, Abûlhasan ‘Ali bn ‘Abd As-Slâm Eltes
soùli surnommé Medîdéch, auleur du grand commentaire
de la Tohfa de Uni ‘Asém sur la jurisprudence, d’un com
mentaire du Châmil, d’une glose marginale de la Zeqûqiya
et d’autres ouvrages excellents. Dieu lui fasse miséri
corde et nous fasse participer à ses mérites!
Vers le milieu de l’année 1259, le sultan Mawlay ‘Abder
rahinûn (Dieu lui fasse miséricorde !) razzia la tribu des
Zemmoùr Eehchleuh, qui avait dépassé toutes limites
dans ses excès et dans la terreur qu’elle répandait parmi
les serviteurs de Dieu et dans le pays.
Le Sultan la réduisit entièrement.
Il écrivit, ace sujet (Dieu lui fasse miséricorde!), son
fils et khalifa Sîdi Muhammad la lettre suivante, rédigée
par son vizir Abû ‘Abdallah bn Drîs
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
« A notre lils intègre, pieux et juste, Sîdi Muhammad
(Dieu vous perfectionne !).
« Le salut soit sur vous, ainsi que la miséricorde du
TrèsHaut et ses bénédictions.
« Ensuite
« Nous nous étions promis (l’épargner la tribu de Zem
moùr, par clémence et par compassion, et de la ramener
dans le droit chemin en lui faisant redouter notre sévé
rité dans diverses affaires, et en la traitant avec douceur.
Mais Dieu ne leur voulait pas de bien, à cause de leurs
desseins pervers, de leurs sentiments méchants, et de
leur confiance dans leur puissance et leur force. Plus nous
les traitions avec bonté, plus ils se montraient durs et cor
rompus..V mesure que nous leur donnions des exhortations
et des conseils, ils manifestaient plus d’arrogance et d’in
soumission. Et quand, pour les épargner et les gagner,
nous avons retardé le départ de la mhalla victorieuse, ils
ont considéré cette mesure comme une marque de fai
blesse et d’impuissance, rétonnement leur a Louché les
yeux et les oreilles, et ils ne se sont pas rendu compte
que Dieu bien avant eux a fait périr des hommes qui les
surpassaient par leur force et par leur nombre.
« Faites du bien à un cœur généreux, vous le conquérez,
mais faites du bien à un homme pervers, il se révolte.
« User de générosité quand il faudrait employer le sabre
est aussi nuisible qu’avoir recours à l’épée quand il fau
drait la générosité.
« Voyant qu’ils persistaient à rester aveugles, qu’ils ne
voulaient pas revenir de leur passion, malgré leur éloi
gnement de leur pays, malgré le mal que leur avait fait
la révolte, à eux et a leurs enfants, malgré le pillage de
leurs récoltes sur pied ou déjà moissonnées et la remise
forcée de leurs nombreuses provisions, nous avons estimé
que les combattre était légal, et que leur faire la guerre
était défendre la religion et la protéger. Prenant appui de
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ARCHIVES MAHOCA1NES
la force et do In puissance île Dieu, nous avons ordonné
de leur prendre leurs Liens el de les harceler avec plus
île ligueur, de les piller et de les incendier le plus pos
sible, et de les bloquer dans leurs montagnes, et de les
forcer dans leurs nids d’aigles, parce <|ue l’action prolon
gée est plus efficace que l’assaul. Donc, des incursions
successives furent dirigées contre eux, des pertes conti
nues leur furent infligées. Ils ne surent plus où trouver
le repos, l’artout où ou les rencontrait., ils étaient pris et
massacrés. Chaque jour les lances cueillaient les lèles de
leurs chefs, et la mort frappait les auteurs de leur mal
heur. A mesure qu’on les recherchait, ils s’enfonçaient
davantage dans les înoiitaguesels’enfiiyaient. Maisla guerre
finît par les dompter, et le fer et la poudre toujours en
action par les dévorer. Leur bétail et leur argent perdus
dans le hlocus, le mal atteignant les enfants et les femmes,
ils commencèrent à se transporter chez les tribus voisines,
demandant leur appui a leurs allies et àleursvoisins. Le mal
qui leur a été fait ayant atteint les dernières limites, Dieu
a réalisé sur eux les promesses du verset sacré. Pendant
tout ce temps, à tout moment ils demandaient pardon, ils
demandaient humblement que leur repentir l’ut agréé et t
témoignaient de leur modestie. Mais nous ne leur avons
répondu que par les refus les plus catégoriques, parce que
nous avons voulu ne fonder une décision à leur égard que
sur des bases sérieuses et les punir de la violation de leurs
engagements. Et c’est lorsque la domination a exercé sur
eux tout ce que nous attendions, et que le châtiment a
atteint sur eux son extrême degré, que nous avons réponduà
leur oflense par la bienveillance, et que nous nous sommes
laissé fléchir envers eux par les malheureux, les femmes
et les enfants. Nous leur avons donné trois ‘âmil-s
pris dans la tribu, et nous leur avons imposé une contri
bution de 50.000 milsqûls. Nous les avons obligés à fournir
un contingent de 200 hommes de Ijarka, comme les tribus
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DYNASTIi: ALAOLIi; DU M.U10C
soumises, et à prendre l’engagement de se bien conduire,
et de servir de leur mieux. Ils se sont exécutés dans les
meilleures conditions (>t ont donné des <>’a<ies tin paiement
de l’argent au bout de quelques jours. Alors nous leur
avons accordé le pardon du triomphe et la force. Souvent t
le châtiment amène une belle soumission, et le repentir
sincère répare les fautes et les pertes passées. Parmi les
hommes, il y en a qui ont besoin d’être maltraites pour
être bous Votre Maître crée ce qu’il veut et fait ce qu’il
lui plaît.
« ‘.Vliya ne s’est pas rendue de son plein gré, c’est la
force qui l’a amenée dans la bonne voie.
« Nous avions voulu l’épargner, mais sa fatuité n’a fait
qu’augmenter, et c’est la rigueur, la violence et la capti
vité qui l’ont corrigée. »
« S’ils avaient lié ensemble les bienfaits et la recon
naissance, ils eussent été sûrs de ne pas périr. Quand Dieu
veut du mal à un peuple, personne ne peut l’en empêcher,
et ce peuple n’a pas d’autre protecteur que lui.
« Salut.
« Le ]̃ du mois sacré de rejéb, l’unique de l’année
1259. »
Rupture de la trêve avec les Français, revers des Musulmans
à Isly, près d’Wujda, et causes de ses événements
La trêve régnait entre le gouvernement sharîfien et la
nation française depuis le règne du grand sultan Sîdi
Muhammad bn ‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde !).
Nous avons vu qu’à la suite des différends survenus entre
les Turcs d’Alger et les Français, ceux-ci s’étaient emparés
de leurs ports, les habitants de Tlimsân s’étaient rendus
1. Texte arabe, IV0 partie, p. 195.
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ARCHIVES MAROCAINES
auprès du sultan ‘Mawlay ‘Abdcrrithmân (Dieu lui fasse
miséricorde !), pour lui demander d’accepter leur serment
de fidélité et se ranger Sûs son obéissance, et que celui
ci les y avait admis après avoir réfléchi et pris l’avis des
‘oulamû. l’lus tard, l’armée du Sultan avant mis à sac
Tlimsân, et les habitants de la contrée s’étant rangés
autour d’Al-Hâjj ‘Abdolqâder bon Mahi Eddin, Sûs la
domination du Sultan, Celui-ci lui animé des meilleures
dispositions envers ce chef qui soutint avec vigueur la
résistance contre les Français. Mais les résultats de la
guerre consistaient pour lui à leur tuer des hommes et à
leur prendre des richesses, tandis que pour les Français
ils consistaient à gagner toujours du terrain et à s’em
parer enfin du pays or, il y a entre ces deux manières
de grandes différences.
En 1259, les Français étaient maîtres de tout le terri
toire du Maghrib moyen, tandis que Wbdelqâdcr allait et
venait sur les confins, tantôt dans le Sahara, tantôt chez
les Boni Yznâsén, tantôt à Wujda et dans le Rif. Peutêtre,
dans ces allées et venues, y avait-il autour de lui un grand
nombre de sujets ou de soldats du Sultan ? Les Français,
envahissant alors l’Empire du Sultan (Dieu lui fasse misé
ricorde !) dirigèrent plusieurs incursions contre les Béni
Yznâsén et contre Wujda et les environs. Ils prirent Wujda
par surprise et livrèrent cette ville au pillage. Leur bri
gandage désolait la frontière. Le Sultan (Dieu lui fasse
miséricorde!) leur ayant adressé des représentations sur
cette violation de son territoire, ils répondirent que le fait
d’avoir fourni à plusieurs reprises à Elhûdj ‘Abdelqader
des chevaux, des armes et de l’argent, la guerre qui leur
avait été faite par les troupes régulières du Sultan massées
sur la frontière, et la présence des Béni Yznâsén dans les
rangs de l’armée d’Al-Hâjj ‘Abdelqàder, constituaient une
violation do la trêve, sans compter d’autres arguments
qu’ils mettaient en avant.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
Or, a ce momentlà, les desseins d’Al-Hâjj ‘Abdelqàder
à l’égard du Sultan et de la guerre sainte étuienl devenus
coupables. D’abord, la guerre sainte ne produisait aucun
résultat, et puis il voulait être indépendant et il avait
déjà commencé a corrompre les tribus de cette région.
Le Sultan savait à quoi s’en tenir sur son compte et se rit
de ses malices.
Les affaires s’aggravant, le Sultan (Dieu lui fasse misé
ricorde !) résolut de déclarer la guerre aux Français. 11
invita les habitants des ports à se tenir prêts, à faire bonne
garde et à se préparer à toute éventualité. Il donna à son
cousin Monlay ElMâmûn hen Echsharîf le commandement
d’un détachement de réguliers et l’envoya dans la direc
tion d’Wujda, accompagné du fqîh Abûlhasan ‘Ali hen
Elguenâoiii, un des notables de Rihat Al-Fath. Ils eurent
une première rencontre avec le poste français établi làbas.
Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) se mit ensuite
aux préparatifs de l’expédition et prit toutes ses disposi
tions. Il réunit les réguliers, lit prendre les étendards et
les drapeaux, et convoqua les tribus. Voici, à ce sujet, ce
qu’écrivait le vizir Bn Drîs pour appeler au combat les
populations du Maghrib, les exciter à la guerre sainte et
réveiller leurs aspirations dans ce sens
« O habitants de notre Maghrib, il est juste de vous
appeler à la guerre sainte le droit ne se trompe pas.
« Le polythéisme est à vos portes du côté de l’Est il a
déjà imposé l’injustice aux gens de votre religion.
« Ne vous laissez pas séduire par sa douceur trompeuse
qui déjà s’est transformée en colère contre l’Islam,
« Car il possède toutes sortes de stratagèmes qui défient
toute l’intelligence des jeunes et des vieux.
« Les principes de la trahison commencent à ses bagues
la trahison et le mal abhorré sont sa règle de conduite.
« C’est vous qu’il vise ne restez pas en paix le repos
devant les ennemis est une déchéance.
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ARCHIVES MAROCAINES
« Celui qui reste dans le voisinage cl mal sera frappé
par le malheur. Connneiil vivre quand on a des serpents
dans son panier?
« L’homme noble désire la gloire qui le rend éternel,
et celui qui vit dans l’avilissement n’est pas heureux. »
Celle poésie contient le vers bien connu de Ibn El’assâl.
A l’appel du Sultan (Dieu lni fasse miséricorde!), près
de 3.000 cavaliers bien armés et bien équipés vinrent se
grouper autour de lui, tant des réguliers que des contin
gents des tribus il se trouvait parmi eux très peu d’Où
dèya, car ce f/uéïch était alors en défaveur auprès de Mawlay
‘AbdeiTahniân. Le commandement de ces troupes fut t
confié au fils et kliab’l’a du Sultan, Sidi Muhammad bn
‘Abd Ar-Rahmân, qui se mit en route et établit son camp
au bord de la rivière d’Isly, dans l’obédience d’Wujda.
Elhadj ‘Abdelqâder parcourait toujours le pays, n’ayant
plus avec lui qu’environ 500 cavaliers du Maghrib moyen
sa situation commençait à décliner et il ne servait plus à
rien dans ce pays au contraire, il était devenu un lléau;
son énergie n’était plus que de la faiblesse, parce que ses
ambitions s’étaient perverties et qu’il cherchait à cor
rompre les réguliers et les sujets du Sultan. Quand le
khalîfa Sîdi Muhammad, arrivé à l’Wad Isly, y eut établi
son camp, Al-Hâjj ‘Abdelqâder vint lui demander une
entrevue. Le khalifa le reçut à cheval et eut un entretien
avec lui. Entre autres choses, Al-Hâjj ‘Abdelqâder lui
dit « Vous avez été mal inspiré d’apporter avec vous ces
tapis, ces effets et tout cet appareil que vous avez placé
ici devant le front de l’armée de cet ennemi. N’oubliez
jamais que vous ne devez jamais vous trouver en face de
l’ennemi sans avoir tout chargé et tout plié, et sans laisser
une seule tente plantée sur le terrain. Sinon, dès que
l’ennemi apercevra les tentes, c’est sur elles qu’il se diri
gera, et il n’hésitera pas à perdre pour elles tous ses sol
dats. » Il lui expliqua aussi la façon dont il combattait les
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DYNASTIE AI.AOUIE I)f MAROC
!̃ raneais, et certes il «ivsii t raison de tenir ce langage, mais
il ne produisit aucun ellcl, parce que les cu’iirs étaient
déjà gâtés. Il n’y a do force el de puissance qu’en Dieu.
On croit qu’une personne de l’entourage du khalîl’a blâma
Klhàdj ‘Abdelqâder d’avoir ainsi parlé devant lui et de
lui avoir donné des conseils avant qu’il ne le lui en de
mandât, car il s’en retourna el se lint à l’écart avec ses
troupes. Dans la nuit qui précéda le combat, deux ‘Arab-s
du pays arrivèrent au camp et demandèrent à être intro
duits auprès du hâjéb, qui était le fr/th Si Kttavvéb bn
ElvAmâni, surnommé Boù ‘Euclu in. Arrivés auprès de lui,
ils lui dirent: «L’ennemi se dispose à vous surprendre
demain matin préparez-vous à le recevoir et prévenez
votre général. » On prétend que le hûjéb leur répondit
« Le général dort en ce moment ce n’est pas moi qui le
réveillerai. » Après eux, quatre autres hommes vinrent
donner des informations sur l’ennemi ils furent reçus
comme les premiers. A l’aube, le khalîfa venait de termi
ner sa prière quand une dizaine de cavaliers, arabes selon
les uns, gardiens du khalîfa selon les autres, arrivèrent
pour lui annoncer que l’ennemi était en route et qu’ils
l’avaient quitté au moment où il commençait à lever le
camp. Le khalîfa (Dieu lui fasse miséricorde !) donna
l’ordre de monter à cheval et de se tenir prêts personne
ne devrait rester à la mhalla, sauf les fantassins qui étaient
moins d’un millier. Il envoya l’ordre de se mettre en selle
aux Béni Yznâsén qui arrivèrent par milliers, et qui étaient
presque aussi nombreux que les troupes du khalifa. Les
cavaliers marchèrent contre l’ennemi, rangés en bataille
à perte de vue, leurs étendards flottant audessus d’eux.
Ils offraient un spectacle surprenant et présentaient un
ordre magnifique. Au milieu d’eux marchait le khalifa,
avec le parasol ouvert audessus de sa tète, monté sur un
cheval blanc et vêtu d’un manteau rouge, se distinguant
des autres par son extérieur et son appareil. Quand les
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ARCHIVES MAROCAINES
deux armées se l’approchèrent, des lignes de cavaliers se
mirent à se poi’lcr on avant, comme pour hâter le combat.
Mais le klialil’a ordonna aussitôt le calme, la dignité et une
marche prudente. Puis, les deux troupes se trouvant face
à face, le combat s’engagea. L’ennemi observait: surtout
le klialil’a et dirigea plusieurs fois son tir sur lui une
bombe vint même tomber devant le porteparasol, son
cheval s’emporta et faillit le désarçonner. Voyant cela, le
khalifa changea son aspect extérieur. Il fit replier le para
sol, monta un cheval bai qu’il se fit amener, et mit un
autre manleau. De cette façon, il disparaissait dans la
foule. Les Musulmans avaient, jusquelà, brillamment
repoussé l’ennemi et lui avaient inflige des pertes sé
rieuses. Leurs chevaux s’effrayaient du bruit des canons,
mais ils les éperonnaient vigoureusement et ils tenaient
ferme contre l’ennemi. Mais quand, se tournant du coté
du khalifa, ils ne le virent plus, à cause de son change
ment d’aspect, ils furent pris de peur, car des alarmistes
disaient qu’il était mort. Aussitôt le désordre se mit dans
leurs rangs. Les Shrârda se hâtèrent vers la mhalla et,se
rendant mai très des tentes où était l’argent, s’en emparèrent,
s’entretuèrent pour se l’arracher. Ceux qui étaient domi
nés par l’ellroi les suivirent, les autres s’esquivèrent peu
à peu, de sorte que l’armée fut battue sur tous les points.
Un des personnages de son entourage vint annoncer au
khalifa que l’armée était défaite et que les hommes se
tuaient et se volaient dans la mhalla. « Gloire à Dieu! »
s’écriat-il, et, se retournant, il constata la conduite
edrayanle des troupes, et battit en retraite les gens qui
étaient restés avec lui furent mis en déroute jusqu’au der
nier. L’ennemi les poursuivait et lançait sans discontinuer
des boulets et des obus. Heureusement, quelques art-il
leurs tinrent solidement à la mhalla, mais la rivière se
mit à couler et submergea ses rives habituelles. Les ordres
de Dieu reçurent leur exécution, et ce furent les Musul
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
mans seuls qui ballirent les Musulmans, ainsi que vous
avez pu le voir. L’ennemi s’empara de la m/ialla, et, les
pillards s’étant enfuis devant lui, il en resta mai Ire avec
tout ce qu’elle contenait. Ce fut une calamité cruelle, un
désiislre considérable, tel que n’en avait pas encore subi
la dynastie sharîfienne. Ce triste événement eut lieu le
lô cha’bân 1260, à 10 heures du matin.
Les troupes défaites battirent en retraite et se disper
sèrent de tous côtés. Mourants de soif, de faim et de
fatigue, ces gens se laissaient dépouiller sans résistance
par les femmes des ‘Arab-s Angâd. Le khalifa parvintjusqu’à
Tàza, où il resta quatre jours, pour attendre les fantassins
et les faibles débris du guéïch, puis rentra à Fâs.
Pendant ce temps, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde!)
allait de Morr&kch à Fâs; à Ribat Elfe th., il reçut la nou
velle de cette allaire, et reprit en toute hâte le chemin de
Fâs. En route, il apprit la nouvelle de deux autres au’aires,
le bombardement de Tanger et celui d’As-Swîra par les
Français qui avaient lancé sur ces deux villes des milliers
de boulets et de bombes. A As-Swîra, des événements
particulièrement graves s’étaient produits. Les mauvais
sujets de la ville et les Chiàdma des environs, voyant que
l’ennemi avait débarqué dans l’île et pensant qu’il entre
rait aussi dans la ville, la mirent au pillage. Ils commen
cèrent par les Juifs, puis s’attaquèrent aux autres habi
tants il se passa des choses que je ne saurais rapporter.
Plus irrité encore et plus abattu par cet incident, le Sultan
fi arrêter un certain nombre de qàïds du guéïch, et leur fit t
couper la barbe pour les punir.
Manuel, qui rapporte la bataille d’Isly, prétend que ce
jourlà les Français avaient 10.000 soldats, et qu’ils
n’avaient d’autre but que de combattre les gens qui les
combattaient sur les conlins du pays, car ils s’étaient enga
gés par écrit, envers les Anglais, à ne rien prendre du ter
ritoire du Maghrib, au cas où, faisant la guerre, ils auraient
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ARCHIVES MAROCAINES
eu la victoire. « C’est pourquoi, dilil, après avoir mis les
ennemis en déroute, ils envoyèrent de suite demander la
paix au sultan Moùlav ‘Abderraluntln, qui, cependant,
n’avait pas fait preuve de faiblesse et ne se considérait
pas encore comme définitivement battu, puisqu’il recom
mença de plus belle à réunir des bomnies et des armes. »
Après cela, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde con
clnt la trêve avec les Français, par l’entremise du fqih Si
IJoù Selhàm hen ‘Ali Azloi, gouverneur de Tanger et
d’Kl’ai’èïch. Ce traité comprenait cS articles, dont l’un sti
pulait que EU.iadj Wbdelqâder devait être expulsé de ce
territoire, sa présence dans ce pays ne pouvant qu’être
une cause inut-ile de conflits entre les deux gouvernements.
En même temps, les intérêts du moment amenèrent le
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) à décharger définiti
vement le Danemark et la Suède des sommes qu’ils ver
saient annuellement au Gouvernement Sublime, et qui
étaient, pour le premier, de 25.000 douros, et, pour le se
cond, de 20.000. De même, il abolit diverses autres charges
qui lui étaient dues par d’autres gouvernements.
Toutes choses sont entre les mains de Dieu, à qui on
ne demande pas compte de ce qu’il fait, tandis qu’il demande
compte de leurs actes aux créatures.
En 1261, la monnaie commença à subir une hausse. La
piastre forte « au canon » était à 16 oqiyas; la petite piastre
franqueàlâ oqiyas;\e.boundouqi à 30 oqiyas; le petit dirhem
à l\ moùzoûnas et le grand à 6 moûzoûnas. La hausse de la
monnaie produisit une élévation du prix des denrées. Le
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) chercha à arrêter cette
hausse, mais il n’y put parvenir. La cause de la hausse
était la suivante (Dieu sait quelle est la vérité !) A la suite
de la conclusion de cette paix avec les Français et de la
suppression des tributs que payaient les nations étran
gères, les vo3’ageurs et les commerçants européens devin
rent plus nombreux dans les ports du Maghrib leurs
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DYNASTIE ALAOUIK DU MAROC;
relations cl leurs poi nLs de contact avec les indigènes :m s^
mcnlèrenl. Ils se livrèrent surtout au commerce des mar
chandises dont ils n’avaient jias eu jusqu’alors le droit de
s’occuper, et ainsi se trouva ouverte pour eux une porte
qui leur était fermée auparavant. Les conséquences de
celle nouvelle situation se manifestèrent dans la monnaie
et les marchandises. Pour ce <|iii concerne la monnaie, la
leur étant la plus répandue et avant une circulation supé
rieure à celle de la monnaie du .Maghrib, elle devait l’orcé
ment l’aire autorité et avoir la préférence; les commerçants
devaient aussi l’estimer en raison des excédents et des
bénéfices résultant de la différence des cours, bénéfices
que ne pouvait leur concurrencer le commun des négo
ciants. Les commerçants musulmans les suivirent dans
cette pratique.
Pour ce qui concerne les marchandises, comme les
négociants chrétiens les vendent plus cher que les autres,
ainsi que cela est prouvé, qu’ensuite pendant que les pays
francs progressaient en civilisation, se réorganisaient et
réalisaient plus de sécurité et de justice, nos monnaies et
nos mercuriales continuaient à renchérir proportionnelle
ment à la croissance des relations et à l’extension du com
merce. Vous pouvez, à la réflexion, apercevoir les consé
quences de cet état de choses.
C’est de Dieu que vient l’assistance.
Durant cette annéelà, la population de Uibàt Al-Fath se
révolta contre son gouverneur Al-Hâjj Muhammad bn
Al-Hâjj Muhammad Essoùsi. Elle fut provoquée par
Al-Hâjj Muhammad bn Al-Hâjj Ettâhar Ezzebdi, un des
personnages importants de cette ville, où se trouvent
encore de ses descendants. II était en relations très suivies
avec le gouverneur et lui témoignait des sentiments sin
cèrement amicaux. On prétend qu’il intercéda nu jour
auprès de lui en faveur d’un habitant de la ville, et que,
le gouverneur n’ayant pas cédé à ses sollicitations, il s’en
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ARCHIVES MAROCAINES
irrita et en fut très attristé. Les gens delà ville suppor
taient avec répugnance l’autorité d’Essoùsi et ne lui obéis
saient qu’à contrecœur, pour diverses raisons dont les
administrés font retomber la responsabilité sur le gou
verneur. Ezzebdi rentra chez lui et réunit un certain
nombre de notables de la ville qu’il savait host-iles au
gouverneur. Il leur servit à dîner et leur lit part de son
ressentiment contre ce fonctionnaire. Connue il les trouva
prêts à le seconder, il leur lit jurer et prendre l’engage
ment de ne plus conserver Essoùsi comme gouverneur.
Ils su rendirent ensuite chez lui, lui firent part de leurs
reproches, et lui ordonnèrent de ne plus sortir de sa
maison. Puis ils tombèrent d’accord pour nommer à sa
place Ezzebdi. Celui-ci prit possession de ces fonctions
et présida à l’administration de la ville. Le Sultan (Dieu
lui fasse miséricorde !), qui était déjà à Fâs, bondit en
apprenant cette nouvelle. 11 écrivit d’abord aux gens de
Ribàt une lettre de reproches et d’exhortations, mais ils y
restèrent sourds et persistèrent dans leur attitude. Puis
il leur envoya comme gouverneur le qàïd At-Tayib Elou
tlini Elbokhâri, qui avait mission d’arrêter les coupables.
Ils le reçurent avec des insultes et le chassèrent le soir de
la ville. Celui-ci passa la rivière pour aller à Salé Sûs une
pluie torrentielle, et retourna auprès du Sultan, qu’il
informa de ce qui s’était passé. Le Sultan recourut alors à
la ruse et envoya à Ribàt Elfelh lofqtk, le secrétaire Abû
‘Abdallah Muhammad Al-’Arbi hen Elmoukhtar Eljàm’i, qui,
à peine arrivé, réunit les notables de la ville et les invita à
se choisir un gouverneur. Leur choix se fixa sur Ezzebdi,
qui fut reconnu comme gouverneur par le Sultan, et dont la
conduite fut appréciée. Six mois après, le Sultan arriva à
Ribàt Al-Fath, où il demeura tout le temps nécessaire pour
rechercher les chefs de la révolte, puis il les arrêta, il
arrêta leur qàïd Ezzebdi et les envoya à Fâs, où ils furent
emprisonnés. Peu de temps après, ils furent relâchés.
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DYNASTIE AIAOU1E DU MAItOC
En 1262, le Sultan quitta Fâs, pendant que le klialil’a Sidi
Muhammad parlait de Murrâkush. Los deux Commandeurs se ren
contrèrent au gué de lîoùl’aouàn, dans le Doùkkàla, el
̃célébrèrent là la fêle du Moûlond glorieux. l’uis le Sultan
se remit en route pour Morrâkcli, et le khalil’a pour Fâs.
A l’occasion de cette fêle, Abû ‘Abdallah Akensoùs
envoya une (jaxida au Sultan.
En 1263, le grand fort de Salé, qu’on appelle Ksseqâla
Eljcdida, fut terminé. Le Sultan (Dieu lui lasse miséri
corde!) en avait commencé la construction au moment de
la rupture do la paix avec les Français. Il l’allut toute cette
période pour l’achever dans les conditions les plus par
faites et les plus satisfaisantes.
Fin de l’histoire d’Al-Hâjj ‘Abdelqâder, sa disparition, et ce qu’il
advint de lui 1.
Nous avons vu qu’Al-Hâjj ‘Abdelqader, nourrissant
des desseins pervers, voulait devenir indépendant et
même s’emparer du Maghrib. La défaite d’Jslv vint encore
augmenter ses ambitions il se mit à solliciter les habi
tants de cette région de lui prêter serment de fidélité et
de se ranger Sûs son obéissance. Une correspondance
fut échangée, diton, entre lui et les principaux person
nages de Fâs et du gouvernement. Recourant à un strata
gème, il envoya d’abord un très grand nombre de gens
d’Elhehém et des Béni ‘Amer, ses auxiliaires, Sûs forme
de fuyards qui venaient auprès du Sultan pour lui demander
asile. Le Sultan leur fit bon accueil et les installa auprès du
fleuve Sbou. Al-Hâjj “Abdelqâder s’avança à son tour jus
qu’à Elqa’da Elhamrâ, entre Tessoûl etElbrànés. Son plan
était de rejoindre ses auxiliaires, de s’unir h eux et d’opé
1. Texte arabe, IVe partie, p. 198.
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ARC III VICS SlAHOCAINIiS
ror ensuite ce qu’il se proposait. Mais le Sultan, devinant
ses projets, envoya aussiUH contre colle Jenià’a une armée
de Shrârda eoiniiiandée par le qàïd IJràhim bn Ahmad
Elkhal, <|di les réduisit après de grands ell’oils et an prix
de sanglants combats. Ces gens sY’Uiienl, retranchés sur
une colline et se mirent à combattre pour leurs enfants,
(relaient de bons tireurs pas une seule de leurs balles
ne se perdait. Dèsqu’uno troupe du guéich s’avançait contre
eux, ils la fauchaient à coups de l’eu, lis relevaient leurs
morts, et les dressaient devant eux connue un rempart,
qui leur servait comme de bouclier et derrière lequel
ils se Initiaient. Enlin, fatigué de leur résistance, le guéïch
dirigea sur eux un assaut général, les attaqua dans leur
retranchement, et les battit à Farine blanche, à coups de
lance cl de baïonnette, (hiand ils n’eurent plus de poudre,
ils tuèrent leurs enfants et leurs femmes, pour les Sûs
traire à la captivité et à la honte, puis se tuèrent eux
mêmes lorsqu’ils virent qu’ils allaient être faits prison
niers.
Après cela, le Sultan envoya son fils Sidi Muhammad
pour en finir avec le mal provoqué par Al-Hâjj ‘Abdelqà
der il lit partir avec lui une importante armée, dont le
chef, placé Sûs les ordres du khalîfa, était le qâ’îd Moham
med bn ‘Abdelkerim Kchclicrgui surnommé Bn
Muhammad, célèbre pour sa bravoure et son habileté.
Lorsque le khalifa arriva à Selouàn, Al-Hâjj ‘Abdelqâder
députa auprès de lui un certain nombre de gens, parmi
lesquels se trouvait son vizir Abû “Abdallah Elboùha
midi, pour le disculper des projets qu’on lui attribuait,
et assurer le Commandeur de son obéissance et de son fidèle
dévoùmeiit au Sultan. Celle délégation apporta des cadeaux
au khalifa, puis il fut convenu qu’elle se rendrait auprès
du Sultan, qu’elle lui exposerait la situation, et que tout
dépendrait de sa décision. Le khalifa les fit accompagner
auprès de son père, à Fâs.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ABCI1. MAROC. 12
Sur ces entrefaites, Elhadj ‘A bdelqsldtîi”, une certaine
nuit, à la tète d’une partie de ses soldats, au nombre de
150 environ, tous héros qui avaient l’ait leurs preuves et
qu’il avait choisis avec soin, attaqua l’armée du khalila (lui
était divisée en deux portions, l’une Sûs ses ordres, et
l’autre Sûs le commandement de son frère Mawlay Ahmad.
Elhddj ‘Abdelqâder se dirigea sur ces groupes, « dans
une nuit brumeuse de jouinâda où le chien n’aurait pas
pu distinguer un cheval dans le brouillard », commandant
cette phalange de jeunes guerriers, insatiables de com
bats, hraises de la guerre, avec lesquels il assistait depuis
si longtemps aux batailles et affrontait les abîmes de la
mort avec les Français et autres ennemis. Il les arrêta
entre les deux mhallas ils firent pleuvoir les balles et
lancèrent des fusées sur les chameaux et des feux pour
effrayer les gens. Les soldats s’agitèrent en désordre dans
cette obscurité épaisse, et furent frappés d’une terreur
que la langue ne saurait dépeindre. Le khalîfa se leva, il
se mit aussitôt à calmer les gens lui-même et à les empê
cher de monter à cheval, de peur qu’ils ne désertassent,
puis il donna l’ordre aux fantassins et aux art-illeurs de
lancer des boulets et des obus. Mais leur tir porta sur la
mhalla de Mawlay Ahmad, car ils pensaient que l’ennemi
était toujours en face d’eux, et la mhalla de Mawlay Ahmad
de son côté tirait aussi sur eux. Un grand nombre de gens
périrent pour cette raison dans les deux camps. Quant à
Al-Hâjj ‘Abdelqâder, il prit la fuite avec ses hommes,
emportant la plupart de ses morts. Le qâ’îd Muhammad se
distingua brillamment cette nuitlà.
Le lendemain matin, quand on put se rendre compte de la
situation, on trouva un millier de blessés et un nombre à
peu près égal de morts. On trouva également autour de la
mhalla, parmi les morts, une cinquantaine de gens d’El
hâdj ‘Abdelqâder que le combat les avait empêché d’em
porter. D’autres furent faits prisonniers vivants, qui, au
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ARCIIIYKS JIAROCAINES
nioineiiL où ils furent tués, donnèrent le spectacle d’un
calme étonnant. Les morts étaient vêtus île riches cos
tumes brodés d’or et de soiu, car, ainsi qu’on le verra,
cet homme prenait le plus grand intérêt de son armée
régulière.
Le khalifa (Dieu lui fasse miséricorde !) ordonna ensuite
la poursuite d’Al-Hâjj Wbdelqâder et en chargea des
troupes choisies. l’ne nouvelle rencontre eut lieu au gué
de l’Wad Melouiva appelé IMechru’ Errahâïl, non loin de
la mer et près de l’embouchure de ce fleuve. Les troupes
lui inlligèrent un nouvel échec, qui lui causa la perte de
ses braves. Voyant sa puissance anéantie, rempli d’épou
vaule et désespérant île rétablir sa situation, il s’enfuit
auprès des Français, pour leur demander asde, laissant
derrière lui son camp qui fut pris par l’armée du khalîfa.
Un des témoins de cette all’airc m’a raconte que les
cavaliers chargeaient un groupe de gens d’Al-Hâjj ‘Abdel
qiider qui étaient à pied pour les l’aire prisonniers, et qu’ils
ne réussissaient à les saisir qu’après avoir parcouru une
.très grande distance.
Ys/ En résumé, le degré de bravoure de cet homme est
connu, et sa connaissance îles ruses de la guerre est
célèbre. Malheureusement, comme nous l’avons dit, un
revirement s’était opéré en lui, et il avait voulu se rendre
indépendant et se Sûstraire à l’obéissance de l’Imam
régulier auquel le liait son serinent de fidélité.
Quelque esprit querelleur qui lira ce que nous avons
rapporlc des i’aits et gesles’de cet homme, nous accusera
peutêtre de partialité et d’inconvenance à son égard. Nous
répondrons que nous n’avons raconté que la vérité, nous
appuyant également du récit suivant de Lisan Eddin Ibn
ElUhalfb (Dieu lui fasse miséricorde !) « Je me trouvai,
un jour, en présence du sultan Abû ‘Inan, dans une des
missions dont je fus chargé auprès de lui pour lui remettre
des correspondances. La conversation étant tombée sur
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DYNASTli; ALAOUIli DU JIAHOC
un de ses ennemis, je lui dis ce que je pensais <le cet
ennemi, et ce que je connaissais de son mérite. Je lus
contredit par un dus assistants, qui était de ces gens qui
« ut; vont au bois qu’avec la corde du souverain ». Détour
nant le visage « Dieu vous foilifie! diisje aux assistants,
« manifester du mépris pour l’ennemi du souverain en prê
« sence de Celui-ci n’est pas d’une bonne politique le con
te traire est plus judicieux, car si le Sulîan triomphe de son
«ennemi, il triomphe do quelqu’un qui n’est pas à dédai
« gner, et c’est à lui de le glorilier et de vanter saAaleur
« si, au contraire, c’est l’ennemi qui triomphede lui, ce n’est
« pas quelqu’un de méprisable qui remporte la victoire, et
« il n’en sera que plus triste el plus sensible à i’aJironl. »
Le Sullan (Dieu lui fasse miséricorde !) partagea mou
avis, l’approuva elle vanta, ce qui mit mon contradicteur
dans l’embarras. »
Le Sultan écrivit la nouvelle de cette victoire dans
toutes les contrées les marchés Turent pavoises et des
réjouissances lurent organisées. Voici le texte de la lettre
qu’écrivit le Sultan à la suite de cette victoire
« Ensuite:
« L’agitateur corrompu, le lieutenant de Satan a poussé
l’audace à ses dernières limites il a enfourché la monture
de sa perte, élargi le chemin de la rébellion et perdu celui
de la bonne direction.
« Son esprit Ta persuadé de prendre le litre A’ Commandeur et il
a voulu se séparer de l’Islam et diviser les cu.’urs des créa
tures. Il s’est mis à mani l’ester des choses honteuses, com
pliquant a plaisir les ciioses les plus claires, pour cacher sa
trahison et sa perfidie. Aussi le mal qu’il a ainsi provoqué
s’est répandu sur les frontières de l’Empire. Ses dispo
sitions intérieures étaient mauvaises il manifestait au
contraire des apparences qui lui servaient a gagner le
cœur des ignWahrants, des aveugles et des égarés. Désespé
rant de le voir rentrer dans le droit chemin, et sachant l
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ARCHIVES MAROCAINES
quel était son but caché, nous avons équipé une année
secourue par Dieu, aux étendards déployés, pi nous avons
placé sa télo notre fils pieux Sidi .Muhammad (Dieu l’amé
liore !), nous lui en avons le commandement et
nous l’avons chargé do sa direction. Nous lui avons fait
promettre d’empêcher, autant que possible, l’ell’usion du
sang, d’essayer tous les moyens pour redresser cet agita
teur, de le guérir de son mal par tous les remèdes, de ne
se laisser guider à son égard ni par la passion, ni par l’in
lérèt, et de ne recourir au combat qu’à la dernière extré
mité, la lutte pacifique devant être son vo’ii le plus cher.
L’ennemi de sa propre personne, se voyant entouré par
les troupes, a envoyé une dépulation pour manifester son
prétendu repentir de sa conduite passée et sa résolution
de se conformer au devoir. Nous lui avons répondu que
les paroles qui plaisent le plus à Dieu sont celles qui sont
sincères, et que si leur maître recherchait le bien pour
lui-même, voulait se fortifier dans sa religion et travailler
à son repos éternel, il avait à choisir entre demeurer sur
notre territoire, lui et ses compagnons, en toute sécurité
pour leurs personnes et leurs biens, avec les mêmes droits
et devoirs que nous, ou se rendre dans le Sahara. Ils
nous ont alors demandé un délai pour envoyer l’un d’eux
lui faire part des résultats de l’entrevue et réparer le mal
pendant qu’il en était encore temps. Nous leur avons fait
cette concession. Mais les envoyés n’étaient pas encore
arrivés auprès de lui, qu’il attaqua pendant la nuit la
mhalla. Dieu l’a repoussé avec un échec et en lui infli
geant un retour honteux. Il a abandonné ses morts sur le
sol, quoiqu’il en ait emporté un grand nombre, qu’il s’est
mis à enterrer dans sa retraite pour cacher le malheur
qui le terrassait dans son déclin. La mhalla victorieuse
par Dieu lui a alors livré un combat où elle lui a fait goù
ter la ruine et l’anéantissement et, vaincu, il s’est effa
rouché comme une autruche, il a tourné le dos au champ
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
de bataille et s’est mis à errer en tous sens. Un nombre
considérable de ses fidèles, de ses chefs, do ses guerriers
les plus vigoureux et les plus malfaisants sont morts. Ses
troupes ont battu en retraite dans le plus grand désordre;
ses armées ont été divisées en tués et en prisonniers, et
sont devenues un objet de moquerie, elles qui étaient si
moqueuses. Elles ont été vaincues et se sont retirées
pleines d’humiliation. C’est à Dieu que je demande le
secours de sa protection et la direction dans le droit che
min.
« Salut.
« Le 22 înoharrem sacré de l’année 1264. »
Ell.uulj ‘Alxlelqâder s’enfuit chez les Français, comme
nous l’avons dit, et resta un certain temps auprès d’eux.
L’auteur du Qatf Ezzouhoûr raconte qu’ « après s’être
réfugié auprès des Français, Al-Hâjj Wbdelqâder de
meura chez eux pendant six ans. Puis Napoléon III lui
donna la liberté et lui assigna une pension annuelle sur le
Trésor du gouvernement. 11 alla habiter Damas où il se
trouve encore aujourd’hui. » II est encore en vie, selon les
informations qui nous parviennent.
Dieu se charge de conduire les Musulmans et répare
leurs malheurs par sa clémence et sa générosité. Ainsi
soit-il.
« Le lundi l\ nioharrem 126/i, au matin, dit Abû ‘Abdal
lah Akensoùs, mourut le grand vizir, le fqih illustre et
généreux, le chef des travailleurs du roseau, qui orna le
gouvernement des colliers de la prose et de la poésie
dans les grandes circonstances, et qui, par ses impromp
tus, ses œuvres admirables et extraordinaires, a discré
dité Bedi’EzzAmân et Elfalh bn KMqân, Abû ‘Abdallah
Muhammad bn Dris (Dieu le revête d’un nouveau vête
ment de sa satisfaction chaque fois que luira et brillera
une étoile). Le Sultan nomma à sa place le fqîh noble, aux
vertus parfumées, des doigts duquel coulent des gouttes
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ARCHIVES MAROCAINES
de pluie, dont le jugement est solide, dont les ordres sont
bien conçus et dont le comu’ pur est comparable sa
pureté à l’or en lingots, Abû ‘Abdallah Muhammad El
‘arbi bn Elnioukhtàr Eljam’i. » Le Sullan le destitua
plus lard en arrivant à Murrâkush, lors du dernier voyage
qu’il fit dans cette ville et le remplaça par le fqîh, le se
crétaire intègre AIjoù ‘Abdallah Muhammad bn ‘Abdal
lah Essefl’àr Eltelàonni.
Dans les premiers jours de ramadan de cette annéelà
(J26.1), le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) quitta Fâs
pour se rendre dans la région d’Wujda. 11 alla jusqu’à ‘Aïn
Zùra. Après avoir inspecté le pays et pris des mesures
ut-iles, il rentra à Fâs dans la nuit qui précédait la fête des
Sacrifices.
En 1265, eut lieu la révolte des ‘Arab-s ‘Àmér du voi
sinage de Salé et celle des ‘Arab-s Za’ir du voisinage
de liibât Al-Fath. Ces deux tribus s’attaquèrent avec
rage à ces villes, qu’ils assiégèrent avec acharnement, et
se livrèrent au pillage et à tous les excès de brigandage
et de corruption sur les routes et dans les jardins. Plu
sieurs fois ils enlevèrent les troupeaux, abandonnant, chez
leurs propriétaires les petits qui moururent de faim, sans
compter bien d’autres actes de ce genre. Comme ils avaient
dépassé toutes les limites de l’audace, le Sultan envoya
contre eux son nègre, le Bâsha Faraji, gouverneur de Fâs
Eljedid, qui infligea une terrible défaite aux ‘Àmér, le
quatrième jour de la fête des Sacrifices, et les mit en dé
route, malgré la forte position qu’ils avaient prise à El
garràq entre Salé et Al-Mahdiya.
Cette même année, les deux fils du Sultan, Mawlay Er
rechid et Mawlay Slimàn, effectuèrent le Hâjjage: ils
revinrent Tannée suivante, après avoir reçu l’accueil le
plus bienveillant du Possesseur de l’Egypte et de celui du
Hejâz.
Cette annéela également, apparut une comète elle
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC.
était visible dans la direction du couchant et disparaissait
après le ‘achà on la vit pendant près d’un mois. La po
pulation eu était terrifiée, comme dit Ahoù Teiiiàiu
« Les hommes redoutent d’obscurs malheurs, des que
parait la constellation occidentale qui porte une queue. »
En 126(5, le Sultan rétablit le meks à Eès et dans toutes
les grandes villes. Il le fit d’abord percevoir sur les peaux
par l’intermédiaire d’Elmostafa Eddoùkkali bn Eljilàni
EiTcbâli et d’Elmekki Elqabbâd j Ell’èsi. Il le rétablit en
suite sur les animaux. Mais l’immoralité de cette institu
tion se manifesta tout entière Sûs le règne de son fils le
sultan Sidi Muhammad hen Wbderral.iniàn (Dieu lui tasse
miséricorde !) et jusqu’à ce momentci.
Cette annéelà, dans la nuit du 26 ramadan, trépassa
l’ami de Dieu Abû Wbdallfth Sîdi ‘Abdelqâder El’alami,
l’illustre homme de bénédiction, auteur de chansons en
langue vulgaire. Il mourut a Méknàsét Ezzéïtoùn et fut
enscveli dans le quartier de Sidi iîoù Etlayyéb sur son
tombeau a été édifiée une construction des plus magni
fiques (Dieu lui fasse miséricorde et soit satisfait de lui!).
Cette annéelà également, le Sultan envoya son fils Moù
lay ‘Abdelqàder, alors âgé de douze ans, à Salé pour s’y
instruire. Il fut logé chez le qàdi de la ville, Abû Abdal
lâh Muhammad bn Hassoùn Wououàd, qui avait reçu
pour instructions du Sultan, d’habituer cet enfant aux ali
ments et aux costumes grossiers, et de ne lui permettre
de boire du thé qu’une fois ou deux par semaine.
Cette annéelà fut signalée par l’extrême cherté des den
rées et par une disette excessive; elles se firent sentir
surtout chez les tribus du Hawz, comme les Béni Meslcîn,
‘Abda, Doùkkàla, etc., qui durent émigrer dans le Garb
et le Fahs. Les gens mangèrent des charognes, des ca
davres et des plantes. Cette année est appelée, par les
campagnards, l’année d’Elkhobîzi et l’année d’Irni. On
mangeait sans se rassasier et si on mangeait abondam
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ARCHIVES MAROCAINES
ment, on avait au bout d’un instant les entrailles brûlées
parla faim. Le moudd, à liibât Al-Fath et à Salé. qui estime
très grande mesure, atteignit le prix (le 18 milsqâls c’est
une date pour le vulgaire, qui dit: « ‘l’el événement eut
lieu l’année des 18 milsqâls. »
En 1267, dans la nuit du mercredi 23 rabi’ II, mourut
le fqîh très docte, le qâdide Salé, Abû ‘Abdallah Moham
med bn Hassoi’m ‘Aououâd. 11 fut enterré, dans cette
ville, à la zaouya du chcïkb Sîdi Ahmad bn ‘Abdelqâder
Ettestâouti, dans le quartier de Bâb Ahséïn. Ce person
nage (Dieu lui fasse miséricorde!) était instruit dans le
droit, le hadîts et la grammaire. Il avait passé sa vie à
recueillir les livres et à les copier il avait d’ailleurs une
écriture tout à fait nette et ne pouvant donner lieu a au
cune erreur de lecture. Charitable envers les pauvres, les
chérîfs et les gens de grande famille, il était plein de gé
nérosité envers eux et leur faisait des libéralités (Dieu lui
fasse miséricorde !).
Le mercredi, premier jour de cette annéelà, mourut le
chérîf, l’homme de bénédiction, le vertueux Abû ‘Abdal
lâh Sîdi Al-Hâjj Al-’Arbi bn ‘Ali Elouezzâni. Ce person
nage, dont le nom est bien célèbre, jouissait d’une très
hàute considération. Dieu nous fasse participer à sa béné”
diction et à celle de ses ancêtres
En 1268, les Français attaquèrent la place de Salé pour
la raison suivante Deux navires chargés de blé étaient
venus mouiller dans le port des DeuxRives. La disette
régnait cette annéelà. Les deux navires ayant échoué sur
le rivage de Salé, la populace se hâta de les piller, et
poussa l’excès jusqu’à enlever les planches et les agrès de
ces bateaux qu’elle se partagea. Les deux navires apparte
nant à des marchands français, la France porta plainte à
leur sujet auprès du Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !)
qui écrivit au gouverneur de Salé, Abû ‘Abdallah Moham
med bn ‘Abdelhadi Znîbér pour lui demander des éclair
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DYNASTIE ALA0L1E DU MAROC
cisscments sur cette affaire. Celui-ci uia tout simplement
les faits incriminés, clans la pensée qu’il sauverait la ville
par ce moyen. Mais les Français, voyant qu’ils n’obte
naient aucun résultat (le leurs négociations avec le Sultan,
vinrent assiéger Salé, le mardi premier jour de safar de
l’année précitée, avec cinq bateaux à vapeur et un grand
vaisseau, appelé le Nabious, armé de près de soixante ca
nons. Le lendemain matin, ils firent avancer leurs navires
et quand ils se furent mis en position parallèlement la
ville, à 10 heures du matin, ils commencèrent à la hom
barder avec des bombes et des boulets: un seul bateau
ne tira pas, il resta un peu à l’écart pour surveiller: c’était,
diton, un navire anglais. Les boulets et les bombes tom
baient sur la ville sans interruption avec un fracas aussi
effrayant que le tonnerre, et qui faillit faire écrouler les
montagnes. Le tir fut continu au commencement de la
journée. Dans l’aprèsmidi il continua, avec quelques in
tervalles très courts, jusqu’au moment du coucher de so
leil, et même une demiheure après. Le bombardement
avait duré huit heures et demie. La population fit tous ses
efforts pour renvoyer aussi des project-iles aux Français,
mais à la fin du jour elle fut impuissante à soutenir l’at
taque et les Français furent seuls à tirer. Environ sept mu
sulmans périrent pour la cause de Dieu. Le nombre des
boulets et des bombes lancés par l’ennemi dans cette
journée atteignit un chiffre énorme 7.000 suivant les uns,
12.000 selon les autres. Les bombes n’éclataient pas ins
tantanément, et quand elles le faisaient, tuaient les gens.
Plusieurs boulets tombèrent sur la grande mosquée et
sur son minaret, où ils percèrent les toits et les murs, et
sur les maisons des habitants de la ville, mais le Sultan
donna a ces derniers pour les réparer de l’argent du Tré
sor. Manuel, qui donne le récit de cet événement, dit que
« lorsque les Français eurent épuisé leurs provisions,
c’estàdire les boulets et la poudre, ils levèrent l’ancre
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ARCHIVES MAROCAINES
pendant I;i nuit, craignant, que s’ils ne s’en allaient pas
volontairement, ils ne fussent obligés de partir malgré
eux. »
En apprenant la nouvelle de cette aJVaire, le Sultan
(Dieu lui fasse miséricorde !,i (|iii éLait à Fâs, écrivit une
lettre dans laquelle il disait:
« Louange à Dieu seul.
« Dieu prie pour notre Seigneur Muhammad, pour sa
famille et ses compagnons.
« ‘Abderrahinàn hen Ilicliàm, Dieu est son protecteur.
« A notre serviteur agréé, le fùléb Muhammad bn
“Abdelhàdi Zni’bér, que Dieu vous protège!
« Le salut soit sur vous, ainsi que la miséricorde du
TrèsHaut et ses bénédictions.
« Ensuite
« Nous avons reçu la lettre par laquelle vous nous
avez fait connaître que les bateaux des Français ennemis
de Dieu ont bombardé la ville depuis le matin jusqu’aux
abords du ‘achd, puis qu’ils ont levé l’ancre, déçus et hu
miliés, et que Dieu les a repoussés avec toute leur colère,
sans qu’ils aient obtenu un résultat ut-ile. Vous ajoutiez
que Dieu a accordé aux Musulmans une patience, une fer
meté et une confiance qui ont fait honneur à la religion
et vivement attristé les polythéistes injustes, et que plu
sieurs d’entre les combattants de la foi sont; tombés pour
la cause de Dieu, qui leur a assuré la félicité éternelle et
l’existence de l’éternité. Dieu soit loué d’avoir manifesté
la puissance de sa religion et secouru le peuple de son
Prophète Grâce à Dieu, les niches où brident les lampes
de l’Islam n’ont pas cessé de briller de la lumière la plus
intense et c’est Dieu qui donne à sa lumière tout son
éclat, quoi qu’en aient dit les inlidèles.
« Vous n’ignorez pas tout ce qui se trouve dans les ver
sets cWahraniques et dans les hadîls du Prophète, pour cé
lébrer les mérites de la guerre dans les voies de Dieu et
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DYNASTIE AÏ.AOUIE DU MAF1OC
de la résistance soutenue en vue de glorifier la parole de
Dieu. Vous avez bien l’empli voire devoir à cet égard,
vous ave/ justifié la confiance placée en vous et vous avez
l’ait ce qui vous était demandé. Dieu vous améliore et soit
satisfait (Je vous! deux qui ont été tués, Dieu les a grati
fiés d’un bonheur sans (in. Ouant aux Liens qui ont été
perdus, Dieu les remplacera, car il se charge de rempla
cer ce qui a été perdu pour l’amour de lui. Veillez donc
plus que jamais et soyez patients Dieu vous soit eu aide!
« Nous avons ordonné à nos serviteurs les oumanà des
DeuxRives de vous envoyer les ouvriers les plus habiles
pour fabriquer des afl’ùts et, conformément à votre de
mande, nous avons invité notre serviteur Belhefràn à éta
blir des tentes où ils pourront s’abriter. Rien de ce qui
vous est nécessaire ne vous fera défaut, s’il plait à Dieu.
« Vous nous avez rendu compte, d’autre part, de la réu
nion qui a eu lieu chez vous, des habitants de la ville avec
le qâdi et Vamin pour vous demander d’écrire à Notre .Ma
jesté élevée en Dieu afin que nous leur donnions de quoi
réparer leur ftqâlci, leurs mosquées, leurs maisons et leur
muraille. Nous avons écrit aux oainanù des DeuxRives de
se rendre auprès de vous, de visiter tous les immeubles,
maisons ou autres, qui ont été démolis, en votre présence
et accompagnés du qâdi et des ‘adoill, et de faire une es
timation des frais qu’entraînera la réparation convenable
de chaque immeuble. Pour la grande mosquée et Sidi
lîen ‘Âchér, ils prépareront les matériaux voulus et, dès
qu’ils seront réunis, ils commenceront la réparation. Dès
maintenant ils devront réparer la ttqdla nouvelle et la
muraille le plus solidement possible avec du pisé excel
lent, inattaquable aux boulets, et les muniront d’un abri
construit de façon que le tireur soit en sûreté. Xe pro
cédez pas lentement à ces travaux. Nous avons de plus
l’intention d’établir, s’il plait à Dieu, un solide bastion à
l’extrémité de la muraille, du côté de la nouvelle sqùla.
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AlifKlVES M.\nOCAINE»
« Vous l’occvro/. cijoint une lettre que vous lirez à nos
serviteurs les habitants de Salé.
« Salut.
« Le 1.8 snfar 1 2(>S. »
Le Sultan construisit effectivement ce bastion, qui est
un travail très bon, très solide et très beau. C’est une
nmvro digne des grandes dynasties.
Colle annéelà, on reçut du Sultan une lettre destinée
il restreindre les variations de la monnaie.
En voici le texte
« Ensuite
« Depuis longtemps, nous avons tenté de restreindre
l’augmentation de la monnaie, nous avons donné des aver
tissements, nous avons multiplié les avis et menacé de
châtiments ceux qui commettraient des contraventions ou
donneraient à la monnaie une valeur autre que celle que
nous avons fixée. Mais on n’a fait que montrer plus d’avi
dité et d’audace. Aussi nous avons demandé à Dieu de
nous aider dans cette affaire, et nous avons décidé d’éta
blir la hausse convenue définitivement entre tout le monde,
pour rendre dorénavant toute excuse irrecevable et don
ner un dernier avertissement.
« Ceux qui respecteront les limites que nous avons
fixées et qui ne s’écarteront pas de ce que nous avons dé
cidé, agiront dans l’intérêt de leurs personnes et de leurs
biens ceux, au contraire, qui contreviendront à nos or
dres et commettront la moindre désobéissance, travaille
ront à leur perte et recevront un châtiment qui servira
d’exemple et ne sera pas oublié. L’avertissement tient
lieu d’excuse (quiconque est averti devient fautif).
« En conséquence, nous avons fixé la valeur du boun
douqilx AO oqiyas celle du doublon à 32 mitsqâls celle du
douro « au canon » à 20 oqiyas celle du douro « sans ca
non » à 19 oqiyas celle de la peseta « au canon » à 5 oqiyas
celle de la peseta « sans canon » à oqiyas celle du dirhém
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DYNASTIE AT.AOUIE DU MAROC
roubâ’ih l\ moùzoânas et demie, cl celle du dirhéni soudàsi
à 7 moûzoûnas, et ainsi do suite.
« Informez de ce qui précède vos administrés et les
gens de votre gouvernement, et invitezles à s’y con
former strictement. Vous punirez très sévèrement ceux
qui y contreviendront, et chez qui vous « .sentirez
l’odeur » de la désobéissance et de la fraude, et vous
nous en informerez.
«Salut.
« Le 14 rabî’ II 12(58. »
En 1269, le Sultan razzia la tribu des Zemmoùr Ech
chleuh. De Miknâs, il écrivit d’abord à son fils et khalil’a
Sidi Muhammad qui étaità Murrâkush. Celui-ci quitta cette
ville et, passant par Tâclla, châtia les Béni Moùsa, qui
avaient tué leur gouverneur, Aboiil’abbâs Ahmad bn Zi
doùh il coupa 64 têtes et emmena 150 prisonniers. De
là, il se rendit à Ribât Al-Fath, où il arriva le lundi 11 chou
wâl, et où il demeura jusqu’au samedi 16. Puis il fran
chit la rivière et campa à Qarmîm, dans la dépendance de
Salé. Il partit le lendemain et passa la nuit à Sîdi ‘Allah
Elbahrâoui. Il demeura là deux jours, puis se remit en
route et alla camper à Tîfelt où il resta quelques jours.
Après cela, il s’avança jusqu’à Dâr Bel Gazi. Pendant ce
temps, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) avait quitté
Miknâs, et, fixant son camp à Elkhamîsât, il avait dirigé
plusieurs attaques sur les Zemmoùr qui s’étaient retran
chés dans leurs montagnes. Il avait pillé leurs biens et
dévasté leurs cultures et même leurs arbres. De là, il se
mit en route pour Murrâkush, tandis que le khalifa se diri
geait sur Fâs (26 doùlqa’da).
A partir de cette époque, le Sultan et le khalîfa (Dieu
leur fasse miséricorde !) razziaient, chaque année, les Zem
moùr. Ils se donnaient rendez-vous et faisaient ravager
leurs cultures et leurs propriétés par leurs soldats. Les
Zemmoùr, fortement lésés, et se voyant près de périr,
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ARCHIVES MAH00A1NES
«•ai* leurs vivres élaienl épuisés, linirenl par se souinellie
bon gré ma! ijTi’.
Mn (juilliiul. les Zi’jiiinoùi, lors de ce lia première ex
pédition, le Sullau euvovu une lellre dont voici le texle
« Knsuile
v 11 n’v a personne <|iii ignore la malice des Zemnioùr:
elle esl plus noire cj no ia nuit, el assez forte pour èlre
comparée à un torrent. Depuis longtemps, nous les avons
rappelés au devoir, nous les avons exhorlés au bien, nous
les avons prévenus el .menacés, et nous nous sommes abs
lenus de leur faire du mal, répondant à leur audace par la
douceur, à leurs provocations par le calme..Mais leur ini’a
liuuion les a enhardis et rendus plus insolents, elle mal
leur a bouché les yeux el les oreilles. Celui dont Dieu veut
la révolle est désarmé pour lui résister. Noyant que le
malin du départ ne dissipait pas les ténèbres de leur éga
rcmeiil, et qu’une main deslruelrice s’était appesantie sur
les riles de l’Islam, nous avons levé contre eux les troupes
victorieuses devant lesquelles sont toujours déployés,
avec l’aide do Dieu, les étendards de ia victoire, et nous
avons l’ait venir de Murrâkush notre /ils vertueux Sidi
.Muhammad (Dieu le conserve !j à la tète d’une, armée pré
cédée de la Jjonne fortune el des heureux auspices, et
poussée parla félicité dans ses repos et dans ses marches.
Nous avons quitté nousmèine Méknasél E/.zéïtoi’in avec
une armée qui remplissait les plumes et garnissait les can
tons el les districts avec ses cavaliers et ses fantassins,
ses colonnes légères et ses bagages. Jusqu’alors, nous
avions livré combat à ces mauvais sujets dans l’endroit
appelé Hlkhamîsal, niais les colonnes n’étant pus suffisam
ment à l’aise pour les tuer, les piller, les disperser et les
frapper, nous avons décide’1, cette fuis, de prendre position
conlreeiix, d’abord à Wïn ETan’iua, le point où leur sou
lèvement et leurs déprédations avaient tout envahi. Nous
avons campé là quelques jours, puis, levant le camp, nous
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DYNASTIE M.A0U11J I»U MAHOC
nous sommes arrêtés à Mahsà. De là, nous nous sommes
encore mis en roule cl. nous avons c;mi|>(‘k à Elkha
misàt. Pondant ces séjours cl ces déplacements, notre
/ils Sîdi Muhammad (Dieu le conserve) quittait Hrribàl
et s’installait à Tifelt, <|ui était le centre des révoltés
et le lieu d’étape des oppresseurs ini<|iies. Le rappro
chemeut (tes deux m/iallas causa à ces révoltés une grande
sur]>Lise (|iii atteignit toute extrémité. Les colonnes s’oc
cupèrent à dévaster leurs grains et à les jeter au vent,
et à extraire de leurs cachettes leurs provisions an
ciennes et récentes. Eux, regardaient alunis et voyaient
le malheur (|iiï les frappait. Dès (|ii’ils cherchaient à se
défendre, ils s’en retournaient humiliés. Les tètes des
oiseaux de proie, leurs chefs, ayant été coupées, ils !ie
purent plus résister et quittèrent leurs territoires, per
suadés que le malheur décrété pour eux voulait qu’ils
fussent chassés et éloignés de chez eux. Il n’y resta plus
d’autres habitants que les bêles sauvages et les cha
meaux, car ils s’élaient retranchés dans leurs repaires ha
bituels et leurs citadelles, au sein de montagnes voilées
de nuages et donnant presque la main aux étoiles. Ré
duits à la plus grande détresse, leurs femmes périrent
de faim et de soif, leurs biens furent perdus, et le mal
heur s’exerça sur eux comme il voulut. Quoiqu’ils fussent
fortifiés dans ces repaires, les troupes auraient voulu aller
les v poursuivre et donner leur vie précieuse pour s’em
parer d’eiix. Mais pris par cette compassion qui anoblit
et par la haine de l’acharnement qui avilit, nous avons
donné l’ordre de ne pas les attaquer, pour attendre que
leurs repaires les rejettent et que leur feu les brùJe. Per
dant patience et consumés par l’abattement, ils ont im
ploré la protection do notre fils Sidi Muhammad (Dieu le
conserve !) qui a intercédé eu leur faveur auprès île nous.
Nous avons accédé à ses prières moyennant certaines con
ditions qu’ils ont acceptées, certaines obligations auxqucl
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ARCHIVES MAROCAINES
les ils ont Sûscrit et de vifs reproches. Nous avons alors
incliné vers la clémence et le pardon prescrit par Dieu, et
remettant leur sort entre les mains de notre fils pour cou
per court à leurs excuses, nous les avons quittés (Dieu soit
loué!), nous en remettant à Dieu du soin de régler leurs
comptes. Je demande à Dieu de protéger tous les Musul
mans. Ainsi soit-il
« Le 2(ï du mois sacré de doùlqa’da de l’année 1269. »
Cette annéelà, apparut une nouvelle comète.
Au commencement de l’année, le Sultan (Dieu lui fasse
miséricorde !) prit pour vizir le fqîh très docte, le ver
tueux Abû ‘Abdallah Muhammad EssefTar Ettetàouni,
après son arrivée à Murrâkush.
Dans cette annéelà également fut terminé le grand bas
tion de Salé qui se trouve à l’angle sud de cette ville, au
bord de la mer. Les dépenses de cette construction, qui
furent prélevées, par ordre du Sultan, sur le fonds des
habous de la grande mosquée de Ribat Al-Fath, s’élèvent
à environ 50.000 milsqûls.
Une chose très curieuse eut lieu à Fâs cette annéelà.
Pendant que l’Imâm prêchait un vendredi à la mosquée
d’Elqaroui3,iii, un morceau de plâtre pesant près d’un
quart de quintal se détacha de la voûte audessus de la
troisième rangée de fidèles. Les gens qui se trouvaient
dans cette rangée prirent la fuite ceux qui étaient der
rière eux, les voyant fuir, prirent la fuite à leur tour, et
leur exemple fut suivi par les autres, si bien que tous les
rangs dela mosquée furent rompus. La foule se précipita
en courant vers les portes, où se produisit une presse vio
lente, et les premiers arrivés s’enfuirent dans le Soùq
Echchemmâ’în, perdant leurs chaussures, leurs tapis de
feutre, leurs manteaux, et même leurs coiffures. Un
nombre incalculahle de Qur’âns, de fascicules qWahraniques
et de Delâïl Elkhéirât furent perdus de cette façon.
Les gens ne s’étaient pas rendu compte de ce qui était
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DYNASTIE ALAOUUÎ DU MAROC
AliCH. MAItOC. 13
>
arrivé, et ne revinrent de leur frayeur cjii’au l>oul de
quelque temps.
Révolte de Brâhîm Isemmoûr Elizdégui dans le Sahara
Vers le milieu de l’année 1271, la révolte de lirâliim
Isemmoûr Elizdégui fit son apparition dans le Sahara de
Talïlélt. Voici comment elle fut amenée.
Les Berbers du Sahara étaient alors divisés en doux par
tis celui des Ail Alla, qui étaient les plus nombreux et
les plus forls de la région, et celui des Ait Yai’elniâl qui
étaient plus faibles. Les Ait Alla mettaient à mal les chc
rîfs du pays et leurs voisins. Ce I îràhîni prit le commande
ment des Ait Yafelmal et, prenant la défense des chérîfs,
leur témoigna tous les égards et la générosité possibles.
Il invitait ses conlribules à faire le bien, les détournait
du mal, faisait l’éloge du Sultan et les invitait à lui obéir.
Il devint bientôt célèbre dansle pays, où on se répandit
en éloges sur son compte.
Or, il arriva sur ces entrefaites qu’une discussion s’étant
produite entre les Aït Yafelmal et les Ait ‘Alta, Brâlihn
marcha contre ces derniers et leur infligea une défaite ter
rible. Ses contribules l’aimèrent, davantage et s’attachè
rent à lui de plus en plus, en même temps que les sharîfs
mirent en lui leurs espérances, car triompher des Ait
‘Alla, à cette époque, était un fait surprenant. Il faisait,
avec cela, les plus grandes largesses à ses proches et aux
étrangers. Le Sultan ne tarda pas à entendre parler de lui.
Son caractère (Dieu lui fasse miséricorde !) le portait à
aimer les gens de bien et à se montrer bienveillant envers
eux. Il alla donc audevant de Brâhîm et, pour lui donner
plus de considération, il lui conféra le gouvernement de
1. Texte arabe, IVe pailic, p. 204.
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ARCHIVES MAROCAINES
cetlo contrée. Ntais, en présence (le cette augmentation
tic sa force et du dévcloppementde sa renommée, celui
ci, travaillé par le désir le chef, voulut se rendre in
dépendant, et poussa la révolte jusqu’à retourner au Sul
tan les ordres qu’il recevait île lui. Puis, petit à petit, il
se rapprocha des frontières de l’Empire, et dans tout le
Maghrib on ne parlait plus que do lui. Le Sultan (Dieu lui
fasse miséricorde !) lui expédia plusieurs missives, puis en
voya des gens qui lui livrèrent combat, enfin Dieu inspira
un de ses proches qui le tua par surprise, lui coupa la tète
et l’apporta, pour obtenir une récompense, au Sultan, à
Morrakcli.
Le Sultan ordonna des réjouissances auxquelles il con
voqua toutes les classes de la population de la ville à tous
il lit des cadeaux et répandit sur eux des niasses de bien
faits.
Un fait curieux se présenta à cette occasion. Parmi les
invités du Sultan, se trouvaient les tolba des écoles,
étrangers à la ville. Assis à l’écart de la foule, il arriva
que ces tolba restèrent les derniers à recevoir la nourri
ture qui sortait du palais du Sultan et qui était distribuée
aux diverses catégories d’invités. Un des gens de l’entou
rage du Sultan ayant demandé à un des gardes chargés
d’apporter les plats, s’il y avait encore des gens qui
n’avaient rien reçu, Celui-ci répondit « II ne reste plus
que les tolba et les meuniers. » 11 ne restait plus que ceux
ci, en eil’et. Un taléb, entendant ces mots, dit à ses com
pagnons « N’avez-vous pas entendu ce que vient de dire
cet homme – Qu’at-il dit? lui répondirent-ils. Il a ré
pondu qu’il ne restait plus que vous et les meuniers on
vous met sur le même pied que ces derniers en vous joi
gnant à eux par la conjonction et; par Dieu, vous ne res
terez pas plus longtemps ici. » Les tolba se levèrent irri
tés et ne voulurent pas revenir, malgré les supplications
d’un memhre de l’entourage du Sultan qui les suivit. En
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
apprenant la nouvelle, le Sultan ditqu’ilfallaitles laisser
tranquilles et qu’il saurait arranger les choses. Le lende
main, en ell’et, il les convia à venir au parc du vizir J5en
Diîs, à rintérieui’ de Murrâkush, |)rès de Uàb Errobb, et
là il leur fit toutes les largesses possibles pendant trois
jours, ce dont Ils furent satisfaits. Ensuite, ils s’attaquè
rent aux fruits du parc et les prirent jusqu’au dernier.
Cette anecdote prouve la générosité du caractère du
Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !), sa largeur d’esprit
et sa considération pour la science et ceux qui s’y adon
nent. Ce fait me rappelle les vers du poète
« Si vous êtes mis pour quelque chose sur le même
pied qu’un inférieur, il n’y a pas de quoi vous fâcher.
« On voit bien, parmi les animaux, la réunion forcée
d’Aristote et du chien qui mord. »
On peut constater la question de cette conjonction dans
la science des Ma uni au chapitre concernant le fa.yl et le
.OHaA’
Le parc Bn Dris inspira un poème suivant à Abû
‘Abdallah Akensoùs (Dieu lui fasse miséricorde !).
Cette annéelà (1271), une épidémie se déclara dans le
Maghrib, caractérisée par une forte diarrhée, accompagnée
de douleurs dans le ventre et les jambes, et suivie de cour
bature et de frissons. Le teint du malade devenait ensuite
noir. S’il pouvait rester ainsi plus de 2/i heures, il était le
plus souvent sauvé, sinon c’était la mort. Le shaykh de la
confrérie, ill~aû `~lLdalluli SI<li \Lohammecl l:llaei°itd lJtte
confrérie, Abû ‘Abdallah Sùli Muhammad Elharràq Ette
tàouni, mourut de cette maladie, et sa mort mit un terme
à l’épidémie à Tétouan. Le 15 doùlqa’da, il mourut à
Salé 120 personnes; ce fut ce jourla que trépassa le gou
verneur de la ville, Abû ‘Abdallah Muhammad hen
‘Abdelhâdi Znîbér.
Eu 1272, le khalifa Sidi Muhammad beu ‘Abd Ar-Rahmân
s’occupa des ‘Arab-s Elkhlof, qui, depuis le règne d’Elman
soùr Essa’di, étaient au nombre des tribus soumises aux
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ARCHIVES MAROCAINES
contributions, ot les réincorpora dans l’armée régulière.
Se dévouant à leurs intérêts, il les transporta dans les
territoires des Sefiân et des lieni Màlék ot dans les envi
rons d’Elarêich. Il les fit résider aussi à Zeggola et à
l’Wad Mékkès, dans le gouvernement de Miknâs, les
habilla et leur alloua une solde. Mais, deux ou trois ans
après, le désordre éclata parmi eux.
En 1273, il vint du Sultan (Dieu lui fasse miséri
corde !) une lettre où il disait, après la formule d’intro
duction
« A notre Serviteur agréé, le tâlëb Wbdcraziz MahBûba.
Dieu vous protège
« Le salut soit sur vous, ainsi que la miséricorde de,
Dieu et ses bénédictions
« Ensuite
« Au reçu de cette lettre, désignez de suite vingt jeunes
gens intelligents pour étudier la science de l’art-illerie.
Cherchez, pour les instruire, un ou deux maîtres habiles
parmi les art-illeurs de votre ville. Ils devront commencer
dès maintenant leur instruction. Ils apprendront d’abord
les préliminaires, puis ils s’exerceront jusqu’à ce qu’ils
soient à même de commencer à étudier le tir du canon et
du mortier, et continueront tant qu’ils ne seront pas ins
truits, habiles dans leur métier et capables de servir. Nous
demandons à Dieu de les aider et de nous permettre de
subvenir aux dépenses qui leur seront nécessaires. Ces
vingt élèves viendront en supplément des art-illeurs déjà
présents de votre ville.
« Nous ordonnons aux OAmânû de leur servir, à titre
d’encouragement, une solde de 15 oqhjas par mois et par
homme. Nous donnerons une augmentation à ceux qui se
distingueront et surpasseront leurs camarades. Nous
ordonnons également aux Oumanâ de payer à leurs ins
tructeurs une somme de 30 ocjiijas par homme et par mois,
en supplément de leur solde ordinaire.
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DYNASTIE ALAOUIIî DU MAROC
« Occupez-vous activement de ces jeunes Nous
avons écrit mie lettre identique aux ‘âmil-s des autres
poi’ts; nous apprécierons ainsi ceux (lui manifesteront le
plus (le zèle et d’activité.
« Salut.
« Le 20 doùlqa’da de l’année, 1273″. »
Cette annéelà, Lui traité fut conclu entre le Sultan et les
Anglais il est divisé en deux parties. L’une, qui contient
15 articles, se rapporte au commerce et fixe les droits
d’exportation et d’importation qui ne doivent être payés
sur les diverses marchandises que du plein gré du négo
ciant. et l’autre, qui renferme 38 articles, a trait à la trêve
et stipule la sécurité et le respect des sujets des deux
parties en quelque endroit qu’ils se trouvent. Ce traité fut
négocié à Tanger par Abû ‘Abdallah Muhammad Elkhat.îb
Ettetâouni.
Le sultan Mawlay Abderrahmân envoie ses fils dans le Hejâz
ce qui leur arrive dans ce voyage’. 1.
En 1274, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) envoya
ses fils Mawlay ‘Ali, Mawlay Brâhîm, Mawlay ‘Abdallah,
Mawlay Ja’iar, et leur cousin, Mawlay Boù Bkeur bn
‘Abdelouâhédbn Muhammad bn’Abdallâh, dansle Hejâz
pour y accomplir l’obligation du Hâjjage. Le Sultan
(Dieu lui fasse miséricorde !) prépara leur voyage dans de
bien meilleures conditions que celui de leurs frères qui
avaient effectué le Hâjjage avant eux, Sûs le rapport t
de l’argent, de leurs compagnons, de leurs bagages, de
leurs montures et de leurs nombreuses commodités. Il
expédia, par leur intermédiaire, des sommes considérables
aux chérîfs des deux sanctuaires et aux principaux savants
1. Texte arabe, IV’ partie, p. 206.
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ARCHIVES MAROCAINES
et habitants. Il envoya avec eux des négociants et des
Oumanâ en vue, connaissant Lien les coutumes des pays,
des régions et des peuples, comme Al-Hâjj Muhammad
bn Al-Hâjj Ahmad Erre/.îni Ettctâouni et Al-Hâjj Moham
med Bû Jenân Elbâroùdi Ettlemsâni, et, parmi un certain
nombre de fqîhs, changés de leur faire la lecture du Livre,
le qâdi de Miknâs, le fqih très docte Sîdi Al-Mahdi bn
Ettâléb bn Souda Elmourri ElFâsi et son frère, le fqîh
très docte Sîdi Ahmad bn Souda. Al-Hâjj ‘Abdelkerim
hen Al-Hâjj Ahmad Errezîni, frère d’Al-Hâjj Muhammad
que nous venons de nommer, m’a raconté que le sultan
Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde qui
venait de décider l’envoi de ses fils au Hejâz, avait fait
venir l’amin Al-Hâjj Muhammad, et, après lui avoir fait
diverses recommandations, lui avait déclaré que tout l’ar
gent destiné aux dépenses de ses fils provenait d’une
source entièrement licite, partie du revenu de ses im
meubles à Tàfîlêlt, et partie de divers autres revenus
légaux. Il ajouta « Conserve cet argent précieusement,
et serst’en avec générosité comme du sel dans la
nourriture. »
Au moment où ses fils furent sur le point de se séparer
de lui pour entreprendre leur voyage, le Sultan (Dieu lui
fasse miséricorde !) leur remit ses recommandations, dont
voici le texte
« Louange à Dieu seul,
« Dieu prie pour notre Seigneur et Maître Muhammad,
pour sa famille et ses compagnons.
« A mes fils ‘Abdallah, Brâhîm, ‘Ali, Bû Bkeur et
Ja ‘far.
« Dieu nous protège et vous protège pour agir Sûs son
obéissance, vous conserve, vous dirige et vous guide, et
qu’il soit avec vous en toutes circonstances
« Le salut soit sur vous, ainsi que la miséricorde du
TrèsHaut et ses bénédictions.
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DYNASTIE AI.AOU1E DU MAROC
« Ensuite
« Les enfants sont une portion de notre sang, le soutien.
des familles, les fruits des cœurs et leur consolation. Les
pères doivent donc être pour eux le ciel qui donne de
l’ombre et le nuage bienfaisant. Les meilleurs des pères
pour leurs fils sont ceux que leur affection n’entraîne pas
à les léser dans leurs droits, et les meilleurs des fils pour
leurs pères sont ceux que leur négligence n’amène pas à
la désobéissance et à l’insoumission. Le Prophète (Dieu
prie pour lui et lui donne le salut!) a dit Les enfants sont
des myrtes du Paradis. Un poète a dit aussi « Nos enfants
« au milieu de nous ne sont pas autre chose que nos cœurs
« qui marchent sur la terre quand le vent souffle sur l’un
« d’eux, nos yeux ne veulent pas se fermer. »
Or, la première chose qu’un père doit donner à son fils,
comme provision de route, est une recommandation qu’il
prendra comme guide et comme appui dans son voyage.
Sachez donc que nous vous envoyons faire le Hâjjage
à la maison sacrée de Dieu et visiter le tombeau de son
Prophète (sur lui soient la prière et le salut!). Nous vous
recommandons à Dieu qui ne perd jamais ce qui lui a été
confié. Rendez-vous bien compte du prix de ce voyage que
vous entreprenez appréciez la valeur de cette dévotion
que vous vous proposez, et allez à elle avec des intentions
pures, et avec l’espoir que Dieu TrèsHaut réalisera vos
désirs et vos vœux. Je vous recommande donc la crainte
de Dieu, dans votre for intérieur et en public, car la crainte
de Dieu est le meilleur viatique. Je vous rappelle aussi les
recommandations d’Abraham à ses fils « 0 nos fils, leur
« disait-il, Dieu vous a choisi la Religion ne mourez qu’en
« Musulmans », et les exhortations de Loqmân à son fils
« 0 mon fils, lui disait-il, n’attribue aucun associé à Dieu
« c’est une grande injustice. 0 mon fils, fais la prière, invite
« à faire le bien et détourne du mal. etc. » Veuillez-vous
du bien les uns aux autres, et encouragez-vous réciproque
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ARCHIVES MAROCAINES
nient à la patience et à la compassion. Notre frère Mawlay
‘Abdallah est votre aîné respectez ses avis, car l’âge
donne droit à la priorité.
« Depuis que nous avons décidé de vous faire partir pour
ce voyage fortuné, nous nous sommes demandé qui nous
enverrions avec vous. Notre choix s’est porté sur notre
serviteur Al-Hâjj Muhammad Errezîni, parce que c’est un
homme excellent, en qui se trouvent réunies toutes les
qualités éparses chez d’autres. Comportez-vous visàvis
de lui comme si vous étiez ses enfants vertueux, et qu’il
soit pour vous un tendre père, comme a dit le poète
« Al)où Hasan ‘Ali était un père vertueux pour elle et
« nous étions des fils pour lui. »
« Nous lui avons ajoint Al-Hâjj lîoù Jcnân Elbâroûdi,
qui est un homme respectable, droit et de helle conduite.
Ils sont bons tous deux (Dieu soit loué!). Nous vous avons
honoré aussi de la compagnie du fqîh incomparable, le
savant universel Sidi Al-Mahdi bn Souda, qui sera accom
pagné de son frère dont la science s’ajoutera aussi à la
sienne. Remplissez visàvis de ces personnages les devoirs
qu’ils méritent et auxquels ils ont droit, car le Prophète y
invite il a posé les principes de l’éducation et de la poli
tesse en disant « Il n’y a personne parmi nous qui ne
« respecte le vieillard, qui ne soit indulgent pour l’enfant,
« et qui ne reconnaisse le mérite du savant. »
« Observez votre religion, occupez-vous de ce qui vous
convient et laissez de côté ce qui ne vous convient pas,
car le noble hadits dit que le mépris de ce qui ne le con
cerne pas est une des choses qui constituent le bon Islam
de l’homme. Appliquez-vous à vos études et ne perdez pas
votre temps dans l’oisiveté, surtout quand il s’agit de la
dévotion que vous allez accomplir. Dès maintenant, met
tez-vous tout entiers à l’étude des rites commencez par
les plus faciles, qui sont ceux du c( Mourchid il mou In »,
puis arrivez aux prescriptions plus larges et aux questions
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DYNASTIE ALAOLIIC DU MA1I0C
j)lus étendues. Lu fr/îh Sidi Elniehdi ne doit négliger aucun
ellbrt ni aucun conseil pour vous instruire et lire avec
vous. Fixez aussi un moment à passer avec son frère, qui
est. actuellement un des meilleurs lolba enseignants. Si
vous vous laissez aller a la négligence et à l’oisiveté, vous
n’aurez pas d’excuse.
« Tous les serviteurs et suivants qui partent avec
vous sont Sûs votre garde « Nous êtes tous des pas
teurs », dit le hadîls, « et vous ètes tous responsables
de votre troupeau». Enseignezleur les choses de leur
religion et les rites de leur Hâjjage, et tenezleur en
cela un langage qu’ils puissent comprendre, afin que
votre œuvre soit inscrite sur votre page. Le meilleur
parmi vous, dit le hcidits, est celui qui a appris et ensei
gné. Si Dieu conduit par vous dans la voie droite un seul
homme, c’est encore mieux pour vous que ce sur quoi le
soleil se lève.
« Que votre extérieur soit celui des gens vertueux et
parfaits, et soyez toujours polis avec les créatures et le
Créateur. Perfectionnez vos vertus soyez attables et aima
Lies dans vos rapports avec les gens, et rendez à chacun
ce qui lui est dû. On parle encore làbas de votre frère
Mawlay Slîman (Dieu le conserve !) et l’on fait encore des
vomx pour lui dans ces contrées chéri Tiennes, parce qu’on
se souvient de ses nombreuses qualités, de sa honte et
de sa douceur.
« Nous avons confiance que vous ne nous oublierez pas
dans vos prières dans tous les lieux saints où vous arri
verez, surtout à Elrnoultezém et au Maqâm, dans tous ces
points où les prières sont exaucées. Faites acte de péni
tence pour nous en haisant la pierre noire, en visitant le
tombeau du Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le
salut!), en le saluant et en saluant ses deux compagnons
Abû Bekr et ‘Omar (Dieu soit satisfait d’eux!).
« Soyez pleins de droiture dans toutes vos actions, pra
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ARCHIVES MAROCAINES
tiquez la bonne harmonie et l’amitié, ne vous laissez pas
aller à des disputes et au désaccord, combattez la passion,
la partialité et Satan qui sait imposer ses mauvaises inspi
rations dans les voies du bien, et soyez toujours en garde
contre lui, car Dieu a dit « Satan est un ennemi pour
« vous traitezle comme un ennemi. »
« Nous demandons à Dieu de vous conserver, de vous
donner la bonne santé, la paix et la tranquillité, a l’aller
et au retour, dans vos âmes, votre religion et vos biens
terrestres. Nous recommandons à Dieu votre religion et
les fins de vos œuvres.
« Rendez-vous lentement Sûs la garde de Dieu jusqu’à
Elqsar et reposez-vous là auprès d’Abonlhasan bn Gâléb.
Dieu vous fasse participer, ainsi que nous, à ses bénédic
tions, comme l’ont fait vos frères précédemment, car il
vaut mieux séjourner à Elqsar qu’à Tanger pour attendre
l’arrivée du bateau dont El khatib doit vous aviser en temps
opportun. Vous vous mettrez alors en route directement
pour Tanger, car nous avons écrit à ce sujet au tfileb
Muhammad Elkhatib.
« Communiquez la présente lettre à Al-Hâjj Muhammad
Errezîni, lorsque vous vous rencontrerez avec lui, s’il
plaît à Dieu.
« Sachez aussi que nous avons destiné à l’achat de fon
dations pieuses dans la voie de Dieu une somme de
20.000 douros 10.000 serviront à acheter un habous à la
Mekke et 10.000 à l’achat d’un autre habous dans la voie
de Dieu à Médine la lumineuse. Cette somme est com
prise dans l’argent remis pour les dépenses à Al-Hâjj
Muhammad Errezîni et à son compagnon. Nous espérons
que la récompense de cette œuvre ut-ile, s’il plaît à Dieu,
nous sera comptée.
« Salut.
« Le (i du mois glorifié de ramadan de l’année 127/j. »
AkenSûs dit « Ils s’embarquèrent à Tanger sur un
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
croiseur anglais. Arrivés à Alexandrie, ils furent reçus
avec une joie et une allégresse extrêmes, entourés de
tous les égards par le Possesseur de l’Egypte, qui leur
accorda une hospitalité dont la largeur surpasse toute des
cription. Il les installa dans le plus riche, le plus beau, le
plus magnifique et le plus agréable de ses palais, dans
lequel il avait fait préparer tout ce qui était nécessaire:
ustensiles d’argent et d’or, tapis de soie et de satin à ra
mages, et toutes sortes de choses précieuses surprenantes
Il leur fit donner des quantités magnifiques de toutes sortes
de mets et de boissons royaux en rapport avec leur rang. Il
leur permit de pénétrer dans tous les lieux qu’ils désirè
rent voir, édifices, fabriques, jardins et parcs royaux, dont
la vue frappe d’étonnement et dont la renommée s’est ré
pandue au loin. Ils virent ainsi des choses que la langue
ne saurait exprimer avec exactitude et qu’on n’aurait ja
mais cru la puissance humaine capahle de créer. Ils tra
versèrent ensuite la mer Rouge jusqu’à Jedda. Ils rem
plirent leurs obligations, exécutant toutes les prescrip
tions de la loi pure taouâf, sa’i, ouqoûfet\isile des lieux
bénis. Puis ils partirent pour accomplir l’acte le plus
grave et le plus élevé, l’extrême vœu des cœurs des
croyants, la visite à l’intercesseur des peuples dans le lieu
le plus vénérable. A la Mekke, ils avaient trouvé la mala
die et l’insalubrité. Un grand nombre de Hâjjs étran
gers avaient péri et, parmi eux, un certain nombre de
leurs serviteurs. Deux des enfants du sultan, Mawlay Brâ
hîm et Mawlay Ja’far, étaient morts, le premier à la Mekke,
le second àMédine.
« Dieu avait sauvé les autres, se montrant généreux en
vers eux et rehaussant leur rang. Hors de leur visite au
Seigneur de la terre et des cieux, ils furent accueillis par
la félicité dans ce lieu en comparaison duquel tout autre
lieu est si petit, et réalisèrent l’espoir qu’ils avaient conçu
de baiser la poussière du plus noble des sols et de la plus
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ARCHIVES MAROCAINES
généreuse des pierres. Ils donnèrent dos témoignages
d’une générosité inspirée par Dieu, et chacun d’eux obtint
ce qu’il avait espéré et désiré.
« Après cela, ils quittèrent Médine, re\ cinmt avec toutes
sortes du bienfaits et lavant de leurs pleurs la poussière
dont ils avaient couvert leurs visages en ces contrées. Mais
ils eurent à subir de pénibles difficultés du fait de la sau
vagerie des Arabes, au cours du chemin qui sépare Mé
dine de Venbo’. Il s’étaient séparés de la caravane des
Hâjjs au retour, et, sans la clémence divine, ils eussent
été exterminés jusqu’au dernier, car la façon dont ils sor
tirent de cette pénible situation fut surprenante. Leur sa
lut, en cette circonstance, pourrait être cité en exemple
aux hommes doués d’intelligence, car ils étaient comme
des gens qui seraient ressuscités après leur mort et leur
ensevelissement, et dont la vie et les traces auraient été
arrêtées. Grâces en soient rendues à Dieu qui ne viole pas
ses engagements et dont le respect ne saurait être atteint.
« En arrivant à Yenbo’,ils trouvèrent, les attendant, les
bateaux qui devaient les emporter, et s’embarquèrent,
poussés par les vents favorables, et assurés de tous les
gains du commerce et de la félicité.
« Arrivés près de Murrâkush, ombragés par la sécurité, les
étendards et les pavillons de la satisfaction déployés au
dessus d’eux, ils passèrent la nuit au pont de l’Wad Tân
sîft. Le lendemain, la cavalerie et l’infanterie du Sultan se
rendirent à leur rencontre, ainsi que toute la population
de Murrâkush, vêtue de ses plus beaux costumes. Le jour
de leur arrivée fut une journée célèbre et comptée parmi
les plus grandes fêtes. »
Le vendredi 27 moliarrem 1275, mourut le fqîh très
docte, l’unique, Abû ‘Abdallah Muhammad bn ‘Abder
rahmân Elfîlâli ElFâsi, qui était le savant, par excellence,
de Fâs et du Maghrib, et se distingua par l’excellence de
son enseignement et de ses rédactions, spécialement sur
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAnOC
le Moukhla.sar du cheikh Khelil. Sa mort fut pénible sur
tout pour les éliulinnls, car il ne laissa après lui personne
d’aussi fort que lui dans la rédaction des questions de ju
risprudence. (Dieu lui fasse miséricorde et nous le rende
ut-ile !)
Dans la nuit du G cha’bân de la même année, après le
deuxième ‘achû, il se produisit une légère secousse de
tremblement de terre.
Le cbouwà de cette annéelà, le guerrier de la foi
Abû Muhammad ‘Abdallah bon Muhammad bn Al-’Arbi
Feimîeh Esslàoui arriva au port de Salé, venant de Lon
dres, et ramenant un bateau chargé, où se trouvaient dix
sept canons, deux grands mortiers en bronze et de nom
breux instruments de guerre. Il était allé chercher tout
cela sur l’ordre du sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân pour ar
mer le nouveau bastion de Salé, dont nous avons précédem
ment parlé. Dieu sait quelle estla vérité
La même année, la comète apparut de nouveau, pour la
troisième fois durant cette période.
Mort du Amîr al-Mû’minîn, Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm
(Dieu lui fasse miséricorde I)1.
Le Amîr al-Mû’minîn, Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui
fasse miséricorde!), s’était rendu à Murrâkush au commen
cement de l’année 1270.
Dès son arrivée, il destitua le vizir Abû ‘Abdallah El
jàm’i et établit à sa place, pendant quelques jours, le fqth
Abû ‘Abdallah Garrît; puis il prit comme vizir le fqih
Abû ‘Abdallah Esseflar Ettelâouni. Il resta à MorrâUch
jusqu’à la lin de 1273. De là, il fil. une expédition contre
les Zemmoùr Echchleuh, assisté, comme d’habitude, par
1. Texte arabe, IV” partie, p. 209.
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AtlCIIlVES MAROCAINES
Je klialifa Sidi Muhammad. L’opération terminée, le kha
1 i l’a partit pour Murrâkush, tandis que le Sultan descendait
sur .Méknés où il établit sa résidence, n’en sortant que
pour combattre les Zemmoùr Eclichleuh. l’eutèlre, à un
certain moment, allat-il ù l;ès. Mais au commencement de
127(>, il fut atteint, de la maladie dont il devait mourir, et
qui débuta au moment où il était en lutte avec les Zem
moùr. Il partit alors pour Miknâs, et, la maladie ayant
suivi son cours, il mourut le lundi 29 moharrem 1276. Il
fut enterré entre les deux ‘achd, le premier soir de safar,
dans le mausolée du grand sultan Mawlay Ismà’il (Dieu
lui fasse miséricorde !).
J’avais composé, a ce sujet, une élégie, que j’ai oubliée
maintenant, et qui commençait par ces vers
« Estce à cause des fantômes du songe que ton cœur
est agité, que tes larmes coulent, que ta désolation per
siste ?
« T’ont-ils rappelé les peines profondes et multiples,
dont s’était ell’acée la trace devant des mérites dont la
grandeur surpassait encore ces chagrins ? »
Le fqili Abû ‘Abdallah Akensoùs composa aussi une
élégie sur ce sujet.
Fin de l’histoire du Amîr al-Mû’minîn Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân
sa conduite; les monuments élevés par lui K
Deux traits particuliers suffiront à celui qui lira l’his
toire de cet imam glorieux, magnanime et généreux, pour
apprécier ses mérites exceptionnels. L’un est l’hommage
rendu par son oncle le sultan Mawlay Slimân de sa piété,
sa justice, son amour du bien, ses œuvres surérogatoires
en lui donnant la préférence sur ses fils tout ceci a été
exposé déjà en détail. Le second est d’avoir restauré cette
noble dynastie, qui marchait à sa ruine et de lui avoir
1. Texte arabe, IV0 partie, p. 210.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MA1IOC
̃donné une nouvelle “jeunesse au moment où elle était sur
son déclin et prèle à disparaître;, ainsi <|u’on l’a vu égale
ment. C’est qu’en c (le t Mawlay Abderrabniân (Dieu lui
fasse miséricorde !) élait un second Mawlay Ismà’il. Après
le récit que nous avons donné des événements de son
règne, je ne pense pas que le lecteur puisse rien ignorer
de sa fermeté, de son énergie, de son intelligence par
faite, de la sagesse avec laquelle il traitait les alï’aircs, delà
façon dont il mettait toutes choses en place, de sa clair
voyance à en les causes et les conséquences, et de
son habileté à les conduire suivant leur cours régulier.
On a vu comme il fut frappé par les événements et sans
cesse accablé par les commotions, sans qu’il eut le plus
souvent un seul auxiliaire digne de mémoire, ni un seul
vizir qui mérite la considération. Malgré cela, il tint tète à
tout, trouvant des remèdes aux situations les plus douces
comme aux plus amères; il ramena le principe de la
royauté à son origine et rétablit sa puissance. Tout le
monde connaît aussi sa nature scrupuleuse, sa patience,
sa modestie, son entière aversion pour l’edusion du sang,
sauf dans les cas où la vérité était élablie au grand jour
et où la loi l’exigeait.
Les œuvres qu’il a laissées dans le Maghrib sont très
nombreuses. Ce sont d’abord les travaux par lesquels il
inaugura son règne en reconstruisant la partie démolie du
port de Tanger, qu’il rendit plus beau et plus solide qu’au
paravant, et pour lequel il dépensa des sommes impor
tantes. Puis ce fut la restauration du sanctuaire de Moù
lay Idris à Fâs, dont il construisit la mosquée, qu’il agran
dit et décora, comme on l’a vu précédemment. Ensuite, ce
furent, à Salé, les deux grands forts et les redoutes du
grand fort de cette ville qui font face à la mer, le grand
mûristûn du mausolée du shaykh Bn ‘Achér, le célèbre,
minaret de la grande mosquée, et le magasin à poudre
d’Elqolî’a, etc., et les redoutes du grand fort de liibât El
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ARCHIVES MAROCAINES
felh. Il construisit aussi aux abords de cette ville, pour sa
protection et pour la sécurité de ses roules, deux grandes
rj (isbas, celle d’Essekhiràt et celle de Hoù Znîqa grâce à
ces deux constructions, la tranquillité fut assurée, et la
libre circulation établie entre elles.
Il restaura les parties démolies des forts d’As-Swîra et
s’appliqua, par les sommes considérables qu’il dépensa
pour cela, à les rendre aussi solides et aussi puissantes
que possible. Les travaux qu’il lit exécuter n Morrûkch
furent le célèbre Agdûl, la rcédificalion de la mosquée
d’Elmansoùr, dont il ne restait plus que le nom, et qu’il
rétablit dans son état primitif, avec toulc sa majesté, son
étendue et la hauteur de ses constructions, deux restau
rations de la mosquée d’Elkoutbiyin, la réparation de la
(joubba du ehéïkh lîel ‘Abbâs Essebti (Dieu soit satisfait
de lui !), l’agrandissement de la mosquée du shaykh Abû
lshàq Elbell’iqi, dans le soùq Eddeqqâqin, la démolition
de la mosquée d’Elousti qui fut remplacée par un bel édi
fice d’une superbe apparence, la construction de la mos
quée d’Abû Hassoùn, où fut rétablie, comme autrefois,
la prière du vendredi, la reconstruction et l’agrandisse
ment de la mosquée d’Elqanâriya. A Fâs, il fit restaurer
le parc d’Amîna Elmeriniya. « Ce parc, dit Akensoùs, était
ahandonné les bétes sauvages en avaient fait leur ha
bitation, bien qu’il fut à la porte du palais du Sultan et au
cœur de la capitale. Du temps de la dynastie mérinide,
c’était un parc superbe, qui témoignait de son luxe et de
sa magnificence. Là se trouvaient leurs terrasses, leurs
pavillons très élevés et les lieux où ils se tenaient et qui
avaient vue sur les jardins d’Elmousfar/a. » « En résumé,
ajoute cet écrivain, ces jardins réalisaient toute la magni
ficence qu’on peut rêver dans ce bas monde c’était un
paradis dépassant les plus hautes limites de la beauté.
Mais l’action du temps avait fini par les ruiner et par effa
cer toutes les lettres des documents qui constituaient ses
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ARCH. MAROC. 14.
vestiges. Les rois qui ont précédé notre maître fortifié en
Dieu les avaient vus, sans être émus par leur état et sans
les sauver de l’abîme où ils se trouvaient, bien qu’ils fus
sent tous près d’eux et fissent partie de leurs palais. Dieu
inspira de la compassion pour eux à ce Sultan béni, qui
leur rendit l’existence qu’ils avaient perdue, et fit sortir
des ténèbres du néant leur vie éclatante.
Récit du règne du Amîr al-Mû’minîn Sîdi Muhammad bn
‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde!]1 1
Sidi Muhammad bn ‘Abd Ar-Rahmân bn Ilicliâm (Dieu
lui fasse miséricorde !), depuis qu’il avait grandi et était
devenu un jeune homme, avait joui de toute la faveur de
son père, qui le préférait à tous ses frères à cause de son
extrême piété filiale. Il se distinguait par son calme, sa
dignité, sa droiture, sa piété et ses autres belles qualités.
Désigné tout jeune encore par son père comme son kha
lifa, il avait exercé le pouvoir suivant les traditions les
plus pures, et l’on n’avait eu qu’à se louer de son admi
nistration.
Il avait donné de telles marques de son habileté et de sa
droiture que le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) lui
avait donné ses pleins pouvoirs et lui avait remis les rênes
de son gouvernement. Il ne lui cachait rien des affaires et
des charges du royaume. Aussi, même pendant le règne
de son père, entretint-il à son service un corps d’infante
rie et de cavalerie il organisa l’infanterie et s’occupa de
l’enrôlement des troupes régulières, avançant ou reculant
toute affaire, abaissant ou élevant, donnant ou retirant il
était, en quelque sorte, un roi indépendant. Si le Sultan
était à Murrâkush, Sîdi Muhammad était habituellement à
1. Texte arabe, IV partie, p. 211.
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ARCHIVES MAROCAINES
Fâs ou i’i Miknâs, ot réciproquement. C’estainsique lorsque
le Sultan (Dieu lui lasso miséricorde !) tomba malade àMék
nès de la maladiedont-ildevait mourir, Sidi Muhammad était
à Murrâkush. Il reçut, sans s’y attendre, des lettres de son
frère Mawlay El’abbâs et du vizir Abû ‘Abdallah Essef
fâr, lui annonçant que le Sultan était à l’article de la mort.
Accablé de tristesse, il quitta Murrâkush en toute hâte et
lit le voyage à étapes forcées, espérant trouver son père
en vie. Arrivé dans le pays des Serâjna, à deux étapes de
Murrâkush, il reçut la nouvelle de la mort du Sultan (Dieu
lui fasse miséricorde !). Ce fut lit que vintle trouver ensuite
la bay’a des habitants des deux capitales, Fâs et Miknâs, de
tout le cjiiéïck Elbokhàri, et de tous les arbitres des desti
nées du pays, les notables des tribus et des Derbers. Il
prononça la formule du retour à Dieu à l’occasion du mal
heur qui le frappait, et remercia Dieu d’avoir laissé entre
ses mains le commandement des Musulmans. Il écrivit la
nouvelle à Morràkcli en envoyant la bay’a qu’il avait reçue.
Les diverses classes de cette ville se réunirent à la mos
quée d’Elkoutbiyin, et en présence du gouverneur, qui
était, à cette époque, Abû Al-’Abbâs Ahmad bn ‘Omar
bn l>où Sel.ta, du qàïd du (juiieh EsSûsi de la qasba,
Abû Ishàq Bràhim bn Sa’id Eljeràoui, et des qâ’îd-s du
Hawz, parmi lesquels celui des Rhàmna, lecture fut don
née de la lettre du sultan Sîdi Muhammad bn ‘Abderrah
miui annonçant la mort de son père et sa proclamation par
la population. Les voix s’élevèrent pour pleurer le Sultan
qui était parti pour le monde des faveurs et de la miséri
corde, et pour acclamer celui que Dieu avait choisi pour
protéger son peuple. Les habitants de Murrâkush écrivirent
leur bay’a, qui fut rédigée par Abû ‘Abdallah AkenSûs,
le guéïeli EsSûsi et les gens du IIoùz firent de même, et
leurs députés se rendirent à Miknâs auprès du Sultan, pour
lui témoigner de leur obéissance et entrer dans la voie
déjà suivie par la communion des Musulmans. Le Sultan
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DYNASTIE ALAOUIK DU MAHOC
leur fit bon accueil, les reçut avec honneurs et les combla
de cadeaux.
Parmi les poèmes écrits pour le féliciter de son avène
ment, est celui de Abû ‘Abdallah Akensoùs.
Ce fut à cette époque que se manifesta Mawlay ‘Abder
rahmûn bn Slîmân bn .Muhammad. Il arriva très près de
l’ès pour réclamer le pouvoir. Quelquesuns de ses cou
sins, à Fâs et à Miknâs, lui avaient écrit, au moment, de
la mort du Sultan (Dieu lui lasse miséricorde!], pour le
pousser à venir; ils étaient de connivence avec quelques
‘Abicls d’Elbokhâri et quelques IJerbers des environs de
Miknâs. Quand il l’ut près de Fâs, le l’qih Abû ‘Abdallah
Muhammad ETarbi bn Klnioukhtâr Eljam’i, qui com
mandait alors les Cbràga de cette ville, sauva la situation
il invita les gens à la ferme lé et a la lidélité au Commandeur des
Croyants Sidi Muhammad hen Wbderrahmàn. Son alti
tude lit cesser l’eflervescence et mit un terme aux causes
qui l’avaient provoquée. Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Sli
mân renonça à son projet qu’il désespérait de pouvoir
réaliser, et se retira chez les lîerbers dans la Zâwiya d’El
‘ayyàchi, où il demeura jusqu’au jour où il tomba dans
l’oubli.
En se rendant de Murrâkush à Miknâs, le sultan Sidi
Muhammad (Dieu lui i’asse miséricorde !) passa par la
ville de Salé, et fixa son campement, à lias Elmâ, le 23 sai’ar
127(5. Dans l’aprèsmidi, il vint, accompagné de quelques
uns des personnages de son eulourage, visiter le shaykh
Abû Muhammad ‘Abdallah bn llassoùn et le shaykh
AbûTabbâs Ahmad bn ‘Aehér (Dieu soit satisfait d’eux!).
Il entra aussi dans le grand bastion, où il vit les canons
dressés sur des alluts de l’er, qui s’enfonçaient dans la
terre, quand on les traînait, à cause du poids du canon.
Il conseilla d’établir un sol en bois solide et bien monté,
de façon qu’on puisse les liainer sans difficulté. Ce travail
fut exécuté sur ses indications (Dieu lui fasse miséricorde !).
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ARCIIIVES MAROCAINES
Je le louai à cette occasion dans un poème, dont je ne me
rappelle que les deux vers suivants
« Les Alides réunissent tous les mérites il n’en est pas
« un d’entre eux qui n’arrive a l’apogée de la gloire.
« Mais le Amîr al-Mû’minîn Muhammad est comme la
« pleine lune dans les hauteurs du ciel, où brillentles deux
« étoiles voisines du pôle. »
Rupture de la paix avec les Espagnols, qui prennent Tétouan,
puis l’abandonnent causes de ces événements
Ce fut la cause suivante qui provoqua la rupture de la
paix avec la nation espagnole.
L’usage s’était établi entre les Chrétiens habitant Ceuta
et les Musulmans habitants de l’Anjera que chacun avait
choisi un emplacement pour la garde de sa frontière les
Chrétiens y établissaient de petites cabanes en planches, et
les Musulmans des chaumières en massette ou en maté
riaux du même genre. Or, à la fin du règne du sultan
Mawlay “Abderrahmân (Dieu lui fasse miséricorde !), les
Chrétiens de Ceuta élevèrent sur la frontière une maison
en pierre et en argile, et y placèrent le drapeau de leur roi
qu’ils appellent la « Corona ». Les gens de l’Anjera se
rendirent auprès d’eux, pour les inviter à démolir cette
maison, dont la construction était contraire à l’usage, et
revenir à l’ancien état de choses en n’établissant que des
baraques en bois. Les Chrétiens s’y étant refusés, les gens
de l’Anjera s’emparèrent de cette maison, la démolirent,
enlevèrent la « Corona » et la souillèrent d’excréments.
Ils tuèrent aussi quelques hommes, et traquèrent les habi
tants de Ceuta, qu’ils poursuivaient jusqu’aux murs de la
ville.
1. Texte arabe, IV” partie, p. 213.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
Les gens de Ceuta saisirent de cette affaire leur chef il
Tanger Celui-ci intervint à ce sujet auprès du représen
tant du Sultan en cette ville, qui était alors Abû ‘Abdallah
Muhammad bn Al-Hâjj ‘Abdallah Elkhatîb Elletâoimi,
et lui porta plainte contre les actes host-iles auxquels s’é
taient livrés des gens de l’Anjera contre la population de
Ceuta. Elkhatîb repoussa ses réclamations, mais Celui-ci,
insistant, exigea que douze individus de l’Anjera, dont il
donna les noms, fussent amenés à Tanger et mis à mort
en punition de leurs actes. Elkhatîb trouva cette exigence
exagérée. 11 s’adressa, diton, au Ministre d’Angleterre, qui
l’engagea à faire venir les inculpés pour sauver les appa
rences aux yeux des Puissances, et se fit fort d’obtenir
qu’il ne leur fût fait aucun mal, au cas où le bon droit des
Espagnols serait établi. Cette proposition plut à Elkhatib
qui résolut de la mettre à exécution. Mais les gens de
l’Anjera, ayant appris ce qui se passait, et qu’Elkhatîb
avait formé le projet d’écrire au Sultan pour lui signaler
ces douze individus, allèrent trouver le chérîf Sidi Al-Hâjj
‘Abclesselâm bn Al-’Arbi Elouazzâni, et lui dirent « Elkha
tîb trahit le Sultan et les Musulmans. il approuve tout ce que
les Chrétiens lui disent, et c’est lui qui les rend si audacieux
contre nous. Nous sommes venus te demander d’instruire
le Sultan de notre situation, afin qu’il nous fasse appuyer
par les trihus qui nous avoisinent nous nous chargerons
bien alors de le débarrasser de cet ennui. »
Sur ces entrefaites, le sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân
(Dieu lui fasse miséricorde !) mourut son fils Sîdi Moham
med lui succéda et, arrivé àMiknâs, reçut l’adhésion una
nime de la population du Maghrib. Le chérîf Sîdi Al-Hâjj
‘Abdesselàm lui écrivit au sujet des gens de l’Anjera et
lui exposa leur demande. Le Sultan consulta quelques per
sonnages de son entourage, qui penchèrent pour la guerre.
Le Sultan s’arrêta à cet avis, car il lui eût été pénible de
livrer à l’ennemi douze Musulmans pour satisfaire ses exi
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ARCHIVES MAROCAINES
gences importunes et son désir de les mettre à mort en
présence de tous les représentants des Puissances. 11
décida donc (Dieu lui fasse miséricorde !) de ne pas céder
à la demande de l’ennemi sans l’avoir combattue, Il ré
clama l’appui du TrèsHaut et envoya son serviteur Elhàdd j
Muhammad bn ElhiUlj Eltahar Ezzebdi Errebâti auprès
d’Elkhatib à Tanger, avec mission d’examiner l’ail’aire, de
chercher à découvrir la vérité et de ne consentir à la paix
que s’il ne trouvait pas de moyen de faire autrement. Il
ne manqua pas de prétendus donneurs de bons conseils
auprès du Sultan pour lui représenter l’ennemi comme
une quantité négligeable, ce qui est très impolitique,
même si l’ennemi est faihle et méprisable.
Arrivé à Tanger, Ezzebdi se mit en rapport avec ElUha
tib et s’entretint à fond avec lui de la question. Ce dernier
inclinait pour la paix, mais il refusa d’entrer avec lui dans
celte voie, et lui présenta la lettre du Sultan lui donnant
pleins pouvoirs pour traiter cette afl’aire. Elkhatîb se retira
donc, et cessa de parler et ([‘intriguer. A la fin, Ezzebdi
rompit les pourparlers avec le représentant de l’Espagne
sur une déclaration de guerre, et partit.
Les Espagnols amenèrent leur pavillon et s’embarquèrent
de suite pour leur pays. Ezzebdi écrivit la nouvelle au Sul
tan, qui annonça à tous les ports qu’il avait déclaré la guerre
aux Espagnols, et donna l’ordre aux habitants de se tenir
sur leurs gardes et de faire leurs préparatifs pour la guerre
sainte. Il ouvrit le Trésor, et distribua à plusieurs reprises
de l’argent, des armes et des costumes. Il commença par
envoyer à Tétouan le qàïd Elmâmoùn Ezzirâri avec une
centaine de cavaliers et 500 fantassins, qui établiraient leur
camp en dehors de la ville, du côté de Ceuta. Ensuite
l’armée espagnole, forte de près de 20.000 soldats bien
entraînés et solides, sortit de Ceuta et campa sur la bor
dure de la frontière, en dedans de son territoire c’était
un samedi, vers le milieu du mois de rabî’ Ier 1276.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
Les gens de l’Anjcrn et des tribus montagnardes voi
sines se levèrent pour se jetersur l’ennemi. De tous côtés
leur des gens qui avaient appris ces événe
ments ils formèrent un total de 5.000 hommes environ.
Ils marcheront tous contre l’ennemi et le combattirent
pendant une quinzaine de jours, lui infligeant chaque jour
des pertes doubles de celles des Musulmans. La tactique
de l’ennemi consistait, en effet, à s’avancer en ligne dé
ployée, tandis que celle des Musulmans consistait à le
charger en se portant en avant et en se retirant ensuite.
De cette façon il était inévitable que les pertes de l’ennemi
fussent plus nombreuses que celles des Musulmans. Seu
lement, ceux-ci n’arrivaient pas à le combattre dans son
camp, ni à le repousser, car il se fortifiait très puissam
ment au moyen de redoutes et de retranchements formés de
sacs de sable.
Quelque temps après, le Sultan (Dieu lui fasse miséri
corde !) expédia un escadron d’environ 500 cavaliers, com
mandé par son frère le fqîk très docte Mawlay El’abbâs.
Celui-ci campa d’abord à un endroit appelé Aïn Eddâlia,
près de Tanger. Au bout de quelques jours, il marcha
dans la direction de l’ennemi et s’établit au village d’El
bouyoût, dans l’Anjera.
La lutte continua encore dans les mêmes conditions
entre les Musulmans et les Chrétiens pendant une dizaine
de jours. Alors les Musulmans se portèrent sur un autre
point, nommé Boiî Kecldân, dans la crainte que l’ennemi
fit une sortie et les surprit. Mais ce fut ce qui enhardit
l’ennemi et lui montra que l’indolence régnait parmi eux.
On combattit encore là pendant près de quinze jours. Puis
un beau jour, l’ennemi, ayant réuni son infanterie et sa
cavalerie, vint attaquer les Musulmans et lança sur eux
toutes ses forces. Les Musulmans lui résistèrent et com
battirent avec fermeté ils le forcèrent à se replier en
arrière. Voyant que cette tentative avait échoué, l’ennemi
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ARCHIVES MAROCAINES
réunit toutes ses troupes pendant une nuit a l’insu des Mu
sulmans et les embarqua, pour les débarquer ensuite a un
endroit appelé Elfenîdaq, parce qu’il s’y trouvait un ancien
fondaq. Dans tous ses mouvements, l’ennemi n’abandon
nait jamais la côte, afin d’avoir ses derrières protégés par
ses bateaux de guerre. Le camp des Chrétiens se trouva
ainsi à une demiheure environ du fondaq. On conseilla
alors à Mawlay El’abbas de se reculer un peu, parce que
l’ennemi le serrait de près il emmena l’armée un peu
plus loin à l’endroit appelé Mejâz Elhesû. Cette manœuvre
ne fit qu’augmenter les convoitises de l’ennemi à l’égard
des Musulmans, et lui découvrir leur peu d’entente des
artifices de la guerre et leur manque de persévérance
dans la lutte.
Le général en chef de l’armée espagnole s’appelait
O’Donnell et son ministre et conseiller, Prim la reine
d’Espagne était alors Isabelle II.
Les Musulmans recommencèrent ensuite leurs attaques
contre l’ennemi et lui livrèrent de nouveaux combats, tou
jours dans les mêmes conditions que précédemment. Ils
allaient auprès de lui, à Elfenîdaq, et combattaient depuis
le matin jusqu’au soir ils lui infligeaient des pertes et
en subissaient aussi.
Pendant ce temps, des délégués, envoyés par la popula
tion de Tétouan, arrivaient auprès du Sultan (Dieu lui
fasse miséricorde), à Miknâs. Ils lui représentaient la situa
tion causée par l’ennemi comme très grave, et lui expri
maient leurs craintes touchant leurs biens et leurs enfants,
car ils s’étaient rendu compte que ses forces étaient consi
dérables. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) leur pro
mit de les aider, de les défendre et de ne rien leur refuser
ni en armes, ni en troupes, pour n’avoir rien à se reprocher
envers eux ni envers personne.
Au bout d’une dizaine de jours, l’ennemi quitta Elfenî
daq et marcha sur Tétouan. Jusquelà, on ne savait pas
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
quel était son plan quand il abandonna Elfenidaq, on sut
qu’il se dirigeait sur Tétouan. Il vint camper à l’endroit
appelé Ennégro et y demeura près de dix jours. La lutte
continua comme précédemment. Seulement, l’ennemi était
fortement approvisionné du côté de la terre et de la mer.
Il recevait de Ceuta tout ce dont il avait besoin pour sa
nourriture et celle des animaux, riz, orge, biscuits, etc., et
même il laissait derrière lui beaucoup de choses, dont se
nourrirent les malheureux de cette région, chaque fois
qu’il se déplaçait. C’était, d’ailleurs, une ruse de sa part
pour montrer sa force et son bienêtre.
Des volontaires de la campagne entraient isolément
pendant la nuit dans le camp de l’ennemi pour lui enlever
des mulets et des bœufs ils les amenaient le lendemain
matin à Tétouan et ailleurs. Les gens de peu d’esprit
approuvaient cette manière de faire et s’en réjouissaient:
ils trouvaient qu’ils avaient opéré quelque chose. Or, ce
résultat était négligeable en comparaison du territoire que
l’ennemi prenait, car il s’avançait toujours du côté des
Musulmans, tandis que ceux-ci reculaient.
En définitive, les Musulmans ne combattaient pas suivant
un plan déterminé et d’une façon régulière. Ils se battaient
pargroupes dispersés, et, lesoir venu, rentraient dans leurs
campements sans que le moment fût fixé, et sans ordres.
Aussi, une pareille manière de combattre ne pouvait amener
aucun profit. L’ennemi, au contraire, combattait en ligne
et suivant un ordre solide. Il s’attachait à gagner du ter
rain et considérait sa marche en avant et la retraite devant
lui des Musulmans qui lui tournaient le dos, comme une
défaite pour eux. Ibn Khaldoûn, dans son chapitre des
guerres, parlant de la façon de combattre des habitants
du Maghrib, qui est la charge suivie de retraite, dit « La
tactique suivie dans les troupes du khalife depuis leur créa
tion a toujours été de deux sortes la marche en avant en
lignes déployées et l’attaque suivie de la retraite. La pre_
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ARCHIVES MAROCAINES
mière façon est celle de tous les étrangers de diverses
souches, la seconde est celle des ‘Arab-s et des Berbers
qui habitent lcMaghrib. Le combat par la marche en avant
est plus sûr et plus énergique que celui (le l’attaque suivie
delà retraite les troupes sont formées en lignesdéployées,
alignées comme des verres ou comme les rangs des gens
qui font la prière, et marchant à l’ennemi en conservant
leur alignement, sans s’écarter ni à droite, ni a gauche.
C’est pourquoi elles sont plus solides au moment de l’at
taque, plus vigoureuses dans la lutte et plus impression
nantes pour l’ennemi. Elles se présentent, en ell’et, comme
un long mur et comme une forteresse solide qu’on n’a
pas envie de détruire. » D’autre part, on lit dans le Tenzll
que « Dieu aime ceux qui comhattent dans sa voie en for
mant une ligne semblable une construction bien cimen
tée ».
L’ennemi, continuant à s’avancer petit à petit, arriva à
une rivière appelée Wad Asmîr. 11 choisissait, pour ses
déplacements, le samedi, se basant, aton dit, sur une
raison astronomique. Quand il parvint à Asmîr, il souffla
un vent d’est violent, qui souleva la mer et, interrompant
ses communications par la côte avec ses bateaux, le priva
des provisions qui lui venaient par nier. L’eau de la mer
monta jusque dans l’Wad Ennégro, qui se trouvait der
rière lui, et le fit déborder: son approvisionnement par
Ceuta fut aussi interrompu. Enfin, la mer monta égale
ment dans l’Wad Asmîr, qui était devant l’ennemi, et
l’empêcha de le traverser, de sorte qu’il se trouva isolé
entre ces deux rivières, ayant la mer à sa gauche et ne
recevant plus de provisions. Un soldat espagnol a raconté
après cela, que la galeta, qui est un petit pain ressemblant
au biscuit, se vendait une peseta au commencement de la
journée, finit par se vendre le soir pour un douro, et que
même on n’en trouvait plus. L’ennemi aurait été certaine
ment anéanti, s’il s’était trouvé quelqu’un pour saisir cette
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DYNASTIE AI.AOUIE DU MAROC
occasion. Mais où étailil le bras puissant’ Cette situation
dura deux ou trois jours. Puis, la nier se calma, les deux
rivières se retirèrent, et les Espagnols reçurent des pro
visions. Voyant que l’ennemi était parvenu jusquelà, les
Musulmans se replièrent et s’établirent au village d’Elqal
làlin, ù la distance d’une demiheure environ de Télouan.
L’ennemi traversa la rivière à la fin de la nuit, et se trou
va, le matin, à un endroit appelé Elmediq.
Les volontaires arabes, durant cette période, étaient par
tagés entre deux sentiments. Les uns, qui étaient résolus
et pleins d’ardeur, disaient « Si l’ennemi n’était pas au mi
lieu des montagnes et fortifié dans ses cavernes, nous fe
rions ceci, nous ferions cela. » Les autres disaient « Pour
quoi iraisje me mettre dans cette houillie. Que les gens
de Tétouan se battent pour défendre leur Tétouan. Pour
moi, je ne bougerai que quand l’ennemi s’approchera de
moi, dans ma tente, en ‘Àfoda ou Doùkkala. » Tel était le
sens des propos qu’ils tenaient, comme s’ils s’étaient ima
ginés qu’il n’y avait aucune obligation à secourir les Mu
sulmans. Mais ceux qui combattirent vigoureusement,
qui se défendirent avec énergie et secoururent vraiment
l’Islam avec une foi entière et une ardeur sincère, furent
une troupe de jeunes Ahl Al-Fâs, un groupe d’habitants
de Zerhoûn et quelques gens des Aït Yimmoùr, en parti
culier l’un d’entre eux nommé Don Riyâla, qui se livra à
de nombreux exploits et donna des témoignages de valeur
comme il ne s’en produisit que du temps des Compagnons
(Dieu soit satisfait d’eux !). Des témoins oculaires ont rap
porté, et on l’a raconté bien souvent, que cet homme avait
comme signe distinctif un fanion jaune, qu’il tenait serré
contre sa poitrine et qu’il dirigeait du côté de l’ennemi. Il
chargeait ensuite la ligne espagnole, la traversait et, reve
nant par derrière, l’attaquait avec une extrême audace, puis
il recommençait. Il enlevait aussi les chevaux de l’ennemi,
les conduisait par leurs licols et les remettait à nos com
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ARCHIVES MAKOCAINKS
pariions. Quand il marchait vers l’ennemi, il tlisail aux
gens qui étaient autour de lui « Venez, je suis votre bou
clier, je suis votre muraille. » II répéta ces mots plus d’une
fois.
Arrivé à Elmedîq, 1 ennemi quitta le bord de la mer et
prit la direction de Tétouan. Il pénétra entre les deux mon
tagnes formant le col, ellrouva issue, du côté de Tétouan,
au lieu qui s’appelle Foumin El’clUq lu il vit quelques
tentes don! quelquesunes élaientà clés Ahl Al-Fâs; illes
attaqua, et tout en faisant battre le tambour, il lança sur
elles des boulets et des obus, d’une façon si imprévue
que quelquesuns de ces gens n’eurent pas le temps de
charger leurs bagages. L’arrivée de l’ennemi produisit à
Tétouan une émotion considérable. La population se dé
cida à résister sérieusement et à combattre; l’armée mu
sulmane s’excita au courage et, malgré la pluie abon
dante qui tomba ce jourlà, se battit vaillamment.
lioû Riyâla se distingua encore dans cette journéelà. Il
eut deux chevaux tués Sûs lui, Mawlay El’abbâs lui en
voya son propre cheval. Ce Commandeur, qui avait pour lui
beaucoup d’égards et lui témoignait une grande considé
ration, envoyait les tambours jouer devant sa tente. Bû
Riyala fut blessé légèrement, ce jourlà. Un grand nombre
de Musulmans et de Chrétiens furent tués des habitants
de Tétouan seulement, il mourut, diton, près de 500 hom
mes. Ce jourlà, la victoire resta à l’ennemi.
Le lendemain, les Espagnols quittèrent Foumin El’ol
liq et se dirigèrent sur la gauche du côté du port. Ils cam
pèrent là pour recevoir leurs provisions venant par mer,
s’emparèrent du borj de Martîl et de tout ce qui l’avoi
sinait, comme DârMartîl, qui était la douane. Dès leur ar
rivée, ils la fortifièrent avec des redoutes de sable et des
canons, y établirent des cabanes et des boutiques en plan
ches, et s’installèrent en toute sécurité, leurs bateaux al
lant et venant continuellement sur mer pour leur amener
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nYNASTIE ALAOUIE DU 51AR0C
dos vivres, des armes, des soldats eL tout ce dont ils avaient
besoin. Ils se reposèrent treize jours, sans qu’il v eùl un
seul combat.
Pendant ces jourslà, Mawlay Ahmad bn ‘Abdeirahmân
arriva, conduisant une armée envoyée de Miknâs par le
Sultan, et établit son campement à Fou mm Elguczéyira.
Quant à Mawlay ETabbâs, il était campé au village d’El
qallàlin, dans un endroit élevé dominant tous les envi
rons.
Après s’être reposé et remis son armée en ordre, l’en
nemi livra de nouveaux combats. Il quittait son camp, al
laitetvenaitautourdes deux mhallas, combattait, puis s’en
retournait. Prim marchait toujours en avant de ses trou
pes, monté sur un cheval blanc; il est célèbre chez les
Espagnols, qui le regardent comme un homme brave et
avisé.
Enfin, l’ennemi résolut de livrer une bataille définitive aux
Musulmans et d’attaquer Tétouan. Le samedi 11 rejeb 1276,
il leva son camp, se ramassa,se concentra et marcha au com
bat. Il Fit partir deux ailes de flanqueurs qui devaient mar
cher vers la ville l’une, formée de cavalerie, devait remon
ter le cours de la rivière, et l’autre, composée de fantassins,
devait suivre la forêt. Le gros de l’armée se mit en route
également, avançant petit à petit, lançant pendant ce temps
des boulets et des obus, et ayant ses canons traînés par
des mulets. Les deux ailes se déployant cernèrent la
mhalla de Mawlay Ahmad, et quand elles en furent si près,
qu’elles allaient se rencontrer pour l’écraser, tous ceux
qui s’y trouvaient prirent la fuite, abandonnant les tentes
et les bagages entre les mains de l’ennemi, qui s’en em
para. L’ennemi installa son armée dans ce camp qu’il forti
fia. Mawlay ETabbâs se replia avec son armée et alla
camper derrière la ville, qui resta entre lui et l’ennemi.
Dans sa retraite, il passa par Tétouan, qu’il traversa, un
mouchoir sur les yeux, pleurant de tristesse pour la reli
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ARCHIVES MAROCAINES
gion si peu défendue. Quand son camp fut éLabli, à la
tombée do la nuit, les habitants de Tétouan se rendirent
auprès de lui pour se plaindre du fléau qui allait les frap
per dans la présence de l’ennemi, et lui demandèrent l’au
torisation de transporter leurs ell’els, leurs biens et leurs
femmes dans les villages do la montagne et partout où ils
se Irouveraionl en sùrelé, avant que l’ennemi ne leur in
(ligeàt un malheur. Bien qu’il eut auparavant interdit aux
habilanls d’emmener leurs biens cl leurs femmes, pour
empêcher une émeute des Musulmans qui entraînerait la
défaite, et pour que ceux-ci puissent lutter de tout cœur,
il Jour accorda celle autorisation, car, celle fois, l’ennemi
planait sur eux, et il ne lui fallait plus qu’un nouvel as
saut pour se trouver an milieu de la ville. En ett’et, quand
l’ennemi avait établi son camp ce soirlà à FUmm Elgue
zéyira, il avait lance sur Télouan quatre boulets qui étaient
tombes au centre de la ville, comme pour annoncer aux
habitants qu’il les dominait et qu’il ne lui restait plus
rien à faire pour être leur maître. Aussi, des qu’ils enten
dirent la réponse de .Mawlay El’abbàs, ces gens partirent
en toute hâte pour emporter leurs biens. Alors, le tumulte
éclnla dans la ville; les gens policés et les gens grossiers
étaient pèlemèle, la populace se livra au pillage et la po
puiation abdiqua toute pudeur. Les gens du Jebel qui
étaient là, les ‘Arab-s et les vauriens se mirent à enfoncer
les portes des maisons et des boutiques. Et ceux qui en
traient en ville étaient plus nombreux que ceux qui en
sortaient. Ce trouble dura toute la nuit jusqu’au matin.
Lorsque le jour parut, et que les visages purent se voir,
on ne se contenta plus de piller, on se tua pour le butin
une vingtaine de personnes périrent dans l’intérieur de
la ville. Le désordre était à son comble. Ell’rayés, ceux qui
restaient à Tétouan parce qu’ils ne pouvaient pas fuir se
réunirent autour d’Ell.uidj Ahmad hen ‘Ali Ab’îr, origi
naire de Tanger et fixé à Tétouan, et délibérèrent sur le
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DYXASTIE ALAOUIK DU MAROC
fléau qui les frappait. Ils furent tous d’avis d’écrire au
chef de l’ai’iuéo ennemie, O’Donnell, pour lui demander de
venir mettre un terme au désordre dans lequel ils se trou
vaient. Ils rédigèrent aussitôt une lettre, qu’un certain
nombre d’entre eux furent chargés de porter. Ils étaient
encore à une faible distance de la ville quand ils décou
vrirent les éclaireurs qui circulaient autour des murs et
veillaient sur leur campement. Ceux-ci coururent auprès
d’eux, leur firent bon visage et leur demandèrent pourquoi
ils étaient venus. Ils répondirent qu’ils étaient porteurs
d’une lettre pour O’Donnell. On les conduisit auprès de ce
dernier, qui les reçut aussi avec amabilité et contenle
menl, et leur oll’rit des douceurs, et leur dit entre autres
choses « Je vous ferai plus de bien que n’en ont fait les
Français aux habitants d’Alger et de Tlenisèn », c’estàdire
Je vous traiterai avec bienveillance. Or, il mentait (Dieu
l’abandonne !) car c’était là une de ces ruses par lesquelles
l’ennemi cherche à gagner les naïfs et corrompt la reli
gion. Quel bien, en eflct, les Français ont-ils fait aux gens
d’Alger et de Tlemsèn Ne voyonsnous pas qu’ils ont
perdu leur religion, que le mal les a envahis et vaincus,
que leurs enfants, sauf de rares exceptions, sont élevés
dans l’athéisme et l’infidélité, et que bientôt leurs succes
senrs auront tous suivi les traces de leurs prédécesseurs.
Dieu protège le peuple de l’Islam et brise, par sa puis
sance, la force des athées et des idolâtres L’ennemi ré
pondit par ces mois à la proposition que lui faisaient les
gens de Tétouan d’entrer dans leur ville « Aujourd’hui,
c’est dimanche, jour de fête des Chrétiens il ne m’est pas
permis de bouger d’ici, ni de faire aucun mouvement.
Mais demain, attendezmoi à 10 heures du malin. » Ils
retourneront vers leurs compatriotes, et leur firent part
de la réponse de l’ennemi. La situation dans la ville n’a
A’ait pas changé on continuait à briser les portes des bou
tiques, à démolir les maisons et le fort dévorait le faible.
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ARCHIVES MAROCAINES
La nuit du dimanche au lundi se passa de la même façon,
et, le matin, c’était encore la même chose.
Or, l’ennemi avait pris ses dispositions et était prêl. Il
se mit en route sur Tétouan. Son armée était divisée en
deux colonnes l’une, conduite pur O’Donnell, passa par
le cimetière, se dirigeant vers la porte de la ville qui
s’ouvre sur cet endroit, et l’autre monta dans la direction
de la qasba et du borj, de sorte qu’au moment où O’Don
nell arriva à la porte, l’antre colonne parvenait à la
qasba.
O’Donnell trouva la porte fermée. Les Musulmans qui
étaient en dedans lui ayant adressé la parole, il leur or
donna d’ouvrir la porte. Ceux-ci répondirent que les clefs
avaient été perdues dans l’émeute. Il les invita à briser les
serrures, ce qu’ils firent.
O’Donnell entra dans la ville avec les chefs de son ar
mée et se dirigea vers l’hôtel du gouvernement, où il
s’installa. Les autres chefs se dispersèrent dans la ville.
Ils étaient tous porteurs d’un papier indiquant les noms
des maisons où ils devaient loger, et chacun d’eux avait
celui où était inscrit le nom de la maison qu’il devait ha
biter. L’un demandait où était la maison d’Errezîni, l’autre
celle d’Elleblâdi, un troisième celle de Bn Elmufti, et
ainsi de suite ils connaissaient entièrement la ville avant
d’y entrer, et étaient au courant des maisons des notables
du pays. Ils se répandirent donc chacun dans la maison
qui lui avait été assignée.
L’autre corps, qui avait marché sur la qasba, avait éta
bli le long du mur des échelles en grosses cordes por
tant à leurs extrémités des crochets. Grâce à ces échelles,
les soldats grimpèrent bientôt audessus des murs et, arri
vés au haut du borj, hissèrent leur drapeau au bout du
mât après quoi, ils tirèrent un coup de canon en son hon
neur.
Au bruit du canon, les gens occupés à tuer et à piller
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DYNASTIE ALAOUIE Dl! JIVROC
ABCII. MAROC. 15
regardèrent du côte du borj. Dus c|ii’ils v virent flotter le
drapeau de l’ennemi, ils s’enfuirent sans plus faire al’.en
tion à ce <jni se passait, tels des autruches. Le pouvoir
appartient à Dieu Il n’y a de force et de puissance c[ii’en
Dieu Quel malheur pour la Religion et ses sectateurs
Une fois établi dans la ville, l’ennemi en détermina les
fonctionnaires. Jl fit cesser les actes de brigandage et
nomma, comme gouverneur des Musulmans, Al-Hâjj Mo
hammed Ab’il, dont nous avons déjà parlé.
L’entrée de l’ennemi dans Télouan et la prise de la
ville eurent lieu le lundi 13 rejéb 1276, vers 9 heures du
matin.
Le lettre délicat, le chérit’ Sidi Elmofadclal Al’ilâl a
pleuré cet événement dans un poème, où il dit
a Temps, dismoi pourquoi tu as brisé notre tranquil
lité, pourquoi tu l’as exposé aux malicieux, sans craindre
qu’on puisse te le reprocher.
« Tu as abaissé le rang d’une place qui était !e symbole
même de l’élévation, et tu l’as mise au pouvoir d’ennemis
qui ne valent même pas une rognure d’ongle.
« La Religion verse des larmes, semblables aux averses
que répand le nuage, sur ses mosquées où maintenant le
vin se vend en plein jour.
« Dans combien de mausolées de saints, d’où les mira
cles jettent des éclats, le moine n’at-il pas attaché sa croix
et sa bride
« Que de demeures de sharîfs et de savants pleins de
droiture sont devenues les latrines d’infidèles qui n’ont
pas eu égard à leur vénérabilité
« Que de choses, que de choses encore, qui sont une
profanation pour la Religion, et qui font verser des larmes
de tristesse et de regret
« Tétouan, parmi toutes les villes, tu étais comme une
colombe, ou comme un prédicateur qui revêt son manteau
après avoir coiffé son turban.
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AnCUIYKS MAROCAINES
« Non, tu étais un parterre magnifique, dont souriaient
les fleurs écloses, lu étais comme le visage d’un fiancé dont
la joue porte un grain de beauté.
« Tu dépassais en éclat et en beauté Fâs, Le Caire et
Damas Un temps est venu qui t’a lancé le mauvais œil
« lit qui a dispersé tes habitants, dont il ne reste plus que
les traces. Comme le temps y était doux, comme la pas
sion v était délicieuse
« Nous y avons passé tant de temps en compagnie de
savants l’esprit délié et distingués, a réciter des poésies
et à composer des « séances ».
« Nous formions de nombreuses sociétés, car la gaieté
aime les réunions nombreuses.
« 0 la beauté de ses nuits ne passentelles pas comme
un rêve P
« O Tétouan, ô demeure de la compagnie agréable, pé
pinière des hommes courageux.
« Est-il un moyen de retourner à toi ? Notre séparation
dure depuis plus d’un an.
« Notre cœur s’est fondu de désir, d’ardeur et de fol
amour.
« La tristesse a desséché notre corps et presque rongé
nos os.
« Patience, gens de Tétouan rien n’est perpétuel.
« Une situation continue est impossible. L’ombre dure
telle toujours Il
« Si l’étoile du bonheur a disparu, et si celle du malheur
a brillé,
« Bientôt paraîtra la pleine lune, dont l’éclat dissipera
les ténèbres.
« Raffermissez-vous dans l’espérance.
« Ayez bon espoir, vous ferez votre salut dans ce bas
monde et au jour de la résurrection,
« Remettez votre sort entre les mains de Dieu, pour
qu’il écarte de nous sa vengeance.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
« Seuls échapperont les sages qui auront mis le bien en
avant
« Et qui sont satisfaits du lieu où Dieu les place, futce
même à Osai’ Ketama.
« Celui qui attend tranquillement ne trébuche pas, car
tout finit: il attend Dieu en secret et manifestement.
« Et il demande une bonne fin et l’entrée dans l’éternel
séjour. »
Quand O’Donnell eut établi des fonctionnaires à Tétouan,
il rentra à son camp et sépara son armée en deux corps,
qui devaient entourer la ville, l’un à l’est et l’autre à
l’ouest. Il y choisit aussi 10.000 hommes qu’il installa en
ville. Quant à lui, il resta en dehors des murs, dans l’un
des camps.
On dit que le jouroù il entra à Tétouan, il avait avec lui
70.000 hommes, tous combattants bien préparés et dispo
sant de toute leur force.
Après cela, il fit proclamer dans la ville, dans la crainte
que les Musulmans n’eussent creusé une mine, que quicon
que allumerait du feu serait condamné à une peine rigou
reuse. Pendant près de quatre jours, les habitants n’allu
mèrent pas de feu. Il fit proclamer aussi que les gens de
la ville qui avaient pris la fuite, et qui, dans un délai de
sept jours, ne seraient pas revenus auprès de leurs biens
et de leurs propriétés, en seraient dépouillés. Une des
premières opérations qu’il effectua fut d’enlever la poudre
et les canons des Musulmans qui se trouvaient dans la
ville. Il envoya les canons en Espagne et mit la poudre
dans le mausolée du protégé du TrèsHaut Sidi Essa’idi.
Il fit de même avec tous les engins de la guerre sainte.
Puis, il profana le mausolée de Sîdi ‘Abdallah Elbaqqâl
qu’il transforma en église, et emmagasina le riz et l’orge
dans la mosquée d’Elbacha, et les galettes dans celle de
la qasba.
Depuis lors, il traita les Musulmans avec égards et res
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AHCUIVKS MAROCAÎNKS
pool, saus leur faire subir d’humiliations, ni leur imposer
des corvées, ni leur réclamer de taxes. Il cherchait à se
les concilier par ce moyen, et, eliai|ue fois qu’il achelniL
quelque chose, pavait le double du prix.. Il en usa de
nièiuc avec les gens des villages qui entourent la ville. Il [
établit un marché au lieu appelé koudiat Elmelfa’, en
tlehors de Télouan, et quand les tribus du Jebel en con
nurent F existence, elles s empressèrent d’y venir do toutes
les directions. La population y lit de grands profils.
Dans la suite, O’Donnell envoya dans les tribus du Jebel
une lettre où il leur faisait des promesses très alléchantes,
si les gens de ces tribus venaient auprès de lui pour nouer
des relations commerciales, et où il leur faisait des me
naces dans le cas contraire. H vint alors des gens de par
tout. Le prix des denrées s’éleva et même atteignit plus
du double de ce qu’il était auparavant il n’a pas descendu
depuis.
O’Donnell s’occupa aussi de régler dans la ville ce qui
concerne les constructions et d’en adapter le plan aux habi
tudes suivies par les Chrétiens dans leurs villes. Il démolit
donc ce qui ne concordait pas avec ses idées, notamment
en séparant les maisons du mur de la ville, de telle sorte
qu’il ne resta plus une seule maison appuyée sur la mu
raille.
lise passa ainsi une vingtaine de jours.
Enfin O’Donncll entra en pourparlers avecMawlay El’ah
Ms au sujet de la paix la nouvelle s’en répandit et réjouit
aussi bien les Chrétiens que les Musulmans. Il est facile
de deviner les causes de la joie de ceux-ci. Les Chrétiens,
quoique victorieux, n’avaient pas obtenu ce résultat sans
difficulté Ils avaient eu un très grand nombre de tués,
beaucoup de blessés, et avaient eu à surmonter des ohs
tacles considérables. Le Très Haut dit « Si vous souffrez,
ils soufl’rent aussi comme vous, mais vous, vous avez en Dieu
des espérances qu’ils n’ont pas. » Il l’aut ajouter à cela
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DYNASTIE ALAOUIi: DU MAROC
l’abandon du pays ;hk|iic1 ils étaient accoutumés, cl dos
luibiluclos dans lesquelles ils avnienl été élevés, et penser
surtout (|uc, poui’ les simples soldats, leur mort assura la
victoire et que leur sang fut le prix du triomphe. «C’est
avec une tète de chameau, dit le proverbe, qu’on sauve le
sabot d’un cheval. » Un témoin oculaire m’a raconté que la
nouvelle d’une paix prochaine causa aux soldats chrétiens
une joie double de celle qu’elle procura aux Musulmans
ils allaient et venaient, auprès de ces derniers et leur de
mandaient à chaque instant des nouvelles. Dès qu’on leur
disait quelque chose ayant trait à la paix, ils bondissaient
d’allégresse. C’est que les Chrétiens combattaient tous à
contrecœur. Il n’était pas possible au fantassin de s’enfuir
pendant l’attaque au moment du combat, car il était poussé
par les cavaliers et les porteurs de sabres qui étaient der
rière lui s’il reculait et laissait un vide dans le rang, sa
tète tombait surlechamp. Sa mort était certaine s’il
s’enfuyait, et probable seulement s’il allait de l’avant il
préférait la probabilité à la certitude. Cependant, si la
guerre avait été plus acharnée, si la fournaise avait été
cliauflee, et qu’il y ait eu une mêlée, la fuite aurait été
possible, parce qu’alors chefs et subordonnés n’auraient
plus été occupés que d’euxmêmes. Mais c’est grâce à cette
discipline qu’ils ne subirent pas une seule défaite depuis
leur sortie de Ceuta.
En campagne, l’ennemi a l’habitude, quand il marche
au combat, d’emporter avec lui tout ce qui compose son
armée, comme s’il était en voyage. C’est ainsi qu’on voit
leurs soldats marcher au combat portant tout ce qui lui est
nécessaire eau, nourriture, poudre, plomb et même un
couteau, des ciseaux, un miroir, du savon, etc. Ils placent
le tout dans de jolis sacs, attachés sur eux, qui ne sont pas
trop lourds parce qu’ils ne contiennent de tous ces objets
que le strict nécessaire. Quant aux tentes, il suffit de trois
hommes pour en porter une de cette façon leur transport
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ARCHIVES MAROCAINKS
n’est pas gênant. Elles sont en ed’et aussi commodes et
aussi régulièrement confectionnées que possible, et les pi
quets sont légers et solides. Elles sont tout à fait suffisantes
et en même temps excessivement légères, de sorte qu’une
seule tente pliéc avec tous ses accessoires pourrait facile
ment être portée par un seul homme mais pour plus de
légèreté, et pour éviter de la peine si le voyage était long,
on la répartit entre trois personnes. Leurs canons sont
fixés solidement sur des chariots à roues évidées, et qui
sont traînés rapidement et avec adresse par des mulets
châtrés et sur lesquels sont placés des coll’res contenant
les munitions, poudre, plomb, boulets, etc. Les art-illeurs
s’asseoient sur ces caissons, tandis que tout autour se tien
nent d’autres soldats qui sont tout prêts à combattre.
Ensuite l’armée tout entière se met en marche dans cet
ordre en lignes déployées et s’avance petit à petit. Les files
se suivent comme les vagues de la mer. Le soleil fait
briller les shakos et luire ces têtes nombreuses et les
armes des hommes. Pendant ce temps, le tir des obus, des
boulets et de la mitraille est continu. Telle est invariable
ment la façon de combattre de l’ennemi. Le soir, ou lorsque
dans le jour il y a combat sur place, et qu’il ne veuille plus
avancer, il s’arrête dans le lieu où il se trouve et ne s’en
écarte que si toute son armée ou la majorité de son armée
est détruite. C’est cette discipline qui lui a valu la con
quête et le triomphe.
Les Musulmans, au contraire, se battaient sans disci
pline. Ceux qui combattaient étaient ceux qui voulaient
bien combattre et quand le chef de l’armée mettait de
l’ordre, c’est comme s’il n’y en avait pas, car n’allaient se
battre que ceux à qui il semblaitbond’y aller. Dieu dit cepen
dant lorsqu’ils se trouveront avec lui en ordre rassemblé,
ils ne pourront s’en aller sans qu’il les y ait autorisés.
Le combattant musulman va se battre sans rien avoir à
manger, ni à boire il faut bien, lorsqu’il a faim, ou soif,
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
qu’il s’en aille chercher de quoi se donner de la force. Les
Musulmans se battent sans former de lignes et sans ordre
ils se répandent dans les ravins, les lits des ruisseaux,
autour des arbres, s’y cachent pour combattre et ne
savent attaquer l’ennemi de front que par groupes isolés
et par acoups. Quand le soir arrive, ou quand le combat
a lieu sur place, chacun rentre dans sa tente qu’il a laissée
derrière lui, à une grande distance. Avec tout cela, ils
n’ont pas de chef qui leur indique ce qu’ils devraient
faire.
En résumé, les soldats de notre Maghrib, quand ils sont
au combat, qu’ils sont montés sur leurs chevaux, sont
maîtres de leurs mouvements aussi bien que le chef de
l’armée Celui-ci n’a pas la moindre autorité sur eux, et
s’ils se battent, c’est par une faveur de Dieu et par respect
pour leur chef, et encore ceci se présente rarement Nous
les avons mis à l’épreuve, et ce que nous disons s’est
vérifié. Ils abandonnèrent le sultan Mawlay Slîman la pre
mière fois dans l’affaire de “Zâyân, et la seconde fois dans
l’affaire des Shrârda. Quand le sultan Mawlay ‘Abder
rahmâu, pour lequel ils avaient cependant plus de respect,
et dont ils n’abandonnaient pas l’étrier, les envoya à Tlem
sên, ils se conduisirent comme on l’a vu, et revinrent à
leurs errements. L’affaire d’Isly, à laquelle ils prirent
part avec le khalîfa Sîdi Muhammad bn ‘Abderrahman,
fut, à cause d’eux, des plus étrangement honteuses. Et si,
dans la nuit d’Al-Hâjj ‘Abdelqâder, il ne s’était pas levé
pour empêcher les hommes de monter à cheval, ils auraient
recommencé.
C’est toutefois dans cette guerreci qu’ils se conduisirent
le mieux. Ils résistèrent à l’ennemi et, enfoncèrent plus
d’une fois ses rangs, mais ils montrèrent autant de désordre
que l’ennemi montrait de discipline, et le fait qu’ils
n’abordaient pas l’ennemi dans les conditions voulues
pour le combat, leur porta le plus grand préjudice et fit
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ATiCIlIVES JIAHOCAINES
remporter la victoire à l’ennemi. On sait que deux choses,
pour lutter l’une contre l’antre, doivent être semblables;
le mal ne peut être repoussé que par ce qui lui est con
traire, et l’incompatibilité n’est possible qu’entre deux
choses contraires ou entre deux choses semblables. Or,
notre guerre et celle des Espagnols étaient sans analogie
entre elles, et il ne peut y avoir incompatibilité entre
deux choses qui n’ont aucune analogie, comme l’établit
la philosophie. La véritable assistance n’est qu’entre les
mains de Dieu.
Mais revenons aux négociations entreprises pour la
paix.
Dès le début des pourparlers pour la paix, Mawlay El’ab
bàs (Dieu lui fasse miséricorde et O’Donuell se donnèrent
rendez-vous pour un jour déterminé à un endroit situé a
égale distance des deux campements. Ce jour arrivé, une
tente fut dressée sur l’emplacement fixé et Mawlay El’abbàs
s’y rendit avec un certain nombre de chefs de son armée,
parmi lesquels se trouvait Abû ‘Abdallah Elkliatib Ette
taouni. O’DonnelI y alla de son côté, accompagné égale
ment de quelques généraux de son armée avec lui était
aussi le moqaddèm des Musulmans de Tétouan, Al-Hâjj
Ahmad Ab’ir, qui espérait servir d’interprète entre les
deux généraux et gagner tout l’honneur de cette confé
rence. Mais ses espérances furent déçues, car, lorsque les
deux parties se rencontrèrent Sûs la tente, tout le monde
en demeura à une certaine distance, sauf Mawlay El’abbâs,
O’Donnell et Elkhatib qui seuls y pénétrèrent, à ce que
l’on dit. O’Donnell témoigna à Mawlay El’abbâs la plus
extrême politesse et la plus grande courtoisie. Après une
heure d’entretien, la réunion prit fin. On raconta alors
qu’il avait été question de la paix, qu’O’Donnell l’avait sol
licitée en même temps que l’affermissement des relations
entre les Espagnols et les Musulmans moyennant certaines
conditions qu’il avait indiquées, mais que Mawlay El’abbâs
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
avait refuse d’adhérer à ces conditions sans consulter son
frère le sultan Sidi Muhammad. Les généraux rentrèrent
chacun chez, eux, et tout le monde attendait, se demandant
quelle serait la réponse du Sultan. Peu de jours après, la
nouvelle arriva que le Sultan repoussait cette paix. Rien
ne l’ut changé la situation respective des deux camps.
L’armée ennemie resta partie à Télouan et partie à l’exté
rieur de la ville, a l’est et à l’ouest, et la m ha lia de Mo ù la y
El’abbàs demeura a environ une demi de distance
de la ville.
Un beau jour, il veut une concentration des Musulmans,
à la suite de laquelle ils marchèrent de nuitsur le campe
ment de l’ennemi fixé en dehors de la ville (c’était dans
les derniers jours de cha’bàn 1276) et l’attaquèrent. La
nuit était très noire et les Chrétiens étaient endormis. Les
Musulmans les surprirent et passèrent toute la nuit à les
tuer, et continuèrent le lendemain jusqu’au soir. Les Chré
tiens se défendirent aussi ce jourlà vigoureusement, mais
la victoire resta aux Musulmans. Si l’ennemi ne s’était pas
senti encouragé par la l’orce que lui donnait son appui sur
la ville et la présence de son chef à l’intérieur des murs,
il aurait subi une complète déroute. Dans cette affaire, il
y eut près de 500 Chrétiens tués et plus de 1.000 blessés.
Les Musulmans n’eurent, au contraire, que peu de tués.
Le lendemain matin, O’Donnell; voyant ce qui était
arrivé à son armée, se montra très sévère envers les
habitants de Tctouan et remplaça la bienveillance avec la
quelle il les traitait par la dureté, et la bonté par la rigueur.
Il profana la mosquée du shaykh Abûlhasan ‘Ali Barakât
(Dieu lui fasse miséricorde !) et en fit un hôpital pour ses
blessés, qui y furent transportés pendant la journée. Il
imposa aux habitants de la ville l’obligation de fournir des
couvertures et des tapis les gens de Tétouan lui en appor
tèrent une grande quantité, qui servirent à aménager cette
mosquée pour les blessés. Les soldats chrétiens qui étaient
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ARCHIVES MAROCAINES
à Tétouan se mirent à insulter et à maltraiter tous les
Musulmans qu’ils rencontraient.
Après s’être reposé pendant une dizaine de jours pour
reposer son armée et guérir ses Liesses, O’Donnell se mit
en route, avec des troupes solides et bien armées, vers
l’armée des Musulmans qu’il voulait attaquer. Il laissa
Tétouan derrière lui et s’avança jusqu’à l’Wad Boiï Sfiha.
Dès qu’ils le virent arriver, les gens des villages et les
volontaires se hâtèrent de courir sur lui. Ce jourlà, les
‘Arab-s Elhayâïna venaient d’arriver ils formaient un
groupe nombreux, animé d’une haine implacable, et leur
présence raffermit les cauirs. Les Musulmans marchèrent
sur l’ennemi et lui livrèrent combat à Boù Sfiha avant
qu’il eut pu atteindre la mhalla.
Ils le battirent et lui infligèrent une défaite qui fit ou
blier tous les événements antérieurs. Ils tuèrent un nom
bre incalculable de Chrétiens; quant au nombre des bles
sés, vous pouvez dire le chiffre que vous voudrez. Les
morts jonchaient le sol. Fatigué de les enterrer, l’ennemi
finit par les grouper par huit ou dix, sur lesquels il jeta
un peu de terre. Malgré cela, il en resta encore beau
coup qui ne purent être ensevelis, et le champ de bataille
était empesté de l’odeur des cadavres. Les Musulmans
remportèrent, ce jourlà, un succès sans précédent et sans
égal. Les ‘Arab-s Elhayaïna se distinguèrent particulière
ment dans cette journée ainsi que les volontaires.
La mhalla de Mawlay El’abbâs était très loin du champ
de bataille.
Manuel, qui a fait le récit de cette affaire, assure que le
sang des Chrétiens fut versé avec abondance et qu’ils per
dirent un grand nombre d’hommes et de chevaux.
Quand Mawlay El’abbâs apprit que l’ennemi était sorti
de Tétouan et que les Musulmans étaient en train de se
battre avec lui à Bû Sfiha, il changea d’opinion et se mit
à réfléchir sur les conséquences de. celte affaire. Il trouva
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
que les Musulmans auraient beau triompher de l’ennemi
et lui infliger une importante défaite, les résultats n’en se
raient pas moins liés minces, attendu que si nous faisions
du mal à l’ennemi en tuant et blessant ses soldats, l’en
nemi nous faisait du mal en prenant du territoire et en en
restant le maitre, ainsi que nous l’avons dit à plusieurs
reprises. Il se décida (Dieu lui fasse miséricorde !) pour la
paix qu’il préféra à la guerre, dans l’espoir que les Mu
sulmans auraient leur heure favorable, s’il plaît a Dieu.
Voici ce que m’a raconté, à ce sujet, mon ami le noble
qaïd Abû ‘Abdallah Muhammad heu Drîs bn Homniam
Eljerràvi (Dieu le conserve !) « Comme la guerre entre les
Musulmans et les Chrétiens se prolongeait au sujet de Té
touan, le sultan Sidi Muhammad bn ‘Abdallah (Dieu lui
fasse miséricorde!) me fit venir et me remit 60.000 mits
(jûls à porter à l’armée musulmane assiégeant Tétouan
pour subvenir à sa nourriture et à ses dépenses. Il me dit
en même temps: « Quand vous parviendrez à la mhalla des
« Musulmans, examinezla, rendez-vous compte de toutes
« leurs affaires, de la façon dont ils comhattent leur ennemi,
« s’ils observent en cela une discipline ou non, et s’ils sont
« pourvus de tout ce dont ils peuvent avoir besoin. Rensei
« gnez-vous à fond et rapportezmoi ensuite fidèlement ce
« qu’il en est. » Je partis donc. J’arrivai à la mhalla un jeudi.
Le lendemain matin, avait lieu le combat de Bon Sfiha.
Un émissaire vint avertir Mawlay El’abbâs que les Mu
sulmans étaient en train de se battre avec l’ennemi. Je
montai à cheval avec un certain nombre d’hommes et j’al
lai voir comment se comportaient les Musulmans et leurs
ennemis, ainsi que le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !)
me l’avait ordonné. Arrivé sur le champ où combattaient
les Musulmans, je les trouvai en train de chercher un en
droit pour y décharger leurs bagages et dresser leurs ten
tes, afin de ne se battre avec leur ennemi que lorsqu’ils
s’en seraient débarrassés. Ils décidèrent de fixer leur cam
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AHCHIVES MAROCAINES
peinent à Wad Agràz. Afais l’on iiotiii les on chassa à coups
de boulets et d’obus, cl s’avança en môme temps directe
ment vers eux. Ils renoncèrent il cet endroit et s’inslallè
rent à une autre place, où leurs tentes et leurs balayes
étaient en sûreté. Puis ils marchèrent contre l’ennemi et
le combattirent si vigoureusement qu’ils le forcèrent deux
ou trois fois jusqu’au lieu appelé Amsàl et lui tuèrent un
nombre d’hommes incalculable. Le gouverneur des Sol’iâii
et des Béni Malék, Ahoù Muhammad ‘Abdesselam bn Ab
dellcérim bn ‘Aouda Elhàrtsi, mourut pour la foi ce jour
là. L ennemi passa la nuit à Wad Agràz, où les Musul
mans avaient voulu camper, et l’armée des Musulmans
la passa à Elfenîdiq. Les volontaires se dispersèrent cha
cun de. leur côté, suivant leur habitude. Il pleuvait et il fai
sait très froid, et le temps ne me plaisait guère. Le len
demain, qui était un samedi, l’ennemi resta au camp et les
Musulmans firent de même. C’était, au contraire, le mo
ment pour eux de se hâter d’engager une seconde action,
de le terrasseret d’épuiser ses forces, pendant qu’il souf
frait encore de ses pertes, au lieu de le laisser se reposer
et reprendre de la vigueur. C’est ce que les Musulmans ne
firent pas.
« Ce jourlà, les pourparlers pour la paix reprirent. Les
deux généraux, celui des Musulmans et celui des Chré
tiens, la désiraient également. Ils étaient fatigués de la
campagne et las de combattre. Le lendemain, dimanche,
ils s’invitèrent à une conférence. Auparavant, l’ennemi leva
le camp, groupa ses forces et se retira rapidement, pour
montrer qu’il avait encore la force voulue pour se dispo
ser à combattre et à préparer une bataille, et que si la
paix n’était pas conclue, il était prêt à se battre. C’était
un stratagème de sa part.
« Enfin, Mawlay El’abbâs se rendit à la conférence, en
touré des chefs de l’armée, et O’Donnell s’approcha de lui
avec un certain nombre de ses compagnons. Il avait fait
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
dresser une petite tente où la conférence devait avoir lieu.
O’Donnell fit de nombreux pas en avant pour saluer Moù
lay El’abbâs et lui ténioigner de la politesse. Quand il
l’eut salué, ils revinrent ensemble à la tente l’interprète
et deux autres personnes assistèrent à la réunion. Ils con
clurent la paix, et, après avoir échangé leurs signatures,
se séparèrent. »
Ainsi unit la guerre entre les Musulmans et les Espa
gnols.
La nouvelle de la conclusion de la paix causa parmi l’ar
mée espagnole une joie sans exemple. Les soldats se mi
rent à crier El paz El paz c’estàdire la paix la paix
Ils l’entrèrent à Tétouan en chantant. Quand ils rencon
traient des Musulmans, ils leur témoignaient de la joie,
comme pour les féliciter de la paix.
La paix entre les Musulmans et les Espagnols fut conclue
moyennant diverses conditions le Sultan devait verser
20 millions de douros aux Espagnols, qui s’engageaient à
évacuer Tétouan et tout le territoire dont ils s’étaient em
parés entre cette ville et Ceuta, sauf une bande de terrain
destinée à étendre leur frontière.
La conclusion de la paix fut faite dans les derniers jours
de cha’ljàn 1276. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde!)
tarda à verser l’argent, et l’ennemi continua a occuper Té
touan en attendant le paiement. Une année après la paix,
il reçut 10 millions en acompte: il restait encore 10 mil
lions à payer. Il fut convenu que l’ennemi percevrait cette
somme sur les revenus des douanes du Maghrib. Des com
missaires espagnols s’installèrent donc dans les ports
pour encaisser tous les mois la moitié des entrées. Ils y
sont encore aujourd’hui. Dieu se chargera de résister à
leurs malices et à celles de tous les méchants. Après cet
accord, les Chrétiens livrèrent Tétouan aux Musulmans et
Pévacuèrent dans la matinée du vendredi 2 doùlqa’da i 278,
après y avoir séjourné deux ans et trois mois et demi.
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AHCHIVliS MAROCAINES
Celte afl\iire de Télouau a déterminé la chute du pres
tige du Maghrib et l’invasion du pays parles Chrétiens..Ja
mais pareil désastre ne s’était abattu sur les Musulmans,
les protections ont nngmenté et il en est résulté un mal
considérable. Demandons à Dieu de nous pardonner et
de nous accorder la tranquillité, dans la religion, dans ce
monde et dans l’autre
Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde après la fin de la
guerre de Tétouan, s’occupa activement de créer l’infante
rie régulière suivant l’organisation qui existe aujourd’hui.
Ce fut le premier souverain du Maghrib qui prit cette ini
tiative. Il avait déjà commencé du temps de son père
(Dieu lui fasse miséricorde !), à son retour de la campagne
d’Isly avec les Français. Il s’y appliqua désormais et réu
nit d’abord tout ce qui fut possible. Il établit ensuite les
taxes à payer aux portes et sur la vente des marchandises.
Il écrivit, à ce sujet, dans toutes les provinces. Voici le
texte de la lettre qu’il adressa à ce propos auxOumânadu
port d’Eddar Elbaïrlà
« Ensuite
« Nous avons entrepris de former une armée régulière
qui répond à un besoin évident et réel, et dont l’ut-ilité est
établie aux yeux de tous, grands et petits. Nous n’avons
encore réuni qu’un petit nombre d’hommes, et nous avons
constaté que les sommes dépensées pour eux dans un mois
formaient un total considérable. Que seraitce lorsque
nous aurions réuni un nombreux contingent répondant au
but proposé et susceptible d’aveugler les révoltés? Nous
avons décidé alors d’entretenir de cette question les négo
ciants notables, et de les inviter à examiner les moyens
propres à nous aider à subvenir à la solde des troupes qui
est indispensable, sans quoi l’organisation en vue de la
quelle ils ont été groupés n’existerait plus, et il en résul
terait des conséquences qui ne peuvent échapper à qui
conque possède un peu d’intelligence et aime la religion.
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DYNASTIE ALAOLIE DU MAF1OC
Ils ont conseillé d’imposer à la population une contribu
tion légère et en ont dressé les conditions dans un règle
ment. Cette contribution n’est, pour ainsi dire, rien en
comparaison de celles qu’ont imposées en pareille circons
tance les autres souverains pour être à même de faire face
aux besoins de leurs sujets. La nécessité a ses rigueurs:
c’est bien connu et reconnu, et écrit dans plus d’un ou
vrage. Nous avons décidé ensuite de confier cette ques
tion aux gens de science pour qu’ils expliquent a la popu
lation la sagesse de cette mesure, qui est de nature à ré
jouir les cœurs et à laquelle ils doivent se soumettre en
tout temps; d’ailleurs, presque tout le monde sait que la
population d’un pays ne peut prospérer que grâce à une
armée forte par Dieu, qu’il ne peut pas y avoir une armée
sans argent, et qu’on ne peut pas avoir d’argent sans la
population, mais dans des conditions qui ne lui portent
pas préjudice. Depuis quelque temps déjà, dans notre ca
pitale élevée en Dieu, à Miknâs, à Taza, aux DeuxRives
et à Murrâkush, on a commencé à se soumettre à cette con
tribution et on l’a fait d’une façon digne d’éloges. Nous
ne doutons pas que les habitants de cette ville ne soient
bénis dans leurs biens, dans leurs familles et dans leurs
personnes.
« En conséquence, au reçu de cette lettre, mettez-vous
résolument à percevoir cette contribution sur la popula
tion à la porte de la ville, dans les conditions stipulées par
le règlement précité. Les Chrétiens ne sont pas compris
dans cette mesure.
« Je demande à Dieu de bénir les Musulmans dans
leurs biens et de leur rendre ce qu’ils paieront. Ainsi
soit-il.
« Salut.
« Le 22 rejéb unique et sacré de l’année 1277. »
Comme nous sommes arrivés à parler de la création de
l’armée régulière et de son organisation, il est nécessaire
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AHC111VKS 5IAU0CAINKS
de traiter cette (juoslion ut-ilement par une élude profi
table.
Étude sur la création et l’organisation de l’armée régulière,
et sur certaines règles à observer en cette matière
L’Jmànt a le devoir de défendre le lerriloire de l’Islam,
de veiller sur ses sujets, de les préserver contre des
mains oppresseuses, de leur donner de bons conseils, et
de rechercher ce qui peut leur être nécessaire, et ut-ile dans
leur foi et dans leurs biens de ce monde, Il ne lui est
possible de remplir cette obligation que s’il possède une
armée forte et une puissance parfaite, qui lui permettent de
triompher de tous et de dompter tout le inonde. La créa
tion d’une armée régulière est donc nécessaire il faut,
en conséquence, que l’Imâin établisse un diouân où seront
inscrits les noms des soldats et où il sera inventorié leur
nombre, afin d’assurer la régularité et écarter la fraude.
Le premier Commandeur qui établit, le dîouân fut le Commandeur
des Croyants ‘Omar bn Elkhattâb (Dieu soit satisfait de
lui !) qui fit dresser par ‘Aqil bn Abî Tàleb, Makhraina
bn Naufcl, et Jobéïr bn Mout’im, secrétaires de la
tribu de Qoréïch, le dteuûn des soldats islamiques par
ordre de familles, en commençant par les proches du Pro
phète de Dieu (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !)
et en continuant par ceux; dont la parenté avec lui était
plus éloignée, et ainsi de suite.
L’Imam doit, sur cet exemple, inscrire d’une façon ré
gulière ses troupes dans un diouân où elles seront main
tenues, dans un registre qui les comprendra toutes. Il
convient, avant tout, qu’il possède entre ses mains un
grand dtoaûn, qui sera le registre original et qui contien
1. Texte arabe, 1V« parUe, p. 222.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ARCH. MAROC. 16
cira tous les noms des soldats présents ou absents, des
grands et des petits. Il établira ensuite des dtouûns par
tiels, affectés respectivement à une troupe spéciale, par
exemple à l’infanterie de l’imàm qui ne le quitte jamais,
ni en voyage, ni chez lui, i l’infanterie des ports et à celle
des forteresses, etc. Ces dlouâns partiels seraient comme
les branches du grand et seraient renouvelés chaque fois
que lesdites troupes seraient renouvelées, comme on le
verra plus loin. Un dîouân comprendrait des rehas, par
exemple, et chaque reha serait inscrit avec ses miyas, les
miyas avec leurs officiers, leur médecin et leur ‘ûlém char
gé de l’enseignement religieux.
L’auteur du Mesbûh Efsâri dit que le gouvernement ot
toman, à son début, maintenait au service pendant toute
leur existence les hommes incorporés dans le corps qui les
employait. Mais comme c’était une chose ardue, c’estàdire
qu’elle n’établissait pas l’égalité entre les sujets dans cette
importante question, il décida d’établir le tirage au sort
quinquennal entre les fils de tous ses sujets. Leur temps de
service terminé, ceux qui ont appris ce qu’il faut savoir
pour battre l’ennemi et sont en mesure de pratiquer l’atta
(lue et la défense sont libérés et retournent à leur gagne
pain, l’artisan à son métier et le négociant à son commerce.
Un autre contingent vient les remplacer, de sorte que tous
les sujets composent une armée capable d’attaquer et de
défendre lorsqu’on a besoin d’elle. Ceux qui ont fini leur
service sont classés pendant sept autres années dans les
rédifs (le mot rédî f signifie qu’ils forment une réserve pour
le gouvernement, qui s’en sert quand il en a besoin, dans
une affaire grave ou en cas de guerre générale, comme en
ont entre elles les Puissances étrangères). Au bout de ces
sept ans, ils sont définitivement libres pour toujours, et on
ne peut plus leur imposer d’expédition, sauf s’ils veulent
servir bénévolement. La durée totale du service militaire
dans l’armée active et dans les rèdîfs est de douze ans.
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ARCHIVES MAROCAINES
Les appelés au service militaire doivent, comme condi
tion, être âgés de vingt à vingtcinq ans s’ils sont plus
âgés ou pins jeunes, le gouvernement ne les accepte pas,
afin que tout se passe avec régularité. Il n’y a pas d’in
convénients, toutefois, si on le juge ut-ile, à reculer ou à
abaisser cette limite.
Pour le tirage au sort, qui doit avoir lieu tous les cinq
ans, comme nous l’avons dit, tous les jeunes gens ayant
cet âge dans une région, ceux de Murrâkush et de son obé
dience, par exemple, ceux de Fâs et de son obédience, (les
DeuxlUves et de leur obédience, devront se réunir à un
jour fixé de l’année qui ne pourra être ni devancé ni re
culé. Le représentant du Sultan, le cjûdi et les témoins se
ront présents, et on écrira sur autant de bulletins qu’il v
aura d’hommes présents: X. fils de X. âgé de. Si,
par exemple, ou a cent bulletins et qu’on ne veuille appe
ler au service que cinquante hommes, on prendra ceshul
letins les uns après les autres jusqu’à ce qu’on eu ait cin
quante. On les ouvrira, et tous ceux dont les noms y se
ront trouvés inscrits seront pris pour le service durant
cette période. Ceux qui ne seront pas atteints par le tirage
au sort retourneront chez eux, et s’ils dépassent l’âge fixé
pour le service militaire, c’estàdire vingtcinq ans, sans
avoir été touchés par le sort, ils passeront dans la catégo
rie des vêdîfs pour sept ans, comme nous l’avons vu. Ceux
qui auront été pris par le sort, et inscrits dans le dîouûn,
auront la faculté de rentrer chez eux, afin de régler leurs
afl’aires pendant vingt jours après quoi, ils se présente
ront à la caserne.
Ceux qui manqueraient à la convocation sans excuse va
lable seront inscrits d’office dans le diouûn, en diminu
tion du nombre original demandé, sans possibilité d’in
ter vention en leur faveur ni de rachat.
Le fils unique d’un père âgé, ou d’une veuve, etc., qui
n’a pas d’autre soutien, sera libéré, pour que ses parents
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ne soient pas abandonnés, mais après s’être présenté à la
réunion et avoir établi la preuve (le ses déclarations. Si.
deux frères sont atteints par le tirage au sort, l’un d’eux
seulement sera pris, l’autre sera renvoyé. Dans une fa
mille de quatre ou cinq (ils, dont trois au plus sont atteints
par le tirage au sort, deux seront retenus et les autres
renvoyés. Seront exemptés, ceux qui sont seuls dans leur
famille, les aveugles, les manchots, les boiteux, les bos
sus, ceux qui sont atteints d’inlirmilés chroniques ou pas
sagères, ceux qui sont trop maigres de corps et trop fai
bles de constitution et sont impropres au service militaire,
qui n’ont pas une bonne santé, etc. Seront exemptés éga
lement les tolba: ils devront toutefois comparaître et subir
un examen. S’ils sont reconnus méritants, ils seront lais
sés libres, car ils assument une charge qui est la plus im
portante de toutes. Mais ceux qui seront peu intelligents,
d’un esprit léger, donnant peu d’espoir d’ut-ilité, et pour
qui la qualiîé d’étudiants sera un simple déguisement,
seront compris dans le tirage au sort.
Le père de deux fils, dont l’un aura été atteint par le
sort, pourra, s’il le veut, le remplacer par l’autre, si tou
tefois Celui-ci remplit les conditions exigées pour le ser
vice. S’il veut le remplacer par un autre que son frère,
c’estàdire par un remplaçant payé ou par un esclave, il
devra, de plus, payer une somme d’argent fixe, pourvu
toutefois qu’il ne se dépouille pas pour cela et ne soit pas
obligé d’arrêter son commerce ou de vendre ses proprié
tés. Le remplaçant sera soumis aux conditions suivantes
1° Il sera exempt de toutes les infirmités précitées ‘2″ il
ne devra pas être de ceux qui ont terminé leur service de
cinq ans et sont classés dans les rédefs, sauf s’il a été
classé dans cette catégorie sans avoir été atteint par le
sort tant qu’il n’a pas dépassé l’âge lixé; 3° il devra appar
tenir à la même région que celui qu’il remplace, de sorte
qu’un homme de Murrâkush, par exemple, ne pourra pas
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ARCHIVES MAROCAINES
remplacer un liommc de Fâs, et réciproquement /|” il ne
devra pas être esclave noir, sauf s’il existe un corps spé
cial de noirs dans l’armée, auquel cas il sera afl’eclé à ce
corps, de sorte que le remplaçant pourra être un es
clave blanc; 5° il ne devra pas avoir été incorporé dans
l’armée, puis en être sorti pour une raison de santé ou de
conduite, comme une affection corporelle ou un délit infa
mant, vol, etc. 6″ le remplaçant ne pourra plus être pré
senté après un délai de trois mois, et en cas de désertion,
s’il ne se présente pas au bout d’un mois, celui qu’il rem
place sera pris à sa place.
Le recrutement militaire une fois réglé, on enseignera
tout d’abord aux hommes les connaissances indispensa
bles de leur religion, et cela d’une façon abrégée. Ils de
vront bien comprendre la façon de prononcer les deux
chahâda, et on leur en expliquera le sens en termes géné
raux, car la plupart des gens du commun, principalement
les gens de la campagne et des bourgs qui payent la nâïba,
ne connaissent pas les principes essentiels de leur re
ligion. On leur apprendra à faire l’ablution et la prière
qu’ils seront obligés de pratiquer. Tout homme qui ne
sera pas présent au moment de l’appel à la prière, qii i
ne répondra pas au son de la trompette, ou quand ïî
entendra un appel quelconque au culte de Dieu, sera sé
vèrement puni. C’est la première chose qu’ils apprendront
afin qu’ils puissent recueillir les grâces de la reli
gion.
On développera chez eux le zèle à protéger les Musul
mans. La création de cette armée n’a, en effet, pas d’autre
but que de conserver la religion si l’armée était la pre
mière à lui porter préjudice, elle ne pourrait pas la pro
téger contre des attaques et être ut-ile aux Musul
mans.
Après cela, on leur apprendra les choses qui dénotent
la grandeur d’âme et l’élévation des sentiments, comme la
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
décence, la dignité, la bonne tenue, l’abstention des mots
grossiers, le respect des grands et la bienveillance envers
les humbles. Ils devront savoir que la vertu la plus chère
à Dieu et aux hommes est l’amour zélé de la religion et
de la patrie, le dévouement et l’aflection pour le Sultan.
On leur dira, par exemple, que si l’étranger hérétique dé
fend avec ardeur sa religion mensongère, l’Arabe croyant
doit, à plus forte raison, défendre avec ardeur sa religion,
son gouvernement et sa patrie.
Il devra organiser une réunion quotidienne, dans la
quelle ils écouteront le récit de la vie du Prophète de Dieu
(Dieu prie pour lui et lui donne le salut !), de ses expédi
tions, de celles des khalifes orthodoxes et des ancêtres de
la nation, l’histoire des chefs, des sages et des poètes
arabes, de leurs actions et de leurs exploits. On choisira
les livres les mieux faits sur ces sujets, comme le Kitàb
Eliklifû de Abûrrabî’ Elkoulâ’i, le livre d’Ibn Ennahâs
sur le Jikâd, le Sirâj Elmouloûk, etc. Ce sera un moyen
d’affermir leur religion, de stimuler leur esprit, et de for
tifier leur affection pour la religion et ses adeptes.
On les engagera aussi à préserver leurs vêtements, ainsi
que leurs mains et leurs pieds, de la saleté et des taches,
qui indiquent une nature basse, dépourvue de virilité et
de dignité. On leur interdira également l’usage du tabac,
qui détruit la pureté au point de vue religieux et porte
préjudice aux convenances et à la bourse, sans profit.
Quand, au bout de six, dix mois au plus, ces principes
d’éducation leur auront été bien inculqués, ils commen
ceront à apprendre la stratégie et les choses de la
guerre. Un des points les plus importants auxquels on de
vra s’appliquer sera de ne pas les habituer aux coutumes
des étrangers, de ne pas adopter les usages de ces der
niers, dans les choses du métier, dans le langage, dans
les termes techniques, le salut, etc.
L’armée musulmane est, d’une façon générale, atteinte
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ARCHIVES MAROCAINES
par ce fléau des habitudes des étrangers. Les soldais veu
lent apprendre le métier des armes pour défendre la reli
gion, et ils la perdent en l’apprenant. Au bout de deux ou
trois ans, les fils de Musulmans deviennent des étrangers
qui ont adopté les habitudes des étrangers et leur main
tien extérieur, Ils ont même abandonné le salut prescrit
par le Qur’ân et saluent en portant la main derrière l’oreille.
Les instructeurs, dans leurs instructions, devront rempla
cer les termes techniques étrangers par des termes arabes,
en traduisant en arabe les mots étrangers. Quoique les
principes soient empruntés aux étrangers, les instructeurs
intelligents doivent s’efforcer de les arabiser. Ce n’est pas
difficile, d’ailleurs, pour celui à qui Dieu a donné ce don,
et il n’y a qu’à remplacer un mot étranger par un mot ar abe
9
On dira, par exemple, ç\ Amûm, i aX= Khalf,ïJ>\iDûïra,
fc/o i &*&> JYouss Dâïra, etc. Au bout d’un mois ou deux
d’exercice, ils trouveront ces termes plus faciles et les ai
meront davantage, car ils appartiendront à la langue dans
laquelle ils ont été élevés. Les manœuvres seront étran
gères et les mots qui les représentent seront arabes. Il n’y
a rien la de bien difficile, et ce sera un moyen d’empêcher
qu’ils ressemhlent aux étrangers, ce qui est interdit par
la loi, car l’adoption des manières étrangères n’est d’au
cun profit; c’est, aucontraire, tout ce qu’il y a de plus dan
gereux pour la religion que nous voulons fortifier par les
soldats. ‘Omar bn ‘Abdel’azîz a dit « Celui que la
sounna n’améliore pas, Dieu ne peut pas l’améliorer. »
Ensuite, la base de tout cela, son principe indispensable
son essence même sont que rien ne manque aux soldats
comme nourriture et comme vêtements. On choisira les
aliments les meilleurs et les plus sains pour le corps. On
leur donnera deux tenues, l’une pour l’hiver, l’autre pour
l’été.
On leur désignera les maisons et les chambres les méil
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DYNASTIE ALAOL’Ii: DU MAROC
leures, bien aérées et éloignées des endroits malsains. On
les forcera i s’appliquer an nelloyage et à l’aération de
leurs maisons, afin d’éviter que les maladies n’y éclatent.
Toute négligence dans cet ouvrage sera punie, parce
qu’elle indique une âme vulgaire, et la vulgarité des sen
timents ne produit rien.
Ou leur donnera des médecins experts, qui soigneront
immédiatement ceux qui tomberont Cette armée
devant la muraille de l’Islam, la haie qui protège la
religion, en la conservant, on conserve la religion, en pré
servant sa santé, on préserve la religion.
‘L’établissement d’une armée organisée de la façon que
nous avons exposée facilitera à la population l’entrée au
service militaire, et même la stimulera.
Celui qui possédera un dirhém voudra le partager avec
les soldats, et alors l’armée jouira d’une considération bien
plus grande que les sujets, puisque l’armée doit les pro
téger, et que les sujets possèdent et l’entretiennent.
Les soldats qui se distingueront par leur intelligence,
leur bravoure et leur dévouement dans le service impérial,
recevront de l’avancement, et leur nom sera élevé audes
sns du commun; on leur donnera ainsi le goût de leur si
tuation et on encouragera leur zèle. En même temps, leurs
camarades les aimeront et voudront aussi acquérir les qua
lités qui leur ont fait obtenir ce rang.
Que l’on juge par là de tout ce qui n’a pas été dit.
Dieu, dans sa bienveillance, conduit à ce qui est juste.
Mais revenons à l’histoire
Le mardi 21 doùlqa’dal277, mon père le fqih, le nirâbet
excellent, Abûlbaqâ Khâled bn Hammàd bn Muhammad
Elkébir Ennâsiri, mourut dans la tribu de Sefîàn, et fut en
seveli dans le mausolée du shaykh Bû Selhâm (Dieu soit
satisfait de lui!). C’était (Dieu lui fasse miséricorde!) un
homme scrupuleux, qui s’appliquait a ne manger que des
aliments licites avec une telle rigueur qu’il dépassa, en
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ARCHIVES MAROCAINES
cela, tous ses contemporains. Il était pieux et austère, et
avait de nombreux ouerds sa vie fut honorable et sérieuse.
Il connaissait à fond la jurisprudence et la vie du prophète,
et sa bénédiction était recherchée par les gens du com
mun (Dieu lui fasse miséricorde !) ainsi qu’à nous et à tous
les Musulmans.
Révolte et mise à mort d’Eljîlâni Erroûgui
Eljîlâni Erroûgui, qui appartenait aux ‘Arab-s Sefiân,
était un homme obscur et de basse condition. Il était ber
ger de son métier et s’adonnait aux autres travaux de ce
genre habituels aux gens de la campagne.
Quelque génie ou quelque satan s’était emparé de lui,
il se mit à tenir des propos insolites, et le peuple s’étant
mis à le suivre, il souleva la région de Koûrt. A la tête
d’un ramassis de mauvais sujets armés de bâtons et de
frondes, il alla assiéger le qâ’îd ‘Abdelkérim bn ‘Abdes
selâm bn ‘Oûda Elliârtsi Essefiâni dans sa maison. Le
siège dura depuis le dohr jusqu’au coucher du soleil. En
fin, la populace finit par envahir la maison du qâ’îd, le mit
à mort, tua un grand nombre de ses frères et de ses pa
rents, et mit au pillage tout ce qu’elle trouva dans cette
demeure où il y avait beaucoup d’argent et d’effets. Les
victimes restèrent sans sépulture dans la cour intérieure
de la maison pendant trois jours. Le peuple se révolta à
l’appel de ce Roûgui, à qui il attribuait des prodiges et
des miracles sans la moindre preuve. Il avait promis qu’il
s’emparerait du pouvoir et qu’il mettrait ses partisans en
possession de toutes les richesses qu’ils voudraient. Ce
soulèvement fit périr beaucoup de gens et occasionna des
pillages considérables. Il y eut un désordre épouvantable.
1. Texte arabe, IVe partie, p. 225.
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DYNASTIE ALAOUIE DU M.V11OC
On aurait peine à croire celui qui, ayant été, comme moi,
témoin de cette affaire, raconterait à quel point atteignait
la séduction que ce fou inspirait à la populace, la confiance
qu’elle avait en lui, et l’ignorance avec laquelle elle fit sa
situation.
Le sultan Sîdi Muhammad bn Abderrahmàn (Dieu lui
fasse miséricorde!) se trouvait alors à llibàt Al-Fath. Il
s’émut vivement de cette affaire, car Satan avait encore
augmenté les mensonges d’Erroùgui, qui s’étaient telle
ment répandus que les Chrétiens deTétouan, épouvantés,
s’imaginèrent qu’il fallait prendre la fuite. Le Sultan en
voya contre lui son frère Mawlay Errechîd. Quand il ap
prit sa venue, Errougui prédit à sa horde qu’il triomphe
rait de lui et que les chevaux du Sultan deviendraient leur
butin. Il leur dit de faire des chkîmas, c’estàdire des licols
en palmier nain, et de les tenir prêts pour les emmener.
Une troupe considérable de gens du commun, ceints de
cordes et de licols dissimulés Sûs leurs habits, se mirent
à suivre Erroùgui partout où il allait, attendant la réalisa
tion de ses promesses. Mais à mesure que Mawlay Erre
chid s’approchait, ses affaires commençaient à baisser et
son prestige à disparaître. Quand ce Commandeur fut près du u
marché d’Elarba’a, dans le pays de Séfiân, les chkâïmiya
s’approchèrent de la Mhalla et tournèrent autour en se
cachant dans les ravins, les lits de ruisseaux, et derrière
les collines, dans l’espoir qu’elle allait être mise en dé
route par un prodige de leur apôtre. Mawlay Errechîd, in
formé de leur cachette, envoya des cavaliers, qui les pri
rent tous les uns après les autres en moins d’une heure, et
les emmena avec lui à Ribât Al-Fath, où il restèrent empri
sonnés pendant un certain temps. Un très petit nombre
seulement avait pu s’échapper.
Quant à Erroùgui, il prit la direction du mont Zerhoiin
et pénétra dans le mausolée de Mawlay Idrîs s Elakbar (Dieu
soit satisfait de lui !). Un certain nombre de chérîfs Idrî
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ARCHIVES MAROCAINES
sis et ‘Alaouis se massèrent autour de lui, fermèrent les
portes de la qoubba, et un chérîl1 ‘Alaoui s’avança sur lui
et le tua, débarrassant ainsi la population de ce fléau. Les
chéiifs coupèrent sa lèle et ses mains, et les portèrent au
Sultan qui les envoya à Murrâkush, où elles furent exposées
à Jàina’ Elfenâ pendant quelque temps. La foule stupide
ne voulut pas croire à sa mort et attendit pendant deux ou
trois ans son retour. Celui que Dieu égare reste sans
guide.
Le meurtre d’Krroùgui eut lieu vers le milieu de
eha’bân 1278: cette allai te ne dura pas plus de trente
jours.
Voici une lettre que le Sultan écrivit à ce sujet:
«Ensuite:
« Un agitateur de Sefiân s’est écarté de la voie de la re
ligion et a soulevé par ses diableries des Musulmans qui
se sont laissés aveugler. Il a réuni autour de lui des mau
vais sujets de ses pareils, de ses frères et de ses sembla
bles. Il les a conduits à la maison de notre serviteur Bn
‘Oitda et ils l’ont tué.
« 11 les a conduits ensuite chez les Chevârda qui l’ont
battu, puis à la Zâwiya de Mawlay ldrîs. Les gens de cette
Zâwiya lui ont livré un combat agréable à Dieu et à son
Prophète, mais sans pouvoir le tuer. Puis ils l’ont empri
sonné, l’ont mis à mort et ont suspendu sa tête audessus
de la porte de la Zâwiya appelée Bâb Plliejar. Ensuite, ils
ont fermé la porte sur ses compagnons, ses auxiliaires et
partisans qui étaient entrés avec lui, les ont emprisonnés
et leur ont mis des claînes et des carcans.
« Nous avons l’intention de leur infliger, s’il plaît à Dieu,
un châtiment répondant aux crimes et aux actes honteux
qu’ils ont commis. Et alors ceux d’entre eux qui se seront,
à ce moment, mis hors la loi, tomberont Sûs le coup de
la justice et recueilleront les fruits de la révolte et de l’in
justice auxquelles ils ont travaillé. Ainsi, ils seront exter
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DYNAST1K ALAOL1K DU MAUOC
minés jusqu’au dernier. Louange eu soilà Dieu qui mérite
d’être loué et de qui vient toute faveur.
« Nous avons tenu à vous éclairer sur cette aHaire, dans
la crainte que quelques agitateurs ne vous le rapportent,
suivant leur habitude, Sûs un jour différent.
« Salut.
« Le 18 cha’bân glorifié de l’année 1278. »
Le sultan Sîdi Muhammad bn ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse
miséricorde I) châtie les ‘Arab-s Rhâmna1.
Au moment où le sultan Sidi Muhammad bn “Abder
rahmân (Dieu lui fasse miséricorde !) était, dans le Nord,
occupé à la guerre de Tétouan avec les Espagnols, les
‘Arab-s Rhâmna se révoltèrent dans le Hawz. Ils vinrent
jusqu’au Soùq Elkhamis de Murrâkush, l’envahirent, le
livrèrent au pillage, dévalisèrent les caravanes, les jardins,
et bloquèrent si étroitement les habitants de la ville qu’ils
les empêchèrent de s’approvisionner. Les communications
furent interceptées, et les denrées devinrent chères. Les
Rhâmna coupèrent même tous les arbres qui étaient autour
des murs de la ville pour faire du bois, moissonnèrent les
récoltes dans les champs et les emportèrent. Le siège
devint très rigoureux et les habitants furent abandonnés
par leurs auxiliaires. Il en fut ainsi jusqu’au moment où
le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !), ayant terminé la
guerre avec les Espagnols et mis fin à l’émeute d’Erroùgui,
se mit en route pour Murrâkush.
A son approche, les Rhàmna se coalisèrent pour lui
faire la guerre tous ensemble et se retirèrent dans la ré
gion d’Erremîla, d’Elaoudiya et de Zâwiyat Bn Sàsi, afin
de lui barrer la route et l’empêcher d’entrer à Morrdkch.
I. Texte arabe, IV’ partie, p. 22fi.
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AliClllVLS MAHOCAINliS
Mais le Sultan les attaqua et dirigea contre eux une poussée
si violente qu’une heure après ils étaient conduits à Mor
ràkch, attachés deux à deux, et que les prisons furent trop
petites pour les contenir. Et même si le Sultan n’avait
pas retenu ses troupes, elles les auraient complètement
anéantis. Peu après il leur pardonna, mais leur retira les
terrains d’Aït Sa’àda, de Gouatem et d’Elaoudiya, qui sont
excessivement fert-iles.
Le Sultan écrivit au sujet de cette affaire à son frère
Mawlay Errechîd. Sa lettre portait le grand sceau apposé
entre les invocations et le protocole. Sur ce sceau était
gravé, au centre
« Muhammad bn Wbderrahinân (Dieu lui pardonne !). »
Sur le pourtour
« Celui qui attend son secours du Prophète de Dieu, les
lions euxmêmes s’inclineront devant lui s’ils le rencon
trent dans leurs fourrés. Notre assistance ne peut venir
que de Dieu c’est en lui que j’ai mis ma confiance et c’est
à lui que je reviendrai. »
Et dans les angles
« Dieu, Muhammad, Abû Bekr, ‘Omar, ‘Uthmân, ‘Ali. »
Le texte de la formule du début était
« Louange à Dieu qui dans sa sollicitude a attribué à
son peuple la tranquillité de son pays et l’accomplissement
de ses désirs.
« Dieu prie sur notre Seigneur Muhammad, sur sa fa
mille et ses compagnons qui ont secouru la Religion de
leurs poitrines et de leurs lances, et ont éclairci les règles
de la sounna
« A notre frère chéri et dévoué, Mawlay Errechîd (Dieu
t’améliore et t’aide !).
« Le salut soit sur toi ainsi que la miséricorde du Très
Haut et ses bénédictions
« Ensuite
« Des nouvelles d’abord douteuses, puis certaines, et
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DYN.VSTIK .W..Y0U1E DU MAItOC
des informations trop précises pour que leur importance
soit mise en doute, nous étant successivement parvenues
des actes manifestes et notoires de corruption de toutes
sortes accomplis par los oppresseurs d’euxmêmes, les
Rhàmna, qui les méditaient depuis longtemps dans leurs
cttuirs, nous nous sommes rendus auprès d’eux, en faisant
les étapes doubles, et, arrivés sur leur territoire, nous
avons lâché sur eux le torrent bariolé des fantassins vic
torieux et des cavaliers nombreux, qui, en peu de temps,
nous ont apporté plusieurs de leurs tètes au bout de leurs
lances, et des prisonniers, faits parmi leurs guerriers et
dépouillés de leurs vêtements et de leurs armes, si bien
que ceux d’entre eux qui ont pu s’échapper ne s’en sont
retournés que vêtus de leur insuccès et abreuvés de la
coupe de leur iniquité. L’infanterie et le guéïch se sont
emparés de tout ce que possédaient les rebelles. On sait
que celui qui a tiré le glaive de l’iniquité, le voit se retour
ner contre lui pour l’égorger, que celui qui a trempé dans
les dissensions, périt englouti dans leurs abîmes, que la
révolte est un feu qui brûle celui qui l’allume et que l’in
soumission est un pacte qui perd celui qui l’a contracté.
« Lorsque nous avons voulu nous appliquer à les exter
miner et jeter aux vents les dernières cendres de leurs
traces, ils se sont accrochés à des marabouts influents,
ont égorgé de nombreuses victimes de tous côtés, et ont
fait appel à notre clémence. Ils ont alors effectué leur sou
mission en exécutant tous les ordres proportionnés à leurs
moyens que nous leur avons donnés. Nous leur avons
donc laissé la vie, car si le scorpion revient, nous retour
nerons à lui, avec l’aide de Dieu, mais en gardant toujours
notre semelle prête à l’écraser.
« Dieu soit loué Il a trompé leurs espérances, il a fait
avorter leurs agissements, il a inspiré la défection à leurs
auxiliaires, il les a arrêtés à temps après avoir aveuglé
leurs yeux, il leur a fait tourner les talons après les avoir
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dépouillés de louis biens el avoir tranché leurs tètes, tout
cela, parce qu’ils out voulu lenir tète à Dieu et à son Pro
phète. Or, celui qui se sépare <le Dieu et de son Prophète,
Dieu lui inflige uu châtiment sévère. Nous cherchons en
Dieu un abri contre les pensées tortueuses, les voluptés
à contresens, les crimes qui conduisent aux causes de
mort, et la malchance qui met le clairvoyant dans les
ténèbres de la nuit noire où il erre comme un aveugle.
« Vous recevrez les tètes qui ont été coupées sur les
cadavres des Rliàmna. ous les suspendrez à la porte de
la ville, pour qu’elles y servent d’enseignement et fixent
le souvenir.
« A Dieu je demande de ne pas nous abandonner à
nousmêmes en nous quittant des yeux un seul instant et
même moins, d’être pour nous et pour les Musulmans ce
qu’il est pour ses protégés, ses amis et les élus de son
choix, de nous soutenir ainsi que les Musulmans en vue
de ce qu’il aime et le satisfait, et nous accorder à tous une
Lonue fin.
« Salut.
« Mois sacré de doùlhedja 1278.
« Quand les têtes auront été exposées un jour, remettez
les aux porteurs, qui les conduiront à Miknâs. »
En 1279, notre professeur le i’qîh très docte et émérite
Abû ‘Abdallah Muhammad bn ‘Abdel’aziz MahBûba
Esslaoui partit pour le Hejàz, alin d’y accomplir l’obliga
tion du Hâjjage. Sa dernière heure sonna à Médine
l’anoblie quand il termina son Hâjjage et la visite des
lieux saints, et il fut enterré à Elma’là. Il avait une bonne
mémoire et une intelligence très vive. Il enseigna beau
coup, nota beaucoup et copia nombre de livres remar
quahles. Son style était clair et il avait une belle voix. Il
connaissait bien le hadits, qu’il lisait très fréquemment, la
grammaire, la jurisprudence et la musique instrumen
tale. Nous l’avons assidûment fréquenté, et nous en avons
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DYNASTIE ALAOLIE DU MMIOC
retiré do nombreux fruits, car nous avons participé sa
bénédiction. Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse par
liciper à ses mérites
J’avais composé a son sujet un poème élégiacjue, que
j’ai oublié comme toutes mes autres poésies, car je ne me
souciais pas de les écrire. 11 commençait ainsi
« L’évocation constante des chagrins emporte la rai
son. Elle rallume l’ancienne passion de l’homme éperdu
d’amour. »
En l’année 1280, le samedi lAcha’bân, il y eut une explo
sion de poudre à Murrâkush. Dans une des chambres d’un
fondaq situé à Jânia’ Elfenâ se trouvaient près de 400 quin
taux de poudre, ainsi que du « charbon de plume » pour la
fabrication de la poudre. Le feu prit dans cette pièce, se
communiqua à la poudre qui fit explosion au coucher du
soleil, au moment où il y avait beaucoup de gens autour
du fondaq. Ce bâtiment vola en éclats ainsi que tout ce
qu’il contenait, et tous les gens qui se trouvaient là furent
projetés en l’air. Il y avait, diton, trois cents personnes.
Il y en eut dont on ne trouva pas traces, d’autres dont on
ne retrouva qu’une partie, une main, une jambe, etc.
Toules les maisons de JMurrâkush furent démolies, les
cadenas furent arrachés des portes, les plafonds et les murs
se lézardèrent bref, ce fut une aïïaire épouvantable.
Cette annéelà, un Juif de Londres vint auprès du Sul
tan à Murrâkush, pour lui demander l’émancipation de ses
coreligionnaires du Maghrib. A la suite de l’affaire de
Tétouan, les protections avaient été, comme l’on sait, très
recherchées, et c’étaient surtout les Juifs qui les avaient
obtenues. Mais ce résultat ne leur suffisait pas, ils vou
laient être libres comme les Juifs d’Egypte ou des pays
similaires. Ils s’étaient donc adressé pour cela à un de
leurs coreligionnaires qui s’appelait Rothschild et qui était
le négociant juif le plus considérable de Londres c’était
le Qàroûn de son époque. Il était de plus en grande faveur
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ARCHIVES MAROCAIN ES
auprès du gouvornomeul. anglais qui avait besoin de lui.
car il lui prêtait beaucoup d’argent on cite à ce sujet des
faits célèbres sur son compte. Les Juifs du Maghrib lui écri
virent, donc, ou du moins quelquesuns d’entre eux, pour se
plaindre (le leur situation avilie et dégradante et lui deman
der de leur servir d’intermédiaire auprès du Sultan (Dieu
lui fasse miséricorde!) pour en obtenir leur émancipation.
Le Juif dont nous avons parlé, qui était son gendre, fut
désigné par lui pour se rendre auprès du Sultan (Dieu lui
fasse miséricorde et traiter celte all’aire ainsi que d’autres
moins importantes. Il le chargea d’apporter de très riches
présents. De plus, sur sademande, le gouvernement anglais
Intervint auprès du Sultan, pour le prier de lui donner
satisfaction. Cet envoyé vint donc auprès du Sultan à
Murrâkush, lui présenta ses cadeaux, et le pria de Sûscrire
à sa requête. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) eut
de la répugnance à le renvoyer avec un échec et lui accorda
un dahîr, dont le Juif se saisit, et qui contenait simple
ment les prescriptions de la Loi et les obligations stipulées
par Dieu de respecter envers les Juifs le pacte de protec
tion et de ne pas leur faire subir d’injustices ni de vexa
tions, mais il ne leur accorda pas, dans cet édit, une
liberté semblable à celle des Chrétiens. Voici le texte de
ce dahîr qui porte le grand sceau
« Au nom de Dieu le clément, le miséricordieux.
« II n’y a de force et de puissance qu’en Dieu, le grand,
le sublime.
« Nous ordonnons à tous nos serviteurs, aux gouver
neurs et à tous les fonctionnaires placés Sûs notre dépen
dance, qui liront la présente lettre (Dieu l’exalte, glorifie
l’ordre qu’elle contient, et élève jusqu’aux hauteurs célestes
son soleil et sa pleine lune brillants!) !) de traiter les Juifs
de tout notre Empire comme le prescrit Dieu, en leur appli
quant dans l’administration la balance de la justice et de
l’égalité entre eux et ceux qui ne sont pas Juifs, de sorte
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DYNASTIK ALAOUIIC DU MAROC
qu’aucun deux ne soit victime de la plus petite injustice
et ne soil l’objet, d’aucune mesure malveillante ni vexa
toire; ils ne commettront envers eux aucune injustice qui
les atteigne dans leur personne ou leurs Liens, et n’en
toléreront de. la part de personne, et ils ne devront employer
les artisans juifs que de leur plein gré, et à condition de
leur payer le salaire qu’ils auront gagné par leur travail.
L’injustice sera l’obscurité du jour de la résurrection, et
nous ne saluions l’admettre, ni l’approuver, ni en ce qui
les concerne, ni eu ce qui concerne d’autres qu’eux, car, à
nos yeux, etau point de vue de la justice, tous les hommes
son! égaux. Donc, nous punirons avec t’aide de Dieu qui
conque les opprimera ou sera injuste envers eux.
« La question que nous venons d’exposer d’une façon
claire et développée était déjà connue, établie et expliquée,
mais nous avons voulu l’exposer de nouveau par cet écrit,
qui t’établira avec plus de vigueur et servira d’avertisse
ment sévère? à ceux qui voudront, maltraiter les Juifs, afin
que les Juifs jouissent d’une plus grande sécurité, et que
ceux qui veulent les molester soient frappés d’une plus
grande crainte.
« Notre ordre élevé en Dieu à ce sujet a été édicté le
2(i du mois béni de cha’bàn de l’année 1280. »
Quand le Sultan eut remis cet ordre aux Juifs, ils en
prirent des copies, qu’ils envoyèrent à toutes les commu
nautés juives du Maghrib. Alors on les vit se livrer à l’op
pression et à l’arbitraire, car ils voulaient s’administrer
entre eux d’une façon spéciale, surtout ceux des ports, qui
prirent a ce sujet des engagements formels. Mais Dieu ne
tarda pas à détruire leurs ariilices et à faire avorter leurs
ellbrls, cardes que le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !)
comprit que c’était son tjahtr qui avait provoqué cet éga
rement des Juifs, il écrivit une autre lettre expliquant sa
pensée et déclarant que les recommandations qu’il avait
faites ne visaient que les Juifs respectables et les malheu
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AIICHIVKS MAROCAIN KS
rcnx occupés à gagner leur vie, mais que les mauvais
Slljolrï COllIlUS ])OUl’ ll’IIL1 injustice, leur l”l|)ilC’i lé, et U.MIIS
occupations louches, recevraient le cliàlimenl qu’ils au
raienl. mérité.
Au surplus, cette liberté ([ii’onl établie les Européens
dans ces dernières années est. l’œuvre absolue de, l’irréli
gion, car elle comporte la destruction complète des droits
•de Dieu, des droits des paren’s et des droits de l’huma
nité. Elle détruit les droits de Dieu, parce que Dieu a
édicté des peines connues contre celui qui ne pratique pas
la prière et le jeune, contre; celui qui boit des liqueurs
fermentées et contre l’adultère volontaire, et que la liberté
abolit ces peines comme on le sait. Elle détruit les droits
des parents, parce que les Chrétiens (Dieu les abandonne!)
disent que le jeune homme arrivé a sa majorité, la jeune
fille âgée de vingt ans, par exemple, peuvent faire de leur
personne ce qu’ils veulent, sans que leurs parents, sans
que leurs proches, ni l’autorité puissent rien sur eux: or,
nous savons que le père s’emporte contre son (ils ou sa
fille, quand il les voit se livrer à des actes qui portent at
teinte à la dignité et à l’honneur, surtout lorsqu’ils sont
de grande famille. Si ces choses se passent Sûs ses yeux
sans qu’il puisse l’aire la moindre observation, c’est l’en
couragement à la désobéissance et l’anéantissement du
respect auquel il a droit.
Elle détruit les droits de l’humanité, parce qu’en créant
l’homme, Dieu l’a gratifié et anobli par la raison qui l’em
pêche de tomber dans l’abjection, l’encourage à recher
cher les belles qualités, et le distingue des autres ani
maux. La base de la liberté chez les Chrétiens ne tient pas
compte de cela au contraire, il est permis à l’homme de
commettre, si bon lui semble, des actions contraires à la
nature et défendues par l’humanité, comme l’indécence et
l’adultère publics, etc., parce qu’il est son propre maître et
qu’aucun lien ne peut le retenir. Rien ne le distingue de
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DYNASTIK ALAOUIIC DU MAROC
la bête abandonnée, sauf sut” un point, qui est do ne pas
faire de tort à sou pareil, qu’il ne lui est pas permis d’op
primer. En dehors de cela, personne ne peut lui imposer
d’autre obligation. 11 est bien évident que c’est la des
Iruction de tout, car Dieu, qui est sage, n’a distingué
l’homme par la raison que pour lui imposer ces obliga
lions légales, qui sont la connaissance de son Créateur et
l’humiliation devant lui, que pour lui fournir un moyen
de conquérir un rang auprès de lui dans l’éternité.
La liberté légale est celle que Dieu a mentionnée dans
son livre, que le Prophète de Dieu (Dieu prie pour lui et
lui donne le salut!) a expliquée à son peuple et que les sa
vants (Dieu soit satisfait d’eux !) ont exposée dans leurs
livres au chapitre qui traite du^.«. Revoyez ce chapitre,
pénétrez-vous en, et vous serez dans la bonne voie avec le
secours de Dieu.
En 1281, fut terminée la construction du vaste palais que
le sultan Sùli Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde
avait fait édifier dans l’Agdâl de Ribal. Elfelh, auprès du
mausolée de son aïeul S ici i Muhammad bn ‘Abdallah. C’est
un vaste édifice bien bâti, où se trouvent de vastes salles et
appartements. On dit qu’il est comparable au BêdV d’El
mansoùr. Lorsque les travaux furent achevés, le Sultan
(Dieu lui fasse miséricorde !) ordonna aux docteurs de Ri
bàt Al-Fath d’y procéder à une lecture complète du Sahth
d’Elbokhàri, puis il donna le même ordre aux docteurs
de Salé, au nombre desquels je me trouvais. C’est ainsi
que j’ai pu voir les appartements de ce palais et ses salles,
et mes yeux se sont régalés de beauté, de solidité ét
d’art.
En 1282, une panique se produisit à Fâs au moment où
lesgensassistaient àla prière du vendredià la mosquéed’El
qarouiyîn, le 5 rabî’ I1″ Là se trouvait le négociant distin
gué Abû ‘Abdallah Habib bn Hachém bn Jelloùn El
Fâsi. Au moment où il se prosternait avec tout le monde,
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AnCHIVES MAROCAINES
un mauvais sujet, armé d’une des plus grosses pierres
d’ablution sèche de la mosquée, l’assomma, puis, prenant
un poignard, se précipita sur lui et lui coupa la peau du
ventre. Ce négociant bondit sur lui, niais ne lui restait
plus de force. Au bruit de ce vacarme, les gens interrom
pirent leur prière et sortirent de la mosquée, abandonnant
derrière eux leurs vêtements, leurs chaussures, leurs
moushal’s, etc. Les uns disaient que l’imam Elniehdi était
arrivé, les autres qu on s’entr’égorgcail dans la mosquée.
La ville tout entière fut en émoi, puis, au bout d’un ins
tant, les gens revinrent à la prière. Quant à l’assassin, il
sortit de la mosquée, son arme à la main, mais, à la porte,
la foule l’enveloppa, s’empara de lui, lui enleva l’arme de
la main, et releva ses vêlements il était complètement
couvert en desSûs de cordes enroulées autour de son
corps pour le proléger. On le mit à mort surlechamp. Le
négociant Bn Jelloùn continua à panser ses blessures,
mais il expira à la fin de la nuit. Sa famille accusa des no
tables de Fâs d’avoir inspiré son assassinat, mais ce ne fut
pas établi.
Cette annéelà, c’estàdire eu 1282. le Sultan (Dieu lui
fasse miséricorde !) envoya à Paris un des qaïds du guéïch,
A boii ‘Abdallah Muhammad bn ‘Abdelkéiîm Echchergui,
et le gouverneur de Salé, Abû ‘Abdallah Muhammad
bon Sa’îd Esslàoui, comme ambassadeurs auprès du gou
vernement français. Le q;Vi’d Abû ‘Abdallah bn Sa’îd m’a
raconté les motifs de cette ambassade.
« Notre Seigneur, le Amîr al-Mû’minîn, Sicli Moham
med bn ‘Abderrahniân (Dieu lui fasse miséricorde !) ,me
dit-il, nous avail chargés de remettre une lettre an despote
des Français et de nous entretenir avec lui de la question
de ces agents consulaires qu’il envoie au Maghrib, en lui
demandant de les choisir dans les familles des notables et
parmi les gens se distinguant par leur modération, leur
bonne conduite et leur réserve. Arrivés à Paris, nous ex
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DYNASTIE ALAOUIË DU MAROC
posâmes la question par écrit an despote, qui nous fit bon
accueil. Il nous fit une réception qui dépassa en amabilité
tout ce que je pourrais décrire. L’hospitalité que nousleur
donnons est, toutefois, grâce a Dieu, bien supérieure au
point de vue des dépenses. Nous avions emmené avec nous
des chevaux et d’autres présents. Nous restâmes à Paris un
mois. Nous demeurions dans une maison aménagée avec
une profusion de meubles et de lapis, et un atnin était char
gé de payer toutes les dépenses qu’il nous plaisait de l’aire.
Des domestiques s’occupaient du nettoyage de la maison,
des chambres, etc., et nos gens et notre cuisinier, que nous
avions fait venir avec nous, avaient leur local spécial.
« Tous les jours, le gouvernement nous invitait au spec
tacle, le soir, dans un endroit appelé Théâtre, où il y
avait des discours, des enseignements ut-iles pour ceux qui
savent comprendre et un plaisir intellectuel pour les spec
tateurs. Le despote nous donna une réception dans sa mai
son nous fûmes reçus de même le soir par les ministres,
le gouverneur de la ville, les principaux personnages qui
réunissaient, à cette occasion, les personnes notables du
gouvernement et de la ville, hommes et femmes. L’usage
chez eux, quand on entre dans une maison, est de saluer
d’abord la femme du maître du logis et les gens qui sont
avec elle, puis le maître de maison. Le despote et son mi
nistre des All’aires étrangères nous témoignèrent une ama
bilité et une courtoisie bien près d’être extrêmes. Le des
pote nous demanda notamment de chercher dans les
livres d’histoire du Maghrib si nous ne trouverions pas
l’histoire de la fondation de Rome, la date de cet événe
ment et le nom du fondateur, et de la lui envoyer. »
Voilà ce que m’a raconté ce gouverneur, qui est un de
hommes les plus parfaits, les plus justes et les plus pieux
que je connaisse il jouit d’ailleurs d’une grande considé
ration de la part du Sultan et de la population. Dieu pré
serve son prestige et lui accorde la paix et la santé
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AnCIIIVlïS MAROCAINES
Voici le texte de la lettre que le Sultan (Dieu lui fasse
îuiséi’icoi’cle !) leur avait remise, et qui ])orlaitsoii nom ins
crit clans le sceau sharîfien
« Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux.
« 11 n’y a de force et de puissance qu’eu Dieu le grand,,
le sublime.
« De la part du serviteur de Dieu, qui place sa confiance
en lui, qui met ses adaires entre les mains de Dieu, le
Amîr al-Mû’minîn, fils du Amîr al-Mû’minîn, fils du
Amîr al-Mû’minîn, fils du Amîr al-Mû’minîn de l’Ex
trêmeMaghrib, Muhammad, bn Abderrahmân (Dieu le pro
tège, lui perpétue son secours, et orne son règne de toutes
sortes de bienfaits).
« A l’ami qui est arrivé au glorieux faîte du pouvoir, qui
a réuni les marques les plus hautes comme les plus simples
de l’autorité, si bien que les autres Commandeurs n’ont qu’une
seule voix pour le célébrer, et pour reconnaître les heu
reux ouvrages de son intelligence, le roi du royaume de
France, l’empereur Napoléon III Bonaparte.
« Ensuite
« En vous écrivant cette lettre, nous nous sommes pro
posé de vous exprimer la sincère amitié et la fidèle affec
tion de notre cœur, en même temps que la joie que nous
causent les occasions qui se présentent à nous en tout
temps d’en resserrer les liens et s’offrent, à tout instant,
d’en fortifier les hases et d’en ouvrir les issues. Notre ami
tié personnelle pour vous dépasse celle qui existait du
temps de nos ancêtres, en raison de la sincérité et des bons
procédés que vous manifestez. Par l’affection, en efl’et, les
cœurs se vivifient l’un l’autre, et tout édifice élevé sur
une base solide ne peut que grandir et s’achever.
« C’est dans ces sentiments que nous avons désigné, pour
se rendre en ambassade auprès de vous, notre oncle agréé
et magnanime le qâ’îd Muhammad Echchergui, qui est bâ
cha de notre guéïch, et qui, tout en étant des grands per
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
sonnnges Je notre Empire, a l’honneur d’être notre parent.
Il sera accompagné de notre serviteur agréé, l’amin Elluulj
Muhammad .heu Sa’id, gouverneur de Salé, qui, par sa
politesse el son jugement solide, jouit, à nos yeux, d’une
grande considération. Le but de leur mission est de re
nouer les rapports avec vous et de maintenir avec vous
des relations ininterrompues, qui sont un nioven d’alï’er
mir les bases de l’amitié entre nos deux gouvernements
et d’aplanir la voie de la prospérité entre les deux pays.
Nous comptons sur votre générosité pour leur faire bon
accueil et leur concéder la réalisation des espérances fon
dées sur leur mission, suivant votre habitude ancienne
et les voies droites dans lesquelles vous marchez. Nous les
avons chai’gvs de vous exposer les questions politiques qui
nous préoccupent et qui touchent aux intérêts communs
des deux pays, et de vous soumettre nos propositions: nous
n’en disons pas plus long, puisque vous les entendrez. Nous
leur avons recommandé d’écouler attentivemenlccquevous
leur ferez savoir, et de se montrer courtois en recueillant
ce que vous leur exposerez. Nous ne doutons pas, confiants
que nous sommes dans vos bons procédés et dans votre
amitié, que vous ne recommandiez aux agents que vous
envoyez rem plir leurs fonctions dans notre Empire fortuné
d’entretenir de bons rapports avec nous, de s’efforcer
d’être conciliants, de se conformer aux traités, en en fai
sant la base de leur œuvre.
« Fini le 22 rabi’ 1er de l’année 1282. »
Cette lettre est remarquable par son début et étonnante
par son style. Elle contient des Sûsentendus, des finesses
et des phrases de circonstance qui indiquent un auteur
expérimenté, habile, pénétrant et clairvoyant (Dieu lui
fasse miséricorde !).
Au mois de chouwâl de la même année, le Sultan (Dieu
lui fasse miséricorde !) fut atteint d’une grave maladie qui
mit ses jours en danger. Des agitateurs ayant même fait
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ARCI1IVK.S MMIOCAIXKS
courir le bruit do sa mort. un grand trouble se manifesta
dans la population. Los ‘Arab-sdo la campagne recommen
cèrent à exercer loues brigandages sue les roules cl à dé
pouiller les voyageurs. Les ‘Arab-s ‘Àinée assiégèrent la
ville de Salé, dévalisèrent les jardins et interceptèrent
toutes communications avec l’extérieur on dut même fer
mer les portes. Cette situation dura jusqu’à la fête des Sa
crifices. On sut ensuite, d’une façon certaine, que le Sul
tan était sauvé et qu’il était guéri. Il avait été atleintd’une
angine qui avait failli être mortelle, mais Dieu, dans sa
bonté, protégea les Musulmans et rendit à leur Imam la
santé. Des fêtes et des festins furent célébrés dans toutes
les villes.
Abû ‘Abdallah Akeusoùs raconte qu’après la guérison
du Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) les chambellans et
les vizirs de Sa Majesté écrivirent à son fils, le khalifa qui
attend son secours de Dieu, Abû ‘Ali Mawlay Hlhasan bn
Muhammad, pour le féliciter du rétablissement de son père.
Ce khalifa (Dieu le glorifie ordonna de tirer des salves
d’art-illerie qui ébranlèrent les montagnes. Il invita en
suite (Dieu le fortifie!) la population à une fête brillante à
laquelle pas un seul habitant raisonnable de Murrâkush ne
manqua. Il avait fait aménager, pour cela, le Jenan Ri
douân « dont les portes furent ouvertes, les pavillons et
les salles meublés, et les eaux lâchées, ce qui fit éclore les
fleurs. Tous les hauts personnages du gouvernement et
les chefs des tribus s’y trouvèrent réunis. Cette réjouis
sance eut lieu après la fête des Sacrifices, au moment où
les députations venues pour y assister n’avaient pas en
core quitté la capitale. De la maison impériale furent ap
portés des « torrents » de tables portant des plats succu
lents, de quoi rassasier les uns et les autres, ceux-ci desti
nés aux gens du commun et aux humbles. Pour les hauts
personnages et les notables, ils furent l’objet des plus
grands égards, on leur souhaita la bienvenue, on les fit
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DYNASTIE ALA0UII3 I)U MAKOU
asseoir sur des éloll’es île soie brodées d ‘or, solis (tes
lentes élevées, on les aspergea d’eau de fleurs de Wahranger oL
on les parfuma de toutes sorles d<; part’iims la conversa
tion fut plaisante et la vue élonunnle. Chacun lit venir les
instruments do plaisir et de joie, suivant ses goûts et son
choix. Aussi, dans ces groupes assis, dans ces clm’urs,
on n’enlendail que le son des cordes des lulhs et tou
tes espèces de chants modulés et de chansons. Ces fêles
durèrent trois jouis, pendant lesquels le seigneur khalifa
(Dieu le glorifie !) ses frères et ses cousins se tenaient
dans la Qoubbat As-Swîra .Moliammédiya, pour assister
au spectacle des courses et des jeux à cheval, et de toutes
les évolutions équestres. Chaque soir. tous les notables et
les grands de la capitale montaient des chevaux de race,
des bêtes élancées, pour montrer leur habileté et leur
science équestre, et faire parade de leur« tenue makhzé
nienne » et de leur faste roval.
Puis les grands et les hauts personnages de l’Empire,
les qàïds et les chefs, se mirent à donner des festins et
des réceptions, chacun suivant son choix et sa situation.
Apres cela, la population continua ses réjouissances, ses
manifestations de luxe, ses plaisirs de toutes sortes on
ne pouvait plus passer devant un jardin sans y trouver une
réunion joyeuse ou un groupe en liesse.
En 1283, au mois de rabî’ I” correspondant au mois de
mars du calendrier étranger, les sauterelles envahirent le
Maghrib et couvrirent tout le pays elles dévorèrent les
herbes et les arbres. Après elles, ce furent leurs rejetons,
appelés amréd, qui mangèrent tout ce qui était vert sur le
sol, dépouillèrent les branches de leurs feuilles et même
de leur écorec. Ils entrèrent jusque dans les villes, où ils
pénétrèrent dans les maisons habitées.
En 128/j, les denrées atteignirent un prix sans précé
dent le rebl\ qui est le huitième du moadd, monta jus
qu’à 60 oqiyas à Salé et à Ribât Al-Fath. Tout était si cher que
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ARCHIVES MAROCAINES
les gens tliirenl vendre leurs ell’els et leurs bijoux à vil prix:
les pauvres l’tirenl hès malheureux.
An mois tlt1 doùlqa’da de In même année, mourut le
qâ’îd distinguo Abû .Muhammad ‘Abdallah bea ‘Abdelmâ
lék bn Jîîhi Elhâhi, c|iii <>taiL un des plus grands qâ’îd-sdu
Mag’rib, de qui l’on cite de nombreux traits de générosité
et de bienveillance (Dieu lui fasse miséricorde!).
En 1285, il régna dans le Maghrib une épidémie se ma
nifestant par des vomissements et de la diarrhée, à peu près
dans les conditions que nous avons exposées dans les épo
ques précédentes.
Dans l’aprèsmidi du 11 joumâda P1’, expira le cjûdi de
Salé, le fqïh très docte, le scrupuleux ÀBû Abdallah Mo
hammed Ël’ai’bi bn Ahmad bn Mansoùr, qui fut enterré
dans le cimetière cont.igu an mausolée du shaykh Abûl
‘abbâs bn ‘Acliér (Dieu soit satisfait de lui !). Ce magis
trat se distinguait par sa belle conduite, sa justice dans les
jugements qu’il rendait, sa prudence et en même temps
sa dignité et sa réserve (Dieu lui fasse miséricorde !). La
ville resta sans qâdi pendant quarante jours. Enfin, le
choix du Sultan se porta sur notre professeur, lefqîh très
docte, le qâdi Sidi Bû Bkeur, fils du fqîh très docte du
qâdi Sidi Muhammad ‘Àououâd (Dieu lui fasse miséri
corde !).
Cette annéelà, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !)
fit frapper des dirhëms légaux et tenta de réglementer la
monnaie par la circulation de ces pièces. Il exhorta la po
pulation à ne plus mentionner dans les opérations com
merciales, les contrats de mariage, dans tous leurs actes
enfin, que le dirham légal; il donna même, à ce sujet, des
instructions très sévères, et écrivit aux ‘âmil-s des
villes la lettre que voici
« Ensuite
« La question de la monnaie est une de celles qui méri
tent le plus d’attention, et dont il faut le plus se préoccu
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
per, car il faut examiner si ses efl’ets sont ut-iles ou nuisi
bles aux Musulmans et à leur Trésor. Nos ancêtres (Dieu
leur fasse miséricorde !) avaient beaucoup étudié ce sujet.
Pour retenir les avantages de la monnaie et écarter ses in
convénients, ils l’avaient fondée sur une unité légale fixe
ils avaient espéré la réglemenler par ce moyen, dont l’ori
gine ellemême devait être une source de bénédictions. Le
.Musulman, qui avait à payer sur cette base la zelcâls, qui
est une des obligations fondamentales de l’Islam, devait
savoir ainsi, d’une façon certaine, s’il avait entièrement
rempli ses obligations ou non, et il n’était plus possible de
lui chercher chicane.
« Mais nous avons constaté que des changements se sont
produits dans la monnaie, et que cette réglementation
n’existe plus. Il en est résulté pour les Musulmans et pour
leur Trésor un préjudice connu de tout le monde. Nous
avons donc décidé de ramener la monnaie à la hase primi
tive qui avait été établie par nos ancêtres généreux en 1180,
car ils nous ont donné un bel exemple que nous devons suivre
dans son ensemble et dans ses détails. Nous avons donc
donné au dirhêm actuellement en cours le poids du dirhêm
du cher’ i au cours légal, comme à l’époque de notre grand
père (Dieu le sanctifie et répande toujours sur lui sa miséri
corde !). Dix dirhéms cker’i formeront un mitsqûl ne saiton
pas, en effet, que dix des dirhénxs ayant cours du temps de
nos ancêtres (Dieu leur fasse miséricorde !) valaient un
mitsqûl ? Le dirhêm, qui est le dixième au mitsqûl, sera seul
employé, à l’avenir, dans toutes les transactions, les opéra
tions de vente ou d’achat, etc., entre nos sujets fortunés
des villes et des campagnes. Il est la base des ordres que
nous avons donnés h tous les ‘âmil-s et à tous les
fonctionnaires de divers ordres, qui doivent le faire savoir
il tous. Il sera également la base des paiements au Trésor.
Nous avons ordonné aux ‘âmil-s de se conformer aux
instructions que nous avons édictées, arrêtées avec l’aide
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ARCHIVES MAROCAINES
de Dieu et ratifiées, (le punir quiconque coiiiincllrnil une
contravention à ces (.Impositions, et de montrer le plus de
sévérité envers les contrevenants, en leur infligeant un
châtiment exemplaire pour avoir violé ces prescrip
tions.
« Toutefois, toute transaction, de quelque nature qu’elle
soit, passée avant la date de celle lettre, restera soumise au
régime monétaire; précédemment en vigueur, sans qu’au
cune majoration puisse être imposée à personne. Les det
tes antérieures à celle lettre seront payées en douros et
en dirhéms, suivant les calculs monétaires suivis jusqu’ici.
Les dispositions que nous avons arrêtées entreront en
vigueur à partir de ce jour, et pour l’avenir, s’il plaît à
Dieu, et, grâce à elles, les difficultés qui s’élevaient entre
les particuliers, à l’occasion des transactions, ne se repré
senteront plus.
« Nous demandons à Dieu de considérer cette mesure
comme une œuvre pie pratiquée dans sa voie et pour lui
être agréable, et de récompenser, par sa bienveillance et
sa générosité, le but poursuivi et les intentions sin
cères.
« Salut.
ce Le S chouwâl 1285. »
Le vendredi 10 chouwal de la même année, l’homme de
bénédiction, l’homme de bien et de uoble origine, Sîdi
Al-Hâjj Muhammad, Len Erarbi Eddlûï Errebâli, mourut à
Eddâr Elbaidà et fut enterré le même jour dans la Zâwiya
qui lui est dédiée en cette ville (Dieu lui fasse miséricorde
et nous fasse participer aux grâces qu’il lui a accor
dées !).
Cette annéelà, se tint, à Paris, en France, le « marché
du palais de cristal ». Le despote Napoléon III, dont la
puissance et l’autorité avaient atteint un degré que peu de
nations aient acquis, avait encore de plus hautes visées. Il
voulut attirer auprès de ses sujets et dans sa capitale toutes
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
les merveilles du monde, afin de réunir chez lui tout ce
qui était épars chez, les autres souverains, Il écrivil tous
les rois delà terre, pour leur faire savoir qu’il avait résolu
d’ouvrir un marché une époque qu’il indiqua, et leur de
mander d’y envoyer leurs négociants old’y apporter leurs
marchandises et leurs merveilles. Son projet était. d’une
ut-ilité générale, et les peuples devaient s’instruire réci
proquement de leurs œuvres et de leurs métiers. Les rois
répondirent à son invitation suivant les usages établis enlre
gouvernements et l’habitude lixée depuis les rois les plus
anciens, et tous, depuis le plus fort jusqu’au plus faible,
envoyèrent leurs négociants, leurs trésors et leurs curio
sités.
Le sultan Sidi Muhammad (Dieu lui lasse miséricorde!) !)
fit partir pour ce marché un négociant de ses sujets,
Al-Hâjj Muhammad lien ETarbi Elqabbâj Kll’èsi, suinom
îné Elfransûoui, qui connaissait, bien le l’ lançais et était
au courant des habitudes de cette nation c’était, d’ail
leurs, la raison de son surnom (X’Elfransùoui. Le Sultan
(Dieu lui fasse miséricorde !) expédia par lui toutes les cu
riosités particulières au Maghrib, comme des selles brodées
d’or, des ceiutures tissées d’or, des tapis à grands dessins
et toutes sortes d’autres objets, depuis les plus riches jus
qu’aux plus simples, et même jusqu’à des zoulh’ïjs de Vès,
que des ouvriers, partis pour cela, devaient mettre en
place.
Ce marché fut visité par les rois et les peuples de tous
les pays de la terre et même par le sultan ottoman ‘Al>
del’azi/. (Dieu lui fasse miséricorde .’). Celait bien la situa
tion qui fait dire à Abûl’jayyéb Eliiioutanabbi
« Toutes les langues et tous les peuples y sont réunis,
et, seuls, les interprètes peuvent comprendre celui qui
parle. »
Ce marché dura trois mois après, chacun rentra dans
son pays.
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ARCHIVES MAROCAINES
Napoléon III était parvenu à l’apogée de la gloire quand
sou all’aire avec les Prussiens vint s’abattre sur lui. Cette
a flaire brisa sa puissance, qui fut anéantie. M l’ut lui-même
emprisonné, et Paris, sa capitale, subit un siège prolongé
pendant lequel la viande d’âne se vendit, raconteton, jus
qu’à h douros français la livre les assiégés eurent à sup
porter toutes les misères possibles. Enfin, la paix fut con
clue, Sûs diverses conditions, notamment celle du paie
ment d’un milliard de douros par le gouvernement français
au gouvernement prussien.
En 1286, clans la soirée du jeudi 14 cha’bân mourut le
vizir Abû ‘Abdallah Muhammad At-Tayib bel YAmâni,
surnommé Boù ‘Euchrîn. Ilsouffraitd’unerétentiond’urine.
Etant entré dans la salle d’ablutions du Mechouàr de Boùl
khesisât dans le palais du Sultan à Murrâkush, sa vessie se
déchira et il expira surlechamp. Il fut transporté à sa mai
son, les prières furent faites sur son cadavre après la prière
du vendredi à la mosquée d’Elmouasin, une l’ouïe nombreuse
assista à son enterrement, et il lut enseveli dans le mau
solée du shaykh Abû Muhammad Elgezouàui, dans le
quartier d’Elqçûr. Ce personnage (Dieu lui fasse miséri
corde !) remplissait scrupuleusement ses fonctions et était
dévoué au Sultan et aux Musulmans.
En 1287, dans la nuit du mercredi au jeudi l/i rabi’II, il
y eut une éclipse de lune totale, qui dura depuis le coucher
du soleil jusqu’à minuit.
A l’aube du vendredi 8 joumada II de la même année,
mourut le saint vertueux, le pieux, le glorieux Abû ‘Ab
dallah Muhammad At-Tayib, (ils de l’illustre shaykh Moû
lay Al-’Arbi Edderqaoui. il fut enterré dans l’endroit où se
se trouve la sâotti/a qui lui est consacrée à Amejjoût chez
les Ueni Zerouàl. C’était un des meilleurs serviteurs de
Dieu.
D’une piété et d’une sobriété extrêmes, il vivait avec
la plus grande simplicité, montant toujours un âne, s’ha
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
billanl seulement d’une robe longue et ne se distinguant
«n rien do ses compagnons. Il «Hait, avec cela, doux et
grave, s’abstenait des choses inut-iles et s’écarlait des plai
sirs de ce monde et de ceux qui les aiment (Dieu lui fasse
miséricorde et nous lasse participer aux grâces qu’il lui a
accordées!).
Le 22 ramadan de la même année, il y eut une éclipse de
soleil qui commença, suivant les calculs, une demiheure
environ aprèsmidi. Elle l’ut presque totale, car l’obscurité
se fit eton ne vit plus du soleil qu’un petit cercle brillant.
Les nuages empêchèrent de constater à quel moment elle
finit.
Durant les journées qui suivirent, une curieuse rougeur
d’un ton de corail apparut dans le ciel qui était très clair.
Elle se manifesta à peu près entre les deux eucha, accen
tuée surtout du côte du sud. Elle se maintint ainsi pendant
sept jours environ, puis disparut.
Dans la nuit du vendredi au samedi 8 chouwâl de la
même année, vers 3 heures, il y eut une secousse de
tremblement de terre que beaucoup de gens ne ressenti
rent pas, parce qu’ils dormaient.
En 1289, le sultan Sidi Muhammad (Dieu lui fasse miséri
corde !) dirigea une expédition contre les tribus de Tàdla.
Il commença par les Sema’la, le 15 rejéb, puis se rendit chez
les Béni Zemnioùr, et de là à Boùlja’d. Ensuite, il alla à
Qasbat Tâdla, puis passa le pont et campa chez les Béni
‘Omcïr. Il attaqua, après cela, les Ueni Moùsa qu’il razzia,
parce qu’ils s’étaient révoltés contre leur gouverneur, El
gezouâni hen Zidoùh, coupa 50 tètes et fit 40 prisonniers.
Sur ces entrefaites, il reçut une députalion envoyée par
les habitants de Murrâkushqui s’étaient révoltés contre leur
gouverneur Ahmad hen Dàoutl, parce que Celui-ci les mal
menait. Ils venaient s’excuser de leur conduite auprès du
Sultan, qui refusa d’écouter leurs paroles et repoussa
leurs excuses. Us clurent s’en retourner avec un échec.
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ARCHIVES MAROCAINES
Le Sulliiii (l)icu lui fasse miséricorde!) se mit ensuite en
route pour .Morràkeh, vivement irrité contre les liabitants
de cette ville, qui, cependant, étaient, à ce qu’on dit, dans
leur droit, car te Sultan avait été I rompe sur tour compte.
(Juand il fut en présence tle la ville, les ‘Oulamiï, les lec
teurs et les enfants (tes écoles allèrent le fléchir, niais il ne
voulut pas s’arrêter et. ne lit pas attention à eux. Son fils et
khalila Moûlav Elhusan, qui était présent, s’avança alors
vers les haljilanls de la ville et leur adressa des paroles bien
veillantes. Cet incident eul lien dans !c mois de ramadan.
Peu de temps après, I5eu Dàoud mourut et « l’ouil fut débar
rasse’1 du poussin». Le pardon de Dieu est attendu ensuite.
En I’29O, l’incendie se déclara dans de nombreuses con
trées du Maàril) et brûla les récoltes, les Fruits et les jar
dins. De nombreux d illéi ends survinrent au sujet des
récoltes vendues à (avance et on dut établir des moûjèbs.
Les premières années du règne du sultan Si’di Moham
med (Dieu lui fasse miséricorde !i lurent nialbeu reuses par
suite de la victoire de l’ennemi sur [es Musulmans, de la
cherté des vivres et de l’épidémie qui la suivit, mais,
dans la suite, la prospérité revint, la sécurité se rétablit, la
puissance des tribus arabes du Maghrib ayant diminué, les
roules furent purgées de leurs brigandages, la vie devint
plus facile et les prix baissèrent sensiblement. Les gens
gagnaient beaucoup d’argent Sûs son règne. Les maisons
et les propriétés devinrent très chères, si bien que, pen
dant quelques années, on ne vendit pas les maisons aux
enchères et que, pour en acheter, il fallait se hâter de
choisir et se soumettre au prix exorbitant demandé par le
propriétaire. Les gens riches montaient des mules de prix,
portaient des costumes riches, possédaient des trésors
précieux, et se mirent à adopter, pourleurs constructions,
les zoulléïjs, le marbre et les sculptures recherchées, sur
tout à Fâs et à lîibâl Ell’elh. Sur tous brillait la marque du
raffinement étranger.
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DYNASTIE ALAOUIIï DU MAROC
ARCH. MAROC. 18
Le sultan Sidi Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !)
avait, dans toutes les villes, des espions qui lui faisaient
part des actes des ‘âmil-s et de leurs subordonnés
aussi, avait-il tous ses sujets dans la main. Ces espions
étaient des gens du commun, qui lui écrivaient « du mai
gre et du gras » il écoutait tout, conservait le vrai et
repoussait l’inut-ile. C’est ainsi que le bienêtre de la popu
lation fut rétabli.
Mort du Amîr al-Mû’minîn Sîdi Muhammad bn ‘Abd Ar-Rahmân
(Dieu lui fasse miséricorde !] 1.
La mort du Amîr al-Mû’minîn Sîdi Muhammad bn
‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde !) eut lieu dans
l’aprèsmidi du dixhuitième jour du mois sacré et unique
de rejéb de l’année 1290. Il expira dans son palais de Mor
râkch, dans le parc appelé Ennîl. Il fut malade pendant un
jour ou une demijournée, et mourut, diton, d’une purge
qu’il avait avalée. Dieu sait quelle est la vérité Il fut en
terré dans le mausolée de son aïeul Mawlay ‘Ali Echché
rîf, qui est voisin du mausolée du qfidi ‘Ayyâd.
Derniers détails sur le sultan Sidi Muhammad bn ‘Abderrah
mân (Dieu lui fasse miséricorde!), sa vie et les monuments
qu’il a laissés 2.
Le sultan Sîdi Muhammad bn ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu
lui fasse miséricorde!) avait la crainte du TrèsHaut et
prenait comme fondement de ses actes la loi sainte,
dont il ne s’écartait jamais. Quand il fit construire son
1. Texte arabe, IV” partie, p. 233.
2. Texte arabe, IV» partie, p. 233.
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ARCHIVES MAROCAINES s
palais de llibàt Elfetl.i, un certain nombre de gens (lut
pays lui demandèrent justice au sujet de leurs jardins sur
lesquels le palais devait s’élever. 11 consentit (Dieu lui
fasse miséricorde !) à ester en justice avec eux, désigna un
avocat, ceuxlà désignèrent le leur, et l’auaire vint devant
le qâdi de Salé, le fqîh Abû ‘Abdallah Muhammad Al-’Arbi
hen Ahmad hen Mansoûr. Enfin, l’aliaire se régla par un
compromis, aux termes duquel le Sultan leur paya le prix
total ou partiel de leurs propriétés. Ils se retirèrent satis
faits.
Il était (Dieu lui fasse miséricorde !) énergique dans ses s
commandements et rempli d’aspirations élevées qui inspi
raient ses vues les plus hautes. Mais l’époque ne le favo
risa pas complètement, car ses aspirations valaient mieux
que son temps. Habile politique, calme, modéré, prudent,
plein de dignité, il était lent à se mettre en colère et fa
cile à contenter. Il était charitable pour ses sujets, répu
gnait t verser le sang, et était toujours animé de la crainte
de Dieu. Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse partici
per aux grâces qu’il a accordées à lui et à ses ancêtres
Il a laissé des œuvres durables en Maghrib, les unes
remontant au moment où il était khalil’a du vivant de son
père, les autres postérieures à son avènement.
Les œuvres créées du vivant de son père sont, comme
l’a dit Akensoùs, l’ouverture de canaux et le dégagement
de sources que les rois précédents n’avaient pas pu effec
tuer. Il acheva la plantation d’Agdâl à Murrâkush. Ce parc
souiï’rai L de la sécheresse en été par suite du manque d’eau.
Les bassins, où l’eau devait s’accumuler, étaient remplis
de terre et de vase apportées par les ruisseaux qui les ali
mentaient, et étaient hors d’usage. Le plus vaste de ces
bassins est celui de Dir Elhanâ, qu’on appelait la « petite
mer». Il a 1.200 pieds de longueur et 900 pieds de largeur,
au dire de quelqu’un qui l’a mesuré. Le mur qui borne ses
quatre faces est comme une muraille de qasba, et on. a
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DYJiAST-ili ALAOUE DU MAROC
construit au centre une véritable bourgade avec ses mai
sons, ses rues el ses marchés. Le sultan Sîdi Muhammad
(Dieu lui fasse miséricorde !) donna l’ordre, lorsqu’il était
khalîfa, de vider tous les bassins et les réservoirs, et de
les curer de toute la vase durcie. Un grand nombre de gens
furent employés à ce travail, et quand ils eurent terminé le
nettoyage, ces bassins purent remplir le but en vue du
quel ils avaient été construits, (lui est de servir de réser
voirs pour l’été. Par ce travail, l’Agdàl était achevé, etmis
il l’ahri de la soif et de la stérilité.
Il restaura aussi la source de Boù ‘Oukkàz, en dehors
d’une des portes de Murrâkush, Bâb Ettouboùl, qui se dé
versait dans un bassin du même genre. Il fit dégager cette
source, qui jaillit abondamment, et la conduisit jusqu’à ce
bassin qu’il avait fait nettoyer et réparer. La plaine au mi
lieu de laquelle elle se trouve se couvrit de cultures ut-iles,
sources de richesses pour les laboureurs et de plaisir
pour le promeneur. Il fit élever une bastide, pour servir
d’abri aux cultivateurs, à leurs biens et à leurs bestiaux,
et y lit placer un grand nombre de juments poulinières.
11 restaura également la source d’Elmcnâra et son bas
sin presque aussi vaste que la petite mer de Dâr Elhanâ,
qu’on n’ut-ilisait plus depuis longtemps, car Dieu leur des
tinait ce Sultan. Il y réunit, en effet, des travailleurs, fit
extraire du bassin des montagnes de boue, répara les murs,
et l’alimenta avec des sources et des ruisseaux. Il fit, de
plus, planter des arbres de toutes sortes dans les endroits
arrosés par le tropplein du bassin, si bien que ce parc
égale les jardins d’Agdâl.
Il dériva de l’Wad Ncfïïs la rivière appelée Târki, qui
égale l’ancienne rivière qui conduit autrefois dans son lit
et est même plus ut-ile et plus large. Il ramena ainsi la vie
dans les plaines qui s’étendent entre l’Wad Neffîs et Mor
râkch.
Il dériva également la rivière appelée Féïtôt, qu’il dé
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ARCHIVES MAROCAINES
tourna de Toslnout dans la plaine limitée parles territoires
des Zemran, des lîhâmna et des Serâgna, qui se trans
forma en jardins verdoyants et en parterres de fleurs. Il
y bâtit (Dieu lui fasse miséricorde !) une vaste qasba pour
les régisseurs et les laboureurs de ces terres, qui, de sté
riles et dépeuplées qu’elles étaient, devinrent prospères
et populeuses.
Voici maintenant les travaux datant de l’époque où il
prit en main le commandement des Musulmans:
A Ribât Al-Fath, il édifia son grand palais de l’Agdâl qu’il
entourait de son grand mur et où il amena l’eau à très
grands frais.
Proche du palais, la mosquée Jâma’ Essounna, où ni
chaient les chouettes et les hihous, fut restaurée et les
cinq prières, ainsi que la khutba, célébrées tous les ven
dredis. La petite mosquée, appelée Mesjid Ehl Fâs, fut
restaurée avec un grand soin et ses plafonds dorés et ba
riolés. Il fit tracer le chemin qui va du palais à la rivière,
en bas de Hassan, afin de faciliter, de raccourcir le trajet.
Enfin,il transporta une fraction du guéïch Ehl Sûs d’Elmeh
diya, et lui assigna comme demeure la partie de l’Agdâl
qui entoure le palais. Cette colonie se plut dans cet en
droit, et peupla cet endroit qui est encore habité par eux.
A Eddâr Elbâïdâ, il fit élever la grande mosquée du
marché, dont les frais furent payés par les habous de l’an
cienne mosquée.
Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) donna l’ordre de
la construire sur les indications du gouverneur d’alors,
Abû Muhammad ‘Abdallâh bn Drîs Eljerrâri. Il fit cons
truire les bains appelés Elhammâm Elqedîm, aux frais du
Trésor.
Il fit réparer (Dieu lui fasse miséricorde !) les murs et
les borjs d’Eljedida, et s’occupa tout spécialement des
ports, dans lesquels il envoyait des inspecteurs pour les
examiner.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
A il construisit la fabrique de sucre (Dâr fa
brikat essoukkâr), pour laquelle il dépensa beaucoup d’ar
gent, et qui, quoique actuellement abandonnée, est une
construction belle et solide. Il fit bâtir aussi, dans le lieu
appelé Essejîna, la fabrique de poudre raffinée.
Il fit élever encore la tour du phare qui est au bord de
la mer à Acheq Qâr, près de Tanger, d’où s’échappe une
vive lumière qui éclaire à une grande distance les naviga
teurs. Beaucoup d’argent fut dépensé pour cela. Aupara
vant, les navires venaient faire naufrage sur cette côte,
car ils n’avaient rien pour les guider en mer, mais depuis
que le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) a établi ce phare,
ils sont à l’abri de ce danger.
Il a laissé encore (Dieu lui fasse miséricorde!) bien d’au
tres œuvres, mais il serait trop long de les mentionner
toutes. Que Dieu les mette dans la balance de ses bonnes
actions et élève, à cause d’elles, les degrés des hauteurs
qui lui sont réservées.
Règne du souverain actuel, du Amîr al-Mû’minîn Mawlay El
hasan bn Muhammad bn ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu perpétue son
pouvoir!)
Après la mort du sultan Sîdi Muhammad bn ‘Abderrah
mân (Dieu lui fasse miséricorde !), les hauts fonctionnaires
du gouvernement, les qâ’îd-s du guéïch, les qâdis, les oula
mû, les chérîfs et les habitants de Murrâkush et des envi
rons, tous arbitres des destinées du pays, s’accordèrent
pour proclamer Amîr al-Mû’minîn son fils Mawlay Aboiï
‘Ali Elhasan hen Muhammad. Ce Commandeur possédait à un haut
degré les conditions requises pour l’imâmat, et avait toute
l’habileté, la clairvoyance et l’énergie désirables. Il se fai
1. Texte arabe, IV* partie, p. 235.
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ARCHIVAS MAROCAINES
sait remarquer aussi par sa vertu et sa piété, el. par tous
les autres caractères du bonheur et les voies .qui condui
sent à la vérité. De plus,son père l’avait pris comme kha
lifa pendant sa vie, et lui avait confié toutes les an’aires im
portantes. 11 avait été à la hauteur de la situation et avait
visité les recoins les plus obscurs et les plus ombragés
des demeures de la félicité.
« Quand il était khalifa de son père, Mawlay Klhasan, dit
Abû ‘Abdallah Akensoùs, ne se laissait détourner, ni
par les affaires de l’Empire qui ne cessent ni la nuit, ni le
jour, ni par les charmes des jardins et des (leurs des pa
lais impériaux, des obligations religieuses et des voies de
la vérité, comme la prière, le jeune et la récitation du Co
ran, ainsi que me l’a raconté un de ses familiers. Il trou
vait, au contraire, à les pratiquer, dans ses moments d’iso
lement, beaucoup de jouissance et de douceur. »
A la mort de son père, Mawlay Elhasan (Dieu le fortifie!)
était, nous l’avons dit, à Boù Piîqi, en Hâhâ, où il reçut la
lettre des grands de l’Empire lui annonçant la mort du
Sultan et sa proclamation unanime. Il arriva à Murrâkush
le 27 rejéb 1290. A son approche, les vizirs, les qâdis, les
chérîfs, les notables et tous les habitants de .Murrâkush, les
hommes, femmes et enfants se rendirent à sa rencontre, si
nombreux qu’ils couvraient la plaine et que la place ne
pouvait pas les contenir. Ils lui présentèrent leurs condo
léances et leurs félicitations. Lui (Dieu le fortifie !) s’arrê
tait devant chaque groupe pour les recevoir, même devant
les femmes et les enfants, témoignant ainsi de sa sollici
tude et de sa bienveillance. Aussi, le jour de son entrée
dans la capitale de Murrâkush fut-il une journée de spec
tacle, une fête comptée au nombre de celles qui attirent les
bénédictions.
Aussitôt qu’il fut établi dans le palais de l’Empire, il
reçut les députations de toutes les villes, de toutes les
provinces et de toutes les régions, apportant chacune leur
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
serment de fidélité et leurs présents, car la population se
réjouissait de son avènement *’L eu lirait d’iieuieux augu
res. Il reçut iDieu le fortifie !) cliacun avec les égards qui
lui étaient dus, combla ses sujets de bienfaits. Puis il
s’occupa d’équiper ses troupes et ouvrit le Trésor. Il dis
tribua beaucoup d’argent, de costumes et de moulures.
Il quitta Murrâkush, le lundi ramadan, pour se rendre à
Fâs, voir ses sujets et examiner leurs intérêts. Il passa par
les Seràgna, de là à ELbrouj, puis à Ké’fser dans le Tû
mesna. Là, il reçut la nouvelle de la révolte de Fâs, dont
les habitants avaient mis à mal l’amin Elhadj .Muhammad
bn Elmadani Hennis; suivant ce qu’on raconte, voici
comment les choses s’étaient passées.
A l’arrivée à Fâs de la nouvelle de la mort du Sultan, la
population s’était réunie pour reconnaître, comme Commandeur
des Croyants, Mawlay EU.iasau (Dieu le glorifie !), mais
quand il fallut rédiger la prestation de serinent, les gens
du peuple, et principalement les tanneurs, n’avaient con
senti à prêter serment qu’à condition que le meks serait
supprimé. Des oulamà et des notables qui voulaient réunir,
avant tout, l’unanimité du serment, se seraient, diton, faits
forts d’obtenir cette faveur du Sultan.
Mais la bay’a terminée, l’amin Bnnis avait continué à
envoyer ses agents pour percevoir les droits sur les mar
chés et aux portes, etc. Un notable de la ville lui avait
même conseillé de suspendre cette mesure pendant quel
que temps pour attendre que les esprits se calment, que le
droit s’établit sur sa racine et que la question serait alors
tranchée suivant le droit. Mais il n’avait voulu rien entendre
et avait persisté dans sa décision. La populace s’était alors
soulevée contre lui, avait démoli sa maison, pillé ses efl’ets,
enlevé son argent et avait même voulu le tuer. Il était par
venu à se cacher pendant que la fureur était à son comble,
puis il s’était esquivé au sanctuaire de Mawlay Idrisoù, du
moins, son existence était en sûreté.
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ARCHIVES MAROCAINES
Ce fut une émeute très grave, qu’il serait trop long de
rapporter en entier.
A Kéïsef, le Sultan apprit aussi que les gens d’Azein
moûr s’étaient révoltés et avaient tué Ahmad bn ElinWad
din Elfarji d’Azemmoûr, khalîfa du gouverneur de la ville,
qui était AbûFabbâs Ahmad bn ‘Omar bn Boù Setta
ElMurrâkushi (19 ramadan).
Quelque temps après, les Ahl Al-Fâs écrivirent au Sul
tan (Dieu le glorifie !) qui se trouvait encore dans le Tâ
mesna, une lettre éloquente par laquelle ils désavouaient
les actes dont Jîennîs avait été victime, et en rejetaient la
responsabilité sur la populace, les mauvais sujets et les
gens sans aveu.
Voici le texte de cette lettre
« Louange à Dieu seul qui ne se hâte pas de punir celui
qui a commis une faute.
« La prière et le salut soient sur Notre Seigneur Moham
med, le grand intercesseur, celui à qui Notre Maître, dans
son livre, dit « Tu es, certes, une grande créature. »
« Sur sa famille envers qui Dieu commande l’affection et
l’amour, et au sujet desquels il a révélé « Dis je ne vous
« demanderai pas pour cela d’autre salaire que l’affection
« des proches. »
« Et sur ses compagnons, qui étaient intraitahles avec les
chrétiens, mais compatissants les uns pour les autres, et
dont les anges, dans la journée de Honéïn, étaient les ap
puis et les soutiens.
« Ensuite, nous saluons la Majesté dont le rang est élevé,
dont la lumière et l’aube brillent, que la gloire et la gran
deur anoblissent, que la splendeur élève et illustre, et
que le Prophète a revêtu du manteau de la noblesse au
jour où ‘Ali et Fâtima et les deux Hasan étaient Sûs sa pro
tection, celui qui s’est élevé, est parvenu au faîte et est de
venu le maître, celui qui sert de guide et d’appui au kha
lîfa, dont les éloges font l’ornement des livres jusqu’alors
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
vides, dont la générosité remplit de confusion les pluies
abondantes, dont le nom fait ouvrir à la gloire ses porti
ques, que les hauteurs célestes ne cessent d’inviter et
d’appeler auprès d’elles, dont le respect rapproche les pau
pières et les prunelles, le chef de la noble dynastie impé
riale, le plus grand des Commandeurs ‘alaonis dont la vie est ins
crite dans les pages où sont consignées les œuvres glori
fiées, et dont les œuvres sont célébrées dans les poèmes,
celui à qui ce pays de Maghrib a remis les rênes du pouvoir
et s’en félicite, le Sultan fortifié Notre Maître Elhasan, re
jeton de ceux dont l’aine fut pure, dont les semences ont
mûri dans les jardins des bienfaits, Sûs les étendards des
quels marche la gloire et dont les parfums embaument les
réunions. Puisse à tout jamais la fortune te suivre partout
où tu iras, la gloire dormir dans tes vallées, les yeux des
jaloux être frappés, et la poussière aveugler ceux de tes
ennemis. Que Dieu te préserve des vicissitudes du temps,
qu’il conserve tes dispositions bienveillantes envers le
corps des ‘oulamâ, qu’il ne dépouille pas les Musulmans
des vêtements de ta fortune, qu’il élève tes étendards sur
les tours du bonheur, qu’il porte ton épée sur les cous des
ennemis, qu’il te donne la victoire partout où tu marche
ras en avant, et que la Loi sainte de ton aïeul soit toujours
ton arme et ton guide dans une prospérité sans fin et dans
un jardin aux fruits pleins de douceur!
« Ensuite
« Que Dieu écarte les mauvais de la place occupée par
Notre Seigneur, en rapproche les bons et les vertueux, et
en fasse toujours le refuge du nécessiteux et de l’oppri
mé Quand nous avons reçu de la Haute Majesté de Notre
Seigneur sa lettre glorieuse, qui porte des épithètes et des
noms respectés, qui est brillante dans ses expressions, et
claire dans ses déductions, dont le style éloquent stupéfie
les diserts, et qui, par sa correction, est montée au plus
haut des chaires, si bien qu’en comparaison d’elle, toute pa
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AltCIIlVKS MAROCAINES
role esl un il nous nous sommes empressé de la
baiser et nous l’avons placée où se placent. la couronne et le
diadème. Elle a été lue ensuite devant une grande foule et
son arrivée a réjoui le petit et le grand. La nouvelle a ré
tabli le calme dans les ctrurs et a fait cesser les méconten
tements et les peines. Les assistants étaient avides d’en
tendre son contenu, et l’homme de bien, comme le polis
son, l’ont écoutée avec attention. La mosquée était trop
petite pour contenir tous les auditeurs, car tous y étaient
venus. Quand on lut la lettre, on constata qu’elle débutait
par des éloges et finissait par des blâmes et des reproches,
qu’elle contenait, à la fois, de la gaieté et de la colère, et
qu’elle était, en même temps, instante et menaçante.
Aussi les gens soupçonneux s’en inquiétèrent. La lecture
achevée et finie, et le contenu de la lettre étant exposé et
connu, les groupes se retirèrent et la ville fut extrême
ment agitée. La population était vivement émue de cette
lecture et remplie de crainte et de terreur. L’ordre que
contenait la lettre de réparer ce qui était arrivé en était la
cause, car on avait compris qu’il s’agissait de rendre ce
qui avait été perdu et qui, dispersé de tous côtés, ne peut
se réunir. Or, ceci est impossible, ainsi qu’il apparaîtra1,
car la vérité est trop claire et trop évidente pour être
expliquée, d’autant plus que le but poursuivi est de couper
court au mal, afin de faire cesser les actes oppressifs de
quelques mauvais sujets et d’empêcher d’éclater le feu de
la discorde qu’on ne pourrait plus éteindre.
« En ce qui concerne les incidents de l’aflaire d’Al-Hâjj
Muhammad Bnnîs, qui ont obligé Celui-ci à se réfugier à
Mawlay Idrîs où se sont commis des faits regrettables pour
lesquels des reproches ont été adressés aux chefs et aux
subordonnés, l’argument sera détruit par un exposé exact
et complet de l’affaire, où la vérité ne sera pas déguisée et
où le droit chemin sera suivi.
« Notre Seigneur généreux sait, en efl’et, que l’homme
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IVYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
peut se prévaloir d’excuses qui excluent le blâme et qui
le mettent à l’abri d<as reproches et des réprimandes. Or,
le pillage qui s’est produit a eu lieu par surprise dans un
jour qu’un témoin aurait de la peine à décrire et à expli
quer. La ville était alors pleine de campagnards et de ci
tadins, et nous ne pouvons pas savoir quels ont été les
pillards, quels sont ceux qui sont entrés, ni ceux qui sont
sortis. C’est une all’aire que le destin a provoquée, sans
qu’il nous ait été possible de la prévenir ni de retenir les
mauvais sujets. Si ces actes avaient été le fait de gens con
nus, d’individus déterminés, nous aurions pu les punir, et
leur enlever ce qu’ils avaient pris sans nous écarter du
droit chemin. Mais tout a été fait par un péleinèle de cam
pagnards et de citadins, de blancs, de noirs et de rouges,
tous furieux comme des lions et des tigres, dont pas un
visage ne portait trace ni marque de pudeur, et qui n’ac
ceptaient pas la moindre observation parce qu’ils étaient
dépourvus de raison. Pour les contenir il aurait fallu une
armée considérable. Plus on cherchait i les retenir, plus
ils perdaient audacieusement la tète, et loin de tenir
compte des avertissements, ils n’en avaient pas conscience.
Les sourds n’entendent pas les appels lorsqu’ils ne con
naissent pas le danger. Ensuite, le dixième jour de ce
mois, il s’est passé dans le sanctuaire de Mawlay Idris ce
qui nous a été rapporté et sans doute avec les plus grands
détails. Mais la bonté et la miséricorde de Dieu nous ont
enveloppés le mausolée et ses alentours ont été sauve
gardés et n’ont pas été profanés. Ses défenseurs l’ont
protégé et ses portes ont pu être ouvertes aux pieux visi
teurs à qui la grâce a été accordée de contempler ses
lumières.
« La lettre dont il s’agit dit aussi que le mauvais sujet
qu’on ne retient pas se considère comme agissant en vertu
d’ordres. Certes, nous ne savions pas ce qui se passait,
nous ne nous en doutions pas. L’homme sensé peut-il
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AIICIIIVES MAHOCAINKS
ordonner (les choses défendues? Un Musulman peut-il
approuver la profanation dp l’Islam, et des Musulmans,
une parole ou un acte qui sème la desunion? Et quand
on connaît le châtiment réservé au témoin silencieux, que
doit-il advenir du participant ou du commandant? Mais,
grâce à Dieu la porte du repentir est ouverte à celui qui
vient y frapper. Nous prions Dieu de leur accorder la
grâce du repentir de leurs actes.
« Au moment où nous écrivons cette lettre à notre Sei
gneur, la sécurité règne dans la ville, les esprits sont
calmes et rassurés, l’oppression a cessé et les communi
cations ont repris sans danger sur les chemins, car rien
n’a été négligé pour éteindre le feu de la révolte. Les
grâces de Dieu se répandent sur nous avec abondance et
sans discontinuer; auparavant, la révolte était allumée,
brûlait, et les cœurs étaient plongés dans le désespoir et
l’angoisse. Il n’est pas un seul homme de bien, de piété,
de ceux qu’on regarde comme marchant dans là voie droite
qui n’ait travaillé au bien des Musulmans et usé de tous
les moyens de conciliation en son pouvoir. Notre qâdi
(Dieu le bénisse !) a la plus large part dans cette oeuvre
il n’a rien négligé ni dans la première affaire, ni dansla
seconde.
« Vous n’ignorez pas, d’ailleurs, que le véritable souve
rain est celui qui sait maîtriser sa passion, qui ne se laisse
pas émouvoir par ces accidents passagers, qui surmonte
sa nature dans les moments de colère et qui recherche les
moyens de se rapprocher de Dieu. L’homme généreux
pardonne quand il a examiné, et absout quand il le peut,
même si le méchant a dépassé toutes les bornes dans ses
malices. Que Notre Seigneur daigne nous faire la grâce de
céder aux intercessions des ‘oulamâ et des chérîfs signa
taires de cette lettre, qui désapprouvent entièrement les
actes commis par les mauvais sujets. On ne s’étonne pas
de voir le bien venir de sa source et la bienveillance de sa
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DYNASTIE ALA0U1E DU MAPOC
demeure. Vos qualités si nobles, vos sentiments si purs
ne voudront pas que notre intercession en faveur de ces
révoltés soit repoussée, et que notre assemblée soit étoi
gnée et chassée du sol que vous fouler. La haute opinion
que nous avons de vous nous est garante de la bonté que
vous ne pouvez manquer de nous témoigner. Que Notre
Seigneur soit donc clément envers cette capitale de Fâs,
et qu’il ne nous fasse pas supporter la responsabilité de
la faute commise quelques mauvais sujets. L’indul
gence n’estelle pas issue de votre famille, n’estelle pas
une de vos belles qualités? C’est pourquoi nous désirons
que cet acte vertueux reste pour toujours cité à votre
honneur et inscrit sur votre page. Répondez par le pardon
et l’oubli à ce qui s’est passé et est fini.
« Nous sommes tous vos sujets, nous sommes les fruits
de votre jardin, nous sommes nourris à votre table. Nous
avons la confiance inébranlable que vous céderez à nos
prières et que vous serez clément envers vos faibles sujets.
Il semble déjà qu’on proclame votre lettre de pardon,
dont les mots sont plus délicieux et plus doux que le
miel.
« Dieu, dans sa générosité habituelle, effectuera la récon
ciliation et réunira nos cœurs dans la soumission à ses
ordres et dans la recherche de ce qui pourra le satisfaire.
Nous serons ainsi frères en Dieu; nous serons les soutiens
et les défenseurs de la religion, remettant nos cœurs entre
les mains de Celui qui ordonne et décide. Ton maître crée
ce qu’il veut et décide, et si les passions sont en conflit,
Dieu ne réserve que du bien à ceux qui sont généreux.
La meilleure œuvre est celle qui rapproche du paradis et
éloigne de l’enfer. Le Musulman doit s’abstenir de ce qui
discrédite et atteint l’Islam, et éloigner toutes les sources
de division qui sont une force et un appui pour l’infidélité.
La présence derrière nous d’un ennemi qui ne pense qu’à
marcher à notre poursuite et à souiller nos étendards veut
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ARCHIVES MAROCAINES
que nous savons frères, que nous secourions l’Islam, que
nous Je protégions, que nous le défendions et que
nous n’ayons d’ardeurs que pour lui.
« Que Dieu nous aide faire ce qui peut le satisfaire et
dirige nos ellbrls vers les choses qu’il aime et agrée.
Ainsi soit-il.
« Salut
« Le 15 du mois glorifié de ramadan 1290. »
Le sultan Mawlay Elhasan iDieii le glorifie!) entra
ensuite a lîibat Al-Fath dans la matinée du jeudi ’29 ramadan.
La fête eut lieu le samedi suivant le Sultan la célébra à
llibàl. Al-Fath. Il fit faire à cette occasion la lecture habi
tuelle du Sahilt d’Elbokhâri. Le fqîh qui présida à cette
lecture, fut le très docte Sîdi Al-Mahdi bn Ejtâléb J’en
Souda Ell’èsi. Les délégations du Maghrib assistèrent à cette
séance ainsi que les qâdis et les oulamà des DeuxRives
je me trouvais parmi ces derniers. Le Sultan fut célébré
dans des poèmes éloquents et donna un éclat tout parti
culier à cette cérémonie en od’rant un repas, des boissons
et des parfums, et en distribuant de l’argent à tous les
assistants. Il lit également les cadeaux habituels aux
‘oulamà, auxiecteurs, aux mWaddins. aux art-illeurs et aux
malins des DeuxRives.
il reçut une députation des habitants d’Azemmoùr, qui
vinrent témoigner leurs regrets de la conduite de la popu
lace envers Muhammad bn ElmWaddin. Il leur témoigna
de bonnes dispositions et leur pardonna, se réservant de
rechercher plus tard les coupables, auxquels il infligea un
châtiment mérité.
Le Sultan (Dieu le glorifie ‘.) demeura à Ribât Al-Fath
jusqu’au samedi 22 chouwâl, puis il se mit en route pour
Miknâs. Il franchit la rivière accompagné des troupes du
Gouvernement et des contingents fort nombreux des tribus.
Son départ fut précipité par les mauvaises nouvelles qu’il
avait reçues touchant Mawlay Abdelkébîr bn ‘Abder
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DYNASTIE ALAOUIK DU MAROC
rahmûn bn Slîmân, (tout le père s’était déjà révolté peu
(te temps après l’avèiieinenl du sultan Sidi Muhammad
bn ‘Abtlerrahniân. Le fils suivait l’exemple de son père
et s’était laissé entraîner à convoiter la royauté par les
démons berbères qui t’avaient entraîné dans le chemin de
la perdition, où il s’était laissé conduire, et qui avaient
jeté ainsi l’aveugle dans la gueule du loup.
En arrivant sur le territoire des Bni Ilsén, le Sultan
(Dieu le glorilie !) apprit son emprisonnement. Il envoya
alors aux villes la lettre dont voici la teneur Il elINov~t
alors aux villes la lettre dont voici la Leiiet-il”
« Ensuite
« ‘Abclelkébîr bon Wbderrahmân, égaré par les sugges
tions trompeuses et les passions subversives de son esprit,
a fait cause commune avec des démons et des gredins
des Berbers Bni Mguild, qui l’ont amené jusque chez les
Aït ‘Ayyâch dans le voisinage de Fâs. En apprenant cela,
nos serviteurs les Ahl Al-Fâs, nos oncles maternels les
Chràga, et d’autres gens du guéïch de Ehl Soùs et des
tribus raisonnables ont déployé tous leurs efforts pour le
repousser, l’éloigner et le chasser de leur territoire en
jetant aux vents les cendres de ses campements. Ils lui
ont donné la chasse et lui ont infligé de mauvais traite
ments auxquels il ne s’attendait guère, si bien qu’il a du
s’en retourner entièrement déçu. Cet échec et ce départ
forcé ne l’ont pas rappelé cependant au sentiment de sa mau
vaise situation; il n’a pas renoncé à l’impossible qu’il
convoitait, il ne s’est pas réveillé de son sommeil et il
n’est pas revenu de son ivresse. Il a continué à circuler
chez les Berbers, et ses allées et venues l’ont conduit chez
les Aït Yoûsi. Là, Dieu a fait mettre la main sur lui, et
on l’a fait prisonnier. La fortune l’a abandonné, et l’échec
a été complet pour les Berbers qui s’étaient joints à lui et
qui n’y ont gagné que ruine, confusion et abandon. L’agi
tateur est maintenant entre les mains de notre frère
intègre Mawlay Ismâ’îl (Dieu le garde !). Dieu soit loué l
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ARCIIIVES MAROCAINES
il mérite qu’on lui rende grâces. Il est la source de tout bien
fait. Nous lui demandons par son Prophète, sur lequel il
répand ses bénédictions et sa paix, de recevoir l’hommage
de notre reconnaissance et de celle des Musulmans, et de
nous traiter comme toujours avec bonté et générosité.
« Nous vous écrivons cette lettre du territoire d’Essefaf ‘a,
chez les Béni Hsén, où nous avons établi notre camp avec
l’aide de Dieu. Notre mhalla, victorieuse par Dieu, est
enveloppée (grâce à Dieu !) de la victoire et de la puis
sance, nos étendards triomphants par Dieu flottent aux
vents de la bonne fortune et du bonheur, et les bénéfices
y entretiennent le marché.
« Nous avons tenu à vous prévenir, afin que vous ayez
votre part de la joie que nous cause cette marque de bien
veillance inépuisable de notre Maître, qu’il soit glorifié et
exalté Dieu soit loué c’est à lui qu’appartient la bonté
« Salut
« Le 26 chouwâl 1290. »
Le Sultan (Dieu le glorifie !) se rendit ensuite à Dâr Bn
El’âmri. Il infligea aux Ouled Yahya, fraction des Bni
Hsén, qui s’étaient révoltés contre leur gouverneur
“Abdelqâder bn Ahmad Elmahroûqi, avaient détruit et
pillé sa maison, et s’étaient livrés au brigandage sur les
routes, un châtiment qui faillit les réduire à néant. Ils le
supplièrent, se jetèrent à ses pieds, manifestèrent leur
repentir et leur soumission, et il accepta leurs regrets.
Après leur avoir imposé trois ‘âmil-s, et les avoir
taxés de sommes importantes, il partit (Dieu le glorifie !)
pour M éknâsét Ezzéïtoùn, le 7 doûlqa’da, et fit dans cette
ville une entrée triomphale. Dès son arrivée, il envoya
(Dieu le fortifie !) dans les villes la lettre suivante
« Ensuite
« Après avoir terminé les affaires de la tribu Yahyâouiya,
les avoir rétablies sur des bases sérieuses, avec l’aide de
Dieu, et y avoir rétabli l’ordre désirable (grâce à Dieu !),
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ARC11. MAnOC. 19
nous avons dirigé notre marche fortunée vers le pays de
nos ancêtres généreux (Dieu les sanctifie !) Méknàsét
Ezzéïtoùn. A la tête de notre mhalla fortunée et victorieuse
que la bonne fortune et le triomphe ont couverte de leur
manteau, nous avons rencontré sur notre chemin les hahi
tants de cette contrée du Maghrib, Berbers et autres, aux
souches et tribus diverses. Elles nous ont manifesté la
plus grande joie de notre venue, et ont témoigné la plus
entière soumission à notre personne élevée en Dieu. Nous
sommes arrivé à notre capitale fortunée, Méknàsét
Ezzéïtoùn le jour de notre entrée a été une de ces arri
vées bénies, dont le souvenir est inoubliable. Ce jour
heureux a même été si plein d’allégresse que pas une fête,
pas un moûsêm ne saurait lui être comparé.
« Rendons grâce à Dieu de ses grands bienfaits et de
son immense bonté Nous lui demandons par son Pro
phète (qu’il répande sur lui ses bénédictions et la paix !)
de recevoir l’hommage de notre reconnaissance et de
celle des Musulmans, et de nous traiter toujours avec
bonté et générosité. Ainsi soit-il.
« Salut
« Le 20 du mois sacré de doùlqa’da 1290. »
Avant d’entrer à Miknâs, le Sultan (Dieu le glorifie !)
avait visité le tombeau de Mawlay Idrîs l’aîné, où il avait
célébré la prière du vendredi.
Le Sultan (Dieu le fortifie) prolongea son séjour à Mék
nés. Il en profita pour châtier les Bni Mtîr et leurs confé
dérés les Mejjât, Bni Mguîld, Aït Yoûsi, etc.
Il dut lutter longtemps contre eux, enleva leurs forte
resses et s’avança jusqu’à l’endroit appelé Elhâjéb, qui
était leur camp retranché, leur principal point d’appui.
Les troupes victorieuses aux étendards déployés péné
trèrent même beaucoup plus loin, à FUmm Elkhenlq, où
commence le territoire des Bni Mguîld. Elles mirent
leurs campements au pillage, firent voler les têtes des
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ARCHIVES MAROCAINES
meneurs, et leur enlevèrent un grand nombre de prison
niers, que le Sultan (Dieu le glorifie !) envoya dans les
villes pour servir d’exemple.
La répression des Béni Mtir eut lieu au milieu du mois
de moharrem 1291
Le Sultan demeura à Miknâs jusqu’au I’1′ rabî’ Ier. Le
lundi 3, il partit (Dieu le fortifie!) pour Fâs, et y entra le
jeudi G. A Wad Ennejâ, les chériïs de la ville, les ‘oulamâ,
les notables, les tirailleurs et même les femmes et les
enfants, accompagnés du gouverneur et du qâdi, vinrent
à sa rencontre. Il les reçut avec affabilité et leur témoigna
beaucoup de bonté pour calmer leurs appréhensions.
La première chose qu’il fit en arrivant en ville fut de se
rendre au mausolée de Mawlay Idrîs (Dieu soit satisfait de
lui !) d’y faire sa ziâra et d’en recueillir la bénédiction.
Les pauvres, les femmes et les enfants se pressèrent au
tour de lui pour baiser les pans de ses vêtements et s’en
essuyer. Il fit immoler des victimes au sanctuaire Idrîsi
et à d’autres lieux saints, et fit distribuer aux pauvres et
aux malheureux des aumônes qui dépassent tout calcul.
Bref, le jour de son entrée dans la ville fut un jour célébré
et compté parmi les mouséms pleins de bénédictions.
Le Sultan célébra à Fâs la fête du Moûloûd. Les dépura
tions de toutes les contrées arrivèrent auprès de lui, et les
notables des tribus des montagnes et de la plaine se réu
nirent: à la porte de son palais. C’était une époque magni
fique, la victoire et le triomphe étaient complets, toutes
les affaires étaient en bon ordre et le héraut de la joie lan
çait aux uns et aux autres sa proclamation.
La fête terminée, le Sultan (Dieu le glorifie !) ordonna à
son amîn, Aboiil’abbâs Ahmad bn Muhammad bn Che
qroûn ElMurrâkushi, d’organiser la perception des taxes,
qui étaient payées aux portes et sur les marchés de Fâs,
1. Texte arabe, IV» partie, p. 23R.
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DYNASTIE ALA0U1E DU MAROC
du vivant du sultan Sidi Muhammad (Dieu lui fasse misé
ricorde !) Ces ordres reçurent leur exécution.
Ceci se passait à la lin du mois de rabî’ Ier.
Les oumanâ s’installèrent chacun à la place qui leur fut
assignée et tout alla bien, les appréhensions du public
s’étant calmées. Mais la taxe parut lourde aux tanneurs,
qui manifestèrent de la résistance dans le paiement. Ils
allèrent trouver le sharîf, le fqîh Moùlav “Abdelmâlék
Eddari’r, et lui tinrent ce langage: « C’est vous qui nous
avez mis dans cette situation, en nous garantissant d’abord
la suppression du meks, ce qui nous a fait agir envers
BemiJS comme nous avons agi. Maintenant tireznous de
cette situation, soit par la suppression du meks, soi t en nous
̃débarrassant de lîennis avant qu’il ait trouvé une occasion
de se venger de nous, car il est maintenant notre ennemi. »
Le i’qih se rendit auprès du Sultan (Dieu le glorifie !) et
lui fit part des dispositions des tanneurs de basse condi
tion. Le Sultan (Dieu le fortifie !) tout en se montrant bien
veillant, repoussa ces propositions, et le fqîh lui dit alors
« Si rien de ce que j’ai exposé à notre Seigneur ne doit
avoir lieu, je n’ai plus qu’à aller habiter Tàfilèlt, car je ne
peux plus rester au milieu de ces gens. » Le Sultan accéda
à sa demande et lui fournit des muletiers pour le trans
porter, lui et sa famille. Voyant cela, les tanneurs, inspirés
par Satan, attaquèrent les muletiers, qui les repoussèrent.
La ville fut en émoi, les marchés s’agitèrent, et une véri
table révolution éclata. Prévenu de ce qui se passait, le
Sultan (Dieu le fortifie !) convoqua le gouverneur de Fâs,
Dris bn ‘Abderralimân Esserrâj, qui était soupçonné
d’avoir provoqué l’au’aire Bnnîs et ses suites. Obéissant
aussitôt, il monta à mule pour se rendre auprès du Sultan,
à Fâs Eljedid, mais les tanneurs lui barrèrent le passage
et l’empêchèrent de se mettre en route, le menaçant de le
tuer s’il allait chez le Sultan. Il ne bougea pas il craignait
pour sa vie et c’est pourquoi il se conduisit ainsi.
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ARCHIVES MAROCAINES
Voyant que ces slupides gens persistaient dans leur
mauvaise querelle et leur entêtement, malgré la douceur
et la mansuétude extrêmes dont il avait fait preuve, notam
ment en s’appliquant à garder le silence sur l’affaire Berinîs,
le Sultan (Dieu le fortifie !) ordonna d’assiéger la ville et
de la tenir étroitement bloquée, dans l’espoir d’obtenir un
revirement dans la conduite des habitants. Mais ceux-ci
s’obstinèrent dans leur rébellion, et, montés sur le mina
ret de la mosquée El’inâm’ya et sur ceux des autres mos
quées qui dominent Fâs Eljedîd, ils se mirent à tirer, et
atteignirent même des gens qui étaient à Boùljcloiid. En
présence d’un pareil excès d’insolence, le Sultan (Dieu le
fortifie !) donna l’ordre de les traiter comme ils le méri
taient pour leur crime. Des soldats cernèrent la ville et la
bombardèrent dans toutes les directions. Un bataillon
parvint à escalader le mur de Fâs, du côté de la Tâl’a, et
se mit à tuer et à piller.
L’affaire prit aussitôt de grandes proportions, et la tris
tesse arriva à son comble. Sur ces entrefaites, le Sultan
(Dieu le glorifie !) envoya son vizir Abû ‘Abdallah Essef
fâr pour adresser des avertissements aux gens de la ville
et leur proposer VAmân, à condition qu’ils manifesteraient
leurs regrets et rentreraient dans l’obéissance. Ils accep
tèrent cette proposition, cédèrent, et le feu de la révolte
fut éteint, en même temps qu’il était coupé court aux repré
sailles. Le Sultan se hâta d’adresser une proclamation aux
populations, fit preuve de clémence, et justifia sa conduite
sur la provocation des Ahl Al-Fâs, car le plus coupable
est celui qui commence. D’ailleurs, dès qu’ils cédèrent, il
leva le siège par compassion pour eux. Cet événement eut
lieu le mardi 4 rabî’ II.
Voici le texte de la lettre du Sultan (Dieu le glorifie !).
« Ensuite
« Nous vous avions fait part de l’accueil joyeux et en
thousiaste que nous avions reçu des Ahl Al-Fâs, et de
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
l’empressement qu’ils avaient témoigné en toutes choses.
Depuis, nous les avons mis à l’épreuve, nous avons sur
veillé leurs agissements, et nous avons constaté que
leurs actes concordaient avec leurs paroles. Nous avons
alors donné l’ordre de rétablir les moustafâds dans leurs
conditions habituelles, comme nous l’avons fait à Miknâs
et dans toutes les autres villes. Ils ont obéi et se sont
empressés de les payer. Nous avons nommé, entre autres
amîns chargés de la perception, l’amîn Bn Cheqroùn
Elniorrâkchi. Nous avons tenu à ne pas inquiéter les tan
neurs, auteurs de l’affaire Bnnfs, qui cependant étaient
pleins d’angoisse et craignaient d’être poursuivis pour
leurs actes. Ils nous ont demandé de les débarrasser de
Hennis et de l’éloigner. Ils étaient encore obéissants et
manifestaient la soumission habituelle. Mais comme nous
n’avons pas accédé à leur demande, leurs craintes n’ont
fait qu’augmenter, et ils se sont livrés à des excès qui ont
témoigné de leur trouble et de leur désarroi. Nous nous
sommes mis alors en devoir, avec l’aide et la puissance
de Dieu, de les châtier, mais nous avons usé de toute la
longanimité possible avant de fondre sur eux, et nous
nous sommes abstenus de précipiter leur châtiment par
respect pour le caractère sacré de notre seigneur et
maître le brillant Idris, et par égard pour tous les hommes
de Dieu vivants ou morts. Nous ne leur avons ménagé ni
les exhortations ni les avertissements, voulant avoir contre
eux une arme basée sur la Loi divine et sur la Coutume.
Mais ils ont commencé euxmêmes les host-ilités, ont pro
fané le caractère sacré qui les protégeait. Nous leur
avons répondu par des host-ilités, celui qui commence est
le plus coupable. En moins d’un clin d’oeil Dieu fit appa
raître son appui. Des maisons et des minarets ont été dé
molis, des fondaqs et des ateliers d’où ils tiraient et qui
leur servaient de remparts ont été jetés à terre, des bou
tiques et des maisons ont été dévalisées, les soldats ont
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ARCHIVAS MAROCAINES
dépouillé les uns, fait prisonniers les autres, et le châti
ment de la vie future et de celle de ce monde commença
pour eux. Mais dès que la force victorieuse de Dieu eut
triomphé, et que la victoire fut décidée, nous avons fait
proclamer le pardon, et fait cesser le meurtre et l’empri
sonnement, par égard et par compassion pour eux, et pour
voir quelle serait leur attitude, et si leur pénible aveugle
ment cesserait. Au ‘a.sar de ce même jour, les ‘oiilamâ,
les chorfa, les notables et les experts sont venus inter
céder pour que nous leur pardonnions, à condition qu’ils
paieraient les droits, exécuteraient les conventions, et que
les charges et impositions dont ils étaient grevés du vivant
de Notre Maître sanctifié ne seraient pas augmentées.
Nous nous sommes laissé fléchir à ces conditions, et nous
avons accédé à leur demande, moyennant l’observation
des règlements prescrits.
« Nous vous faisons part de ce qui précède pour que
vous vous réjouissiez de la victoire de Dieu et afin que
vous connaissiez la réalité des faits. De cette façon vous
ne prêterez pas l’oreille aux nouvelles trompeuses, et vous
repousserez les propos des agitateurs qui ne rendent
aucun culte à Dieu et qui ne cherchent qu’à jeter le trouble
dans les croyances et parmi les croyants.
« Salut.
« Le 4 rabî’ II de l’année 1291. »
Après cela, le Sultan (Dieu le glorifie !) fit emprison
ner le gouverneur de Fâs, Dris Esserrâj, son fils, et
deux autres chefs de la révolte. Il les exila à Murrâkush et
nomma gouverneur de Fâs un de ses qâ’îd-s, le qàïd
Eljilâni bn Hammo Elbokhâri. L’ordre fut ainsi rétabli.
Parmi les poésies composées sur cet événement, est
celle de notre ami lefqîh, le lettré délicat Abou ‘Abdallah
Muhammad bn Nâçir Harakât Esslâoui (Dieu le con
serve !).
Après cela, le Sultan (Dieu le glorifie !) se mit à former
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
l’infanterie, en développant le recrutement qui existait
du temps de son père. Il imposa 500 hommes à Fâs, (>00
aux DcuxHives et 200 à chacun des ports. Il ne prit pas
un seul homme à Murrâkush ni dans Y’amàla de cette ville.
La population, malgré son mécontentement, fournit tous
les hommes qu’elle put donner, et le Sultan s’occupa lui
même de les passer en revue et de les organiser.
Pendant son séjour à Fâs, un hérétique fit son appari
tion dans Y’amâla d’Wujda. Il s’appelait Boù ‘Azza Elhabri
(ce nom est l’ethnique de llabra, branche des Souéïd, qui
fait partie du groupe hilàlien des Bni Màlek bn Zogha).
Cet homme, à ce que l’on raconte, traçait des lignes sur
le sable et se livrait à la sorcellerie. Des fripons sans tra
vail se firent ses disciples et se réunirent autour de lui.
Il s’approcha des frontières du pays et on parla beaucoup
de lui. Le Sultan, qui était déjà résolu se rendre dans
cette région qu’il voulait pacifier en faisant disparaître les
promoteurs de révolte, accéléra ses préparatifs, fit faire
de nouvelles tentes, habilla les troupes d’infanterie et de
cavalerie, aussi bien les anciens soldats que les recrues,
et après les avoir passées toutes en revue, il quitta Fâs le
15 rejéb 1291. Dans la seconde nuit qui suivit son départ,
il était campé chez les Aït Chegroussen, quand Boù ‘Azza
Elhabri, accompagné de Sa’id bn Ahmad Echchegroussni,
chérîf Idrisi, diton, vint attaquer la mhalla. Après un
moment de trouble, les hommes se reprirent, chacun se
mit à son poste, on braqua les canons et tout l’appareil de
guerre sur l’ennemi qui fut mis en déroute, et dont il
ne fut plus question. Plusieurs partisans d’Elhabri furent
arrêtés et quelques têtes furent coupées.
Le Sultan (Dieu le glorifie !), à la tête de ses troupes com
posées du guéïch fortuné toujours victorieux, de l’infanterie
régulière et des combattants des tribus du Maghrib, arabes
et berbères, marcha sur les Bni Saddén et les Ait Che
groussen, les punit et répandit parmi eux le meurtre et le
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ARCHIVES MAROCAINES
pillage. L’armée dévasta leurs cultures et bouleversa leurs
terrains et leurs maisons, et ils durent se réfugier chez
les Bni Ouaraïn. Le Sultan (Dieu le fortifie !) ordonna de
livrer combat à ces trois tribus à la fois. Bientôt les Bni
Ouaraïn vinrent auprès du Sultan pour se disculper et lui
déclarer qu’ils ne faisaient pas cause commune avec les
autres. Il accepta leurs excuses et leur donna un gouver
neur choisi parmi leurs notables.
Les Bni Sâddén et les Aït Chegroussen vinrent à leur
tour humblement demander pardon au Sultan, qui leur par
donna et les frappa d’une contribution de 100.000 mitsqâls
et de 400 chevaux. Ils se soumirent à cette obligation, et
lorsqu’ils l’eurent entièrement remplie, le Sultan (Dieu
le glorifie !) continua sa route sur Tâza dans les premiers
jours de cha’bân.
Le Sultan fit son entrée dans cette ville, peu de jours
après. Dès son arrivée, les tribus de la région envoyèrent
leurs députations, qui déclarèrent leur obéissance, se ran
gèrent dans la partie de la communauté musulmane et se
montrèrent prêtes à servir, autant que cela était en leur
pouvoir. Puis arrivèrent les ‘Arab Elalilàf et leurs voisins,
amenant avec eux leurs grandes litières portées sur des
chameaux, couvertes de toutes sortes de bijoux et des or
nements propres à ces tribus, et qu’ils revêtent dans les
grandes occasions. Le Sultan (Dieu le glorifie !) les reçut
tous avec la bienveillance et les bons procédés nécessaires,
à l’exception de trois fractions des Giyâtsâ voisins de Tâza,
les Bni Boù Guéïtoûn, les gens d’Echcheqqa et ceux
d’Eddoùla, qui attaquaient constamment les habitants de
Tâza et les dévalisaient. Le Sultan (Dieu le fortifie !)
obligea ces derniers à payer leurs contributions arriérées,
qu’ils versèrent surlechamp, puis il les frappa d’une
amende supplémentaire de 30.000 douros, au profit du
Trésor, qu’ils payèrent sans résistance. Quant aux autres
fractions des Giyâtsâ, elles ne versèrent que leurs zakât
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
et leurs ‘ashûr-s, et se montrèrent pleines de soumission
et de bonne volonté.
Durant ces journéeslà, Elhabri fut amené prisonnier
au Sultan. Lorsque le Sultan lui avait donné la chasse et
poursuivi ses partisans, il avait pris la route du Sahara.
Repoussé de pays en pays, chassé de ravins en précipi
ces, il avait fini, poussé par un destin vengeur, par arri
ver chez les Bni Klàl, à quatre étapes de Tàza. Les gens
de cette tribu l’avaient fait prisonnier et l’amenaient
captif au Sultan, entre les mains de qui ils le rCommandeurent,
ligoté et à bout de forces. Elhabri eut une attitude repen
tante, humble et soumise. Le Sultan (Dieu le glorifie!) ne
voulut pas verser son sang, et le fit promener sur un
chameau dans toute la mhalla. Il l’envoya ensuite à Fâs,
où il fut de nouveau promené dans tous les marchés de la
ville, puis mis en prison.
Après cela, le Sultan (Dieu le glorifie !) poursuivit sa
route. Il arriva à Qasbat Selouân, sur les confins du Ma
grib, dans la direction du Chèrg. Les tribus de cette
région lui apportèrent leurs présents et la moâna, et lui
témoignèrent beaucoup de joie et d’allégresse. Une per
sonne qui se trouvait là lui a raconté que les populations,
voulant recueillir sa bénédiction, se pressaient en foule
autour de lui pour baiser sa main, son étrier, et poser sur
leurs yeux les pans de ses vêtements.
Dans les premiers jours de ramadan, dans la nuit du
5 au 6, ou celle du 6 au 7, il y eut une pluie d’étoiles qui
se produisit dans une confusion et un désordre effrayants.
Les unes suivaient la direction de l’est, les autres celles
de l’ouest, d’autres enfin affectaient une forme toute par
ticulière. C’était tout à fait le spectacle décrit par Ela’ma
dans ce vers
« On eut dit que des tourbillons de poussière volaient
sur nos têtes et que notre pays était la nuit dont les étoiles
nous caressaient. »
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AIICIIIVES MAROCAINES
Cette révolution sidérale dura jusqu’à l’aube.
Le Sullan (l)iou le glorifie !) demeura dans cette région
jusqu’à la ‘ayd al-fitr, qu’il célébra là
avec un éclat tout particulier. Les ISeni Y/.nàsén y assistè
rent, Sûs la conduite de leur chef Elhûdj Muhammad
bn Elbachir heu Ales’oùd, qui ollïit ait Sullan de nom
breux présents et en recul, le commandement de toutes
les tribus du pays, y compris les Boni Y/.nàsén.
Le Sultan (Dieu le glorilie !) se remit en route pour ren
trer à Fés. Surpris par la mauvaise saison dans ces mon
tagnes el ces plaines, où le froid vif et la rareté des vivres
firent péril un grand nombre de soldats, et oùtoutle monde
eut beaucoup à souffrir, il fit preuve (Dieu le secoure !)
d’uue sollicitude et d’un dévouement dont le bruit se
répandit au loin et dont on parla partout. Sa marche
était celle des humbles il s’occupait des malades pour
les faire soigner, veillait à l’ensevelissement des morts,
faisait porter ceux qui ne pouvaient plus marcher, et
fournissait de l’aide à tous ceux dont la charge ou la
bête tombaient. 11 en fut ainsi jusqu’à son arrivée à Fâs,
où il arriva assez à temps pour y célébrer la fête des Sa
crifices.
Il donna alors tous ses soins à l’infanterie, dont il tint à
s’occuper lui-même. Il passa ces troupes en revue, ins
pecta les listes de leur tnoûna et de leur solde, et se ren
dit ainsi compte que les administrateurs avaient exagéré
les dépenses d’une manière fictive. Il infligea plusieurs
punitions et ordonna des destitutions. Ensuite il fit em
prisonner le chef des troupes du Sûs, Al-Hâjj Menno
Elhahi. Cet homme était brave et courageux, mais son or
gueil et les libertés qu’il prenait avec le gouvernement et
ses chefs le rendaient si intolérable qu’il fallait le punir. Il
fut bâtonué et mis en prison son argent et ses biens furent
confisqués. Il est encore en prison en ce moment. Plus
tard il fut mis en liberté et alla habiter Murrâkush en 1305.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
Ce fut à cette époque que le Sultan (Dieu le fortifie!)
entreprit la construction de son palais, élevé en Dieu,
qui surpasse les monuments élevés par Elinou’tanud et
les coupoles cl’Ezzohra. L’emplacement qu’il choisit fut
une partie du parc d’Amina, à l’intérieur de Fâs Elje
did, où il lit arracher les arbres. Il fit bâtir d’abord un
magnifique pavillon, d’une beauté surprenante et d’un vif
éclat, sur le modèle, diton, des pavillons élevés par Elmo’
tamid à Séville. A côté, il fit construire le grand palais, qui
est, ce qu’on assure, une des merveilles du inonde. Ses pro
portions, sa décoration, ses sculptures étonnantes, ses mar
bres superbes, ses revêtements de zoulléïj plus beaux que
des parterres de fleurs,les tapisde l’Inde et les porcelaines
multicolores qu’il renferme, font que, suivant ce que m’a
assuré quelqu’un qui l’a vu, pas une dynastie du Maghrib
n’a élevé un pareil palais. Les portes vinrent du pays des
chrétiens chacune d’elles coûta, diton, 15.000 douros.
Les clous sont en argent doré et le bois qui a servi à les
fabriquer est de la meilleure espèce qu’on puisse trouver
et n’a pas de prix. L’imagination est troublée, les yeux
sont éblouis par les dallages en marbre et les sculptures
qui s’y trouvent. Les autres portes sont en cristal doré et
élégamment gravé. Il fit venir, pour meubler ce palais, des
marchandises européennes pour des milliers de douros
on y voit des tapis et des kûïtis brodés, dont on ne peut
connaître le prix, ni la source, ni l’origine. Enfin il s’y
trouve quantités de salons superbes, de chambres admi
rables, agréables par leur forme et surprenantes par leur
style et leur dallage.
Pendant qu’il était à Fâs, le Sultan (Dieu le fortifie !)
ay.ant été avisé de divers actes d’indépendance commis par
Ould Elbachir bn Mes’oûd, décida d’envoyer un gouver
neur pour lever des impôts en son nom dans cette région.
Il donna à son frère Mawlay ‘Ali le commandement d’une
armée, lui ajoignit le qàïd Abû Zéïd ‘Abderralimânbn
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ARCHIVES MAROCAINES
Echchlih Ezzeràri avec le rang de vizir pour lui servir
d’auxiliaire, et les fit partir pour la direction d’Wujda. Bn
Echchlîh était alors gouverneur de l’ `amQlal de Tâza, et les
gens d’Wujda et des environs, qui n’aimaient pas avoir
pour gouverneur Ould Elbachîr, le désiraient parce qu’il
était renommé et influent dans cette contrée. Peutêtre
même les ‘Arnbs Angàd se mirent-ils en correspondance
avec lui. Quand cela parvint aux oreilles de Ould Elba
chir, il n’en fallut pas davantage pour augmenter l’inimi
tié entre lui et Bn Echchlih, et immédiatement le Sultan
(Dieu le fortifie !) envoya Bn Echchlih à Wujda comme
gouverneur de la ville et des environs, avec mission de
percevoir les impôts de la région et de surveiller l’état
et les affaires du pays. C’est alors que Ould Elbachir, sa
chant qu’il ne pourrait pas vivre en bonne intelligence
avec lui, se mit en révolte et résolut de le chasser du pays
et de le renvoyer à l’endroit d’où il était venu. Ould El
bachîr était jusqu’alors soumis au Sultan, mais les cir
constances que nous avons rapportées avaient déterminé
chez lui ces mauvaises dispositions. Quand Bn Echchlih
fut proche de son territoire, il marcha sur lui avec ses ca
valiers et ses hommes à pied, et dès sa rencontre avec
l’avantgarde de l’armée, la lutte s’engagea, et un grand
désordre s’en suivit. Ould Elbachir ne voulait pas s’atta
quer au frère du Sultan, ni à son armée il se proposait
au contraire de le servir et ne désirait pas autre chose
que repousser son ennemi. Mais son plan ne put se réali
ser. D’ailleurs son plan était une faute. On ne peut pas
donner le nom de soumission à une pareille attitude.
L’armée fut battue, et les Bni Yznâsén ainsi que les
‘Arab-s s’attaquèrent à la mhalla et la pillèrent. ‘Abder
rahmân bn Echchlih s’en retourna auprès du Sultan (Dieu
le glorifié !) qui était à Fâs, et lui fit part de ce qui s’était
passé. Peu après, Ould Elbachîr écrivit au Sultan pour se
justifier de la façon dont Bn Echchlih et sa mhalla
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
avaient été traités, disant qu’il lui était toujours soumis et
que ses dispositions n’avaient pas varié, que le pillage de la
mhalla était le fait de quelques mauvais sujets qui avaient
agi sans autorisation, qu’il n’approuvait pas ces actes,
et qu’il était disposé à payer largement tout ce que cette
mhalla avait perdu. Mais le Sultan (Dieu le glorifie !) laissa
cette aflaire en suspens, se réservant de la régler plus
tard.
Il venait en effet de recevoir de mauvaises nouvelles au
sujet de Abou ‘Abdallah Muhammad Elgountâfi, chef du
Jebel Tinmellel. Ce personnage était à l’origine un des
shaykhs de sa tribu, qui était commandée par le qâ’îd du
guéïch de Ehl Sûs, Abou Ishâq Brahîm bn Sa idEljerâoui.
Elgountâfi était plus circonspect qu’un corbeau et plus
difficile à surprendre qu’un vautour. Il s’était construit
une forteresse sur le sommet du Jebel ïinmellel, où
avait commencé l’apparition du Mehdi des Almohades, et
s’y tenait fortifié. Il payait, d’ailleurs, sans la moindre résis
tance, au qâ’îd Eljeràoui, tout ce que Celui-ci ordonnait de
verser, mais ne consentait jamais à descendre vers lui.
Ce qâ’îd étant venu à mourir, le Sultan donna le com
mandement du guéïch Sûsi et de tout ce qui rentrait
dans ses attributions à son esclave le qâ’îd Ahmad bn
Mâlék. Celui-ci, s’étant montré plus exigeant envers
Elgountâfi, et ayant pris visàvis de lui une attitude diffé
rente de celle de son prédécesseur, Elgountâfi lui tint
tête et fit savoir publiquement qu’il était soumis au Sultan,
que respectant le serment d’obéissance qu’il lui avait prêté,
il y resterait fidèle jusqu’à la mort et jusqu’à sa résurrec
tion, mais qu’il ne reconnaîtrait pas l’autorité de Ahmad
bn Mâlék, quand bien même on le jetterait dans les
flammes. Ahmcd bn Mâlék écrivit alors au Sultan, qui
était à Fâs, et lui fit savoir qu’Elgountâfi avait secoué le
joug de l’obéissance et s’était mis en dehors de la conunu
nauté. Des agitateurs répandirent le bruit qu’il voulait se
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ARCHIVES MAROCAINES
rendre indépendant, comme l’avaient été les habitants de
celle montagne pendant septcents ans. 11 se peut qu’il eut
lui-même ces intentions. Ibn Khaldoûn raconte que de son
temps les gens de cette montagne vivaient dans cette con
dition. Ahmad J)en Mâlék demanda en même temps au
Sultan l’autorisation de diriger une expédition contre ce
(joimtftfi. Sur l’ordre du Sultan, il envoya contre lui un
escadron du yuèïch qui fut taillé en pièces. Les propos et
les racontars des agitateurs ne firent qu’augmenter. Une
seconde colonne, plus considérable que la première, fut
ensuite envoyée par Bn Màlék. Elgountâfi la défit aussi,
et s’empara d’un certain nombre des gens qui la compo
saient. 11 rendit la liberté aux réguliers du Sultan pour
témoigner de son obéissance, mais il trancha la tête à
tous ceux qui appartenaient aux tribus de son voisinage:
ils étaient très nombreux. Cette affaire du Gountâfi faisait
déjà scandale dans le Howz et peu s’en fallait qu’elle n’y
provoquât des désordres. Elgountâfi envoya son fils auprès
du Sultan à Fâs, et lui écrivit pour lui exposer son affaire,
lui disant qu’il était opprimé par Ahmad bn Mâlék, que
c’était dans l’état de légitime défense qu’il s’était ainsi
comporté avec la colonne mais qu’il n’avait pas tué un
seul régulier. Il multiplia les excuses, les intercessions,
les objurgations et les immolations, si bien que le Sultan
(Dieu le glorifie différa sa décision.
Mawlay Elhasan quitta Fâs le 15 ramadan ‘1292 et arriva
à Ri bât. Al-Fath, la veille de la ‘ayd al-fitr,
ôans la nuit1.
Un fait curieux se produisit à ce momentlà. Une
troupe de douze individus, dont le témoignage devait ser
vir à établir un acte de notoriété, arrivèrent chez le qâçli
Abû ‘Abdallah Muhammad bon Brâhîm. (Dieu lui fasse
miséricorde !) dans la nuit du 28 au 29 ramadan, et lui
1. TexLe arabe, IV’ partie, p. 245.
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DYNASTIE ALAOUIE DU J1AROC
déclarèrent qu’ils avaient vu le premier quartier de In
lune de chouwùl après le coucher du soleil et cela d’une
façon sûre, et qu’ils n’avaient à ce sujet ni doute. ni hési
tation. Le qâdi écouta leur témoignage, le consigna par
écrit et écrivit au Sultan qui se trouvait à Qnrmiin. Dans
la nuit même, le Sultan se mit en route et arriva à son pa
lais. Le lendemain matin, il commença la l’ète ainsi que
les habitants des DeuxHives et des environs, et bon
nombre de gens du reste du Maghrib venus pour la célébrer
avec le Sultan. Mais au dhor, les astronomes du gouver
nement constatèrent que la fêle ne pouvait certainement
pas avoir lieu ce jourlà qui était le 29 du mois de rama
dan et en parlèrent. On en lit grand bruit, et la majorité
de la population resta cependant dans le doute. Au cou
cher du soleil, on surveilla l’apparition (lu croissant, car le
ciel était très clair, sans le moindre nuage, mais on ne
vit absolument rien. Le Sultan (Dieu le glorifie lit aus
sitôt crier que l’on devait jeûner le lendemain, parce que
ramadan n’était pas fini. On jeûna donc le lendemain. Le
croissant apparut comme d’habitude, et on put constater
le mensonge des témoins, qui furent mis en prison, puis
remis en liberté au bout de peu de temps.
La fête célébrée, le Sultan se mit en route pour Mor
râkch. Arrivé à Zâwiyat Bn Siisi, entre le territoire des
Rhâmna et des Zemrân, il établit là son camp pour châ
tier les Rhâmna qui avaient commis des actes (le rébellion.
Il leur imposa des sommes d’argent qui « chargèrent leurs
dos », et les obligea à lui fournir un nombre de soldats et
,de chevaux qu’ils eurent beaucoup de peine à réunir. Il
ne consentit à lever le camp que lorsqu’ils se furent ac
quités de toutes ces obligations. Il fallut encore pour
cela que les chérîfs et les descendants des marabouts de
Murrâkush vinssent intervenir auprès de lui en leur faveur
et le presser de se rendre à son palais. Cédant à leurs in
tercessions, le Sultan (Dieu le fortifie !) quitta, le dernier
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ARCHIVES MAROCAINES
jour de doùlqa’da, le territoire des Rhâmna où il avaitfait
un séjour de seize jours. Son entrée à Murrâkush fut une
journée mémorable.
Le 4 doi’ilhedja suivant, eut lieu l’arrestation de 280 no
tables des Oulfld Bessebâ’. Cette tribu du Hortz s’était
livrée à une de ces révoltes qui lui sont habituelles ses
méfaits avaient été considérables et s’étaient étendus très
loin. Insurgés contre leur gouverneur Si ‘Abdallah bn
Bel’aïd, les Wulâd Bessebâ’ avaient attaqué le qâ’îd
Abû I.Iafs ‘Omar Elmtoùggui. La guerre avait éclaté
entre eux et les partisans de leur gouverneur Bn Bcl’aïd
qui s’était enfui à Fâs auprès du Sultan. Celui-ci (Dieu le
glorifie !) leur « rendit les rênes » et leur donna comme
gouverneur le qâ’îd Abou ‘Abdallah Muhammad bn
Zerouàl Erralimâni c’était une feinte de sa part, pour les
faire rentrer dans le calme et leur donner confiance. Ar
rivé à Murrâkush, il imposa aux tribus du Hawz la fourni
ture de contingents celui des Wulâd Bessebâ’, qui était
de 300 cavaliers, se rendit à la ville avec ses chevaux et
ses armes. Le Sultan (Dieu le fortifie !) avait déjà com
mencé à passer en revue les contingents des tribus à l’in
térieur du Mechonan de Bûlkhesîsât. Quand ce fut le
tour des Wulâd Bessebâ1, les portes furent fermées, on
les arrêta, on leur enleva leurs armes et on les conduisit
en prison ils étaient 280, comme nous l’avons dit. Après
cela, le Sultan (Dieu le glorifie !) envoya dans leurs
douars un peloton du guéïch, commandé par le qâ’îd
Al-’Arbi Errahmâni, qui y reste campé pour leur faire ver
ser une amende de 60.000 douros, qu’ils payèrent immé
diatement en vendant à vil prix leur bétail. Le Sultan
manda alors leur gouverneur ‘Abdallah bn Bel’aïd, qui
était encore à Fâs et, dès son arrivée, le rétablit comme
gouverneur de cette tribu, qui rentra dans le calme et
l’obéissance.
Jusqu’aux derniers jours de safar de l’année 1293, le Sul
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DYNASTIE ALAOUIS DU MAROC
ARCH. MAROC. 20
tan travailla activement à réunir et à armer l’infanterie1. 1.
cette époquelà, Abou ‘Abdallah Muhammad Elgoun
tâfi, chef de la montagne, se rendit auprès de lui, couvert
de la protection du marabout Abou ‘Ali Elhasan bn Tîm
kîlécht. Il le reçut, lui pardonna, lui donna l’hospita
lité ainsi qu’à ses compagnons, et le nomma gouverneur
de sescontribules, si bien qu’il s’en retourna plein de joie.
Le Sultan (Dieu le fortifie !) célébra ensuite la fête du
Moùloùd glorieux, avec tout l’éclat que lui donnaient ses
ancêtres généreux (Dieu sanctifie leurs âmes! et place
dans les hauteurs célestes leur naissance et leur trépas !).
Les oreilles furent ornées des éloges du Prophète dans
la nuit bénie à la mosquée spécialement affectée à cette
cérémonie et l’on récita les poèmes des lettrés de l’époque.
Après la fête, le Sultan (Dieu le secoure !) distribua des
costumes au guéïch, à l’infanterie, aux secrétaires et même
aux amîns et aux tolba.
Le 1er rabî’ II, il quitta Murrâkush pour se rendre dans le
Nord. Il visita d’abord le mausolée des Bni Anigâr au
Ribât de Tît, puis passa par Eljedida. Là, il examina la
situation de ce port, s’occupa des borjs et des murs, et fit
un tir au canon son tir fut excellent et atteignit le but.
Tous les négociants de la ville, musulmans, chrétiens et
juifs, lui offrirent un présent, qu’il accepta, et en échange
duquel il leur donna des cadeaux. Avant son départ de
Murrâkush, il avait écrit (Dieu le glorifie !) au gouverneur
de la ville d’Anfa, le qâ’îd illustre et dévoué Abû ‘Abdal
lâh Al-Hâjj Muhammad bn Drîs bn HUmmân Eljerrâri,
de se rendre à Eljedîda et d’y attendre ses ordres. Ce
qâ’îd avait suivi ses instructions. Reçu par le Sultan, lors
de son arrivée à Eljedîda, il lui demanda de lui renou
veler le dahîr de respect et d’égards, que son père et lui
avaient obtenu du glorieux sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân
1. Texte arabe, IV* partie, p. 246.
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ARCHIVES MAROCAINES
et de sou lils le sultan Sitli Muhammad, Dieu leur fasse
miséricorde Le Sultan accéda à sa demande et lui écrivit
un dahîr, dont voici le texte
« Louange à Dieu seul
« Dieu prie pour Noire Seigneur et Maître Muhammad
et sur sa famille
«Notre présente lettre (Dieu l’exalte et glorifie l’ordre
qu’elle contient, et la compte, pliée ou dépliée, au nombre
des bonnes œuvres !) doit rester entre les mains de sou
bénéficiaire, notre digne serviteur le tâleb Muhammad
hen Dris Eljerrari, pour faire connaître que, grâce à la
puissance et la force de Dieu, nous lui avons concédé le
rang dont il a joui, lui et son père, auprès de nos ancêtres
généreux, que nous jetons sur lui, sur ses enfants et ses
frères, un regard de considération et de respect, qu’ils
ne verront que du bien de la part de notre personne élevée
en Dieu, parce qu’ils sont nos serviteurs et appartiennent
à une famille aimante et dévouée, que nous ne les ahan
donnerons, ni ne les oublierons et que nous ne leur ferons
pas perdre le fruit de leurs services passés, et que nous
ne leur enlèverons rien de la considération dont ils jouis
sent, avec l’aide et la puissance de Dieu.
« Salut.
« Notre ordre glorifié en Dieu à ce sujet a été édicté le
9 rabi’ II de l’année 1293. »
Ayant terminé ce qu’il avait à faire à Eljedida, le Sultan
(Dieu le glorifie !) partit pour Azemmoûr. La population de
cette ville le reçut avec joie et allégresse. Ému de cet
accueil, il se montra plein d’amabilité, fit des vœux pour
elle et visita le mausolée du cheikh Boù Cha’îb et celui i
de Abû ‘Abdallah Muhammad Oua’doûd (Dieu soit satis
fait d’eux !) devant lesquels il immola des victimes. Il fit le
tour des murs de la ville et des borjs, et ordonna de
consolider l’un d’eux, celui qui fait face au port.
Un ou deux jours après, il quitta Azemmoûr et s’arrêta
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
dans la ville d’Anfa, où il entra le 23 rabî’ II. Il retira le
gouvernement de cette ville au qàïd Abû ‘Abdallah ^Mo
hammed lion Dris Eljerràri et nomma à sa place Elhiuhlj
‘Abdallah bn Qâsém Hassâr Esslàoui. Il écrivit ensuite
a Abû ‘Abdallah Eljerràri, pour lui annoncer qu’il était
nommé gouverneur d’Eljedkla et de son ‘amalat. Voici le
texte de la lettre qu’il lui adressa
« A Notre digne serviteur, le tâleb Muhammad bn
Duis Eljerràii, Dieu vous protège
« Le salut soit sur nous, ainsi que la miséricorde et les
bénédictions du TrèsHaut
« Ensuite
« Nous vous avons retiré le gouvernement d’Eddàr
Elbaïda pour vous donner celui Ce n’est pas
une destitution motivée par votre conduite ou par une
négligence dans vos fonctions, mais Une décision motivée
par des considérations d’intérêt général, pour mettre au
premier rang les allaues les plus importantes. Vous êtes
des nôtres et vous nous appartenez. Votre famille est une
famille de serviteurs, nous ne vous abandonnerons, ni ne
vous négligerons, ni ne vous amoindrirons|en quoi que cesoi t.
« Salut.
« Le 23 rabî’ II de l’année 1293. »
Le gouverneur est un des ‘âmil-s les plus en vue,
les plus intelligents, les plus habiles et les plus dévoués
du Sultan (Dieu le secoure !). Les trois souverains, Mawlay
‘Abd Ar-Rahmân, son fils Sidi i Muhammad et son petitfils
Mawlay Elhasan (Dieu soit satisfait d’eux !), lui ont confié
successivement les fonctions de ‘âmél, qu’il a toujours
exercées, jusqu’à ce jour, avec compétence et dévouement
et à la satisfaction de tous. Dieu nous conserve, ainsi que
lui et tous les Musulmans Ainsi soit-il
Arrivé à Ecldâr Elbaïdâ, le Sultan (Dieu le glorifie !) ins
pecta les borjs de la ville et ordonna aux art-illeurs de pla
cersurla nier des cibles, appelées qrîbiyyât, sur lesquelles
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ARCHIVES MAROCAINES
ils devaient tirer en sa présence. Il est possible qu’il tira
aussi lui-même. Le tir terminé, il passa par Bab Elmarsà,
et visita le lieu où sont débarquées les marchandises des
négociants. Il en fit un examen attentif, comme il l’avait
fait à Eljedida, et promit d’améliorer le môle au bord de
la mer, dont l’état rendait particulièrement fatigant pour
les marins l’embarquement et le débarquement des mar
cliandises. Il passa deux jours à Eddâr Elbaïda sa Mhalla
était installée à l’extérieur de la ville. Les négociants
chrétiens, juifs et musulmans lui offrirent un cadeau. Les
chrétiens donnèrent des signes d’allégresse, ils pavoi
sèrent leurs maisons de drapeaux et tirèrent des feux
d’artifices qu’ils lancèrent dans les airs. Le Sultan (Dieu
le glorifie !) se montra très bienveillant pour eux et donna
à certains d’entre eux des chevaux en retour de leur pré
sent. Ces cadeaux les remplirent de joie ils informèrent
les gens de leurs gouvernements, et racontèrent tout cela
dans leurs journaux et leurs correspondances.
Durant cette période, le Sultan (Dieu le glorifie !)
envoya son serviteur distingué Abû ‘Abdallah Al-Hâjj
Muhammad bn Al-Hâjj Ettâhar Ezzebdi Errebâti, en
qualité d’ambassadeur, auprès des gouvernements d’Eu
rope, comme la France, l’Angleterre, l’Italie et la Bel
gique.
Il le chargea de porter de précieux cadeaux, et lui remit
des sommes importantes qu’il dépensa durant son voyage.
Cet ambassadeur fut accompagné du digne amîn Si Bn
nâsar bn Si Al-Hâjj Ahmad Gannâm Errebâti, en qualité
d’amîn et de trésorier, et de notre ami le fqîh délicat,
l’astronome et le calculateur de l’époque, le chérîf Abûl’ `
alâ Dris bn Muhammad Elja’îdi Esslâoui, en qualité de
secrétaire. Ils se rendirent donc auprès. de ces gouverne
ments et remplirent leur mission dans les conditions les
plus satisfaisantes. Ils revinrent fort contents dans les
derniers jours de cha’bân.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
Notre ami Abûl’alâ a écrit sur ce voyage une rihla
magnifique, intitulée: Tohfat el ahbûr biyarûtbelakhbûr,
où se trouvent toutes les choses curieuses et remarqua
bles qu’il a vues, et où sont décrites les industries euro
péennes et leurs machines étonnantes. A son retour, lors
qu’il se rendit auprès du Sultan (Dieu le fortifie!), il com
posa en son honneur une qasîda excellente.
Après cela, le Sultan (Dieu le glorifie !) partit de Casa
blanca. Il avait à sa suite une armée nombreuse, compo
sée du guéïch, du ‘askar et d’un grand nombre de gens du
Hawz, de Doukkala et de la Tâmisna. Après avoir razzié
les Ziyâïda, qui habitaient la Tâmisna, il se rendit à Ribât
Al-Fath, où il entra le lor joûinâda I01’. Il y demeura environ
sept jours, puis se rendit à Salé. Il visita les sanctuaires
de la ville, fit, à la grande mosquée, la prière du dhor,
dans laquelle notre ami le fqîh très docte et remarquable,
Abû Muhammad ‘Abdallah bn Elhâchmi bn Khadra,
lui servit à’imûm. Il entra ensuite dans la bibliothèque de
la mosquée, où sont contenus les livres de science, et les
examina. Ce jourlà, notre professeur le fqîh très docte,
le qâdi Sîdi Bon Bkeur bn Muhammad ‘Aououâd, qui se
trouvait avec lui, demanda au Sultan (Dieu le fortifie !)
d’acheter de nouveaux livres pour la bibliothèque. Le Sul
tan lui permit d’en acheter pour une somme de cent dou
ros ces livres se trouvent aujourd’hui dans la bibliothè
que. Il fit (Dieu le fortifie !) aux ‘oulamâ et aux Moujâhîds
des DeuxRives les cadeaux d’usage.
J’avais composé alors sur un certain sujet une qasîda,
qu’à l’occasion de l’arrivée du Sultan (Dieu le fortifie !) j’a
daptai à cette circonstance en faisant son éloge.
Après moi, le poète de l’époque, le fqîh, le lettré délicat
Abou ‘Abdallah Muhammad bn Nâçir Barakât, lut une
poésie avec la même rime, mais sur un mètre différent, qui
est une de ses poésies composée pour la fête du Moû
loùd.
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ARCHIVES MAROCAINES
Le Sultan (Dieu le glorifie!) quitta Ribât Al-Fath le
10 joùmâda l”1′ 1203, pour se rendre à Miknâs. Il passa
par le territoire des Zemmoîir Echchleuh, qui se rendirent
humblement et modestement auprès de lui, et cherchèrent
à gagner sa bienveillance par leurs présents el leur moilna.
Ils consentirent à payer le tribu) et à fournir les contin
gents qu’il leur imposa. Le 4 8, il entra (Dieu le glorifie !)
à Miknâs, où il demeura quelques jours, puis se mit en
route pour Fâs. Après un très court séjour dans cette ville
pour attendre la concentration des troupes, il en sortit le
15 joùmâda II pour se rendre dans le pays d’Oujdn et (les
Bni Yznâsénoù se trouvait le chef de cette tribu, Al-Hâjj
Muhammad bn Elbachîr bn Més’oûd. Il passa par Taza,
et laissant devant lui, au sudest, la chaîne rocheuse appe
lée Dr;V Elloûz, il établit ses positions de combat contre la
tribu de Gayy&tsa. Il leur imposa la moûna, qu’il fixa, dit
on, à 200 sahfa de blé et d’orge. Ils ne consentirent à lui
en livrer qu’une faible quantité, en déclarant que jamais
ils n’avaient fourni davantage aux souverains précédents.
Cette tribu n’avait pas été inquiétée depuis fort longtemps.
Fortifiée dans ses montagnes et ses vallées inaccessibles,
elle en profitait pour infliger toutes sortes de mauvais
traitements aux habitants de Tâza, Le Sultan (Dieu le glo
rifie !) décida donc de la combattre. La lutte commença
dans les derniers jours du mois, un jeudi. Il pénétra
d’abord dans leur forteresse naturelle, appelée Echcheqqa;
c’est un grand ravin, entre deux montagnes, au fond du
quel coule une rivière dont les deux rives sont couvertes
de constructions et de maisons. Il incendia tout cela, le
démolit, s’empara de l’orge, du blé, du beurre et de tout
ce qui s’y trouvait, et lit couper quelques têtes. Le lende
main, qui était le vendredi 26, le Sultan (Dieu le fortifie !)
se mit à la tête de la mhalla qui se trouvait réunie presque
tout entière, fit marcher les canons et les mortiers en avant,
et suivi des troupes, il pénétra de nouveau dans Ech
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DYNASTIE ALAOU1E DU MAROC
cheqqa, puis arriva au ctrur du pays des Gayvàtsa, lcui’
livra combat et les mit en déroule. Le Sultan continua à
s’avancer, à la tète de l’armée et entouré de son cortège
habituel, et atteignit les villages, sur quelquesuns des
quels il fit lancer des boulets et des bombes. Les Gayvàtsa
avaient dressé des barricades dans tous les passages et
les avaient garnis de combattants seule restait libre une
ouverture conduisant à un précipice rempli de crevasses
profondes, et garnie d’arbres épineux et de rochers amon
celés qu’on ne voyait pas et dont on ne pouvait mesurer
la profondeur avant d’arriver au bord. Quand les troupes
furent bien occupées à dévaster les cultures et les villa
ges, les gens embusqués se montrèrent tout à coup der
rière elles, et tirèrent sur elles tous à la fois. Prises
d’épouvante, les troupes revinrent à leurs anciens erre
ments qui avaient déjà amené la déroute des souverains, et
cela sans la moindre raison, car ni la force des Gayyâtsa,
ni leur nombre ne pouvaient leur assurer la défaite de
cette armée considérable, qui, si elle s’était quelque peu
défendue, leur eut résisté et les aurait battus surle
champ comme elle les avait déjà battus une fois. Mais
l’habitude était prise et elle prit la fuite. Les coups
de fusil atteignirent surtout l’entourage du Sultan le
porteétendard tomba; Mawlay ‘Arafa, frère du Sultan, fut
blessé, et Sîdi Muhammad lien Elhabîb, naqîb des sharîfs
des DeuxRives, fut tué. L’armée et ses qâ’îd-s, en se re
pliant, se dirigèrent sur ce précipice dont nous avons
parlé, et s’y précipitèrent en aveugles. Égarés par la fumée
de la poudre et la poussière soulevée par les chevaux, ils
tombèrent les uns sur les autres comme les papillons dans
la lumière, sans que ceux de derrière sussent ce qui arri
vait à ceux de devant. L’abîme fut bientôt rempli de che
vaux, d’hommes et de bagages c’était la volonté de Dieu!
Un nombre incalculable d’hommes et de chevaux périrent
là leurs débris restèrent suspendus pêlemêle dans tous
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ARCHIVES MAROCAINES
ces ravins qui brillaient au soleil comme un Le
Sultan lui-même (Dieu le glorifie !) dût mettre pied à terre
pour sortir de ces crevasses, puis remonta à cheval et ral
lia ses troupes qui se calmèrent après cette défaite. Les
(ïayyatsa se replièrent ensuite sur les sommets de leurs
montagnes, abandonnant leurs villages et leurs vergers.
Le Sultan, en deux ou trois jours, s’en empara, sans ren
contrer un seul homme de cette tribu, les saccagea, les
incendia et les rasa si complètement qu’on n’eût pu croire
que la veille ils existaient encore. Il envoya (Dieu le for
tifie !) des messages à ce sujet dans toutes les régions,
disant que la cavalerie et l’infanterie avaient rasé le pays
des Gayyâtsa, qu’elles les avaient poursuivis de tous côtés,
si bien qu’ils s’étaient réfugiés tout près du territoire de
leurs voisins.
Le Sultan (Dieu le secoure !) continua jusqu’à Wujda, où
il arriva dans les premiers jours de cha’bân. Les Bni
Yznâsén vinrent le saluer, humbles et repentants. Il leur
pardonna parce qu’ils formaient un des remparts des Mu
sulmans et une cohorte toujours en réserve pour la dé
fense de la religion seulement il destitua Ould Elbachîr
qu’il expédia prisonnier à Fâs, leur donna comme gouver
neurs des hommes résolus et dévoués choisis parmi eux,
et leur imposa une somme d’argent raisonnable qu’ils
commencèrent à payer, en prenant l’engagement de verser
toutes leurs contributions arriérées. Le bon ordre se ré
tablit parmi eux, et la situation de toute cette région se
trouva redressée.
Ayant achevé la tâche qu’il s’était imposée, le Sultan
(Dieu le glorifie !) se remit en route pour retourner à
Fâs, où il arriva dans la nuit du 27 ramadan. Il annonça
ces événements aux habitants des villes par la lettre sui
vante
« Nous vous écrivons cette lettre, au retour de notre
expédition fortunée. Nous sommes revenu à notre capi
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
tale élevée en Dieu de Fâs, avec de nouvelles conquêtes,
avec des bienfaits accrus. Notre arrivée a été de gloire et
de triomphe, de bonheur et de victoire.
« Nous avons achevé de rétablir l’ordre parmi ces tribus
et de les purger de toutes leurs vilenies. Grâce à Dieu,
nous avons obtenu dans cette expédition des marques de
bonheur, de bonne fortune et de bénédiction qui ont
rafraîchi les cœurs. Nous avons laissé les gens de ces
régions et les habitants de ces montagnes et de ces con
trées éloignées dans la meilleure situation possible Sûs
le rapport du bon ordre, de la tranquillité et de la soumis
sion à l’administration du Makhzen.
« Nous avons aussi laissé un détachement de notre armée
fortunée chez les tribus du Rîf, pour augmenter leur con
fiance et les liens qui les unissent à nous, dans le but de
recueillir leurs impôts arriérés et de pourvoir à la néces
sité de leur faire rendre justice de toutes les revendica
tions dont elles sont l’objet.
« Tous ces résultats sont le fruit des faveurs de Dieu, de
son assistance et de sa munificence envers son serviteur.
Le secours ne vient que de lui. Nous n’avons par nous
mème ni force, ni puissance, ni alliés sur qui compter.
Nous n’avons confiance ni dans le nombre, ni dans les
armes. Lui seul est notre secours et notre appui. Dieu nous
a fait connaître le prix de ses bienfaits, il nous a enseigné
à les louer et à les glorifier, et il nous a témoigné sa bien
veillance habituelle, dont les limites ne sauraient être
décrites par la plume.
« Nous avons décidé, dans notre jugement élevé en Dieu,
de vous informer de ce qui précède, afin que vous vous
réjouissiez aussi de l’assistance et du secours de Dieu, et
que vous célébriez ses louanges et le remerciiez de ses
vastes bienfaits.
« Salut.
« Le 26 ramadân 1293. »
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ARCHIVES ÏIAHOCAINES
Le Sultan (Dieu le glorifie !) prolongea son séjour à Fes,
et s’occupa activement de la construction de ses apparte
ments et ilo ses pavillons du lioustun Aniîm, à FâsEljeclid.
11 écrivit! Dieu le fortifie !) à son esclave Ahmad bn Màlek,
̃qâ’îd du fjuéïch saisi d’Elmenchiya à Murrâkush, de cons
truire audessus de la porte du grand palais de cette ville,
appelée IJàb Erréïs, une qoubba magnifique, très haute,
très belle et bien décorée. Il se mit à l’ouvrage dans le
mois de cliouwâl. J’étais alors charge des comptes de
diverses constructions à Murrâkush, et notamment de celle
ci; il fut dépensé pour cette qoubba plus de ‘100.000 mits
r/âls. A Miknâs, le Sultan fit édifier la grande qoubba, qui
s’élève jusqu’au ciel et qui monte si haut dans les airs
qu’elle domine toute la plaine de Sâïs qui l’environne.
Elle est passée en proverbe pour sa hauteur et sa renom
mée. Il fit bâtir aussi (Dieu le glorifie!) une superbe
fjoubba sur le mausolée du shaykh qui connut Dieu, Abou
‘Abdallah Muhammad Essâlah bn Elme’ti Eehcherqâoui
à Bûlja’d et dépensa pour cela plus de 30.000 mitstjâls
puisse son œuvre être agréée par Dieu
Le 10 cliouwâl, mourut le fqîh très docte, le pieux qâcli
de llibât Al-Fath Abû Zéïd ‘Abd Ar-Rahmân, fils du fqîh très
docte Sidi Ahmad ])en Ettahâmi Elbrîbri il fut enterré
dans cette ville dans la Zàouya de Ilansâla. C’était un des
qâdis\es plus remarquables de l’époque et de ceux qui ne
connaissent que la justice. II avait exercé les fonctions de
qâcli à Jiib.tt Al-Fath pendant plus de vingt ans, puis les avait
abandonnées, mais sans avoir été révoqué. Retiré chez lui,
il ne quitta plus sa maison. Cette attitude fut tolérée par
le Sultan et la population qui avaient foi en lui. Il ne
sortit plus de sa maison jusqu’à sa mort. Dieu lui fasse
miséricorde, ainsi qu’à nous et à tous les Musulmans
Le mardi 29 moharrem de l’année 12941, mourut le fqîh
1. TexLe arabe, IV” partie, p. 253.
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DYNASTIE AI.AOUIE DU MAROC
très docte, le lettré délicat, le poète de l’époque, Abû
‘Abdallah Muhammad bn Ahmad Akensoùs ElMurrâkushi.
Il fut enterré à Morrâkeh, en dehors de Jïùl> Evrobb,
auprès du mausolée de l’Imam Abûlqasém Essehili une
grande foule assista à son convoi funèbre. Il est l’auteur du
Kildb ElJaysh. Dieu lui fasse miséricorde
Dans la matinée du lundi 17 rabi’ I’1′, il m’est né un
enfant que j’ai appelé Muhammad Al-’Arbi j’en parle ici
parce qu’il naquit circoncis, ce qui est une œuvre éton
nante de Dieu. Cet enfant vit Dieu l’améliore, le fasse
grandir, et en fasse un de ses pieux serviteurs et un savant
pratiquant. Ainsi soit-il!
En joùmadal’ le Sultan (Dieu le glorifie!) commença,
dans sa capitale de Fâs, les préparatifs d’une hnrka tclle
qu’on n’en avait jamais vu. Il écrivit même à son frère,
Moùlav ‘Olsmàn bn Muhammad, qui était son khalil’a à
Murrâkush, de lui envoyer 620 fusils européens, ou fusils
sur lesquels se fixe une baïonnette dont l’ouverture laisse
passer les balles européennes, AIO.OOO de ces balles,
10 qanpârs de poudre, 100 qantûrs de salpêtre et deux
canons. Il ordonna aussi aux Oumana Essâïr de lui expé
dier 360 selles, (>00 costumes de drap pour l’infanterie,
15.000 belgas et 15.000 na’âlas. Il fit partir son oncle Moù
lay Elamin bn Wbderrahmàn pour Ribât Elfelh, avec mis
sion d’y réunir les soldats des ports et de rassembler les
contingents des tribus de Doukkàla, de Tamesnà, du Garb,
des Bni Hsén, etc. Il chargea son frère M où la y Elhasan
Essegîr d’appeler les contingents des tribus du Déïr et
les hommes du guéïch dispersés parmi elles. Enfin il sortit
luimème de Fâs pour se rendre a Méknôs dans les der
niers jours du mois. En apprenant son départ, les tribus
berbères s’inquiétèrent et se tinrent sur leurs gardes,
̃chacune d’elles croyant qu’elle était visée par le Sultan.
Les Mejjât et les Bni Mtîr se sauvèrent sur les sommets
des montagnes, et les ‘Arab-s ‘Amer, de la tribu des Bni
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ARCHIVES MAROCAINES
Hsén, se réfugièrent chez les Zemmoûr Echchleuh. Chacun
croyait alors que le Sultan allait razzier, cette annéelà, les
lîerbcrs des montagnes et du Sahara, mais ces craintes ne
se réalisèrent pas.
Durant cette période, plusieurs ambassadeurs étrangers
se rendirent auprès du Sultan (Dieu le glorifie !), entre
autres celui de France, celui d’Espagne et celui du Por
tugal. L’ambassadeur de France mit sur le tapis la ques
tion du chemin de fer et du télégraphe et de leur établis
sement dans le Maghrib comme dans tous les autres pays
kabiles. Il prétendit qu’il en résulterait de grands avan
tages pour les Musulmans et les chrétiens. Or, par Dieu
rien n’est plus dangereux; les chrétiens ont expérimenté
tous les pays ils veulent aussi expérimenter cette contrée
fortunée que Dieu a jusqu’ici préservée de leur souillure.
Demandons à Dieu de déjouer leurs stratagèmes et de
préserver les Musulmans de leurs bienfaits
Le Sultan (Dieu le secoure !) partit ensuite de Miknâs
vers le milieu de rejéb, à la tête d’une armée considérable
et parfaitement armée. Il passa par le pays des Zemmoûr
Echchleuh, qui lui marquèrent leur soumission et leur
obéissance entière. Des députations de tous les points de
cette tribu se rendirent auprès de lui, portant leurs éten
dards et les costumes qu’ils revêtent dans leurs mouséms et
leurs l’êtes. L’argent, la moûna, les mets qu’ils apportèrent
étonnèrent tout le monde par leur quantité, et il en fut
beaucoup parlé.
De là, il se porta sur les ‘Arab-s Essehoûl, de 1″amala de
Salé, les réduisit, et leur déroute fit fuir ceux qui étaient
derrière eux. Le Sultan (Dieu le glorifie !) écrivit, le
20 ramadan dans toutes les contrées pour annoncer la
victoire, le triomphe et le succès que Dieu lui avait ac
cordés, l’attitude pleine d’humilité des tribus berbères à
son égard, leur empressement à lui obéir et à le servir,
et le versement par eux d’impôts dépassant de beaucoup
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ce qu’ils avaient donne à ses prédécesseurs. « Ce résul
tat, ajoutait-il dans sa lettre, est dû simplement aux faveurs
de Dieu, à la bonne fortune et à une habile politique, sans
coup férir, sans effusion de sang. La tribu des Bni Ilkim
ellemême, qui avait donné diverses manifestations d’éga
rement, a obéi aux ordres de Dieu, leurs frères les Zem
moùr s’étant chargés de la faire revenir de cet égare
ment. » II poursuivait en disant que, pour les Schoûl, il
les avait ralliés après les avoir mis en déroute, et que,
dans l’espoir qu’ils auraient profité du châtiment reçu, il
avait jugé bon de concéder l’Amân à la majorité d’entre eux
afin de peupler leur pays.
Dans la nuit du jeudi au vendredi \h cha’bân, il y eut
une éclipse de lune totale pendant près de deux heures
elle cessa de briller et fut si complètement cachée qu’on
n’en voyait plus rien. Puis elle reparut petit à petit et rede
vint pleine.
Durant cette période, les /lods de cuivre devinrent très
rares à Murrâkush on faillit en manquer. Le douro euro
péen était devenu très cher à Murrâkush, tandis qu’il était à
bas prix à Fâs le change était, à Murrâkush, à 63 oqiyas,
tandis qu’à Fâs il était à 53 oqiyas. Les négociants de Fâs
faisaient donc venir de Murrâkush des flous de cuivre et les
changeaient en douros à Fâs ils gagnaient ainsi un mitsqâl
environ par douro. Ils se mirent tous d’accord pour faire
ces opérations et s’y livrèrent avec acharnement, si bien
que les flous devinrent rares à Murrâkush, et que ceux qui en
avaient les gardèrent à cause du bénéfice qu’ils pouvaient
en tirer. La vie devint très difficile pour les malheureux,
et la population en subit un grave préjudice. Les gens
faisaient le tour de tous les marchés avec une peseta ou un
douro sans trouver quelqu’un pour les changer; ils ne pou
vaient rien acheter pour leur nourriture, si le prix était
inférieur à une peseta.
Informé de cette situation, le Sultan (Dieu le glorifie !)
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ARCHIVES MAROCAINES
écrivit dans toutes les contrées pour ordonner aux popu
lations do rétablir le change du douro à 3 milsqûls et quart.
Cet ordre, qui fut crié dans les inni’chés, fut exécuté.
.Mais les choses se retournèrent contre les négociants.
Ceux-ci lenuient en réserve leurs douros et leurs pièces
d’une peseta, les flous envahirent tellement les marchés
que loules les transactions se firent uniquement dans cette
monnaie. La Laisse du douro causa aux négociants le
même préjudice que la rareté des flous aux pauvres gens.
Ils avaient acheté leurs marchandises en douros chers, et
étaient obligés de les vendre en monnaie de cuivre, avec
perle, puisq u’en convertissant le douro en cette monnaie ils
perdaient la moitié de sa valeur. Les négociants préférèrent
conserver leurs marchandises et ne pas vendre, et alors il
fut presque impossible de se fournir du nécessaire. Le
Sultan écrivit une nouvelle lettre pour diminuer de moi
tié les prix des marchandises et des aliments, afin de réta
hfir la balance entre les prix et la valeur réelle des ar
ticles de commerce. Ces ordres provoquèrent une grande
émotion et en même temps que de grandes pertes. Dieu
ne voulut pas que la monnaie revint à son état primitif. Nous
avons déjà dit d’où vient le mal les monnaies et les prix
ne feront qu’augmenter tant que continueront les échanges
avec les Européens, s’aecroissant et diminuant avec eux.
Le mercredi 3 ramadan, mourut le savant du Maghrib,
Sitli Ehnehdi bn Etlfdeb bn Souda ElFâsi. C’était un
homme très docte, d’un savoir solide et d’une diction par
faite. Il connaissait l’art d’enseigner et de faire de beaux
exposés à cet égard il a dépassé tous ses contemporains.
On dit qu’il a laissé des ouvrages, mais je n’en ai pas eu
un seul entre les mains. Dieu lui fasse miséricorde
Quoique très proche de Ribât Al-Fath, le Sultan n’y entra
pas pour célébrer la ‘ayd al-fitr qu’il accom
plit à Zobéïda dans le pays des Za’fr il y reçut les tribus
du Maghrib et les habitants des villes qui assistèrent a la
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
fêle avec lui, et leur lit, cojnino d’habitude, des cadeaux
et des distributions de vêlements.
La fête terminée, il désigna le gouverneur de Llihât
Ell’ell.i, le qàïd Abû Muhammad Wbdesselam bn Mo
hammed Essoùsi, Al-Hâjj ‘Abdelkérini Brîcha Elléluouni,
et Al-Hâjj Muhammad bn Wbderrezzâq bn Cheqroùn
Ell’èsi pour se rendre en ambassade à Madrid, capitale de
l’Espagne, et rendre la visite (|ue lui avait faite l’ambassa
deur de cette puissance, et dont nous avons déjà parlé.
Cette ambassade elï’eeluée, ils revinrent à temps pour cé
lébrer à Murrâkush, auprès du Sultan (Dieu le glorifie!}, la
fête des Sacrifices.
Après la ‘ayd al-fitr, le Sultan leva son
camp de Zobéïda pour se rendre dans la région de Mor
ràkch. II passa par Tâdla et pacifia les tribus de ce pays.
Il razzia les Déni ‘Oméïr et leur fit plus de /|00 prison
niers qui furent conduits en prison, couverts de chaînes et
de carcans. Les Béni Moùsa s’enfuirent vers les sommets
des montagnes ils en descendirent quand le Sultan leur
accorda Vamdn, vinrent se ranger Sûs son obéissance
et s’engagèrent a le servir. Puis il continua sa route
vers Morrùkch, où il arriva le 10 doùlhedja. La i’ète
y fut célébrée avec une pompe telle qu’on n’en avait pas
vu de pareille depuis fort longtemps. Le Sultan écrivit
dans toutes les contrées pour annoncer aux populations
le don que Dieu lui avait fait de la victoire, de raffer
missement, du triomphe et d’un surcroît de puissance. Son
séjour dans cette ville fut, cette fois, très long il dura
jusqu’au moment où arriva ce que nous allons raconter.
L’année 1295 fut une des années les plus mauvaises pour
les Musulmans elle fut signalée par toutes sortes de
fléaux et de calamités. Que Dieu ne leur en ramène pas
une pareille
1. Texte arabe, IVe partie, p. 25ô.
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ARCHIVES MAROCAINES
Il y eut d’abord la cherté des vivres, qui fut amenée et
commença par In crise que subit la monnaie au cours de
l’année précédente. Ensuite, vint la sécheresse pas une
goutte d’eau ne tomba du ciel les gens furent réduits à
la misère, les animaux périrent, et toutes provisions
s’épuisèrent. Puis ce fut la famine, et, enfin, la maladie
Sûs trois formes. Ce fut d’abord le choléra, caractérisé
par la diarrhée et les vomissements, qui sévit surtout sur
les classes moyennes dans la campagne et dans les villes.
Puis, des foules de gens moururent de faim, surtout dans
les campagnes. Les morts étaient enterrés la nuit par leurs
contribules, qui volaient leurs linceuls à Salé notamment
on en retrouva un grand nombre. Le Sultan (Dieu le glo
rifie !) ordonna alors aux ‘âmil-s et aux oumanâ des
villes de faire aux habitants des distributions de vivres
pour les nourrir. Après tout cela, éclata une épidémie de
fièvre, qui exerça ses ravages parmi les hautes classes
un grand nombre de notables furent emportés par le fléau.
Les chrétiens qui, au début de cette famine, avaient assisté,
au moyen de secours et d’aumônes, les Musulmans mal
heureux et leurs enfants, dévièrent par la suite, jusqu’à
en acheter comme esclaves. Toutes choses appartiennent
à Dieu seul il fait ce qu’il veut, il ordonne ce qui lui plaît.
L’année 1296’, commença par l’épidémie de fièvre dont
nous avons parlé. Au mois de moharrem, elle emporta le
grandvizir Abû ‘Amrân Moûsa bn Ahmad, qui était une
flamme d’intelligence, un modèle de perspicacité et de
finesse. Le Sultan désigna pour le remplacer le fqîh excel
lent Abû “Abdallah Muhammad bn Al-’Arbibn Elmoukh
târ bn Abdelmâlék Eljâm’î, qui appartenait à une famille
de vizirs et en fut le plus distingué. Suivant ce qui nous
est rapporté, il aime les gens de bien, il est bienveillant
envers les humbles et les malheureux, il aime le Sultan et
1. Texte arabe, IV° partie, p. 255.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
AFCIJ. MAROC. 21
lui donne de bons conseils, il est zélé pour sa personne
glorifiée, et il professe une grande aversion pour l’avidité
qui est la source de tous les maux, dans les questions reli
gieuses et matérielles. Dieu le dirige
Au dhor du dimanche 10 safar de cette annéelà, expira
notre professeur, le fclih très docte, le qâdi Sidi Bû
Bkeur, fils du fqîh très docte, du qâdi Sîdi Muhammad
‘Aououâd. Il était versé (Dieu lui fasse miséricorde !)
dans toutes les branches de la science et s’y adonnait
avec ardeur. Il professait beaucoup et notait beaucoup.
J’ai étudié entièrement Sûs sa direction (Dieu lui fasse
miséricorde !) un grand nombre de livres importants
le Sahlh d’Elbokhâri, près de 10 fois; le Sahîh de
Moslim, trois fois; le Chafâ du qâdi ‘Ayyàd, plusieurs fois;
le Kitâb Eliktifâ d’Abûrrabî’ Elkoulâ’î, une fois entière
ment, et une autre fois jusqu’à l’expédition de Khaïber
les Chemâïl d’Ettarmedi, deux fois, avec le commentaire
d’Abû ‘Abdallah Muhammad bn Qâsém GuesSûs; le
Ihyû d’Elgazzâli (Dieu soit satisfait de lui !) les ‘Aouârif
eltna’ûrif d’Essohraouardi, et de nombreux autres ou
vrages de grammaire, de droit, de rhétorique, de théo
logie dogmatique, etc., qu’il serait trop long de nommer.
Bref, il m’a été très ut-ile et très profitable. Dieu lui fasse
miséricorde et nous fasse participer à ses bénédictions
Il fut remplacé dans les fonctions de qâdi par le savant
.iqîh Abû Ishâq Brâhîm bn Muhammad Eljerîri, connu
Sûs le nom de Bellefqîh, qui appartient à une famille
célèbre par sa science, sa piété et ses principes rigou
reux. Il vise (Dieu lui fasse miséricorde !) à l’équité dans
ses jugements et suit dans toutes ses affaires la Loi divine
à la lettre. Dieu le dirige et le protège Notre professeur
fut remplacé, dans les fonctions de Ichatîb, par son frère
le fqîh Abûlhasan ‘Ali bn Muhammad ‘Aououâd, qui
fait d’excellents prônes et qu’on range parmi les gens de
bien, de piété et de science. Que Dieu nous seconde ainsi
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ARCHIVES MAROCAINES
que lui et tous les Musulmans pour réaliser ce qu’il agrée
et ce qu’il aime
Ce fut à cette époque que le Sultan (Dieu le fortifie !)
convoqua, auprès de Sa Majesté élevée en Dieu, a Murrâkush
son serviteur l’amîn agréé Sî Muhammad bn Ell.iâdj
Muhammad Ettâzi Erre bâti. Celui-ci se rendit auprès de
lui le Sultan le reçut avec égards et lui confia l’adminis
tration de tous les revenus du Maghrib, impôts, ports,
mouslafdd, ainsi que des dépenses qui en découlent. Il lui
donna, à cet égard, les pouvoirs les plus pleins, car il con
naissait son dévouement, sa probité et son ordre. Cet
homme est un des plus remarquables du Maghrib, des plus
sûrs, des plus dévoués au Sultan, des plus zélés dans la
défense de la religion et du pays. Si le gouvernement
possédait dix hommes comme lui, il serait permis d’espérer
pour lui une entière réussite. Demandons au TrèsHaut
de l’améliorer et d’affermir, par sa grâce, sa puissance et
son prestige!
Au mois de rabî’ II, les autorités des DeuxRives reçu
rent du Sultan (Dieu le glorifie!) l’ordre de lui envoyer
un certain nombre d’oumanâ et de ‘adoùls du pays, pour
remplir des emplois sharîfiens dans les ports du Maghrib.
Ceux-ci se rendirent auprès du Sultan à Murrâkush. Parmi
eux se trouvait mon frère en Dieu le fqih très docte, le
hâfid Abû Muhammad ‘Abdallah bn Elhâchmi bn
Khadra Esslâoui, qui récita en l’honneur du Sultan (Dieu
le secoure !) un poème.
Quand le Sultan (Dieu le glorifie !) prit connaissance
de cette qasîda, il s’en réjouit beaucoup et fit demander à
son auteur ce qu’il désirait en récompense. Celui-ci de
manda l’autorisation de rendre des fetouas, un clahîr lui
assurant les égards et le respect, et une faveur témoignant
de l’intérêt que lui portait le Sultan. Celui-ci (Dieu le glo
rifie !) lui fit don de l’autorisation de rendre des fetouas,
d’un dahîr lui assurant le respect, et lui concéda une
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
rente sur les habous de la mosquée de Bn Yoùsef, à
litre d’indemnité pour y donne ses leçons.
Quelque temps après, le Sultan (Dieu le fortifie !) par
tit de Morràkeh pour se rendre dans le Nord, le 1C1 joù
mâda I°r 1296. Il passa par Tâdla et attaqua la tribu des
Ait A’tâb il alla la frapper jusque dans ses ravins et ses
forteresses les plus solides, et emporta 21 tètes. De là il
descendit chez les Bni Moùsa, qui lui firent leur soumis
sion et lui donnèrent les marques de l’obéissance. Pro
tégé par la victoire et le succès, il poursuivit sa route vers
Miknâs. Arrivé aux approches de cette ville, il marcha
sur les Béni Mtir. Les désordres de cette tribu avaient
rempli toute cette région. Au moment où le Sultan (Dieu
le secoure !) était parti de Miknâs en 9/i, comme nous
l’avons vu, ces Bni Ml îr étaient descendus dans la plaine
de Sais où le Sultan avait installé les ‘Arab-s Dekhîsa et
Wulâd Noséïr en remplacement des Mejjât, et leur avaient
fait subir une attaque eu’royable. Les ‘Arab-s avaient tenu
bon ce jourlà un certain nombre d’entre eux, même,
s’étaient attachés sur le lieu du combat pour ne pas fuir
taudis que leurs contribules se battaient sans eux. Aussi
les Berbères, ayant fini par l’emporter par le nombre, s’en
étaient emparés sans difficulté et leur avaient coupé la
tète. Ils en avaient tué environ deux cents et avaient perdu
euxmêmes le même nombre d’hommes ou un peu plus.
Les ‘Arab-s battus, les Bni Mtir avaient ramené les Mejjât
et les avaient réinstallés à Sàïs dans les mêmes conditions
qu’auparavant. Puis ils s’étaient répandus sur les routes,
se livrant au brigandage, à tous les excès, pillant les pas
sants et ne réservant pour l’avenir aucune diablerie. Le
Sultan, à Murrâkush, avait reçu contre eux de nombreuses
plaintes aussi, quand il fut de retour (Dieu le glorifie !),
il ne voulut rien entreprendre avant de les avoir châtiés.
11 se mit d’abord en route pour Agourâï, Elhâjeb et d’autres
localités, qui sont le centre principal de leur pays et le
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point de départ de leur corruption. II les poursuivit dans
toute cette contrée, et ses armées dépassèrent même
Elhajeb de plusieurs lieues les Berbères s’enfuirent jus
qu’en haut des montagnes. Le Sultan (Dieu perpétue sa
grandeur !) ordonna alors aux Bni Mguîld de marcher
sur eux du côté du sudest d’Agourâï. Ceux-ci se dissémi
nèrent sur les confins de leur territoire jusqu’à la forêt de
Afaqfâq, qui forme la limite entre les Bni Mguîld, les
Aït Chegroussen et les Aït Yoûsi, et les cernèrent de
tous côtés. Les Ait Yoûsi, les Aït Chegroussen, les Ait
‘Ayyâçh et les Aït Ouâllân prirent leurs positions en face
d’eux du côté du nord et s’étendirent jusqu’aux environs
de l’Wad Emejâ, tandis que le qâ’îd Al-’Arbi bn Moham
med Echcherqi, surnommé Ebba Muhammad, s’établis
sait devant eux à l’ouest, au delà de cette rivière, ayant
son flanc appuyé par les tribus du Garb et du Hawz. Les
Bni Mtir se trouvèrent bloqués de tous côtés, comme
le qatâ dans le creux où il se blottit. Resserrés dans
leur territoire, ils se virent voués à la mort certaine et
à la perdition, car les plaines et les monts inaccessibles
les repoussaient. Les troupes pillèrent leurs grains sur
pied et ceux qui étaient déjà moissonnés, et enlevèrent
toutes leurs provisions en réserve. Réduits à cette extré
mité, ils multiplièrent les intercessions auprès du Sul
tan, et cherchèrent un accès auprès de lui en immo
lant des victimes et en le suppliant. Le Sultan céda et
décida de se retirer, mais il les obligea auparavant à lui
remettre 500 otages, leur fit payer les impôts et donner satis
faction pour les injustices qu’ils avaient commises, et les
frappa d’une amende de 150.000 mitsqâls. Il les força,
de plus, à éloigner de leur voisinage la tribu de Mejjât.
Il plaça, de plus, Sûs leur garantie le chemin de Miknâs
et de Fâs, et les rendit responsables de sa sécurité,
qu’ils devaient assurer, conformément à un usage ancien
en y établissant des nzâlas et des gardiens. Ils s’enga
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
gèrent à accepter les clauses et les mirent à exécution.
Après cela, le Sultan partit pour Miknâs, où il entra
dans les derniers jours de rejéb. Il y demeura jusqu’au
commencement de l’année 1297’, puis se rendit à Fâs.
Arrivé dans cette ville, il expédia des colonnes dans toutes
les directions pour lever la zekûts et Y’ashûr-s, et les con
tributions makhzéniennes Ces détachements pénétrèrent
jusque chez les Aït Yzdég, Berbères du Sahara, qui payèrent
sans résistance leurs ‘ashûr-s, leurs zakât, etc. chez les
Aït Yoùsi et autres tribus, qui obéirent et se soumirent.
Seuls, les Ait Heli, fraction des Aït Yoùsi, qui s’étaient
révoltés contre leur gouverneur, ne voulurent pas payer
ce qui leur fut imposé. Les troupes du Sultan les battirent,
leur firent un grand nombre de prisonniers et cou
pèrent plusieurs têtes, qui furent suspendues aux mu
railles de Fâs. Après cela, ils effectuèrent leur soumission.
Le Sultan (Dieu le fortifie !) l’accepta et les obligea à
accepter le commandement du gouverneur qu’ils avaient
repoussé. Ces événements se passèrent dans les derniers
jours de safar.
Le Sultan célébra ensuite comme de coutume la fête
glorieuse du Moûloûd. A cette occasion, notre ami le fqîh
Abû Muhammad ‘Abdallah bn Khadra envoya à Sa Ma
jesté une qasîda en l’honneur de la naissance d’un fils qui
venait de lui naître.
Au mois de rabî’ II 1297, le qâdi de Salé reçut une
lettre du Sultan (Dieu le glorifie !) pour lui annoncer qu’il
avait désigné notre ami le cliérîf érudit, l’astronome
de l’époque, Abûroulâ Dris bn Muhammad Elja’îdi
Esslâoui pour se rendre à Murrâkush, où il devait exercer
les fonctions d’amîn des dépenses du Sultan, en rempla
cement du fqîh Abû Muhammad ‘Abdallah bn Khadra.
Ce chérîf se mit en route à la date précitée.
1. Texte arabe, IVe partie, p. 258.
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A la fin de cette annéelà, il arriva une lettre du Sultan
(Dieu le fortifie !) qui appelait notre ami Abû Muhammad
Abdallah bcn Khadra à la Cour pour recevoir les fonctions
de qadi de Murrâkush. Celui-ci exécuta cet ordre et se ren
dit auprès du Amîr al-Mû’minîn(Dieu perpétue son éléva
tion !) dans sa capitale fortunée de Fâs gardée par Dieu. Le
Sultan l’ayant nommé qâdi de Murrâkush, il partit pour cette
ville, où il est encore aujourd’hui, remplissant ses fonctions
à la satisfaction de tous. Dieu le dirige et le protège
De nombreux éloges ont été écrits sur la personne de
cet illustre souverain, de ce noble chériî. Les qasîdas qui
expriment la hauteur de son rang et l’élévation de sa gloire
et de son prestige sont célèbres et importantes, principa
lement celles de nos amis de Salé, que nous avons citées,
et celles que nous n’avons pas citées. Si nous n’avions
pas craint des longueurs, nous aurions rapporté ici de
quoi épuiser des flots d’encre et donner un enseignement
et un exemple éloquents. Dieu récompense chacun suivant
ses intentions et la sincérité de ses désirs.
Dans le courant de l’année 1298 eut lieu le renouvelle
ment des traités entre le Sultan (Dieu le glorifie !) et les
nations européennes, en vue de rafl’ermir la paix et de
procurer des avantages au commerce. Il fut stipulé notam
ment que les chrétiens et leurs protégés seraient soumis,
comme les sujets du Sultan, au paiement des taxes
makhzéniennes, qui sont de six réaux par charge de tête.
Durant cette période, qui correspond au milieu de l’an
née précitée, le Sultan (Dieu le glorifie!) se livra aux
préparatifs de harka, afin de quitter Méknâset Ezzéïtoûn
pour se rendre à MurrâkushlaRouge, où, étant arrivé vers
la fin de l’année, il célébra la fête des Sacrifices.
Quand commença l’année 1299’2, le Sultan (Dieu le glo
1. Texte arabe, IV« partie, p. 261.
2. Ibidem.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
rifie!) prépara une expédition dans la région de l’Extrêiiie
Sûs. Prenant ses dispositions à cet effet, il ordonna aux
tribus de Doukkâla et de Tûmesna de transporter du blé,
de l’orge et de la paille aux ports d’Eljedîda et d’Ecldâr
Elbaïdâ, d’où ils devaient être embarqués à destination
de la côte de l’ExtrèmcSoùs pour servir d’approvisionne
ments à l’armée. Le motif de cette décision était le sui
vant les Espagnols étaient très désireux de prendre
possession d’un port de la côte du Soùs à la suite du traité
de paix conclu avec eux pour mettre fin à la guerre de
Tétouan. Leurs navires de guerre et de commerce allaient
et venaient sur cette côte, pour tâcher de s’attacher ses
habitants par des échanges commerciaux et des projets.
On ignore si ceux-ci acceptèrent leurs propositions ou
s’ils les repoussèrent. Le Sultan (Dieu le glorifie !) fit des
représentations auprès de leurs chefs, qui répondirent
que la paix de Tétouan ayant stipulé l’ouverture d’un port
du Sûs, ils avaient décidé de procéder euxmêmes à
l’exécution de cette clause, et que si on les en empêchait,
l’affaire aurait les suites qu’elle comportait. Le Sultan
(Dieu le glorifie!) jugea qu’il était de son devoir de se
rendre dans ce pays pour y traiter lui-même cette question,
d’autant plus que ses habitants n’étaient plus soumis
depuis longtemps d’une façon régulière à l’autorité impé
riale. Il se mit donc en route au mois de ramadan. Arrivé
dans le voisinage de l’Wad Noûl, il pacifia cette contrée,
y installa des qâdis et des ‘âmil-s, et établit un port
pour l’exportation et l’importation, le port d’Asâka. Il
écrivit ce sujet aux ‘âmil-s du Maghrib la lettre
dont voici le texte
« Ensuite
« Nous sommes parti de Murrâkush, par la force et la
puissance de Dieu, par sa vigueur victorieuse et son pou
voir. Les armées triomphantes de Dieu sont nombreuses,
et ses troupes sont rangées en longues files. Leurs éten
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dards victorieux sont déployés. Notre dépari a été celui
d’un homme qui met sa confiance en son. Maître, qui se
laisse conduire par les projets qu’il a établis dans son
cœur et qu’il a entrepris de réaliser, et qui s’attache à
cette protection sûre qui conduit toujours au succès celui
qui en bénéficie. Aidés par Dieu, nous avons atteint le
point où commençait ce pays du Sûs, dont le dos nous
sert de monture, monture docile qui cherche à gagner les
demeures de la félicité, tandis que les étendards de Dieu
flottent sur les routes du triomphe et s’élèvent audessus
de la poussière de la gloire. Les délégations sont arrivées
auprès de notre Majesté élevée en Dieu, se suivant en
ordre, et se sont rangées dans les lignes de l’obéissance
et de la soumission. Elles se sont empressées d’exécuter
les ordres qui leur ont été faits et les accueillant comme
l’homme altéré, elles ont bu et étanché leur soif. Elles ont
ainsi illuminé l’arrivée de leurs chefs, de leurs notables
et de leurs shaykhs, et se sont éclairées de la splendeur
de la lumière de Dieu pour venir auprès de nous et s’en
retourner. Elles ont tendu le cou de l’obéissance et donné
la poignée de main de la réconciliation, du pardon et de
la sécurité, malgré la terreur et le tremblement que leur
avait d’abord inspirés la terreur de Dieu. L’homme pieux
a repris confiance et le coupable a été suffoqué, et alors
l’activité makhzénienne endormie a ouvert les paupières.
Admirez les marques de la miséricorde de Dieu, voyez
comme il tire la terre de son sommeil pour lui donner une
nouvelle vie.
« Après avoir attiré ces populations par la protection
de nos compliments de bienvenue, nous avons dirigé vers
elles les rênes de l’organisation. Nous avons choisi pour
leur servir de guides ceux que nous avons jugé dignes
de devenir les chefs de leurs contribules. Nous les avons
ceints de l’autorité sur la collectivité et sur les individus,
en remettant à chacun, avec le secours de Dieu, un trait
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
atteignant le but, comme l’exige la politique et en lui don
nant à brouter une grasse pâture dans les de
notre service sharîfien, si bien que nous tenons en mains
leurs rênes. Nous avons maintenu leurs privilèges à leurs
privilégiés et à leurs ‘âmil-s, de telle sorte que la
Makhzéniya est liée à eux comme l’âme est liée au corps,
et que ces contrées reçoivent de la lumière de Dieu une
clarté qui éclaire le sédentaire et le nomade. Aussi nous
ont-ils apporté des cadeaux et des présents, qui seraient
un trésor pour quiconque serait avide de ces faveurs, et
cependant depuis un grand nombre d’années, depuis plus
de soixante ans, le pays n’avait pas eu de rapports avec le
Makhzen C’est pourquoi, même si Dieu dans sa générosité
ne nous avait accordé que le dixième de ces brillantes
victoires, ce serait encore trop en comparaison des résul
tats obtenus par ceux qui y avaient établi avant nous
l’autorité du Makhzen.
« Mais Dieu ne nous at-il pas habitué à n’être traité par
lui qu’avec bienveillance, car c’est lui qui dirige tout, qui
est riche, puissant, fort et garant il est notre mandataire
et quel mandataire
« Après cela, nous leur avons donné des qâdis en nombre
suffisant pour veiller au respect des préceptes sacrés de la
religion, et nous avons fait tous nos efforts pour les choi
sir parmi les magistrats les plus dignes, car nous savons
que la Loi Sainte est le fondement de tout, que par elle
un pays devient prospère et qu’elle développe l’intelligence
et la compréhension.
« Puis les marabouts et les chérîfs ont fait appel à notre
Majesté pour obtenir la reconnaissance de leurs privilèges
et le maintien des droits coutumiers et des revenus qui
leur sont attribués par des dahîrs de nos ancètres sanctifiés
les imâms des Musulmans, les Commandeurs des Croyants et des
autres rois anciens (sur eux tous soit la satisfaction de
Dieu !). Nous sommes entré dans la voie qu’ils nous
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AltCIlIVES MAROCAINES
ouvraient, nous avons encore, avec l’aide de Dieu, élevé
leur prestige et nous avons consenti à maintenir leur
situation, en renouvelant chacun son dahîr et en lui
assurant la noblesse qui lui avait été concédée.
« Mais le but le plus important de ce voyage béni était de
protéger ces Musulmans et de défendre leur pays, leurs
existences et leurs biens contre les convoitises de ceux
qui jettent sur eux un regard d’espoir. Ce résultai devait
être assuré par l’ouverture d’un port sur l’Wad Noùl, a
un endroit appelé Asàka, sur le territoire des deux tribus
des Telcna et îles Ait Jîâ’Amrân, qui devait avoir pour eil’ets
de favoriser la défense et de faciliter aux habitants de cette
région leurs achats et leurs ventes. II est certain, en eflet,
qu’il est formellement prescrit de fermer les portes du
mal et que la Loi Sainte ordonne de conduire l’égaré dans
la bonne voie. Ces deux tribus se sont rendues avec
empressement auprès de notre Haute Majesté quand nous
eûmes franchi l’Wad Ouftlihis, et nous nous sommes rendu
dans leur pays avec les armées do Dieu, comme le méde
cin généreux. Elles ont reçu notre é trier fortuné dans
une localité appelée Amsa, dans le voisinage d’un port
nommé Aglou, qui est à l’extrémité du pays des Ait
Ba’Amram appelé Essâhél. La distance entre Amsa et le
port qu’il s’agissait d’ouvrir est de deux étapes, c’est
àdire de treize heures de route.
« Venus avec leurs chérîi’s, leurs ffjîhs, leurs marabouts et
leurs notables, et les shaykhs qui possèdent le commande
ment, les habitants du pays reçurent l’accueil réservé à
leurs pareils et les égards qu’il convenait de leur témoi
gner. Après leur avoir désigné un certain nombre de gou
verneurs qui doivent être, avec l’aide de Dieu, comme des
armes dans ces régions, nous nous sommes entretenu avec
eux de la question du port. Quand nous leur avons ordonné
d’ouvrir ce port, ils ont obéi comme celui qui du matin au
soir travaille activement à être agréable à Dieu et à son
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
Prophète. Puis nous avons envoyé Sûs leur conduite un
détachement composé de notables éminenls du guéïch
auxquels nous avons ajoint des fqîhs et des mouhendis
expérimentés pour établir ce port et en fixe rie plan confor
mément aux règles établies et aux principes de la science.
Notre présence dans le pays et les circonstances obli
geaient à commencer par ces travaux, par égard pour les
serviteurs de Dieu; il en résulta que Dieu mena à bien
cette affaire, en accorda la solution et la fit réussir. Vous
ne voulez rien sans que Dieu le veuille dites môme que
la grâce est entre les mains de Dieu et que vous ne possé
dez rien qui ne vienne de Dieu.
« Après cela, nous avons continué à séjourner dans cette
localité pour attendre le retour des envoyés, car s’ils reve
naient après avoir rempli leur mission avec succès, nous
devions louer Dieu dont la bienveillance permet d’accom
plir les œuvres pies si, au contraire, ils n’avaient pas
réussi, notre intention était, avec l’aide de Dieu, de nous
mettre en route pour gagner ce port et de parcourir cette
région.
« Nous avons alors établi un qâ’îd, choisi parmi les qâ’îd-s
de notre guéïch fortuné et parmi ceux qui possèdent un
jugement droit, et nous lui avons fixé comme résidence la
qasba de Tîznît, où résidait autrefois le Makhzen, avec
mission de prèter son concours à tous les autres gouver
neurs du Sûs, depuis l’Wad Ouâlgâs, jusqu’aux confins
de l’Wad Noûl et de Goulîmîmtm ces ‘âmil-s
doivent s’entendre avec lui pour toutes les affaires impor
tantes qui surviendraient dans leur ressort, surtout
lorsque le Makhzen sera éloigné de ces régions. D’autre
part, nous avons fait connaître aux habitants que ce qâ’îd
est là pour leur servir de conseiller et surveiller la réali
sation des projets en vue desquels nous avons ouvert ce
port. Cette décision leur a causé la joie qu’éprouve à se
désaltérer celui qui a soif, et à retrouver son chemin celui
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ARCHIVES MAROCAINES
qui est égaré. Témoignage a été recueilli contre eux de
l’acceptation de tout ce que nous avons décidé, et un acte
dans ce sens a été dressé concernant ce que nous avons
établi. Ainsi a été consommée l’œuvre que nous nous
étions proposée.
« Puisse Dieu TrèsHaut purifier cette œuvre, et dans sa
bienfaisance et sa générosité, considérer ce voyage béni
comme un jihâd agréé. Il est bon, généreux, bienfaisant,
riclie et doux.
« Salut.
« Le dernier jour de cha’bân de l’année 1299. »
Fin de la lettre du Sultan (Dieu le fortifie !).
Dans les derniers jours du mois de safar 1302 les com
missaires espagnols quittèrent les ports du Maghrib, où ils
étaient demeurés plus de vingt ans pour se faire payer la
somme convenue pour la conclusion de la paix après la
guerre de Tétouan. Le chiffre de la somme totale était de
20 millions de piastres fortes; le sultan Sîdi Muhammad
bn ‘Abd Ar-Rahmân (Dieu lui fasse miséricorde!) avait payé
10 millions comptant, les 10 autres millions furent ceux
que se firent payer les Espagnols pendant cette période.
Des commissaires espagnols s’étaient établis dans les ports
du Maghrib avec les Oumanâ du Sultan, et chaque groupe
encaissait la moitié des recettes jusqu’au moment où tout
fut versé.
Dans la matinée du lundi 2 rabî’ II de cette annéelà,
expira le shaykh lumineux, qui se distingua par la fré
quence du nom de Dieu dans la bouche et par son humi
lité, Abû ‘Abdallah Muhammad Elhâchim Ettâlbi, un des
saints personnages de Salé. Il mourut subitement. La veille
au soir, il avait fait un dîner léger suivant son habitude
il s’était retiré ensuite dans sa chambre pour faire la prière
du ‘achâ et réciter ses ouerds, comme il le faisait toujours.
1. Texte arabe, IVe partie, p. 263.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAKOC
On le trouva mort le lendemain, sans que personne lût
resté près de lui. Il était âgé de plus de 80 ans ses che
veux et sa barbe étaient entièrement blancs. Une foule
nombreuse de gens des deux villes, Salé et Errebàt, assis
tèrent à son enterrement et se pressèrent autour (le la
civière pour s’y relayer, afin de recueillir sa bénédiction.
Les prières furent récitées sur son cadavre dans la grande
mosquée de Salé après la prière du dhor. Il fut enterré
dans la chambre de sa maison, et pendant plusieurs jours
les tolba allèrent sur son tombeau réciter le Qur’ân, la
Borda et d’autres louanges. Sa mort fut vivement regrettée
par la population. Cet homme était en eflet, de son temps,
le flambeau des DeuxRives. Dieu lui avait donné en par
tage cette modestie, cet heureux caractère et cette égale
bienveillance pour tous à laquelle on n’était plus habitué
et qu’on n’a rencontrée que chez les gens vertueux et ceux
qui, comme lui; ont marchésurleurs traces (Dieu les agrée !).
Si l’on causait avec lui, ses conversations étaient pleines de
science, de dignité et d’exhortations il parlait des saints
et des gens vertueux, de leurs actes, de leur histoire. Il
n’y était jamais question des fut-ilités et des intrigues de ce
monde. Ce n’étaient que récits de liadits et d’actions des
gens vertueux. Il pratiquait régulièrement les prières, se
levait la nuit pour les faire et réciter les dikrs, il pratiquait
le bien et l’encourageait chez les autres de tout son pou
voir. En un mot, sa conduite et son caractère étaient con
formes à la sounna du Prophète et aux préceptes des gens
vertueux. Dieu soit satisfait d’eux et nous rétribue de
notre amitié pour eux et leurs pareils. Ainsi soit-il
Dans la nuitdu vendredi l01″ doùlhedja de la mêmeannée,
après le coucher du soleil, expira le fqth très docte et
remarquable ÀBû ‘Abdallah Muhammad bn Elmadâïn
Guennoûn, le savant de Fâs et du Maghrib. Les prières
furent récitées après la prière du vendredi à la mosquée
d’Elandalous à Fâs (Dieu le protège !) et il fut enterré dans
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ARCHIVES .MAflOCAlNES
l’endroit appelé Elqebàb. C’était (Dieu lui fasse miséri
corde !) un savant jurisconsulte. Intransigeant, il disait la
vérité avec franchise, sans tenir compte du rang de celui
il qui il la disait, ce qui lui attira d’ailleurs des rudes
épreuves de la part du Sultan, mais sans qu’il changeât
d’attitude ou se départit de son courage et de son impé
tuosité. Il a laissé un certain nombre d’ouvrages, dont le
plus remarquable est un abrégé de la Jlûchia de Errehoùni
sur le Mokhlasar du cliéïkh Klielil (Que Dieu le couvre
de nouveau de sa miséricorde !). Ainsi soit-il.
Nous sommes arrivés à l’année 1303
Dans la nuit du 29 safar, il y eut une pluie considérable
d’étoiles qui furent lancées dans la direction de l’est et de
l’ouest, dans des conditions tout à fait inusités, qui me
rappelèrent la description de la guerre par Bechâr bn
Berd Ela’mi.
« On eut dit que des tourbillons de poussière volaient
sur nos têtes et que notre pays était la nuit dont les étoiles
nous caressaient. »
Ce phénomène dura depuis le coucher du soleil jusqu’à à
minuit.
A cette époque eurent lieu, entre l’homme secouru de
Dieu, qui avait soulevé les contrées de l’Abyssinie et du
Soudan, Sûs le titre d’Elmahdi, et l’armée anglaise, d’im
portantes batailles, qui ne faisaient que suivre d’autres
combats aussi graves. Le Xlalidi remporta alors sur les
Anglais la victoire la plus complète. Si parler de lui ne
sortait pas du cadre de cet ouvrage, j’aurais rapporté toutes
ses actions qui sont des plus surprenantes.
Au milieu du mois de rabî’ Ier de l’année susdite, fut
publiée une lettre du Sultan (Dieu le fortifie !) ordonnant
l’abolition des taxes prélevées aux portes des villes et des
bourgades et payées jusqu’alors par la population sur les
1. Texte arabe, IV” partie, p. 263.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
animaux chargés de marchandises de toutes sortes. 11 écri
vit à ce sujet au gouverneur de Salé à cette époque la lettre
dont voici la teneur, venant après la formule d’introduction
et le sceau où est inscrit le nom du Sultan (Dieu le for
tifie !)
« A notre serviteur intègre Al-Hâjj Muhammad bn
Sa’îd Esslâoui (Dieu vous protège .’).
« Le salut soit sur vous, ainsi que la bénédiction de
Dieu
« Ensuite
« Dieu a dilaté Notre cœur en Nous permettant d’abolir
les taxes qui étaient exigées à toutes les portes des villes
et des ports sur les marchandises qui y passaient à l’entrée
et à la sortie. Nous avons édicté à Yatnîn elmoustafâd de
Salé, ainsi qu’à ses collègues des autres villes, notre ordre
sharîfien l’invitant à congédier les fermiers des portes de
votre cité qui effectuaient la perception des droits et
s’occupaient de tout ce qui le concerne, à faire avec eux
le compte de leur administration jusqu’au jour de la cessa
tion de leur exercice, et à envoyer une note de tout cela
à Notre Majesté élevée en Dieu.
« Il n’y a rien de changé en ce qui concerne les endroits
autres que les portes où des taxes sont perçues; c’est une
question que nous nous réservons d’examiner, avec l’aide
de Dieu.
« Nous vous avons avisé de ce qui précède pour que
vous en soyez prévenu.
« Salut.
« Le 2rabî’ Ier 1303. »
La lecture de cette lettre fit plaisir à la population, qui,
du fond de son cœur, fit des vœux pour la victoire et le
renforcement du Sultan. Nous demandons à Dieu de mettre
le comble à ses faveurs envers les Musulmans, en leur
accordant la levée des dernières taxes imposées aux mar
chandises vendues sur les marchés et en les délivrant de
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ARCHIVES MAROCAINES
cette calamité, car rien n’est plus malheureux pour un gou
vernement que ces meks (Dieu nous en préserve !).
Le 10 joùmâda II de la même année, le sultan Mawlay
Elhasan (Dieu le fortifie quitta la capitale de Murrâkush
pour faire une expédition dans l’ExtrémeSûs et dans les
pays situés au delà où se trouvent les ‘Arab-s Ma’qil et toutes
les tribus du Sahara. Il avait appris que les sujets de cette
région étaient en ébullition et qu’ils s’étaient révoltés con
tre leurs ‘âmil-s. Il avait été informé également que
des négociants anglais, débarqués clandestinement dans
un port de cette côte nommé Tarfâya, avaient noué des rela
tions commerciales avec des tribus du pays et avaient
l’intention d’élever des constructions dans cet endroit. Le
Sultan partit donc pour mettre un terme à ces désordres.
Arrivé au cœur du Sûs, quand il eut amélioré la situa
tion de ce pays et rétabli l’ordre dans diverses régions, le
Sultan écrivit aux ‘âmil-s du Maghrib une lettre dans
laquelle il disait après la formule d’introduction
« Ensuite
« Par la puissance de Dieu, le fort, l’assistant, qui ouvre
ce qu’il a fermé quand il le veut, immédiatement ou au bout
de quelque temps, qui par sa protection soutient son
esclave partout où il va, partout oit il arrive, partout où il
se met en route, partout où il se repose, nous vous écri
vons cette lettre le jour de notre arrivée chez nos servi
teurs les tribus des Aït Ba’Amrân, la plus importante des
tribus de l’ExtrèmeSûs. Nous vous faisons connaître que
par les succès ininterrompus, les victoires et les sourires
de la bouche du temps, le Souverain Maître a réalisé, dans
cette expédition bénie, les espérances que nous avions
fondées dans le Sublime Bienfaiteur. Vous saurez ainsi que
Dieu peut tout, qu’il détient dans ses mains les affaires des
cieux et de la terre, qu’il est le protecteur, le secourable,
qu’il entend et voit tout.
« Quant à ces tribus du Sûs, ces populations du Sàhél,
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
elles sont venues audevant de notre étrier fortuné en
foules nombreuses, déployant en avant des cohortes de
Dieu victorieuses les étendards de la joie, groupées cha
cune avec leurs notables et tous ceux que l’on remarque,
leurs fqîhs, leurs chorfâ et leurs marabouts, sans qu’un
seul d’entre eux manquât, témoignant, par leur docilité et
leur soumission et à son Prophète, de leur désir de se
concilier nos bonnes grâces sharîfîennes, déposant devant
elles leurs présents, se faisant un rempart de leurs fils, de
leurs frères et de leurs esclaves, tendant le cou de l’obéis
sance, et manifestant leur empressement à nous servir et
à bien se conduire. Elles ont apporté leurs moûnas en
rapport avec leurs moyens. Elles ont aplani pour le pas
sage de l’armée fortunée les parties mauvaises de leurs
chemins qu’elles ont rendus praticables. Et nous, de notre
côté, nous les avons traitées avec bienveillance, nous leur
avons témoigné de la bonne humeur, et notre accueil a
répondu à la joie qui les animait:
« Et maintenant, grâce à Dieu, nous nous occupons de
résoudre la question qui nous a amené à porter ici nos
pas et qui a été l’occupation de nos pensées et de nos
réflexions l’étude de l’ouverture du port d’Asâka, qui est
la clef des rivages de l’Wad Noùl, le point de rencontre
des tribus arabes et berbères, le lieu où viennent
converger les habitants de toute cette région, et spéciale
ment les deux tribus des Bu ‘Amrân et des Tekna, pour
lesquels il est une mère, une source d’où sont issus ces
deux frères jumeaux qui sucent le pur lait de ses mamelles,
et, avec ces deux tribus, toutes les tribus des ‘Arab-s et
des Berbers qui rayonnent autour d’elles, ou sont placées
Sûs leur dépendance pour avoir sucé leur lait et s’en être
abreuvées. Mais nous ne réaliserons ce projet que si ce
port remplit les conditions requises, s’il doit être avan
tageux pour les Musulmans et pour l’Islam. Puis, nous
étudierons à plusieurs reprises le plan sur lequel il devra
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ARCHIVES MAROCAINES
être construit; nous nous assurerons qu’il répond à tous
les besoins d’une façon apparente etréelle, et pour le mettre
à exécution, avec l’aide de Dieu, nous rechercherons le
moyen le plus sage et l’accord le plus parfait avec les
coutumes de ces régions. Si ce port est le meilleur, nous
réaliserons notre projet; sinon, nous y renoncerons pour
en rechercher un autre. Le TrèsHaut a dit « Quand nous
« effacerons ou oublierons quelque chose d’un verset, nous
« le remplacerons par quelque chose de meilleur ou de
« pareil. » Nous ne manquerons pas de vous faire part des
résultats de cette question et de parer vos oreilles de celui
de ses secrets qu’il aura dévoilé, car toute entreprise
amène un résultat.
« Dieu est le maître auquel il faut demander appui et
qui conduit dans le droit chemin. Quel excellent maître!
quel excellent mandataire
« Salut.
« Le 9 du mois héni de cha’bân 1303. »
De l’ExtrêmeSûs, le Sultan (Dieu le fortifie !) se
rendit dans le Sahara de Gouliinîm. Là il reçut les shaykhs
et les notables des ‘Arab-s Ma’aqil, qui vinrent expri
mer leur humble obéissance. La venue du Sultan dans
leur pays leur procura une si grande joie, que l’emplace
ment où était plantée sa tente est jusqu’à ce jour une
mezâra, où ils viennent se bénir. Ni eux, ni leurs pères,.
n’avaient vu de Sultan sur leur territoire ou n’avaient
entendu parler d’un pareil événement. Ils firent des
courses de chevaux et de chameaux en son honneur, et
se livrèrent au jeu de la poudre. Les ‘Arab-s du Sahara
font, en effet, des courses de chameaux comme des courses.
de chevaux.
De là, le Sultan (Dieu le fortifie !) envoya au port de
Tarfâya une portion de son guéïch, qui démolirent les cons
tructions élevées par ces chrétiens anglais et en firent dis
paraître toute trace, tandis que les chrétiens prenaient la
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DYNASTIE AIAOUIE DU MAROC
fuito vers leurs vaisseaux qui croisaient sur la côte. Il fit
construire (Dieu le fortifie !) le port d’Asâka, qui devint un
lieu d’importation et d’exportation, établit un service de
défense et de garde sur toute la côte depuis Agadir jus
qu’à (joulimim, et annonça par lettre toutes ces disposi
tions aux ‘âmil-s du Maghrib.
Après cela, il se mit en route pour revenir, et sur son
passage châtia la tribu des Ida ou Tanân qui habitent
l’ExIrèmeSûs.
Voici comment finit l’afl’aire anglaise les membres du
Gouvernement anglais, d’abord très émus, arrivèrent,
comme d’habitude, à se calmer par le tapage qu’ils fai
saient, puis consentirent quelques concessions; enfin l’in
cident fut réglé à l’amiable moyennant une somme d’ar
gent que le Sultan leur versa pour avoir la paix et écarter
un plus grand danger. Toutes choses appartiennent à Dieu
seul
Le mardi 2ft joùmâda II de. la même année, dans la
soirée, le ciel se couvrit de nuages épais et noirs, à M or
ra kc et dans les environs. Un vent d’une violence
effrayante se mit à souffler et le tonnerre retentit avec
fracas. Puis il tomba des grêlons plus gros que des œufs.
Un grand nombre de maisons tombèrent à Murrâkush et de
nombreuses personnes, plus d’une centaine à ce qu’on dit,
succombèrent Sûs les décombres. Les gens firent leurs
adieux à leurs parents et à leurs amis, et allèrent se
réfugier dans les mausolées des saints, où ils se mirent à
demander pardon de leurs fautes et à adresser à Dieu
TrèsHaut d’humbles prières. Deux heures après, le ciel
s’éclaircit. Dieu soit loué d’avoir été clément après avoir
su et d’avoir fait grâce après avoir décrété.
Cette annéelà, les nations européennes demandèrent
avec une nouvelle insistance une diminution des tarifs de
douanes et sollicitèrent du Sultan (Dieu le fortifie !) une
diminution des droits appliqués aux marchandises d’expor
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ARCHIVES MAROCAINES
talion dont la sortie était déjà permise, et la faculté d’ex
porter des marchandises dont la sortie était suspendue.
Ils firent de nombreuses démarches à ce sujet et mani
festèrent une grande agitation. En présence de leur vive
insistance et de leur attitude comminatoire, le Sultan
(Dieu le fortifie !) décida de demander par lettre un conseil
à ses sujets.
Voici ce qu’il disait dans cette lettre après les formules
d’introduction
« Depuis de nombreuses années, quelques représentants
des Puissances à Tanger nous demandent d’une façon
pacifique et amicale le renouvellement des traités de com
merce et notamment la libre exportation des grains de
toutes espèces, du bétail et des bêtes de somme, etc., et
la réduction des droits d’exportation, en invoquant le
profit qui en résultera pour le Trésor et les sujets. Depuis
près de cinq ans, nous nous défendons, nous mettons des
obstacles et nous témoignons de bonnes dispositions, sui
vant les circonstances et le moment, nous inspirant de
cette parole du Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne
le salut !) « Dans les incidents et les affaires, montrez
« vous tour à tour intraitables et bien disposés, afin de main
« tenir ce qui existe. » On ne peut faire rien de moins,
surtout dans le moment actuel auquel s’appliquent ces
paroles du Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le
salut !) « Un temps viendra où les vivants passeront sur
« les tombeaux des morts en disant « Que ne suisje à votre
« place »
« Dieu nous garde de vouloir attirer sur les Musul
mans la cherté des denrées ou de consentir à rien qui
puisse leur faire du tort Le témoignage de Dieu est
suffisant Comment, d’ailleurs, en serait-il autrement ?
Dieu a placé les Musulmans Sûs notre responsabilité,
et le Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !)
« dit « Vous êtes tous des bergers, et comme tout
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
« berger vous avez la responsabilité de votre troupeau. »
« ^lais leurs demandes sont devenues pressantes, ils les
soutiennent tous d’un commun accord et ne veulent pas y
renoncer. Dans ces conditions, comme la situation mena
çait d’entraîner des conséquences qu’il faut redouter, nous
avons estimé qu’il ne nous restait plus qu’à en faire part
et à demander conseil aux gens compétents, et nous avons
consulté tous ceux qui se distinguent par la droiture, le
mérite, la piété, le bon sens, l’intelligence et la sagesse,
et se confinent dans la religion et leur droiture. Leur avis
n’a pas été favorable à ces demandes ils ont été unanimes
à déclarer qu’il n’y avait pas le moindre intérêt à accorder
l’exportation et ont expliqué les dangers qui pourraient
en résulter. Suivant eux, l’exportation des animaux aurait
pour premier effet préjudiciable de les rendre très chers
pour les pauvres, et même d’entraîner leur extinction
complète dans le pays, sans parler d’autres conséquences
qu’il serait trop long de mentionner ici. Une réduction des
droits de douane entraînerait une diminution des recettes
que le Makhzen emploie pour faire face à l’entretien du
guéleh et des soldats, et pour le bien général des Musul
mans ce qui l’obligerait à taxer ses sujets en doublant les
meks et en établissant des impôts fonciers pour renforcer
le Trésor et l’armée il en résulterait un affaiblissement
pour la population. Ils ont répondu, d’autre part, avec de
longs détails qu’une seule feuille ne pourrait contenir, en
ce qui concerne les avantages financiers profitables à nos
sujets fortunés, qui résulteraient, suivant les représentants
des Puissances, de l’exportation qu’ils désirent obtenir.
« Voyant que cette affaire était sur le point de prendre
une tournure plus grave, nous avons cherché « à réparer
« l’accroc en faisant une reprise ». Obéissant à cette parole
de Dieu « S’ils inclinent à la paix, tu t’y prêteras aussi. »,
nous avons incliné à la conciliation et nous avons opté
pour celle des deux solutions qui présente les moindres
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ARCHIVES MAROCAINES
dangers. Nous avons donc décidé, si vous êtes d’avis de
remédier aux inconvénients avant de songer à rechercher
des avantages, de leur accorder, à titre d’essai, l’exporta
tation de divers produits dont l’embarquement est actuelle
ment interdit, comme le blé, l’orge, les bœufs, les mou
tons, les chèvres et les ânes mâles, pendant trois années
seulement, et à condition que ce sera pour expérimenter
les avantages qui doivent en résulter suivant eux, et
moyennant le paiement des droits de douane qui frappent
les marchandises du même genre. L’exportation devra
s’effectuer au moment de la récolte, si l’année est bonne,
pendant trois mois; passé ce délai, il ne sera tenu compte
d’aucune réclamation touchant l’exportation, et il ne sera
accepté aucune excuse. L’année suivante, si la récolte est
bonne, l’exportation sera encore permise pendant trois
mois à titre d’essai; mais si elle est mauvaise, il n’y aura
même pas lieu de faire un essai, même pendant une période
limitée, et la mesure restera suspendue. Il sera convenu,
d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas d’un engagement, mais d’un
essai dont on attendra les résultats. Sachez aussi que vous
ne cesserez pas d’être à votre aise. Si vous approuvez
cette mesure, les choses resteront en l’état si vous trou
vez, au contraire, un moyen plus sur et plus puissant de
défendre les Musulmans, faitesnousen part. Je ne suis
pas autre chose qu’un Musulman comme vous. Nous vous
avons fait part de ce qui se passe pour nous conformer
à cette parole du TrèsHaut « Tu les consulteras en
« toutes choses. » D’ailleurs, ce qui est auprès de Dieu vaut L
mieux que le plaisir et le commerce. Dieu est le meilleur
̃de ceux qui donnent de quoi vivre.
« Salut.
« Le 7 du mois sacré et unique de rejéb de l’an
née 1303. »
Fin de la lettre du Sultan (Dieu le glorifie !).
Cette lettre fut lue devant toute la population, grands
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAIIOC
et petits, qui répondirent tous que leur avis était conforme
à celui du Sultan (Dieu le protège !), à l’exception de
quelques gens du peuple grossiers, sans expérience des
affaires et incapables d’examiner les conséquences, qui
déclarèrent qu’ils ne donneraient pas aux chrétiens autre
chose que le sabre, mais il ne fut pas tenu compte de leurs
dires. J’avais écrit sur cette question une longue note que
je crois ut-ile de transcrire ici, dans la crainte qu’elle ne
se perde. En voici le texte
« Sachez (Dieu vous conserve !) que cette question doit
être examinée à divers points de vue 1° au point de vue
du droit et de la jurisprudence 2° au point de vue du bon
sens et de la politique, dans lesquels, toutefois, on ne peut
suivre que les règles du droit 3° au point de vue de l’in
telligence de Dieu TrèsHaut et de l’étude approfondie de
son action sur le monde.
« Étudions la question Sûs le premier aspect. Les juris
consultes (Dieu les agrée !) ont écrit qu’il est défendu de
vendre aux infidèles en guerre tout ce qui sert à la guerre
comme les armes, les chevaux, les selles, les boucliers, etc.,
parce qu’on doit craindre que cela les rende plus puis
sants contre les Musulmans. Telle est la cause pour
laquelle la défense existe. Deux principes en découlent
le premier, c’est que tout ce qui, sans rentrer dans la caté
gorie des armes, peut servir a augmenter la force des
chrétiens, est interdit comme les armes; c’est le point
visé par les textes, il n’y a donc pas lieu d’entrer dans des
développements le second, c’est qu’il est licite de leur
vendre tout ce qui n’est pas susceptible d’accroître leur
force. Une marchandise ne peut être susceptible d’accroître
leur force, ou quand on ne peut s’en servir pour augmen
ter sa force dans la guerre comme les aliments, les objets,
d’habillement et autres produits dont l’exportation leur
est permise aujourd’hui comme elle l’était depuis long
temps, ou quand, rentrant dans la catégorie de celles qui
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ARCHIVES MAROCAINES
sont une source de force dans la guerre, elle est sans
profit pour eux en raison de leur situation actuelle. Nous
savons, en effet, que les chrétiens sont parvenus, au point
de vue de la force et de la science des divers engins de
guerre, à un degré tel que nos engins n’ont pas plus de
valeur chez eux que le Lois. La preuve en est qu’ils nous
vendent divers engins de guerre qui nous étonnent par
leur perfection et leur solidité. On nous rapporte, de plus,
qu’ils ne nous vendent que les armes qui n’ont plus pour
eux aucune valeur, parce qu’ils sont parvenus, sauf quel
ques exceptions, à fabriquer des articles bien meilleurs,
plus solides et plus avantageux.
« Dans ces conditions, il convient aujourd’hui de
décider qu’il est licite de vendre des armes aux chrétiens
et à eux de préférence, car il est établi péremptoirement
qu’elles ne leur sont pas ut-iles dans le sens d’une augmen
tation de force, ou que s’il y a pour eux la moindre ut-ilité,
c’est comme si elle n’existait pas et cela à condition que
nous n’ayons rien à redouter d’eux au cas où nous refu
serions de les leur vendre. Mais si nous avons quelque
chose à redouter, comme c’est le cas aujourd’hui à cause
de notre situation, il n’y a plus à songer si c’est licite, mais
à s’élever à des motifs supérieurs, car la nécessité a ses
rigueurs.
« Mais, me diraton, en considérant comme licite la vente
des armes aux infidèles en guerre, vous faites une chose
que personne n’a faite avant nous ?
« Je n’ai parlé des armes que pour simplifier la question
qui nous occupe, et pour conclure ensuite a fortiori. D’ail
leurs, je ne suis arrivé à ma conclusion qu’en suivant les
règles du droit, comme l’ont fait avant moi ceux qui ont
considéré comme licite la construction des églises dans
les pays musulmans parce qu’il y avait des motifs rigou
reux pour cela. Les ‘Oulamâ de l’Andalousie, au cinquième
siècle, ont arrêté, en effet, qu’il fallait autoriser les chré
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DYNASTIE ALA0U1E DL” MAROC
tiens à construire des églises en pavs conquis de vive
force et dans les grandes villes fondées par les Musul
mans. Cependant, suivant les livres des anciens, c’était
interdit. La raison en est que les lois basées sur les cou
tumes locales varient avec ces coutumes. Dans son Kilùb
Elihkâm fîlfctrqi béïnn Ifatûoui ouéi ahkâm, à la trente
neuvième question, Elqirâfi dit ceci « Quelle est la doc
trine en ce qui concerne les arrêts de jurisprudence qui
se trouvent dans les rites malékite, chaféite et autres, et
qui sont basés sur l’usage et la coutume locale, existant
au moment où les ‘Oulamâ ont rendu les dits arrêts ? Si les
usages ont changé et conduisent à des avis différents de
ceux qui s’en déduisaient auparavant, devonsnous annuler
les fetouas consignées dans les livres etenprononcerde nou
velles basées sur les usages nouveaux, ou bien devonsnous
déclarer que nous n’avons qu’à appliquer les textes et que
nous n’avons pas à réformer la loi sainte, parce que nous ne
sommes pas dignes de l’interpréter et prononcer nos fetouas
suivant les livres écrits d’après les interprétateurs ? » »
« Réponse: L’applicationdesarrètsdejurisprudence basés
sur les usages, lorsque ces usages ont changé, est contraire
à Vljmâ’ et constitue un acte d’ignorance de la religion, car
tous les arrêts tirés de la Loi sainte que suivent les usages
doivent être modifiés quand les usages changent et rempla
cés par de nouveaux arrêts conformes auxnouveauxusages.
Il ne s’agit pas pour le magistrat de faire une nouvelle inter
prétation pour que vous lui réclamiez les qualités requises
pour interpréter; il s’agit, au contraire, d’une règle qui a
été établie par les ‘Oulamâ et qu’ils ont tous acceptée.
Nous n’avons qu’à les suivre dans cette règle sans com
mencer de nouvelles interprétations. Elqirâfi, dans le Kitûb
Elfouroûq, professe la même doctrine qui lui a été ensuite
empruntée par les docteurs et leur a servi de base.
« Il résulte donc de ce qui précède que c’est un nonsens
de décréter aujourd’hui qu’il est défendu de vendre
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ARCHIVES MAROCAINES
quoi que ce soit aux infidèles, sauf en ce qui concerne le
Qur’ân, les .Musulmans, et autres choses similaires, parce
que leurforce est arrivée à un point que personne n’aurait
pu soupçonner ni escompter.
« Mais Dieu voudra nous réserver quelque chose qui
nous dédommagera d’eux. JI est en mesure de Je faire, il
le peut, et nous l’attendons de lui.
« Mais, me diraton encore, il y a un autre danger à per
mettre la vente de ce que les chrétiens ont demandé. C’est
de rendre difficile aux Musulmans leur subsistance et
leurs bénéfices. Si les chrétiens se mettent à acheter les
produits dont il s’agit, ceux-ci renchériront et les prix
monteront, ce qui causera un grand préjudice aux Musul
mans. C’est pourquoi les docteurs ont considéré comme
illicite l’accaparement de tout ce qui est nécessaire à
l’homme, comme les aliments, les peaux et les vêtements,
et ils ne le permettent pour les aliments et les similaires
que si, l’année étant abondante, il ne peut nuire à per
sonne.
« Je dirai à cela qu’aujourd’hui la population, grâce à
Dieu, jouit de l’abondance, et que la gène que lui cause
rait pour sa nourriture et ses profits l’exportation de ces
produits par les chrétiens est douteuse elle peut se pro
duire et ne pas se produire. Or, au point de vue du Chera”,
le doute est toujours rejeté, tandis que l’argument des
dangers que nous aurions à redouter des chrétiens en cas
de refus et d’host-ilités, est absolument décisif, quand on
tient compte de sa vigueur et des usages.
« Mais, diraton, non seulement la misère n’est pas dou
teuse, mais, selon toutes probabilités, elle se produira.
« Cela n’est point probable, car nous voyons les chrétiens
embarquer depuis bien longtemps des produits nombreux,
notamment des farinacés, et grâce à Dieu le bon marché
se maintient. D’ailleurs, il s’agit là d’une chose inconnue
en pareille matière, il n’appartient a personne de se pro
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DYNASTIE Al.AOUIE DU MAROC
noncer pour le plus ou le moins de probabilités, car tout
jugement basé sur des suppositions est un véritable pré
jugé contre le TrèsHaut en ce qui concerne ses desseins
secrets, et est illicite. De plus, quand ils nous achèteront
quelque chose, les chrétiens en (tonneront un prix notable
et paieront des droits de douane importants les sujets
euxmêmes et le Sultan auront à y gagner; et c’est la, il
me semble, un avantage ineontesinble, d’autant plus que,
comme nous l’avons dit, le renchérissement des denrées
est douteux.
« En résumé, cette question donne matière à de nom
breuses recherches et déductions le peu que nous indi
quons suffira pour ceux qui examineront la chose avec
perspicacité. Dieu les aidera
« Prenons maintenant la question Sûs son second aspect,
et étudionsla au point de vue du bon sens et de la poli
tique, en nous inspirant forcément du droit, car toute
politique qui ne s’éclaire pas de la lumière de la Loi sainte
est une erreur.
« On sait qu’à l’heure actuelle, les chrétiens sont arrivés
à l’apogée de la force et de la puissance, et qu’au contraire
les Musulmans, Dieu les rassemble et répare leur déroute,
sont aussi faibles et désordonnés que possible. Dans ces
conditions, comment est-il possible, au point de vue du
bon sens et de la politique, et même de la loi, que le faible
se montre host-ile au fort ou que celui qui est désarmé
livre combat a celui qui est armé de pied en cap ? Com
ment peuton trouver naturel que celui qui est assis ren
verse celui qui est debout sur ses jambes ou admettre que
les moutons sans cornes combattent ceux qui en ont.
« Si je le pouvais, je me préoccuperais de mettre à exé
cution mes résolutions mais la ceinture de sevrage a
séparé la chamelle de son petit.
« Jamais politique, jamais loi n’a conseillé la guerre dans
de pareilles conditions. Aussi, quand le Prophète de
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ARCHIVES MAROCAINES
Dieu, sur lui soient les prières et la bénédiction de Dieu
qui est la meilleure et la plus pure des créatures auprès de
son Maître, ayant conclu avec les idolâtres au jour d’Elho
déîbiya une paix qui fit dire i l’un des principaux compa
gnons, Dieu les agrée « Comment, nous sommes les
Musulmans et nous nous abaissons notre religion » » il
renvoya Abû Jendal, Dieu soit satisfait de lui auprès
des idolâtres, et Celui-ci, marchant les fers aux pieds,
criait de toute sa voix « 0 Musulmans comment peuton
me renvoyer chez les idolâtres qui vont jeter le trouble
dans ma religion ? Il n’est pas nécessaire de rapporter
entièrement cette anecdote qui est bien connue. On sait
aussi que le Prophète de Dieu, sur lui soient les prières
et la bénédiction de Dieu ayant décidé, le jour des Ahzâb,
de donner aux chefs des Gatafân, ‘Aïyina bn Hisn et
Elhârits bn ‘Oùf, le tiers des dattes de Xlcdine, à condi
tion qu’eux et leurs gens le laisseraient tranquille, lui et
ses compagnons, il en fut empêché par Sa’d bn Ma’àd
et Sa’d bn ‘Ibâda, Dieu soit satisfait d’eux qui avaient
senti qu’ils étaient capables de résister à l’ennemi. Pou
vonsnous nous comparer a eux, au point de vue de la
religion, des convictions et de la résistance à la guerre?
Les jurisconsultes, Dieu soit satisfait d’eux ont déclaré,
en raison de cette tradition qui nous vient du Prophète de
Dieu, sur lui soient les prières et la bénédiction de Dieu
qu’il était licite de contracter une trêve avec les infidèles
moyennant paiement d’une somme d’argent. Consultez à
cet égard le Mokhtasar et autres ouvrages. S’il est permis
de donner de l’argent à titre gratuit en cas de nécessité
à plus forte raison, il est permis de donner des produits
moyennant un prix notable.
« D’ailleurs, ces puissancesne nousproposent selon toute
apparence que la paix et non pas la guerre. Elles ne recher
chent pas autre chose, dans cette question, que le déve
loppement du commerce, qui amène le plus souvent avec
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
lui une augmentation des rapports entre eux et nous. Cer
tes c’est un danger pour nous, et quel danger d’entrer
en relations avec eux et de les fréquenter, niais celui de
leur faire la guerre est encore plus grand. Il n’est ni sage
ni politique de déclarer la guerre à celui qui nous propose
la paix, tant que celleci est possible. Le Prophète lui
même nous en a donné l’exemple le jour d’Elhodéïbiya.
Ses compagnons s’étaient irrités de cette paix et l’un d’eux,
lui ayant même dit: « Par Dieu! ce n’est plus une vic
toire » il leur répondit: « Nous avons défendu les appro
ches de la maison sacrée. C’est la plus grande victoire que
nous puissions remporter les idolâtres ont bien voulu
vous éloigner joyeux de leur pays, vous demander votre
sentence et solliciter l’Amân. »
« C’est à cela aussi qu’il est fait allusion dans cette parole
du TrèsHaut « S’ils inclinent à la paix, tu t’y prêteras
aussi et tu mettras ta confiance en Dieu. » Dieu a dit ces
mots, après avoir dit: « Mettez donc sur pied pour lutter
contre eux toutes les forces dont vous disposez et de forts
escadrons. » pour montrer que la paix est licite, même
dans le cas où les Musulmans ont pour eux la force et sont
prêts à combattre, ainsi que le font remarquer certains
commentateurs. N’en serat-il pas de même quand ils n’ont
ni la force ni la préparation, et qu’ils ne subsistent que par
la générosité de Dieu ? Cependant les interprétateurs ne
sont pas d’accord sur la question de savoir si le verset dont
il s’agit n’est pas annulé par un autre. L’opinion admise,
que l’on trouve dans plusieurs ouvrages etnotamment dans
le Kechchâf, est qu’en pareille matière la décision appar
tient à l’Imâm, qui est juge de l’ut-ilité que présentent pour
l’Islam et ses fidèles la paix ou la guerre sans qu’il soit
formulé qu’il faut combattre ou toujours faire la paix.
« Je suis également cette doctrine, et en conséquence
je considère comme licite la trêve, même moyennant paie
ment d’argent, comme on l’a vu.
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ARCHIVES M\nOCAINES
« Le verset précité prouve, d’ailleurs, que la paix vaut
mieux que la guerre c’est ce qu’admet, en ed’et, le Chera’
et la nature même des choses. En ce qui concerne le Chera’
la chose est permise par ce verset; par l’anecdote d’Elho
déïbiya par la parole de Dieu: « la paix vaut mieux »;
par cette autre parole « et la révolte est plus grave que
le meurtre » par les deux versets précités, qui, bien que
révélés pour un cas particulier, peuvent servir d’argu
ments à l’appui de notre thèse, comme il pourrait servir
pour d’autres, puisqu’ils sont de ces sentences courantes
passées en proverbes par ces mots de ‘Ali, Dieu soit sa
tisfait de lui qui dit « Je n’ai jamais provoque personne
au combat, et personne ne m’a jamais provoque sans que
j’aie accepté», et qui ajouta, comme on lui marquait son
élonneinent « Celui qui provoque a la guerre est un
transgresseur, et le transgresseur est toujours terrassé. »
Au point de vue de la nature même des choses, nous
n’avons pas besoin de preuves, car tout homme raison
nable sait que la paix est meilleure que la guerre. Cherik
dit un jour à Mo’âouiya, Dieu soit satisfait d’eux au cours
d’une discussion: « Tu es un homme de guerre, mais la
paix est meilleure que la guerre. » Elhosaïn bn Namîr
Essekoùni dit à Ibn Ezzoubéir, Dieu soit satisfait de lui
le jour de la mort de Yazid, fils de Mo’âouiya « Viens
avec moi à Damas, pour que j’invite la population à te
prêter serment de fidélité, car personne d’autre que toi
ne saurait être appelé au Khalilat. » – « Je n’irai pas,
si je ne dois pas tuer dix habitants de Damas pour chaque
homme du Hejâz qui sera tué », répondit Ibn Ezzoubéïr,.
en criant. « Je te parle en toute confidence », lui dit alors
Elhosaïn, « et tu me réponds par des cris. Je t’invite à
faire la paix et à prendre le Khalilat, et tu me provoques
à la guerre et à la lutte. Ceux qui prétendent que tu es
le Iléau des Arabes ont menti » On voit que ces repro
ches lui étaient inspirés par le bon sens. L’auteur du
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
Kechchâf et d’autres écrivains citent à propos de la parole
de Dieu: « S’ils inclinent à la paix, tu t’y prêteras. » ce
vers d’El’abbâs lien }lerdâs, Dieu soit satisfait de lui
« La paix, tu peux en prendre ce qui te satisfait, mais la
guerre, il te suffira d’en boire une gorgée. »
« Dans le Kitûb Elfitan du Sahtli d’Elbokhâri, il est dit
que « les anciens s’efforçaient dans les résolutions de
s’inspirer des vers suivants:
« La guerre à sou début est une jeune fille (lui cherche
a gagner les ignWahrants par sa beauté.
« Mais quand elle s’est allumée et que sa conflagration
s’est répandue, elle n’est plus qu’une vieille femme qui
ne trouve plus de mari,
« Dont les cheveux grisonnants n’ont plus de couleur,
qui est toute changée, et qu’on ne voudrait plus flairer ni
embrasser. »
« Cela signifie, au dire d’Elqastalâni, « qu’ils s’inspiraient
de ces vers pour se représenter ce qu’ils avaient vu et
entendu des effets de la révolte, et qu’ils s’en souvenaient
en les récitant. Ainsi ils renonçaient à y participer, pour
ne pas se laisser tromper, dès le début, par ses appa
rences. »
« Et, en effet, vous verrez toujours la canaille ignWahrante,
qui n’a pas la pratique des guerres et qui n’a pas été ins
truite par l’expérience, prête, dès qu’apparaissent des
symptômes de révolte (nous demandons la paix à Dieu !),
à y participer et souhaiter le trouble qui l’accompagne.
Vous entendrez même ceux qui ont eu peur d’y prendre
part dire que, s’ils avaient été là, ils auraient fait telle et
telle chose. Le Prophète, sur lui soient les prières et le
salut! a dit: « Ne désirez pas aller audevant de l’ennemi. »
Elmoutanabbi décrit dans ce vers l’état d’esprit de ces
poltrons
« Partout où il y a un poltron, il veut frapper tout seul
et charger l’ennemi. »
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ARCHIVES MAROCAINES
« Ce pays du Maghrib, Dieu soutienne son dernier souffle
est, comme vous le voyez, dans la faiblesse et la désorga
nisation la plus extrême. 11 ne conviendrait pas à ses habi
tants de courir à la guerre contre l’ennemi infidèle, qui
est au contraire extrêmement fort et puissant. La logique
nous apprend qu’il ne peut y avoir opposition ou exclusion
qu’entre des termes contraires ou identiques, mais pas
entre des termes contradictoires. Or, notre situation
actuelle et celle de l’ennemi ne sont pas des termes con
traires, ni des termes identiques, mais des termes contra
dictoires. Tirez la conclusion. En supposant même que les
habitants du Maghrib soient aujourd’hui égaux à l’ennemi
par la force et l’organisation, il ne leur conviendrait pas
de faire la guerre. Ici, les préparatifs et le grand nombre
des hommes et des combattants ne sont pas tant il faut
encore que tous soient d’accord pour obéir et ne forment
qu’un seul cœur il faut encore des règlements qui réu
nissent les hommes, des principes qui les dirigent, afin
que toute la troupe ne forme qu’un seul corps, qui se lève
et s’assoit d’un seul bloc. Tel est d’ailleurs le sens com
munément admis du hadîls où se trouve cette parole du
Prophète: « Le croyant doit être pour le croyant comme
une construction bien cimentée dont tous les éléments se
soutiennent l’un l’autre. » S’il n’y a pas de règlements et
de principes, il faut l’autorité de l’intelligence de la reli
gion, la force des convictions, l’entente amicale entre les
Musulmans, l’amour jaloux de la patrie et des choses sa
crées, l’esprit avisé, l’expérience de la guerre et des stra
tagèmes des idolâtres. Or, à l’heure actuelle, sauf de rares
exceptions, les habitants du Maghrib sont dépourvus de
toutes ou à peu près toutes ces conditions. Des généra
tions successives ont vécu dans la paix et la trêve, et il y
a longtemps que leurs ancêtres n’ont pas fait la guerre,
expérimenté ses angoisses, et éprouvé les ennemis et leurs
ruses. Ils ne pensent qu’à manger, à boire et à s’habiller,
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ARGU. MAROC. 23
et à cet égard il n’y a pas de différence entre eux et leurs
femmes. On connaît mieux les choses quand on les voit de
ses propres yeux que quand on en entend parler. Dans ces
conditions, serait-il sensé de déclarer avec empressement
la guerre aux nations européennes ? P
« Nous sommes, elles et nous, comme deux oiseaux, l’un,
pourvu d’ailes, qui va partout où il lui plaît, et l’autre qui
aurait les ailes coupées et qui retomberait toujours à terre
sans pouvoir voler. Croyez-vous que cet oiseau sans ailes,
qui n’est pas autre chose qu’un morceau de viande sur une
planchette, puisse combattre celui qui vole où il veut
« Ne seraitce pas la mort assurée de celuilà et le salut
et même le butin de Celui-ci, qui le déchirera quand il en
trouvera l’occasion, et s’en éloignera en volant quand il ne
la trouvera pas, pour attendre le moment où il pourra tom
ber sur lui et s’en emparer entièrement, tandis que l’autre
ne pourra que se défendre quelquefois quand il en aura le
moyen, mais succombera un. jour ou l’autre. Telle est
notre situation à l’égard de notre ennemi. Avec ses bateaux
de guerre pourvus de nombreuses ailes, il nous tient en
tièrement à sa discrétion il peut nous attaquer dans nos
ports quand il lui plaira, et s’éloigner, sans qu’il nous soit
possible de l’atteindre, quand il voudra. Nous n’avons pas
d’autre ressource que de nous défendre si nous sommes
unis, et si les turbulents Arabes n’occupent pas nos der
rières, comme nous l’avons, hélas expérimenté trop sou
vent. « Le croyant ne se laisse pas piquer deux fois dans
le même trou de scorpion », a dit le Prophète, sur lui soit
le salut Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce point,
mais ce que nous avons indiqué suffit.
«Mais, objecteraton, vousassimilez à une simple révolte
la guerre sainte qui est conseillée par le Chera* et à laquelle
est réservée une magnifique récompense ? Vous voulez
nous en faire perdre le désir et nous enlever tout espoir
de nous y livrer par vos paroles.
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ARCHIVES MAROCAINES
« Savez-vous, ômon frère, répondraije, ce que c’est que
la guerre sainte conseillée par le Chera et à laquelle est
réservée la plus grande récompense.’ Le jihûcl consiste
à faire la guerre aux idolâtres et aux impies, pour faire
triompher la parole du Clément et les amener à professer
la religion de Dieu de gré ou de force, de façon que la
parole de Dieu soit celle qui reste victorieuse et celle du
diable qui soit anéantie. Cette guerre doit être inspirée
par la clairvoyance, la pureté des intentions et l’amour
jaloux de la religion de Dieu, pourvu, et c’est une condi
tion essentielle, que les forces soient suffisantes ou peu
s’en faut. La guerre qui ne serait pas conforme à un seul
même de ces principes ou conditions, serait plus proche
de la révolte que du jihâd. Je dirai même plus le jihâd
légal est impossible depuis longtemps comment alors le
vouloir aujourd’hui ? Provoquer la guerre par ignorance
de la vérité, ce serait vouloir allumer le flambeau de la
révolte, donner prise à l’ennemi sur nous, le mettre
en possession de nos ports, lui fournir les moyens de
prendre nos femmes, notre argent et notre sang (deman
dons à Dieu de nous en préserver à à moins que nous ne
soyons de ceux que Dieu a choisis, dans le cœur des
quels il a écrit la foi, qu’il soutient de son souffle comme
les peuples de l’Abyssinie et de la Nubie, dont nous enten
dons parler, et qui disputent aux soldats anglais les
confins de la HauteEgypte. Ceuxlà, nous le savons par
des nouvelles consécutives et sûres, le Gouvernement
anglais a épuisé ses ruses contre eux il a eu beau envoyer
d’Egypte à plusieurs reprises des soldats munis de toute
la force et la puissance possible, ils les ont complète
ment anéantis, et cependant ils ne combattent le plus
souvent qu’avec des lances, comme le font toujours les
habitants du Soudan. La victoire est entre les mains de
Dieu!
« Étudions enfin la question Sûs son troisième point de
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DYNASTIE ALAOU1E DU MAROC
vue, celui de la compréhension de Dieu et de l’examen
attentif de son action sur ce monde.
« Seuls peuvent traiter pareille matière ceux qui ont l’in
telligence éclairée de la lumière d’en haut et dont les
cœurs sont purs, et non ceux qui, comme nous, ne sont
occupés que d’euxmêmes et entraînés dans les torrents
des passions (Que Dieu ait la clémence de nous sauver).
Nous dirons cependant quelque chose, quoique ce soit un
bavardage inut-ile.
« Si nous examinons comment Dieu traite son serviteur
le Amîr al-Mû’minîn, Mawlay Elhasan (Dieu le fortifie !),
nous constaterons heureusement qu’il est bien traité, qu’il
jouit de la protection divine, que l’œil de l’attention du
Maître est toujours ouvert sur lui partout où il va, la
fortune l’accompagne il réussit dans toutes ses entre
prises et le succès avec lequel il termine les graves affaires
réjouit l’ami et nuit à l’ennemi. Dieu en soit hautement
loué Avec cela il est reconnaissant envers son Maître,
confiant dans l’appui qu’il prend en lui, et ne tourne ses
regards que vers lui. Il est soucieux d’améliorer le sort de
ses sujets et aime jalousement la religion et le pays. Par ces
qualités et par les autres beautés de son caractère, il s’éleva
bien audessus des rois de sa famille qui l’ont précédé.
« Dans ces conditions, le bon sens le plus complet nous
commande de remettre cette affaire entre ses mains,
d’avoir confiance dans son jugement éclairé et dans son
esprit heureusement inspiré, et de lui répondre que dans
cette affaire il appartient à lui seul de décider, car c’est lui
que Dieu a chargé de nous gouverner, et qui a reçu mis
sion de veiller sur nous et de nous conseiller. S’il juge
indispensable de demander conseil, il ne peut s’adresser
qu’aux arbitres des destinées du Gouvernement, qui,
disent les Oumanâ, sont les gens savants et religieux
connaissant cette question spéciale, car la condition
requise pour être chargé de l’étude d’une question est de
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ARCHIVES MAROCAINES
la connaître. La détermination prise par le Commandeur des
Croyants sera la nôtre, et nous ratifierons ce qu’il aura
ratifié. Dieu ne l’at-il pas habitué à ses bienfaits? « Il
« peut se faire que quelque chose vous répugne et qu’elle
« soit cependant bornée pour vous. » La demande de ces
nations peut être aussi mauvaise pour elles, et au contraire
nous convenir. N’attendons pas autre chose du TrèsHaut;
ce n’est pas trop pour lui. Les mesures préparées par eux
tourneraient alors à leur perdition. Nous sentons déjà
souffler, grâce à Dieu le vent qui dissipe nos soucis
passés, puisse Dieu terminer son œuvre de bonté pour
nous. Ainsi soit-il
« De plus, en nous en remettant à lui de cette affaire, nous
nous affranchissons de la force et de la puissance, car la
destinée nous ayant amené cette question, il convient que
nous l’accueillions et l’admettions, tandis que si nous y
employions nos ruses et notre jugement, nous prendrions
part à sa direction or, il y a une différence entre remettre
à un autre le soin de régler une affaire et la diriger.
« Dieu conduit qui lui plaît dans la voie droite.
« Le salut soit sur vous ainsi que la miséricorde de Dieu
et ses bénédictions.
« Écrit par Ahmad bn Khâléd Ennâsiri (Dieu lui soit
favorable !) le 10 cha’bân de l’année 1303. »
Après cela, le TrèsHaut donna une belle marque de sa
bienveillance et permit que la question fut terminée
moyennant de légères concessions sur la demande présen
tée le Sultan (Dieu le fortifie !) accorda aux nations l’ex
portation du blé et de l’orge pendant trois ans, avec une
réduction d’un quart sur les droits de douane, et, grâce à
Dieu il n’en résulta aucun dommage pour ses sujets.
L’année suivante (1304) 1, le sultan Mawlay Elhasan (Dieu
le fortifie !) écrivit aux ‘Oulamâ de Fâs pour leur demander
1. Texte arabe, IVe partie, p. 270.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
leur avis sur les arrêts concernant le commerce des plantes
soporatives et nuisibles, et provoquer leurs conseils sur la
question de savoir s’il fallait les laisser vendre sans restric
tion ou en interdire le commerce.
Voici le texte de sa lettre après les formules d’usage
« A nos amis, les jurisconsultes éminents et intègres,
les ‘Oulamâ bien dirigés de Fâs.
« Le salut soit sur vous, accompagné de la miséricorde
du TrèsHaut et de ses bénédictions.
« Ensuite
« Depuis bien longtemps nous sommes hésitant en ce
qui concerne la levée du monopole de la sâka, c’estàdire
des herbes soporatives et nuisibles, et de ce qui s’y
rapporte. Nous considérions cette levée comme une chose
des plus importantes et plus urgente que celle du droit
des portes, car nous avons du dégoût pour ces herbes et
une grande répugnance à nous occuper de cette question,
qui pèse extrêmement sur notre cœur et nous inspire de
la crainte.
« Nos ancêtres (Dieu les sanctifie !) avaient tenté de les
faire disparaître entièrement et avaient essayé de tous les
moyens. Plusieurs fois, ils les firent brûler. Mais voyant
que la lie du peuple, les impudents, les pauvres et les
indigents euxmêmes, persistaientà les employer, ils prirent
des mesures pour en rendre l’achat difficile à ceux qui s’y
adonnaient, afin que seuls puissent les acheter ceux qui en
auraient les moyens, et ces derniers sont dans la lie du
peuple un bien petit nombre, en considération des grands
bénéfices qui en résultent pour le Trésor. Elles furent donc
saisies au profit du Makhzen ce procédé réalisait ces deux
objets.
« Quand Dieu a jeté dans notre cœur le désir de lever ce
monopole et de faire disparaître l’ordure qui en résulte,
nous nous sommes trouvés en présence de deux solutions
celle qui consisterait à maintenir ces herbes entre les
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ARCHIVES MAROCAINES
mains du Makhzen et celle (jui consisterait à en déclarer la
vente libre. La première solution est précisément celle
que nous évitons, pour les raisons que nous avons indi
quées. Quant à la seconde, elle aurait pour résultat d’exci
ter la lie du peuple et les gens impudents à user de ces
herbes d’autant plus que leur prix baisserait. Le fort et
le faible pourraient donc se les procurer. Ce serait leur
permettre ce qui leur a été précédemment interdit. Ils
deviendraient plus audacieux et ne redouteraient plus
aucune surveillance. Il en viendrait du pays des chré
tiens des quantités illimitées, qui seraient taxées aux
douanes comme les marchandises permises bref, il résul
terait de tout cela des maux plus graves que si le Makhzen
détenait le monopole de la vente. Nous nous trouvons donc
très embarrassé.
« Nous vous invitons, en conséquence, à nous indiquer,
pour nous tirer d’embarras, un moyen conforme aux
règles de la Loi sainte purifiée, et qui mette notre respon
sabilité à couvert; cette question est très grave.
« Salut.
« Le 23 moharrém 1304. »
La réponse des ‘Oulainâ de Fâs (Dieu les rende plus
nombreux !) fut longue. Elle disait, en résumé, que l’usage
et la vente de ces herbes étaient illicites, ce qui est la
doctrine de tous les docteurs et soûfis (sur eux soit l’agré
ment de Dieu !).
Comme le Sultan (Dieu le fortifie !) désirait avant tout
un conseil sur le moyen de se dégager de la responsabilité
qu’il courait en autorisant la libre vente de ces produits,
et de se préserver en même temps contre les conséquences
nuisibles qui en résulteraient et qui sont indiquées dans
la lettre sharîfienne, un de mes amis de Fâs m’écrivit pour
me parler de ce cas. Je lui répondis par cettre lettre
« La réponse faite par nos seigneurs les jurisconsultes
de Fâs, qui interdisent l’usage de ces herbes illicites et
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
établissent que le Makhzen a le devoir de cesser d’en
pratiquer la vente, est la véritable doctrine qu’il faut obser
ver entièrement. Ces herbes ont plusieurs caractères de
nocuité, dont un seul serait suffisant pour en interdire
péremptoirement l’usage. Nous avons déjà traité ce point
suffisamment dans le Kilùb Elislïqsà on peut s’y référer.
La lettre chérîfienne dit que l’avantage qui résulterait de
ce que le Makhzen saisit ces produits et eu pratiquât seul
la vente, serait d’en rendre l’acquisition difficile à ceux
qui en usent et de le permettre seulement à ceux qui
peuvent en payer le prix, à l’exclusion des pauvres. Cet
avantage est douteux, peutêtre même irréalisable. Ainsi
que nous l’avons déclaré péremptoirement, ceux qui font
usage de ces herbes n’y sont portés que par leur noncha
lance, leur manque de dignité, leur peu de piété, la
bassesse de leurs sentiments et leurs préoccupations viles,
tandis que ceux qui s’en abstiennent sont retenus par leur
dignité, leur piété solide, leurs sentiments nobles et leurs
préoccupations élevées. Cette dépense infime n’entre pas
en ligne de compte, car ce sont les pauvres et les malheu
reux qui en usent le plus. Donc, comme vous pourrez le
constater, il n’y a pas avantage à en rendre l’acquisition
difficile par l’augmentation du 1 1 prix.
« Puisqu’il en est ainsi, il faut., au point de vue de la loi et
de la dignité humaine, dégager entièrement du commerce
de ces herbes l’Imamat islamique, le Khalîfat prophétique
qui est la source même des fonctions spirituelles et des
charges judiciaires, et l’empêcher de se souiller à leur
contact impur. Pareille chose est inconvenante pour le
dernier des .Musulmans, à plus forte raison pour le Commandeur
des Croyants. De même, si Sa Majesté s’ingérait dans
cette affaire pour pratiquer le commerce de ces herbes et
s’en réserver les bénéfices, Elle pousserait les gens du
peuple à en faire usage, ainsi que l’ont dit les “Oulaniâ
de Fâs (Dieu les protège !) et on aurait beau les en empê
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ARCHIVES MAROCAINES
cher, ils ne se laisseraient pas convaincre, et diraient que
si ces herbes étaient vraiment illicites, le Makhzen ne les
prendrait pas pour lui et ne s’en réserverait pas les béné
fices. En effet, c’est toujours la parole de celui qui prêche
d’exemple qui est seule écoutée c’est l’ordre de celui qui
sait obéir qui est seul exécuté. Lorsque le Prophète de
Dieu (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !) conclut la
paix avec la tribu de Qoréïch au jour d’Elhodéïbiya, il
ordonna à ses compagnons d’enlever leurs vêtements et
de se raser. Ceux-ci ne lui obéirent pas. Il répéta cet
ordre trois fois de suite, sans qu’un seul d’entre eux ne
bougeât. Alors il se leva lui-même, et, entrant chez la
mère de Salama, il lui fit part de leur attitude. « Sors, ô
« Prophète de Dieu lui dit la mère de Salama (Dieu soit
« satisfait d’elle !) ne leur adresse pas la parole, découvretoi
« le corps, appelle ton barbier et fais toi raser. Le Prophète
(Dieu prie pour lui et lui donne le salut sortit et, sans
dire un seul mot, il se découvrit le corps et fit venir son
barbier qui le rasa. Voyant cela, ses compagnons se
levèrent aussitôt, se déshabillèrent et commencèrent à se
raser l’un l’autre, si bien qu’ils faillirent se battre. Voilà
pourquoi je dis que les gens du peuple, acharnés à suivre
l’exemple du Commandeur et des chefs qui ont du prestige,
ainsi que l’expose Ibn Khaldoûn dans son Histoire, au
livre des Caractères de la civilisation, s’ils voient leur
Commandeur faire quelque chose, le font aussi, et s’il s’en abstient,
s’en abstiennent aussi.
« Maintenant, la crainte que ces herbes soient importées
du pays des chrétiens, que ceux-ci se mettent à en faire le
commerce sur les marchés des Musulmans et établissent
des boutiques pour les vendre, et qu’il en résulte des con
séquences nuisibles, cette crainte, disje, est détruite par
les traités qui existent entre eux et nous, et notamment
par les articles 2, 5 et 7 du traité de commerce conclu
avec les Anglais, en particulier, et les autres puissances
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
en général, en 1273. L’article 2 de ce traité stipule cjue
ces herbes et les produits similaires font partie des mar
chandises dont l’importation et l’exportation sont inter
dites. Les articles 5 et 7, qu’on peut consulter, stipulent
encore que, lorsque le Sultan aura renoncé à en pratiquer
la vente, ils pourront seulement introduire la quantité né
cessaire à leur usage personnel, pas davantage. Or, en ce
qui concerne les boissons fermentées, ne savez-vous pas
qu’ils n’importent à l’heure actuelle que ce qui sert à leur
consommation personnelle, ou qu’ils se les vendent entre
eux, mais qu’il ne leur est pas possible d’en faire le com
merce sur les marchés des Musulmans ni d’établir des bou
tiques pour les vendre ? Il pourrait en être de même pour
ces herbes, qui doivent être soumises absolument au même
régime que les boissons fermentées.
« Or si le Makhzen s’interdit de faire le commerce de ces
herbes en maintenant la même interdiction en ce qui con
cerne les sujets, les chrétiens. n’auront pas d’argument à
invoquer contre cette mesure, ni de discussion à soulever,
car l’interdiction que s’appliquera le Makhzen ne sera
alors que la confirmation de l’interdiction prononcée pré
cédemment. Ils ne pourraient réclamer qu’au cas où ces
marchandises seraient vendues à certains sujets à l’excep
tion des autres. Les quinze articles des traités de commerce
stipulent et posent en principe que les sujets étrangers
seront traités comme les sujets marocains, tant au point de
vue des mesures restrictives et spéciales qu’à celui des
libertés absolues et des mesures générales de telle sorte
qu’il ne peut y avoir de privilège pour personne en matière
commerciale, sauf en ce qui concerne les produits spécia
lement désignés dont le Makhzen a intérêt ou avantage à
arrêter la vente, et qu’il arrête s’il lui plaît quand il le veut
ou laisse entrer quand il lui plaît, de même qu’il peut se
réserver le bénéfice de certains produits à l’exclusion de ses
sujets ou des sujets étrangers. Ce que défendent les traités,
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ARCHIVES MAROCAINES
c’est qu’il accorde à ses sujets des droits qu’il n’accorderait
pas aux sujets étrangers, ou qu’il fasse à quelquesuns de
ces derniers des concessions qu’il lie ferait pas aux autres;
mais, pour ce qui le concerne personnellement ou pour ce
qui a trait aux avantages de son empire, il peut se réserver
exclusivement les produits interdits comme il l’entend.
Telles sont en résume les stipulations des traités.
« Dans ces conditions, eston fondé a craindre, qu’au
moment où le Sultan s’interdit de vendre ces herbes, en
maintenant la même interdiction à ses sujets, on en fasse
venir du pays des chrétiens, qu’on en fasse le commerce
sur les marchés musulmans, et qu’on établisse des bou
tiques pour en opérer la vente, etc. ? Une pareille crainte
n’a pas de raison d’être. Elle serait plausible si, tout en
s’interdisant à lui-même de les vendre, le Sultan permet
tait à la population d’en faire le commerce et lui laissait
toute liberté à ce sujet. Mais telle n’est pas la pensée du
Sultan, Dieu le fortifie malgré l’équivoque des termes de
la lettre sharîfienne où il est dit « Il y a longtemps que
nous faisons des pas en avant, puis en arrière en ce qui
concerne la liberté du commerce de la sâka. »
« Il est probable que le rédacteur de cette lettre, ou que
celui qui l’a dictée, n’a pas bien exprimé la pensée du
Sultan, Dieu le fortifie et a rédigé sa lettre Sûs cette
forme qui laisse penser que le Amîr al-Mû’minîn, Dieu
le glorifie veut s’interdire de vendre ces herbes, dans un
sentiment de dégoût et de mépris pour elles, et le permet
à ses sujets musulmans ou autres. A Dieu ne plaise que
ce soit là sa pensée Dieu le fortifie car c’est le souverain
le plus scrupuleux, le plus respectueux de Dieu, trop atta
ché à ses sujets, le plus soucieux de développer leurs inté
rêts et d’écarter ce qui peut leur nuire, et le plus pénétré
de ces paroles de son aïeul, sur lui soient les prières et le
salut « Ce n’est pas un croyant celui qui ne voudra pas
pour son frère croyant ce qu’il veut pour lui-même. »
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DYNAST1K ALAOUIE DU MAROC
« II résulte donc de cet exposé que, légalement et mora
lement, il faut se hâter de mettre un terme au commerce
de ces herbes et de purifier de leur souillure l’Imamat
islamique. Dieu très haut a dit en parlant de son Prophète,
sur lui soient les bénédictions de Dieu « Les choses
pures leur seront permises et les choses impures leur
seront défendues. » Non seulement le Amîr al-Mû’minîn,
Dieu le fortifie a le devoir de purifier le Khalîfat de ces
produits, mais il doit encore s’efl’orcer d’en purifier les
Musulmans, pour les raisons que nous venons de don
ner.
« Mais, me diraton, s’il est facile et possible de purifier
promptement, comme vous le dites, le Khalîfat de ces
herbes, s’il plaît à Dieu, il paraît excessivement difficile
d’en purifier tous les Musulmans. Si le vulgaire est invité
à les supprimer d’un seul coup et est amené à en aban
donner l’usage en une seule fois, ce sera très pénible pour
lui, il deviendra méchant, il se révoltera comme l’âne
sauvage, et peutêtre se livrerat-il à des actes fâcheux en
proclAmânt sa désobéissance et en se révoltant.
« Aristote faisait à son élève Alexandre la recommanda
tion suivante à peu près dans ces termes « 0 Alexandre,
lui disait-il, évite autant que possible le vulgaire, et fais
en sorte qu’il ne dise que du bien de toi, car si le vulgaire
peut parler, il peut aussi agir. » En résumé, il est très
difficile de supprimer chez le vulgaire une habitude résul
tant de la sottise, et de le faire renoncer à une erreur dans
laquelle il a été élevé cette tâche n’est possible que pour
celui qui y a été préparé par Dieu, comme un prophète,
un saint parfait, ou un imâm juste, et si on supprimait chez
lui ce vice dont il a contracté l’habitude, avec lequel il a
grandi pendant des générations et des siècles, il en résul
terait forcément des troubles et de la résistance en fait ou
en pensée. Il convient donc de lui laisser son habitude,
car, pour changer une chose mauvaise, la première condi
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ARCHIVES MAROCAINES
tion est de ne pas amener une chose plus mauvaise, comme
l’enseignent les règles et les principes.
« Tout ce que vous dites, répondraije, est juste et inat
taquable. Mais je ne prétends pas que le Commandeur des
Croyants, Dieu le fortifie doive supprimer d’un seul coup
l’habitude contractée par le vulgaire et l’amener à l’aban
donner immédiatement. On doit procéder à cet égard
avec méthode, comme l’a fait le Prophète de Dieu, Dieu
prie pour lui et lui donne le salut quand il a voulu inter
dire aux Arabes les boissons fermentées. Au moment où
Dieu envoya le Prophète, Dieu prie pour lui et lui donne
le salut les Arabes étaient le peuple le plus adonné à la
boisson et le plus passionné pour les liqueurs fermentées.
Son amour pour elles était si grand qu’elles étaient deve
nues la moitié d’euxmêmes et constituaient la force atti
rante de leur société. Ils préparaient à cette occasion des
réunions nombreuses et choisissaient, pour les leur pré
senter, les plus belles d’entre leurs esclaves chanteuses et
musiciennes. Ils les célébraient au son des cymbales et
des tambours de basque, et posaient comme règle, contrai
rement à leurs habitudes, de se parer dans ces fêtes des
plus fins tissus. Ils leur consacraient leurs vers et leur
tressaient des couronnes dans leurs poèmes. En un mot,
aucun peuple n’a laissé à un degré aussi élevé que les
Arabes le souvenir de la passion des boissons fermentées
et des éloges qu’elles ont inspirés. Aussi lorsque la sollici
tude de la Loi sainte se préoccupa de les interdire, le fit
elle avec méthode, comme cela ressort du Qur’ân et de la
Sounna, jusqu’à ce que Dieu et son Prophète eurent accom
pli leurs desseins à l’égard des Arabes. Ceux-ci renon
cèrent alors définitivement aux boissons fermentées, et
le divin Législateur leur donna le nom de « Umm Elkhe
bâïts » (Mère des turpitudes) pour en faire l’objet d’une
plus grande répulsion.
« Et les instruments de jeu n’ont été prohibés qu’à cause
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
des boissons fermentées et pour en porter l’interdiction
à sa limite extrême, puisque ceux-ci sont un moyen de
provoquer l’usage de celleslà.
« Comme le constate Elgezzâli, Dieu lui fasse miséri
corde dans le Kilâb Essemâ’ men elahyâ et dans le
Commentaire d’Elkhâzén, après avoir fait l’exposé de la
façon dont cette prohibition a été faite, il s’exprime
ainsi
« La sagesse qui fit adopter cette méthode de prohibi
tion s’explique par le fait que Dieu très haut savait que
ces peuplades s’étaient habituées à user des boissons
fermentées et à en tirer de grands bénéfices, et qu’il
savait que les leur interdire en une seule fois c’était leur
rendre cette interdiction plus pénible. C’est assurément
pour cela qu’il usa de cette méthode progressive et bien
veillante.
« Anes, Dieu soit satisfait de lui a dit Les boissons
fermentées ont été prohibées alors qu’il n’y avait pas pour
les Arabes « d’aliment » qui leur fût plus agréable, et
il n’est pas une prohibition qui leur ait été plus pénible
que cellelà. »
« Connaissant ce précédent, je dirai de même: II faut que
le Amîr al-Mû’minîn, Dieu le fortifie s’efforce de puri
fier ses sujets de la souillure de ces herbes, dont l’emploi
constitue la plus odieuse des pratiques, comme je l’ai
exposé dans le Kitdb Elistiqsâ, et suive envers ses sujets
la méthode de l’interdiction progressive, en y appliquant
toute son attention, en cherchant l’appui de Dieu et en
s’en remettant à Lui dans cette affaire. Il n’y trouvera alors,
s’il plaît à Dieu, aucune difficulté.
« Lorsque l’homme a pour lui le secours de Dieu, la
réalisation de ses désirs est affranchie de toute diffi
culté. »
« Elbonoûri dit au Prophète, Dieu lui accorde ses béné
dictions et son salut « Et je dirai au Amîr al-Mû’minîn:
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ARCHIVES MAROCAINES
celui dont les efforts changent de direction devient injuste
et grâce à Dieu
« Vous verrez l’élite des hommes se soumettre à toute
chose à laquelle vous vous serez appliqué et les gens clair
voyants leur donner leurs suffrages. »
« En ce qui concerne la façon d’user de cette méthode
progressive, le Sultan, Dieu le fortifie devra ordonner
aux ‘oulamâ dans leurs conférences, aux khâtibs dans leurs
chaires et aux prédicateurs dans leurs sièges de s’accorder
à blâmer l’usage de ces herbes, à en inspirer le dégoût à
la foule, à lui en montrer les souillures, à lui exposer les
germes de dépravation qu’elles renferment pour lui, et de
faire ces remontrances dans les termes les plus durs qu’ils
pourront.
« Que ceux qui pourront faire de cette propagande l’ob
jet d’un livre, l’écrivent que ceux qui pourront en faire
le sujet de poésies, la mettent en vers que ceux qui pour
ront la mettre en prose le fassent Ils continueront ainsi
pendant trois ou quatre mois, ou davantage.
« Il est certain que cela produira une certaine impression
dans l’esprit du peuple car lorsque les intentions sont
toutes d’accord en concourant au même but, elles y im
posent leur empreinte avec l’assistance de Dieu, surtout
lorsque ces intentions sont celles de gens de bien. On
trouve dans les hadîts « Le secours de Dieu est avec la
Communion des fidèles. »
« Passé ce délai, et lorsqu’il aura été bien constaté que la
notion de cette turpitude a pénétré l’esprit du peuple, le
Amîr al-Mû’minîn écrira à ses qâdis, et leur ordonnera
d’examiner avec attention les témoins et les imâms des
mosquées. Ceux qu’ils trouveront faisant le moindre usage
de ces choses viles, ils rejetteront.leur témoignage et leur
interdiront l’exercice de l’Imamat. Ils n’accepteront pas
leur témoignage, même s’il concorde avec celui d’un
grand nombre d’autres témoins.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
« On devra continuer à écrire sur ce sujet et à s’y appli
quer pendant un temps égal au premier délai ou davan
tage, de sorte que le sentiment de la turpitude attachée à
ces herbes grandisse dans l’esprit du peuple et que la
majorité se détourne de cet usage.
« Le Amîr al-Mû’minîn écrira ensuite aux ‘âmil-s
des villes et des campagnes d’ordonner a leurs adminis
trés de s’abstenir de semer de ces herbes, d’en faire la
moindre provision ou le moindre commerce. Après avoir
mené de la sorte ce programme à bonne fin, il cessera dès
ce moment de pratiquer la vente de ces produits, et ordon
nera de brûler ce qui en restera, de fermer les boutiques
où il s’en consomme et que l’on nomme couramment
« qahâoui » (cafés) il sera interdit au peuple d’en faire
usage dans les lieux publics de réunion, comme les mar
chés, etc. Ces mesures seront rigoureusement observées,
et il sera publié dans tout l’Empire marocain que la règle
établie pour ces herbes est la même que celle concernant
les boissons i’ermentées.
« Aussi, de même que la consommation du vin ne se fait
plus publiquement sur les marchés, de même, l’usage de
ces herbes ne s’y exhibera plus ouvertement, et quiconque
s’en rendra coupable recevra un châtiment convenable
dont la portée s’étendra aux autres.
« Telle est la limite de ce que pourra faire le Sultan, et le
secours de Dieu fera le reste
« Si ce but est atteint en trois ans environ, cela aura été
peu de chose, et lorsque Dieu en aura facilité la réalisa
tion, ce sera pour les Musulmans une bonne nouvelle et un
trait caractéristique de la reconnaissance de leur religion.
Par ma vie la passion des boissons i’ermentées était pour
tant plus fortement enracinée chez les Arabes que celui
des herbes soporifiques chez les gens d’aujourd’hui, et de
beaucoup et le caractère suspect de ces boissons était
moins certain que celui de ces herbes. Il est à présumer
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ARCHIVES MAROCAINES
qu’il serait facile d’en faire cesser l’usage et d’en purifier
le pays et les serviteurs de Dieu. Cela n’est-il pas en effet
une des choses désagréables à Dieu.
« Dit et écrit par Ahmad bn Khâléd Ennâsiri, Dieu le
favorise le 15 rabî II, 1304. »
Le Sultan détourna ensuite le commerce du trafic de ces
herbes et fit brûler tout ce que le Makhzen avaient saisi
il défendit aux commerçants étrangers d’en importer au
Maghrib une quantité supérieure à celle de leur consom
mation particulière, et encore cette quantité devaitelle
être soumise au droit d’entrée de 10 p. 100. Il en limita
l’introduction au port de Tanger, à l’exclusion de tous les
autres ports marocains.
Tel est le dernier état de cette question à notre
époque.
En 1305 1, le sultan Mawlay Elhasan (Dieu le fortifie !) fit
une expédition contre les Aït Ou Mâlou, qui font partie
du groupe des Berbers de Fêzzâz et qui sont issus de la
souche des Senhâja. Ils se divisent en nombreuses
branches, comme les Zâyan, les Bni Mguîld, les Chqîrén,
les Aït Sekhmân, les Ait Isri, etc., et forment des popu
lations que seul leur créateur pourrait compter. Depuis
que les Berbers se sont emparés du Maghrib, de longs
siècles avant l’Islâm, ils habitent les montagnes de Fêzzâz
dont ils remplissent les sommets et où ils se sont fortifiés
dans les points inaccessibles.
Le Sultan sortit de Méknâsét Ezzéïtoûn le 10 ramadân
de cette annéelà pour razzier ces tribus rebelles et étour
dir ces contrées, où, dans les époques de relâchement du
pouvoir, les rois des dynasties du Maghrib avaient dû
établir leur autorité l’un après l’autre, ainsi qu’on l’a déjà
vu dans ce recueil par leur histoire et par celle des autres
tribus. Le Sultan atteignit ces montagnes qu’il soumit,
1. Texte arabe, IV0 partie, p. 274.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
puis arriva à la qasba d’Adékhsân, bâtie jadis par Mawlay
Ismâ’îl (Dieu lui fasse miséricorde !). Presque toutes ces
tribus lui envoyèrent là des députations, pour marquer
leur obéissance, témoigner de leur soumission et fournir
des vivres à l’armée et des présents au Sultan. Toutefois,
les Aït Sekhmân, après avoir commencé par marquer leur
obéissance, comme les autres tribus, demandèrent au
Sultan d’envoyer avec eux un certain nombre d’hommes
du guéïch pour rapporter les vivres et les cadeaux qui leur
avaient été imposés. Le Sultan fit partir avec eux 200 cava
liers, Sûs le commandement de son cousin, le chérîf ver
tueux et pieux Mawlay Seroûr bn Drîs bn Slîmân. (Le
Slîmân, son grandpère, dont il s’agit ici, est Mawlay
Slîmân, un des rois de cette dynastie Alaouie.) Quand
cette troupe se trouva au cœur du pays des Aït Sekhmân,
le soir, ceux-ci tinrent des conciliabules entre eux, et,
Satan ne les quittant pas, ils décidèrent d’un commun
accord de faire tomber dans un guetapens les gens du
Sultan qu’ils avaient répartis par groupes dans leurs dchar
et leurs douwârs. Au moment du ‘ackâ, sur un signal
convenu entre eux, leurs divers groupes se rendirent
auprès des soldats du Sultan qui étaient chez eux, tom
bèrent sur eux et en tuèrent, diton, une vingtaine, tandis
que les autres prenaient la fuite à grand’ peine. Parmi les
morts se trouvait le chef de la troupe, le chérîf Mawlay
Seroûr, qui fut tué d’un coup de fusil, puis lardé à coups
de baïonnette. C’était une des meilleures personnes de
l’entourage du Sultan (sur lui soit la miséricorde de Dieu !).
Ces actes honteux eurent lieu sur les conseils du chef des
Aït Sekhmân, ‘Ali bn Elmekki, un des derniers survi
vants de la famille Mhawûsh, dont nous avons parlé Sûs
le règne de Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !).
Après cela, ils se mirent en route pendant la nuit et, le
lendemain, ils s’étaient répandus en désordre chez les
Aït Hadîddo, les Aït Mergâd et autres tribus berbères. Il
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ARCHIVES MAROCAINES
n’en resta, diton, qu’un très petit nombre, qui furent
arrêtés le lendemain et eurent la tête tranchée.
Un des témoins de cette aflaire m’a raconté qu’après
avoir commis ces actes, ils s’enfuirent pendant la nuit,
abandonnant leurs cultures et leurs biens dans leurs
villages. Apprenant cela, le Sultan envoya à leur recherche
un certain nombre de ses soldats auxquels il ajoignit les
cavaliers de leurs contribules les Ait Chqirén, qui accom
pagnaient l’étrier du Sultan et feignaient la soumission.
Les soldats pillèrent ce qui appartenait aux Aït Sekhmân,
ravagèrent leurs cultures, démolirent leurs constructions
et incendièrent leurs maisons, mais les cavaliers Ghqîrén
se tinrent à distance pour ne point faire de mal à leurs
contribules et par patriotisme berbère aussi il est bien
probable qu’ils avaient prévenu ces derniers de ce qui
allait se passer et leur avaient conseillé de s’éloigner pour
se mettre à l’abri. Quand il connut les secrètes pensées
des Chqirén, le Sultan donna l’ordre de piller leurs cam
pements et de mettre à mort tous les prisonniers qu’on
pourrait leur enlever. L’armée du Sultan leur infligea une
terrible attaque, fit un grand nombre de prisonniers, dont
une trentaine eurent la tête coupée, et pilla leurs campe
ments et leurs villages qui furent entièrement saccagés.
Le lendemain, leurs femmes et leurs enfants vinrent cher
cher protection auprès des canons et implorèrent l’assis
tance du Sultan. Celui-ci se montra bienveillant, leur
accorda la liberté de leurs prisonniers, les habilla et leur
pardonna.
Après cela, il se mit en route et arriva à Méknâsét
Ezzéïtoûn dans les derniers jours de doûlhedja, dernier
mois de l’année.
Au cours de l’année 1306 j, le Sultan fit une expédition
dans les montagnes des Gourâra. Il quitta Fâs le 10 chouwâl,
1. Texte arabe, IV0 partie, p. 274.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
parcourut ces montagnes et les soumit. Il visita le tombeau
du grand shaykh Abû Muhammad ‘Abd As-Slâm bn
Mechîch (Dieu soit satisfait de lui !). De là, il se rendit à
la ville de Tétouan, où il arriva le mercredi 8 moharrém
de l’année suivante (‘1 307) Pendant son séjour qui dura
une quinzaine de jours environ, il visita les saints person
nages et les principaux édifices de la ville les notables
de la ville lui offrirent des présents et firent tout leur
possible pour être agréables à son entourage et à son
armée. Cette attitude plut au Sultan et à son entourage
ils en furent récompensés par une somme de 10.000 douros
que leur accorda le Sultan pour la construction d’un pont
qui devait leur être très ut-ile pour franchir la rivière qui
entoure la ville. Mais ce plan ne put pas être réalisé, la
construction ne fut pas faite solidement et s’écroula aussi
tôt, de sorte que cet argent fut perdu.
De Tétouan, le Sultan alla à Tanger, puis à El’arèïch, et
revint enfin à Fâs, où il arriva vers le milieu de chouwâl.
Après cela, il razzia les Ait Sekhmân qui avaient mas
sacré son cousin Mawlay Seroùr, leur enleva quelques
prisonniers, mais ne put les soumettre comme il aurait
convenu.
Il se rendit de là à Murrâkush, où il célébra les mariages
de plusieurs de ses fils et de ses filles. De toutes les con
trées du Maghrib, des députations lui apportèrent leurs
félicitations et lui offrirent des cadeaux et des présents.
Le Sultan les traita à son tour avec la plus grande géné
rosité et leur fit beaucoup de largesses.
Il demeura dans cette ville (Dieu le fortifie !) assis sur
le trône de la royauté, sur le siège de sa puissance, jouis
sant du repos, tandis que le pays était calme à cause de sa
puissance et de ses victoires, et que ses sujets observaient
scrupuleusement ses ordres et ses défenses. Mais les
1. Texte arabe, IVe partie, p. 274.
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ARCHIVES MAROCAINES
représentants des Puissances ne voulurent pas le laisser
en repos ils firent de nombreux voyages auprès de lui,
l’importunant constamment et cherchant à le tromper tan
tôt par des conseils sans portée, tantôt par des réclama
tions imaginaires basées sur des preuves sans consis
tance, tantôt par des demandes tendant à la réduction des
droits de douane ou à la levée des monopoles, et par bien
d’autres choses extraordinaires qui soulèveraient presque
les montagnes les plus solides. Seul, sans être secondé,
sans avoir d’autre aide que celle de Dieu qui par lui for
tifie la religion et affermit l’Islam et les Musulmans, il
repoussait leurs sollicitations par son habileté.
En 13101, le sultan Mawlay Elhasan (Dieu le fortifie !)
partit de Fâs après la fête des Sacrifices pour diriger une
expédition contre les tribus du Sahâra de Tâfîlêlt, et
réussit à établir la paix dans cette région dans les condi
tions nécessaires. Après ce succès, il écrivit aux gouver
neurs du Maghrib, pour leur annoncer ces résultats et leur
rapporter les incidents survenus pendant les étapes de ce
voyage. Dans cette lettre, après les formules préliminaires
et le sceau portant son nom béni, il disait
« Quand Dieu, par un simple effet de sa bienveillance
et de ses préférences, a appelé son serviteur au pouvoir et
lui a donné la terre en héritage pour faire régner la prospé
rité dans les contrés et les demeures, notre seul souci a
été de travailler au bien des Musulmans, de rétablir
l’ordre dans leurs affaires et de grouper tous les croyants
autour de nous. Nous n’avons négligé aucun effort pour
arriver à ce résultat, et Dieu nous a déjà permis de nous
rendre chez toutes les tribus de notre Empire fortuné et
de parcourir tous leurs territoires avec nos armées de
Dieu qu’accompagne une protection toujours croissante,
ne laissant de côté que les régions sans importance, ou
1. Texte arabe, IV’ partie, p. 274.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
celles dont l’accès ne présentait que des difficultés et des
dangers. Nous avons ainsi pu nous rendre compte des
nécessités de leur situation, et nous y avons établi à l’aller
et au retour l’ordre qui est agréable à Dieu.
« Parmi les contrées qu’il nous restait à visiter, il y avait
ces plaines sahariennes et ces forteresses berbères qui
étaient auparavant réputées d’un accès difficile et dépour
vues de tout moyen de pénétration. Nous avons invoqué
l’aide de Dieu, nous avons placé notre confiance en lui,
et nous avons remis entre ses mains le soin de réaliser
nos projets. Nous avons ainsi vérifié que lorsque le Très
Haut veut quelque chose, il en prépare les moyens et ouvre
pour y conduire toutes les issues et toutes les portes.
Tout vient de lui et tout va à lui, comme le dit dans son
sage précepte Ibn ‘Atâillâh « S’il veut te témoigner sa
« faveur, il crée une chose et te l’attribue tu ne donneras
« pas un souffle sans qu’il ne mette en toi le moyen de le
« produire. »
« Quittant notre glorieuse capitale de Fâs la bien gardée,
nous avons pris la direction de ces contrées berbères.
Le secours et la victoire de Dieu ne cessaient de nous
accompagner un seul instant, et de se renouveler comme le
renouvellement du jour et de la nuit, tandis que les faveurs s
de Dieu se suivaient sans interruption et que les plans
organisés par sa noble puissance étaient solidement coor
donnés. Nous avons traversé le pays des AïtMoûsa et celui
des Bni Mguîld, que nous avons trouvés dans la plus
parfaite soumission et qui ont tendu à Notre Majesté élevée
en Dieu le licol et la longe, pour montrer qu’ils obser
vaient nos prescriptions et nos défenses, sans qu’un seul
d’entre eux n’ait montré la moindre résistance. Puis nous
sommes allé, avec les troupes victorieuses de Dieu
et ses armées innombrables, audevant de la tribu des
Aït Izdég, qui était particulièrement visée. La bonne direc
tion leur fut envoyée par Dieu, les étendards de l’égare
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ARCIIIVES MAROCAINES
ment et de l’erreur qui flottaient sur eux furent repliés, et
ils nous reçurent à l’entrée de leur territoire, craintifs,
épouvantés et eflVayés par la puissance de Dieu. Nous nous
sommes disposé à pardonner, par goût pour le pardon,
pour éviter l’efFusion du sang et le combat, par égard pour
les enfants, les vieillards et les malheureux, pour user de
clémence envers ceux d’entre eux qui étaient tombés dans
l’erreur et l’égarement, et pour nous conformer enfin à la
parole du TrèsHaut « Le pardon se rapproche davantage
« de la crainte de Dieu. » Quand nous fûmes convaincus de
leur repentir, en les voyant s’efforcer d’être agréables à
Dieu et de nous satisfaire pour faire oublier leurs fautes
et leurs crimes, réparer leurs méfaits par de bonnes
actions et détourner le châtiment qui les attendait, nous
les avons traités de façon à dissiper leur crainte et leur
terreur et eflacer leur frayeur. Ils furent remplis d’allé
gresse, accompagnèrent notre noble étrier avec leurs
heaux costumes et en troupes nombreuses, joyeux et con
tents, heureux de notre venue fortunée et nous condui
sirent jusqu’à Aoutât. Là, ils nous donnèrent les plus
grandes marques de docilité et d’obéissance ils rem
plirent leurs obligations envers la mhalla fortunée par
leurs égards et leur hospitalité, et se mirent à verser
immédiatement toutes les sommes que nous leur avions
imposées, s’empressant même d’effectuer ce paiement et
exécutant tout ce qui leur était commandé. De là, nous
sommes allé camper dans le cœur môme de leur pays, sur
l’Wad Zîz le conducteur de la bonne fortune poussant
toujours devant lui la victoire évidente et le triomphe
glorieux, nous leur fimcs payer le reliquat de la somme
imposée et grâce à la protection de Dieu nous avons obtenu
d’eux ce que nous désirions.
« Puis, accompagné d’un escadron nombreux fourni par
cette tribu, et comprenant un nombre important de ses
principaux cavaliers et de ses guerriers, nous avons levé
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
le camp et nous sommes arrivé sur le territoire des Aït
Mergâd. Ceux-ci sont venus avec soumission, humilité et
docilité, audevant de notre noble étrier, et ont témoigné
de leur obéissance à tout ce qui leur a été ordonné. Ils
ont apporté leurs impositions et leurs cadeaux, manifestant
tout le plaisir que leur causait notre noble venue.
« C’est Dieu qui a préparé ces résultats, qui les a dirigés,
conduits, soutenus, voulus et facilités. Jamais, dit le sage,
une demande adressée à Dieu ne demeure sans succès,
tandis que celle que tu t’adresses à toimême ne peut
réussir. »
« Nous avons usé aussi d’une politique conforme à nos
messages antérieurs, qui a retenu les épées dans leurs
fourreaux. L’encre des plumes a évité l’effusion du sang
et épargné les efforts, et les pourparlers ont rendu les
blessures inut-iles. C’est ainsi que nous avons réduit leur
pays tout entier de fond en comble, malgré ses escarpe
ments et ses énormes montagnes qui semblent con
verser avec la lune et donner la main aux étoiles quand
cellesci commencent à briller. Louange à Dieu qui ma
nifeste sa grandeur et fait éclater l’évidence de son argu
ment
« C’est ainsi que nous sommes parvenus à Tadgoûst, qui
est la capitale de cette tribu et la résidence de son chef le
corrupteur ‘Ali bn Yahyâ Elmergâdi, qui depuis long
temps recevait des avertissements et dont l’aspect disait’:
« Celui que tu proclames ne vivra pas. » Nous l’avons
emprisonné et nous l’avons envoyé enchaîné à Murrâkush,
conformément à la loi de Dieu touchant ceux qui ont
péché il n’a pas tardé à jurer ses regrets et son remords.
Dieu a débarrassé de lui ses serviteurs et a purifié le
pays.
« Auparavant nous avionsenvoyédesémissairespourfaire
payer aux Aït liadîddo les contributions qui leur avaient été
imposées et rapporter ce qu’ils devaient. Mais ces envoyés
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ARCHIVES MAROCAINES
étant revenus sans avoir réussi, nous avons fait surveiller
un grand nombre des notables de cette tribu, des arbitres
de sa destinée, au nombre de deux cents environ, et nous
les avons emprisonnés pourles punir, avec l’intention de les
maintenir auprès de nous jusqu’à ce que avec l’aide de Dieu
ils versent les contributions dont ils ont été frappés.
« Puis nous nous sommes mis en route, précédés par la
bonne fortune et enveloppés d’heureux augures.
« Notre étrier sharîfien avait pour escorte l’armée des
Ait Mergâd, comprenant un grand nombre d’hommes,
parmi lesquels des milliers de cavaliers et de héros, lions
dans la guerre et dans l’assaut. Arrivés à Ysar Essoûq,
nous avons trouvé l’armée de nos serviteurs les Ait ‘Atta
qui attendaient Notre Noble Majesté, pour accompagner
notre étrier fortuné et glorieux. Ils étaient nombreux et
représentant une force extr aordinaire ils étaient près de
A.000 cavaliers, tous lions à l’aspect terrifiant, avec un
nombre imposant d’hommes à pied, semblables à un tor
rent qui s’écoule des montagnes. Cette armée nombreuse
s’est mise en route avec Notre Majesté élevée en Dieu jus
qu’à Mdagra. Nous nous sommes bénis de cette terre
foulée par nos ancêtres et nous avons examiné les affaires
de ses habitants avec la plus grande bienveillance. Nous
avons gratifié les chérîfs de ce pays de 20.000 douros,
nous avons chargé de les leur porter notre fils Mawlay
‘Abdel’azîz, Dieu l’améliore Cette somme leur ayant été
distribuée à titre de cadeau et pour remplir nos devoirs de
parenté et d’alliance, nous avons emporté pour notre
voyage leurs vœux sincères et exaucés qui, espéronsle,
ne trouveront pas d’obstacle entre Dieu et eux.
« De là nous nous sommes rendu chez les ‘Arab-s Esseb
bâh, qui, après avoir accueilli nos cortèges fortunés avec
joie et allégresse, se sont acquittés du devoir de fournir
des provisions et des vivres, et ont immédiatement payé
toutes les impositions. <
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
« Nous avons quitté leur pays pour nous rendre à Tâfî
lêlt, où nous voulions visiter notre grand aïeul, le pôle
évident, notre Maître ‘Ali Ash-Sharîf, Dieu soit satisfait de
lui et nous le rende profitable Les habitants de ce pays
sont venus audevant de nous, chérîfs et gens du commun,
hommes et femmes, enfants et vieillards, en foules consi
dérables, ceux-ci en troupes, ceuxlà isolément, d’autres
deux par deux. Notre vue leur a causé une profonde allé
gresse, et notre venue les a remplis de joie et de bonheur.
Les esprits se sont réjouis et les cœurs se sont dilatés. Nous
avons rempli nos devoirs envers tous nos parents, ce qui
était pour nous très important et nous leur avons fait
cadeau, comme à ceux de Mdagra, de 20.000 douros, que
nous avons chargé de leur porter et de leur donner comme
présent, nos fils Mawlay ‘Abdel’azîz et Mawlay Belgaïts,
Dieu les conserve Nous sommes resté là dixhuit jours,
afin de nous reposer, de faire de pieuses visites et de voir
les souvenirs de nos ancêtres, Dieu les sanctifie Peut-il y
avoir de plus nobles souvenirs, de vestiges plus glorieux?
Nous avons examiné les biens qu’ils possèdent, et nous
leur avons donné une attention qui leur a donné une nou
velle fert-ilité, et a augmenté leur beauté et leur fécondité.
Dieu soit loué au commencement et à la fin
« Nous le remercions en premier et en dernier lieu. Nous
lui demandons de considérer toute cette œuvre comme un
pur hommage en son honneur, de lui réserver le meilleur
accueil, de nous conduire à réaliser pour le bien des Mu
sulmans tout ce que nous espérons, et de placer Sûs son
obéissance ceux qui sont en mouvement et ceux qui sont
en repos. Sa force et sa puissance sont le seul appui.
« Enfin nous nous sommes mis en route pour notre capi
tale sharîfienne de Murrâkush, demandant à Dieu son aide,
sa force et la réalisation des espérances.
« Nous vous avons fait part de tout cela, pour que vous
connaissiez la vérité, et que vous vous réjouissiez de la
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ARCHIVES MAROCAINES
faveur, de la victoire et du triomphe que Dieu nous a
accordés dans les choses secrètes et connues. C’est a lui
de faire que la fin réponde au commencement et de nous
assurer tout le bonheur que nous désirons.
« Salut.
« Le 15 joûmâda I01′ de l’année 1311 »
Le Sultan prit, pour rentrer à Murrâkush, la route d’El
fâïja. Au col d’Elglftoui, il y avait beaucoup de neige, et il
faisait très froid. Tout le monde, et le Sultan lui-même, en
souffrirent, mais on parvint à y échapper au prix des plus
grandes difficultés.
Pendant l’absence du Sultan, une guerre féroce avait
éclaté entre les Zenâta du Rif et les chrétiens espagnols
de Melilla et des villes voisines. Les Zenâta avaient fait
subir des pertes importantes aux Espagnols et les avaient
repoussés en leur tuant bon nombre d’hommes. Ces hos
t-ilités avaient été provoquées par la cause suivante
Les Espagnols avaient, suivant leur habitude, impor
tuné le Sultan de demandes réitérées et d’intrigues mul
tiples, pour obtenir une augmentation du territoire de
Melilla. Il avait cédé et leur avait accordé la prolongation
de leur frontière jusqu’à une portée de flèche environ sur
le territoire de Zenâta, de telle sorte que la limite com
mune des deux territoires était voisine du tombeau de
l’ami de Dieu, Sîdi Ouâriâch. Ce saint jouit d’une grande
vénération dans cette région, où il est très renommé. Les
différentes tribus vont à tour de rôle en Hâjjage à son
tombeau, pour recueillir sa bénédiction, et y enterrent
leurs morts.
Il n’était pas possible aux chrétiens de Melilla de cons
truire leurs portes de garde ailleurs que sur un terrain
dominant le tombeau de ce saint, et d’où on pouvait le
voir à découvert. Les Rifains leur avaient demandé d’éle
1. Texte arabe, IV’ partie, p. 277.
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
ver leurs constructions sur un autre point, mais ils leur
avaient opposé un refus persistant, et peutêtre même ils
les avaient irrités en les blessant par ces mots pénibles dont
ils sont coutumiers.
Depuis qu’ils ont été victorieux dans la guerre de
Tétouan, les Espagnols font beaucoup souflïir les habi
tants du par leurs observations et leurs accusa
tions injustes, ainsi que les paroles grossières et les
reproches non déguisés, que leur font entendre surtout
les mauvais sujets et les gens du peuple. J’ai entendu de
mes propres oreilles des choses qui serrent le cœur et
que la langue refuse de prononcer.
Quand on porte plainte à leurs autorités, elles ne veu
lent pas rendre justice et entrent dans des discussions
vides de sens. Telle est leur manière de faire, aussi estce
à Dieu seul qu’il faut adresser ses plaintes, car il vous
accorde ses faveurs pour vous agréer ensuite. Il n’y a de
force et de puissance qu’en lui
Comme ils avaient pris cette attitude, ou peu s’en faut,
visàvis des gens du Rîf, ceux-ci leur avaient fait éprou
ver qu’ils étaient en mesure, comme on le sait, de leur
infliger un châtiment terrible et une punition doulou
reuse.
Quand le Sultan, Dieu le fortifie fut de retour à Mor
râkch, une ambassade espagnole alla lui demander justice
contre les gens du Rîf dans cette affaire. Elle apportait
avec elle un certain nombre de pigeons qui emportent
dans leur vol les correspondances et les nouvelles. Des
négociations furent entamées sur cette question entre eux
et le Sultan, mais celui qui trancha le différend n’avait
pas l’expérience des affaires difficiles, car il ne vit rien ou
fit semblant de ne rien voir. L’affaire fut réglée moyennant
le paiement par le Sultan d’une indemnité de quatre mil
lions de douros, comme prix du sang des Espagnols qui
avaient été tués, et la paix fut conclue sur cette clause.
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ARCHIVES MAROCAINES
Chaque fois qu’ils avaient une entrevue avec le Sultan au
sujet de cette question, ils envoyaient la nouvelle par un
pigeon aux membres de leur gouvernement à Madrid. Dieu
fait ce qu’il veut et décide ce qui lui plaît.
A la fin de cette année survint la mort du sultan Moû
lay Elhasan bn Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde
et l’agrée !). Il avait quitté Murrâkush le j01′ doûlqa’da avec
l’intention de razzier les tribus berbères qui habitent les
montagnes de Fêzzâz, particulièrement les Ait Sekhmân,
qui avaient trahi ses gens et son cousin, dans les condi
tions que nous venons de rapporter.
Revenu de son expédition dans le Tâfîlêlt, atteint d’une
maladie qui paraissait sans gravité, mais qui déjà était
chronique, il avait tenu malgré cela à continuer de se
montrer en public, de traiter les affaires, de recevoir les
députations et de les congédier, et d’accomplir tous les
actes de gouvernement. A la date précitée, il était donc
parti de Murrâkush, malgré cette maladie et la souffrance
qu’elle lui occasionnait, et n’avait pas redouté ces fatigues.
Mais arrivé à l’Wad EPabid, dans le pays de Tâdla, il
succomba le mercredi troisième jour du mois sacré de
doûlheclja, à 11 heures du soir. Il fut porté dans un cer
cueil jusqu’à Ribât Al-Fath, où il fut inhumé à côté de son
ancêtre glorieux, Sîdi lohammed bn ‘Abdallah (Dieu
leur fasse miséricorde Ainsi soit-il Son règne avait duré
vingt et un ans et cinq mois. Ce fut un des souverains
‘Alaouis les meilleurs et les plus remarquables, par la jus
tice qu’il fit régner, le bien qu’il fit pour ses sujets et les
traces qu’il a laissées de son règne dans le Maghrib et dans
ses ports. Que le TrèsHaut adoucisse la peine causée aux
Musulmans par sa perte, et qu’il les dédommage de ce
malheur par une récompense Ainsi soit-il
Les arbitres des destinées du pays prêtèrent serment de
fidélité à son fils agréé et pieux, notre Maître ‘Abdel’azîz,
fils de notre Maître Elhasan (que Dieu lui accorde un appui
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DYNASTIE ALAOUIE DU MAROC
puissant et le gratifie de la victoire évidente) Ce Commandeur
est en ce moment assis sur le trône royal à Fâs la proté
gée, dans les meilleures conditions désirables.
Fidèles à l’habitude contractée du vivant de son père,
un certain nombre de représentants des Puissances se sont
mis en route pour aller auprès de lui et sont arrivés à
Fâs, faisant croire qu’ils sont venus pour le féliciter. Mais
leur but est différent Ils trament des complots Dieu à
son tour complote contre eux, et certes Dieu est le plus
habile à mener un complot. Que pensez-vous en effet de
celui qui prétend être venu pour apporter ses félicitations
et qui séjourne dans la capitale depuis près de quatre
mois, espionnant les événements, étudiant les points fai
bles des Musulmans, épiant les négligences, et comptant
la population dans l’espoir qu’il trouvera un joint pour
intervenir, ou qu’une bonne occasion se présentera ? De
mandons à Dieu de retourner ses artifices contre lui.
Ainsi soit-il
Il n’est pas, à mon sens, d’autre explication à cela que le
manque de respect envers Dieu et les gens sinon com
ment expliquer ce séjour de quatre mois pour présenter
ses félicitations, sans compter le temps pendant lequel il
va encore se prolonger ? « Si tu n’as pas de pudeur, fais ce
que tu voudras » dit une sentence prononcée par les pre
miers prophètes. Dieu nous suffit: c’est notre meilleur
mandataire.
Il faut observer que les conditions dans lesquelles se
trouve la génération actuelle sont tout à fait différentes de
celles de la génération qui l’a précédée les habitudes des
gens sont toutes bouleversées, et les usages suivis par les
commerçants et les artisans sont transformés en tout ce
qui touche à leurs affaires, monnaie, prix des mar chan
dises et autres dépenses, de telle sorte que la vie est deve
nue difficile pour la population, qui a de la peine à gagner
de quoi vivre et se nourrir. Aussi, si l’on examine le temps
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ARCHIVES MAROCAINES
présent et l’époque qui l’a précédé, et qu’on veuille les
comparer l’un à l’autre, on constate qu’il n’existe entre eux
aucun point (le comparaison. La principale cause de cette
situation est l’immixtion des Francs et des autres Euro
péens parmi la population, l’accroissement de leurs rela
tions avec elle et leur difl’usioix dans les contrées islami
ques, où ce sont leurs manières et leurs habitudes qui l’em
portent sur les nôtres et les absorbnt d’une façon violente.
Je rapporterai à ce sujet un trait qui peut servir d’exemple
et prouver l’ensemble des choses qu’il découvre. Je cau
sais un jour avec un homme de ma génération sur cette
question. « Je bénéficie, me dit-il, d’une pension impé
riale mensuelle de 30 oqiyas. Vers 1260, le change de la
peseta étant à 3 oqiyas, je recevais chaque mois 10 pesetas.
Après 1260, la monnaie ayant commencé à monter, je
ne touchai plus que 9 pesetas et quelques flous. Deux ou
trois ans après, ce furent 8 pesetas et des flous, ensuite
7 pesetas, et ainsi de suite, de telle sorte qu’aujourd’hui,
dans les années postérieures à 1290, je ne reçois plus
qu’une peseta et quelques flous. » Qu’on médite cette
immense difl’érence qui caractérise l’époque actuelle, et
qui s’est produite en moins de trente ans, par le fait de
la hausse d’environ 9 dixièmes survenue sur la monnaie et
sur les prix des marchandises. La cause de cela est celle
que nous avons indiquée. Cette différence ne pourra que
s’accentuer ou diminuer en raison directe du développe
ment des relations avec les Européens ou de leur dimi
nution. La preuve en est que les habitants du Maghrib sont,
parmi tous les peuples, ceux qui ont le moins de rapports
avec les Européens. Par suite, c’est chez eux que les prix
sont les plus bas et les vivres à meilleur marché, et ce
sont eux qui sont le plus éloignés des Européens par leur
costume et leurs usages. Aussi on sait les avantages qui
en résultent pour la sauvegarde de leur religion. Il n’en est
pas de même au Caire, à Damas et dans les autres grandes
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DYNASTIE ALAOUIE DU JIAROC
FIN DU TOME SECOND
villes, d’où nous reviennent sur les actes des Européens des
informations qui font se bouclier les oreilles. Qu’on exa
mine donc ce que nous avons dit et que l’on y reconnaisse
les desseins secrets de Dieu sur ses créatures.
Apprenez aussi que, depuis ces dernières années, ces
Européens ont atteint une puissance odieuse et une pré
pondérance sans pareille. Ils sont entrés dans la voie du
progrès avec une progression aussi rapide que celle des
grains de blé dans les cases de l’échiquier, et peu s’en faut
même que ce progrès ne tourne à la corruption. Dieu,
qui seul possède les secrets des choses cachées, en con
naît les résultats et les limites.
« Je puis savoir ce qu’est aujourd’hui et ce qu’était hier,
mais ma science ne va pas jusqu’à connaître ce que sera
demain. »
Ici finit ce que nous avons voulu réunir dans ce livre.
Puisse Dieu nous avoir bien inspiré 0 notre Maître, nous
nous sommes fait tort à nousmême; si tu ne nous par
donnes pas, et si tu n’as pas’ pitié de nous, nous resterons
•parmi les égarés.
Dieu prie pour notre Seigneur et Maître Muhammad,
pour sa famille et ses compagnons, et leur accorde son
salut et ses bénédictions Notre dernière prière sera
Louange à Dieu, Maître des deux mondes ‘•,̃! V’