Le 15 août, vers neuf heures, je traversai une grande ville appelée Sai, qui excita beaucoup ma curiosité. Elle est en entier entourée de deux fossés très profonds, éloignés d’environ cent toises de ses murs. Sur le haut des tranchées sont plusieurs tours carrées ; le tout offre l’aspect d’une fortification régulière. Ayant fait quelques questions sur ces extraordinaires retranchements, j’appris de deux personnes de la ville les détails suivants qui, s’ils sont vrais, fournissent un triste exemple des horreurs qui se commettent dans les guerres africaines.
Il y a environ quinze ans, lorsque le père du roi actuel de Bambara désolait Maniana, le douty de Sai eut deux fils tués les armes à la main en combattant pour le parti du roi. Il avait un troisième fils vivant. Le roi ayant demandé un nouveau renfort d’hommes, et entre autres ce fils, le douty refusa de l’envoyer. Ce refus irrita tellement le roi qu’en revenant de Maniana, au commencement de la saison pluvieuse, il mit le siège devant Sai, dont le douty était défendu par les habitants, et il entoura cette ville des tranchées que j’ai vues. Au bout de deux mois de siège, les gens de Sai se virent réduits à toutes les horreurs de la famine. Pendant que les assiégeants jouissaient de l’abondance dans leurs tranchées, ils voyaient avec plaisir les malheureux habitants de Sai dévorer les feuilles et l’écorce de l’arbre qui ombrageait le bentang au milieu de leur ville. Cependant le roi, s’apercevant que ces infortunés aimaient mieux périr que de se rendre, eut recours à la trahison. Il promit que, s’ils voulaient ouvrir leurs portes, personne ne serait tué ni ne souffrirait aucune injure, à l’exception du douty. Le pauvre vieillard se décida à se sacrifier pour sauver ses concitoyens, et se rendit sur-le-champ à l’armée du roi, où il fut mis à mort. Son fils, en essayant de s’échapper, fut pris et massacré dans les tranchées. Les autres habitants furent faits prisonniers et vendus comme esclaves à divers marchands de Noirs.
Vers midi, je vins au village de Kaimou, situé sur le bord de la rivière, et comme le grain que j’avais acheté à Sibili était épuisé je tâchai de m’en procurer d’autre. Mais j’appris que le grain était devenu rare dans tout le pays et, quoique j’offrisse 50 kauris d’une petite quantité, personne ne voulut m’en vendre. Cependant, comme j’étais prêt à partir, un des habitants, qui me prit sans doute pour un shérif maure, m’en apporta un peu en présent, me priant seulement, en retour, de lui donner ma bénédiction. Je la lui donnai en bon anglais, et il la reçut avec mille remerciements. Je fis mon dîner de ce présent. C’était le troisième jour que je vivais de blé cru.