Le Sionisme n’est pas seulement une réaction au racisme antisémite de son temps, il en est un produit. En effet, si Herzl renonce à constituer avec les Russes et les Allemands le Bund (aux deux sens du terme « fédération ») c’est avant tout parce qu’il croit, en bon européen post-darwinien, à l’essentialisme raciale de la « nation juive ».
Evidemment, en tant qu’européen, il n’inclut pas dans son idée les « judéo-musulmans », qui ne sont que des coreligionnaires sous-évolués, comme les maronites sont des coreligionnaires sous-évolués des catholiques européens, ou les islandais des coreligionnaires sous-évolué des protestants européens, ou les bulgares des coreligionnaires sous-évolués des russes européens.
Sa réaction en visitant Jerusalem n’est pas celle des romantiques attardés, qui y voient (sic) leur fantasme d’un monde anti-moderne (pas plus d’ailleurs que quand ils visitent Fès ou Tunis), elle est celle d’un progressiste allemand, racialement conscient de la supériorité européenne, et cette foule de juifs séfarades traditionalistes, dans les ruelles sombres d’une antique cité, ne lui inspire, en fin de compte, que dégoût. Il fondera la première colonie dans les faubourgs européanisés la ville moderne de Jaffa : Tel Aviv.
Les autres Kibboutz ne s’installent pas non plus en Judée Samarie ou en Galilée (à part en plaine de Tiberiade), lieux de l’antique royaume de Judée, mais sur la plaine côtière, urbanisée et céréalière, mais traversée d’immenses zones d’apparentes friches, que les Beys et autres Mukhtar ou fermiers d’Iqta’ bradent pour quelques roubles, alors qu’il s’agit des plus riches terres de pâtures de la communauté bédouine palestinienne et du « Saltus » des communautés villageoises de la plaine côtière.
En Occident, il s’agit de revendiquer un suprématisme qui trancherait avec les israélites assimilés, honteux de leur race, mais aussi le traditionalisme rabbinique des Stetl Yiddish. Mais c’est pourtant par ces deux intermédiaires qu’il est nécessaire de passer, d’où la devise yiddish : « Qu’est-ce qu’un sioniste ? C’est un juif qui demande de l’argent à un autre juif (un capitaliste assimilé) pour en envoyer un troisième (un pauvre de Stetl) en Palestine ! »
Les Anglais, au cœur de la première guerre mondiale, tout en promettant l’indépendance à la nation raciale arabe en cours d’invention, comprennent l’intérêt d’un Etat Européen en Palestine. De plus, cela leur évite de voir affluer le prolétariat Yiddish en Occident. Ils reçoivent donc le concours des Français (qui leur délèguent la Palestine) et des Russes, qui s’en désintéressent.
Le nationalisme suprématiste juif est donc une simple excroissance du racialisme civilisateur occidental, de l’essentialisme national de cette Europe au faîte de sa puissance, un pro-sémitisme qui répond par une catégorisation tout aussi étriquée et rigide à son comparse, l’anti-sémitisme.
Lorsqu’un régime ouvertement anti-sémite émergera en Allemagne, il considérera la Palestine comme LA « solution finale de la question juive », avant, la guerre aidant, de changer de tactique…
La civilisation judéo-islamique, prise entre l’invention du nationalisme arabe, le sionisme et l’expansion occidentale à travers l’Alliance Israélite, comprimé par l’occupation militaire européenne, frustré en terme d’identité, complexé par l’échec politique et la ruine économique à la hauteur de son intime supériorité vit ses dernières heures…
Désormais, les juifs entreront dans une case raciale prédéfinie, les arabes dans une autre, un juif arabe devra (mais le peut-il ?) choisir comme son correligionnaire européen avait dû choisir (avant que le Sionisme ne lui propose une remède) entre celle-ci et son identité civilisationnelle.
Cette identité était pourtant jugée archaïque, despotique, sous-évoluée, alors que les compatriotes de civilisation (chrétiens et musulmans) sont, eux, obsédés par leur défaite et par leur rêve fanatique de revanche, ou celui tout aussi fanatique de « modernisation » . Car la restauration du monde arabo-islamique est passée au crible des idéologies nationalistes, raciales, homogénéisantes de l’Europe et de leur élite occidentalisée, qui, à terme devait s’enrichir de l’anti-judaïsme européen. Cette malédiction devait débarquer dès l’explosion de violence palestinienne entre 1925 et 1949.