Marrâkush, fondée, au commencement de l’an 470 (1077), par Yûsuf bn Tâshfin, sur un emplacement qu’il avait acheté fort cher des habitants d’Aghmât, et qu’il choisit pour sa résidence et celle de sa famille.
Cette ville est située dans un bas-fond, où l’on ne voit qu’un petit monticule appelé Ijlîz, dont Amîr al-muslimîn, ‘Alî bn Yûsuf bn Tâshfin, fit extraire les pierres nécessaires pour bâtir son palais dit Dâro ‘l‑hadjar.
Comme le terrain sur lequel est construite la ville ne renferme pas d’autres pierres, les maisons sont bâties en terre, en briques crues, et en Tapia.
L’eau dont les habitants ont besoin pour arroser leurs jardins est amenée au moyen d’un procédé mécanique ingénieux dont l’invention est due à ‘Ubayd-Llah bn Yûnus. Il faut savoir qu’il n’est pas nécessaire, pour trouver de l’eau, d’y creuser le sol à une grande profondeur. Or, lorsqu’il vint à Maroc, peu de temps après la fondation de cette ville, il n’y existait qu’un seul jardin appartenant à Abû al‑Fâdhl, mawlâ du A-l-M, dont il vient d’être fait mention.
Le mécanicien se dirigea vers la partie supérieure du terrain attenant à ce jardin ; il y creusa un puits carré de larges dimensions, d’où il fit partir une tranchée dirigée immédiatement vers la surface du sol ; il continua son creusement par degrés, du haut en bas, en ménageant la pente, de telle sorte, que, parvenue au jardin, l’eau coulât sur une surface plane et se répandît sur le sol, ce qui n’a pas discontinué depuis. Au premier abord, on n’observe pas une différence de hauteur suffisante pour motiver l’émanation de l’eau du fonds à la superficie, et on n’en comprend pas la cause ; il n’y a que celui qui sait que ce phénomène tient au juste nivellement de la terre, qui puisse s’en rendre compte.
A-l-M approuva beaucoup cette invention, et il combla son auteur de présents et de marques de considération durant son séjour auprès de lui. Les habitants de la ville, voyant le procédé réussir, s’empressèrent de creuser la terre et d’amener les eaux dans les jardins ; dès lors, les habitations et les jardins commencèrent à se multiplier, et la ville de Maroc prit un aspect brillant.
A l’époque où nous écrivons, cette ville est une des plus grandes du Maghrib Extrême, car elle a été la capitale des Lamtouna, le centre de leur domination et le fil qui les tenait unis ; on y compte un grand nombre de palais construits pour les émirs, les généraux et les ministres de cette dynastie ; les rues sont larges, les places publiques vastes, les édifices hauts, les marchés bien fournis de diverses marchandises et bien achalandés.
Il y existait une Jâmi’ construite par Amîr Yûsuf bn Tâshfîn ; mais, lorsque de nos jours les Maçmûda se rendirent maîtres de la ville, ils firent fermer la porte de cette mosquée et ne permirent plus d’en faire usage pour la prière ; en même temps ils en firent construire une autre pour leur propre culte.
Ces changements furent accompagnés de scènes de pillage, de meurtre et de trafic de choses illicites, car, d’après la doctrine qu’ils professent, tout cela leur est permis.
Les habitants de Murrâkush boivent de l’eau des puits, qu’ils n’ont pas besoin de creuser à une grande profondeur. Il n’y a que de l’eau douce.
Alî ibn Yousof ibn Tâchifîn avait entrepris de faire amener à M les eaux d’une source distante de quelques milles de la ville, mais il ne termina pas cet ouvrage. Ce furent les Maçmouda qui, après la conquête du pays, achevèrent les travaux commencés, amenèrent les eaux dans la ville et établirent des réservoirs au Dâr al‑Hajar, enceinte isolée au milieu de la ville, où se trouve le palais royal.
M a plus d’un mille de long sur à peu près autant de large.
A 5 milles de distance, coule une petite rivière appelée Tânsîft, qui ne tarit jamais.
Durant l’hiver, c’est un torrent qui emporte tout dans sa fougue. Le prince des Musulmans ‘Alî bn Yûsuf avait fait élever, sur cette rivière, un pont d’une construction solide et ingénieuse ; il avait fait venir, à cet effet, des architectes espagnols et d’autres personnes habiles ; l’ouvrage fut construit et avec toute la solidité possible ; mais, au bout de quelques années, les eaux venant avec une force irrésistible, elles emportèrent la majeure partie des piles, disloquèrent les arches, détruisirent le pont de fond en comble et entraînèrent les matériaux jusque dans la mer. Cette rivière est alimentée par des sources qui jaillissent de la montagne de Daran, du côté d’Aghmât-Ailân.
Aghmât-Aylân est une petite ville, au pied de la montagne de Daran et à l’orient d’Aghmât-Ûrîka dont nous venons de parler. Aghmât-Aylân est belle, riche et habitée exclusivement par des juifs. Alî bn Yûsuf leur avait défendu de s’établir à M et même d’y passer la nuit, sous peine des châtiments les plus sévères.
Il leur est permis d’y entrer le jour, mais seulement pour les affaires et les services dont leur nation s’occupe spécialement ; quant à ceux qu’on y trouve après le coucher du soleil, leur vie et leurs biens sont à la merci de tout le monde. Par conséquent les juifs se gardent bien de contrevenir à ce règlement.
Les habitants de Murrâkush mangent des sauterelles ; on en vend journellement trente charges, plus ou moins, et cette vente était assujetti autrefois à la taxe dite qabâla, qui se percevait sur la vente de la plupart des objets fabriqués et de diverses marchandises, telles que les parfums, le savon, le cuivre jaune, les fuseaux à filer, en proportion de la quantité. Lorsque les Maçmoudâ s’emparèrent du pays, ils supprimèrent entièrement ces sortes de taxes, en exemptèrent le commerce et condamnèrent à mort quiconque les exigerait ; c’est pourquoi, de nos jours, on n’entend plus parler de qabâla dans les provinces soumises aux Maçmouda.
Au sud de Maroc habite la tribu Maçmoudâ d’Aylân, et autour d’elle les Nafîs, les Banu Idfar, les Dukkâla, les Rajrâja, les Zawda, les Haskûra, les Hazraja, toutes tribus berbères ; la tribu Maçmoudâ de Ûrîka habite à l’orient et à l’occident d’Aghmât.