-Transfert des Udaya de Méknés à Fâs, et des ‘Abîds des ports à Miknâs
Le sultan Mawlay Yazîd (Dieu lui fasse miséricorde !), pendant son séjour à Miknâs, ordonna aux Udaya de quitter cette ville et de retourner à Fâs Al-Jadîd, leur lieu d’origine et le point de départ de leur puissance et de leur force. Il alloua à chacun d’eux 50 douros, a titre de secours pour leurs frais de déplacement. Ils retournèrent donc à Fâs Al-Jadîd, après trente années d’absence à Miknâs, dans les conditions que nous avons rapportées. Après cela, il ordonna aux ‘Abîds des ports de revenir à Miknâs et de s’y réunir tous, et leur fit don des sommes qui se trouvaient dans les caisses publiques des villes où ils résidaient. Après s’être partagé cet argent, ils se mirent en route pour Miknâs, remplis de joie.
Rupture de la paix avec les Espagnols ; siège de Ceuta
Manuel le Castillan dit, dans son livre d’histoire du Maroc « En arrivant au pouvoir, Mawlay Yazîd ben Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !) manifesta son hostilité contre les Espagnols et résolut de leur déclarer la guerre. Leur despote employa tous les moyens possibles pour échapper à cette menace il envoya même un ambassadeur à Tanger auprès du Sultan, pour le féliciter de son avènement et pour obtenir ses bonnes grâces.
Mais Mawlay Yazîd repoussa ses avances, fit peu de cas de cet ambassadeur et des présents qu’il apporta, et prit des mesures contre tous les Espagnols, négociants, frères et autres, qui étaient dans ses ports. Il les fit arrêter et conduire enchaînés à Tanger, où il les mit en prison. Les corsaires de guerre des Musulmans, ajoute Manuel, étaient à cette époque au nombre de 16 et armés de 306 canons. »
Nous avons déjà rapporté, cependant, qu’il y en avait un bien plus grand nombre.
Les prisonniers chrétiens étaient toujours en prison quand il arriva qu’un corsaire espagnol qui croisait sur les côtes de Larache captura un navire et s’empara d’une partie de l’équipage. Le Sultan, qui se trouvait alors à Larache, observait cette capture, avec une lorgnette, de la terrasse de son palais. Il envoya porter des secours au navire capturé, mais les Espagnols purent s’échapper.
Plus tard, le Sultan et le despote d’Espagne échangèrent ces captifs contre les prisonniers de Tanger. »
Le sultan Mawlay Yazid (Dieu lui fasse miséricorde !) marcha ensuite contre Ceuta, et appela les populations à la guerre sainte pour venir faire le siège de cette place.
Il emmena avec lui des canons et des mortiers, et fit construire devant la ville sept redoutes, qui furent presque toutes occupées par les Fennîchs de Salé. Des gens des villes et des campagnes allèrent volontairement se joindre à lui de toutes les vallées et de toutes les montagnes.
Après avoir assiégé Ceuta pendant quelque temps, le Sultan s’éloigna et partit pour Murrâkush, appelé par une affaire. Mais arrivé à la ville d’Ânfa, l’idée lui vint de retourner sur ses pas, et il revint camper devant Ceuta, où il recommença avec opiniâtreté les opérations du siège.
Il convoqua à la guerre sainte et à la croisade les tribus du Hawz, mais elles ne répondirent pas à son appel. Il était alors sur le point de prendre la ville. Il arriva donc ce que nous allons raconter.
-Les gens du Hawz abandonnent le sultan Mawlay Yazîd ben Moahmmed et proclament son frère Mawlay Hishâm (Dieu leur fasse miséricorde à tous deux !)
Lorsque les tribus du Hawz s’étaient rendues à Miknâs auprès du sultan Mawlay Yazid, elles avaient remarqué de la part du souverain certaine froideur à leur égard. Il ne leur avait pas fait de cadeau, tandis qu’il en avait distribué notamment au Berbers et aux Oûdèya. Elles avaient conçu de lui une mauvaise opinion, et leurs cœurs s’étaient remplis d’amertume contre lui. A leur retour dans leur pays, les chefs de ces tribus se rendirent les uns chez les autres. Les Rhâmna furent ceux qui s’agitèrent le plus.
Enfin, les gens de Murrâkush, de ‘Abda et les autres tribus du Hawz se mirent d’accord pour confier à Mawlay Hishâm le soin de les gouverner, et lui apportèrent leur serment de fidélité et d’obéissance. Apprenant cela, Mawlay Yazîd abandonna le siège de Ceuta, partit pour le Hawz, dispersa les tribus et arriva à Murrâkush, qu’il prit de vive force. Son entrée dans la ville eut lieu, dit-on, par la porte appelée Bâb Yaghlâ. Il mit la ville au pillage, tua et arracha les yeux de plusieurs des habitants. Ce fut un terrible événement. Mawlay Hishâm réunit pour le combattre les tribus de Doûkkâla et de ‘Abda, et marcha sur Murrâkush. Mawlay Yazîd se porta contre lui, une bataille eut lieu à l’endroit appelé Tâzkûrt les troupes de Mawlay Hishâm furent battues et poursuivies par Mawlay Yazîd, qui fut atteint d’une balle à la joue. Il rentra à Murrâkush pour soigner sa blessure et en mourut (Dieu lui fasse miséricorde !) dans les derniers jours de Jumâda II 1206. Il fut enterré dans le cimetière des Shurfa, du côté méridional de la mosquée d’Al-Mançûr, dans la qaçba de Murrâkush.
Ce Commandeur (Dieu lui fasse miséricorde !) était vraiment un des braves, des généreux et des héros de la famille de ‘Ali son degré d’intelligence et ses capacités atteignaient à un degré bien connu, et il avait à cet égard cette avance qu’on ne peut pas rattraper. Les tentatives des envieux (Dieu leur pardonne ainsi qu’à nous !) ne pouvaient pas l’atteindre, car ils étaient loin de le valoir, et la noblesse de son esprit le mettait au-dessus de leurs machinations. (Que Dieu les enveloppe tous de son pardon et de miséricorde Amîn !)
[…]
Règne du Commandeur des Croyants Abû Ar-Rabî’ Mawlay bn Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !)’.
Mawlay Slimân bn Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !) tenait dans le cœur de son père une plus grande place que ses autres frères. Ce Commandeur ne cherchait, disait-on, qu’à mériter la satisfaction de Dieu et de son Prophète, et celle de son père. Il se livrait à l’étude de la science avec ardeur, notamment à Sijilmâsa. Jamais il n’avait eu de goût pour les plaisirs favoris de ses frères aînés et cadets, comme la chasse, la musique, les plaisanteries des courtisans et tout ce qui porte atteinte à la dignité de son enfance à la vieillesse, il ne commit pas une seule action immorale. Son père l’en récompensait par des cadeaux considérables, des dons magnifiques et des immeubles importants produisant de gros revenus. Il ne manquait pas de faire son éloge dans toutes les cérémonies, et lui envoyait à Sijilmâsa les gens les plus savants et les plus cultivés, pour lui donner leurs leçons et le faire participer à leur savoir. En toute circonstance, il faisait des vœux pour lui en public :
« Mon fils Slîmân, disait-il (que Dieu soit satisfait de lui !) ne m’a jamais donné le moindre sujet de mécontentement. Je vous prends à témoins que je suis satisfait de lui. »
Il grandit ainsi d’une façon remarquable et excellente, témoignant des qualités requises pour le pouvoir, jusqu’au jour où Dieu l’y appela.
Nous avons rapporté que Mawlay Slîmân avait amené les tribus du Sahara à son frère Mawlay Yazîd, qui avait célébré son arrivée et généreusement traité ses compagnons resta ensuite à Fâs jusqu’à la mort de Mawlay Yazîd, qui eut lieu à la date précitée. Dès qu’ils reçurent la nouvelle, les habitants de Fâs s’accordèrent avec les ‘Abids, les Udaya et les Berbers pour lui prêter serment de fidélité, à cause de sa science, de sa piété, de son mérite et de toutes les glorieuses qualités qui le distinguaient spécialement. Les ‘Abids et les Berbers de Miknâs vinrent après cela à Fâs se joindre aux notables des Udaya et aux habitants de la ville, et acclamèrent Mawlay Slîmân Commandeur des Croyants dans le mausolée de Mawlay Idris (Dieu soit satisfait de lui !) le lundi 17 rejeb 1206 (11 mars 1792) Une fois en possession de la bay’a, il se rendit à Fâs Al-Jadîd et s’y installa, au Palais impérial. Il y reçut successivement les députations des tribus arabes et berbères apportant leurs présents, puis celles des tribus de Béni Hsan et du Gharb, ensuite les délégués d’Al-‘Udwatayn, Salé et Ribat Al-Fath, à l’exception toutefois d’une partie des habitants de cette ville qui ne voulurent pas lui prêter serment, comme nous le verrons plus tard, puis les envoyés des ports d’Al-Habt, qui tardèrent pendant quelque temps à lui prêter serment, parce que Mawlay Muslama y avait été proclamé, ainsi que nous l’avons rapporté.
Voici le texte de la bay῾a des habitants de Fâs
« Louange à Dieu seul
Dieu prie pour notre Seigneur Muhammad, pour sa famille et ses compagnons
« Louange à Dieu qui a fait du Khalifat le trait d’union entre la religion et les affaires de ce monde, qui lui a donné le rang le plus élevé, qui a fait resplendir son soleil sur les mondes, qui a éclairé de sa lumière les routes de la terre, qui, grâce à lui, constitue la vie terrestre et la vie future, qui a établi par lui l’unité des cœurs de ses serviteurs, citadins ou campagnards, qui l’a assigné comme protecteur des vies, des biens et de l’honneur, qui, par lui, enchaîne les bras des oppresseurs et les empêche de réaliser leurs projets corrupteurs, qui, par lui, veille aux affaires des créatures et à l’exécution des lois sacrées, des défenses et des jugements, qui a élevé son flambeau pour servir de guide dans la voie droite et appeler à la vérité, si bien qu’à son ombre spacieuse viennent s’abriter le fort et le faible, le vilain et le noble. Béni donc soit celui qui a décrété et conduit dans la bonne voie, qui n’a pas abandonné l’homme livré à lui-même, mais, au contraire, lui a dicté des ordres et des défenses, l’a mis en garde contre les passions, et lui a fourni les moyens d’accomplir les oeuvres obligatoires et surérogatoires, c’est le plus équitable des juges Si Dieu n’avait pas soutenu les hommes les uns par les autres, l’univers eut été livré à la corruption.
Mais Dieu est plein de bonté pour le monde. Une des marques de sa miséricorde est la création des rois et l’établissement des routes, car s’il livrait les hommes à l’anarchie, ceux-ci s’entredévoreraient et ce serait la ruine sans le Khalifat, nous n’aurions point de sécurité sur les chemins, et le fort dévaliserait le faible.
Les prières et le salut soient sur celui qui a été envoyé par compassion pour les créatures, qui est l’origine et le principe de tout ce qui existe, la perfection complète, le seigneur des amis de Dieu, l’imâm des prophètes et le chef de tous les purs, sur sa famille qui a droit à la gloire universelle au rang suprême et sur ses compagnons les khulâfa rashidîn, les guides dans la voie droite qui ont établi les bases de la religion, fixé ses règles et appris que le Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !) a dit « Dieu a attribué le privilège de la royauté à la tribu de Quraysh, et a fait descendre sur elle la révélation Dieu donne le pouvoir à qui lui plaît.»
Dieu (qu’il soit glorifié, lui qui seul dure et est éternel !) ayant décidé que le trépas inéluctable devait atteindre celui qui avait la charge du pouvoir immense, et le transporter dans la demeure où il pardonne et agrée (Dieu le place dans le vaste paradis, et répande sur son tombeau les ondées de sa miséricorde et de son pardon !) la population a dû faire choix d’un imam, en raison de ces paroles du Prophète (sur lui soient les prières et le salut ) « Celui qui meurt sans qu’à son cou soit suspendue une bay῾a, meurt d’une mort païenne. »
Préoccupées de savoir qui elles appelleraient à ces hautes fonctions et suivrait envers elles la voie droite, leurs pensées et leurs imaginations se sont livrées à la réflexion. La bonne direction et la protection divine leur ont indiqué celui qui a grandi dans la piété, la vertu, le respect de lui-même, la dévotion, l’étude assidue de la noble science, la recherche zélée de l’ornement des œuvres louables, qui s’est signalé par son intelligence, son esprit éveillé, sa finesse, sa pureté, sa noblesse de caractère, son esprit de décision, son habileté politique, sa connaissance des affaires et son expérience, un jeune homme en qui Dieu a réuni la fermeté et la douceur, qu’il a revêtu de considération et de respect, et à qui il a fait gravir les degrés de la puissance et de la gloire, le héros intrépide, le chef courageux aux qualités pures et sans tache, aux œuvres glorieuses et évidentes, au rang élevé, l’unique de son siècle, le seul des temps, Abû Ar-Râbî῾ Mawlâna Slîmân, fils du Commandeur des Croyants Mawlâna Muhammad, fils du Commandeur des Croyants Mawlâna ‘Abdallâh, fils du Commandeur des Croyants Mawlâna Ismâ’îl, fils de Mawlâna Echchérîf. Les habitants de cette capitale idrisienne et des terres qui l’entourent sont tombés d’accord pour le prendre comme chef et comme imâm, ils considèrent son élévation à le Commandeurat et au Khalifat comme de bon augure, et s’empressent de le désigner et de lui adresser leur bay῾a contractée sur les étendards de la victoire, et dont la félicité s’élève dans les régions de la paix.
A cette bay῾a participent tous les grands et les notables, les principaux personnages de l’époque, les arbitres des destinées du pays, et tous ceux qui acceptent ou repoussent, ‘Ulama et savants, muftis et magistrats, shurfas respectés et généreux, combattants, fonctionnaires, chefs de troupes, citadins et Arabes qui sont au premier rang en toute circonstance, armées des ‘Abîds et des Berbers. Elle a été conclue, Dieu soit loué sur les bases de la piété, et doit servir à renforcer et raffermir le bras de l’Islâm.
C’est une bay῾a parfaite, remplissant les conditions voulues, conforme aux règles de la tradition et de la communauté, exempte de toute violence, difficulté ou pression. Tous l’agréent et l’acceptent, et s’engagent à en respecter la teneur par leur soumission et leur obéissance.
Les comparants en ont donné témoignage contre eux-mêmes volontairement et ont rempli à cet égard les prescriptions sacrées de Dieu.
Puisse Dieu faire que cette bay’a soit une source de miséricordes pour les créatures, et qu’elle amène le règne de la justice et de la vérité ! Qu’il fortifie de son secours, de sa force, de sa protection et de sa direction, celui qui l’accepte ! Puisse-t-il par lui faire revivre la Sunna de notre Seigneur et Maître Muhammad (Dieu prie pour lui, lui donne le salut, l’anoblisse et le sanctifie !)
Que ce pays soit félicité d’avoir remis ses destinées entre les mains de celui qui le protégera, épargnera son sang, terrassera ses ennemis, repoussera ses agresseurs, soutiendra la Shari῾a sainte et restaurera ses fondements, annoncera la vérité et en précisera le sens Dieu le secoure et secoure par lui Qu’il le fasse triompher de la Bida῾a et de l’erreur et disperser le parti de l’oppression et de la corruption, et qu’il maintienne le Khalifat dans sa famille jusqu’au jour du jugement dernier.
Dieu prie pour notre Seigneur Muhammad le Sceau des Prophètes, pour sa famille et tous ses compagnons, pour ceux qui ! Amen !
Le 18 du mois sacré de Rajab 1206 de l’Emigration de l’Elu, sur lui soient les meilleures prières et le salut le plus pur »
Le plus pauvre des serviteurs du Très-Haut, le serviteur de Dieu, Muhammad At-Tâwudî bn Et-Tâlib Bn Sûda Al-Murri (Dieu le protège et l’entoure d’égards !) Ahmad bn At-Tâwudî (Dieu le prenne par la main, le soutienne en toutes choses, et lui fasse obtenir la récompense et la rémunération !) le serviteur du Très-Haut, Muhammad bn ‘Abd As-Slâm Al-Fâsî (Dieu le favorise Amîn !) ‘Abd Al-Qâdir bn Ahmad bn Al-’Arbî Bn Shaqrûn (Dieu le protège de sa grâce Amîn !) Muhammad ben Ahmad Binnîs (Dieu le protège et le secoure Ainsi soit-il !) l’esclave de son maître et celui de ses esclaves qui a le plus besoin de lui, Muhammad bn ‘Abd al-Majîd Al-Fâsî (Dieu le favorise !) l’esclave de son maître, Yahyâ bn Elmecli Echchel’châoimi Elhasani (Dieu le favorise !) l’esclave de son maître, ‘Ali bn Drîs (Dieu le protège et le favorise Amîn !) l’esclave de son maître, Mohammed bn Brâhîm (Dieu le favorise!); l’esclave de son maître, Muhammad bn Mes’oùd Ettrenbâti (Dieu le soutienne de sa grâce Amîn!); l’esclave de son maître, Slîmân bn Ahmad connu sous le nom d’Al-Fishtâli (Dieu le protège et l’améliore !) l’esclave de son maître, Mohammed Al-Hâdi bn Zaynn Al-Âbidîn Al-‘Irâqi Al-Husayni (Dieu le soutienne !) ; l’esclave de son maître, Muhammad Ettahânu Tâhar Al-Hasani (Dieu le soutienne! Amîn!) ; ‘Abdelmâlék bn Elhasan Elfdîli Elhasani (Dieu le favorise Amîn!); l’esclave de son maître, Drîs bn Hâchém Elhasani Eljoùti (Dieu le favorise Amîn !). »
Le sultan Mawlay Slîmân combat son frère Mawlay Muslama et le repousse dans le pays de l’Est
Tandis que finissait à Fâs la prestation de serment de fidélité au sultan Mawlay Slîman bn Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !) à l’adhésion unanime des grands personnages de l’armée, des ‘ulâma, des shurfas et de tous les notables, les affaires de Mawlay Muslama s’aggravaient.
Le Sultan avait à peine été proclamé que ce Commandeur envoya à Ribât al-Fath un corps de troupes commandé par le Qâ’îd Abû ‘Abdallah Muhammad Az-Za’ri, sur la demande du Muhtasib de cette ville, Abûlfadl Al’abbâs Mirinu, et de Abû Abdallah Muhammad Al-Makkî ben Al-’Arbî Fréj ces deux personnages appartenaient au groupe de la population de Rabat qui ne voulait pas reconnaître Mawlay Slîman, et restaient fidèles à Mawlay Muslama. Les gens de Ribât al-Fath étaient, en effet, séparés, à cette époque, en deux camps les uns avaient fait leur soumission à Mawlay Slîmân, et les autres persistaient dans leur serment de fidélité à Mawlay Muslama.
A la nouvelle de la marche sur Rabat d’Az-Za’ri, Mawlay Slimân donna à son frère Mawlay At-Tâyib le gouvernement des Béni Hsen et l’envoya contre le qàïd. Les deux corps de troupes arrivèrent ensemble à Ribât al-Fath.
A la suite d’un combat, Az-Za’ri et ses comparses furent mis en déroute. Al-’Abbâs Mirînu fut tué et Al-Makkî Fraj alla se réfugier dans la Zâwiya des Tahamiyîn. Mawlay At-Tâyib arrêta Az-Za’ri et quelques-uns de ses gens, puis le remit ensuite en liberté, sur l’ordre du sultan Mawlay Slîmân, sous l’autorité duquel se rangèrent les habitants d’Al-‘Udwatayn.
C’est ainsi que ces faits sont rapportés par l’auteur du Bustân. Cette version est corroborée par celle de la famille Fraj, qui attribue à cette affaire l’origine suivante.
La famille Merîno, qui jouissait d’une grande influence du temps de Mawlay Yazid (Dieu lui fasse miséricorde !), en avait profité pour intriguer auprès de lui contre la famille Fraj, en prétendant que celle-ci s’était emparée d’un dépôt d’argent que lui avait confié le vizir Abû ‘Abdallah Muhammad Al-’Arbî Qâdûs. Mawlav Yazid avait emprisonné les membres de cette famille et les avait forcés a rendre cet argent. L’inimitié avait éclaté entre les deux familles, et, à la mort de Mawlav Yazîd, les Merino et leurs partisans s’étaient empressés de proclamer Mawlay Muslama, tandis que leurs antagonistes avaient prêté serment à Mawlay Slîmân.
Quand Al-’Abbâs Merîno fut mort, les mauvais sujets de Ribât al-Fath s’emparèrent de son cadavre, lui attachèrent une corde au pied et le traînèrent dans les marchés de la ville, s’arrêtant successivement devant toutes les boutiques, car, pendant sa vie, Al-’Abbâs avait été Muhtasib (Dieu lui fasse miséricorde !)
Pendant ce temps, le sultan Mawlay Slimân demeurait a Fâs et n’en sortait pas, mais bientôt Mawlay Muslama, possesseur des pays d’Al-Habt, envoya son fils chez les Ait Yimmûr, pour leur ordonner d’attaquer les gens de Zarhûn qui obéissaient au Sultan. Cet ordre fut exécuté et les gens de cette tribu se livrèrent au brigandage. Le sultan Mawlay Slîmân se rendit alors à Miknâs. Il convoqua le Jaysh des ‘Abîds et les tribus berbères, puis, rejoint par les Udaya, les gens de Fâs et les Shrâga, il attaqua les Ait Yimmûr, qu’il rencontra près du fleuve Sbû, à l’endroit appelé Al-Hjar Al-Wâqif. Les soldats tombèrent sur eux et leur infligèrent une terrible défaite. Le fils de Mawlay Muslama prit la fuite et se rendit auprès de son père, tandis que les Aït Yimmûr allaient se réfugier au Jbal Selfât, abandonnant leurs campements et leurs effets entre les mains du Sultan, qui les laissa piller par les ‘Abîds, les Udaya et les Berbers de son armée. Le Sultan passa la nuit là. Dès le lendemain matin, les femmes et les enfants des Ait Yimmûr vinrent intercéder auprès de lui et lui demander grâce. Le Sultan leur ayant pardonné, ils revinrent auprès de lui et lui jurèrent fidélité il leur accorda la restitution de leurs troupeaux et de leurs fiefs, puis rentra à Fâs.
Ayant appris ensuite que Mawlay Muslama battait la campagne chez les Hayâyna, il quitta Fâs pour marcher contre lui et vint l’attaquer. Mawlay Muslama et son armée furent mis en déroute, tandis que celle du Sultan livrait au pillage les campements des Hayâyna. Ceux-ci vinrent exprimer leur repentir et reçurent leur pardon, à condition qu’ils se rangeraient dans les rangs de la communauté.
De leur côté, les ‘Arabs Khulut et les habitants du Jbal qui étaient pour Mawlay Muslama, se séparèrent de ce Commandeur, qui, n’ayant plus avec lui que les gens de son entourage, ses deux fils et son neveu, Mawlay Hasan ben Yazid, partit pour le Jbal Az-Zebîb mais les habitants de cette montagne le repoussèrent. De là il se rendit au Rîf où on ne fit pas attention à lui, puis dans la montagne des Béni Yznâsen, qui le chassèrent, ensuite à Ndrûma, dont le gouverneur, sur l’ordre qu’il en avait reçu, l’empêcha d’aller chez le Bey Possesseur d’Alger. Enfin il arriva a Tlimsân, où il séjourna pendant quelque temps.
« Je le rencontrai dans cette ville, dit l’auteur du Bustân, dans le mausolée du shaykh Bû Midyân, à Al-‘Ubbâd. »
C’était au moment où cet auteur, qui avait abandonné le sultan Mawlay Slimân, était allé aussi se réfugier à Tlimsân. Il prétend que lorsqu’il retrouva ce Commandeur, celui-ci lui reprocha d’avoir détourné les gens de lui prêter serment et de les avoir engagés à reconnaître son frère Mawlay Slîmân. « Je lui fis comprendre, dit cet auteur, la situation de Mawlay Slîmân qui continuait les traditions de son père par son équité et sa bienveillance pour ses sujets, ce qui lui avait concilié l’affection de tout le monde. En entendant mes paroles, il se mit à pleurer il reconnut que j’avais raison et récita cette parole de Dieu « Si j’avais connu les choses cachées, j’aurais fait plus de bien qu’il n’en faut. »
Dans la suite, Mawlay Muslama demanda au Commandeur d’Alger l’autorisation de se rendre au Mashriq, en passant par sa principauté. Celui-ci refusa et envoya, au contraire, un émissaire pour lui faire quitter Tlimsân et se rendre à Sijilmâsa.
Dès qu’il fut prévenu de son retour à Sijilmâsa, le sultan Mawlay Slîmân lui envoya de l’argent et des vêtements, et lui désigna la qasba qu’il devait hahiter, et lui servit une pension mensuelle suffisante comme à ses autres frères. Mais le séjour de Sijilmâsa ne lui plaisant pas, ce Commandeur partit pour le Mashriq, en s’arrêtant chez le Commandeur de Tunis, Hammûda Bâsha, fils de ‘Ali Bey.
Suivant l’auteur du Al-Khulâsat An-Naqiya, « Mawlay Muslama bn Muhammad, qui venait de prendre la fuite après s’être vu enlever le royaume de Fâs, arriva auprès de le Commandeur Hammûda Bâsha, qui lui donna une brillante hospitalité, lui fit des cadeaux royaux et lui témoigna les plus grands égards. »
De là, Mawlay Muslama partit pour le Mashriq et, après s’être arrêté quelque temps au Caire, se rendit a la Mekke, où il fut l’hôte du sultan de cette ville, son beau-frère. Après avoir reçu de lui une généreuse hospitalité et de l’argent, il revint au Caire, où cette fois sa situation fut misérable et où il se trouva dans la gêne après avoir connu l’opulence. Il passa de nouveau par Tunis, où Hammûda Bâsha le traita encore avec générosité et écrivit, sur sa demande, à son frère Mawlay Slimân pour intercéder en sa faveur. Muni de sa lettre, il partit pour Wahran et demanda au Commandeur de cette ville, qui le lui accorda, une lettre de recommandation. Il fit porter les lettres de ces deux Commandeurs au sultan Mawlay Slîman, qui reçut, son émissaire et lui envoya l’ordre de se rendre a Sijilmâsa, où il devrait résider dans la maison de son père, recevrait les sommes nécessaires pour sa nourriture et ses vêtements, et d’autres cadeaux qui lui étaient promis, mais il devait rester à l’écart des fauteurs de troubles qui ne trouvaient aucun moyen d’allumer le (lambeau de la révolte. Cette réponse de son frère ne le satisfit pas: il retourna en Orient, où il ne cessa d’aller et venir jusqu’au moment où la mort vint le prendre, le débarrassant des peines de ce bas monde (Dieu lui fasse miséricorde !).
Pillage par les ‘Arabs Angâd de la caravane du pèlerinage maghribin et ses conséquences.
Le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !) apprit, peu de temps après, que les ‘Arabs Angâd avaient attaqué et pillé sur leur territoire une troupe de négociants et de pèlerins, qui venaient du Mashriq et avaient quitté Wujda pour se rendre à Fâs. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) convoqua aussitôt le secrétaire Belqâsém Az-Zayâni, et lui donna l’ordre de partir pour Wujda et d’y prendre le commandement de cette ville, afin de rétablir le calme dans la région environnante. Cette décision déplut à Az-Zayâni qui chercha à en obtenir le retrait, mais le Sultan ne l’écouta pas et l’invita à rejoindre son poste, en le faisant accompagner par cent cavaliers. Il dut obéir malgré lui, mais résolut, s’il quittait le Sultan, de se rendre dans l’un des nobles sanctuaires et d’y passer le reste de ses jours. Il réunit donc tout l’argent qu’il avait sous la main et partit. Une caravane de négociants qui était retenue à Fâs, profita de son départ pour se mettre en route avec lui. Mais les ‘Arabs Angàd les attendaient, et quand ils se trouvèrent sur leur territoire, fondirent sur eux et leur livrèrent combat. Les cavaliers du Sultan commencèrent par en saisir quelques-uns, mais les ‘Arabs étaient plus nombreux et les taillèrent en pièces. De ces cavaliers il ne resta plus que le Qâ’îd et dix de ses hommes. Les ‘Arabs pillèrent tous les ellets et marchandises des négociants de la caravane; ceux d’entre eux qui s’échappèrent ne sauvèrent que leur personne.
« Nous nous réfugiâmes, dit Az-Zayâni, à Qasbat Al-‘Uyûn notre troupe s’était dispersée, sept d’entre nous avaient été tués et les autres blessés. Je fis apporter les morts, et quand nous les eûmes enterrés, j’envoyai le qâ’îd à Wujda avec quelques ‘Arabs de l’endroit, tandis que je me rendis moi-même dans la montagne des Béni Yznâsén, accompagné de Berbers de cette tribu, n’ayant plus avec moi que ma bête de selle et un autre cheval qui avait servi de monture à mon esclave tué dans le combat..Je finis par arriver à Wahran, où je descendis chez le bey Mehmet Pâcha. Celui-ci me témoigna ses regrets et sa douleur, et insista pour me l’aire rester auprès de lui, mais je refusai. »
Az-Zayâni raconte qu’après cela il alla à Tlimsân, où il retrouva Mawlay Muslama ils s’adressèrent des reproches réciproques, ainsi que nous l’avons déjà raconté. Ceci se passait à la fin l’année 1206.
Le sultan Mawlay Slîmân envoie des troupes dans le Hawz il part après elles pour Ribât al-Fath, puis revient à Fâs.
Ainsi que nous l’avons précédemment rapporté, les habitants de Murrâkush et les tribus du Hawz avaient déjà embrassé le parti de Mawlay Hishâm bn Muhammad, sous le règne de Mawlay Yazîd (Dieu lui fasse miséricorde !) Dès qu’il eut obtenu la soumission des pays du Gharb, le sultan Mawlay Slimàn (Dieu lui fasse miséricorde !) se préoccupa de régler les affaires du Hawz et de s’emparer de cette région. Il donna à son frère Mawlay At-Tayib le commandement de 10.000 cavaliers, et l’envoya, avec un certain nombre de qâ’îd-s du Jaysh, auprès des tribus des Shâwiya (fin de l’année 1207.) Le Sultan partit lui-même après eux pour Ribât al-Fath, où il effaça les dernières traces de la révolution qui avait éclaté dans cette ville, et attendit les résultats des opérations de son frère. Le 6 chouwâl de cette année-là, il fit la prière du vendredi à la mosquée de la qasba il officia lui-même comme imâm et prononça un prône éloquent, dont le sujet était la pratique du bien et l’abstention du mal, la crainte des choses illicites et la mise en garde contre le péché. Sa prédication se terminait ainsi :
« 0 mon Dieu! secoure les armées des Musulmans et leurs combattants » puis il fit des vœux pour toute la nation. Dans le premier rik’a, il récita la sourate du vendredi et, dans le second, la sourate Al-Ghâshiya….
Quand Mawlay At-Tâyib arriva dans la région des Shâwiya, des rivalités éclatèrent entre les qàïds du Jaysh qui étaient avec lui et qui se disputaient le commandement. Chacun se croyait appelé à commander. Le plus audacieux de tous était le Qâ’îd Al-Ghnimî, qui avait été un des Qâ’îds de Mawlay Yazîd (Dieu lui fasse miséricorde !).
Mawlay Slîmân le maintint à la première place pour se le concilier, de telle sorte qu’il fût seul à donner son avis, étant l’auxiliaire du khalifa Mawlay At-Tâyib et son Qâ’îd Al-Mishwâr. Aussi, à la première rencontre, les autres Qâ’îds l’abandonnèrent et le firent battre : ils laissèrent leurs tentes et leurs bagages au pouvoir de l’ennemi et revinrent en désordre à Ribât al-Fath auprès du Sultan ils étaient, cependant, 10.000 cavaliers, comme nous l’avons rapporté. Dans ces conditions, le Sultan dut revenir à Fâs, pour renouveler son matériel de voyage et d’expédition, et remplacer les tentes, les armes et les bagages qui avaient été perdus, ainsi que nous allons le raconter dans la suite, s’il plait à Dieu.
Révolte de Muhammad bn ‘Abd As-Slâm Al-Khumsi, surnommé Zaytân, dans le Jbal
En 1208, un Tâlib nommé Muhammad bn ‘Abd As-Slâm et surnommé Zaytân souleva la tribu d’Al-Khmâs, dans les montagnes de Ghumâra. Les fauteurs de désordres de toutes les tribus vinrent se joindre à lui, et bientôt le nombre de ses partisans devint considérable. Voici quelle fut la cause de cette révolte. Le Qâ’îd Qâsim As-Srîdi était gouverneur de cette région pendant le règne de Mawlay Yazîd (Dieu lui fasse miséricorde !) A son avènement, Mawlay Slîmân avait nommé à sa place le Qâ’îd Al-Ghnimî dont nous venons de parler, et qui était, dit-on, un véritable tyran. Il emprisonna le Qâ’îd Qâsim, s’empara de tous ses biens, et le tortura si cruellement pour le forcer à révéler ce qui lui restait, qu’il en mourut. C’est alors que tous les mauvais sujets de la province se réunirent à l’appel de Zaytân pour se révolter. Voyant que l’insurrection gagnait du terrain, le Sultan envoya une armée au Qâ’îd Al-Ghnîmi, et lui ordonna de marcher contre Zaytan et ses partisans. Ce Qâ’îd se mit en route et, arrivé dans le pays de Gh ?âwa, près de Wâzzân, voulut pénétrer dans la montagne pour le poursuivre. Les chefs du jaysh qui étaient avec lui le dissuadèrent d’exposer ainsi des hommes dans ces montagnes et ces ravins, mais il ne voulut rien entendre et poussa plus avant avec ses cavaliers et ses fantassins. A peine élait-il en pleine montagne, que de tous les ravins des hommes à pied s’élancèrent dans toutes les directions et, cernant l’armée, la livrèrent au carnage et au pillage à merci, et lui firent rebrousser chemin en déroute.
La nouvelle de cette défaite irrita vivement le Sultan, qui arrèta Al-Ghnîmi et le livra aux enfants d’Esserîdi, qui le tuèrent de leurs propres mains pour venger la mort de leur père. Il donna le commandement des tribus du Jbal à son frère Mawlay At-Tâyib, lui laissant pleins pouvoirs en ce qui concerne les ports, et lui assigna Tanger comme résidence. Mawlay At-Tâyib se mit à administrer les tribus du Jbal et les ports de Tétouan, Tanger et Fraraysh, bouchant à leur début toutes les crevasses et saisissant toutes les bonnes occasions.
Il commença par lutter contre les tribus du Fahs, qui rentrèrent dans le calme et se soumirent, puis il combattit les habitants des environs de Tanger et d’Açîla, comme les Béni Ider et Elkhmâs, partisans de Zaytân. La guerre ne cessait pas.
En 1209, Mawlay At-Tayib, ayant reçu du Sultan son frère une colonne de renfort, qui vint se joindre à lui à Tanger, partit avec les soldats de cette ville et ceux de Larache pour attaquer les Beni Ghurfat qui étaient le repaire des révoltés. Il s’établit chez eux, les combattit jusqu’au cœur de leurs maisons, brûla leurs villages, pilla leurs biens, et les mit en pièces, si bien qu’ils vinrent humblement lui exprimer leur repentir et qu’il leur pardonna.
Après cela, il se rendit chez les Beni Harchan, fraction des Bni Ider, mais Zaytân s’enfuit chez les Khmâs, sa tribu, abandonné par les tribus qui s’étaient jointes à lui. Mawlay At-Tâyib le fit venir sous le couvert de l’aman et, s’en étant emparé, l’envoya au Sultan, qui lui confirma sa sécurité et le nomma gouverneur de sa tribu. Depuis lors, il fut un des serviteurs du gouvernement et un de ses fidèles conseillers. Quand il eut apaisé cette tribu, un autre gouverneur fut nommé, et Zaytân, relevé de ses fonctions, fut transporté à Tétouan par le Sultan, qui lui donna une pension suffisante. Il demeura dans cette ville jusqu’à la fin du règne de Mawlay Slîmân. Quand, dans la suite, Mawlay Brâhîm bn Yazid se révolta contre lui et entra à Tétouan, Zaytân fut un des plus chauds partisans du Sultan, et s’employa avec dévouement à retenir et calmer les tribus.
Plus tard, en 1236, il se rendit, malgré son grand âge, auprès du Sultan à Tanger, et reçut de lui de nombreux cadeaux. Les gens d’Elkhmâs invoquent jusqu’à ce jour lu protection de ses descendants et ont en eux la même confiance que les Aït Ou Mâlou dans la famille Mhâwuch. Dieu hérite seul de la terre et de ceux qui l’habitent il est le meilleur des héritiers.
Au mois de doùlheddja de cette année (1209) mourut le très docte imâm Sîdi At-Tâwudîben Souda Al-Murri Al-Fâsî, auteur de la glose marginale sur Elboukhâri, de la glose marginale sur le commentaire du Mokhtasar par le chéïkli ‘Abdelbâqi Az-Zerqâni, du commentaire de la ‘Asmiya et de la Zeqhhâqiya, et d’autres ouvrages précieux. Il était le dernier des chéïkhs de Fâs, où ses hauts^faits sont célèbres.
Histoire de Mawlay Hishâm bn Muhammad à Murrâkush et dans le Hawz, et faits qui s’y rattachent (1794)
Nous avons déjà raconté que les habitants de Murrâkush et les tribus du Hawz avaient abandonné le sultan Mawlay Yazîd, pour prêter serment à son frère Mawlay Hishâm bn Muhammad. Après le meurtre de Mawlay Yazîd, l’influence de Mawlay Hishâm demeura prédominante à Murrâkush et chez les tribus du Hawz qui lui obéissaient. Les deux vizirs qui soutenaient sa cause étaient le Qâ’îd Abderrahmân bn Nâçir El’abdi, gouverneur d’Asfi, qui était un homme brave et généreux, et le qâ’îd Muhammad Al-Hâshmi bn Al-‘Arûsi, gouverneur de Dûkkâla et du Hawz, qui était puissant par son esprit de parti et par les hommes qui étaient sous ses ordres. Ces deux Qâ’îd-s avaient tous pouvoirs dans le gouvernement de Mawlay Hishâm, le premier par sa fortune et sa générosité, le second par son parti et sa puissance ; ce fut grâce à eux que les tribus de Dûkkâla, de ‘Abda, de Ahmar, de Shiyâdma, de Hâhâ, etc., s’étaient rapprochées de Mawlay Hishâm. Il en fut ainsi pendant assez longtemps jusqu’au jour où les Rhâmna se séparèrent de lui, en l’accusant, d’ailleurs à tort, d’avoir fait tuer dans un guetapens leur gouverneur, le Qâ’îd Abû Muhammad ‘Abdallah bn Muhammad Ar-Rahmâni, qui avait cependant mis son influence au service de son gouvernement et lui servait d’auxiliaire.
« L’opinion générale, dit Akhensûs, est que ce fut Mawlay Hishâm qui ordonna de mettre à mort ‘Abdallah Ar-Rahmâni et Bn Ad-Dâwudi. Mais le sultan Mawlay Slîmân, dans une conversation, a déclaré à son interlocuteur que ce fut une fraction réfractaire des Rhâmna qui le tua, et fit croire que l’auteur de cette manœuvre était Mawlay Hishâm. Il en fut ainsi de Bn Ad-Dâwudi (Dieu sait quelle est la vérité !). »
Après le meurtre du Qâ’îd ‘Abdallah, les Rhâmna cessèrent d’obéir à Mawlay Hishâm et, après avoir proclamé son frère Mawlay Husayn bn Muhammad, marchèrent avec lui sur Murrâkush. Leurs tambours battaient bientôt autour de la qâsba et Mawlay Hishâm n’eut pas même le temps de monter à cheval. Il partit à pied et alla se réfugier dans le mausolée du shaykh Bâ-l-‘Abbâs As-Sabtî, où il se sentit en sûreté.
Quelques jours après, il parvint à se sauver, et partit, avec quelques personnes de son entourage, pour Asfi où il descendit chez son vizîr, le qâ’îd ‘Abd Ar-Rahmân bn Nâçir.
Celui-ci mit sa maison à sa disposition, la décora pour lui, et fit tout ce qu’il put pour le servir et le satisfaire. Pendant ce temps, Mawlay Husayn entrait dans le palais impérial de Murrâkush, et s’emparait de tous les trésors et effets qu’il contenait et qui appartenaient à Mawlay Hishâm ou avaient été laissés par Mawlay Yazîd. Les gens de Murrâkush ne purent faire autrement que de prêter serment à Mawlay Husayn et de prononcer la Khutba en son nom (1209). La division éclata dans le Hawz. Certaines tribus, comme ‘Abda, Ahmar et Dûkkâla, étaient pour Mawlay Hishâm ; d’autres, comme les Rhâmna et les autres tribus du Hawz, soutenaient Mawlay Husayn. Le feu de l’hostilité s’alluma entre ces tribus, qui se décimèrent dans des combats, le nombre des morts atteignit plus de 20 000.
Tandis que tout ceci se passait, Mawlay Slimân était à Fâs, affectant de ne pas s’occuper du Hawz, mais attendant les résultats de la lutte de ses habitants. Ils finirent par fatiguer la guerre, et la guerre par les fatiguer. Ce fut une bonne fortune pour lui, car il reçut aussitôt de nombreux émissaires lui demandant de se rendre dans ce pays pour y recevoir la Bay’a de ses habitants. Il leur promit de venir dès qu’il aurait terminé les affaires des Shawiyia.
2-Révolte de Mawlay ‘Abd Al-Mâlik bn Drîs à Anfa et ses motifs
Depuis qu’elles avaient battu l’armée de Mawlay At-Tayib, les tribus des Shawiyia redoutaient la force du Sultan, et, sachant qu’il ne les laisserait pas impunies, elles tentèrent de se mettre en bonnes relations avec lui. Elles lui en voyèrent successivement des députations de notables pour lui demander de leur donner comme gouverneur un homme dont elles écouteraient les avis, et dont elles observeraient les ordres et les défenses. Il leur nomma comme gouverneur son cousin et beau-frère, Mawlay ‘Abd Al-Mâlik bn Drîs bn Al-Muntaçir, qu’il fit partir avec ces délégués.
Mawlay ‘Abd Al-Mâlik se rendit donc dans la région de Tâmisna et établit sa résidence à Anfa, qui s’appelle aujourd’hui Dâr al-Baydâ. Là, il s’attribua les revenus du port, dont il donna une part aux notables des Shawiyia qui étaient auprès de lui. En agissant ainsi, il n’avait d’autre but que de les gagner à l’obéissance et au service du Sultan. Mais quand ils se virent en possession des sommes d’argent qui leur étaient échues en partage, ceux-ci cherchèrent à obtenir davantage. Un proverbe ancien dit :
« Ne donne pas à l’esclave une patte à manger, il convoitera aussitôt une autre patte. »
Mawlay ‘Abd Al-Mâlik dut partager avec eux par moitié les revenus du port. En apprenant cela, le Sultan adressa aussitôt à Mawlay ‘Abd Al-Mâlik une lettre de reproches sur sa conduite, et saisit cette occasion pour quitter Fâs et se rendre dans le Tâmisna, que son neveu n’avait pas réussi à contenir. Au reçu de cette lettre, Mawlay ‘Abd Al-Mâlik fut très affecté de ses reproches, car il jouissait d’un grand crédit auprès du grand sultan Sîdi Muhammad bn ‘Abdallâh, qui l’avait distingué parmi ses cousins et l’avait pris pour un de ses parents favoris. Quand il apprit que le Sultan quittait Fâs, le trouble s’empara de son esprit, et il demanda conseil à son entourage de Shâwiyia.
« Cet homme, leur dit-il, marche certainement contre nous il n’en veut qu’à vous et à moi, que faut-il faire ?
-Notre avis est de vous prêter serment, lui répondirent-ils, et de le combattre. C’est cela que je veux », répartit le Commandeur. Il fut alors proclamé.
En quittant Ribât Al-Fath, le Sultan avait expédié en avant son frère et khalîfa Mawlay At-Tayib, à la tête d’un corps de cavalerie. Le Sultan n’avait pas tardé à le suivre. Arrivé à Qantrat Al-Jalâh, pour y passer la nuit, il apprit que les tribus des Shawiyia avaient proclamé Mawlay ‘Abd Al-Mâlik bn Drîs. Celui-ci fut avisé en même temps, à Anfa, que le Sultan passait la nuit à Qantra. Sa peur redoubla, et il prit la fuite avec les gens des Shawiyia qui l’avaient acclamé, emmenant avec lui tous les fantassins et les cavaliers de la ville. Son départ causa une grande joie aux habitants qui craignaient d’être compromis avec lui. Ils s’empressèrent de tirer le canon pendant la nuit pour prévenir le Sultan de sa fuite, et lui envoyèrent des messagers porteurs de renseignements précis sur l’événement.
Le Sultan leur témoigna les meilleures dispositions, et tandis qu’il renvoyait avec eux une troupe de cavaliers pour résider à Anfa, il s’avança avec son armée jusqu’à la qasba de ‘Ali Bâ Al-Hasan là, il attaqua les campements des tribus de Madiûna et de Znâta qu’il mit au pillage, et les troupes revinrent chargées de butin. Pendant ce temps, Mawlay ‘Abd Al-Mâlik s’enfuyait dans la direction de l’Umm Ar-Rbi’a. Le Sultan ramena les troupeaux et le butin à Ribât Al-Fath, où il entra victorieux et triomphant. Il transporta dans cette ville les négociants chrétiens qui étaient à Anfa, et ferma au commerce le port qui ne fut rendu aux transactions que sous le règne du sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm, comme nous le verrons plus loin, s’il plaît à Dieu. Le sultan Mawlay Slîmân reprit, après cela, le chemin de Miknâs et y fit son entrée. A ce sujet, voici ce que dit le très docte et très cultivé Abû Muhammad ‘Abdelqâder bn Shaqrûn
« Maître, c’est à toi que tout réussit. Il te suffit de faire une expédition contre un pays, pour y installer ta puissance.
« Nous avons reçu les bonnes nouvelles elles disent : « Je me réfugie en Dieu contre les mauvais traitements de celui qui te porte envie ».
« Gravis jusqu’au dernier les degrés de la chaire du bonheur, car la fortune a accompli la promesse qu’elle t’avait faite.
« Marche à la réalisation des plus hautes espérances, tu l’obtiendras, car la gloire te dit aujourd’hui, donne-moi la main.
« Ne redoute pas de résultats funestes ceux qui viennent à toi avec de méchants desseins ne réussiront pas.
« Le roi de toutes choses a ceint ton front du diadème de sa satisfaction qui te rend encore plus fort.
« Bien plus, l’exercice de ta souveraineté ayant obtenu son agrément, il la met dans la gorge de celui qui te renie pour le suffoquer.
« Je loue l’oeuvre de celui qui t’a donné cette nature généreuse tu obtiendras son agrément et par là tu gagneras la bonne direction. »
Les ‘Arab-s Rhâmna se rendent auprès du sultan Mawlay Slîmân, qui marche sur Murrâkush et s’en empare
Nous avons déjà rapporté que les habitants du Hawz s’étaient divisés en deux partis l’un avait proclamé Mawlay Husayn bn Muhammad, et l’autre était resté fidèle à son serment envers son frère Mawlay Hishâm des guerres meurtrières s’en étaient suivies. En 1210, une compagnie de notables de la tribu des Rhâmna était venue à Miknâs apporter au Sultan son serment de fidélité et lui demander de se rendre avec eux dans leur pays, pour y recueillir leur adhésion unanime. Il leur avait promis que, dès qu’il aurait terminé les affaires des Shawiyia, il irait de là dans le Hawz pour se rendre auprès d’eux. Peu de temps après, son parti était pris et il quittait Miknâs avec son armée, pour aller dans le Tâmisna. A son arrivée, les Wulâd Bû Rzeg se portèrent auprès de lui, tandis que les Wulâd Bû ‘Aliyya et les Wulâd Harîz, chez lesquels se trouvait Mawlay ‘Abd Al-Mâlik bn Drîs, prenaient la fuite et allaient se réfugier près du fleuve Umm Ar-Rbi’a. Le Sultan les y poursuivit et les attaqua. Mawlay ‘Abd Al-Mâlik s’enfuit dans le Sûs auprès de ses oncles, chez lesquels il demeura jusqu’au jour où, sur les prières du frère du sultan Mawlay ‘Abd As-Slâm bn Muhammad et de sa sœur Lalla Sufiya, femme de Mawlay ‘Abd Al-Mâlik, le Sultan, cédant à leurs instances, lui accorda son pardon. Il revint alors à Fâs et se tint tranquille.
Quant aux Shawiyia, ils vinrent exprimer leur repentir au Sultan qui leur pardonna, et leur donna comme gouverneur le maître Al-Ghâzî bn Al-Madani Al-Mzamzi sous sa direction, le bon ordre se rétablit. Le Sultan revint alors à Fâs, victorieux et triomphant. Il y resta jusqu’à l’année 1211, et, ses préparatifs d’expédition terminés, partit pour la région de Dûkkâla dont il s’empara, ainsi que des villes d’Azammûr et de Tit. Les habitants de ce pays lui prêtèrent serment, et les notables de Dûkkâla vinrent lui exprimer leur repentir, abandonnant le clan de la tribu de ‘Abda et son sultan Mawlay Hishâm, et se rangeant dans la loi commune. Là, il reçut de nouveau une délégation des Rhâmna qui lui apportaient leur soumission il leur fit un accueil généreux et partit en leur compagnie pour Murrâkush. Dès qu’il fut en vue de la ville, le sultan Mawlay Hishâm s’enfuit dans la montagne, au mausolée de Mawlay Brâhîm bn Ahmad Al-Amghârî. Mawlay Sliman entra dans la ville dont il prit possession, et reçut la soumission de ses habitants. Les tribus du Hawz et du Dir, celles de Hâhâ et du Sûs lui apportèrent leurs présents. Il les reçut avec joie et générosité, et pacifia les tribus du Hawz qu’il réunit sous sa seule autorité. Il établit l’ordre dans leur pays, et en organisa la défense. Il installa dans la qaçba des gens du Hawz qui y avaient tenu garnison du temps de son père et leur attribua une solde journalière. En même temps, il fit venir du Sûs 1000 ‘Abîds, pour former la garnison permanente de la qasba. L’ordre fut ainsi rétabli.
Asfi et son gouverneur, le qâ’îd ‘Abd Ar-Rahmân bn Nâçir Al-‘Abdi, se placent sous l’autorité du sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !).
Ainsi que nous l’avons rapporté, cet ‘Abd Ar-Rahmân bn Nâçir jouissait d’une influence et d’une autorité considérables à Asfi et dans la région voisine. Il s’était emparé des revenus du port de cette ville, où il a laissé des constructions nombreuses, parmi lesquelles le grand palais qui est au bord de la mer, et la mosquée de la Zâwiya. Quand le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !) fut entré à Murrâkush, il lui dépêcha son secrétaire Abû ‘Abdallah bn ‘Uthmân Al-Miknâsi, pour l’inviter à se rendre auprès de lui, et le prévenir qu’en cas de refus il lui ferait la guerre. Arrivé à Asfi, le secrétaire le trouva malade. ‘Àbd Ar-Rahmân s’excusa de ne pouvoir, à cause de sa maladie, déférer au désir du Sultan, mais il écrivit sa soumission et jura obéissance. Mawlay Hishâm le quitta pour aller demeurer à Zâwiyat Aš-Šrâbi. Là, le Sultan lui envoya quelqu’un qui, après lui avoir garanti la vie sauve, le ramena auprès de lui. Celui-ci le reçut avec égards et munificence, il lui fit donner des chevaux et des vêtements, et lui assigna pour demeure la maison de son frère Mawlay Al-Mâmûn. Mawlay Hishâm resta là jusqu’à à ce qu’il eût pris quelque repos, puis il fut envoyé à Ribât Al-Fath, où il s’établit, jouissant d’une pension suffisante.
De son côté, le secrétaire Bn ‘Uthmân rapporta au Sultan la soumission de ‘Abd Ar-Rahmân bn Nâçir, et lui fit part de la maladie qui avait empêché Celui-ci de venir. Le Sultan feignit d’accepter cette excuse, remettant à plus tard la décision à prendre au sujet de ce personnage.
L’auteur du Jaysh raconte que le Sultan vint voir son frère Mawlay Hishâm 3 jours après son arrivée auprès de lui à Murrâkush dans la maison de son frère Mawlay Al-Mâmûn, où il s’était installé. Mawlay Slîmân se rendit chez lui à pied, à cause de la proximité. Dès que les deux frères se trouvèrent ensemble, ils s’embrassèrent et se congratulèrent. Mawlay Hishâm s’en alla ensuite au Bustân An-Nîl par Bâb Ar-Râ’îs. Là, le Sultan lui donna un siège où il s’assit, et prit place lui-même en face de lui, témoignant ainsi de son respect pour son frère qui était plus âgé que lui. Il le faisait venir auprès de lui matin et soir ils causaient longtemps ensemble, puis se séparaient. Le Sultan ne déjeunait et ne dînait qu’en compagnie de son frère. Dès que celui ci arrivait auprès de lui, il se levait et le traitait avec beaucoup d’égards. Quand il parlait de lui, c’était toujours en termes fraternels il disait toujours mon frère Mawlay Hishâm, ce qu’il ne faisait pas pour ses autres frères. Lorsque le Commandeur voulut aller vivre à Ribât Al-Fath, il accéda à son désir et lui accorda tout ce qu’il demandait, acceptant toutes les raisons qu’il invoquait.
Plus tard, Mawlay Hishâm revint à Murrâkush, où il mourut, ainsi que nous l’indiquerons plus loin.
As-Swîra et la région environnante font leur soumission au sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !)
Voici comment As-Swîra et la région environnante firent leur soumission au sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !).
Al-Hâjj Muhammad bn ‘Abdessâdeq Al-Msaggîn qui appartenait aux ‘Abîds d’As-Swîra, en revenant, cette année là, du Hajj, s’était rendu, en passant, auprès du sultan Mawlay Slîmân, qui était alors dans le Gharb. Le Sultan lui avait donné le gouvernement d’As-Swîra, et lui en avait confié l’investiture par écrit, mais il lui avait ordonné de tenir la chose secrète tant qu’il ne se serait pas rendu compte de la situation des habitants et de leurs tendances. Ceci se passait, en effet, avant que le Sultan n’allât dans le Hawz et n’en fit la conquête. As-Swîra était alors au nombre des pays administrés par ‘Abd Ar-Rahmân bn Nâçir, et était attachée à son parti en même temps que soumise à la tribu de Hâhâ et à son clan. Le gouverneur de cette ville était à ce momentlà le qâ’îd Abû Merouân ‘Abd Al-Mâlik bn Bîhi Al-Hâhî, qui jouissait d’une grande réputation auprès des tribus de Hâha et de leurs voisines. Bn ‘Abd As-Sâdiq, de retour à As-Swîra, se conduisit simplement en homme qui vient de terminer son Hajj. Après avoir pris 3 jours de repos dans sa maison, il alla à la porte du Qâ’îd et se mit au service de ‘Abd al-Mâlik Bîhi. Il se tenait avec ses autres huissiers pour le service makhzénien, comme c’était, d’ailleurs, sa fonction. Il exécutait avec promptitude les ordres de ce qâ’îd, qu’il chercha à satisfaire et à conseiller autant qu’il le put. Il restait à sa porte jour et nuit, et le qâ’îd l’y trouvait debout chaque fois qu’il sortait et en tenue régulière.
Il était comme ce jeune homme des Bni Chîbân, nommé Yazid bn Mezîd bn Zâïda, duquel Moslim bn Eloualîd dit:
« A l’époque de la sécurité, vous le verrez porter une cuirasse double. Il n’a pas confiance dans les vicissitudes du temps qui pourraient l’appeler en toute hâte. »
Aussi, bientôt le qâ’îd lui témoigna de la considération et lui donna la priorité sur les autres huissiers et les gens de son entourage. Il finit par le prendre comme conseiller et comme confident de ses secrets. Pendant ce temps, Bn ‘Abdessâdeq préparait dans l’ombre ses affaires avec les Msaggîna, ses contribules et avec les gens d’Agâdîr, prêtant l’oreille aux nouvelles qui pouvaient venir touchant l’arrivée du Sultan dans le Hawz. Quand il apprit que Celui-ci se trouvait dans le Dûkkâla et avait pris Azmmûr et Tît, il fit part de sa nomination à ses amis et à ses partisans, et obtint d’eux la promesse qu’ils le soutiendraient dans ses projets quand viendrait une nuit déterminée. ‘Abd al-Mâlik ne se doutait nullement de ce qui se tramait contre lui. Bn ‘Abd as-Sâdiq l’avait habitué, dit on, à venir le trouver, même la nuit, dès qu’il se passait quelque chose et à s’entendre avec lui sur ce qu’il y avait à faire. C’est ainsi qu’il se rendit chez lui cette nuitlà. Il avait réuni un certain nombre de ‘Abids d’As-Swîra qu’il avait gagnés à sa cause, et les avait placés de façon qu’ils puissent entendre sa voix dès qu’il parlerait :
« Dès que vous m’entendrez parler, leur avait-il dit, et discuter avec lui, saisissez-vous de lui en toute hâte. »
II se rendit donc auprès de ‘Abd Al-Malik et demanda à lui parler. Celui-ci sortit et, tandis qu’il causait avec lui, les ‘Abids l’entourèrent et s’emparèrent de lui, ainsi que des gens de Hâhâ qui étaient à son service, et surlechamp les emmenèrent hors de la ville. Ils remirent à ‘Abd Al-Mâlik son cheval, et fermèrent la porte derrière lui. Ainsi fut terminée cette affaire.
Le lendemain, Bn ‘Abd As-Sadiq réunit les habitants d’As-Swîra, et leur lut la lettre du Sultan qui lui donnait le commandement de la ville. Ils se soumirent et cédèrent, sans qu’une seule goutte de sang fût versée.
Peu de temps après, arriva la nouvelle de l’entrée du Sultan à Murrâkush et de la prise de la ville, qui était pour lui la conclusion de la pacification du Maghrib. Sa royauté était définitivement établie, et il n’avait plus un seul compétiteur. Cinq années cependant s’étaient écoulées depuis son avènement (Dieu lui fasse miséricorde !).
Après avoir laissé son frère Mawlay At-Tayib pour le représenter à Murrâkush, il revint, la même année, à Fâs.
Il passa par le Tâdla, où il ordonna au gouverneur de cette province, le qâ’îd ‘Abd al-Mâlik, d’attaquer les Bni Zmmûr, de les piller, de s’emparer de leurs guerriers, et de les amener à As-Sukhra. Le qâ’îd ‘Abd Al-Mâlik partit aussitôt à la tête de ses troupes, et, usant d’un stratagème, leur envoya demander d’envoyer leurs cavaliers auprès de lui. A peine furent-ils arrivés qu’il les fit arrêter et ligotter, et s’empara de leurs chevaux et de leurs armes. Il alla ensuite attaquer leurs campements qu’il pilla. Il arriva auprès du Sultan avec le butin et avec ces hommes qui étaient au nombre de 200. Le Sultan les envoya aussitôt à Miknâs où ils furent mis en prison. La tribu étant ensuite rentrée dans l’ordre, ils furent mis en liberté.
Le sultan Mawlay Slîmân reprend aux Turcs Wujda et la région voisine
Cette année là (1211), le sultan Mawlay Slîmân expédia de Fâs des troupes sur Wujda. Il donna le commandement des Udaya au qâ’îd ‘Abbâs ‘Ayyâd Bû Shfra, celui des Shrâga au qâ’îd Muhammad bn Khadda, et celui des Ahlâf au qâ’îd ‘Abdallah bn Elkhadir. Il donna pour instructions à ces chefs de marcher sur le territoire d’Wujda, de le soumettre et de combattre les Turcs qui s’en étaient emparés. En même temps, il écrivit au Bey Mehmet Pacha, pour lui signifier d’avoir à abandonner ce territoire et les tribus qui l’habitent, qu’il s’était mis à administrer pendant l’interrègne, sans quoi il lui ferait la guerre. Le Bey accéda à cette demande et ne fit aucune résistance. Il écrivit même à son représentant à Wujda d’abandonner la ville à ses propriétaires et de cesser d’administrer les tribus de Bni Yznâsén, Segoûna, Al-Mhâya, Wulâd Zakri, Wulâd ‘Ali et Râs Al-‘Ayn. Ces ordres furent exécutés, et l’armée du Sultan entra à Wujda. Le gouverneur de la ville perçut les zakât et les ‘ašûr et, après avoir laissé un délégué, revint avec l’armée auprès du Sultan qui était à Fâs.
Le royaume était dans l’ordre le plus complet, il était entièrement soumis, jouissant à la fois de la bonne for tune et de la tranquillité. Dieu en soit loué
La même année, le shaykh, le fqîh, le sûfi, Abû Al-‘abbâs Ahmad At-Tijânî, vint s’installer à Fâs. Le Bey Mehmet Osmanoghlu, Possesseur de Wahran, lui avait fait quitter Tlimsân pour le bourg de Bû Samgûn, où il était demeuré, la population lui ayant fait bon accueil. Puis, ce Bey étant mort, son fils Osman Mehmetoghlu lui succéda.
Celui-ci, à la suite d’intrigues faites auprès de lui contre le shaykh At-Tijânî, envoya aux habitants de Bû Samgûn des ordres menaçants pour les inviter à le chasser de chez eux. Quand il apprit cela, le shaykh partit avec quelques uns de ses disciples et ses enfants, et prenant la route du Sahara, arriva à Fâs. Dès son entrée dans cette ville, il dépêcha un messager auprès du Amîr al-Mû’minîn Mawlay Slîmân, pour lui remettre une lettre l’informant qu’il avait émigré pour fuir la cruauté et l’injustice des Turcs, et qu’il venait se réfugier auprès de la famille généreuse.
Le Sultan l’accueillit et lui permit de se présenter chez lui et de se tenir dans son Majlis. Après lui avoir donné audience, le Sultan se rendit compte de ses mérites et de son savoir universel. Il lui fit bon accueil et, confiant en lui, lui donna une belle maison qui lui appartenait, pour la construction de laquelle il avait dépensé environ 20 000 Miṯqâl-s. Il lui servit en même temps une pension suffisante. La population se rendit auprès du shaykh, et bientôt sa renommée s’étendit à Fâs et dans tout le Maghrib.
C’est le shaykh de la confrérie Tijjâniya (Dieu lui fasse miséricorde et par lui nous soit profitable !).
L’année suivante (1212), le Sultan quitta Miknâs avec son armée, pour se rendre à Asfi, résolu à faire la guerre à ‘Abd Ar-Rahmân bn Nâçir, si celui-ci ne faisait pas sa soumission avec tout son clan.
Il était décidé à l’y forcer, s’il ne cédait pas de bonne grâce. Après avoir franchi l’Wad Umm Ar-Rbi’a, il dépêcha auprès de lui le qâ’îd Abû As-Surûr Ayyâd bn Bû Shfra avec le Jaysh des Udaya.
« Dès que tu seras arrivé auprès de lui, lui dit-il, force-le à venir auprès de moi, et reste à Asfi s’il refuse, écris-moi et demeure là jusqu’à ce que j’arrive. »
Malgré sa maladie, ‘Abd Ar-Rahmân ne put, à l’arrivée du qâ’îd, se dispenser de se porter auprès du Sultan. Il arriva dans sa litière, accompagné de ses troupes et de ses tribus. Il rencontra le Sultan à l’endroit appelé Miat Bîr ou Bîr, entre ‘Abda et Dûkkâla, lui jura fidélité, ainsi que ses contribules, volontairement, comme l’attendait le Sultan. Mawlay Slîmân, convaincu que ‘Abd Ar-Rahmân n’avait tardé à venir qu’à cause de sa maladie, tint ses engagements envers lui et lui donna une nouvelle marque de sa faveur en l’emmenant avec lui à Asfi et en y logeant dans sa propre maison, malgré les efforts faits par les chefs de l’armée pour le détourner de des cendre chez lui.
Il le confirma dans le commandement de ses tribus et le chargea de percevoir leurs impôts. L’auteur du Jaysh ajoute que le Sultan le remercia d’avoir donné l’hospitalité à son frère Mawlay Hishâm. Il partit ensuite pour Murrâkush, où il entra victorieux et triomphant.
Cette année là, la peste éclata au Maghrib, et ravagea les villes et les campagnes. Quand elle se fut répandue à Murrâkush et dans les environs, le Sultan revint à Miknâs, laissant son frère Mawlay At-Tayib pour le représenter dans cette ville. En route, il apprit le décès de son secrétaire Abû ‘Abdallah Muhammad bn ‘Uthmân qu’il avait laissé à Murrâkush et avait été atteint de la peste.
« Lorsque le Sultan arriva à Miknâs, dit l’auteur du Bustân, il me fit venir de Fâs. Quand je fus rendu auprès de lui, il me désigna comme son secrétaire il m’avait retiré ces fonctions depuis un an. »
En même temps, le Sultan apprit coup sur coup la mort de ses quatre frères, Mawlay At-Tayib son khalîfa, Mawlay Hishâm, Mawlay Husayn et Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân, tous quatre victimes de la peste, le premier à Murrâkush et le quatrième dans le Sûs. Mawlay Hîshâm et Mawlay Husayn furent enterrés sous une coupole attennant au Shaykh Al-Jazûli (Dieu soit satisfaitde lui!). Leur tombeau est connu à Murrâkush.
« Le Sultan me chargea, dit l’auteur du Bustân, d’aller à Murrâkush, recueillir les héritages de ses frères morts dans cette ville, et celui du secrétaire Bn ‘Uthmân. Il fit partir avec moi des cavaliers et des mules, pour rapporter les dits héritages. La peste durait encore. J’arrivai à Murrâkush, je rassemblai l’héritage dont il s’agit et quand je le rapportai à Fâs, la peste était terminée le pays était heureux et les impôts parvinrent en grande quantité au Sultan. »
Cette année-là, l’ambassadeur d’Espagne se rendit à la cour du Sultan un traité fut conclu avec lui. Celui qui fut chargé des négociations de cet acte fut le secrétaire Bn ‘Uthmân Al-Miknâsi, peu de temps avant sa mort. Ce traité contient 38 articles relatifs à l’établissement de la paix et de la tranquillité entre les deux contractants. Il est un peu plus serré, toutefois, que le traité conclu avec feu le sultan Sîdi Muhammad bn ‘Abdallah (Dieu lui fasse miséricorde !). D’après le traité de Sîdi Muhammad, si une contestation survenait entre un musulman et un chrétien, c’était l’autorité locale qui devait trancher le dill’érend le consul pouvait assister au règlement de l’affaire, afin de prendre la défense de son compatriote, le cas échéant. Le traité de Mawlay Slîmân établit, au contraire, que ce seront les autorités respectives de chacune des deux parties qui feront rendre justice à l’autre, et inversement. Si un chrétien s’enfuit de Sabta, de Malilia, de Nukûr, ou de Badis, et veut se faire musulman, le consul, s’il s’en trouve un, doit être présent, sinon les ‘adûl recevront la déclaration du dit chrétien, qui sera ensuite libre de faire ce qu’il voudra.
En 1213, le Sultan chargea son secrétaire Abû ‘Abdallah Muhammad Ar-Rhûni de réunir les biens des gens qui étaient morts sans laisser d’héritiers. Il revint sain et sauf, ayant rassemblé tout ce qu’il put recueillir et, en 1214, le Sultan l’envoya comme gouverneur dans le Sûs, accompagné d’un certain nombre de soldats. Quand il eut perçu les impôts des tribus de ce pays, il quitta le Sûs, dont les habitants l’aimaient à cause de sa belle conduite et de sa douceur. Le 8 rabî’ II de cette année là, mourut le fqîh très docte, l’habile Abû ‘Abdallah Muhammad Elmir Esslàouï, qui est rangé parmi les savants universels, qui vont au fond des choses, et qui ont une belle écriture. Dieu lui fasse miséricorde
En 1215, le Sultan envoya contre les Berbers Aït Ou Mâlou des soldats qu’il plaça sous le commandement du secrétaire Abû ‘Abdallah Al-Hakmâwi. Il fit partir avec lui quelques qâ’îd-s du Jaysh et des qâ’îd-s des tribus. Ces personnages, étant tous plus âgés que lui et plus au fait du caractère et des ruses des Berbers, ne voulurent pas l’accepter comme chef. Ils le trahirent et, dès le premier engagement, le firent mettre en déroute par les Berbers, qui s’emparèrent de leurs effets et de leurs canons, dépouillèrent la plupart des gens du Sultan, et firent prisonnier le secrétaire. Quelques Berbers le prirent sous leur protection et lui sauvèrent la vie, puis le renvoyèrent au Sultan.
En 1216, le Sultan envoya dans la région du Drâ’ une expédition commandée par le secrétaire Abû Al-‘Abbâs Ahmad Ashqrâsh. Arrivé dans ce pays, il s’empara des qçûr qui avaient été pris par les ‘Arab-s et les Berbers, en expulsa ces derniers, fit rentrer les sommes qu’ils devaient et rétablit le calme dans le pays. La sécurité fut ramenée sur les routes, où les négociants pouvaient faire leur commerce, et les voyageurs aller et venir en toute tranquillité pour leurs biens et leurs personnes, dans le pays du Sûs, de Drâ’ et d’Al-Fayja.
En 1217, le Sultan envoya contre le Rîf une colonne commandée par son frère Mawlay ‘Abdelqâder, par le qâ’îd Muhammad bn Khadda Ash-Shargi, et par le qâ’îd de l’armée Ahmad bn Al-’Arbi. Cette colonne fit rentrer les impôts arriérés de trois années de diverses tribus du Rîf, notamment des Galiyâ ?? et des Kbdâna. A leur retour, les troupes attaquèrent les Mtâlsa et les Bni Bû Yahia pillèrent leurs troupeaux et leur firent des prisonniers qu’ils ramenèrent au Sultan Celui-ci donna la liberté aux captifs.
Pendant l’année 1218, les Ait Idrâsén se mirent à attaquer les caravanes du Tafilalt qui passaient par la Mulûiya. Ils pillèrent même diverses caravanes, pour se venger de ce que le Sultan avait arrêté Muhammad bn Muhammad Ou ‘Azîz pour l’emprisonner à Al-Jazîra et leur avait donné comme gouverneur son frère Bû ‘Azza bn Muhammad Ou ‘Azîz. N’ayant pas voulu l’accepter, ils se mirent d’accord pour obéir à son cousin Bû ‘Azza bn Nâçir qui résistait au Sultan et lui était insoumis. En présence de leurs machinations, le Sultan mit en liberté Muhammad Ou ‘Azîz auquel il rendit son commandement et lui donna l’ordre d’arrêter Bû ‘Azza bn Nâçir. Mais celui-là refusa, et, devant la colère du Sultan qui recommençait, il prit la fuite et se mit en état de rébellion ou verte. Le Sultan partit alors à la tête de ses troupes contre les Ait Idrâsen, en envoyant en même temps aux Aït U Mâlu l’ordre de venir le rejoindre. A son arrivée dans le voisinage d’A’lîl, le combat s’engagea Dieu donna la victoire au Sultan, les Ait Idrâsén furent battus, leurs troupeaux furent pillés, et leurs campements pris par les Berbers. Les trois Ou ‘Azîz s’échappèrent seuls chez les Aït Ou Mâlou. Les soldats vidèrent de fond en comble leurs silos de leurs grains, et le Sultan fit demander leurs qçûr. Après avoir donné leurs terrains aux Garwân, il revint à Fâs victorieux et triomphant.
Peu de temps après son retour, il se mit en route pour Tâza, laissant chez les Hayâyina le gouverneur de Fâs Abûl al-‘abbâs Ahmad Al-Yammûri pour percevoir les impôts. Arrivé à Tâza, il envoya des troupes à Wujda, sous le commandement du cheikh ‘Abdallah bn Al-Khadir, pour faire rentrer les impôts. Une autre colonne, commandée par le gouverneur de Sijilmâsa, Abû ‘Abdallah Muhammad As-Sridi, alla se fixer sur la Muluwiya pour y toucher les contributions, et remonta ensuite dans le Sahara en suivant le cours des rivières jusqu’à Figuig où elle fit rentrer les impôts de ce pays. En arrivant après cela à Sijilmâsa, ce gouverneur divisa son armée en plusieurs corps qu’il répartit entre les divers districts du Sahâra de cette région, Drâ’, Al-Fayja, Tudgha, Farkla, Ghrîs, Zîz, Al-Khnag, Mdagra et Ar-Rtab. Il parvint ainsi à percevoir les impôts de toutes les tribus du pays, installa ses ‘âmil-s et ses représentants dans tous ces districts, et assura la sécurité de la route du Sahara. Ses troupes revinrent ensuite victorieuses.
En 1219, le Sultan destitua du gouvernement de Fâs le qâ’îd Abû al-‘abbâs Ahmad Al-Yammûri, et nomma à sa place son gendre Mawlay Habib bn ‘Abd Al-Hâdi qui sut bien administrer la ville, car il était prudent, honnête et intelligent. Dans la même année, le Sultan s’en alla avec ses troupes à Murrâkush. Arrivé dans cette ville, il envoya deux colonnes, l’une au Sûs, sous les ordres du secrétaire Abû ‘Abdallah Ar-Rhûni, et l’autre contre le gouverneur de Haha, commandée par Abû Al-‘Abbâs Ahmad Al-Yammûri. Quant à lui, accompagné de son armée, il se rendit à As-Swîra, pour y visiter les travaux effectués par son père. Il y resta quelques jours, pendant lesquels il distribua de l’argent aux soldats libres ou esclaves de la garnison, et s’occupa des affaires du port, où il fit effectuer les améliorations indispensables. Après cela, il rentra dans le Gharb plus fort et victorieux.
Troubles causés par le faqîr Abû Muhammad ‘Abd Al-Qâdir bn Ash-Sharîf Elfeliti, qui prête serment de fidélité au sultan Mawlay Slîmân motifs de ces faits .
En 1222, de grands conflits eurent lieu entre les ‘Arab-s de Tlimsân et les Turcs. Voici quel en fut le motif. Le Bey de Wahran qui avait de l’aversion pour les faqîrs et les disciples des saints, et qui se méfiait d’eux, avait fait tuer un membre de la confrérie Derqâouya, et ordonné l’arrestation du moqaddem de cette secte Abû Muhammad ‘Abdelqâder bn Ash-Sharîf Elfeliti, disciple du grand shaykh Abû ‘Abdallah Sidi Muhammad Al-’Arbi Edder qâoui, fondateur de la confrérie. Cet Abû Muhammad ‘Abdelqâder s’était enfui dans le Sahara et s’était installé sur le territoire d’Elahrâr. Les membres de la confrérie se groupèrent autour de lui, vivement irrités du meurtre de l’un d’entre eux et de l’expulsion de leur moqaddem, qui avait dû quitter son pays et ses compagnons. Leurs voisins des tribus arabes de cette région partagèrent leurs ressentiments et s’unirent à eux pour aller combattre les Turcs, sur lesquels ils fondirent à l’improviste. Ils les dispersèrent dans toutes les directions.
Au printemps, le Bey d’Alger envoya des troupes au Bey de Wahran en l’invitant à faire une expédition contre les ‘Arab-s. Le Bey se mit en route, et la guerre commença entre eux et lui. Les Turcs furent vaincus pour la seconde fois, et les ‘Arab-s pillèrent leur et les poursuivirent jusqu’à Wahran où ils les assiégèrent. Se sentant incapable de résister à ce fléau, le Bey écrivit au sultan Mawlay Slîmân, pour l’informer de la situation dans laquelle ils l’avaient mis, et lui demander d’envoyer auprès d’eux leur shaykh Abû ‘Abdallâh, afin de les calmer et de les faire rentrer sous l’obéissance du Makhzen. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) fit partir aussitôt le shaykh, en compagnie de l’Amîn Al-Hâjj At-Tâhar Baddu Al-Miknâsi. Quand il arriva auprès de Bn Ash-Sharîf, qui se trouvait avec toutes ses troupes sous les murs de Wahran, le shaykh dut écouter les doléances de ce dernier, qui se plaignait des actes de tyrannie et d’oppression commis par les Turcs envers les fuqra, les affiliés des confréries et leurs autres sujets; ils en étaient venus, disaient-ils, jusqu’à les tuer et à les expulser de leur pays. Le shaykh voulut alors temporiser. Il flétrit, probablement dans ses propos, les actes des Turcs et leur conduite, car les ‘Arab-s ne firent qu’accentuer leur attitude hostile et violente envers eux. Le Bey, qui s’attendait à voir la situation s’éclaircir, grâce au Sultan, et qui comptait sur lui pour rétablir l’ordre, l’accusa alors d’exciter les ‘Arab-s. Renonçant à ses efforts, il braqua ses canons sur les troupes arabes et les dispersa à coups de boulets et d’obus. Mis en déroute, les ‘Arab-s abandonnèrent Wahran et s’enfuirent au loin. Exaspérés, ils firent cause commune, marchèrent sur Tlimsân, et campèrent sous les murs de cette ville pour l’assiéger.
Les habitants de Tlimsân et des tribus environnantes, mais particulièrement les Fadaris, inclinaient vigoureusement vers le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !), qui, outre la noble origine que Dieu lui avait généreusement donnée, était renommé pour sa justice, sa bienveillance et sa clémence envers ses sujets. Ils désiraient se ranger sous son obéissance et être assimilés à ses sujets.
Dès que les ‘Arab-s furent campés auprès de Tlimsân, il y eut aussitôt un échange de messagers entre ceux-ci et les Hadari habitants de la ville. L’accord se fit pour secouer le joug des Turcs et prêter serment de fidélité au sultan Mawlay Slîmàn. Les portes de la cité furent ouvertes Bn Ash-Sharîf entra avec ses partisans et y recueillit la bay’a au nom du sultan Mawlay Slîmân, au nom duquel la khutba fut prononcée dans les chaires des mosquées. Le shaykh Abû ‘Abdallah, dont nous avons parlé, fut chargé de se rendre auprès du Sultan avec une députation et de lui porter les présents de Bin Ash-Sharîf. Celui-ci s’élança aussitôt à la tête de ses ‘Arab-s et des Hadaris de la ville, pour faire la guerre aux Kulugli-s qui habitaient la qasba, et les tint étroitement bloqués.
Les Turcs ne doutèrent plus qu’il agissait par l’ordre du Sultan. Ils écrivirent aussitôt au Dawlâtî, c’es tà dire à leur Pâcha suprême, Possesseur d’Alger, pour lui faire part de ce qui était arrivé. La guerre continua entre eux et Bn Ash-Sharîf au cœur de la ville la situation devenait de plus en plus grave.
Pendant ce temps, le shaykh arrivait auprès du Sultan avec la députation des habitants de Tlimsân et des ‘Arab-s, apportant les cadeaux de Bn Ash-Sharîf et sa Bay’a. Il l’informa de la détresse à laquelle les Turcs avaient réduit la population. Ils venaient en suppliants à sa porte, ils avaient mis en lui leurs espérances et voulaient se réfugier à l’ombre de sa justice. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) s’arrêta à un parti avantageux pour lui et pour les Turcs. Il fit partir le qâ’îd Àbû As-Surûr ‘Ayyâd bn Bû Shfra Al-Udâyi avec mission de trancher le différend entre les Turcs et les Hadari-s, en attendant l’arrivée du Bey à Tlimsân. Il renvoya avec lui la députation qui avait été annoncée par le shaykh, et lui donna l’ordre d’arrêter Bn Ash-Sharîf s’il ne voulait pas abandonner la lutte pour faire la paix. En même temps, il envoya au Bey un message de nature à dissiper ses doutes et à écarter ses soupçons.
Le qâ’îd ‘Ayyâd était à peine en vue de Tlimsân que Bn Ash-Sharîf prit la fuite. Il entra dans la ville, et mit fin à la lutte des deux partis. Dès qu’arriva le Bey, il le réconcilia avec ses sujets, lui livra la ville et se retira.
Malgré cela, la famine qui sévissait très cruelle, et le manque de vivres, empêchèrent les Turcs de réaliser leurs projets. Les gens de Tlimsân avaient abandonné la ville pour se rendre au Maghrib. Les ‘Arab-s et les montagnards des environs avaient également quitté leur pays. Loin de pouvoir exercer le pouvoir, le Bâsha turc n’avait plus à qui parler. Il écrivit au Sultan pour le prier de lui renvoyer les habitants de Tlimsân et les ‘Arab-s de la contrée mais quand Mawlay Slîmân leur parla de rentrer dans leur pays, ils refusèrent en disant qu’ils se rendraient dans le pays des chrétiens plutôt que d’approcher les Turcs chez qui ils ne trouveraient que la faim et la mort. Le Sultan, par compassion pour eux, n’insista pas et, au contraire, les soutint de ses largesses. Maintes fois il leur fit des aumônes, qui devinrent ensuite des allocations régulières.
Il ne cessa pendant ce temps de calmer leurs appréhensions contre les Turcs, jusqu’au jour où, l’abondance étant revenue dans leur pays et le prix des denrées ayant baissé, ils retournèrent dans leur patrie. Le Sultan écrivit alors au Bey, pour lui conseiller de les traiter avec justice et modération. Ces conseils furent suivis, car les Kulugli-s cessèrent de les molester. Il ne resta plus dans le Maghrib que ceux qui avaient des dettes envers les Turcs ils ne pouvaient pas s’en aller, parce que leurs créanciers les auraient traités sans merci et n’auraient pas agi envers eux conformément à la justice. Dieu sait quelle est la vérité
L’abondance, la paix, le bonheur et la bonne fortune marquent le milieu du règne du sultan Mawlay Slîmân ; Dieu lui fasse miséricorde ‘̃)
Ce Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) était juste et bienfaisant on ne prononçait son nom, qu’avec respect.
Dieu lui avait donné des marques de son affection, aussi tous les cœurs le chérissaient, les bouches le célébraient à cause de sa belle conduite et de ses dispositions bien veillantes. La période intermédiaire de son règne fut une époque de bonheur, de tranquillité et de paix. Les denrées étaient à bon marché, les temps étaient prospères. On cita plus tard cette date, et pendant longtemps on en parla.
Le règne (lu sultan Mawlay Sliman était toujours cité comme exemple.
Malheureusement la fin de son règne fut attristée par les révoltes des Berbers qui furent la cause des troubles subséquents que nous raconterons plus loin, s’il plaît à Dieu.
Le TrèsHaut lui fit en effet la faveur et le bonheur d’être proclamé sans qu’il l’eût demandé, et d’avoir été désiré sans l’avoir désiré. Quand il fut proclamé, en effet, il avait pour compétiteurs ses trois frères. Heureusement ceux-ci ne firent que s’affaiblir à mesure que son autorité s’affermissait, si bien qu’il put triompher d’eux sans avoir combattu, ni frappé, ni provoqué, ni maltraité aucun d’eux.
C’est ainsi qu’en 1121, le Sultan put envoyer dans le Sahara de Figuig un gouverneur qui perçut les impositions et reprit possession de la qasba que les habitants de cette région avaient enlevée aux ‘Abîds qu’y avait installés le sultan Mawlay Ismâ’îl (Dieu lui fasse miséricorde !).
Dans la même année, il expédia une colonne dans la région du Sharq sous les ordres du gouverneur de Fâs, Ba ‘Aqîl Essoùsi, accompagné d’un certain nombre de ‘âmil-s de tribus. Cet ‘âmel s’installa à Wujda et se fit payer les impôts de toutes les tribus. De là, il se rendit chez les ‘Arab-s Ela’châch, mais ce fut une faute. Cette tribu était très puissante, et comme il avait entre les mains des sommes importantes provenant des impôts des tribus du pays, il eut put se dispenser de s’attaquer à elle.
Mais l’avidité, quand elle s’empare de quelqu’un, lui est funeste. Quand les A’châch apprirent qu’il voulait s’attaquer à eux, ils s’abstinrent d’aller le saluer à sa mhalla ils assaillirent le camp et le pillèrent. Les soldats s’enfuirent en déroute sans avoir combattu, laissant leurs bagages entre les mains de l’ennemi, et ne se rallièrent que sur l’Wad Mulûiya. De là, les Ahlâf retournèrent dans leur pays, abandonnant Bin ‘Aqil qui n’osait pas s’en retourner dans la crainte du Sultan. Celui-ci le fit arrêter par un émissaire qui le ramena : il le maltraita et lui enleva le gouvernement de Fâs. Il nomma à sa place son esclave Bin ‘Abd As-Sâdiq qui, lui-même, fut ensuite destitué et remplacé par Muhammad Ou Wuzîz. V
int ensuite l’année 1222 pendant laquelle le sultan Mawlay Slîmân conduisit ses troupes dans le Tâdla. Il en voulait aux Bni Mûsa, aux Aït A’tâb, aux Rfàla et aux Bni ‘Ayyât qui s’étaient alliés avec eux. Le Sultan lâcha sur eux ses troupes qui pillèrent les Bni Moûsa et leurs alliés Rfâla et Aït ‘Ayyât, brûlèrent leurs villages, coupèrent leurs arbres et leur causèrent de tels dommages qu’ils finirent par se soumettre. Puis elles se firent verser leurs zakât et leurs ‘ashûr, et s’en retournèrent victorieuses.
Dans cette même année eut lieu la conquête, au nom du Sultan, de la région de Tîgourârîn et de Twât, dans l’extrême Sahara. Le gouverneur du Sultan leva les impôts de ces contrées et revint sain et sauf.
Cette année là, également, éclata la guerre entre le sultan ottoman Mustafa Abdelhamîdoghlu et les Moscovites.
L’Ottoman écrivit au Sultan, pour lui demander de l’appuyer en postant ses corsaires à l’entrée du détroit de Tanger, afin d’empêcher les corsaires moscovites de le franchir et d’aller faire des incursions dans les îles relevant de l’Empire ottoman, comme ils l’avaient pratiqué déjà pendant le règne de son oncle, le sultan Mustafa Ahmetoghlu. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) donna aux capitaines de ses corsaires l’ordre de se tenir prêts et de stationner à l’entrée du détroit. Ces ordres furent exécutés, mais les corsaires moscovites ne se montrèrent pas.
Ces faits sont racontés par l’auteur du Boustân.
Vint ensuite l’année 1223, pendant laquelle le Sultan confia à son wusif le qâ’îd Ahmad bn Mbârék, officier du sceau, le commandement d’une armée importante à laquelle furent ajoints un certain nombre de qâ’îd-s du Jaysh et des tribus. Ce général se mit en route quand il arriva sur les confins du territoire des Aït Ou Malou, les soldats du Sultan entourèrent ceux-ci de tous côtés, et, comme c’était la saison des pluies, les empêchèrent de descendre dans la plaine pour faire pâturer leurs animaux et chercher des provisions. Voyant leurs animaux périr, ils consentirent à la remise de la somme qui leur fut imposée. Ils livrèrent aussi leur bétail et leurs chevaux, et furent laissés en paix.
Cette année-là, le Sultan quitta Miknâs, dans le but d’inspecter des places maritimes. Le célèbre qâ’îd Abû Zayd ‘Abd Ar-Rahmân Ach’âch Ettetaoùni, qui en était le gouverneur général, fut destitué dans ce voyage, et le Sultan donna ce gouvernement au qâ’îd Muhammad Esslâoui Elbokhâri, qu’il nomma ensuite gouverneur des tribus du Gharb et du Jbal. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde!) visita toutes les places et fit des libéralités aux habitants.
Ensuite commença l’année 1224, pendant laquelle le Sultan se rendit dans le Tâdla, pour combattre les ‘Arab-s Wardigha et les tribus berbères de la région. Les soldats du Sultan les attaquèrent, et une rencontre terrible eut lieu, dans laquelle nombre de gens périrent de part et d’autre. La victoire finit par rester aux troupes du Sultan, qui mirent leurs ennemis en déroute et pillèrent leurs biens. Ceux-ci ne trouvèrent de salut que dans la soumission ils vinrent exprimer leur repentir et reçurent leur pardon.
Le Sultan envoya ensuite un corps de troupes important contre les Alt Isri, dont il avait déjà fait arrêter un grand nombre. Ceux-ci, après avoir subi des incursions et des combats, consentirent à verser de l’argent. Quand ils l’eurent payé, le Sultan délivra leurs prisonniers et s’enretourna victorieux et triomphant.
Quand vint l’année 1225 (1810), le Sultan fit une expédition dans le Rîf. Campé à ‘Ayn Zûra, il envoya dans les diverses tribus du Rîf des troupes qui leur livrèrent combat, les mirent en déroute, tuèrent leurs guerriers, firent captifs les enfants, incendièrent leurs villages, et les obligèrent à se soumettre. Elles vinrent alors exprimer leur repentir au Sultan qui leur pardonna, sous condition de verser l’argent qu’elles devaient. Le Sultan, après avoir désigné des Oumanâ chargés de percevoir entièrement ces contributions, s’en retourna victorieux et triomphant.
Toute cette période fut pour la population une époque de tranquillité et de paix, de sécurité, de fertilité, de bon marché, de joie et de calme. Ce temps-là fut comme une étoile sur le front du siècle, comme une statue sur le Mihrâb de ce palais. Dans la suite, tout fut bouleversé, la terreur fut continue, la crainte régna, et la révolte prit une étendue considérable, si bien que ce glorieux Sultan, ce savant généreux, se trouva à la fin de sa vie dans une situation comme n’en connut pas un seul des rois issus de son père. Tout appartient à Dieu au commencement et tt la fin.
Commencement de la révolte des Berbers et ses graves conséquences
En 1226, la révolution éclata parmi les tribus berbères.
Elle commença d’abord entre les Aït Idrâsén et Garwân et leurs ennemis les Aït Ou Mâlou du Jebel Fêzzâz. Puis, dès que la lutte fut engagée, les Garwân, trahissant leurs alliés les Aït Idrâsén, se joignirent aux Aït Ou Mâlou. Les Aït Idrâsén furent battus et passés au fil de l’épée par les Aït Ou Mâlou, qui mirent leurs campements au pillage et ne les abandonnèrent qu’après en avoir dé t toute trace. Seuls, les cavaliers purent s’échapper avec leurs chefs et vinrent, en se lamentant, porter plainte au Sultan. Le Sultan bondit à cette nouvelle, car Dieu lui imposait l’obligation de s’intéresser à ces gens qui étaient, ses sujets, ses partisans, et qui avaient été les partisans de son père avant lui. Il prépara donc une armée pour les secourir et faire de nouveau la guerre aux Garwân. Ceux-ci, soutenus par les Aït Ou Mâlou, les battirent en core une seconde fois.
Après cela, les Berbers se mirent tous d’accord pour combattre les Ait Idrâsen, dans le but de faire de la résistance au Sultan et par haine pour leur qâ’îd, Muhammad U ‘Azîz, qu’il leur donnait comme gouverneur. Ils prévinrent leur Dajjâl Mhâwush, qui était chez eux toujours prêt pour des affaires de ce genre, et jurèrent, chez lui, de se révolter contre le Sultan et d’obéir à Satan. Ils se livrèrent alors au brigandage sur les routes et maltraitèrent la population, si bien que le désordre s’étendit et que la discorde augmenta. De la porte du palais du Sultan, des troupes se mirent en marche et vinrent camper dans le voisinage de Sfrû. Ces soldats étaient commandés par le qâ’îd Muhammad As-Srîdî, que les Berbers détestaient autant et même plus que Muhammad U ‘Aziz.
Découvrant le voile de la révolte, ceux-ci marchèrent contre l’armée campée alors autour de Sfrû, la cernèrent et la livrèrent au pillage. Ceux qui purent échapper prirent la fuite les autres se fortifièrent dans la ville. Les bourgs voisins furent dévalisés. Les routes du Sahara furent coupées, et quiconque allait et venait était pillé. Le mal empirait : il fallait y porter un remède.
Le Sultan, qui était à Miknâs, combattait ce fléau sans en trouver le spécifique. Les Berbers devenaient de plus en plus audacieux, et chaque fois qu’il envoyait une armée, ils la mettaient en déroute ; chaque fois qu’il leur dépêchait un corps de troupes, ils le pillaient.
On a prétendu que cela était l’obstination du Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) à les forcer à obéir à Muhammad U ‘Aziz qui leur inspirait de la répulsion par sa mauvaise attitude envers eux. Mais ce qu’on sait des principes du sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde!) est en désaccord avec cette assertion, car ce Commandeur n’hésitait pas, dans un sentiment de justice, à destituer un gouverneur dès que ses administrés portaient la moindre plainte contre lui, si bien que, dans certaines circonstances, on le lui reprocha, au point de vue politique.
Fatigué de cette situation, le Sultan abandonna les Berbers à leur anarchie, et, après avoir chargé le qâ’îd ‘Ayyàd bn Bû Chefra de prendre les mesures nécessaires, se mit en route pour Murrâkush, mais le qâ’îd ‘Ayyâd n’était pas à la hauteur de cette affaire et ignorait la politique à tenir vis à vis d’eux. Il chercha à les attirer par des cadeaux à tous ceux qui venaient auprès de lui, il donnait la Mûna, nourrissant les hommes et les bêtes. Ces procédés ne firent qu’accroître l’audace des Berbers, qui venaient jusqu’aux portes de Fâs s’emparer de l’argent et des marchandises des habitants, entraient même dans la ville pour se faire payer des droits de protection et prendre des provisions. Si quelque habitant de la ville venait porter plainte à ce qâ’îd, il répondait qu’il avait reçu du Sultan l’ordre de laisser faire. Peut-être même punissait-il quand on lui posait des objections. En réalité, le Sultan l’avait chargé uniquement de composer avec les Berbers dans des conditions qui ne seraient préjudiciables ni au gouvernement, ni à la population. (Dieu sait quelle est la vérité !)
Le sultan Mawlay Slîmân amasse des contingents contre les Berbers Garwân, puis abandonne ceux-ci à Azrû conséquences de ces faits
Arrivé à Murrâkush, le Sultan convoqua en expédition toutes les tribus du Hawz et les amena à Miknâs. Il convoqua aussi les Qabîlât du Gharb, Elaldâfet ??, Hayayina, Ahl al-Fahs, Ahl al-Gharb, Bni Hsan, et les habitants des ports. Il demanda des contingents aux ??? des ‘Abids, des Usaya, des Shrâga et des Wulâd Jâma’. Il se fit accompagner également des Berbers qui lui étaient restés fidèles, de sorte qu’il ne restait plus personne dans tout le Maghrib. A la tête de cette force imposante, il marcha contre les Garwân qui étaient alors à Tâsmâkt. Arrivé à l’endroit appelé Azrû, qui n’était plus qu’à une demi-étape de leur campement, car il pouvait l’apercevoir de même qu’ils apercevaient le sien, il changea d’idée et revint sur ses pas pour s’attaquer aux Ait Yûsi. Cette retraite amena la débandade. Le voyant s’en retourner, les sentinelles Garwân crurent à une lâcheté de sa part et n’en furent que plus audacieux.
Les Garwân suivirent l’armée et, quand ils eurent rejoint les traînards, les attaquèrent, les tuèrent et les pillèrent. L’avant-garde était à une demi-étape, ignorant le sort fait à l’arrière-garde. Le Sultan établit son camp chez les Aït Yûsi, près d’A’lil, ayant devant lui les Bni Mgild et derrière lui les Garwân. Il n’eut connaissance du pillage et de la mort de ses soldats que dans la nuit, à l’arrivée des débris des ‘Abids qui l’informèrent de ce qui s’était passé, et lui apprirent le meurtre du qâ’îd Al-‘Askar, Abû ‘Abdallah Muhammad bn Ash-Shâhid, tué avec d’autres qâ’îd-s. Cette nouvelle le jeta dans l’abattement, mais il reprit courage pendant la nuit (Dieu lui fasse miséricorde !).
Au jour, les soldats se mirent en selle et se dirigèrent contre les Ait Û Mâlû qui étaient avec les Aït Yoûsi. Les troupes du Sultan furent battues au premier engagement, et repoussées dans des ravins sans issue. Elles durent mettre pied à terre et abandonner leurs chevaux, et ne durent leur salut qu’à la protection des Aït Idrâsen, dont les campements étaient proches de l’armée, et qui n’auraient eu qu’à les poursuivre pour les anéantir. Le service que venaient de rendre les Berbers fidèles au Sultan excita la jalousie des ‘Arab-s qui n’avaient pu se rendre utiles. Dès qu’un Berber s’approchait de leur camp, ils l’appréhendaient et le tuaient, disant qu’il n’y avait aucune différence entre les Berbers. Se voyant ainsi maltraités, les partisans du Sultan s’irritèrent et lui portèrent leurs plaintes. Il ordonna à son secrétaire, le qâ’îd Muhammad As-Slâwî, d’examiner cette affaire. Ce qâ’îd procéda à une enquête qui fit connaître toute la vérité et les mauvaises dispositions des Berbers par suite des meurtres commis en pleine Mhalla. Comprenant que ce n’était pas le moment d’exercer une répression dont les conséquences pouvaient être dangereuses, il conseilla au Sultan de battre en retraite avant que la situation ne devint trop grave pour y porter remède. La marche en arrière avait été la bonne aubaine des Berbers, et l’agglomération, sans ordre, de ces troupes avait été la cause de la défaite. (Tout dépend de Dieu !)
Cette affaire est connue dans la population sous le nom d’affaire d’Azrû, à cause de la localité jusqu’à laquelle Sultan s’était avancé dans le pays des Berbers, et d’où il était revenu. Elle servit de date au vulgaire qui dit : « tel fait eut lieu l’année de l’affaire d’Azrou ». Dieu seul sait quelle est la vérité.
Correspondance échangée entre le Possesseur de Tunis, Hammûda Bâsha bn ‘Ali Bey, et le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde!) ; ses résultats.
Durant cette période, ou approximativement, le Râ’is Hammûda Bâsha, fils de ‘Ali Bey, Possesseur de Tunis, envoya, auprès du Sultan, le savant, le distingué et célèbre, le shaykh Abû Ishâq Brâhîm bn ‘Abd Al-Qâdir Ar-Riwâhî. Ce personnage arriva à Fâs porteur de présents et d’une lettre demandant des vivres, a titre de secours, en raison de la famine qui sévissait dans le royaume de Tunis. Le Sultan fit une glorieuse réception a ce shaykh dont l’arrivée provoqua à Fâs une grande émotion. Il célébra le Sultan dans une Qasida en vers excellents, dont voici le début :
« De même qu’il est glorieux de visiter la meilleure des créatures, c’est une bonne fortune pour moi que de visiter son descendant. »
En voici un autre passage
« Le voilà ce khalife, ce fils du plus généreux des envoyés, ce rejeton de celui vers lequel ont marché les peuples.
« Le plus pur d’entre les sharîfs et les khalifes de la famille d’Al-Batûl, gloire à ces Commandeurs si purs
« Le plus noble héritier du trône d’Ismâ’îl, le héros dont la renommée odorante se répand comme le musc.
« Le Sultan le plus glorieux, le roi le plus noble sous la main duquel les hommes libres se glorifient d’être soumis.
« Le plus digne qui soit sous les cieux d’être considéré comme le roi de la terre et des créatures.
« Mais si tous les cœurs l’affectionnent, les corps restent la chose d’autres maîtres qui sont cependant pour eux un objet de répulsion.
« C’est lui, Slimân, l’élu, Ibn Muhammad, dont le front brille de lumière,
« Qui a relevé le Khilafa de son déclin, qui s’est fait le phare des Musulmans,
« Qui a glorifié le Dîn de Dieu, car c’est pour lui que les oiseaux des forêts gazouillent leur chant de reconnaissance. »
Le Sultan et tous ceux qui écoutèrent ce poème en furent charmés. Mawlay Slimân lui accorda les provisions qu’il demandait et lui fit un riche cadeau. Le shaykh revint de son ambassade dans les meilleures conditions.
Arrivée à Fés d’une lettre du Possesseur du Hejàz, ‘Abdallâh bn Sa’oûd Elouahhâbi et avis émis à son sujet par les ‘oulamâ
C’est à la même époque que parvint à Fâs la bien gardée une missive envoyée par ‘Abdallah bn Sa’ûd Al-Wahhâbî, qui venait de faire son apparition en Arabie et s’était rendu maître des deux nobles sanctuaires où il avait prêché sa doctrine.
Voici l’origine de la secte Wahhâbî, telle qu’elle est rapportée par l’auteur du At-Ta῾rîbût Ash-Shâfiya et par d’autres écrivains. Un faqîr arabe du Najd, appelé Slîmân, avait vu en songe une langue de feu sortir de son ventre, grossir et dévorer tout ce qu’elle rencontrait. Il raconta ses visions à un devin, qui lui en donna l’explication en lui prédisant qu’un de ses enfants établirait une dynastie puissante. Cette prédiction se réalisa dans la personne de son petit-fils, le shaykh Muhammad bn ‘Abd al-Wahhâb bn Slîmân. La secte fut donc fondée par Muhammad bn ‘Abd al-Wahhâb, bien qu’on lui ait donne le nom de ce dernier. Arrivé à l’àge d’homme, Muhammad était respecté par les habitants de son pays. Il leur annonça dans la suite qu’il était issu de Quraysh et qu’il appartenait à la famille du Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le salut!). Puis il établit les règles et les dogmes suivants: adoration de Dieu, unique, antique, puissant, la vérité même, clément, qui récompense le soumis et châtie le révolté ; le Qur’ân est ancien, il faut le suivre à la lettre, en excluant les conséquences qui en ont été tirées ; Muhammad est le prophète et l’ami de Dieu, mais il n’est pas convenable de lui attribuer des qualificatifs de louange et de vénération qui ne conviennent qu’à l’Antique Dieu n’ayant pas toléré un pareil polythéisme, l’a envoyé pour conduire les peuples clans la voie droite ceux qui s’y conformeront seront les élus ; quant à ceux qui y contreviendront, Dieu saura les faire mourir. Tels sont les fondements de sa doctrine.
Après avoir dans le principe prêché ces dogmes en secret et converti quelques personnes, Ibn ‘Abd Al-Wahhâb partit pour le Shâm. Mais n’y ayant pas trouvé ce qu’il désirait, il revint en Arabie après une absence de 3 ans.
Il entra alors en rapports avec un des shaykhs des ‘Arab-s du Najd, appelé ‘Abd Allah bin Sa῾ûd, qui était un homme énergique et généreux. Ce personnage crut en lui, se dévoua pour sa doctrine et combattit jusqu’à ce qu’il l’eût fait connaitre. Il partagea le pouvoir avec Muhammad bn ‘Abd al-Wahhâb Celui-ci luttait dans les questions religieuses, celui-là était le Commandeur des Wahhâbites et leur chef militaire. La vigueur des Wahhâbites augmenta progressivement et ils s’emparèrent du Hijâz, des deux nobles sanctuaires et de toute l’Arabie.
« Les mosquées des Wahhâbites, dit l’auteur du Shâfîya, n’ont ni minarets, ni coupoles, ni rien de ce qui a été inventé pour les orner. Ils n’honorent pas les imâms, ni les saints. Ils ensevelissent leurs morts sans cérémonie et sans pompe. Ils mangent du pain d’orge, des dattes, des sauterelles, du poisson, et très rarement de la viande et du riz. Ils ne boivent pas de café. Leurs vêtements et leurs maisons sont d’une extrême simplicité. »
Après s’être emparé des deux nobles sanctuaires, Ibn Sa‘ûd envoya dans toutes les contrées, comme le ‘Iraq, le Shâm, le Maçr, le Maghrib, des messages invitant les populations à suivre sa doctrine et à embrasser son parti.
Quand sa lettre parvint à Tunis, le Mufti de cette ville en fit parvenir une copie aux ‘Ulama de ???. Ce fut le shaykh très docte, le distingué Abû Al-fâ’îd Hamdûn bn Al-Hâjj, qui se chargea de la réponse. Suivant l’auteur du Jaysh, « Le shaykh Abû Al-Fâ’îd composa la réponse sur l’ordre et au nom du Sultan, qui la fit porter par son fils Mawlay Brâhîm bn Slimân quand celui-ci partit en Hâjjage ».
Cette assertion permet d’établir que la lettre de Bin Sa’oûd parvint directement au sultan Mawlay Slimân, et non pas sous forme d’une copie envoyée par l’intermédiaire des ‘Ulama de Tunis. Dieu sait quelle est la vérité
Hajj de Mawlay Abû Ishâq Brâhîm, fils du sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !)
Cette année-là (1226), le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !) envoya son fils, l’habile et vertueux Mawlay Abû Ishâq Brâhîm bin Slîmân, dans le Hijâz pour y accomplir l’obligation du Hajj, en compagnie de la caravane prophétique. La sortie de Fâs de cette caravane se faisait habituellement en grande pompe. On plantait des tentes à l’extérieur de la ville, on faisait résonner les tambours, et on se mettait en habits de fête. Les rois veillaient au maintien de cette coutume, et désignaient, parmi toutes les classes de la population, des ‘Ulama, des notables, des négociants, le Qâdî et le Shaykh du Rakb qui égalait, entre autres, la caravane du Caire et celle de Damas. Le Sultan fit accompagner son fils par un certain nombre de ‘Ulama et de notables du Maghrib, comme le fqîh très docte, le qâdi Abû Al-Faḍl Al-‘Abbâs Bin-Kîrân, le fqîh, le chérîf béni Mawlay Al-‘Aynîn bn Ja‘far Al-Hasanî Ar-Ratbî, le fqîh très docte, l’illustre Abû ‘Abdallah Muhammad Al-‘Arbi As-Sâhli, et bien d’autres savants et professeurs du Maghrib. Arrivés au Hijâz, ces personnages accomplirent les formalités du Hajj et firent leur visite au tombeau glorifié, à une époque où ce voyage était difficile, et où on ne pouvait l’effectuer convenablement, à cause de l’empire grandissant pris alors dans le Hijâz par les Wahhâbites qui traitaient avec rigueur les Hâjjs de toutes les contrées qui ne se conformaient pas aux règles de leur doctrine dans les cérémonies du Hâjjage et dans leur visite.
« Mawlay Brâhim, raconte l’auteur du Jaysh, emporta avec lui au Hajj la réponse du Sultan qui lui facilita, ainsi qu’à tous les Hâjjs du Maghrib et du Mashriq qui s’étaient joints à lui, l’accomplissement des prescriptions et de leur visite au tombeau du Prophète, dans les meilleures conditions de sécurité, de tranquillité et avec tous les honneurs voulus. Un grand nombre de ceux qui effectuèrent le Hajj avec Mawlay Brâhîm cette année là m’ont raconté, dit-il, que ce dont ils ont été témoins de la part de ce Sultan, c’est à dire de Ibn Sa’oûd, n’est pas en contradiction avec ce qu’ils savaient des préceptes de la Shari῾a Sainte. Tout ce qu’ils ont vu pratiquer par lui et par ses adeptes est entièrement conforme aux prescriptions de l’Islam, comme la prière, la circoncision, le jeune, l’interdiction des actes illicites, la purification des deux nobles sanctuaires des malpropretés et des crimes qui s’y commettaient en public sans le moindre empêchement. Ils ont ajouté que ce personnage ne se distingue en rien des autres personnes, ni par son costume, ni par sa monture, ni par son cortège que lorsqu’il reçut le sharîf Mawlay Brâhim, il le traita avec les honneurs dus aux membres de la famille généreuse et s’assit auprès de lui comme le premier venu parmi ses compagnons. Celui qui lui adressa la parole fut le fqîh, le qâdi Abû Ishàq Brâhim Az-Zddâgi. Ibn Sa‘ûd leur dit entre autres choses
« On prétend que nous contrevenons à la Sunna de Muhammad. Mais avez-vous vu violer en quoi que ce soit la Sunna avez-vous entendu dire que nous l’ayons fait avant de vous rencontrer avec nous »
Le Qâdî lui demanda :
« On nous a dit que vous professiez cette théorie d’après laquelle la présence réelle de Dieu sur un trône a pour conséquence de matérialiser celui qui y siège.
-A Dieu ne plaise ! répondit-il. Nous disons seulement comme Mâlik que le fait que Dieu siège sur son trône est chose évidente sans qu’on sache comment. L’hérésie consiste justement à rechercher comment. Y at-il en cela une hérésie ?
-Certainement non, lui répondirent-ils, c’est ce que nous professons également.
-On nous a dit aussi, ajouta le Qâdi, que, selon vous, le Prophète (sur lui soient les prières de Dieu et le salut !) et ses compagnons les prophètes (sur eux soient les bénédictions de Dieu et le salut!) ne sont pas vivants dans leurs tombeaux. »
En entendant le nom du Prophète (Dieu lui accorde ses bénédictions et lui donne le salut!) il se mit à trembler et, d’un ton très haut, prononça la prière sur lui.
« A Dieu ne plaise, dit-il, nous déclarons seulement que le Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !) est vivant dans son tombeau, de même que les autres Prophètes, d’une vie supérieure à celle des martyrs. »
Le qâdi lui dit ensuite
« On nous a dit que vous interdisiez la visite au Prophète et aux autres morts, bien qu’elle soit établie d’une façon indéniable dans les Sahîh.
-A Dieu ne plaise, répondit-il, que nous niions ce que prescrit notre Shari῾a. Vous en avons nous empêché lorsque nous avons su que vous connaissiez la manière d’effectuer cette visite et les convenances qu’il faut y observer. Nous l’interdisons seulement aux gens du vulgaire qui assimilent l’idée de Dieu à celle de l’homme son serviteur, et qui demandent aux morts de leur accorder des faveurs que seule la divinité peut leur concéder. La visite aux morts n’a, au contraire, d’autre objet, que de tenir compte de l’état du mort, de rappeler au visiteur la voie suivie par celui qu’il visite. Ensuite, le visiteur doit faire des vœux pour le pardon du mort, lui demander son intercession auprès du Dieu Très Haut, et adresser ses demandes à Dieu qui seul peut donner et refuser en considération de ce mort, si celui-ci, toutefois, est de ceux dont il convient de réclamer l’intercession. C’est, d’ailleurs, ce que dit notre imâm Ahmad bn Hanbal (Dieu soit satisfait de lui !). Mais comme le vulgaire est loin d’être à même de comprendre ce sens, nous lui avons interdit ces visites, pour couper le mal dans sa racine. Qu’y a-t-il là qui soit contraire à la Sunna ? »
L’auteur du Jaysh ajoute « Voilà ce que m’ont raconté les gens dont il s’agit, j’ai écouté d’abord quelques uns d’entre eux tous à la fois, puis je les ai interrogés séparément : leurs réponses dans ce sens ont été unanimes. »
La question de la visite aux tombeaux des prophètes et des saints tient une grande place dans les traités des Imâms ; c’est qu’elle est une des bonnes œuvres les plus recherchées par tout le monde. Un groupe de Hanbalites l’a interdite, et parmi eux principalement, Taqi Ad-Dîn bn Tamîma, qui se basait sur ces paroles du Prophète (sur lui soient les prières et le salut!) « Ne sanglez vos bêtes que pour vous rendre à trois mosquées, la mienne qui est ici, la mosquée Al-Harâm,et la mosquée Al-Aqṣpâ », qui sont généralement interprétées par « Ne sanglez vos bêtes en vue d’aller prier dans une mosquée, que pour vous rendre à 3 mosquées. »
L’auteur d’Elmaouâhib Elladaniya s’étend longuement à ce sujet.
D’une façon générale, en effet, chez le peuple de Muhammad (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !), la recherche de la bénédiction attachée aux restes des prophètes (sur eux soient les prières et le salut!) et des saints (Dieu soit satisfait d’eux !) ainsi que la Ziâra au lieu de leur mort, sont au nombre des choses bien admises et sur lesquelles les générations se sont successivement accordées. Ce fait est indéniable, mais il ne faut pas oublier que la Ziâra est soumise à des règles de convenance qu’il est nécessaire de respecter, à des conditions dont on doit tenir compte en les observant scrupuleusement.
Mais doi-ton, dans un but de préservation, interdire d’une façon absolue les Ziâra aux gens du vulgaire qui s’y livrent en majorité ? Il faut distinguer. En ce qui concerne les prophètes, il n’est pas d’homme vraiment intelligent qui se prive de visiter le lieu de leur mort, de rechercher la bénédiction attachée à leurs tombeaux, et de se réfugier sous leur protection, ni qui professe pareille doctrine, tant est sublime le rang qu’ils occupent auprès du Dieu Très Haut. Observons, d’ailleurs, que la plupart des étrangers leur font aussi des Hâjjages. Mais, en ce qui concerne la Ziâra aux saints, l’opinion qui consiste à l’interdire dans un but de préservation, à condition qu’on indique les raisons de l’interdiction et qu’on les fasse connaître à la population pour qu’elle ne se trompe pas sur le but poursuivi, est une opinion remarquable, qui se concilie avec les règles de la Shari῾a sainte, je dirai plus, qui en découle. Dieu sait quelle est la vérité
C’est cette opinion que le fqîh le sûfî Abû Al-‘Abbâs Ahmad At-Tijânî (Dieu lui fasse miséricorde !) a admise pour interdire à ses disciples la Ziâra aux saints. C’était aussi, en partie, l’avis du sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !) qui a écrit, à ce sujet, une lettre dans laquelle il a traité la question des prétendus faqlr de l’époque, exhorté (Dieu soit satisfait de lui !) au respect de la Sunna et à la modération dans les innovations, indiqué les convenances à observer dans la Ziâra aux saints et flétri les exagérations du vulgaire en des termes très rigoureux pour donner plus de force à ses conseils aux Musulmans (Dieu l’en récompense !).
Voici d’ailleurs des passages de cette lettre
« Un exemple d’exagération extraordinaire est cet enthousiasme stupide des gens de Murrâkush pour l’expression Sba’atu rijâl.
«. Ce qu’il importe, c’est d’imiter ces 7 personnages, mais non de les considérer comme des dieux, ce qui aurait les mêmes conséquences qu’autrefois le culte de Yaghût, de Ya’ûq et de Nasr, etc. » Quelle vérité il a exprimée (Dieu lui fasse miséricorde !) Combien d’erreurs et d’impiétés n’ont eu d’autre origine que l’exagération de la vénération. Les Chrétiens ne sont dans l’erreur que par suite de leurs exagérations en ce qui concerne Jésus et sa mère (sur eux soit le salut !). Dieu Très Haut a dit :
« O gens qui suivez le Livre, n’exagérez pas votre religion et ne dites de Dieu que la vérité. » Telle est encore l’histoire de Yaghût, de Ya’ûq et de Nasr qui est citée plus haut et qui se trouve dans le Sahîh et dans les livres d’exégèse.
Ibn Ishâq raconte dans la Sîra que l’adoration des pierres en Arabie vient de ce que le peuple d’Ismâ’îl (sur lui soit le salut ayant augmenté autour du temple sacré et se trouvant à l’étroit dans les vallées de la Mekke, se répandit dans diverses contrées, emportant avec lui des pierres du temple pour en conserver la bénédiction. Chacun plaçait sa pierre dans sa maison, en faisait le tour, s’enjoignait et la vénérait. Dans la suite des temps, ils finirent par adorer ces pierres et par en adorer d’autres. Ils abandonnèrent ainsi le Dîn d’Ibrâhîm et d’Ismâ῾îl (sur eux soit le salut !), à l’exception d’un petit nombre qui lui restèrent fidèles jusqu’au jour où l’Islam vint les saluer. Tel est le sens des paroles d’Ibn Ishâq Ash-Shâfi῾î, et d’autres savants font à peu près le même récit, déclarant que l’exagération de la vénération est une des nombreuses causes de l’erreur. D’ailleurs, n’y aurait-il à ce sujet que l’histoire des Shî’a, elle serait suffisante.
En résumé, en toutes choses, il vaut mieux se tenir dans un juste milieu. C’est pourquoi le sultan Mawlay Slimân (Dieu lui fasse miséricorde !) avait aboli l’hérésie des mawsim dans le Maghrib, qui, par ma foi, méritait d’être abolie.
Que Dieu maintienne toujours humide la terre où il repose et le fasse demeurer au milieu des grands !
Dans le mois de ramadan 1227, Moîïlay Brâhîm fils de ce Sultan, revint du Hijâz et débarqua à Tanger. Il avait efl’ectué son voyage sur un corsaire anglais. Celui de ses corsaires sur lequel son père (Dieu lui fasse miséricorde !) lui avait fait faire la traversée jusqu’à Alexandrie se trouvant à l’île de Malte à son retour, ce Commandeur avait pris pas sage avec quelques jeunes gens de sa suite sur un corsaire anglais pour arriver plus tôt à Tanger. De cette ville, il se rendit auprès de son père à Miknâs. Il y demeura 3 jours pour se reposer, et le quitta pour rentrer chez lui à il Fâs. Le Jaysh des Udaya, les shurfa de la ville, les savants et tout le peuple allèrent à sa rencontre pour lui témoigner leur joie, leur allégresse. Le jour de son entrée dans la ville fut une journée de fête.
Dès leur arrivée, ses compagnons célébrèrent à l’envi ses qualités, ses vertus, ses actes glorieux de générosité, ses hienfaits, ses œuvres pies sur tout le parcours du Hajj et particulièrement dans le Hijâz. Il avait, en effet, dépensé des sommes considérables pour les pauvres et les malheureux, et sa renommée s’était répandue dans les deux nobles sanctuaires, et de là jusqu’en Egypte, en Svrie et dans les deux ‘Iraq. Une fois épuisé l’argent dont il était porteur, il avait encore einprunlé aux négociants qui raccompagnaient, de très fortes sommes qu’il avait dépensées dans la voie de Dieu. Quand les prêteurs firent part au Sultan de ce que son fils leur avait emprunté, et lui présentèrent leur compte, il approuva la conduite de son fils, et ordonna (Dieu lui fasse miséricorde !) le remboursement à ces marchands de ce qu’ils avaient prêté et le payement du revenu de leur argent, dans le but (le leur être agréable
« Vous vous livrez au commerce, leur dit-il, pour accroître vos biens, je ne dois rien vous faire perdre du bénéfice de votre argent. Pour moi, mon bénéfice consiste dans les dépenses qu’a effectuées mon fils dans la voie de Dieu. »
Un grand nombre de lettrés, en Maçr notamment, célébrèrent ce Commandeur dans de précieuses Qasida, et parmi eux, le fqîh très docte, le lettré Abû Ishâq Brâhîm bn ‘Abd Al-Qâdir Ar-Riyâhi At-Tûnsi. Celui-ci envoya au Sultan son père une belle qasida où il fit l’éloge de son fils, le félicita de son retour et célébra en même temps le souverain. Charmé, le Sultan en lit dresser des copies par les secrétaires de son gouvernement: l’un d’eux en fit même le commentaire.
Le fqîh, le très docte, le lettré Abû Al-Fâ’îd Hamdûn Al-Hajj Al-Fâsi renchérit sur cette qasîda par une autre du même mètre, sur la même rime et traitant le même sujet.
Cette même année, mourut le sharîf baraka ‘Ali bn Mawlay Ahmad Al-Wazzâni, le mardi, dernier jour de Rabî’ I 1226.
Expédition du sultan Mawlay Slîmân dans le Rîf et ses motifs.
En 1227, le Sultan apprit que les tribus du Rîf, notamment celle de Ghaliya, emportaient le blé de leur pays et le vendaient aux Chrétiens. Il donna au gouverneur des places fortes, Abû ‘Abdallah Muhammad As-Slâwi, le commandement de troupes importantes et l’envoya contre ces populations. Le gouverneur dirigea d’abord ses opérations contre les Ghaliya qui étaient les plus coupables. Arrivé en vue de cette tribu, il expédia des groupes de soldats qui pillèrent leurs biens, brûlèrent leurs villages, dévastèrent leurs champs et leurs maisons, et les laissèrent plus pauvres que Ibn Elmoudallaq. Puis il dispersa les ‘âmil-s placés sous ses ordres dans les tribus. Ceux-ci levèrent les impôts et se tirent intégralement payer les zakât et les ‘ashûr-s. Ce gouverneur s’en retourna quand il eut heureusement terminé sa campagne.
Cette annéelà, le vendredi matin 17 muharram, mourut le shaykh très docte, l’imâm, le dernier des scrutateurs du Maghrib, Sidi Muhammad At-Tayib bn ‘Abd Al-Mjîd bn ‘Abd As-Slâm bn Kirân Al-Fâsi, auteur d’ouvrages remarquables, de gloses marginales et autres travaux bien connus qui se trouvent entre toutes les mains comme le commentaire de Al-Hikam Al-‘Atâqya ?? et celui de la Sîra An-Nabawiya.
Au cours de l’année 1228, le Sultan apprit de nouveau que les gens du Rîf, non seulement continuaient de vendre du blé aux Chrétiens, mais encore leur vendaient des animaux, alors qu’il avait interdit aux Chrétiens l’exportation de ces articles par les ports. Ces gens allaient donc contre ses volontés, d’autant plus qu’ils avaient cédé aux Chrétiens tout ce que ceux-ci avaient voulu, par seul amour du lucre.
Le qâ’îd Muhammad As-Slâwi avait pour instructions d’empèchcr ce commerce.
Le Sultan l’avail nommé, dans ce but, gouverneur de ces tribus qui avaient été ajointes à son commandement étendu déjà sur les tribus du Jbal et des ports, mais il n’exerçait pas de surveillance sur elles. Il mettait, dit-on, en liberté, pour de l’argent, les mauvais sujets qui se livraient à ces agissements quand les braves gens les arrêtaient et les lui envoyaient. Aussi le désordre avait pris de grandes proportions et tous y participaient. Dès qu’il acquit la certitude de leur conduite, le Sultan donna l’ordre aux capitaines de ses corsaires de se rendre sur les côtes et dans les ports du Pu’f, et d’y capturer tous les bateaux chrétiens qu’ils y rencontreraient. Les corsaires se mirent en route et appréhendèrent un certain nombre de chrétiens qu’ils firent prisonniers. Non content de ce succès, il décida de réunir une expédition pour razzier le Rîf et résolut de s’y rendre en personne. Il donna les ordres voulus aux populations et fit préparer les troupes par son qâ’îd Muhammad As-Slâwi, en compagnie duquel il fit partir son fils Mawlay lîrâhim avec les soldats des ports et les Arabs Sufiân et Bni Khâlid ??. Ces troupes suivirent le chemin du Jbal, tandis que le Sultan quittait Fâs, au cours de cette année, à la tête du plus fort contingent et suivait la grande route jusqu’à Tâza et au Gàrét. A peine avait il pénétré dans le Rif que les soldats cernaient les tribus de tous côtés, les livraient au pillage, incendiaient les villages et s’emparaient des mers et des silos. Le Sultan donna comme gouverneur à ce pays Ahmad bn ‘Abd As-Sâdiq Ar-Rfi, et l’y laissa avec un corps de soldats pour s’emparer des biens des habitants. Puis il revint à sa capitale, ̃après avoir affirmé son autorité et complètement triomphé.
Le sultan Mawlay Slimân se rend dans le Hawz, le pacifie et rentre à Murrâkush.
Le sultan Mawlay Slimân (Dieu lui fasse miséricorde !) avait donné le commandement des tribus du Tâmisna au Qâ’îd Al-Harizi. Ce gouverneur tyrannisa, dit-on, ces tribus, qui voulurent se soustraire à son obéissance, et se révoltèrent contre lui. Il se rendit alors auprès du Sultan pour lui demander son appui. Mawlay Slîmân emmena ses troupes en 1230 pour marcher contre elles, et ordonna aux tribus voisines de les attaquer par derrière, tandis qu’il les assaillirait par devant, il leur infligea une rude attaque qui détruisit tous leurs biens liquides et le rendit maître de leurs femmes et de leurs enfants. Un certain nombre de gens prirent la fuite et voulurent franchir le Wad Umm Ar-Rbi’a, mais c’était le moment de la crue, et ils périrent presque tous. Il laissa dans le pays le gouverneur qu’il avait nommé, et lui donna un certain nombre d’hommes pour s’emparer des biens des habitants.
De là, il marcha dans la direction de Murrâkush pour châtier les mauvais sujets des tribus du Hawz, Dûkkàla, ‘Abda et Shiyâdma, qui s’étaient aussi insurgés contre leur ‘âmil Al-Hâjj Muhammad bn ‘Abdessâdeq, gouverneur d’As-Swîra. Après les avoir calmés et destitué ce gouverneur dont il constata les malversations, il le transféra d’As-Swîra à Murrâkush, puis à Fâs, et nomma son frère Abû Al-’Abbâs Ahmad, gouverneur des troupes de la qasba de Murrâkush. Il reprit ensuite la route du Gharb (Dieu lui fasse miséricorde !).
Le 13 ramadan de cette année là, mourut le shaykh très docte, le fqîh, l’imâm Abû ‘Abdallah Muhammad bn Ahmad bn Muhammad bn Yûsuf Al-Hâjj Ar-Rhûni, auteur de la grande glose marginale sur le Mukhlasat du shaykh Khalil et de nombreux ouvrages utiles et discours brillants. Sa supériorité comme savant et surtout comme fqîh est bien établie et notoire. Dieu lui lasse miséricorde et nous fasse bénéficier de ses vertus !
Dans la nuit du dimanche au lundi 15 shawâl de cette année-là, mourut le shaykh savant, l’imùm Abû Al-’Abbâs Ahmad At-Tijjânî, shaykh de la confrérie Tijjâniya. Sa mort survint à Fâs c’est là que se trouve sou tombeau, sur lequel a été édifiée une construction magnifique. Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse bénéficier de ses vertus.
Le sultan Mawlay Slîmàn razzie les tribus du Sahara et châtie les Aït ‘Atta motifs de cette expédition
En 1231, le sultan Mawlay Slîmân apprit que diverses tribus du Sahara, notamment les Arabs As-Sbbûh, et les Berbers Aït ‘Atta se livraient au désordre, et avaient commis de tels excès qu’ils s’étaient emparé des qçûr établis par le Makhzen dans cette région sous le règne au du sultan Mawlay Ismâ’îl. Il confia à son fils Mawlay Brâhim le commandement de troupes nombreuses et l’envoya contre ces tribus. Ce Commandeur se mit en route et commença par s’établir auprès des qçûr des ‘Arab-s; il les assiégea et les mit en déroute. Puis il s’attaqua aux qçûr des Ait ‘Atta, les assiégea et les cerna de si près que les habitants sollicitèrent l’Amân. Quand il le leur eut accorde, ils demandèrent que les soldats s’éloignassent un peu, pour faire sortir leurs femmes, qui craignaient d’être déshonorées par les troupes. Pris de compassion, il céda à leurs instances, mais ce n’était qu’une ruse de leur part, car à peine les soldats s’étaient-ils éloignés, qu’ils en profitèrent pour introduire dans leurs qçûr, comme ils voulurent, des combattants, des armes, des vivres et recommencèrent le combat. Mécontent, Mawlay Brahîm voulut user de représailles. Comme il avait avec lui plusieurs notables de la tribu comme otages, il en tua quelques-uns et emmena les autres, qui étaient au nombre d’une centaine environ, à Fâs, où il les égorgea a Bâb Al-Mahrûq.
Quand il apprit la conduite des Berbers, le Sultan désapprouva son fils d’avoir écarté d’eux l’armée, d’abord, et tué les otages, en second lieu. Ceux-ci lui envoyèrent une députation, pour lui exprimer leur désir de rester dans les qçûr, mais il repoussa leur demande par cette réponse
« Il faut, dit-il, que je me rende en personne dans ces qçûr, si Dieu le veut car ils me reviennent plutôt qu’à vous. »
A peine, le ramadan de cette année là terminé, le Sul’tan eût-il célébré la ‘ayd al-fitr, qu’il se mit à réunir les troupes qui devaient partir pour le Sahara et réprimer les excès des Ait ‘Atta. Il fit partir d’abord une avant-garde nombreuse composée du Jaysh Al-‘Abid, commandée par son nègre distingué, le qâ’îd Ahmad bn Mbârak, intendant du Sceau il expédia avec lui les artilleurs avec les canons et les mortiers et tout l’appareil de siège et de bombardement. Ce corps de troupes quitta Fâs en brillant cortège, donnant l’impression d’une force invincible.
Après leur départ, le Sultan reçut d’un des ports la nouvelle que l’escadre de l’ennemi parcourait la mer et devait se réunir à Gibraltar: nous ne savions pas où elle devait se rendre. Le Sultan attendit, pour se mettre en route, des informations sur cette escadre. Il apprit, dans la suite, qu’elle avait fait route vers le port d’Alger, que les Européens avaient pu y commettre des dégâts considérables en détruisant des forts, démolissant des mosquées et des maisons et brûlant des arbres, mais qu’ils s’étaient néanmoins retirés en déroute après avoir eu beaucoup de morts, et qu’alors le calme avait été rétabli et le malheur réparé. L’arrivée du messager qui apportait la nouvelle de la défaite des Européens devant Alger affermit la résolution du Sultan d’aller rejoindre les soldats qu’il avait envoyés en avant dans le Sahara. Dès les premiers jours de doùlqa’da de la même année, il partit à la tête des soldats restés avec lui et des tribus arabes et berbères, et accéléra sa marche. Après le passage du Wad Molouiya, il rencontra un messager qui venait lui annoncer la victoire, la prise des qçûr, le massacre de leurs habitants et le pillage de leurs marchandises et de leurs biens. Il continua sa route jusqu’à Agrîs où il campa. De ta,il écrivit au qâ’îd Ahmad de venir le rejoindre avec l’année dans le pays de Ferkla, pour attaquer les qçûr d’Elkherbàt où résidaient les Aït ‘Atta. Les troupes y retrouvèrent le Sultan, et braquèrent sur les qçûr leurs canons et leurs mortiers. Le bombardement dura trois jours en présence des dégâts causés par les project-iles et du nombre de leurs morts, les habitants crurent voir venir la mort rouge, et envoyèrent les femmes et les enfants auprès du Sultan pour implorer de lui la permission de se retirer seuls. L’Amân leur fut accordé, et ils s’en allèrent pendant la nuit, emportant leurs enfants sur leur dos, dans la crainte des insultes de l’armée.
Le lendemain, le Sultan fit enlever tout ce qui se trouvait dans les qçûr, comme vivres, ustensiles divers et animaux. Ainsi fut terminée la conquête de ces qçûr qui étaient une menace continuelle pour les habitants de cette région du Sahara.
Le Sultan remercia Dieu de la belle victoire qu’il lui avait fait remporter, en distribuant à ses troupes et aux tribus de ce pays les nombreux biens dont il les avait comblés.
« Il donna, dit l’auteur du Jaysh, 100.000 mitsqàls aux chérîfs, en plus de leur allocation annuelle, et dressa de sa propre main une liste de partage de cette somme qui fut répartie entre la famille de Mawlay ‘Abdallah, tes sharîfas I.Iammo Hekka, les chérîfs de Tâfïléït, les sharîfs de Tîzimi et les Oulàd Ezzohra, les sharîfs d’Erreteb, les sharîfs de Mdagra, ceux de Tîz, d’Elkheneg et d’Elqsâbi. Il donna, suivant une liste de partage écrite de sa main, 100.000 milsqâls aux tolba, aux aveugles, aux infirmes, aux incurables et aux zdouyas de Tâfilélt.
Le fqih professeur eut quatre parts et un autre fqîh deux parts qu’il détermina. Les tûlébs qui connaissaient le Coran absolument par cœur et suivant les règles consacrées, au point de pouvoir l’écrire de mémoire sur leurs tablettes sans faire une seule faute, reçurent deux parts les autres en reçurent une seule, dont il désigna le montant, sans faire de distinction entre les Ahrâr et les Harrâtîn. Les pauvres, les aveugles et les infirmes, Ahrâr ou Harrâtîn, eurent chacun une somme qu’il fixa. Les Zâwiyas suivantes eurent chacune leur allocation zaouva du shaykh Sidi Elgâzi, zàouya de Sidi Boù Bkeur bn Omar, Zâwiya de Sidi Ahmad Elhabib, zàouya de Sîdi ‘Ali hen ‘Abdallah, Zâwiya du mausolée de Mawlay ‘Ali Ash-Sharîf et cimetière tl’Akhennoùs. L’argent fut envoyé par Yamîn Si Al-Ma῾ti Mrino Errebâti, et les sharîfs furent chargés de désigner 40 d’entre eux entièrement sûrs et de confiance, pour présider à la distribution, de façon à assurer l’intégralité du versement des sommes lixées par le Sultan de même, le Qâdî reçut l’ordre de nommer 10 Tulba et 10 autres personnes pour s’occuper de cette opération. Le Sultan ordonna, de plus, de verser encore d’autres sommes aux Mudarris, aux Imâms Mu’aḏḏin. De cette façon, il n’oublia personne. Tout le partage fut écrit de sa main (Dieu lui fasse miséricorde !).
« Cette liste, ajoute l’auteur du Jaysh, est encore entre mes mains. »
Après avoir terminé sa Ziâra et visité ses parents, le Sultan parti pour Murrâkush par la route d’Elfâïja, afin d’y inspecter les troupes du Hawz qu’il avait envoyées de cette ville dans le pays de Dra’. JI apprit en chemin que les Aït Àtta de Drâ’ s’étaient enfuis de leurs qçûr, a la nouvelle de son approche, et les avaient abandonnés pour se fortifier dans le Jebel Sâgro. Arrivé à Murrâkush, il expédia des soldats dans le Sûs, pour étudier la situation du pays, lever les impôts et pacifier la contrée. De son côté, il donna ses soins à rétablir l’ordre parmi les tribus du Hawz, Dûkkâla, ‘Abda et Shiyâdma. Quand il eut opéré des exécutions, effectué des razzias, des emprisonnements, nommé de nouveaux ‘âmil-s, et purgé le pays des mauvais fonctionnaires qui l’administraient, il retourna à sa capitale de Fâs, où il arriva en 1232. Dès son arrivée, il organisa le départ de ses fils Mawlay ‘Ali et Mawlay ‘Omar pour le Hâjjage. Quand leurs préparatifs furent terminés, il désigna les serviteurs, les négociants et les autres personnes de leur suite qui devaient partir avec eux. Ils se mirent en route avec la caravane prophétique avec le cérémonial habituel, sous la protection de Dieu.
Cette année là, le Sultan destitua son Wusif Bn ‘Abd As-Sâdiq du gouvernement de Fâs, et le remplaça par son secrétaire Abû Al-‘Abbâs Ahmad Ar-Rifâ῾î Ar-Rabitî, surnommé Al-Qastâli, qui, de précepteur de ses enfants, passa ainsi à la dignité de gouverneur il lui recommanda de se montrer juste envers les pauvres et les faibles, et d’être très sévère pour les mauvais sujets et les agitateurs.
Dans la soirée du lundi 7 rabi’ II de la même année, mourut le shaykh très docte, le scrutateur, le délicat, l’élo quent Abû Al-Fâ’îd Hamdûn bn ‘Abd Ar-Rahmân As-Sulami Al-Mrdâsi, connu sous le nom de Al-Hâjj, auteur de beaux ouvrages, pleins d’utiles beautés, de discours excellents et de jugements parfaits. Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse bénéficier de ses mérites
En 1233, le Sultan retira le gouvernement de Fâs au fqîh Abû Al-‘Abbâs, qui était impuissant à remplir ses fonctions, et le donna à son serviteur Al-Hâjj Abû ‘Abdallah Muhammad As-Saffâr, qui appartenait à une famille de fonctionnaires.
La même année, il renonça définitivement à la guerre sainte sur mer, et défendit aux capitaines de ses navires de faire la course contre les nations européennes. Un certain nombre de ses corsaires furent donnés aux pays voisins, comme Alger et Tripoli les autres furent désarmés de leurs canons et de leurs autres engins de guerre. Il renonça complètement à sa marine, qui, cependant, au témoignage de Manuel, était composée de navires plus nombreux et plus beaux que ceux du Possesseur d’Alger et de celui de Tunis.
La même année, les deux fils du Sultan, Mawlay ‘Ali et Mawlay ‘Omar, revinrent d’Orient avec les Hâjj-s, et débarquèrent à Tanger. Le Sultan leur avait envoyé à Alexandrie un bateau anglais, sur lequel ils s’étaient embarqués avec tous les négociants et serviteurs qui les accompagnaient, ainsi que les autres Hâjjs. La peste éclata dans le Maghrib après leur débarquement à Tanger, apportée par eux, dirent les gens. Elle se propagea d’abord sur ces côtes de là, elle se répandit dans les villes et les campagnes elle avait atteint, avant la fin de l’année, Fâs et Miknâs.
L’année suivante (1234), elle augmenta et ravagea surtout la région du Garb. Le Sultan partit pour Murrâkush, au moment où le caractère de la maladie n’était pas encore déterminé. L’épidémie s’aggrava encore et devint terrible elle fit de nombreuses victimes, parmi lesquelles le shaykh, le marabout béni Sîdi Al-‘Arbi, fils du célèbre saint Sîdi Al-Ma’ti bn As-Sâlâh Ash-Sharqâwi, dont le tombeau est illustre à Bûja’d (Dieu lui fasse miséricorde et nous fasse bénéficier de ses mérites et de ceux de ses ancêtres Ainsi soit-il !).
Affaire des Zayân ce qui arriva au sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde ) dans cette affaire
Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !), qui était entré à Murrâkush en l’année 1234, y demeura jusqu’au mois de Rajab. A partir de cette date, il prépara une expédition contre les Berbers de Fêzzâz, les Ait U Mâlou, qui appartiennent au peuple des Sanhâja. Cette expédition est connue sous le nom d’afl’aire de Zayân, du nom d’une des fractions de cette confédération. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) convoqua pour cette expédition tous les Arabs du Hawz, et écrivit aux ‘Abids de Miknâs de venir le rejoindre à Tâdla. Il ordonna à son fils, Mawlay Brâhîm, khalîfa à Fâs, de s’y rendre également avec le Jaysh des Udaya et celui des Shrâga, avec les ‘Arab-s du Garb, les Berbers et les soldats des ports. La population était alors dans une grande détresse, à cause de la peste qui ravageait les villes et les campagnes. Le Sultan ignorait d’ailleurs, au moment où il convoqua les tribus, que l’épidémie sévissait si fortement dans le Gharb le devoir de son fils eût été de le renseigner sur la panique provoquée par la maladie parmi les populations son père les eut dispensées de cette expédition, ou l’eut différée. Le fils du Sultan réunit donc les contingents qui, presque tous, partirent à contrecœur, et se rendit au point fixé par son père qu’il trouva dans le Tâdla. Près de 60 000 hommes, dit-on, étaient réunis auprès du Sultan. Mawlay Slîmân marcha alors contre les Berbers. Arrivé à la plaine d’Adekhsân où se trouvent leurs terrains de culture et leurs champs, il envoya ses troupes fouler leurs cultures qui s’étendaient sur un vaste territoire.
En les voyant, les Berbers envoyèrent leurs femmes et leurs enfants auprès du Sultan pour le fléchir en lui promettant que, s’il voulait s’éloigner, ils lui donneraient, tout l’argent qu’il exigerait. Mais il repoussa leurs prières, continua sa marche en avant et, un beau jour, leur livra combat jusqu’à la nuit.
Un témoin de cette bataille m’a raconté que les combattants, ce jour-là, étaient composés des ‘Arab-s du Garb et des Berbers Zemmûr, Garwân et Ait Idrâsén. Mais la mort frappa seulement les ‘Arab-s tandis que les Berbers n’étaient pas touchés. En voici la raison : le chef des Zemmoûr, Al-Hâjj Muhammad bn Al-Ghâzi, s’était mis d’accord avec les Zayân, à qui il avait dit :
« Il n’est pas de différence entre vous et nous. S’il y a rencontre, nous tirerons à blanc les uns sur les autres. »
Bn Ghâzi avait fait cela, parce que, le premier jour de combat, le Sultan n’ayant fait marcher que les Berbers, en réservant les ‘Arab-s du Hawz, ceux-là l’avaient soupçonné de vouloir faire se battre les Berbers ensemble pour épargner les ‘Arab-s.
Mais quand les combattant ‘Arab-s revinrent le soir auprès du Sultan, ils l’informèrent de ce qui s’était passé. « Les Berbers qui sont avec nous, lui dirent-ils, ne sont pas sûrs. Ils ont passé toute la journée à se tirer à blanc les uns sur les autres. C’est pourquoi tant de nos frères ont été tués tandis que pas un seul d’entre eux n’a péri. »
Le Sultan garda le secret pour lui et ne laissa rien voir. Le lendemain, quand tout le monde fut à cheval pour partir au combat, il envoya dire aux Berbers que pas un seul d’entre eux ne devait monter à cheval.
« Je veux éprouver les ‘Arab-s aujourd’hui, dit-il, et me rendre compte de leur valeur. »
Les Berbers obéirent en apparence, et tandis que les ‘Arab-s allaient se battre, ils restèrent dans leurs tentes.
Mais vers le milieu de la journée, ils montèrent tous à cheval et partirent au galop dans la direction des ‘Arab-s. Je les vis, m’a raconté mon informateur, au moment où ils se mirent en selle. De quelque côté que je regardasse, je ne voyais que du rouge, tant était considérable le nombre des selles de leurs chevaux. Les Berbers se mirent ensuite à s’appeler à grands cris, et se dirigeant avec leurs étendards du côté du champ de bataille, ils allèrent en criant derrière les ‘Arab-s qui étaient aux prises avec l’ennemi. Ceux-ci n’entendirent plus que les vociférations des Berbers qui étaient derrière eux, et virent leurs étendards qui les dominaient de tous côtés en nombre considérable.
Pensant que les Zayân les enveloppaient par derrière, ils se crurent perdus et faiblirent, puis reculèrent dans une déroute où le frère ne reconnaissait plus son frère. Les Berbers se ruèrent sur eux par devant et par derrière, les tuèrent et les dépouillèrent. Un grand trouble se produisit alors dans la Mhalla, qui fut à son tour entièrement battue. Il n’y restait plus que le Jaysh des Udaya et les ‘Abîds. Tel est le récit que m’a fait le témoin oculaire de cette affaire, qui est un homme digne de foi.
Cette bataille est rapportée de la façon suivante par l’auteur du Jaysh
« La défection des Berbers Zmmûr fut conseillée par leur chef Al-Hâjj Muhammad bn Al-Ghâzi. Celui-ci jouissait d’une haute situation auprès du gouvernement, mais le chef des Aït Idrâsén, Elhasan bn Hammu U ‘Aziz, avait une situation non moins élevée. Tandis que Mawlay Brâhîm, fils du Sultan, se rendait à cette expédition, le fils de U ‘Azîz sut se concilier la confiance de ce Commandeur dont il devint un des principaux familiers. Bn Al-Ghâzi en fut jaloux et manœuvra de façon à causer la déroute de l’armée tout entière. Au moment de la rencontre, en effet, il simula la retraite, les troupes se crurent perdues et furent battues. »
Vers le soir, les Berbers vinrent attaquer la Mhalla du Sultan et se livrèrent au pillage. Le corps des ‘Abîds se posta autour du camp et combattit les Berbers autour des tentes. La nuit venue, les Abids abandonnèrent les tentes pour défendre l’Afrâgh du Sultan. Le combat autour de l’Afrâgh dura jusqu’au moment du ‘Achâ. Un grand nombre de ‘Abîd-s périrent dans cette lutte qui eut lieu à l’arme blanche. Les serviteurs du Sultan continuèrent à former de leurs corps une barrière autour de lui, mais ils durent céder à leur tour.
Les Berbers arrivèrent jusqu’au Sultan. L’un d’eux, un homme des Bni Mgild, dit-on, voulut le dépouiller, mais le Sultan se fit connaître. Le Berber lui demanda de jurer qu’il était bien le Sultan, et quand il eut reçut son serment, il descendit de son cheval et le fit monter avec lui. Il l’emmena ainsi jusqu’à sa khëïma. Aux Berbers qui le rencontraient et demandaient qui il avait avec lui, il répondait que c’était son frère qui avait reçu une blessure.
Quand il l’eut amené ainsi à sa Khayma, il fit connaître que c’était le Sultan. Les femmes du Duwâr accoururent de tous côtés, manifestant leur joie et battant du tambour.
Puis elles vinrent baiser les pans de ses vêtements pour avoir sa bénédiction, et le regardèrent avec tant de curiosité, qu’il en fut incommodé. Quand les hommes du Duwâr revinrent, ils se montrèrent flattés de le voir parmi eux et lui témoignèrent beaucoup d’égards. Ils firent tout leur possible pour lui être agréables et le satisfaire, en lui apportant des tapis, de la nouriture et de la boisson. Mais le Sultan se méfiait d’eux. Il resta, dit-on, chez les Berbers, 3 jours sans manger ni boire, désolé qu’il était de ce qui lui était arrivé. Il se soutenait à peine avec un peu de lait et de dattes. Les Berbers se disculpèrent de l’affaire qui s’était produite entre eux et lui, et se montrèrent envers lui des plus humbles et des plus doux. Ils garrottèrent même leurs femmes pour les amener devant lui et s’en faire des intercesseurs, selon leur habitude. Au bout de 3 jours, ils le firent monter à cheval et le conduisirent avec une escorte de cavaliers jusqu’à la qasba d’Agûrây dans le voisinage de laquelle ils le firent camper. De là, il envoya prévenir le Jaysh de Miknâs de l’endroit où il se trouvait. Ses soldats accoururent en toute hâte, et il rentra à Miknâs, non sans avoir généreusement récompensé le jeune Berber et tous les habitants de son Duwâr.
Il ordonna (Dieu lui fasse miséricorde !) de remettre à tous ceux qui avaient été dépouillés dans la défaite un Hayk et 30 Uqiya. Une distribution considérable eut lieu à Miknâs, à Bab Mançûr Al-‘Alj.
Mawlay Brâhîm, fils du Sultan, reçut dans cette aflaire de nombreuses blessures, parmi lesquelles une très grave à la tête. Il fut emporté, blessé, à Fâs et y mourut. Le Sultan fut plus désolé de cette mort que de ce qui lui était arrivé à lui-même. Tout appartient à Dieu seul ! L’auteur du Jaysh dit que Sîdi Muhammad bn ‘Abdallâh, le Sultan énergique, ne repoussait jamais les supplications dont il était l’objet dans des affaires analogues; il allait même jusqu’à les provoquer secrètement, afin d’avoir toujours un départ honorable c’était d’un habile politique.
Cette malheureuse aflaire détruisit le respect du sultan Mawlay Slîmân dans le cœur de ses sujets, car, dorénavant, il ne pourra plus faire respecter ses ordres par les révoltés jusqu’au jour où il se trouvera face à face avec le Très-Haut.
L’année suivante (1235), les brigandages des Berbers ne firent qu’augmenter. Ils dépouillèrent les caravanes et allèrent jusqu’à s’attaquer aux cultures et aux pâturages de Miknâs. Mais le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) sut tendre un piège à leur avidité et les y faire tomber.
En effet, dès que quelques Berbers arrivaient auprès de lui, il leur donnait des vêtements et d’autres cadeaux. Le bruit de cette générosité se répandit parmi eux, si bien que, conduits par l’avidité, 700 cavaliers notables vinrent en une seule fois le saluer. Il les fit arrêter, leur fit saisir leurs chevaux et leurs armes, et les mit en prison. II ordonna ensuite l’arrestation de tous les Berbers qu’on trouverait dans les marchés de Miknâs et de Sfrû. Environ 300 Ait Yûsi furent arrêtés à Sfrû.
Cette répression ne lit qu’augmenter la révolte des Berbers. En effet, prenant parti pour leurs frères emprisonnés, ils descendirent sur Miknâs et l’assiégèrent, conduits par leur Djjâl Bû Bakr Mhâwush. Ils se coalisèrent tous et ne formèrent plus qu’un seul parti contre quiconque parlait l’arabe dans le Maghrib.
Mhâwush, à ce moment-là, était parvenu à dominer la situation. Lorsque le Sultan avait résolu de razzier les Berbers, il leur avait promis qu’ils triompheraient. Ses prédictions s’étant réalisées, ils lui avaient donné leur confiance et s’étaient soulevés en le prenant comme chef. C’est ainsi qu’ils avaient marché sur Miknâs. Ils y interceptèrent toutes les communications du Sultan, qui, Dieu lui fasse miséricorde cherchait à les dompter, tantôt par la guerre, tantôt par la paix. Quand ils lui demandèrent la liberté de leurs prisonniers en échange de leur retour à l’obéissance et de leur soumission à la loicommune, il la leur accorda par l’intermédiaire du Mrâbit Abû Muhammad ‘Abdallah bn Hamza El’ayyâchi. Mais, une fois rentrés en possession de leurs frères, ils violèrent la promesse qu’ils avaient donnée au Mrâbet, et recommencèrent à exercer le brigandage et à pillerles caravanes. Les tribus arabes suivirent bientôt leur exemple. Tireurs et archers se confondirent, la situation devint très grave, et la sangle passa au delà des mamelles. Aussi, combien est exact le très docte Abû Marwân ‘Abd Al-Mâlik At-Tâjmûtî, quand il dit
« Ce sont des Berbers, n’espérez pas les attirer à vous. Demandez plutôt à Dieu de hâter leur éloignement.
« Puisse Dieu ne réaliser les espérances d’aucun de leurs cœurs qu’il réalise, au contraire, ce que mon cœur souhaite »
Le prestige du Sultan était complètement détruit et on ne le respectait plus. Des tribus, l’insubordination gagna l’armée. Les ‘Abids se révoltèrent contre leur chef, le qâ’îd Ahmad bn Mbârak, intendant du Sceau, et le tuèrent pour marquer leur hostilité envers le Sultan, bien que ce personnage fût un des principaux du gouvernement, par sa générosité, son expérience, sa piété et la confiance que lui témoignait le Sultan pour toutes ses affaires importantes. Après l’avoir tué, ils s’en excusèrent par des prétextes mensongers au Sultan, qui feignit de les accepter en cachant ses dispositions à leur égard.
« Le qâ’îd Ahmad, dit Akhensûs, ses ancêtres et ses frères, avaient été cédés par le sultan Sîdi Muhammad bn’Abdallah à son fils Mawlay Slimân. Le qâ’îd Ahmad avait grandi sous la protection de ce Commandeur et s’était imprégné de son caractère depuis son enfance jusqu’à sa mort. Sa vie fut intimement liée à la fortune du sultan juste Mawlay Slîmân du jour où il fut tué en 1235 (Dieu lui fasse miséricorde !) jusqu’à la mort de ce Commandeur, il n’y eut plus d’union dans l’Empire.
Explications sur la famille de Mhâwush, sur ses débuts et sur la situation qu’elle parvint à occuper
Le personnage important de cette famille, sous le règne du sultan Sidi Muhammad bn ‘Abdallâh, fut Muhammad U Nâçir. U, dans la langue des Berbers, signifie « fils ». Son père était un mrâbet des Aït Mhâwush, fraction des Aït Sakhmân. Son aïeul, Bû Bakr, était un des disciples du shaykh Abû Al-‘Abbâs Sîdi Ahmad bn Nâçir Ad-Dar῾i (Dieu lui fasse miséricorde !). Dans une des conversations de ce shaykh, il fut un jour question du Dajjâl. «
Le Dajjâl, dit-il, quand il apparaîtra, donnera le jour à d’autres Dajjâl, parmi lesquels sera Mhâwush, c’est-à-dire parmi lesquels sera le fils de l’homme que voici. En efl’et, Muhammad U Nâçir, arrivé à l’adolescence, étudia le Qur’ân, l’arabe et la jurisprudence, et acquit de la loi sainte une connaissance assez avancée. Puis il se livra à la piété et à l’ascétisme, ne revêtant plus que des costumes grossiers.
On dit même qu’il parvint à une sorte de science des choses occultes qui le rendit fameux chez les Berbers et lui attira leur attachement. Il devint célèbre sous le règne du sultan Sidi Muhammad bn ‘Abdallâh, qui, dès qu’il eut connaissance de sa notoriété, attaqua la tribu de Garwân qui le servait et la livra au pillage à cause de lui. Mhâwûsh s’en
fuit alors sur les sommets des montagnes, et y demeura caché jusqu’à l’avènement du sultan Mawlay Yazîd (Dieu lui fasse miséricorde !). Ce souverain avait été en rapports avec Mhawûsh avant d’arriver au pouvoir, au moment où il fuyait son père. Il s’était réfugié chez lui, comme nous l’avons rapporté, et avait reçu de Mhawûsh protections et cadeaux. Lorsque ce Commandeur monta sur le trône, Mhawûsh se rendit auprès de lui, avec un certain nombre de ses gens, et reçut un aimable accueil de Mawlay Yazîd, qui lui fit cadeau de 10.000 douros pour lui et de 100 000 douros pour ceux qui étaient venus avec lui. En mourant, Muhammad U Nâçir laissa plusieurs fils, dont les aînés furent Bû Bakr, Muhammad et Al-Hasan. Mais ils ne continuèrent la tradition de leur père que comme Dajjâl, et dans le fait d’abuser de l’ignorance des Berbers et de les inciter à la désobéissance au Sultan. Ils ne possédaient pas, comme leur père, cette supériorité dans la bienfaisance et la piété. Ils conservèrent l’autorité sur les habitants du Jebel Fêzzâz, qui croyaient en eux et respectaient leurs instructions. Quand vint le règne du sultan Mawlay Slîmân, et plus tard la défaite que nous avons rapportée, les Berbers, riches des chevaux et des armes du Makhzen, des ustensiles de l’armée et de ses objets de literie, étaient dans l’allégresse et crurent que toute cette richesse leur venait uniquement de la bénédiction de Mhawûsh qui la leur avait prédite. Sa considération s’enracina dans leur cœur et leur obéissance à ses ordres ne fit que se fortifier ils ne se révoltèrent contre le Sultan que sur ses instigations. Mais son autorité perfide était bornée aux gens qui parlaient sa langue et habitaient le même pays elle ne s’étendait pas à d’autres populations. Longtemps après, les lampes de cette autorité s’éteignirent et elle est encore de nos jours presque nulle. Dieu l’emporte toujours.
La sédition éclate à Fâs dont les habitants se révoltent contre leur gouverneur As-Saffâr
Les révoltes contre le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) venaient les unes après les autres on l’abandonnait pour se retourner contre lui, et la population était livrée à l’anarchie, comme si elle n’avait pas de Sultan. C’est alors que la populace de Fâs se souleva contre le gouverneur Al-Hâjj Muhammad As-Saffâr, dont elle réclamait la destitution.
Mais un parti, formé des gens de son ‘Adwa, prit sa défense, et la ville se trouvant ainsi divisée, il en résulta des batailles, le sang fut répandu et les boutiques furent pillées on tira même des coups de fusil du haut du minaret de la mosquée d’Ar-Rçayf. En apprenant cela, le Sultan, qui, à Miknâs, était occupé à lutter contre le fléau des Berbers, en fut impatienté. Il écrivit aux habitants de Fâs une lettre pleine à la fois de conseils et de reproches, et ordonna à son fils Mawlay ‘Ali de la leur lire. Celui-ci les ayant réunis, leur en donna lecture ils l’écoutèrent et le comprirent.
Voici le texte de cette lettre :
Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux.
Que Dieu prie sur notre Seigneur Muhammad et sur sa famille et leur donne le salut
Aux habitants de Fâs, que le salut soit sur vous, ainsi que la miséricorde de Dieu et ses bénédictions
Ensuite,
L’Ottoman réside à Constantinople et ses ordres sont exécutés à Tlemcen, dans l’Inde et dans le Yemen. Les populations de ces régions ne l’ont jamais vu, et cependant elles se soumettent aux ordres de Dieu « O vous qui croyez, obéissez à Dieu, obéissez à son Prophète et à celui d’entre vous qui vous gouverne ».
Le Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !) ne rendait pas le mal pour le mal, mais il pardonnait généreusement.
Sachez qu’il y a trois espèces de ‘âmil-s, le ‘âmil qui se nourrit de gains illicites et les fait partager aux coquins et aux mauvais sujets, le ‘âmil qui ne mange pas, qui ne fait pas manger les autres, et qui fait rendre justice par l’oppresseur ; enfin, le ‘âmil qui mange seul et ne fait manger personne.
-Le premier de ces ‘âmil-s est aimé de la populace et des mauvais sujets, mais est haï de Dieu, du Sultan et des honnêtes gens.
-Le second est aimé de Dieu et il lui suffit d’être investi de la charge de faire exécuter les ordres du Sultan.
-Le troisième, qui, comme les ‘âmil-s d’aujourd’hui, mange seul, n’aide personne et ne soutient pas l’opprimé, est haï de Dieu, de son Prophète, du Sultan et de tout le monde.
Tel est le sens du hadîth « Ne convoite pas le bien d’autrui, tu seras aimé de ton prochain… » et du hadîth : « Il y trois sortes de ‘âmil-s… »
Si donc As-Saffâr avait eu chez lui une table garnie de vins et de mets enlevés dans les marchés, si les mauvais sujets et les libertins étaient venus déjeuner et dîner chez lui, s’il avait invité aujourd’hui Ben Kîrân, demain Ben Shaqrûn, et ensuite Bennis et Ben Jallûn, et qu’il ait partagé avec eux les amendes, ils l’auraient aimé et ne se seraient pas révoltés contre lui. Si vous aviez voulu vous montrer fidèles envers Dieu, son Prophète et son mandataire, vous auriez dû envoyer auprès de nous 3 d’entre vous, ou bien faire part de vos griefs à notre fils Mawlay ‘Ali (Dieu le rende vertueux !), qui nous en aurait informé.
Dites à As-Saffâr que les chiens ne se battent entre eux que pour la nourriture et les charognes. Quand vous voyez un chien à la porte de son maître, sans qu’il ait quelque chose devant lui, ne vous arrêtez pas mais quand vous le voyez manger, s’il fait semblant de ne pas vous voir, et vous laisse prendre votre part de sa nourriture, mangez avec lui et taisez-vous. Si, au contraire, il plisse le front et montre les dents, précipitez-vous sur lui et enlevez-lui ce qu’il tient entre ses pattes. Cet As-Saffâr n’a pas craint Dieu, il n’a pas observé la tempérance qui attire l’appui de Dieu, il n’a pas montré à ceux qui venaient le voir un visage souriant, et c’est pourquoi Dieu a permis qu’il fut ainsi renversé.
Yùsuf ibn Tâshfîn, voyant la prospérité de Ibn ‘Abbâd, dit :
« Tous ses serviteurs et ses auxiliaires ne sont-ils pas comme lui ?
-Non, lui répondit-on.
-Ils le détesteront tous, répartit-il, et lui susciteront toutes sortes de contrariétés parce qu’il garde tout pour lui. »
C’est que, pour supprimer le mal, il faut observer des règles que seuls comprennent les savants. Que de fois ne vous avons-Nous pas dit que ce sont les savants qui nient ce qui doit être nié et Nous faire part de ce qui se passe. Mais c’est la mollesse, l’inoccupation, l’inobservance de la prière qui vous ont amené à faire des choses dont il vous était interdit de parler.
La jeunesse, l’inoccupation et la fortune corrompent l’homme, et de quelle corruption !
Quant au trésor de Dieu et des Hubûs, Dieu en demandera compte à ceux qui y auront opéré des changements.
D’autre il était question avec vous du Maks, de la soie, de la cochenille, etc. Eh bien ! Je vois que Dieu en a fait justice. Pour la perversion, elle est habituellement le fait de ceux qui s’élèvent dans la révolte. Que de fois j’ai désiré y mettre un terme, mais je n’en ai pas trouvé le moyen. C’est que les principaux d’entre vous veulent rester dans leurs maisons et leurs jardins, et que je ne puis vous donner comme ‘Âmil que des étrangers, parce que vous ne leur portez pas envie, même s’ils mangent seuls (l’envieux ne désire-t-il pas la mauvaise fortune de celui qu’il envie ?), et des négociants ; parce que le négociant ne convoite le bien de personne et se contente de la considération et du respect pour augmenter ses biens. Examinez ce que je vous ai répondu et ce que vous nous avez écrit, et soumettez-le à vos docteurs. Celui qui dira la vérité sera pour nous: celui qui mentira prendra part à la révolte. »
Cette lettre fut commentée par le fqîh Abû ‘Abdallah Muhammad bn Bû Bakr bn ‘Abd Al-Krîm Al-Yâzghi.
Les habitants de Fâs avaient écrit au Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !), au sujet de leur gouverneur As-Saffâr, s’étaient excusés de leur rébellion contre lui en prétendant qu’il avait commis des actes désagréables à Dieu en vivant en lihertin et en s’attaquant aux femmes, ce qu’ils ne pouvaient approuver.
C’est pourquoi le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) leur répondit par la lettre cidessus.
Le Sultan quitte Miknâs pour se rendre à Fâs ce que lui firent les insolents Berbers en cours de route.
Nous avons vu que les Berhers avaient demandé la libération de leurs frères, en promettant qu’ils rentreraient dans le calme et qu’ils feraient leur soumission, mais lorsque le Sultan eut libéré les prisonniers, ils violèrent leur engagement et redoublèrent d’insubordination. Or, le Sultan, fatigué d’eux, remit cette affaire entre les mains de Dieu, et résolut de quitter Miknâs et de se rendre à Fâs où régnait le tumulte. Il donna, auparavant, le commandement de Miknâs et du corps des ‘Abîds à son fils Mawlay Elhasan, qui était instruit et énergique.
Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) sortit de Miknâs pendant la nuit, ce qui était très dangereux. Il marcha jusqu’au matin. Il avait dépassé Elmehdoùma et était déjà en vue de l’Wad An-Njâ, quand les Berbers apprirent qu’ilavait quitté la ville. Ils marchèrent à sa suite malgré les difficultés du terrain et pillèrent tous les retardataires de l’armée ils s’emparèrent aussi d’un grand nombre de muletiers du Sultan. Le Mrâbit béni, Abû Muhammad ‘Abdallâh bn Hamza Al-‘Ayyashi, qui était avec le Sultan cette nuit là, tenta d’empêcher les Berbers de s’attaquer à l’armée, mais il n’eut aucun succès, car s’il les retenait d’un côté, ils allaient attaquer dans une autre direction. Le Sultan arriva néanmoins à Fâs, encore plus irrité contre les Berbers.
Dès qu’il fut entré dans la ville, il donna l’ordre de mettre au pillage les maisons des Berbers habitant Fâs.
On dévalisa ainsi quiconque avait la moindre attache berbère, même ancienne. C’était provoquer la révolte et commettre une grande faute.
Le Sultan demeura à Fâs jusqu’au mois de Rajab de cette année là (1235). Puis il partit pour rétablir l’ordre dans la région d’Al-Habt. Il s’avança, dans ce voyage, jusqu’à Qçar Ktâma, pacifia le pays et fit ramener la sécurité sur les routes, puis se replia sur Ribât Al-Fath. Là, il reçut toutes les tribus du Hawz, Hâhâ, Shiyâdma, ‘Abda, Rhâmna, les Ahl As-Sûs, Srâghna, Zamrân et Dûkkâla, ainsi que les tribus des Shawiyia et du Tâdla.
Il eut aussi la visite des tribus de Bni Hsan, et des ‘Abîds du Diwân. A ce moment là, il arrêta près de 100 Zâ’îr qu’il mit en prison. Au commencement de Ramadan, il renvoya les ‘âmil-s des tribus à leurs résidences, et leur ordonna de revenir pour la ‘ayd al-fitr, avec les zekâls et ‘ashûr-s de leurs tribus. Il comptait alors demeurer à Ribât Al-Fath jusqu’à la célébration de la fête, puis, quand il aurait réuni les troupes, partir en expédition contre les Berbers. Il changea ensuite d’idée, et partit pour Murrâkush, le 10 ramadan, avec les tribus du Hawz.
Récit des troubles qui éclatèrent à Fâs et dans les environs après le départ du sultan Mawlay Slîmân pour Murrâkush.
Quand le sultan Mawlay Slnnân eut décidé de partir pour Murrâkush, il invita le corps des ‘Abids à se mettre en route avec lui. Voyant leur peu d’empressement et le peu de compte qu’ils tenaient de ses ordres, il cessa de s’occuper d’eux, et au bout d’un jour ou deux, il les quitta pour rester avec la Mhalla des gens du Hawz. Il choisit pour cela la qoubba du qâ’îd Muhammad bn Al-Jilâli Wuld Muhammad AS-Saghir As-Sarghîni. Le Sultan avait confiance en lui: il avait été son compagnon dans le malheur qui lui était arrivé chez les Zayân. Bn Al-Jilâli avait été fait prisonnier par eux et n’avait dû sa liberté qu’à la demande du Sultan, avec qui il était venu à Miknâs, comme nous l’avons rapporté.
L’entrée du Sultan dans la Mhalla des gens du Hawz accrut les desseins pervers des ‘Abids. Comme le Sultan partait ainsi pour Murrâkush, laissant entre leurs mains ses tentes et ses eil’ets, ils se les partagèrent et retournèrent à Miknâs. La nouvelle de la conduite des ‘Abîds envers le Sultan fit revenir « à sa fleur la jeunesse de la révolte » le poison de la « vipère » se répandit dans les villes et les campagnes. Au retour de leurs frères, les ‘Abîds de Miknâs s’engagèrent dans l’insoumission. Les ‘âmil-s du Gharb et de Bni Hsan refusèrent de payer les zakât et les ‘ashûr-s et de recouvrer les contributions dues au Sultan.
A Fâs, les Udaya envahirent le quartier des Juifs, voisin du leur à Fâs Al-Jadîd. Ils se livrèrent au pillage et enlevèrent tout ce qui s’y trouvait. Ils prirent aussi la toile, la soie, l’argent et l’or, qui étaient déposés chez les Juifs et qui appartenaient aux négociants de Fâs, pour lesquels ceux là travaillaient et faisaient de la couture ou d’autres travaux manuels. Ainsi furent perdues des sommes considérables dont on ne saurait calculer le chiffre. Après cela, les Udaya dépouillèrent les hommes et les femmes, emmenèrent celles-ci, violèrent les vierges, tuèrent les Juifs, et burent des boissons fermentées en plein ramadan. Ils tuèrent les enfants, étouffés dans la presse du pillage. Non contents de ces actes, ils creusèrent sous les maisons pour y trouver ce qui y était caché, et trouvèrent ainsi de l’argent en abondance. Voyant cela, ils saisirent les notables et les négociants juifs, les rouèrent de coups et les torturèrent pour les décider à leur révéler où ils avaient enterré de l’argent. Si l’un d’eux avait une belle Juive, ils la séparaient de lui pour lui en faire payer la rançon.
Ce grave événement eut lieu le 13 ramadan de l’année 1235.
Quand ils eurent fini avec les Juifs, les Udaya s’attaquèrent aux habitants de Fâs. Ils pillèrent leurs troupeaux, leurs animaux, de culture et leurs jardins, et interceptèrent toute communication avec le dehors. Un grand trouble éclata dans la ville. Lcs portes furent fermées.
Tous les Udâya qui furent trouvés dans la ville furent pris et dévalisés. On s’arma. Les marchandises et les richesses furent transportées des marchés dans les maisons, en prévision du pillage. Les notables se réunirent pour désigner des gens pour les administrer. Les Lamtiyîn choisirent pour les commander un d’entre eux, nommé Al-Hâjj Ahmad Al-Hârṯi les habitants du quartier d’Adwa prirent un nommé Qaddûr ???? ceux d’Al-Andalûs élirent un des leurs, ‘Abd Ar-Rahmân Ben Fâriss. Ces délégués rétablirent l’ordre dans la ville.
Sur ces entrefaites, une députation envoyée par les Udaya vinrent négocier avec les habitants de la ville, et prirent l’engagement de rendre les troupeaux qu’ils avaient volés et, en même temps, les marchandises confiées aux Juifs pour des travaux, et qui avaient été enlevées avec les biens de ces derniers. Le feu de la sédition fut ainsi éteint en partie.
Les lettrés de l’époque ont composé, sur les événements qui se succédèrent durant cette période, un grand nombre de poésies, parmi lesquelles le poème du secrétaire brillant Abû ‘Abdallah Muhammad bn Dris Al-Fâsi.
A la suite de ces faits, une autre révolution éclata à Fâs, provoquée par un différend bien connu, survenu entre le Qâdi de la ville, le fqîh Abû Al-Fadl ‘Abbâs bn Ahmad At-Tâwudi, et le mufti, le fqîh Abû ‘Abdallah Muhammad bn Brâhîm Ad-Dûkkali, au sujet de l’affaire de deux shurfa de la ville, l’un Shifshâwuni, l’autre ‘Irâqi. La question fut portée au Sultan, qui destitua le fqîh Abû ‘Abdallâh de ses fonctions de mufti. Mais un certain nombre de professeurs et d’étudiants prirent le parti de ce personnage, le défendirent avec acharnement et se liguèrent contre le Qâdi. Ils rédigèrent un document dans lequel témoignage était dressé de son injustice et de son ignorance, et le revêtirent de leurs signatures. Une qasîda, contenant l’exposé de leur plainte et des détails sur ce magistrat, fut envoyée au Sultan avec le document.
\’oici le texte de cette qasida
« Roi dont les actes de justice ont fait revivre l’œuvre d’As-Siddîq ou de ‘Umar!
« Roi dont les vertus nous éclairent à l’aurore du siècle comme la pleine lune
« C’est toi qui as mis toutes choses à leur place, et qui as restauré les sciences en décadence
« C’est toi qui as fait rentrer le Dîn inébranlable dans la voie recommandée par celui qui domine les rois et le genre humain.
« C’est grâce a toi qu’elle est restée glorieuse et respectée, et que ceux qui ont la connaissance peuvent cueillir les fruits de son jardin.
« Tu la défends avec des sabres et par un esprit qui en maintient les règles et les symboles.
« Aussi quiconque veut la renverser, est terrassé par la foudre de tes mains et disparaît sans laisser de traces.
« La religion se plaint aujourd’hui de l’oppression, de la tristesse qui la frappe et, défaillante, verse des larmes.
« Elle a été attaquée par le Qâdi dont les traits d’injustice submergent la campagne et la ville.
« Il a, par injustice, ed’acé ses prescriptions et l’a transformée en une ignorance qui anéantit les cœurs et les esprits.
« Entré en fonctions dès sa jeunesse, il considère sa magistrature comme un métier propre lui rapporter des biens matériels.
« Une proie à dévorer n’a jamais été que son seul souci, ou bien un orgueil qui laisse le faible sans forces.
« Les droits des humains sont inexistants, ignorés ; ils sont méprisés comme de la fiente.
« Puisses tu donc délivrer le Dîn de l’Elu, ton ancêtre, de cet homme qui ne sait pas, qui ne sait rien.
« II rend ses jugements avec un visage renfrogné et contracté à cause du mal régnant en lui, qui provoque la tristesse.
« Il n’examine pas, par ennui, les documents des parties mais il juge publiquement suivant les conjectures qu’il s’en fait.
« Il s’obstine dans ces avis et quand commence une Fatwa qui doit l’éclairer, il la frappe d’une interdiction.
« Il ne donne pas suite à la demande de la partie qui lui réclame la rédaction par écrit de ce qu’il a vu d’important dans le jugement.
« Les cœurs des humains sont rassasiés de lui : ils n’ont plus d’espoir qu’en toi, qui es le soutien de l’Islam.
« Ils font appel à ta puissance; ils se plaignent de la conduite de ce Qâdi avec des larmes qui brisent le cœur.
« Puisses-tu, ô soutien de la religion, saisir le sabre qui doit le frapper: tes sujets espèrent que de toi sortira la pluie bienfaisante.
« Puisses-tu l’abaisser, lui qui se sert de sa haute situation pour faire de l’oppression et qui ne redoute pas pour demain le feu, l’ardeur de l’enfer.
« Eloigne-le d’eux comme il a éloigné de lui le faible ! Destitue-le, car les circonstances l’exigent !
« N’es-tu pas leur pluie bienfaisante, quand la sécheresse les dévore? N’es-tu pas leur asile quand se présente un grave événement ? »
Le Sultan vit dans ce document et dans cette qasîda un résultat de la passion que provoquent souvent les rivalités entre confrères, et ne donna aucune attention à cette affaire, ce qui prouve son entière douceur et son jugement il ne voulut pas attribuer de valeur au témoignage d’un ‘âlim contre son confrère.
Voyant que le Sultan ne cédait pas à leurs demandes, ils assaillirent le Qâdi au moment où il se trouvait dans son prétoire et voulurent le tuer. Le sharîf Abû ‘Abdallah Muhammad At-Tâhar Al-Kittani dirigea même sur lui un pistolet et le déchargea, mais sans l’atteindre.
Terrorisé, le qâdî resta chez lui, et ses ennemis nommèrent à sa place le fqîh Abû ‘Abdallah Muhammad bn ‘Abd Ar-Rahmân Ad-Dilâ’i, puis le révoquèrent et le remplacèrent par le Fqih Abû ‘Abdallah Muhammad Al-‘Arbi bn Ahmad Az-Zarhûni.
En dernier lieu, quand le pouvoir fut aux mains du sultan Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm (Dieu lui fasse miséricorde!), ce qâdi fut envoyé en exil à As-Swîra. Dieu sait quelle est la vérité
La population de Fâs se révolte contre le sultan Mawlay Slîmân et prête serment à Mawlay Brâhim bn Yazîd motifs de cette conduite
Le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde!) prolongeait son séjour à Murrâkush. Pendant ce temps, à Fâs et dans tout le Garb, les révolutions avaient dépassé toutes bornes et le mal qui en résultait s’était généralisé.
De partout, de Fâs, notamment, des plaintes lui parvenaient, témoignant du malaise considérable et de la tristesse dans lesquels se trouvait la population. Dans ces circonstances, il écrivit de sa propre main aux habitants de Fâs une lettre par laquelle il leur conseillait, dans leur propre intérêt, de s’allier avec les Berbers et de s’appuyer sur eux en vue d’assurer la sécurité de leur pays et de toutes leurs usances, comme ils l’avaient déjà fait autrefois lors de la trêve qui eut lieu sous le règne du sultan Mawlay ‘Abdallah. Ils attendraient ainsi, qu’ayant terminé les affaires du Hawz, il pût se rendre auprès d’eux. C’est du moins ce qu’assure l’auteur du Bustân.
« En écrivant cette lettre, dit Akhensûs, le Sultan voulait amener la population de Fâs à reprendre le joug de l’obéissance et à désirer son affection et son appui. Il avait déjà pratiqué cette politique à Murrâkush. Un vendredi, après la prière, il avait convoqué les notables de la ville et des ‘Ulama, et leur avait dit :
« Vous avez pu voir comment la destinée a décrété la corruption des cœurs de mes sujets et l’agitation prolongée des tribus. Depuis notre retour de l’affaire de Zayân, je travaille à rétablir l’ordre parmi la population, et la corruption ne fait qu’augmenter. Les rois mes prédécesseurs; se sont trouvés dans une situation plus mauvaise que la mienne, et ils n’en ont pas été moins considérés par leurs sujets, qui les ont, au contraire, soutenus et aidés à réduire les fauteurs de troubles. Mais moi qui n’ai trouvé personne pour m’aider à faire triompher le droit, je suis a bout de forces, j’en prends Dieu à témoin. Que de fois j’ai la pensée d’abandonner le pouvoir pour n’avoir plus qu’à adorer mon Maître, jusqu’au jour de ma mort. »
A ces mots, les notables des Rhâmna et les autres assistants s’écrièrent
« O notre maître, que Dieu nous donne tes jours en bénédiction, puissions-nous être ta rançon, nous serons devant toi et derrière toi. Ordonne-nous tout ce que tuvoudras : ta parole sera écoutée et tes ordres seront exécutés, car tu ne nous a jamais fait que du bien »
Ces paroles avaient rempli de joie le Sultan, qui leur avait répondu par des vœux de bonheur.
Ce procédé, qu’il avait employé avec les habitants de Murrâkush, il voulut en user avec la population de Fâs, mais nous verrons ce qu’il en advint. En envoyant la lettre dont il s’agit à son fils Mawlay ‘Ali à Fâs, il lui donna l’ordre de la lire au peuple de la ville en présence du fqîh mufti Sî Muhammad bn Brâhîm Ad-Dûkkali, du fqih le chérîf Sîdi Muhammad bn Ettahar Elfîlâli, du fqîh secrétaire Sî Bâ Al-Qâsim Az-Zayyâni et de l’Amîn Sî Al-Hâjj At-Tâlib Ben Jallûn Al-Fâsi. Mawlay ‘Ali réunit ces personnages dans la mosquée qui se trouve à la porte de sa maison à Zqâq Al-Hjar, et leur donna lecture de la lettre.
La mosquée était à cette heure là pleine de gens de toute sorte, qui se groupèrent autour, de Mawlay ‘Ali pour voir la lettre de leurs propres yeux. Leur nombre augmentant fâcha le Commandeur, qui se leva et rentra dans sa maison, en fermant la porte derrière lui.
Les uns crurent que le Sultan avait abdiqué et les invitait à prendre un maître de leur choix. Les autres pensèrent qu’il n’avait pas renoncé au pouvoir. D’autres enfin se mirent à frapper à la porte de Mawlay ‘Ali et lui demandèrent de leur présenter la lettre du Sultan, pour la lire et savoir ce qu’elle contenait. Comme il leur répondit qu’il l’avait brûlée, leurs soupçons augmentèrent, et ils finirent par croire réellement à l’abdication du Sultan.
Les principaux personnages de la population de Fâs se réunirent. C’étaient, parmi les habitants de l’Adwa Al-Andalus, Al-Hâjj Muhammad bn ‘Abd Ar-Rzzâq, Sî Muhammad bn Slimân, ‘Allal Al-‘Afia et Qaddûr bn ‘Amir Al-Jâm῾i, qui, bien que n’étant pas un Fâsi, habitait à la Tâl’a. Il y eut aussi dans l’assemblée des gens de l’Adwat Al-Qarwiyîn et des Lamtiyin. Ils convoquèrent ensuite les Tulba qui avaient assisté à la lecture de la lettre, et les invitèrent à écrire individuellement ce qu’ils avaient entendu. Chacun d’eux écrivit donc ce que bon lui sembla.
Une fois munis de leurs mémoires, lesnotablesen tirèrent ce qu’ils voulurent, c’estàdire que le Sultan se reconnaissait impuissant et abdiquait, et que, de plus, il ordonnait à la population de se choisir un maître.
Pendant ce temps, la guerre continuait entre les Ahl Al-Fâs et les Udaya. Les habitants de la ville écrivirent aux qâ’îd-s des Berbers, pour leur demander leur appui contre les Udaya et les prier de venir examiner et discuter avec eux la désignation de celui qui prendrait le pouvoir.
Al-Hasan bn Hammu U ‘Aziz Al-Mtiri, chef des Ait Idrâsen, arriva avec les principaux de son peuple, suivi bientôt d’Al-Hâjj Muhammad bn Al-Ghâzi, chef des Zmmûr et des Bni Hkim, également accompagné des notables de ses tribus. Quand ils se furent réunis avec les Ahl Al-Fâs, ils se concertèrent tous ensemble sur la prestation de serment, et leur choix se fixa sur Mawlay Brâhîm bn Yazîd, Ce personnage était plein de ténacité et de réserve.
Il était allié au Sultan dont il avait épousé la fille. Habitant le Derb de Jnân Ziyân, près de la Madrasa ‘Inâniya, il ne sortait de sa maison que le vendredi pour aller prier à la Madrasa, et rentrait ensuite directement chez lui. Leur choix se porta sur lui sans examen ni épreuve.
« Le Sultan, dirent-ils ensuite, a absolument besoin d’argent et d’hommes. » Bn U ‘Azîz se chargea des hommes, déclarant qu’il aurait autant de guerriers et de chevaux qu’il voudrait. Al-Hâjj Ar-Tâlib bn Jallûn s’engagea à fournir l’argent : usant, dans ce but, de ruse visàvis d’un certain nombre de négociants qu’il nomma, il prétendit que le Sultan, avant de se mettre en route pour Murrâkush, avait déposé entre leurs mains, par son intermédiaire, des sommes considérables.
Le lendemain du jour où toutes ces dispositions furent arrêtées, les délégués se rendirent auprès de Mawlay Brâhîm bn Yazîd et, après l’avoir fait venir, lui imposèrent certaines conditions, au nombre desquelles était l’éloignement des Udaya de Fâs Al-Jadîd. A chaque condition qu’ils lui dictaient, le Commandeur remuait la tête en signe d’assentiment. Ils lui prêtèrent ensuite serment, dans la matinée du 1? Muharram 1236.
On prétend qu’aux premières offres qui lui furent faites, Mawlay Brâhîm répondit par un refus, mais quand ils lui eurent dit que s’il n’acceptait pas leur serment, ils appelleraient au pouvoir un personnage de la famille de Mawlay Idrîs (Dieu soit satisfait de lui !), il craignit que le pouvoir ne sortit de sa famille, et céda à leur demande. Dieu sait quelle est la vérité!
Parmi les personnages qui participèrent la bay’a, il y eut le sharîf Sidi Al-Hâjj Al-‘Arbi bn ‘Ali Al-Wazzânî et le shaykh Abû ‘Abdallah Sidi Muhammad Al-‘Arbî Ad-Darqawî, qui avait parmi ses plus fidèles disciples Bn Al-Ghâzî Az-Zmmûri, lequel était alors le chef des Berbers et dirigeait toutes ces affaires avec Bn U ‘Aziz Boù Bakr Mhawûsh, chef des Ait U Mâlû, assista également à la bay’a.
Toutes ces dispositions prises, les délégués écrivirent aux ‘Abîds de Miknâs pour leur demander leur adhésion ; mais ils la leur refusèrent, à l’exception de ceux qui haïssaient le Sultan et qui la leur promirent par dessous main.
Les Udaya, à qui ils écrivirent dans les mêmes termes, se montrèrent encore plus hostiles à leurs ouvertures. Les Ahl Al-Fâs envoyèrent auprès d’eux, pour rapporter leur serment, le shaykh Abû ‘Abdallah Edderqâouiqui comptait des fidèles parmi eux: ils l’arrêtèrent et le mirent en prison, et firent part de ces faits au Sultan qui ne manifesta ni colère, ni assentiment.
Mawlay Brâhîm et les lerbers demeurèrent à Fâs, jusqu’au jour où ils eurent complètement épuisé l’argent que leur avait procuré Al-Hâjj At-Tâlib bn Jallûn. Ils décidèrent alors de quitter Fâs. Il leur adviendra dans la suite ce que nous allons raconter.
Départ de Mawlay Brâhîm bn Yazîd pour Tétouan sa mort dans cette ville.
Quand ils eurent épuisé leur argent, qui avait été gaspillé sans profit, Mawlay Bràhîm bn Yazid et ses partisans se concertèrent sur les résolutions à prendre. Ils décidèrent de se rendre dans les ports, pour en cll’oclucr la conquête et s’emparer de l’argent qui s’y trouvait, ils firent donc partir Mawlay Brâhîm. Celui-ci n’était qu’un instrument entre leurs mains; le véritable clicf, celui qui prononçait les ordres et les défenses, était Abû ‘Abdallah Muhammad bon Slîmân. Quant à lîen ‘Abd Ar-Rzzâq et un certain nombre de ses amis qui avaient pris l’initiative de celte ulliiire, ils axaient péri le mémo soir dans une rencontre avec les Oùdèya à l’afl’aire de Dhar Elmehrès leurs têtes axaient été coupées c) envoyées au Sultan à Morrâkcli. En quittant Fâs, les voyageurs passèrent chez les Aït Zemmoûr, et campèrent à Elouelja Ettouila. De là, ils cherchèrent à obtenir des habitants de cette région, ‘Arab-s Heni Hsen, gens du Garb, Dkhisa et Wulâd Noséïr, leur enrôlement dans leurs rangs. Mais ceux-ci n’y voulurent pas consentir. Le qâ’îd Muhammad bn ‘Ishshu résolut de les attaquer pendant la nuit et de les disperser, mais ces pro jets leur furent dévoilés par Muhammad bn Qâsim As-Sufiyânî Al-Lûshi, qui était en dissidence avec le Sultan et leur conseilla de passer la rivière près de chez lui, d’où il pourrait les défendre contre quiconque les attaquerait.
Quand ils eurent franchi l’Wad, Essefiani se joignit à eux à la tête de ses compagnons, et ils marchèrent sur Qçar Ktâma, où ils établirent leur camp à Kudiat Mawlay Ismà’il.
De là, ils écrivirent aux habitants des places fortes, Larache, Tanger et Tétouan, pour les inviter à reconnaître le Sultan et à embrasser leur cause. Larache et Tanger refusèrent on dit cependant que les gens de Larache prêtèrent le serment et que quelques-uns d’entre eux se rendirent auprès du Commandeur, mais il est à supposer plutôt que cela n’eut lieu que plus tard. Quant aux habitants de Tétouan, ils se soumirent. Le qâdi de Tanger, Abû Al-‘Abbâs Ahmad Al-La῾lûs, avait résolu de prêter serment à Mawlay Brâhîm, mais, prévenu, le gouverneur de lu ville, Abû ‘Abdallah .Muhammad Al-‘Arbî As-Sâ῾idî, l’envoya en exil et le remplaça par le l’qili dislingué Abû Al-‘Alâ Khâlid At-Tânî.
La réponse favorable des gens de Tétouan décida Mawlay Brâhîm et ses partisans à s’achemincr sur cette ville.
A peine y furent ils entrés qu’ils s’emparèrent de l’argent du port, des magasins du Sultan, et de tout ce qu’ils contenaient en fait d’armes, de toile, de drap, etc., et que les Berbers se partagèrent. Enfin, arrivés au Mellâh des juifs, ils le pillèrent et y découvrirent des sommes d’argent considérables. Ils trouvèrent, dit-on, un si grand nombre de fanègues de doublons et de bunduqi que Bn Al-Ghâzi Az-Zammûri et les autres chefs des envahisseurs ne donnaient plus à leurs gens que des boundouqi, ce qui accrut rapidement le nombre de ceux qui se joignirent à eux.
47 jours après leur arrivée à Tétouan, Mawlay Brâhîm mourut (Dieu lui fasse miséricorde !). Il était déjà malade quand il arriva dans la ville et on avait dû le porter dans une litière. Ses compagnons dissimulèrent sa mort et l’enterrèrent dans sa maison. Il advint ensuite d’eux ce que nous allons rapporter.
Proclamation de Mawlay Sa îd bn Yazid à Tétouan son retour à Fâs
Quand Mawlay Brâhîm hen Yazid fut mort, les hommes de son gouvernement cachèrent sa mort pendant deux ou trois jours, puis invitèrent les habitants de Tétouan à proclamer son frère Mawlay Sa’îd bn Yazid. Mais l’accord ne se fit pas les uns refusaient, les autres consentaient.
Muhammad bn Slîmàn, Bn Al-Ghâzi et leurs partisans convoquèrent les réfraclaires et les forcèrent à accepter la héi`ct. Ils s’engagèrent à prêter serment, et en dressèrent un procèsverbal qu’ils rendirent authentique. Le gouverneur actuel de Tétouan, Al-Hâjj ‘Abd Ar-Rahmân bn ‘Ali ‘Ash῾ash, fut révoqué et remplacé par Abû ‘Abdallah Muhammad Al-’Arbi bn Yûsuf Elmousoulinâni, qui était un homme habile et énergique. Sur ces entrefaites, on apprit que le Sultan était en route, venant de Murrâkush, et qu’il était déjà arrivé à Qçar Ktama. Effrayés de cette nouvelle, Mawlay Sa’id et son parti partirent en toute hâte pour Fâs par le chemin du Jebel. Il advint d’eux ce que nous allons rapporter.
Le sultan Mawlay Slîmân vient de Murrâkush à Elqsar, puis se rend à Fâs et assiège cette ville
Le sultan Mawlay Slimân (Dieu lui fasse miséricorde !) était demeuré pendant tout ce tempslà à Murrâkush. Les ‘Abids, regrettant les excès auxquels ils s’étaient livrés à Ribàt Al-Fath en abandonnant le Sultan et en pillant ses bagages, comme nous l’avons rapporté, l’avaient bientôt rejoint, isolément ou par deux, de sorte qu’un grand nombre d’entre eux s’étaient réunis autour de lui, composés surtout de ceux qui étaient connus, comme les quitta et les titulaires d’emplois. Quand il avait appris la proclamation de Mawlay Brâhim bn Yazid, il avait attendu pendant quelque temps une occasion favorable, puis quand il avait su qu’il se rendait dans les ports, il s’était hâté de quitter Murrâkush, avec le Jaysh des ‘Abids et quelques tribus du Hawz pour l’y devancer. Arrivé à llibât Al-Fath, il avait traversé la rivière pour arriver à Sala et avait campé à Râs Al-Mâ’. Le vendredi suivant il était allé en ville faire la prière à la grande mosquée et était entré dans la maison d’un des notables delà ville, Al-Hâjj Muhammad bn ‘Abdallah Ma’nînô. Il avait emmené avec lui le fqîh muwuqqit Abû Al-’Abbâs Ahmad bn Al-Makki Az-Zwâwî, de Sala également, pour l’emplir auprès de lui les fondions de mououqqit. Arrivé à Qsar Ktâma, il avait reçu la nouvelle de l’entrée de Mawlay Brâhîm dans Tétouan, et y avait séjourné. De là, il avait écrit aux Udaya et aux gens restés à Miknâs pour les inviter à reprendre l’obéissance. Il avait également mandé à son fils Mawlay At-Tayib de lui envoyer le fqîh distingué Abû ‘Abdallah Muhammad Akhensûs, l’auteur du Kitâb Al-Jaysh. Nous rejoignîmes le Sultan, dit Akhensûs, à Raïsfina, à deux étapes d’Al-Qçar il se rendait a Tétouan pour y assiéger Mawlay Brâhîm bn Yazîd. Il reçut alors du gouverneur de Tanger, le qâ’îd Abû ‘Abdallah Al-’Arbi As-Sa’îdi, la nouvelle de la mort de Mawlay Brâhîni et de la proclamation de son frère Mawlay Sa’îd, qui était retourné à Fâs. Lorsqu’il eut vérifié cette information, il revint sur ses pas par le chemin d’Elqsar, se dirigeant sur Fâs, où il voulait devancer Mawlay Sa’îd. Ils y arrivèrent tous deux le même jour. Mawlay Sa’id et ses troupes établirent leur campement au pont du Sbou, tandis que le Sultan rentra dans le palais de Fâs Eljedîd avec les Udaya.
Le lendemain, à l’aurore, les cavaliers Udaya attaquèrent la mhalla de Mawlay Sa’îd au pont et la livrèrent au pillage ils tuèrent un grand nombre de gens, notamment des Berbers et des habitants de Fâs, et s’emparèrent de richesses considérables provenant du pillage du Mellah de Tétouan par les Berbers. Mawlay Sa’îd et son entourage purent à grand’ peine s’échapper, et se retirèrent à Fâs dont les portes furent refermées sur eux. Les habitants prirent fait et cause pour eux. Durant les journées qui suivirent, fut tué le grand maître Abû Al-‘Abbâs Ahmad ‘Aniqîcl At-Titwânî. Cet homme était extraordinaire dans le lir au mortier, <;t Moùluv Sa’id l’avait amené avec lui de Télouau pour faire le siège de F es Eljedîcl. Mais le Sultan avail chargé quelqu’un de le tuer. Pendant la nuit, eel envoyé vint l’appeler au moment où il se trouvait la mhalla avec ses compagnons, «lié, Ahmad viens parler à notre maître le Sultan » Pensant qu’il était convoqué chez Mawlay Sa’ùl, il répondit « “.Me voici » et il sortit tic sa Icnle. A ce momentlà, une halle envoyée par celui qui l’appelait l’étendit raide mort.
Le Sultan résolut ensuite d’assiéger Kès jusqu’à ce que les habitants se décidassent à exécuter les ordres de Dieu.
Mais il se contenta de bloquer la ville en interceptant les communications. Les Oùdèya l’engagèrent à lancer des tombes, mais il refusa, Dieu lui fasse miséricorde « Si les bombes que je jetterais, dit-il, devaient tomber sur la maison d’un Bn Slîmàn, d’un d’Eftavyéb Elbéyyàz, ou chez d’autres chefs de la révolte, je n’hésiterais pas. Mais elles ne tomberont que sur les maisons des veuves, des orphelins, ou des malheureux, contraints par leur impuissance de rester avec eux. » Cependant les habitants de Fâs prirent l’oflensive. Ils avaient avec eux un habile tireur, Sa ‘ici El’oulclj. Ils visaient le palais du Sultan.
Une bombe vint tomber à l’endroit où s’asseyait le Sultan pour lire une autre, dans la mdersa qui se trouve à la porte du palais, et où se tenaient un certain nombre d’artilleurs de Salé et de Ribât al-Fath. 4 d’entre eux furent tués, parmi lesquels était le Bâsha Abû ‘Abdallah Muhammad bn Muhammad bn Husayn FennichEsslâoui.
Alors le Sultan s’irrita et lit amener les grands mortiers de Tanger, dont le calibre variait de 50 à 100. Quand on les eut amenés, il les fit braquer sur la ville. Le combat dura jour et nuit les boulets et les bombes se croisaient constamment entre les habitants des deux villes. La lutte dura près de 10 mois, et personne ne pouvait entrer à Fâs, ni en sortir, sans les plus grands dangers.
Pendant ce temps, le Sultan se rendit à Tanger, pour s’occuper île Télounn qui restait révolté contre lui, laissant aux Oùdèya l’oi’dro d’assiéger Fâs et de continuer le blocus jusqu’à son retour. Dès qu’il se fut ci tut) 1 1 à Tanger, il envoya des négociateurs à Tétouan, pour solliciter les habitants de faire leur soumission, mais ils refusèrent et s’obstinèrent dans leur révolte. Il envoya alors contre eux une forte année Sûs les ordres du qàïd Ilommun Esseridi Elbokhàri. Celui-ci campa ù l’Wad Ijoù Sl’iha et les assiégea pendant quelque temps. Mais la lutte où il avait tantôt le dessus, tantôt le desSûs, demeura indécise. Un grand nombre d’habitants de Tétouan et d’autres périment.
Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm vient d’As-Swîra dans le Nord, et reçoit les fonctions de khalîfa à Fâs événements qui se passérent pendant ce temps
Mawlay ‘Abderral.nnân bn Micham avait été d’abord à Tâiilèlt. Ses qualités et sonméiite l’avaient tait distinguer de son oncle Mawlay Slîmân, qui l’avait l’ait venir pour l’investir du gouvernement d’As-Swîra et des environs.
Il avait assuré l’administration de la ville qu’il avait bien dirigée. Mawlay Slîmân, au cours de son séjour, voyant qu’il n’arrivait pas a triompher de Fâs et de Tétouan, écrivit, aussitôt que l’hiver fut termine et que le printemps approcha, à son neveu Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân pour l’inviter à se rendre auprès de lui avec les tribus du Hawz et à le joindre à Ribât ; Ell’cth. L’intention du Sultan était bien de se servir de ces contingents pour marcher sur Fâs, mais la politique exigeait que les choses fussent ainsi présentées.
Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân réunit donc les tribus et les qûïds du Hawz, et se rendit à Ribât Al-Fath. Arrivé là, comme il n’y trouva pas le Sultan, ceux-ci ne voulurent pas franchir la rivière pour aller avec Mawlay Abderrahmàn dans le Gharb, car il leur avait seulement promis qu’ils le rencontreraient à Ribât Al-Fath. Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân écrivit à son oncle pour lui faire part de la tournure que prenaient les événements. Le Sultan, qui, à ce moment là, avait choisi comme vizir le fqih Abû Abdallah AlcenSûs, l’envoya auprès de Mawlay ‘Abderralmiàn et lui confia de l’argent à distribuer à son armée pour que la joie la décidât à marcher. Cette somme devait permettre de donner 50 Uqiya à chaque cavalier. Le vizir avait l’ordre, dès son arrivée sur le territoire de Salé, de descendre chez le gouverneur de celte ville Abû ‘Abdallah Muhammad bn Bû ‘Àzza, surnommé Bû Jma῾a. Le Sultan ordonna également à Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân de traverser la rivière avec les principaux chefs de l’armée pour aller auprès du vizir afin de recevoir leur cadeau, et de ne pas leur parler de voyage tant qu’ils n’auraient pas été payés. A ce moment là seulement il devait leur donner lecture de la lettre du Sultan qui les invitait à venir auprès de lui, à Qçar Ktâma, pour y toucher les costumes qu’il avait apportés de Tanger, afin que de là il pût retourner avec eux dans le Hawz. Le vizir remplit exactement sa mission, et Mawlay ‘Abd Ar-Rahmàn conduisit son armée à Qçar Ktâma.
« A notre arrivée à Al-Qçar, raconte ce vizir, nous ne trouvames pas le Sultan, qui était encore à Tanger. Je me rendis donc auprès de lui et lui appris la nouvelle de l’arrivéede Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân à Elqsar avec son armée. »
Le Sultan quitta aussitôt Tanger et prit la route d’Aséïla. Quand il arriva au Souq Elhad d’Elgarbiya pour y passer la nuit, le Mejdoûb Sidi Muhammad bn Merzoûq lui envoya demander de venir le voir et de passer la nuit chez lui. Le Sultan accepta l’invitation, se rendit auprès de lui et lui demanda sa bénédiction. Il écrivit de là à son neveu Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân de conduire l’armée à El’arcïch, où il le retrouverait.
Mawlay ‘Abd ar-Rahmân exécuta cet ordre et se réunit dans cette ville avec son oncle le sultan Mawlay Slîmân, qui lui témoigna sa joie de son arrivée, fit des vœux de bonheur pour lui, et le félicita du grand nombre d’hommes qu’il avait amenés avec lui. Le Sultan convoqua ensuite les Qâ’îd-s du Hawz parmi eux étaient le Qâ’îd ‘Abd Al-Mâlik bn Bihi le Qâ’îd ‘Ali bn Muhammad ?????, Si Mohammed bn Al-Gnnimi, représentant Al-Hâjj Hummân Al-‘Abdi et accompagné du fils encore enfant de ce dernier, Fedlûl bn Hummân, le Qâ’îd Bâ Al-‘Abbâs bn Al-Mizwâr Ad-Dûkkali Al-Bûkhârî, Al-Hâjj Al-’Arbi bn ???iya Al-Bû-Zirâri, le Qâ’îd Muhammad bn Hadida Al-Bû-‘Azizi, le Qâ’îd Al-Ma’ti Al-Hamri, et le Qâ’îd As-Siddîq Bâ-Al-Fqîh Al-‘Umrini. Des Rhâmna, il n’y avait que Al-Hâjj Al-Ma’ti bn Muhammad Al-Hâjj, pas un seul Qâ’îd des Srâghna, ni des Shâwiya n’était présent. Lorsqu’ils furent rassemblés, le Sultan sortit pour les recevoir et s’assit sur un tapis. Il appela d’abord le Qâ’îd ‘Abd Al-Mâlik bn Bihi, et après l’avoir fait asseoir à côté de lui, il lui souhaita toutes sortes de bonheurs. Puis il dit :
« Vous avez subi des Fatigues dans la voie de Dieu mais je suis encore plus fatigué que vous. Je demande à Dieu de ne pas nous priver, vous et moi, de notre récompense. Sachez que, puisque vous obéissez à Dieu et à son Prophète, ce dont vous avez tout le mérite, il m’importe de vous en récompenser. J’ai donc pensé qu’étant arrivés jusqu’ici, il ne vous convenait pas de vous en retourner sans aller visiter Mawlay Idris. Mon désir était de vous renvoyer dans votre pays depuis ici, mais il ne m’est pas possible de partir sans que Dieu ait décidé entre moi et ces gens qui sont en révolte contre la vérité, et pour vous il n’est pas décent de rentrer chez vous sans Sultan. Patientez donc un peu, et poursuivez votre œuvre jusqu’au bout vous vous en retournerez alors, si Dieu le veut, avec votre Sultan, contents et satisfaits. »
Tous les Qâ’îd-s répondirent: « Entendu et obéi ! Nous ne t’abandonnerons pas et nous ne nous eu retournerons qu’avec toi, dussions-nous rester absents 10 ans »
A la suite de cela, le Sultan donna au qâ’îd des cavaliers du Jaysh Al-Bukhârî, Al-Hâjj Brâhîm bn Rzzûq, le commandement de 200 cavaliers fournis par les Hû ?iya et les ‘Abids, et lui ordonna de partir pour Télouàn, de s’installer à Martil et d’interdire l’accès du port aux gens de la ville. Cet ordre fut exécuté, et le Sultan quitta Larache pour gagner Fâs avec les tribus du Hawz. Il passa par le territoire des Sufiyan et campa au Sûq Al-Arba’â, près du mausolée de Sîdi ‘Isa bn Al-Hasan Al-Msbâhi, où il tomba malade. Là il reçut la nouvelle que Brâhîm bn Rzzûq avait été victime d’un guetapens de la part du gouverneur de Tétouan, Al-’Arbi bn Yûsuf, qui l’avait arrêté, lui et ses gens, les avait dépouillés et mis en prison. Cette nouvelle lui causa une grande peine et aggrava encore sa maladie. Au bout de quelques jours, il guérit et se remit en route pour Fâs, en s’écartant du chemin pour passer par Tâza. Dans la nuit qu’il passa au Soûq Al-Khmîs d’Al-Ghûr dans le pays des Hayâyna, il subit une attaque des Ghiyyâṯa et des gens de cette région coalisés avec eux, qui étaient entrés dans le parti des fils de Yazîd.
Ils encerclèrent la Mhalla et firent tomber sur elle une pluie de balles. Le Sultan se leva et calma tout le monde, il défendit aux hommes de monter à cheval et de s’agiter.
Dieu préserva la Mhalla cette nuit là, car pas une seule personne, ni un seul animal n’y furent atteints, tandis que le lendemain les cadavres de l’ennemi jonchaient le sol autour du campement.
Le Sultan entra ensuite dans la ville de Tâza, où il reçut les députations des habitants du Rîf, des Angâd et du Sahara, qui se pressèrent autour de lui pour le voir et
« C’est bien le Sultan, par Dieu »
Les gens de Fâs, en effet, répandaient le bruit de sa mort et écrivaient aux tribus pour leur en faire part. De la, le Sultan marcha sur Fâs et installa soit campement au pont du Wadi Sbû (derniers jours de Rajab 1237).
La population de Fâs était lasse de la guerre, et souffrait du siège : elle ne pouvait plus supporter le gouvernement des fils de Yazîd. Dès l’arrivée du Sultan, la division éclata, et la rivalité commença au cœur même des Deux Villes : les uns tenaient pour le Sultan, les autres pour Sa῾îd. Mais les partisans du Sultan étaient plus nombreux. Ils ouvrirent la porte et se rendirent auprès de lui, emmenant avec eux les Shurfas et les enfants, portant les Muṣhaf. Ils se précipitèrent à ses genoux, et lui exprimèrent leur repentir et leur soumission. Sa’id vint lui même auprès de Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm, accompagné de l’Amîn Al-Hâjj At-Tâlib bn Jllûn. Le Sultan leur fit répondre qu’il ne les réprimanderait pas ce jour là, et que Dieu, qui était le plus miséricordieux des miséricordieux, leur pardonnerait. C’est qu’en marchant sur Fâs il avait eu un songe il entrait à Fâs, visitant le tombeau de Mawlay Idrîs (Dieu soit satisfait de lui !), qui le ceignait d’une épée, il montait au minaret et y chantait le Adhan. Or, l’œuvre surprenante de Dieu fut accomplie. Dieu lui ouvrit la ville il y entra, il visita Mawlay Idrîs, il appela à la prière du haut du minaret dans l’attitude qu’il avait vue en rêve, et, en réalisation de son songe, un membre de la famille des Wulâd Al-Baqqâl vint le ceindre d’une épée. A son entrée dans le mausolée de Mawlay Idris, il rencontra le Sharîf béni Sidi Al-Hâjj Al-‘Arbi Al-Wazani, lui adressa de légers reproches, et se débarrassa ainsi des sentiments que son cœur nourrissait contre lui. Ainsi prit fin la révolution. Dieu en soit loué
Sache, ô lecteur! que l’on ne saurait blâmer les gens de Fâs et ceux qui l’embrassèrent leur parti, do la conduite qu’ils tinrent en culte circonstance. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) n’aurait pas dû leur écrire la lettre qui les avait amenés commettre ces excès et avait été la seule cause, du désordre. La déclaration d’Akhensûs, que le Sultan voulait par là les amènera se soumettre est sans va leur ou alors le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) ou bliait que les paroles des grands et surtout celles des rois sont de celles qu’il y a Imites sortes de raisons de répandre, et qui, quand elles sont répandues par la foule, elles sont le plus souvent rapportées inexactement. On lit dans le Sahîh que ‘Umar (Dieu soit satisfait de lui) se trouvait un jour a Mina et qu’un individu déclara que si ‘Umar mourait, on acclamerait une personne qu’il désigna et qui n’appartenait pas a la tribu des Quraysh ‘Umar (Dieu soit satisfait de lui !) de dire aussitôt:
« Je ne me lèverai pas ce soir, afin de donner un avertissement.
-N’en faites rien, O Commandeur des Croyants, lui dit ‘Abd Ar-Rahmân bn ‘Awf (Dieu soit satisfait de lui !), car la populace, qui va se réunir au Mawsim, envahira la place on vous vous tenez, et je crains qu’elle ne vous entende prononcer des paroles qu’elle transformera et qu’elle vous attribuera en toute circonstance. Attendez donc de vous trouver à Médine, la demeure de Hijra et de la Sunna, avec les compagnons du Prophète de Dieu (Que Dieu prie pour lui et lui donne le salut!). Vous serez débarrassé des Muhâjir et des Ansâr, et vous serez certain que vos propos se graveront dans leur esprit, et qu’ils seront ensuite fidèlement rapportés.
-Par Dieu, répond ‘Umar, je ferai cela au premier séjour que je ferai à Médine. »
Examinez comment ‘Abd Ar-Rahmân empêcha ‘Umar (Dieu soit satisfait de lui !) de parler au Mawsim en présence de la foule de peur de provoquer le trouble, et comment ‘Umar se rendit à ses raisons quand il comprit qu’elles étaient raisonnables et strictement justes. Or, dans ce temps la, les hommes étaient de véritables hommes, et cette époque était le meilleur des siècles.
N’eût-il pas dû en être ainsi à plus forte raison dans un temps où les bonnes actions étaient rares et l’ignorance la règle générale, où le bien était en décroissance et le mal débordait de tous côtes, où les ordres du Sultan étaient discutés et inexécutés, où la révolte régnait activement, comme vous venez de le voir. C’est pourquoi je dis que le Sultan n’aurait pas dû envoyer celle lettre qui poursuivait deux objets, et qui visait deux éventualités. Mais les desseins de Dieu l’emportent toujours!
Quand le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) eut fait la conquête de Fâs et rétabli le bon ordre, il résolut de partir pour Tétouan. Il désigna, pour remplir les fonctions de khalifa à Fâs et dans toute la région environnante, son neveu Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm, qui se distinguait par son équité, sa compétence et sa politique avisée. Il emmena avec lui Mawlay Sa’id bn Yazid et se mit en route, accompagné des Udaya, des ‘Abîds et des tribus du Hawz, dans les premiers jours de sha’bân 1237. Il prit la route des Sufiyan. Arrivé à la localité appelée Al-Hjar Al-Wâqif, entre les fleuves Sbû et Wârgla, il reçut le Qâ’îd Abû ‘Abdallah Muhammad bn At-Tamri Al-Yahyawî avec ses gens les Bni Hsan, le Qâ’îd Abû ‘Abdallah Muhammad Al-Mtûgi As-Sufiyâni et Qâsim bn Al-Khadir avec leurs administrés les Sufiyân et les Bni Mâlik. Les fils du shaykh Abû ‘Abdallah Sîdi Al-‘Arbi Ad-Darqâwi, encore enfants, vinrent aussi le voir pour solliciter l’élargissement de leur père il leur fit des cadeaux et leur donna des vêtements, puis leur répondit que ce n’était pas lui qui l’avait emprisonné, ni avait donné l’ordre de l’emprisonner, mais que, s’ils patientaient, leur père serait mis en liberté par Dieu qui l’avait mis en prison. Ses paroles se réalisèrent, car le shaykh resta en prison jusqu’à la mort du sultan Mawlay Slimân et à l’avènement de Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm, qui inaugura son règne par son élargissement. Tandis que le Sultan campait au gué Msi’ida sur l’Wadi Sbû, une députation envoyée par les habitants de Télouan vint lui exprimer son repentir. Parmi les envoyés se trouvait leur gouverneur Al-’Arbi bn Yûsuf Al-Musulmânî. On crut qu’il allait recevoir un châtiment exemplaire, ainsi que les instigateurs de la révolte qui étaient avec lui, mais le Sultan ne leur adressa que des paroles bienveillantes. Bn Yûsuf lui dit même, pour innocenter ses administrés et leur servir de rançon :
« O notre maître, les gens de Tétouan ne sont pas coupables c’est moi qui ai tout fait. »
Le Sultan lui répondit :
« Vous ne pouviez rien faire, ni toi ni eux celui qui a tout fait, c’est Dieu le Très Haut. »
II leur pardonna et leur fit des largesses.
En ayant ainsi fini avec les affaires de Tétouan, et n’ayant plus de compétiteur dans les pays du Nord, le Sultan retourna dans le Hawz, marchant rapidement sur Murràkush, où il entra dans le courant du mois de ramadan.
Affaire de la Zâwiyat Ash-Shrrâdî difficultés qu’y rencontra le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde!) ‘̃
Les Shrârda tirent leur origine des ‘Arab-s Ma’qil du Sahara. Ils sont composés d’éléments divers le groupe principal est composé de Zirâra et de Shbânât les groupes secondaires sont les Wulâd Dlim, les Takna, les Dâ U Blâl, etc. Sous le règne du grand roi Sîdi Muhammad bn ‘Abdallah, ils habitaient à une petite journée à l’ouest de Murrâkush.
Ce fut parmi eux que grandit le shaykh Abû Al-‘Abbâs Ash-Shrrâdî, qui était un saint personnage, disciple du shaykh Sîdi Ahmad bn Nâçir Ad-Dra῾i. Ils croyaient en lui, et le Sultan lui-même se montra, croit-on, généreux envers lui. Après lui, vint son fils Abû Muhammad bn Al-Aabbâs, qui marcha sur les traces de son père et lit édifier la zaouya qui porte le nom des Shrârda. Il fut à son tour l’objet de la confiance de ses contribules, et même de gens étrangers à eux. L’auteur du Nashr A??malsâni raconte en efl’et que Si Muhammad, en revenant de pèlerinage en 1177, passa par Fâs et que plusieurs personnes de la ville se réunirent autour de lui pour recevoir ses leçons et lui construisirent une Zawiya au Dar ? Ad-Dar???, dans la Adwat Al-Andalus. Cet auteur fait l’éloge de ce personnage et de son père on peut s’y reporter. Son fils, Al-Mahdi bn Muhammad marcha, à son tour, dans la même voie, sous le règne du sultan Mawlay Slîmân. (Dieu lui fasse miséricorde !). Il étudia d’abord quelques-uns des ouvrages de la science, mais sans parvenir à un degré très élevé, puis il se fit remarquer par sa connaissance de la magie blanche et par ses prophéties. Sa renommée se trouvant accrue, il en profita pour dominer l’ignorance de ses contribules. Le Sultan en eut probablement connaissance, mais ne voulut pas y prêter attention. Quand il revint cette fois à Murrâkush, il s’aperçut que sa situation avait grandi considérablement et devenait une menace.
A cette époque, les Shrârda étaient dans une situation florissante, ils s’étaient peuplés et étaient très nombreux. Le Sultan leur avait choisi un gouverneur parmi eux : il s’appelait Qâsim Ash-Shrrâdî. Il arriva entre lui et Al-Mahdi ce qui se produit toujours entre les Mrâbtin et les détenteurs de l’autorité temporelle. Il est probable que le Qâ’îd arrêta un criminel qui s’était réfugié dans la Zawiya de Al-Mahdi et l’en fit chasser. L’inimitié se mit à régner entre le Qâ’îd et Al-Mahdi. Puis une altercation survint entre Al-Mahdi et un de ses parents. Celui-ci s’enfuit à Murrâkush, où se trouvait alors le Qâ’îd Qâsim, et lui exposa ses plaintes contre son oncle Al-Mahdi. Saisissant l’occasion qui se présentait, le qâid se rendit auprès du Sultan et lui fit part de l’attitude d’Al-Mahdi. Celui-ci, dans son arrogance, prétendait s’élever a un rang qu’il n’atteindrait pas, et tant qu’il resterait avec lui dans les tribus, les affaires du Makhzen ne pourraient y être en bon état. Le qâ’îd fit si hien qu’il obtint du Sultan l’envoi de 200 cavaliers avec lesquels il envahit la Zâwiya et la pilla par surprise pendant que ses habitants étaient absents dans divers endroits de son gouvernement. Apprenant bientôt que des cavaliers avaient dévalisé leurs maisons, ces gens revinrent bientôt, tombèrent sur les cavaliers du Makhzen, qui se virent dépouiller de leurs chevaux et leurs armes, et retournèrent à pied à Murrâkush.
Ce revers fut terrible pour le Sultan qui s’en irrita. Il y avait alors, par hasard, auprès de lui, le gouverneur de Murrâkush, Abû Hafs ‘Umar bn Bû-Stta, et le gouverneur des Rhâmna, le Qâ’îd Qâsim Ar-Rahmânî, hostiles tous deux aux Shrârda, particulièrement ce dernier.
Ils attaquèrent violemment, en sa présence, l’attitude des Shrârda, et l’engagèrent vivement à les razzier et à leur inlliger un châtiment qui les empêchât de recommencer. Sur ces entrefaites, les Shrârda, se repentant de ce qu’ils avaient fait, envoyèrent des victimes propitiatoires au Sultan, et égorgèrent des animaux devant sa porte et devant les mausolées des saints de Murrâkush, mais il repoussa leurs demandes. On dit que le Sultan n’eut pas connaissance de ce témoignage de repentir, à cause de la toute puissance de ‘Umar bn Bû-Stta et de Qâsim Ar-Rahmânî, avec lesquels le Sultan était comme dépourvu d’autorité. Ils le harcelèrent d’ailleurs jusqu’au moment où il envoya des émissaires dans les tribus du Hawz pour les inviter à participer à la razzia des Shrârda. Ces tribus lui envoyèrent leurs contingents. Le Sultan’avait d’ailleurs, auprès de lui, le Jaysh des Udaya et ses principaux chefs, comme At-Tâhar bn Ms’ûd Al-Hassâni, Al-Hâjj Muhammad bn At-Tâhar. Il avait, de plus, le Qâ’îd Muhammad bn Kl’amri ??? avec des Bni Hsan et d’autres tribus du Gharb.
Ouand le Sullan fut prêt à marcher contre les Shrârda, il lit partir d’abord Qâsém Ar-Rahmâni, qui s’était fait fort de réduire à lui seul cette tribu. Celui-ci se mit en roule en ton le hâte pour être le premier, et alla se fixer à Wïn Dâda, où il démeura 8 jours.
Pendant ce temps, des intermédiaires allaient et venaient entre le Sultan et les Shrârda. Mais la division faillit éclater parmi ces derniers. Un Mrâbit, nommé Al-Habîb, de la famille des Wulâd Sidi Ahmad K/zâûva, prit l’initiative d’envoyer une quarantaine de Shrârda auprès du Sultan pour tacher de négocier la paix.
Sur les conseils, dit-on, de Ar-Rahmâni et de Bn Bù-Stta, le Sultan les arrêta, et leur fit enlever leurs chevaux et leurs armes. Le mal s’aggrava alors, il fallait y porter remède d’urgence. Le Sultan se mit en marche à ce moment-là la lutte s’engagea dès le matin, mais, connue on était en été, lorsque la chaleur devint trop forte, on se sépara. Puis, quand le soir fut venu, Qâsim Ar-Rahmâni retourna au combat, mais il fut battu et tué et sa tète portée au bout d’une lance. L’armée du Makhzen fut mise en déroute et la débandade se produisit dans la Mhalla.
Les tribus se dispersèrent et se retirèrent pendant la nuit sans s’inquiéter de ce qui pourrait se passer. Aussi, te lendemain matin, il ne restait plus avec le Sultan que le Jaysh du Makhzen. Se précipitant alors sur la Mhalla, les Shrârda virent que le Sultan restait avec très peu de monde, et pensèrent à s’emparer de sa personne. Ils se mirent a combattre, et l’armée qui était avec le Sultan, vaincue, abandonna la Mhalla avec tout ce qui s’y trouvait.
Les Shrârda se partagèrent le butin, tandis que le Sultan, groupant autour de lui les gens de son entourage immédiat, reprenait, la route de Murrâkush. Mais, en chemin, il rencontra une rigole d’eau qui lui barra la route.
Les Shrârda semèrent Je désordre parmi les gens du Sultan et se mirent à dépouiller tous ceux qu’ils purent saisir. La défaite du Sultan n’en était que plus complète. Les Shrârda tuèrent par derrière ‘Umar bn Bû Setta. Voyant cela, le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) fit proclamer aussitôt que personne ne devait se faire tuer pour lui et pour ces misérables dépouilles, et qu’il fallait donner aux Shrârda tout ce qu’ils demanderaient. Une vingtaine de chefs des Shrârda se réunirent et vinrent lui dire :
« O notre maitre viens avec nous afin que la foule ne puisse pas l’atteindre »
Le Sultan se remit entre leurs mains. Il était monté sur sa mule. Les Shrârda l’entourèrent et le conduisirent jusqu’à leur Zâwiya, où ils l’installèrent dans la maison qu’ils appellent Dâr Al-Mawsim. Ils le traitèrent avec respect et firent tous leurs efforts pour le bien servir.
Le Sultan avait avec lui son nègre. Faraji, qui était encore enfant et qui devint plus tard gouverneur de Fâs al-Jadîd, sous le règne de Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm, ainsi que ‘Abd Al-Khâliq bn Grîrân ? Al-Harizi, qui était jeune alors et dont les joues se couvraient à peine de duvet.
Le Sultan demeura 3 jours chez les Shrârda. Le quatrième jour, qui était un vendredi, le Sultan fit la prière chez eux et entendit la Khutba (qui fut prononcée en son nom). Le lendemain, les Shrârda montèrent à cheval pour l’escorter jusqu’à Murrâkush. Arrivés à ‘Ain Bû ‘Ukkaz, ils lui firent leurs adieux et s’en retournèrent.
En les quittant, il leur dit :
« Ceux qui ont voulu ouvrir les portes de la révolte, Dieu s’est servi de leurs têtes pour les boucher. »
Il voulait désigner les Rhâmna.
Un ou deux jours après l’arrivée du Sultan à Murrâkush, les Rhâmna tuèrent Muhammad bn Bû Stta. Ils avaient appris que ce personnage, qui avait été fait prisonnier par les Shrârda, puis relâché, s’était engagé d’une façon solennelle, vis-à-vis de ces derniers, à défendre leur cause auprès du Sultan, s’il recevait le gouvernement de Murrâkush en remplacement de son frère ‘Umar qui venait d’être tué. C’est pour cela que les Rhâmna l’avaient massacré.
Voici ce que raconte l’auteur de ????? :
« Trois jours après qu’il eut décidé de se rendre à Zâwiyat Ash-Shrrâdî, le Sultan m’envoya dans le Sûs, où son neveu Mawlay Bn Nâser bn ‘Abd Ar-Rahmân, qui était gouverneur de ce pays, avait donné de nombreux sujets de plaintes.
« Arrivé à Târûdânt, j’y attendis quelque temps des nouvelles. Nous apprîmes bientôt la défaite du Sultan, mais avec des versions différentes. Les uns disaient qu’il avait été tué, les autres qu’il était mort de mort naturelle d’autres enfin qu’il était sain et sauf. Mais nous reçûmes après cela 2 lettres venant du Sultan, l’une portait son sceau et écrite de la main du secrétaire, l’autre écrite de sa propre main, pour nous confirmer la nouvelle de son salut. Il disait dans celle-ci :
« Cette expédition n’a eu lieu que pour faire périr les oppresseurs et ceux que nous trompaient par leurs manifestations d’amitié, tandis qu’en réalité c’étaient nos pires ennemis, comme Qâsim Ar-Rahmâni,un tel et un tel. Quant aux Wulâd Bû Stta, ‘Umar a été tué par les Zirâra, à cause de ses accointances avec les Rhâmna, et Muhammad a été tué par les Rhâmna, pour ses accointances avec les Ahl As-Sûs. Le sharîf Sidi Muhammad bn ‘Abd al-Jalîl Al-Wazzânî a été atteint d’une balle (sur lui soit la miséricorde de Dieu !). Bref « la mort du rat nous a permis de briser la jarre ». Tu as bien fait d’attendre, laisse toutes choses en l’état, et ramène avec toi les shaykhs du Sûs à qui tu promettras notre bienveillance et notre appui dans tout ce qu’ils demanderont.
Salut »
Une l’ois rentré à Murrâkush, le Sultan fit rembourser leurs dépenses aux auxiliaires qui l’avaient abandonné dans la défaite, et qui se présentèrent auprès de lui, humbles et repentants, et sollicitant leur pardon aux portes de son palais. Il ne put que renoncer à punir leurs basses actions et leur désobéissance. Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu ! Il leur ordonna seulement de se préparer à coopérer à une expédition contre les Berbers du Nord. Il les renvoya chez eux en leur donnant rendez-vous pour la fêle du Mawlûd généreux, époque où survint le terme de ses jours (Dieu lui fasse miséricorde !).
Mort du Amîr al-Mû’minîn Mawlay Slîmân bn Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !)
Pendant les dernières années de son règne, le Commandeur des Croyants Mawlay Slîmân (Dieu lui lasse miséricorde !) était las de l’existence et voulait abandonner le pouvoir à son neveu Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm, pour consacrer son indépendance au culte de son Maître, jusqu’au moment où la vérité viendrait à lui. Plus d’une fois il exprima ce désir qu’il manifesta souvent dans ses lettres et correspondances, notamment dans son testament dont voici le texte
« Louange à Dieu.
« J’ai constaté la déformation de la religion et la domination exercée dans les affaires des Musulmans par la perversion et l’ignorance. ‘Umar disait :
« Si nous les suivons, nous les suivrons même dans des choses que nous n’approuvons pas, sinon ce serait la division, car ceux-là sont juges et tous ceux-ci sont corrompus. C’est pourquoi ajoutait-il, nous avons proclamé Abû Bakr, ce qui, par Dieu, élait préférable. »
Le Prophète de Dieu (sur lui soient les prières de Dieu et le salut !) disait au sujet d’Abû Bakr « Dieu le dédaigne et les Musulmans l’agréent » et l’honora de la première place à la est la base de la religion. Abû Bakr disait aux Musulmans : « Proclamez ‘Umar ! » et il fit reconnaître ce dernier, pendant qu’il vivait encore, de sorte que le serment qui lui fut prèté fut obligatoire et valable, quand il mourut. ‘Umar disait : « Les 6 que voici sont les meilleurs d’entre les Musulmans. »
Le Prophète de Dieu (Dieu lui accorde ses bénédictions et le salut!) a dit : « Le meilleur des serviteurs de Dieu est Suhayb » Il a dit « Abû ‘Ubayda est l’homme loyal par excellence de cepeuple. » Il a dit encore « Le ciel n’a pas abrité, la terre n’a pas porté une langue plus sincère que celle de Abû Darr ». Il a dit plus que cela encore sur Abû Bakr et sur ‘Umar.
L’éloge est donc nécessaire pour faire connaître quelqu’un et pour montrer ce qu’il vaut, afin qu’on puisse en profiter. Aussi, voici ma déclaration : Dieu la fasse assez pure pour son généreux visage.
Je ne pense pas que parmi les descendants de Mawlay ‘Abdallah notre aïeul, ni parmi les fils de notre père Sidi Muhammad (Dieu lui fasse miséricorde !), ni parmi ses petits-fils, il s’en trouve un plus éminent que Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm et plus digne du pouvoir (Dieu le conserve !). Il ne se livre pas à la boisson, il ne commet pas d’adultère, il ne ment pas, il ne vole pas, il ne fait couler le sang et ne prend l’argent d’autrui que pour des raisons sérieuses, quand bien même il serait maître du royaume de Mashriq et du Maghrib, il est d’une piété de Suhayb, il observe le jeune obligatoire et surérogatoire, et il effectue les prières obligatoires et surérogatoires.
Mon but, en le faisant venir de As-Swîra, a été de le faire voir et connaître par les populations: c’était aussi pour le leur montrer que je lui avais fait quitter Tâfilalt.
Si ceux qui aiment la vérité veulent l’écouter, il leur sera aussi utile que le fut, a son père, encore vivant, Sidi Muhammed, son grand-père, et ils n’auront plus besoin de moi. Les habitants du Maghrib l’aimeront et le suivront, s’il plait à Dieu, quiconque le suivra, suivra la bonne direction quiconque en suivra un autre, suivra la voie de la révolte et de l’erreur.
Je mets tout le monde en garde contre les fils de Yazid, comme l’avait fait mon père. Ceux qui l’ont suivi, lui et ses enfants, ont vu comment il s’est enfoncé dans les ténèbres, comment il a été poursuivi par la malédiction de son père et comment il s’est insurgé contre la nation.
Quant à mot, je suis à bout de forces, et je succombe à la tache: ma tête est maintenant couverte de cheveux blancs. Puisse Dieu me faire revivre dans mes enfants et dans les .Musulmans Ainsi soit-il.
Voilà mes conseils, voilà mon testament.
Slîmân bn Muhammad, Dieu le favorise »
Dans le cours de cette période, les Dâ U Blâl commirent une perfidie en pillant les revenus de la douane envoyés du port de As-Swîra ; ce forfait fut perpétré avec la complicité des Shiyâdma qui accompagnaient le convoi et de leur Qâ’îd Muhammad Ash-Shiyâdmi, qui s’attribua la plus large part du butin. Cet envoi contenait des trésors de la plus grande valeur et d’importantes richesses, en nombre considérable. Cet événement ébranla la santé du sultan Mawla y Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !) et provoqua la maladie qui amena sa mort.
Lorsqu’il se sentit terrassé par le mal, il renouvela l’acte par lequel il léguait le pouvoir à Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm, et le lui envoya à Fâs où il exerçait les fonctions de khalifa, comme nous l’avons rapporté. Il se fit apporter pour cela une feuille blanche et son grand sceau.
Les femmes seules étaient présentes auprès de lui. Il scella d’abord la feuille de sa propre main, et écrivit les premières lignes de la lettre, puis la fit terminer par une de ses concubines qui savait bien écrire. Ensuite il plia la lettre, la cacheta, et faisant venir le Qâ’îd Al-Jilâlî Ar-Rahmani ?? Al-Hawiwi ??, qui était Qâ’îd du Mishwâr, il lui demanda deux cavaliers pour porter cette missive à Fâs, en disant qu’ils recevraient à leur arrivée une récompense importante fixée par lui, s’ils marchaient vite. Cette lettre était le ‘Ahd qui fut lu à Fâs. En voici le texte :
« Louange à Dieu seul,
Dieu prie sur noire seigneur Muhammad, sur sa famille et ses compagnons, et leur donne le salut
A nos oncles les Udaya, aux fantassins de Fâs, aux notables et aux principaux de la ville.
Que le salut, la miséricorde de Dieu et ses bénédictions soient sur vous, ainsi que sur notre neveu le Fqîh, le qâdî, Mawlay Ahmad, et sur les fqihs Ben Brâhîm et Al-‘Azm, ensuite :
Comme je me sens arrivé à l’épreuve qui ne laisse personne en ce bas monde, voici mon testament que je vous présente avant que mon heure ait sonné. Je prends Dieu à témoin qu’il ne reste pas dans mon cœur le moindre atome de rancune contre une seule créature de Dieu, car ce qui s’est passé a été voulu par Dieu, qui le savait depuis longtemps. D’ailleurs, je ne suis pas le seul qui ait subi ce sort: car mes prédécesseurs se sont trouvés dans une situalion afl’i’cuse et plus critique. J’ai établi entre mes oncles et les habitants de Fâs une fraternité qui, avec l’aide de Dieu, ne se brisera pas et dont les fils hériteront de leurs pères. Je fais à tous les recommandations que Dieu adressait à nos anciens:
« Nous avons recommandé à ceux qui ont reçu le Livre avant vous, et nous vous reconunandons à votre tour de craindre Dieu, d’observer ce que vous a apporté le Prophète et de vous abstenir de ce qu’il a interdit. »
Craignez donc Dieu La Loi Sainte du Prophète de Dieu (Dieu prie pour lui et lui donne le salut) dit aussi 7
« Vous observerez ma Sunna cl celle des khulâfa râshidîn qui me succéderont. Mordez-là avec vos molaires. Ce peuple sera toujours prospère tant qu il observera le Livre de Dieu. »
Je lègue le pouvoir à Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân Bn Hishâm, et je demande à Dieu de m’accorder pour cela la même faveur qu’à Sulaymân bin ‘Abd Al-Mâlik léguant le pouvoir à ‘Umar bin ‘Abd Al-‘Aziz ! Certes, je ressuscite tes morts et j’inscris leurs actions et les œuvres qu’ils ont laissées. Celui qui établit une belle loi en aura la récompense et la récompense de ceux qui l’auront observée jusqu’au jour de la résurrection.
Vous vous réunirez pour dresser l’acte de reconnaissance de cet ‘ahd que le qâdi et les deux fqihs vous expliqueront. Si quelque divergence se produit parmi vous, faitesla résoudre par Dieu et le Prophète.
Pour moi, je déclare devant Dieu que je me soumets entièrement et que j’obéis au serviteur de Dieu ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm et je le revêts de mon serment de fidélité.
Maintenant que j’ai donné au peuple du Prophète de Dieu (Dieu lui accorde ses bénédictions et le salut !) les conseils que j’avais le devoir de lui apporter, j’espère que Dieu me récompensera de mes bonnes intentions, lui qui sait ce qui se passe dans les coeurs et qui connaît tous les secrets.
Salut. Le Rabi’ prophétique de l’année 1238 »
La maladie du Sultan (Dieu lui fasse miséricorde !) se prolongea encore quelques jours; il trépassa le 13 rabî II, deuxième jour de la fête du Mawlûd de l’année précitée. Il mourut sain d’esprit et avec toute sa lucidité, certain et joyeux d’aller auprès de son Maître. Il fut enterré dans le mausolée de son ancêtre Mawlay ‘Ali Ash-Sharîf qui se trouve à Murrâkush, à Bâb Aylân. (28/12/1822)
Un grand nombre d’écrivains de l’époque ont composé des élégies à ce sujet: de ce nombre est celle du fqîh délicat, du secrétaire éloquent, Abû ‘Abdallah Muhammad bn Drîs Klfcsi.
Détails complémentaires sur le sultan Mawlay Slimân monuments qu’il fit édifier sa politique.
Dès son avènement, le Amîr al-Mû’minîn Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !) ramena l’accord des conséquences avec leurs principes, et établit un khalifat conforme i ces règles, en ramenant la justice et la bienveillance pour les sujets, pour les faibles et les malheureux.
Une des marques de sa haute intelligence et de son équité fut l’abolition des Mukus qui frappaient, dans les villes principales du Maghrib, aux portes, et dans les marchés, les marchandises, les produits de la terre, les peaux et le tabac. Ces taxes rapportaient pendant le règne de son père une somme nette de 500.000 miṯqâl-s, inscrite sur les registres, et vendue sous la responsabilité des gouverneurs des villes et des ‘âmil-s des tribus. Le chiffre de ces taxes variait avec les villes. Le meks servait à payer les dépenses de costumes, de selles, d’armes, de couture pour les soldats, les dépenses pour les délégations envoyées par les tribus, et pour les hôtes, la mûna des troupes, l’entretien des maisons du Sultan et de tous ses gens. Ce meks suffisait pour faire face à toutes les dépenses du gounement, et on ne versait au Trésor que l’argent des ports, les ashûr-s et la zekât des tribus. Les recettes de ce Mukus balançaient celles des ports et du ‘ashûr des tribus. Ce Sultan juste renonça à ces revenus, et Dieu les lui remplaça par de plus grands venant seulement de sources légitimes, comme le ‘ashûr et la zekât des tribus, la Zakât perçue sur les biens des marchands, le ‘Ashûr pris aux marchands chrétiens et aux .Juifs dans les ports.
Quant aux Musulmans, il leur interdit d’aller l’aire du commerce sur le territoire de l’ennemi, dans la crainte qu’il n’en résultât une taxation de leurs biens, ou des conflits avec les nations. C’est du moins ce qu’on m’a raconté ; Dieu sait quelle est la vérité
Sous son règne, les tribus s’enrichirent et leurs troupeaux augmentèrent sa justice et sa bonne administration amenèrent la prospérité, une tribu, qui, du temps de son père, donnait 1000 miṯqâl-s, versait, en suivant strictement la Loi sainte, 30 000 M. Ce résultat était dû a l’aide que Dieu lui prêtait, à son respect de la justice, à sa clémence, à sa bonté, à son respect humain, à sa patience, à sa bonne politique, à sa modération dans les affaires et l’attention avec laquelle il évitait tout ce qui est contraire à ces qualités.
La clémence lui le fond principal de son caractère. Ses contemporains s’accordent à dire qu’il était l’homme le plus clément de son temps ; celui qui savait le mieux se contenir dans un moment de colère pour ne pas commettre défaille. Il avait pour principes de repousser les châtiments corporels prononcés dans les cas de culpabilité incertaine, de toujours rechercher la conciliation et d’accepter les excuses. Ce fut à tel point qu’on raconte qu’il n’a jamais usé de violence avec personne, ou qu’il s’exposa au malheur dans un but personnel ou dans un intérêt terrestre. D’ailleurs sa clémence est suffisamment prouvée par la façon dont il traita ceux qui se révoltèrent contre lui.
L’auteur du Jaysh dit :
« Avant de partir de Fâs, lors de la révolte, pour me rendre auprès du sultan Mawlay Slîmân à Qçar Ktâma, j’allai faire mes adieux au qâdî Abû Al-Fadl ‘Abbâs At-Tâwudi, qui me fit, entre autres recommandations, la suivante « Dis de ma part à notre maître le Sultan que je crains beaucoup que, s’il triomphe de ces révoltés, il ne leur pardonne! » Quand j’eus rejoint le Sultan, je lui communiquai les paroles du qâdi.
« Comment, me répondit-il, leur pardonnerais-je ? Le Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le salut!) a dit à Abû ‘Aziz
« Je ne te laisserai pas essuyer tes moustaches à la Mekke avant que tu aies trompé Muhammad deux fois. »
Cependant lorsqu’il fit la conquête de Fâs, ses premières paroles furent qu’il ne châtierait pas les habitants et que Dieu leur pardonnerait, lui qui est le plus clément des cléments. Il s’empressa même de quitter la ville, dans la crainte que quelqu’un de son entourage ne l’excitât contre quelque habitant. Fût-elle jamais plus vraie cette maxime que le naturel l’emporte toujours sur l’assimilation. »
Quant à la piété, c’était sa marque dislinctive et la règle qu’il suivait pour adorer Dieu, remplissant les prescriptions divines à leur moment, qu’il fût en ville ou en voyage, observant le ramadan et passant ses nuits en prière. Il choisissait pour cela les maîtres et les professeurs des lecteurs sacrés, et réunissait les plus grands ‘Ulama pour lire le hadîth glorieux, en discuter le sens, et en causer, le jour et la nuit, principalement en ramadan. Il apportait dans ces discussions l’abondance de sa science el la distinction de son esprit, trouvant le premier l’intelligence des questions qui déconcertaient d’autres que lui. Il ne manquait jamais de jeûner chaque mois, les jours ou cette pratique est devenue d’une coutume générale sans avoir été commandée par la loi. Il honorait les savants qui sont les héritiers des prophètes, et leur donnait la préséance sur tous les autres personnages de son gouvernement. Il leur concédait des revenus ; leur donnait de belles maisons, des fermes de rapport. Il n’était pas moins généreux envers leurs inférieurs, les professeurs et les Tulba. Il distinguait parmi eux ceux que leur application et leur intelligence faisaient remercier, leur témoignant une plus grande bienveillance et doublant leur traitement. Aussi, pendant son règne, on rivalisait de zèle pour acquérir les sciences et les professer, parce que la science et les savants étaient en honneur dans son gouvernement et étaient récompensés.
Sa résignation dans les difficultés, son endurance dans le malheur, sa fermeté en présence de l’adversité et des coups du destin, étaient semblables à la mer et même aux montagnes dont le proverbe dit:
« Adressez-vous à la mer, elle ne bouge pas adressez vous à la montagne, elle reste silencieuse et fortement campée sur sa base. »
L’auteur du Bustân déclare que s’il racontait tout ce dont il a été témoin, on en serait étonné.
Au point de vue de la justice, on n’a pas vu dans son siècle un roi plus juste que lui. Une des choses étonnantes qu’il faisait était qu’il obligeait les ‘âmil-s à rendre à leurs sujets ce qu’ils leur faisaient payer injustement, sans présentation de preuve à la charge de ces fonctionnaires, suivant la pratique suivie par les docteurs dans les réclamations formulées contre les oppresseurs et les tyrans.
Le trait suivant, qui m’a été raconté par le fqîh Abû Al-‘Abbâs Ahmad bn Al-Makki Az-Zwâwî, Muwaqqit de la grande mosquée de Salé, indique sa justice et sa modération.
« Le sultan Mawlay Slîmân, m’at-il dit, était venu à Salé en 1236 et campait à Râs Al-Mâ’. Comme il m’avait appelé pour remplir auprès de lui les fonctions de Muwaqqît, je pénétrai auprès de lui. Il était grand, avait le teint clair et de beaux traits. Il s’entretint avec moi de questions de lôqît, qu’il connaissait à fond, et fut charmé des réponses que je lui fis. Il me fit cadeau de 2 doublons. Il tira sa montre de sa poche pour la régler, et je vis qu’il l’attachait avec un Mjûl de laine. A la prière du ‘Asar, qu’il vint faire avec nous, je m’aperçus qu’il portait un pantalon rapiécé. Bien qu’il eut pour sa prière un Imâm officiel, qui était le Fqîh Si Al-Hâjj Al-’Arbi As-Sâhli, il fit cependant cette prière là avec nous. La prière terminée, nous rentrâmes chez nous et on nous apporta le repas qui consistait dans un simple petit plat de Ksiksu recouvert d’un peu de viande et de légumes. D’ailleurs, Mawlay Slimân n’emportait jamais de « kushina », c’est à dire de cuisine, en voyage. On préparait pour lui et ses gens juste la nourriture suffisante. Aussi bien, ses secrétaires ne recevaient que 6 Muzûna, pour leur entretien leur nourriture et leurs provisions étaient très modestes. »
Que dire de l’habileté toute particulière qu’il avait pour adoucir les cœurs, pour ramener les égarés, calmer les craintifs, contenter ses amis, dissimuler sa haine contre ses ennemis et déjouer leurs hostilités par la douceur dans les situations embrouillées, supporter les hommes par toutes sortes de ruses et d’artifices dans les questions où la guerre et la force étaient inut-iles? Personne ne saurait atteindre au degré auquel il sut s’élever, ni traverser la poussière qu’il soulevait.
Dans la guerre, il adopta la tactique des étrangers, ne dirigeant pas les combats en personne, mais suivant les procédés des gens du premier siècle. Il se tenait au milieu de l’armée comme une montagne inébranlable, et ses généraux conduisaient l’action eux-mêmes à l’aile droite et à l’aile gauche. Lui, il les assistait: s’il apercevait une issue, il la fermait aussitôt ; une brèche, il la réparait ; demeurant toujours comme une forteresse qui domine le champ où évolue la foule, et profitant de toutes les occasions qui se présentaient. Son courage et sa ténacité étaient si grands qu’au moment du combat, sa monture habituelle était sa mule. C’est ainsi que dans les affaires des Zayân et des Shrârda il lui arriva ce qui lui arriva: tandis que ses défenseurs l’abandonnaient honteusement, il restait, seul toujours solide. Dieu lui fasse miséricorde!
Par la façon dont il posséda les diverses sciences, il était un héritier des prophètes, portant l’étendard de la Shari῾a sainte, universel et inaccessible. Sur l’histoire, il était comme le recueil de Sufiyan. Sur la poésie Comme l’illustre Dabiân. Sur l’art de découvrir et pénétrer la vérité d’après la physionomie, comme ???. Sur le savoir et le jugement, comme Al-Mutallib. S’il traitait de la Sunna et du Livre, on retrouvait en lui l’autorité de Mâlik et de Ibn Shihâb. Si, en jurisprudence, il abordait les consultations et l’enseignement, ses auditeurs étaient convaincus d’entendre Ibn Al-Qâsim ou Ibn Idrîs.
S’il parlait des sciences tirées du Qur’ân, il répandait une pluie qui remplissait jusqu’aux hords la coupe des altérés.
L’auteur du Bustân déclare que « seul peut apprécier la valeur de ce Sultan, celui qui s’est éloigné de sa patrie et qui, portant le bâton de la marche, a été jeté par les voyages dans diverses contrées, où il a vu de près la conduite des rois envers les serviteurs de Dieu, et le mal qui remplit tous les pays. Les habitants de Maghrib, ajoute-t-il, ne reconnaîtront sa justice que lorsqu’il aura disparu et sera anéanti. »
L’homme est méprisé tant qu’il vit, mais l’étendue du malheur apparaît quand il vient à s’éteindre.
Le sultan Mawlay Slimân a laissé des édifices et a fait effectuer des constructions remarquables.
A Fâs, le premier ouvrage qu’il fit fut de construire la grande mosquée d’Ar-Rçayf qui resta comme un témoignage de la piété des rois. Cette mosquée est sans pareille Mawlay Yazîd en avait creusé les fondements, mais avait dû abandonner les travaux pour d’autres occupations.
Il démolit la mosquée d’Ad-Diwân qui était petite, en augmenta l’emplacement et fit édifier à sa place un Jâmi‘où l’on célèbre la prière du vendredi. Il agrandit et développa la mosquée d’Ash-Shrâbliyin, qu’il transforma également en Jâmi῾. Il édifia la mosquée et le mausolée du cheikh Abû Al-Hasan bû Ghânim ném et, le mausolée du shaykh Abû Muhammad ‘Abd Al-Wahhâb At-Tâzi. Il fit démolir la madrasa d’Al-Wadi et sa mosquée qui tombaient en ruines, elles reconstruisit sous une autre forme. Il restaura la madrasa ‘Inaniya, répara la mosquée de la Qasba Al-Bâlia qu’il blanchit à la chaux et orna de zullij-s. Il construisit une porte monumentale à Bâb Ftûh, Bâb Bni Msâfir et celle appelée Bâb ???? sur les forts de Bû Jlûd. Il construisit le pont sur la rivière qui est entre ces deux portes, il répara deux fois le pont d’Ar-Rçayf et le pont du Wadi Sbû. Il fit réparer et paver toutes les rues intérieures et extérieures de Fâs Al-Jadîd. Il fit réparer toutes les portes de Fâs Al-Jadîd et remplacer tout ce qui y était en mauvais état. Il restaura les palais impériaux qui étaient ruinés, et en construisit de nouveaux. Il fit blanchir les mosquées à Khutba et daller leur sol. A Sfrû, il fit construire une mosquée, restaurer la muraille de la ville, et y établit un Hammam pour les habitants. Il construisit la mosquée d’Al-Manzal chez les Bni Yâzgha, la mosquée de Wujda et un Hammam dans cette ville, dont il répara la Qasba et le palais du gouverneur. Il édifia la mosquée de Wazzân et celle de Tétouan. Dans cette dernière ville, il fit quitter aux Juifs les abords de la mosquée, et leur construisit un quartier spécial sur le chemin de la Ville. A Tanger, il fit construire des batteries et des forts. Il restaura la mosquée et la muraille d’Açîla. Il restaura les palais impériaux en ruines de Miknâs, et les ponts qui se trouvent entre cette ville et Fâs. Il construisit le pont sur l’Wad Sidi Hrâzim à ????, à Salé, il édifia la mosquée d’Al-Gzzârin, pour l’entretien de laquelle il établit des Hubûs, et fit quitter aux Juits le quartier de Bàb Husayn au centre de la ville pour leur élever un quartier spécial à l’extrémité occidentale de la ville. Il construisit à Ribât Al-Fath la grande mosquée du quartier d’As-Swîra et son palais de Dâr Al-Bhar. Il éleva le pont du Wadi Hassâr dans le Tâmisna, la mosquée de Bûja’d dans le Tâdla, le pont de l’Wad Umm Ar-Rbî’a, le pont du Wadi Tânsift à Murrâkush qui s’était écroulé. A Murrâkush, il construisit le Jamî῾ Grand qui avait été fondée par ‘Ali bn Yûsuf Al-Lamtûnî, et fit élever une construction monumentale.
Il remplaça l’ancien minaret de cette mosquée par un beau minaret d’un travail très fin. Il termina la mosquée d’Ar-Rahba qui avait été commencée par son père (Dieu lui fasse miséricorde !) mais que la mort l’avait empêché d’achever.
Il restaura les palais de son père à Murrâkush, les répara et fortifia la Qasba qu’il repeupla.
Enfin il termina son règne par cette grande oeuvre, cet acte glorieux qu’il effectua en léguant le khalifat à son neveu Mawlay ‘Abd Ar-Rahman bn Hishâm, de préférence à ses nombreux enfants et à ses frères. Certes cette œuvre est glorieuse pour son auteur et pour celui qui en était l’objet.
Quant à son auteur, nous ne connaissons pas, depuis le Amîr al-Mû’minîn ‘Umar bn Elkhattâb (Dieu soit satisfait de lui), jusqu’à cet illustre imàm qui a renouvelé les actes des deux ‘Omar, un seul khalife ni roi de l’Islam qui ait enlevé l’héritage royal à un fils à qui il revenait de droit pour le donner à un autre. On cite, cependant, le cas de Souléïinàn bn ‘Abdelmélik qui avait institué pour son hérilier son cousin ‘Omar hen ‘Abd Al-‘Azîz (Dieu leur fasse miséricorde !), mais Ibn Elalsîr raconte que Sulaymân, au moment de mourir, voulut passer l’autorité à un jeune fils qu’il avait. Iajâ bn Iliûa l’en ayant dissuadé, il y renonça et le consulta sur son fils Dâwud qui était alors en expédition à Constantinople. Mais Iajâ lui ayant fait observer qu’il ne savait pas si son fils était vivant ou mort, il s’en tint définitivement à ‘Umar bn ‘Abd Al-‘Azîz (Dieu soit satisfait de lui !). Quant à celui qui en était l’objet, le fait seul qu’il reçut le pouvoir, l’exclusion des fils et des frères du Sultan, prouve la perfection de son mérite, et la supériorité qu’il avait sur ses frères et sur les membres de sa famille. Certes, il en donna la preuve dans la suite :
Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm (Dieu lui fasse miséricorde se rendit célèbre par sa piété et sa loyauté, et on ne trouverait pas deux personnes pour discuter son équité.
Régne du Amîr al-Mû’minîn Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm débuts et adolescence de ce Commandeur.
Dès son adolescence, Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm(Dieu lui fasse miséricorde !) s’était attache à vivre dans la piété et l’austérité. Il se distingua de bonne heure par sa modestie et ses qualités généreuses, réservé vis à vis des hommes, zélé dans la prière et le jeune, se tenant à l’écart des futilités, et apportant un grand sérieux dans toutes les affaires. Aussi, on lui reconnut bientôt un si beau caractère, et les coeurs et les bouches s’accordèrent à l’aimer et le vanter. Le voyant se développer d’une façon aussi vertueuse, son oncle le sultan Mawlay Slîmân (Dieu lui fasse miséricorde !) avait eu de la sympathie pour lui, se l’était attaché, s’était occupé de lui, et l’avait élevé même au-dessus de ses enfants. Lorsqu’il avait envoyé ses fils aux deux nobles sanctuaires pour y accomplir l’obligation du Hajj, il l’avait fait partir avec eux, et avait constate, au cours de ce voyage, sa nature scrupuleuse et sa piété et son attachement aux choses qui amènent la certitude. Il en avait profité pour augmenter le prestige de ce Commandeur et publier sa vertu. Le Sultan (Dieu lui fasse miséricorde!) lui avait remis des marchandises qui devaient lui servir à ses dépenses de voyage et l’aider dans l’accomplissement du Hajj. A son retour, il avait rapporte ces marchandises à son oncle en lui disant :
« Voici, ô mon seineur, ce que vous m’aviez donné je ne l’avais pris que pour m’en servir, au cas où j’aurais épuisé tes marchandises que j’avais emportées moi-même pour en dépenser le prix, et que je n’avais pas voulu mélanger avec d’autres. Les miennes m’ont suffi, grâce à Dieu »
Son oncle avait été surpris de cette conduite, et l’en aima davantage. Il lui rendit cette marchandise considérablement augmentée, et lui exprima des vœux de bonheur.
Il résida d’abord à Tafilâlt, puis le sultan Mawlay Slîmàn, à la fin de ces jours, le fit venir pour lui donner le gouvernement de la place d’As-Swîra et de la région avoisinante, qu’il exerca d’une manière remarquable. Au moment de la révolte provoquée par les fils de Yazîd, il le choisit comme Uhalîfa pour la ville de Fâs, capitale et première ville du Maghrib. Son administration rafraîchit les yeux et consola les coeurs. Le Sultan avait fait tout cela pour le former au pouvoir et pour l’en rendre plus digne que Zayd et ‘Umar.
Prestation du serment de fidélité au Amîr al-Mû’minîn Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm (Dieu lui fasse miséricorde !)
Nous avons vu que le sultan Mawlay Slimân, sur le point de mourir, avait confirmé l’acte par lequel il léguait le pouvoir à son neveu Mawlay ‘Abd Ar-Rahmân bn Hishâm et l’avait envoyé à Fâs. Un peu plus tard survint sa mort la nouvelle en parvint dans cette ville le 2 ? rabî’ II’ 1238.
Le sharîf Mawlay Ahmad bn ‘Abd Al-Mâlik, qâdî le très docte Abû ‘Abdallah Muhammad bn Brahîm, mufti le amîn Al-Hâjj At-Tâlib bn Jllûn, tous les ‘Ulamà, les shurfa et les autres notables de la ville se réunirent aussitôt, ainsi que les notables et les Qâ’îd-s des Udaya. Lecture ayant été donnée du ‘ahd, ils appelèrent la miséricorde de Dieu sur le sultan Mawlay Slîmân et prêtèrent serment de fidélité au sultan .Mawlay ‘Abderrahmân bn Hishâm qu’ils saluèrent du titre de Khalifa. Toute la population, petits et grands, se livrèrent à l’allégresse. Puis les gens du Diwân et les autres corps de troupes lui ayant successivement apporté leur bay’a, il commença l’exercice de la royauté chérie sur un firmament de bon augure, et les lettres annonçant la honne nouvelle furent envoyées dans toutes les contrées. Bientôt arrivèrent les bay’a et les cadeaux des habitants des villes ; pas une seule ne s’abstint d’envoyer le serment légal. La population du Maghrib se réjouit de son avènement, et vit une preuve de sa bénédiction et de sa félicité, dans les pluies qui tombèrent, dans le bon marché des denrées, et dans la tranquillité qui régna aussi bien la nuit que le jour.
Lorsque cette bay’a bénie fut terminée, et que s’établit cette sécurité, cette paix, cette prospérité dont nous avons parlé, le Sullan (Dieu lui fasse miséricorde !j prit pour wazir le fqih très docte et très fin Abû ‘Abdallah Muhammad bn Drîs Al-Fâsi.
Le Sultan reçut ensuite les félicitations du shaykh Abû Ishâq Brâhîm bn ‘Abd Al-Qâdr Ar-Riyâhi, le savant, le mufti, le lettré de l’Ifriqiya.