47. Femmes arabes. — Les femmes arabes, qui sont la partie la plus nombreuse de la population féminine de l’Egypte, sont en général de taille moyenne et se font remarquer par l’élégance de leurs formes. Elles participent de la bonne constitution de l’homme; on sait qu’elles partagent ses fatigues et que souvent elles le surpassent en vigueur. Elles ont la colonne vertébrale arquée, les membres réguliers et arrondis, les mains et les pieds petits et potelés. De grands yeux noirs, ombragés de longs cils et étincelants de vivacité , donnent à leur visage une belle expression. Leur nez est petit, souvent légèrement épaté. Elles ont les lèvres un peu épaisses; leurs dents, irréprochablement alignées et d’une éclatante blancheur, contrastent avec la teinte basanée de leur peau. Celle-ci est plus ou moins foncée, suivant qu’elles sont de la haute, de la moyenne ou de la basse Egypte, de la ville ou de la campagne. Un sein puissamment développé, ferme et bien placé, orne leur large poitrine qui ne cède jamais aux artifices malentendus et souvent funestes de la coquetterie européenne. Leur démarche est élégante; leur pas sur et allongé; leurs poses majestueuses; leurs gestes pleins de grâce rappellent de suaves souvenirs de l’antiquité. On aime la douceur de leur voix qui se marie si bien à la charmante tendresse de leurs expressions familières. En vous adressant la parole elles vous appelleront mes yeux, mon cœur, mon âme (iah heny, iah kholbi, iah rohihï). Lorsqu’elles parlent à un homme elles lui donnent toujours le nom de maître ou celui de frère.
48. Pratiques de coquetterie; amoindrissement des sourcils; teinte des paupières, des ongles, des doigts, de laplante des pieds. — Les Égyptiennes se préoccupent beaucoup de leur toilette. Elles ont une ambition excessive de plaire, et dans ce but elles imaginent mille pratiques curieuses Ainsi, au lieu de laisser croître librement leurs sourcils, elles en diminuent la largeur et n’en conservent qu’une ligne très-mince. Elles teignent en noir le bord de leurs paupières; elles se servent, pour cette opération, d’une poudre noire qu’elles appellent Khol (antimoine); elles la tiennent dans un petit flacon en argent ou en cristal; elles introduisent dans ce vase un stylet avec lequel elles portent la poudre sur le bord des paupières, qu’elles veulent par là rendre plus brillantes; elles atteignent assez bien ce résultat, lorsqu’elles ne surchargent pas trop la teinte. Elles placent aussi des mouches noires sur différentes parties du visage, au cou et sur la gorge. Elles se teignent ordinairement les ongles, l’extrémité de la face palmaire des doigts et la plante des pieds en noir ou en rouge, avec des feuilles de l’arbre appelé henne. Ces feuilles, réduites en poudre, sont humectées avec de l’eau et forment une pâte qu’elles appliquent le soir sur leurs mains en découpures artistement façonnées, qui laissent l’empreinte de dessins très-gracieux. On voit que tous ces soins ont pour but de faire ressortir la blancheur de la peau.
les femmes égyptiennes ont une belle gorge; elles visent surtout à l’avoir très-développée; il en est qui, dans ce but, appliquent sur cette partie de la mie de pain, ce qui ne produit d’autre effet qu’un relâchement dans les tissus de l’organe.
50. Tatouage. — Les femmes du peuple se font tatouer la lèvre inférieure, le menton, les bras et les mains.
51. Circoncision des femmes. —On fait subir aux femmes égyptiennes une espèce de circoncision; on exécute cette opération sur les jeunes filles de sept à huit ans. Lorsqu’elles ont atteint l’âge voulu, on les conduit au bain, et ce sont les baigneuses, qui, armées de mauvais ciseaux, les mutilent. J’ignore quelle peut être la cause d’un pareil usage. Il parait cependant avoir pour but de modérer, dans son principe même, le penchant des femmes égyptiennes à la volupté; car il n’est point, comme on l’avait dit, une mesure hygiénique, qui aurait consisté à retrancher les nymphes, qui ne sont pas plus développées chez les Égyptiennes que chez les Européennes. La religion ne le prescrit pas. On dit qu’il était pratiqué dans l’antique Egypte.
52. Femmes turques. — Les femmes turques sont les plus belles que l’on rencontre en Egypte. La plupart sont des esclaves venues de Géorgie ou de Circassie. Ce sont les odalisques des sérails. Elles sont très-blanches, et la perfection de leur taille, la régularité et la noblesse de leurs traits les font passer à bon droit pour les plus belles femmes du monde.
53. Age nubile des Egyptiennes; leur fécondité; leur vieillesse. — En Égypte, les femmes sont nubiles à l’âge de dix ou onze ans. Elles sont souvent mères à douze ans, grand’mères à vingt-quatre, bisaïeules à trente-six, trisaïeules à quarante-huit. Enfin il n’est pas rare d’en voir contemporaines de leur cinquième génération. La grande précocité des femmes égyptiennes les fait vieillir rapidement; à vingt-cinq ans elles sont plus fanées que les Européennes ne le sont quelquefois dans leur cinquantième année. Leur fécondité a été citée par tous les historiens. Celles qui demeurent stériles sont en quelque sorte méprisées; aussi n’est-il aucun moyen qu’elles n’emploient pour devenir mères.
54. Costumes des femmes riches. — Les femmes des grands se distinguent par la richesse et la variété de leurs costumes. L’or, la soie, les broderies, les cachemires aux couleurs éclatantes, les tissus les plus recherchés se font remarquer dans leurs parures. Voici les divers vêtements qui composent celles-ci:
Une chemise faite ordinairement de mousseline, de toile très-fine, de crêpe ou d’autres tissus également distingués. Cette chemise est blanche ou de couleurs éclatantes, telles que le rose, le violet, le jaune clair, le bleu de ciel; quelquefois elle est noire; souvent elle est brodée de soie ou d’or; quelques-unes sont parsemées de paillettes brillantes. Cette chemise est très-ample, ses manches sont larges; elle ne descend par tout à fait jusqu’au genou; elle recouvre un caleçon de toile ou de mousseline.
Un pantalon (chintyan), auquel l’étoffe est prodiguée, est fixé par une gaine à la ceinture et lié à la jambe, d’où il retombe sur les pieds, ce qui lui donne l’aspect d’une jupe.
Une grande robe ( yalek ), serrant la taille sur les hanches, descend jusqu’aux pieds. Cette espèce de tunique est échancrée de manière que la gorge n’est recouverte et retenue que par la chemise; elle est boutonnée sur le devant, jurqu’au-dessous de la ceinture et ouverte des deux côtés depuis les hanches. Les manches pressent les bras, s’élargissent au coude et de là descendent jusqu’au bas de la robe, ou s’arrêtent au poignet.
Une ceinture est passée autour de la taille; elle consiste en un châle de cachemire ou en un carré de mousseline ou de toute autre étoffe et même d’indienne, suivant les rangs et les fortunes. Le carré est plié diagonalement; il est placé sur le bas des reins; l’un de ses angles reste derrière; ses deux extrémités ramenées sur le devant y sont fixées par un nœud ou une ganse. La ceinture qu’il forme entoure le corps sans le serrer.
Par-dessus le yalek les femmes portent un gebbeh, qui est en drap pendant l’hiver. Les manches de ce surtout s’arrêtent au coude; il est échancré dans le haut; il ne croise point sur la poitrine et reste ouvert; il est simple ou orné de broderies. Quelques dames le remplacent par une espèce de spencer appelé saltah.
La coiffure se compose d’une petite calotte rouge en laine, autour de laquelle sont élégamment roulés, en forme de turban, un où plusieurs mouchoirs de crêpe, de mousseline blanche ou peinte, plus ou moins richement brodée.
A la partie postérieure du bonnet est attachée une plaque ronde, bombée, de trois pouces environ de diamètre, nommée qours. Les femmes de classe inférieure ont cette plaque simplement en or; chez les dames riches, elle est garnie de pierreries.
Les cheveux de la partie antérieure de la tête tombent en boucles sur les tempes ou sont ramenés en bandeaux. Les Égyptiennes, de même que nos dames d’Europe, rejettent la masse de leurs cheveux en arrière; mais, au lieu de les arrêter sur la tête, elles les laissent retomber sur leur dos; elles les divisent en petites tresses; elles en forment depuis onze jusqu’à trente-cinq, mais attachent assez d’importance à ce que le nombre soit impair. Elles font entrer dans la composition de ces tresses trois légers cordons de soie noire; de petites paillettes ou des bijoux en or sont attachés à ces cordons. Chacune des tresses est terminée par un ornement en or, une grappe de perles ou simplement une pièce de monnaie percée à son bord. L’ensemble de cette coiffure est appelé sefé.
Les bijoux, les perles, les diamants, employés à profusion, brillent du reste en riches pendants aux oreilles de la dame du harem, se roulent en nombreux colliers autour de son cou et chargent ses doigts de bagues étincelantes.
En général les dames égyptiennes ne portent point de bas. La peau de leurs pieds, souvent lavés dans une eau parfumée, est aussi douce que celle de leurs mains; leurs ongles, coupés très-ras, sont teints avec le henneh. Les plus recherchées dans leur toilette vont jusqu’à garnir leurs orteils d’anneaux aussi précieux que ceux qui parent leurs mains. Une espèce de soulier (mezz) en maroquin jaune ou en velours richement brodé chausse ce pied, dont la coquetterie aime encore à relever la beauté naturelle par l’éclat du luxe; mais, très-découvert, c’est à peine s’il en cache les extrémités; dépourvu de rebord, par derrière, il laisse au talon toute sa liberté. Le mezz tient lieu de bas aux dames; elles le portent sur les divans et les tapis. Lorsqu’elles doivent marcher ailleurs, elles ont des babouches, espèce de pantoufles en maroquin jaune, dont la pointe est aiguë et recourbée; quand elles sortent, elles passent leurs pieds et leurs jambes dans de petites bottes, également en maroquin jaune, dont le but est d’éviter que la jambe puisse être découverte.
Le costume que je viens de décrire est celui qui est porté dans l’intérieur du harem. Quelques parties en sont assez gracieuses et élégantes; mais celui qui couvre les femmes en public les fait ressembler à nos religieuses ou plutôt aux dominos de nos bals.
En effet, quand elles sortent, elles s’affublent d’une grande chemise en soie noire (sableh), par-dessus laquelle elles placent un immense voile en taffetas, nommé habbarah, qui enveloppe tout le corps. Un autre voile en mousseline cache de leur visage tout, excepté les yeux. Le habbarah des femmes mariées est noir; celui des jeunes filles est blanc. Les femmes de condition inférieure, qui n’ont pas de habbarahs en étoffe de soie, se servent du même vêtement en tissus de fil et de coton, à fond bleu et carrelé. Il porte alors le nom de milayeh.
55. Modifications récentes au costume des femmes riches. —Quoique la mode ne fasse guère plus sentir ses caprices aux femmes qu’aux hommes, néanmoins, depuis peu d’années, leur costume a éprouvé en Égypte des modifications, je dirai même des améliorations. Ainsi maintenant la coiffure n’est plus alourdie par des turbans massifs, surchargés de bijoux. Le sefé n’est presque plus en usage; les cheveux sont tressés et relevés sur la tête. On ne laisse pas, comme autrefois, les chemises par-dessus les pantalons. Le yalek n’est plus aussi long; ses manches s’arrêtent au poignet; il n’est plus échancré sur la poitrine et se boutonne ou se croise sur cette partie du corps comme les robes des dames de l’Europe. Le gebbeh est entièrement abandonné; il n’es porté que par les vieilles femmes. L’usage des bas s’est répandu parmi les dames de la haute société. Les étoffes brochées d’or sont négligées; les tissus en mousseline simple les ont remplacées.
En un mot , toutes ces réformes de costume se sont opérées au profit du bon goût et aux dépens de la prodigalité et d’un luxe inintelligent.
56. Des femmes de classe” moyenne. — Les femmes qui ne sont pas nées dans les dernières classes de la société portent , au lieu de la chemise en toile, une chemise de soie et des souliers (marqoubs), dans lesquels leurs pieds sont loin d’être emprisonnés.
57. Des femmes du peuple. — Le vêtement des femmes du peuple est beaucoup plus simple : il se compose d’une ample chemise en toile bleue, à manches très-larges; audessus elles portent une chemise blanche et un caleçon. En général elles n’ont point de chaussure.
58. Logement des femmes. — Harem. — Dans la maison turque, une partie, séparée de celles qu’habitent ou fréquentent les hommes, est spécialement consacrée au logement des femmes. Elle est vulgairement appelée harem. On se fait en Europe une fausse idée du harem; ce mot est souvent confondu avec celui de sérail, par lequel les Turcs désignent proprement un palais. Les musulmans appliquent le mot de harem non-seulement à l’appartement qu’habitent les femmes, mais aux personnes mêmes que cet appartement renferme.
La distribution intérieure du harem n’a rien de particulier. Il contient, ainsi que le logement des hommes, le divan, salle de réunion où les dames de la maison se voient entre elles et reçoivent les visites de leurs amies; puis des chambres pour chacune d’elles, et d’autres pièces affectées à leurs esclaves, à leurs domestiques et aux besoins du ménage. On évite, autant que possible, d’avoir sur la rue les fenêtres de ces appartements ; ils prennent le jour du côté du jardin ou de la cour de la maison. Des grillages en bois, travaillés avec art, en couvrent les fenêtres et opposent une barrière jalouse aux rayons du soleil et aux regards indiscrets.
On s’imagine généralement en Europe qu’un harem est une sorte de lieu de prostitution, où le libertinage d’un peuple ‘ énervé a placé le théâtre exclusif des jouissances sensuelles les plus nombreuses et de la plus abrutissante débauche. On se trompe; un ordre sévère, une rigoureuse décence, régnent dans le harem, et font que, à bien des égards, il ressemble à nos établissements monastiques.
59. Personnel du harem. — Il ne faut pas croire que, même dans les harems qui renferment un grand nombre de femmes, toutes soient destinées aux plaisirs du maître. Le harem d’un homme riche nécessite un grand train de maison et demande, pour les besoins du service intérieur, beaucoup de servantes. Celles-ci sont ordinairement des négresses, et on conçoit qu’elles doivent former elles seules la plus grande partie des femmes du harem.
De plus, chaque épouse a autour d’elle une espèce de petite cour : elle a des esclaves attachées à sa personne et qui remplissent auprès d’elle à peu près les mêmes offices que les esclaves dont se compose la maison d’un homme. Ainsi elle a une secrétaire, une trésorière, des dames de compagnie, chargées, l’une du service de la table, l’autre de la garde-robe, celle-ci du café, celle-là de la pipe, etc. C’est un honneur pour une dame d’avoir beaucoup d’esclaves. Lorsqu’elle sort, elle les mène à sa suite et en fait parade comme d’un luxe brillant. C’est ainsi que les mameluks d’autrefois mettaient une grande gloire à se faire accompagner par un nombreux et splendide cortége, témoignage vivant de leur richesse et de leur puissance.
Mais ces esclaves mêmes, qui occupent auprès des épouses les charges d’honneur et de confiance, ont à leur tour des servantes, et l’on voit combien de cette manière le nombre des femmes du harem se multiplie. Ainsi on peut dire que, dans un harem de 200 femmes, il y en aurait beaucoup plus de 150 qui seraient inconnues du maître. Je n’ai pas besoin d’ajouter que les harems de 200 femmes sont très-rares et que les premiers dignitaires de l’empire peuvent seuls prétendre à entretenir dans leur maison une population féminine aussi nombreuse.
60. Vie du harem. — Les femmes musulmanes sont loin de se considérer comme malheureuses de la reclusion du harem. Nées pour la plupart dans son enceinte, elles y sont parvenues jusqu’à leur jeunesse sans savoir qu’il pùt exister pour les personnes de leur sexe un autre séjour et une manière de vivre différente. C’est le harem qui a été le théâtre des jeux de leur enfance, de leurs premières occupations , de leurs premières joies, de leurs premiers soucis. Or les vicissitudes de plaisir et de peine, de travail et de repos, forment tout aussi bien la trame de la vie dans le harem oriental que sur la scène libre que l’Occident a ouverte à l’existence de ses femmes. On a dit avec une profonde raison, depuis longtemps, que l’habitude est une seconde nature : la vie du harem est, à ce titre, la nature pour les femmes musulmanes. Accoutumées à se mouvoir dans ce cercle, la pensée ne leur vient pas de le franchir : aussi leurs désirs et leurs pensées en respectent-ils sans effort les limites, consacrées par le temps, la religion et les mœurs. Lorsque, arrivées à l’époque du.mariage, elles ont passé du harem de leur mère dans celui de leur époux, elles sont entourées de jouissances nouvelles , et leur cœur, dans lequel une éducation raffinée n’a pas allumé des passions inquiètes et dangereuses, va au-devant du bonheur que leur offre la vie qui s’ouvre à elles. Les soins que leurs époux leur prodiguent rendent ce bonheur facile à atteindre. Tout ce qu’un musulman a de beau et de riche, il le consacre à son harem, il aime à répandre une somptueuse magnificence dans le logement de ses femmes, tandis qu’il se contente pour lui-même des appartements les plus modestes, et ne se permet de luxe qu’en armes et en chevaux. Du reste, quoique les femmes passent pour être esclaves en Orient, là, comme partout ailleurs, elles exercent une grande influence. Plus d’un événement politique a eu son ressort caché dans les mystères du harem. Plus d’un sultan a plus d’une fois accordé aux irrésistibles sollicitations d’une épouse favorite la nomination d’un grand vizir ou l’avancement rapide d’un officier de sa cour. L’empire que les femmes préférées exercent sur leur époux est souvent mis à profit. Les dames musulmanes se voient sans obstacle, et c’est dans leurs visites qu’elles se demandent réciproquement, pour leurs époux ou pour leurs familles, des faveurs que, sûres de l’ascendant dont elles jouissent auprès de leurs maîtres, elles savent bien pouvoir obtenir de leur complaisante soumission.
61. Prérogatives chevaleresques accordées aux femmes. _Pendant la guerre, les femmes sont toujours respectées; le combattant malheureux qui a pu se réfugier dans un harem est épargné. Autrefois cette prérogative tutélaire, accordée aux femmes dans un esprit chevaleresque, pouvait couvrir de sa protection les jours mêmes d’un criminel. Bien plus, du temps des mameluks, le coupable qui était condamné à la peine capitale était conduit au supplice les yeux bandés; car, s’il eût rencontré et pu voir un harem sur sa route, en touchant la robe de l’une des femmes du cortége, il aurait sauvé sa vie.
62. Visites des dames du harem. — Les dames musulmanes ne reçoivent d’autre homme que leur maître. Si quelquefois le médecin est appelé dans le harem, on a soiu de faire couvrir la malade sous ses voiles, et un eunuque assiste à la visite. Mais le harem est ouvert à toutes les femmes, quelle que soit du reste leur religion. C’est surtout par les dames chrétiennes et juives que l’on connait beaucoup de détails intimes sur ces cloîtres des musulmans. Les visites des femmes se prolongent quelquefois pendant plusieurs jours; tant qu’une dame étrangère est dans le harem, le maître lui-même de la maison se fait un scrupuleux devoir de ne pas y entrer, quelque long que soit le séjour qu’elle y fasse.
63. Occupations des femmes. — Les femmes musulmanes ne reçoivent pas d’éducation intellectuelle. Les musulmans croient qu’elles sont, sous le rapport de l’intelligence, dans un état d’infériorité très-grand eu égard à l’homme. On sait que Mahomet, à cause de cette infériorité, ne leur a pas imposé la rigide observation des devoirs purement religieux. Plusieurs docteurs sont même allés jusqu’à douter qu’elles eussent une âme. Elles ne savent en général ni lire, ni écrire; mats elles s’adonnent à la couture, au tissage, à la broderie, aux soins domestiques, aux détails du ménage; elles égayent leurs loisirs par des jeux; elles font venir dans leurs appartements des chanteuses et des almées * sur les divertissements’desquelles nous parlerons dans un des paragraphes suivants.
Les femmes de classe aisée ne sortent guère que pour se rendre aux bains, et visiter leurs parents et quelquefois leurs amies. On les rencontre à pied ou montées sur des baudets et suivies de domestiques.
Les femmes des fellahs vont librement; leurs maris les envoient quelquefois vendre leurs denrées dans les marchés.
6i. Leur opinion sur leur état. — C’est avec étonnement que les femmes musulmanes se sont entendu dire plusieurs fois par nos dames européennes qu’elles sont malheureuses de ne pas pouvoir se montrer en public. Elles font des réponses naïves et piquantes au sentiment de commisération qu’on exprime sur leur état. Si nos dames leur demandent à quoi leur servent les parures qu’elles sont forcées de cacher, ainsi qu’elles-mêmes, à tous les yeux : « Elles nous servent, répondent-elles, à paraître convenables aux yeux de notre seigneur; et vous, ajoutent-elles, est-ce, non pour vos maris, mais pour les autres hommes et les autres femmes que vous vous parez? » Lorsqu’on leur dit qu’elles sont bien à plaindre de ne pas pouvoir sortir et aller partout: « Vous êtes bien plus malheureuses que nous, répliquent-elles; si nous avons besoin d’acheter quelque chose, nous faisons venir les marchands chez nous; vous, vous êtes forcées d’aller les chercher dans leurs boutiques, » etc.
65. Usage des bains. — Les femmes musulmanes vont souvent au bain. Les bains de vapeur sont pour elles des lieux de réunion où elles se racontent les petits incidents de leur vie domestique, où elles causent de tout ce qui les concerne , où elles nouent quelquefois des intrigues politiques et arrangent les mariages.
66. Aneedote racontée par Napoléon. — Napoléon raconte, dans ses Mémoires, une petite conjuration ourdie dans les bains publics, et que j’aime à rappeler, car elle prouve que le séjour de ce grand homme en Egypte avait ému tous les sentiments, excité toutes les imaginations, même celles des femmes, et paraissait devoir commencer pour tous, en Orient, un nouvel ordre de choses. « Le général Menou,
ayant épousé une femme de Rosette, la traita à la française. Il lui donnait la main pour entrer dans la salle à manger, la meilleure place à table, les meilleurs morceaux étaient pour elle. Si son mouchoir tombait, il s’empressait de leramassser. Quand cette femme eut raconté ces circonstances dans le bain de Rosette, les autres conçurent une espérance de changement dans les mœurs, et signèrent une demande au sultan Kebir pour que leurs maris les traitassent de la même manière. »
67. Caractère des femmes. — Les femmes égyptiennes prennent, dans l’éducation qu’elles reçoivent, l’habitude de la soumission et du respect. Comme elles n’ont pas de rapport avec les hommes, il est rare qu’elles puissent nouer des intrigues amoureuses, et l’honneur des maris est plus en sûreté en Orient qu’en Europe. Toutefois, il faut l’avouer, forcées de rester vertueuses jusqu’à l’époque de leur mariage, parce qu’elles doivent donner à leurs parents et à leurs maris des preuves irrécusables de virginité, elles deviennent moins scrupuleuses lorsqu’elles sont mariées. L’honnêteté des femmes n’est jamais appuyée, en Orient, sur de solides principes de morale; la crainte seule les retient, mais non le respect d’elles-mêmes. Aussi leurs époux les tiennent-ils sous une étroite surveillance; la sûreté de leur honneur dépend de la continuité de leur vigilance et de la prudence de leurs précautions.
Les femmes égyptiennes ont beaucoup de penchant à la volupté. Élevées dans des habitudes d’indolence, il n’est pas étonnant qu’elles soient paresseuses et molles. Leur principal objet est de plaire à leurs époux. Il en est qui s’adonnent aux soins du ménage; mais un état de maison est bien moins difficile à conduire en Orient qu’en Europe.
On ne voit jamais, en Égypte, de femme mariée vivre en concubinage avec un autre homme.
68. Prostituées. —De même que la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ, l’islamisme a sévèrement condamné la prostitution. Elle est rare en Turquie. Mais l’Egypte, qui se distingue des autres parties de l’Orient sur un grand nombre de points, et principalement par un extrême relâchement de mœurs, a fait plus encore que tolérer les femmes publiques. Ces malheureuses, qui y étaient très-répandues, avaient formé, jusqu’à ces derniers temps, une corporation qui avait ses chefs, ses règlements, et payait au trésor une redevance annuelle très-considérable. Le gouvernement a volontairement renoncé à cette branche de revenu. Il a supprimé la prostitution. Il est vrai qu’il existe encore beaucoup de femmes publiques ; mais elles sont cachées. Quoique cette mesure ait un but moral, elle a produit un effet déplorable en faisant faire des progrès à un vice plus honteux, plus dégoûtant que le libertinage, la pédérastie. Je ne serais pas éloigné de penser que la considération d’un aussi triste résultat ne portât le gouvernement à tolérer de nouveau l’existence de la prostitution.
Je crois que cette plaie sociale est alimentée en Egypte plus encore par l’abus du divorce que par le tempérament voluptueux des Égyptiennes. Les prostituées sont en général des femmes répudiées qui ont pris en dégoût la servitude de la vie conjugale, ou qui, ne pouvant se remarier, n’ont eu d’autre moyen d’existence que la prostitution.
69. Eunuques. — C’est ici sans doute qu’il convient de dire un mot des déplorables Argus des harems, les eunuques. Ce sont les seuls hommes qui entrent dans le logement des femmes, dont la vertu est confiée à leur garde. H n’est pas rare de les voir jouir en même temps, pour tromper l’un ou les autres, de la confiance du maître et de celle de ses femmes.
L’horrible usage des eunuques remonte à l’antiquité la plus reculée. On attribue à une reine à demi fabuleuse, Sémiramis, l’invention de cette mutilation atroce. Tous les monarques asiatiques profitèrent, pendant l’antiquité, du legs que cette princesse avait fait à leurs sombres et jalouses amours.
Les Grecs du Bas-Empire conservèrent l’usage des eunuques. Un de ces infortunés, l’eunuque Narsès, fut après Bélisaire le meilleur de leurs généraux, et releva un moment leurs affaires en Italie.
Quoique la loi de l’islamisme condamne la mutilation, les musulmans ont continué à l’opérer; on dirait que cette barbare coutume est la compagne obligée de la polygamie.
Dans la Turquie d’Asie et d’Europe, les grands seigneurs sont les seuls à peu près à jouir du privilége d’avoir des eunuques. En Afrique, au contraire, et surtout en Egypte, ils sont plus répandus, et c’est sans doute parce qu’il est plus facile de s’y procurer les sujets convenables.
70. Lieux où l’on fait des eunuques. —C’est exclusivement en Egypte que la mutilation est aujourd’hui pratiquée. C’est ce pays qui fournit les eunuques aux harems. Il en fait un trafic que la cherté des malheureux qui subissent cette horrible dégradation rend assez lucratif.
Syout, Girgeh sont les seules villes où s’accomplit l’opération de la castration. Croirait-on que les exécuteurs de cette œuvre ignoble sont des chrétiens, des prêtres même, des coptes ? Ces hommes, rebut et honte de la religion dont ils usurpent le nom glorieux, sont flétris par l’opinion, dans les lieux mêmes où ils exercent leur industrie, coupable de lèse-humanité.
Le village de Zawy-el-Dyr, près de Syout, est la métropole des mutilateurs; trois cents eunuques environ sortent annuellement de leurs mains. Leurs victimes sont de jeunes nègres de six à neuf ans, amenés par les caravanes du Sennaar ou du Darfour ; on les vend ordinairement, suivant les chances de vie ou les qualités qu’ils possèdent, de quinze cents à trois mille piastres (de 325 à 730 fr.).
71. L’opération. — La mutilation est ordinairement pratiquée pendant l’automne; cette saison est regardée en effet comme la plus favorable. Les opérateurs, ou plutôt les bourreaux ne se bornent pas, comme on le croit généralement, à la castration; ils tranchent avec un rasoir toutes les parties extérieures de la génération. Puis ils versent de l’huile bouillante sur la blessure qu’ils ont faite et placent un tuyau dans la portion restante du canal de l’urètre. Ils répandent ensuite sur la plaie de lapoudre de henneh ; enfin, ils enterrent les patients jusqu’au-dessus du ventre et les laissent dans cet état pendant vingt-quatre heures. Lorsqu’ils les retirent, ils les pansent avec un onguent composé d’argile et d’huile.
72. Honneurs rendus aux eunuques. — Le quart des enfants qui subissent cette opération ne survivent pas à ses suites; ceux qui conservent la vie sont condamnés à une existence étiolée et souffrante. Il est vrai que les musulmans les entourent de beaucoup de considération. A Constantinople, par exemple, le chef des eunuques est l’un des personnages les plus importants de la cour; sous le sultan Mahmoud, on a vu un eunuque, élevé à la dignité de pacha, commander les armées de la Porte. Mais aucune marque de distinction, aucune faveur, ne sauraient compenser pour ces êtres la perte de leur qualité d’homme, qui influe d’une manière si triste sur leur caractère moral.
73. Leur caractère.—On reconnaît, en général, un eunuque à sa physionomie extérieure : il est sans barbe, il a de l’obésité, sa voix est féminine. L’eunuque est orgueilleux; mais sa fierté a quelque chose de sombre. Il est méchant, ombrageux, irascible, et ces défauts sont la conséquence de la conscience qu’il a de sa dégradation. Il est ordinairement dévot; il cherche dans les pratiques austères de la religion un dédommagement au sentiment de son infériorité physique. Il est des eunuques qui aiment la société des femmes, on en voit même qui se marient.
74. Suppression des eunuques. — Certes, s’il a jamais existé des crimes dont la société entière soit coupable, aucun, parmi eux,ne surpasse celui par lequel l’usage deseunuques a été créé et maintenu. L’esclavage a été activement attaqué de nos jours, non-seulement par les philosophes, mais encore par les gouvernements, et l’Europe marche rapidement vers l’époque de son entière abolition. Mais l’usage des eunuques est un double outrage fait à la nature, une violation simultanée de ses lois physiques et de ses lois morales, et néanmoins je ne sache pas que les nations qui sont à la tête de la civilisation moderne, et qui ont réuni leurs efforts pour faire cesser la traite des nègres, aient rien tenté pour détruire l’usage des eunuques. L’intervention européenne si funeste aujourd’hui à l’empire ottoman qu’elle comprime sous le poids de mille intérêts politiques, dont la lutte sans issue l’énerve et le ruine; cette intervention aurait pu lui être utile, et bien mériter de l’humanité en le dirigeant, en l’encourageant, en le soutenant dans ses réformes civilisatrices. Or, parmi celles-ci, l’une des plus louables eût été sans contredit l’abolition des eunuques. Pour l’honneur de l’Europe, je souhaite que les cabinets songent à l’obtenir du sultan et du vice-roi d’Égypte. Je suis persuadé qu’il leur suffirait d’exprimer à ce sujet leur désir philanthropique pour le voir promptement satisfait. Méhémet-Ali, qui est connu pour sa docilité aux utiles et nobles avis, mérite presque aussi précieux que la spontanéité des grandes idées, s’empresserait sans doute d’écouter leurs remontrances, et l’Egypte ne serait bientot plus le théâtre d’une pratique qui ne peut pas être tolérée par notre siècle.