Les esclaves que Karfa avait amenés avec lui étaient tous prisonniers de guerre. Ils avaient été pris par l’armée du Bambara dans les royaumes de Wassela et de Kaarta, et conduits à Sego, où quelques-uns d’eux avaient resté trois ans dans les fers. De Sego on leur avait fait remonter le Niger, en compagnie de beaucoup d’autres prisonniers, sur deux grands canots, et on les avait mis en vente à Yamina, à Bammakou et à Kancaba. Le plus grand nombre fut échangé dans ces endroits pour de la poudre d’or, le reste fut envoyé à Kankarée.
Onze d’entre eux m’avouèrent qu’ils étaient esclaves depuis leur enfance ; mais les deux autres refusèrent de me dire quelle avait été leur première condition. Tous étaient fort questionneurs ils me regardèrent d’abord avec horreur, et me demandèrent à plusieurs reprises s’il était vrai que mes compatriotes fussent cannibales. Ils désiraient beaucoup de savoir ce que devenaient les esclaves quand ils avaient passé l’eau salée. Je leur dis qu’on les employait à cultiver la terre ; mais ils ne voulaient pas me croire, et l’un d’eux, mettant sa main sur la terre, me dit avec une grande simplicité : « Avez-vous réellement une terre comme celle-ci, sur laquelle vous posiez vos pieds ? »
Une persuasion profondément enracinée dans l’esprit des Nègres, c’est que les Blancs achètent les esclaves noirs exprès pour les manger ou pour les vendre à d’autres qui les mangeront, et cela leur fait naturellement regarder avec une grande terreur un voyage à la côte ; aussi les slatées sont obligés de les tenir continuellement dans les fers et de les veiller de très près pour les empêcher de s’échapper. On s’assure ordinairement d’eux en mettant dans la même paire de fers la jambe droite de l’un et la jambe gauche de l’autre ; ils peuvent marcher, mais fort lentement, en soutenant leurs fers avec une corde. Ils sont attachés de quatre en quatre par le cou avec une forte corde faite de lanières tressées. Dans la nuit, on leur met aux mains une nouvelle paire de fers, et quelquefois on leur passe au cou une légère chaîne de même métal.
Ceux qui donnent des marques de mécontentement sont assujettis d’une autre manière. On coupe un épais billot de bois d’environ trois pieds de long, sur un côté duquel on fait une entaille évasée. On fait entrer la jambe de l’esclave dans cette entaille à laquelle on l’attache par le moyen d’une forte vertevelle de fer, dont une branche passe de chaque côté de la cheville. Toutes ces entraves et ces verrous sont faits avec du fer du pays ; dans la circonstance dont je parle, ils furent placés par le forgeron aussitôt que les esclaves furent arrivés de Kancaba, et on ne les ôta que le jour où la troupe partit pour la Gambie.
A d’autres égards, le traitement des esclaves, pendant leur séjour à Kamalia, fut loin d’être cruel. On les conduisait tous les matins, avec leurs fers, à l’ombre d’un tamarin ; et là on les encourageait à jouer à des jeux de hasard et à chanter des airs gais qui pussent les réjouir. Car, quoique quelques-uns soutinssent leur malheur avec un courage étonnant, ils étaient, pour la plupart, fort abattus et restaient tout le jour assis dans une posture mélancolique, avec des regards fixés vers la terre. Le soir, on examinait leurs entraves, on leur mettait les fers aux mains et on les conduisait dans leurs grandes huttes, où ils étaient gardés pendant la nuit par des esclaves domestiques de Karfa. Malgré toutes ces précautions, environ une semaine après leur arrivée un des esclaves eut l’adresse de se procurer un petit couteau, avec lequel il ouvrit les anneaux de ses fers, coupa la corde et s’échappa. Il s’en serait probablement enfui plusieurs s’ils s’étaient prêté secours les uns aux autres. Mais l’esclave ne fut pas plutôt en liberté qu’il refusa de s’arrêter pour aider ses compagnons à rompre la chaîne qui était attachée autour de leurs cous.