III, 545-579 :
La malheureuse Didon (reine de Carthage), après avoir été consumée d’amour pour Énée, s’était laissé consumer encore au milieu des flammes de ce bûcher où elle mit fin à ses jours. On avait recueilli ses cendres, et on lisait sur le marbre du tombeau cette courte inscription, tracée par elle-même à ses derniers instants:
“Énée, qui cause ma mort, m’avait laissé une épée. Didon s’est frappée de sa propre main.”
Les Numides envahissent aussitôt ce royaume sans défenseur ; le Maure Iarbas s’établit dans le palais qu’il vient de conquérir, et, se rappelant les dédains de la reine :
“Je commande enfin, dit-il, dans cette chambre nuptiale, d’où Élissa m’a tant de fois repoussé!”
Les Tyriens fuient de tous côtés, dispersés par l’épouvante ; ainsi errent au hasard les abeilles troublées, quand le chef de la ruche n’est plus. Trois fois les épis de la moisson avaient été battus dans l’aire, trois fois le vin avait fermenté dans la cuve profonde; Anna est chassée du palais ; elle quitte en pleurant ces murs qui lui rappellent une soeur chérie ; mais elle veut encore rendre un dernier hommage aux restes de Didon; elle verse des larmes et des parfums sur cette cendre légère, elle y dépose quelques boucles de ses cheveux; puis elle crie trois fois adieu; trois fois ses lèvres ont touché ces dépouilles sacrées, où sa tendresse cherche encore une soeur.
Elle s’assure d’un vaisseau, d’une compagne dans son exil, et s’éloigne lentement, les yeux attachés sur ces remparts qu’éleva la main d’une soeur bien-aimée. Non loin de la stérile Cosyra (Pantelleria), il est une île fertile, appelée Mélitè, que viennent battre les flots de la mer de Libye. Anna (Perenna, supposée sœur de Didon, déesse de l’année) s’y rend ; les liens d’une antique hospitalité l’unissent au roi de Mélitè ; c’était le riche Battus (thérien, fondateur de Cyrène en 630). En apprenant tant d’infortunes :
“Mon royaume n’est pas grand, dit-il, mais je vous l’offre tout entier.”
Et sans doute il se fût montré jusqu’à la fin hôte généreux et fidèle, sans la crainte que lui inspira la puissance de Pygmalion. Le soleil parcourut deux fois les signes célestes ; mais à la troisième année, les exilées durent chercher un autre asile.
Un frère a paru les armes à la main.
“Nous ne saurions résister, dit le roi Battus, que l’idée d’une guerre épouvante ; Anna, fuyez, si vous voulez sauver vos jours.”
Elle obéit, elle fuit et abandonne son navire au caprice des vents et des flots; la mer la plus terrible est moins à craindre pour elle que la haine d’un frère.