Cependant, plusieurs des slatées qui demeuraient à Kamalia, ayant dépensé tout leur argent et n’ayant guère d’autre ressource que l’hospitalité de Karfa, me voyaient d’un œil d’envie. Ils inventaient mille histoires ridicules pour diminuer l’estime que Karfa avait pour moi.
Au commencement de décembre, il arriva de Sego un slatée de la nation des Serawoullis. Cet homme fit aussi sur mon compte des récits calomnieux, mais Karfa n’y fit aucune attention et continua à me montrer la même amitié qu’auparavant. Comme je conversais un jour avec quelques-uns des esclaves que ce slatée avait amenés, l’un d’eux me demanda quelques aliments. Je lui dis que j’étais étranger et que je n’en avais point à donner.
« Je vous ai donné à manger, reprit-il, lorsque vous aviez faim. Avez-vous oublié l’homme qui vous apporta du lait à Karankalla ? Mais, ajouta-t-il avec un soupir, je n’avais pas alors les fers aux pieds. »
Je le reconnus sur-le-champ, et je demandai à Karfa quelques pistaches pour les lui donner en retour de ce qu’il avait jadis fait pour moi. Il avait été pris, me dit-il, par les Bambaras le lendemain de la bataille de Joka, et on l’avait envoyé à Sego, où il avait été acheté par son maître actuel qui le conduisait à Kajaaga. Trois autres de ces esclaves étaient du Kaarta, et un de Vassela, tous prisonniers de guerre. Ils restèrent quatre jours à Kamalia, puis on les conduisit à Bala, où ils restèrent jusqu’à ce que la rivière Kokorro fût guéable et qu’on eût brûlé les herbes.
Au commencement de décembre, Karfa songea à compléter le nombre de ses esclaves. A cet effet, il recueillit toutes les créances qui lui étaient dues dans son pays ; et le 19 accompagné de trois slatées, il partit pour Kancaba, grande ville sur les bords du Niger, où se tient un marché considérable d’esclaves.
La plupart de ceux qui se vendent à Kancaba viennent du Bambara. Mansong, pour éviter la dépense et le danger qui résulteraient du séjour de tous les prisonniers de guerre à Sego, les envoyait ordinairement vendre par petites troupes dans les différentes villes où l’on fait ce commerce ; et comme Kancaba est très fréquenté par les marchands cet endroit est toujours bien fourni d’esclaves que l’on y envoie en canots par le Niger. Lorsque Karfa partit de Kamalia, il se proposait de revenir dans un mois. Pendant son absence il me confia aux soins d’un bon vieux buschréen qui servait de maître d’école aux jeunes gens de Kamalia.