Lorsqu’on porte son attention sur les Hadiths recelés par le Sahih (« vérifiable ») de Bukhari à propos de la terminologie du voile, on est frappé de voir que la majorité des expressions concernent un vêtement coutumier, et des vocables étonnamment mixtes ; le voile désigne avant tout un vêtement masculin… C’est donc par ces hadiths que nous commencerons l’étude du voile et du vêtement dans la « geste prophétique ».
En seconde partie, nous analyserons le voile comme vêtement de femmes, avant tout tissu coutumier, très refermant, et contraignant pour les principes religieux et cultuels édictés par le prophète, puis, vêtement des femmes du prophète, impliquant des règles, qui, finalement, bien plus tard, viendront s’appliquer à toutes les « femmes des croyants ».
A : Du voile des hommes
1. Le voile, un vêtement commun
Dans le Hadith XCVII, 35 (7585), Muhammad raconte à Abû Hurayra que prophète Ayûb (Job) utilisait son voile (thûbi-hi) pour ramasser des sauterelles d’or. Le Thûb (tissu, textile, drap…) est un vêtement commun, qui sert également de serviette et de cache sexe lors des ablutions : Dans le hadith V, 18, Maymuna, épouse du prophète, lui apporte de l’eau pour ses ablutions, et « lui couvre la tête d’un voile » (fa-satartu-hu bi-thûb).
Umm Hani, sœur de ‘Ali entrait un jour chez le prophète, qui se lavait, caché par sa fille Fatima, elle observa qu’il fit, « enveloppé/endrapé/enroulé d’un seul voile » (multahfâ(n) fî thûb(in) wâhid(in)) (en serviette sans doute) une prière de 8 Raka‘ !
En VIII, 58 (442), une anecdote, rapportée par Abu Hurayra décrit les 70 hommes de Suffa « sans un seul portant ni Ridâ’ (« robe »), ni Izâr (drap-voile) ; leur Kisâ’ (« vêtement ») ils l’attachaient au cou ; chez les uns ce vêtement descendait jusqu’à mi-jambe ; chez d’autres il atteignait les chevilles du pied ; ils le ramassaient dans leur main, craignant de montrer leur pudeur (‘awratu-hu) ».
En LXXX, 35, Anas rapporte que, couverts de honte suite à une colère du prophète, les compagnons se « cachèrent la tète sous leur Thûb en pleurant »
Le thûb est aussi mentionné dans le hadith VIII 2 ; il est nécessaire (comme on le verra, pour les femmes) que si on « s’enroule dans un seul thûb », de le tenir de sorte à ne pas être nu… Dans les hadiths suivant (VIII, 3-14), le terme revient abondamment sur la question du Izâr et du Thûb masculin comme vêtement bédouin pauvre (ou volontairement modeste) et presqu’insuffisant en terme de ‘awra civilisée.
Sahl b. Sadd « on faisait la prière avec le Prophète ayant un voile noué sur ses épaules » Jâbir b. ‘Abdallah revendique le fait de prier vêtu d’un simple thûb, à l’instar du prophète ; selon Az-Zuhri, juriste marwanide, il faut comprendre qu’on peut s’enrouler dans un thûb, en le croisant sur ses épaules, on s’appuie sur une observation du prophète de ‘Umar b. Abû Salama à ce sujet, alors que Muhammad était dans l’appartement d’Umm Salama.
Abu Hurayra, toujours original, rapporte que le prophète se serait exclamé « chacun de vous a-t-il deux thûb ? », preuve du souvenir de la pauvreté/simplicité bédouine primitive, et de la nécessaire modestie égalitaire du système médinois.
Le même aurait rapporté un Hadith en fait un peu plus long, ajoutant ceci « Plus tard un homme adressa la question à ‘Umar : « Si, répondit-il, Dieu vous a donné l’aisance, usez du superflu. Qu’un homme mette tous ses vêtements (thiyâba-hu) pour faire la prière, qu’un autre mette un Izâr et une robe (ridâ’), un Izâr et une chemise (qamîç), un Izâr et une capote (Qabâ’), un pantalon et un manteau, un pantalon et une chemise, un pantalon et une capote, un caleçon et une capote ou encore un caleçon et une chemise. »
Ainsi, les transmetteurs ont privilégié cette interprétation personnelle de ‘Umar, afin de ne pas sacraliser le port du Thûb/Izâr unique… à la fois pour des raisons de pudeur mais aussi pour laisser le champs libre à l’expression de l’aisance.
Dans le “livre des Expéditions Militaires” le hadith 30 (3170), nous donne quelques informations sur le costume porté par les médinois. Ansi, au récit de Anas, une femme s’empare du thûb d’un homme pour le menacer, elle l’étrangle dans son propre voile masculin, et dans le “livre de l’exégèse”, au XL, 1, ‘Abdallah b. ‘Amrû b. al-‘Âç conte à ‘Urwa b. Az-Zubayr comment les polythéiste usèrent de même sur le prophète avec son propre Thûb !
2. Le voile et la ‘Awra
Abu Hurayra rapporte que la pudeur exige de se couvrir les épaules, c’est pourquoi on s’en revêt en y croisant les coins.
Le prophète est-il dans ce prochain cas plus arrangeant encore avec la pudeur, ou bien plus sévère, Jabîr rapporte avoir fait la prière de nuit avec l’Apôtre, et, n’ayant qu’un Izâr/Thûb, s’y enveloppa (multahfâ(n)), mais Muhammad lui dit « si le thûb est étroit, voile-toi simplement (fa-Attazir) » (explicitement, donc, sans s’envelopper), il s’agit sans doute d’une question de confort, en se couvrant le dos et les épaules, laissant une partie de pudeur en évidence… à moins qu’on garde son étoffe en pagne, plutôt que de s’y envelopper ?
Bukhari ajoute ensuite un rapport de Sahl (à nouveau en X, 136 et XXI, 13), à ce sujet, que les voiles (Izâr) ainsi rapidement noués, trop courts, laissaient voir les parties à ceux (et celles) qui étaient derrière, ce qui conduisit, dans ce cas, à recommander aux femmes de patienter avant de relever leur tête !
Jusqu’à l’an 8 de l’hégire, la nudité (totale ?) ne semble pas avoir été un tabou pour les hommes, puisque Muhammad, dans le Hadith XXV, 42 et LXIII, 25, rapporté par Jâbir, sur le conseil de son oncle Al-‘Abbâs, avait utilisé son unique Izâr comme coussin pour porter des moellons sur son épaule, avant de tomber d’insolation, après quoi on ne l’y reprit plus. (une petite variante se glisse entre les deux versions : « Ari-nî Izâr-î » « donne-moi mon drap-voile » devient « Izâr-î ! Izâr-î » « mon drap ! mon drap ! » en raison d’une graphie hijazite similaire).
Bukhari interprète ce hadith dans un sens de répression à la pudeur ; sans aucune preuve à l’appui à notre connaissance ; « Cache ta nudité ! » aurait retentit d’une voix venue du ciel, fournissant une justification religieuse à l’attaque insolatoire du prophète.
Abu Sa’id al-Khudrî et Abu Hurayra (VIII, 10) rapportent tous deux l’interdiction « Eshtimâl aç-çammâ’ », mot à mot, « s’envelopper brut », et de « s’accroupir lorsqu’on ne revêt qu’un seul Thûb, pour ne pas montrer sa pudeur ».
Quant à la ‘Awra masculine, il semble y avoir un débat dans la communauté, Ibn ‘Abbâs et deux autres compagnons considèrent que le prophète y intégrait la cuisse, mais en dépis de la « précision » revendiquée par Bukhari, on doit constater qu’il s’agit d’un évènement sans signification « Le Prophète couvrit son genou quand ‘Uthmân entra » dont l’auteur rappelle en plus que l’Isnad est peu fiable… il ajoute un hors sujet total, et rapporte le Hadith vérifié de Anas b. Malik, qui n’est lui aussi d’un épisode, « le prophète souleva son voile et je vis le blanc de sa cuisse », dans le contexte d’un chevauché…
3. Voile Prophétique
Le hadith I, 3 mentionne la volonté du prophète de « s’envelopper » sous le choc de la révélation (« Zamlû-nî ! »). En XXV, 17, Safwan b. Ya‘la nous apprend que les révélations du prophète avaient souvent lieu alors qu’il était complètement couvert d’un voile (Thûb qad Udzilla), caché du monde, ce qui est induit dans un hadith exégétique rapporté à ‘Aysha en LXV, XXIV, 6. (Dès qu’on eut dévoilé (fa-lammâ surrî) l’Envoyé de Dieu, il se montra souriant, et les premières paroles qu’il prononça furent celles-ci) Au hadith LXV, LIII, 1 ‘Aysha explique également que ce voile protège la dignité de Dieu, et le regard de l’homme en contextualisant ce verset (XLII, 51) : « Il n’a pas été donné à l’homme d’entendre la parole de Dieu autrement que par la révélation ou derrière un voile (ilâ wahyâ(n) Aw min warâ’ Hijâb(in))». En LXXVII, 16, c’est à nouveau « mutaqanni‘â(n) » que l’importante annonce d’un départ arrive à Muhammad par descente divine, ce terme signifie à la fois une attitude de visage fermé, concentré, et le fait de se cacher des autres.
Selon le Hadith XI, 29, lors de sa dernière montée en chair, le prophète, était « enveloppé des côtés » « Milhafat(an) ‘alâ mankibay-hi » et « portait sur le front un bandeau important/gras » (bi-‘içâba(tin) dasima), rien de plus.
Abu Ayyub, dans le Hadith XXVIII, 14, est un témoignage culturel précieux, attestant que les hommes aussi se couvraient la tête de leur thûb, tout au moins à l’occasion des ablutions.
4. Dispositions religieuses et funéraires :
Si le thûb est le costume général, il peut être un objet de luxe, dont l’ostentation (le fait de « traîner pompeusement ») est coupable (LXII, 6, 3709), au rapport de ‘Abd Allah b. ‘Umar. Les transmetteurs, nous affirme Bukhari, se sont posé la question de savoir si le prophète avait précisé « traîne du Izâr », ou seulement du « Thûb ». La nuance leur a paru importante, il est pourtant difficile de distinguer le spécifique du général entre ces deux termes.
Il ne s’agissait, là encore, pas de normativité, mais d’un rejet de l’outrecuidance. Bukhari rapporte ensuite en LXII, 9 l’exclamation de ‘Umar, au moment de mourir, demandant au jeune esclave qui l’avait abattu de ne pas laisser traîner son “thûb“, pour garder la propreté du bien de son maître ; ce qui, à nouveau, semble devoir être interpréter comme normativité, alors qu’il s’agit d’un moment hautement symbolique de la geste omarienne.
Pour le pèlerinage, le prophète n’aurait interdit que les vêtements déteignant et/ou ( ?) teint au safran… mais on pouvait porter un thûb/Izâr normales, sans que ce soit non plus une disposition obligatoire…
En XXVIII, 13, on apprend qu’on ne doit pas non plus porter de chemise, caleçon, turban ou cape, et qu’en l’absence de sandale, il faut néanmoins couper sa botte au dessus de la cheville. Il y a donc un impératif religieux de ne pas se vêtir d’étoffes cousus et de ne pas couvrir son mollet, ce qui répond à l’impératif féminin de ne pas se couvrir les mains et le visage, comme nous allon le voir ci-après !
Un détail religieux est rapporté par ‘Aysha, les motifs sur le vêtement de prière peuvent détourner de la concentration…
A sa mort, rapporté par ‘Aysha et Ibn ‘Abbâs, le prophète aurait un instant ramené sa « khamîça » sur son visage avant d’étouffer et de l’enlever (et de maudire les juifs et les chrétiens pour leur vénération des tombeaux) (LX, 49, 3492).
Le voile masculin symbolise à nouveau la mort, et dans le hadith LXIV, 28 sur les conséquences de la bataille d’Uhud, alors que les règles d’enterrement des martyrs (le linceul aussi est appelé thûb) sont instituées, Jâbir, tout jeune homme, souhaite dévoiler (retirer le thûb de son visage ») un instant le visage de son père mort au combat, ce à quoi s’opposent les Compagnons, mais pas le prophète.
B : Du voile des femmes :
1. as-sitr, muntaqiba : Le voile coutumier qui cache (et pose problème)
Dans le Hadith LXVII, 83 ‘Aysha observe avec l’intérêt d’une jeune fille des Abyssins en train de s’entraîner au javelot, pour qu’elle puisse regarder aisément, le prophète la « cache », « fa-satara-nî ar-rasûl »… « Figurez-vous la joie d’une toute jeune fille en entendant ces divertissements » nous dit-elle. La racine Satara (occulter) se retrouve dans ce second exemple :
Le voile des femmes semblait en effet poser un problème pratique pour les règles juridique du témoignage. En XCIV, 15, Bukhari ajoute cette observation, « Az-Zuhri (grand jurisconsulte marwanide) dit au sujet de la femme qui fait un témoignage cachée derrière un voile (min warâ’ as-sitr): « Si vous la connaissez, qu’elle témoigne: sinon qu’elle ne témoigne pas.»
Dans le verset (LII, 11), Bukhari inclut l’acte de Samura b. Jandûb, qui en tant qu’autorité post-prophétique, « avait accepté le témoignage d’une femme voilée (muntaqiba) ».
2. Naçîf, Thûb, Murût, Kisâ’, Hiqû, Izâr : une grande gamme de termes neutres pour un voile coutumier
Les femmes du paradis portent un voile (LVI, 6 ; LXXXI, 50), et dans ce cadre, il filtre la lumière éblouissante qui émane de leur visage et qu’aucune créature terrestre (à l’instar de celle de Dieu), ne pourrait surmonter, ainsi, « le voile (an-naçîf) sur leur tête vaut mieux, à lui seul, que tout ce que renferme ce monde ! ». Il devait donc être coutumier aux femmes de porter ce genre de voilette qui filtre la noblesse de leur visage (cf, Tertullien).
Pourtant en général on ne parle que de Thûb (drap/tissu).
‘Aïsha rappelle au Hadith VIII, 13 que « Quand l’Envoyé de Dieu faisait la prière de l’aurore, certaines femmes parmi les croyantes y assistaient; elles étaient enveloppées de leurs voiles (Murût) et retournaient ensuite à leurs demeures sans que personne pût les reconnaître »
On en déduit donc que pour ‘Aysha, les femmes pouvaient être méconnaissables en s’enveloppant dans leurs voiles ; mais que cette disposition n’est pas l’impératif religieux, mais un impératif civique et culturel, l’impératif religieux, lui, et la possibilité, comme pour les hommes de se couvrir complètement pendant la prière.
Au même, on trouve un passage sur le vêtement de prière des femmes, et c’est ‘Ikrima qui rapporte « Si la femme peut couvrir tout son corps avec une seule étoffe (fî-Thûb-in), ça lui est licite. »
Aysha affirme que l’annonce de son mariage fut un signe venu de Dieu, et, dans un songe, la jeune fille est conduite par un ange sous une étoffe de soie (saraqa min al-harîr) dont il « écarte le tissu (al-thûb) qui couvrait son visage » pour la découvrir (LXVII, 36)
Dans le Hadith LXIV, 9, on apprend de ‘Ali que les femmes arabo-bédouines utilisent le voile (bi-Kisâ’), comme aujourd’hui, en y nouant (muhtajiza) les affaires importantes (sans doute la monnaie et les bijoux) dont des actes rédigés, en l’occurrence un « écrit ». C’est aussi dans un « thûb » que les femmes médinoises distribuèrent la cadaqa, sous le contrôle de Bilal, au moment de la rupture du jeûne de Ramadan (Ibn ‘Abbâs, 65, LXV, 3 ).
Dans el Hadith exégétique LXV, V, 9, Qays b. ‘Abd Allah rapporte que « Nous étions en expédition (na-ghzû) avec le Prophète, et comme nous n’avions aucune femme avec nous, nous nous demandâmes s’il ne fallait pas nous châtrer (na-khtaçî) . Le Prophète nous interdit de le faire et, à partir de ce moment, il toléra que nous épousions une femme « par le tissu » (bi-l-thûb). Puis il récita ce verset : « Ô vous qui croyez, ne vous interdisez pas l’usage des bonnes choses, quand Dieu vous l’a permis »
Le voile parait un minimum vital du mahr délivré à la femme épousée régulièrement par un prétendant, au prétexte d’une anecdote, rapportée par Sahl b. Sadd, au hadith LXVI, 21, qui voit un homme, en l’absence de tout bien, même pas un seul « thûb-â(n) », et même d’anneau (khâtam-â(n)) de fer, à qui le Prophète concède la valeur d’un mahr en terme de capacité de récitation coranique ! Il existe d’autres versions du même transmetteur (LXVII, 36, 38 et 41), où le prétendant souhaite partager son unique manteau (Burda) / son unique voile (Izâr) (Â-Shuqqu burdat-î/Mâ ‘andî Îlâ Izâr-î), ce que le prophète trouve absurde.
On en déduit que les femmes portaient, aussi bien que les hommes, un simple thûb (tissu-drap) ou un simple Izâr, (voile-drap)…
En ce qui concerne le voile funéraire féminin, Umm ‘Atiya rapporte au XXIII (8, 9, 12, 15) que le voile (Hiqû-hu[…]ta‘nî Izâra-hu/min Hiqû-hu Izâra-hu) du prophète avait suffit comme linceul à sa propre fille… sans plus d’interdit…
3. Julbâb, terme coranique ou coutumier ?
Dans VI, 24 et VIII, 2 (et XXV, 81) Hafsa bt ‘Umar rapporte que les femmes de la communauté interdisaient aux jeunes filles pubères de sortir pour aller à la Msalla, jusqu’à ce qu’elle rencontre la femme d’un compagnon de Ghazzû du prophète, qui, lui avait demandé si une femme démunie de voile (Julbâb, le terme coranique) pouvait se passer d’aller à la Msalla, le prophète, apparemment contrarié, exige que celle qui n’en a pas s’en voit préter un, pour participer aux activités des croyants. Umm ‘Atiya confirme ce fait, le prophète considérait qu’un fille à marier n’avait aucune exemption à la prière extérieure ; il ajoutait que même les femmes en menstrues y étaient obligées (tout en restant à l’écart), la preuve étant qu’elles pouvaient se rendre à ‘arafa.
On comprend ici que certes ce hadith est connecté au verset XXXIII, 59 sur le Julbâb (le seul à s’y référer, encore qu’implicitement), mais qu’il s’agit aussi, et avant tout d’une obsession des femmes. On en déduira plus loin que 1 : si les femmes doivent porter (veulent porter) un Julbâb pour sortir, c’est bien moins normativement important que le fait d’aller à la Mçalla, qui, lui, est un devoir religieux et cultuel. 2 : Le julbâb ne signifie pas « voile de visage », puisque ce vêtement est interdit dans le contexte du pèlerinage, de l’Ihrâm
Il est fait un autre usage, assez grivois, du Julbâb, lorsqu’au rapport de ‘Aysha (LXXVII, 6), la femme de Rifa‘a al-Quradzi, fraichement divorcée, découvre que son nouveau mari, ‘Abd ar-Rahman b. Zubayr « n’a rien sinon quelque chose de pareil à cette cordelette (de frange) — et, ce disant, elle prit une cordelette (Hudba) de son voile (Julbâb). » Dans une autre version (LXXVII, 23), relayée non plus par le frère de l’intéressé, ‘Urwa, mais par ‘Ikrima, on apprend que c’est sans doute pour sa brutalité (« cette femme, dit ‘aysha, portait un voile vert (khimâr akhdâr : le terme coranique du verset « qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs seins ») et vint se plaindre à moi, et me montra les bleus qu’elle avait sur le corps, lorsque l’apôtre de Dieu entra, comme les femmes s’entraidaient mutuellement, ‘Aysha dit : « je n’ai jamais vu qu’il soit arrivé rien de pareil à des croyantes ! ») que la jeune femme cherche à déconsidérer son nouvel époux… Dans la version de ‘Urwa, le prophète semble donner raison à la jeune femme, en souriant, et en rabattant le caquet d’un prude médinois qui attendait à la porte, (même si légalement elle ne peut retourner à Rifaa que s’il a « gouté ton petit miel (‘usaylat-ak) et que tu as goûté son petit miel ») dans la version de ‘Ikrima, on ajoute la présentation des enfants de la femme et (légalement) d’Abd ar-Rahman, qui ressemblent à cet homme comme « un corbeau à un autre corbeau » ; sous-entendu, s’il est capable d’enfanter, le reproche de la cordelette de frange du voile n’est pas valable…
4. Verset du khimâr et autres applications du terme
Dans LXV, XXIV, 13 ; ‘Aysha et Sâfiya (par ‘Aysha) confirment toutes deux que suite à la révélation « qu’elles couvrent leurs seins de leur khaymar », les femmes émigrées fendirent (fa shaqqaq-nâ) leurs « Murût » et leurs Izârs (Uzra-hunna), du côté de la bordure (min qibali-l-Hawâshî), « pour s’en faire un Khimâr » (fa-akhtamarna bi-hi).
C’est à notre connaissance la seule référence à ce verset, qui lui concerne apparemment toute la communauté !
En LXXVIII, 62, ‘Aysha pleura « jusqu’à ce que ses larmes mouillent son khimâr » (hattâ ta-bulla dumû‘-hâ khimâra-hâ en se remémorant son serment de ne plus parler à son neveu ‘Abd Allah b. Zubayr, ce qui est, selon une disposition prophétique, immoral si cela dure plus de 3 jours et que la personne est aussi un musulman. Son beau-frère Az-Zubayr, un proche donc, se jette à son cou (« derrière le rideau ») pour la supplier de revenir sur son vœu ; il y a ici un conflit moral entre le risque de pécher en répudiant un vœu et celui de fuir un musulman/un parent, ‘Aysha finit par parler à son beau-neveu, et expia sa rupture de serment par la libération de 40 esclaves ! Dans ce cas, on a souvent traduit khimâr par « voilette », ce qui est techniquement incorrect, on doit comprendre qu’elle mouille le grand foulard qui recouvre le haut de son corps… si on en suit la définition coranique.
5. Verset du Hijâb (voile-rideau) des femmes du prophète
Selon VIII, 32 ; LXV, XXXII, 8, LXV, II, 9 ‘Umar se vantait auprès de Anas b. Malik d’avoir eu « la même idée que le Seigneur » à trois reprises, à la seconde occasion, (wa ayat-u-l-Hijâb) il aurait conseillé au Prophète que ses femmes « se voilent » (ân ya-htajibna) pour que les « méchants ne puissent les interpeller », ainsi, il conçoit à la fois protéger leur dignité de femme noble, et protéger le prophète de la faiblesse que représente la visibilité de ses femmes auprès de ses ennemis.
C’est à cette occasion qu’aurait été révélé le verset XXXIII, 53 ; qui traite de l’interdit d’entrer dans la demeure du prophète sans invitation, et du devoir de ne leur parler que derrière un « Hijâb », entendu ici non comme étoffe vestimentaire, mais comme un rideau … (Rappelons à ce titre le passage qui ne dit jamais explicitement « les femmes du prophète » avant d’en arriver au sujet du remariage : « n’entrez pas dans les demeures du prophète, à moins d’invitation […] quand vous aurez mangé, dispersez-vous […] et si vous leur (féminin) demandez quelque objet, demandez le leur (féminin) derrière un rideau, c’est plus pur pour vos cœurs et leurs cœurs (féminin) […] ni jamais vous marier avec ses épouses après lui […] »
Il n’est fait aucun lien dans la notion de « se voiler » avec le verset 59, qui impose de « ramener sur elles (-et sur les femmes des croyants-) le Julbâb » ; qui fait la suite de ce passage, et qui est devenu si important (de fait on peut se demander comment un passage qui traite des relations avec le prophète, sa demeure et ses femmes a-t-il pu devenir normatif pour les autres femmes croyantes, et si le texte coranique lui-même n’a pas été modifié au verset 59 ; vu le peu d’intérêt qu’y portent les transmetteurs de « causes de la révélation ».
Dans les même hadith, Bukhari rapporte aussi la version de ‘Aysha, un peu différente. Elle, considère que c’est bien ‘Umar qui a contribué à cette « descente », mais uniquement après qu’il ait importunée Sawda, une autre épouse, qui sortait faire ses besoins… après quoi le Prophète affirma : « on vous autorise à sortir faire vos besoins » !
Un « successeur » en XCVII, 22, rapporte de Anas que le verset du voile (Hijâb) est descendu dans le contexte du mariage de Zaynab, ce qui est confirmé en LXXIX, 10 (1-2) et en LXVII, 67, le prophète ne parvint pas facilement à faire disparaitre les invités, avant de faire tomber un rideau entre lui (et elle) et Anas suite à la fulgurante révélation… Pourtant en LXXIX, 10 (3), on retrouve la version venue de ‘Aysha, qui cette fois fait carrément de la convergence de vue de ‘Umar avec « le Seigneur », un conseil, avant que finalement, la révélation ne descende lorsqu’’Umar humilia Sauda en la reconnaissant, alors qu’elle allait faire ses besoins.
Dans le hadith suivant, Bukhari par ‘Urwa, rapporte de ‘Aysha le fait que le prophète trouvait légitime de lui laisser voir son oncle de lait, après quoi elle recommanda toujours, afin de rendre cet épisode normatif, d’observer le même « interdit », avec les oncles de sang comme avec les oncles de lait ! (LXVII, 23, LXV, XXXII, 9 ; LXVII, 117 ; LXXVIII, 82)
Un cas pratique de l’usage de ce voile-rideau comme protection d’une femme du prophète (suite donc à la révélation coranique) se trouve dans un cas utilisé comme base normative à de nombreux sujets (LV, 4).
Voici l’histoire, rapportée par ‘Aysha :
‘Utba b. Abî Waqqas confie à son frère Sa‘d un jeune esclave, fils d’une esclave de Zama‘a (dont la fille légitime épousa le prophète), techniquement, l’esclave devait être le fils de Zama‘a, mais plus tard, Sa‘d le revendiqua comme son neveu, implicitement, il revendiquait donc que son frère ‘Utba avait eu commerce avec l’esclave d’un autre, ce qui, en droit, revenait à une fornication.
Le fils de Zama‘a aurait réfuté cette version, considérant l’enfant comme son demi-frère ; le prophète aurait ainsi tranché en sa faveur, disant : « cet enfant te revient, il appartient au lit et le fornicateur/adultérin doit être lapidé ! ».
Ainsi, le prophète en privait la filiation au clan de Sa‘d, rappelant la peine encourue par son grand frère…
Mais c’est la fin de l’histoire qui nous intéresse, il reconnut en l’enfant, finalement, les traits de ‘Utba, et, ce faisant, il ne pouvait plus décemment être considéré demi-frère de son épouse, Sauda bt. Zama‘a ; qui du donc se couvrir devant lui. Muhammad, en effet, lui ordonne : « Ahtajibi min-hu » (mot à mot : voile toi de lui/devers lui) ; le hadith finit ainsi « Et l’enfant ne vit pas Sauda avant d’avoir rencontré Dieu ».
Ce même hadith revient en XXXIV, 100 et en LXIV, 53 ; cette fois, le prophète reconnaît immédiatement les traits de ‘Utba, mais il en fait le fils légal de ‘Abdû en raison du « lit de couche », tout en demandant à celle qui est légalement désormais sa demi-sœur, de se voiler devant lui…pour des raisons génétiques évidentes… L’interdit de l’inceste et inversement, l’interdit de voir celles avec qui l’inceste ne peut avoir lieu (donc fornication naturelle) lorsqu’il s’agit de « femmes du prophète » est basé sur la génétique pure, hors, la fornication, elle, ne peut être prouvée que par l’aveu ou le témoignage accusatoire, ainsi, ne pouvant prouver la fornication (sans doute adultérine) post-mortem, ou ne voulant pas accabler le clan de Sa‘d, ou la réputation de l’enfant lui-même, le prophète tranche pour la filiation sur le droit de base, il est le fils du maître de l’esclave, et non d’un inconnu fornicateur…
Dans le LII, 11, l’affranchit Sulayman b. Yasar nous apprend qu’en tant qu’esclave non encore pleinement libre et racheté, il avait pu entrer chez ‘Aysha, ce qui est appliqué des lors comme décret d’application du verset du voile des femmes du prophète !
L’histoire de ‘Aysha et du tirage au sort des femmes pour les expéditions du prophète est abondamment répétée (LII, 15, LVI, 64, LXIV, 34, LXV, XXIV, 6-8, ), dans des contextes différents, on y apprend régulièrement qu’après le verset du voile (ba‘da mâ Unzila al-Hijâb), elle fut, à ces occasions, placée sur un Palanquin (Hawdaj) obturé. Durant un épisode, un homme qui l’avait vu avant la révélation du fameux verset la reconnait alors qu’elle est endormie…
C’est en LXIV, 40 (4261) et LXVII, 13 et 60 qu’on apprend que, selon Anas, Safiya bt. Huwayy de Khaybar, épousée par le prophète suite à la chute de l’oasis judaïsante, « fut une de celles sur qui s’abattit le Voile » (fîman Durib ‘alayhâ al-Hijâb).
Ce à quoi Bukhari ajoute un autre récit (4262) attribué à Anas sur le même évènement, spécifiant que c’est ainsi qu’on distinguait une « esclave-concubine » d’une « mère des croyants », ce qui, dans ce contexte tardif, est connecté à la révélation du verset du voile, même si on devine bien qu’il s’agissait d’un code coutumier arabo-bédouin primitif, qui distingue la femme libre, noble, honorable, et donc voilée du commun, et l’esclave…
(In hajaba-hâ, fa-hya Ihdâ Ummahât al-mû’minîn ; wa In lam ya-hjub-ha fa-hya mimmâ malakat yamînu-hu)
Ainsi, « lorsqu’on se remit en marche, le Prophète l’installa derrière lui et étendit un voile (wa madda al-hijâb) ». Le hadith est récité en longueur, centré autour d’une autre thématique en LXX, 28 et en LXXX, 36, et toute cette observation sur la distinction statutaire est ignorée, (il s’agit peut-être d’une version originelle, plus tard extrapolée, prolongée, réinventée à vue normative), on se contente de noter que le prophète installa derrière lui dans une cabane de voiles…
6. Règles du pèlerinage (interdiction du Lithâm, du Burqa‘ et du Niqâb)
‘Aysha, (XXV, 23) pour le pèlerinage (Ihrâm) ne portait aucune voilette (lâ ta-lathm wa lâ ta-tabarqa‘) sur son visage (ni lithâm, ni burqa‘), elle portait des « voiles-vêtements » (Uzur/Thyiâb), teints au carthame, mais rejetait aussi les vêtements teints au safran…
C’est à ce titre qu’on est sensé comprendre le Hadith XXV,44, où ‘Ata rappelle qu’on ne peut interdire aux femmes le Tawwaf autour du Temple puisque même les femmes du prophète y processionnaient, et ce, après la révélation du « voile-hijâb » qui indique donc qu’il ne s’appliquait pas face à a Ka’ba.
Cependant, il affirme que la « mère des croyants » ne se mêlaient pas à la gente masculine, refusait donc d’aller toucher le pierre noire. La pudeur impliquait de processionner la nuit, pour rester caché aux hommes, et elles attendaient la sortie des hommes. Bukhari rapporte pour confirmer cette question, qu’une autre épouse du prophète, Umm Salama, s’était vue intimer l’ordre de se rendre au temple, même souffrante, et qu’à ce titre seul, elle pouvait rester sur « sa monture ».
‘Abdallah b. ‘Umar rapporte en XXVIII, 13, enfin que le prophète a expressément interdit aux femmes en Ihrâm « de se voiler (ntaqib) le visage et de porter des gants » (lâ ta-ntaqibi-l-mar’â al-muhrima wa mâ ta-lbasi-l-quffâzîn/lâ ta-tanaqqabi-l-muhrima/fî-l-niqâb) », ainsi, devant Dieu, les prescriptions sociales coutumières de noblesse féminine (niqâb, lithâm, burqa‘) ne s’appliquaient pas !
Ceci confirme que le Julbâb n’est pas, comme nous l’avons dit, un voile de visage, et que sont port n’est que secondaire, tant que le tissu (thûb) couvre la femme, elle peut (et surtout, elle doit) faire sa prière en plein air. Il n’est fait aucune distinction, plus haut, entre la pudeur d’un homme et d’une femme devant, « qu’elle puisse se couvrir complètement » « que les hommes se couvrent les épaules », la nuance serait peut être la tête ; mais on a vu que les hommes portaient en général leur voile-drap sur la tête aussi…