Maximin, de son côté, continuait sa marche. Du reste, les choses ne se passaient pas à Carthage comme l’avaient espéré les conjurés.
Un sénateur, nommé Capellien, gouvernait les Maures, sujets des Romains, et que l’on appelle Numides. Cette province était occupée par une armée, chargée de contenir la multitude de Maures insoumis qui l’environnent, et de s’opposer à leurs incursions et à leurs rapines. Capellien avait donc sous ses ordres une force militaire assez imposante.
Gordien nourrissait depuis longtemps contre ce gouverneur une vive inimitié dont un procès avait été la cause. Aussitôt donc qu’il eut reçu le nom d’empereur, il lui envoya un successeur, et lui ordonna de sortir de la province. Capellien, indigné de cet outrage, et dévoué à Maximin, qui lui avait confié ce gouvernement, rassemble toute son armée, l’exhorte à conserver à l’empereur la fidélité qu’elle lui a jurée, et marche sur Carthage à la tête de troupes nombreuses, composées de soldats braves et dans toute la force de la jeunesse, pourvues de toute espèce d’armes, aguerries par une longue expérience militaire et par l’habitude des combats qu’elles avaient eu à soutenir contre les Barbares.
Quand on annonça à Gordien que cette armée approchait de la ville, il fut saisi d’une extrême terreur, et les Carthaginois furent d’abord troublés ; mais, pensant que c’est dans le nombre des combattants, et non dans la discipline d’une armée, qu’est placée l’espérance de la victoire, ils sortent tous à la fois de la ville, pour combattre Capellien. Quant au vieux Gordien, aussitôt, dit-on, que l’ennemi fut aux portes de Carthage, il tomba dans le désespoir, et songeant aux forces de Maximin, ne voyant en Afrique aucunes troupes capables de leur résister, il se pendit.
On cacha sa mort et on mit son fils à la tête de l’armée. Bientôt on en vint aux mains. Les Carthaginois étaient supérieurs en nombre; mais ils n’avaient aucune discipline, aucune connaissance de l’art militaire, nourris qu’ils étaient dans la paix la plus profonde, et toujours plongés dans l’oisiveté des fêtes et des plaisirs; ils manquaient d’ailleurs d’armes et d’instruments de guerre. Chacun avait emporté à la hâte, de sa maison, une petite épée ou une hache ou une de ces courtes lances dont ils se servent à la chasse. Mutilant les vaisseaux qui se trouvaient dans le port, ils en façonnèrent le bois sous mille formes, et se firent, comme ils purent, des boucliers.
Les Numides excellent à lancer le javelot, et sont de si habiles écuyers, que, sans frein, et à l’aide d’une simple verge, ils dirigent la course de leurs chevaux. Ils n’eurent pas de peine à mettre en fuite la multitude confuse des Carthaginois, qui, incapables de supporter leur choc, se sauvèrent en jetant toutes leurs armes ; ils se pressèrent, se foulèrent aux pieds les uns les autres, et il en périt un plus grand nombre dans cette foule que sous le fer des ennemis.
Le fils de Gordien fut tué aussi dans cette déroute avec tous ceux qui l’entouraient. Le nombre des morts fut si grand qu’on ne put enlever les cadavres pour les ensevelir, ni retrouver le corps du jeune chef. Quelques-uns des fuyards, qui avaient pénétré dans Carthage, et qui avaient pu s’y cacher, en se dispersant dans tous les quartiers de cette grande et immense ville, survécurent seuls parmi cette nombreuse multitude. Tout le reste, se trouvant resserré près des portes où chacun s’efforçait de pénétrer, tomba sous les javelots des cavaliers numides ou sous le fer des fantassins. Toute la ville retentit alors des gémissements des femmes et des enfants, qui voyaient périr sous leurs yeux ce qu’ils avaient de plus cher. Quelques-uns disent que ce fut alors seulement que le vieux Gordien, que son grand âge avait retenu dans son palais, recevant ces tristes nouvelles, et apprenant que Capellien était entré dans Carthage, tomba dans un complet désespoir, s’enferma seul dans sa chambre, comme pour dormir, et s’étrangla avec le cordon de la ceinture qu’il portait habituellement. Telle fut la fin de ce vieillard, qui avait vécu heureux jusque-là, et qui mourut dans une apparence de royauté.
Cependant Capellien, entré à Carthage, fit périr tous ceux des premiers citoyens de cette ville qui s’étaient échappés du combat. Il n’épargna point les temples, qu’il pilla, ainsi que toutes les fortunes privées et les trésors publics. Il parcourut ensuite les autres villes, qui avaient renversé les statues de Maximin, punit de mort les principaux habitants, et de l’exil, les citoyens obscurs. Il permettait à ses soldats d’incendier et de dévaster les champs et les villages, sous le prétexte de punir la contrée du crime dont elle s’était rendue coupable envers l’empereur ; mais il ne songeait au fond qu’à se concilier l’amour de ses troupes, afin qu’ayant une armée dévouée il pût s’emparer de l’empire, pour peu que les affaires de Maximin vinssent à prendre une tournure défavorable. Telle était la situation de l’Afrique.